Les Bonaparte sont une des plus anciennes familles d'Italie ; ils avaient régné à Trévise, et dans leurs armoiries, où se trouvait un râteau, il y avait des fleurs de lys d'or, comme dans celles des Bourbons. Cette famille a, de tout temps, produit des hommes remarquables ; plusieurs se sont distingués dans les lettres, d'autres ont été podestats de Parme et de Padoue, et n'ont dû ces dignités qu'aux suffrages de leurs concitoyens. Les Bonaparte de Trévise ont fondé des établissements religieux, et ceux de Florence ont donné à l'église plusieurs prélats. Toutes les vicissitudes de la fortune semblent s'être épuisées sur cette famille. Dès 1668, une sentence de bannissement fut portée contre les Bonaparte de Florence, et en 1441, l'un de leurs descendants fut décapité comme Gibelin. A cette époque, ils furent forcés de cacher leur nom ; des lois les exclurent des honneurs, et ils ne recouvrèrent leurs prérogatives et leur rang qu'en 1738. Une troisième branche des Bonaparte s'était établie en Corse, où ils vécurent paisiblement, mais sans éclat, pendant plus de deux siècles. Ils ne devaient sortir de leur obscurité que pour être, à leur tour, l'objet des faveurs et des persécutions inouïes de la fortune, qui sembla se complaire à les soumettre à tous les genres d'épreuve. Ainsi, trois fois dans les guerres de la Corse, la maison des Bonaparte est incendiée et reconstruite ; en 1793, cette île est livrée aux Anglais, la maison des Bonaparte est encore brûlée, leurs biens sont confisqués, leurs champs dévastés ; la famille se sauve en France, où elle vit presque dans la misère. Quinze ans plus tard, tous les Bonaparte, à l'exception de Lucien, sont placés sur des trônes. En 1814, ils sont mis au ban de l'Europe, leurs noms sont proscrits, leurs images renversées. Tout-à-coup ils se relèvent ; mais bientôt la rechute est des plus terribles, et une loi atroce les exclut à jamais du territoire français, sous peine de mort ! Lorsque à la suite des guerres entre les Guelfes et les Gibelins la famille entière des Bonaparte dut se disperser dans les divers états de l'Italie, un de ses membres se retira à Sarzanne, d'où il passa en Corse et se fixa à Ajaccio. C'est de cet exilé que descend la branche des Bonaparte d'où Napoléon tire son origine. Le père des Bonaparte, dont la vie tient une si grande place dans notre histoire, Charles Bonaparte, naquit à Ajaccio en 1746 : il fut l'ami de Paoli, et combattit à ses côtés pour arracher la Corse au joug des Génois. Il prit encore les armes pour la défendre contre les entreprises de la France. En 1779, il remplit une mission près de la cour de France. Plus tard il fut réduit à l'indigence par l'entreprise du dessèchement des salines et par la cupidité des jésuites, qui lui enlevèrent une succession. Il n'avait pas trente-neuf ans lorsqu'il mourut à Montpellier le 24 février 1785. Son corps a été depuis transporté à Saint-Leu, où Louis Bonaparte lui a consacré un monument. Il avait épousé, en 1767, Lætitia Ramolino, née en 1780 à Ajaccio d'une famille noble originaire d'Italie ; madame Charles Bonaparte est sœur utérine du cardinal Fesch ; elle habite Rome, où elle jouit, dit-on, d'une fortune considérable. Madame Bonaparte a eu treize enfants ; lorsque l'empire s'est écroulé, elle en comptait huit de vivants : 1° Joseph Napoléon Bonaparte, né à Corté, le 7 janvier 1768 ; 2° Napoléon, né à Ajaccio le 15 août 1769 ; 3° Lucien, né dans la même ville, en 1776 : 4° Marie-Anne-Élisa, née dans la même ville, le 3 janvier 1777 ; 5° Louis Napoléon, né dans la même ville, le 2 septembre 1778 ; 6° Marie-Pauline, née dans la même ville, le 20 octobre 1780 ; 7° Marie-Annonciade-Caroline, née dans la même ville, le 25 mars 1782 ; 8° Jérôme Bonaparte, né dans la même ville, le 15 novembre 1784. Le nom de Napoléon était porté par les cadets de cette famille depuis plusieurs générations. Il venait originairement d'un Napoléon des Ursins, célèbre dans les fastes d'Italie. Ce nom signifiait le lion du désert. A ce sujet, l'empereur disait, à Sainte-Hélène, en parlant de la campagne d'Egypte, que le désert avait toujours eu pour lui un attrait particulier, qu'il ne l'avait jamais traversé sans une certaine émotion. Lorsqu'il lui arrivait d'énumérer les causes qui avaient favorisé son élévation. Il n'est pas, disait-il, jusqu'au nom de Napoléon, peu connu, poétique, redondant, qui ne soit venu ajouter quelques petites choses à la grande circonstance. Nous parlerons, selon l'ordre de date de leur naissance, des divers membres de la famille de Napoléon, réservant, toutefois, pour la dernière, la notice sur Joseph Bonaparte qui, aux termes des constitutions de l'empire, est aujourd'hui le chef de la dynastie impériale. Lucien Bonaparte. — Il embrassa avec enthousiasme les principes de la révolution française, et il parut sincèrement attaché à la liberté, jusqu'au 18 brumaire où, président du conseil des Cinq-Cents, il seconda son frère dans son attentat contre la représentation nationale. Il avait antérieurement publié plusieurs écrits démocratiques avec la signature Brutus Bonaparte. Depuis il a reçu du pape le titre de prince de Canino. Il fut constamment en disgrâce sous l'empire, et ne parut alors s'occuper que de la culture des lettres : il a fait paraître successivement un roman intitulé Stellina ; Charlemagne, poème épique en vingt-quatre chants ; la Cyrnéide ou La Corse sauvée, autre poème épique, et quelques poésies légères. En 1815, Lucien vint à Paris, où il siégea à la chambre des pairs, et aida Napoléon dans ses immenses travaux. La famille de Lucien est la plus nombreuse. Quelques-uns de ses enfants se sont acquis une réputation de savoir et de talent. Charles-Lucien Bonaparte, connu sous le nom de prince de Musignano, est un homme d'esprit et un savant ornithologiste ; il a épousé Zénaïde-Julie Bonaparte, fille de Joseph. L'aînée des filles de Lucien, Charlotte, est mariée au prince Gabrielli : elle avait été demandée par le prince des Asturies, et avait refusé le grand-duc de Wurtzbourg. La seconde a épousé lord Stuart. La troisième, mariée d'abord à un Suédois, s'en est séparée pour contracter de nouveaux liens. Une quatrième, renommée en Italie pour sa rare beauté, est unie au prince Hercolani, l'un des plus riches héritiers de la Toscane. Une cinquième, enfin, s'est mariée à un Irlandais, M. Wyse, président d'une association catholique d'Irlande ; cette union n'est pas heureuse. Une dernière fille de Lucien, Alexandrine Bonaparte, s'est vouée, comme son père, au culte des muses ; elle a publié un poème en dix chants, intitulé Batilde, reine de France. Elisa Bonaparte, madame Bacciochi, princesse de Lucques et de Piombino, puis grande duchesse de Toscane : elle aimait les arts et les lettres, et fit chérir son administration, Elle est morte en août 1820, à sa campagne de Santo-Andra, près de Trieste, où elle résidait sous len om de comtesse de Campignano. Louis Bonaparte :
il épousa, le 4 janvier 1802, Hortense-Fanny de Beauharnais, fille de
Joséphine. Ce mariage, qui l'obligeait à renoncer à une inclination réelle,
empoisonna sa vie. Le 5 juin 1806, Louis fut proclamé roi de Hollande. Il
acquit une grande popularité parmi les Bataves : il était juste et bon : dès
qu'il ne lui fut plus permis de faire le bien de ses états, il abdiqua et se
retira à Gratz en Styrie, où il prit le nom de comte de Saint-Leu, terre
qu'il possédait près de Paris. Au milieu des chagrins domestiques qui sont
venus l'assaillir dans sa retraite, Louis s'est occupé de travaux
littéraires. Il est l'auteur des ouvrages suivants : 1° Marie, ou les
Hollandais ; 2° Documents historiques sur la Hollande ; 3° Mémoire
sur la versification, avec des essais de vers sans rimes ; 4° Essai
sur la versification, contenant un opéra et une tragédie ; 5° un recueil
de poésies ; 6° Réponse à sir Walter Scott sur son histoire de
Napoléon. On trouve dans ces divers ouvrages la preuve d'un mérite réel,
d'une âme droite et d'un cœur élevé. Louis, quand il régnait, s'était prononcé
contre la peine de mort : Un roi, disait-il, doit compte à Dieu, à la postérité et à la nation, de tous
les individus qui lui sont soumis. Louis Bonaparte avait deux fils, Napoléon-Louis Bonaparte, né le 11 octobre
1804, et Charles-Louis Bonaparte, né le 20 avril 1808. Napoléon-Louis a péri
pendant les derniers troubles d'Italie. Son frère a épousé Charlotte Bonaparte,
fille de Joseph. Le fils de Louis Bonaparte est après son père et son oncle Joseph, le successeur le plus direct de Napoléon II. Pauline Bonaparte, veuve du général Leclerc, mort à Saint-Domingue ; elle épousa plus tard le prince Camille Borghèse. Tant que régna Napoléon, elle fut souvent dans la disgrâce. Avant la bataille de Waterloo, elle lui envoya ses parures en diamants dont la valeur était considérable. Napoléon ne put profiter de ces présents qui, après son embarquement, lui furent volés par l'Angleterre. Pauline est décédée à Florence, le 3 juin 1825 : elle n'a pas laissé d'enfants. Caroline Bonaparte, la plus jeune des sœurs de Bonaparte, est la seule qui existe aujourd'hui. Épouse de Joachim Murat, elle monta sur le trône de Naples, où elle brilla de toutes les qualités d'une reine, et fut le véritable souverain pendant les longues et fréquentes absences de son mari. Caroline Bonaparte a quatre enfants ; deux fils et deux filles : Achille-Napoléon, né le 21 janvier 1801 ; Lucien-Charles, né le 10 mai 1802 ; Marie-Lætitia-Joséphine, née le 25 avril 1803, et Louise-Caroline, née le 22 mars 1805. Achille Murat, après avoir quelque temps résidé aux Etats-Unis, est revenu en Europe, depuis la révolution de juillet. Lucien-Charles s'est fixé dans l'Amérique méridionale. Les deux filles sont mariées, l'une au marquis de Popoli de Bologne, et la plus jeune au comte Rasponi de Ravenne. Jérôme Bonaparte : au sortir du collège de Juilly, il entra dans la marine. A 17 ans il était lieutenant de vaisseau et fit partie de l'expédition de Saint-Domingue ; en 1807, il épousa la princesse Frédérique-Catherine, fille du roi de Wurtemberg et devint roi de Westphalie. Le nouveau souverain établit sa résidence à Cassel, capitale de son royaume ; jusqu'en 1813 il y mena une vie plus que dissipée. En 1814, le dévouement de son épouse et sa belle conduite le ramenèrent vers des habitudes plus sérieuses. En 1815, Jérôme vint en France et se distingua à Waterloo, où il reçut une blessure au bras. Depuis il parvint à regagner les états de Wurtemberg où, en 1816, son beau-père lui donna le titre de comte de Montford. Jérôme Bonaparte habite maintenant l'Italie avec son épouse. Il a eu d'un premier mariage, un fils qui, depuis sa naissance, n'a pas quitté l'Amérique, et qui porte le nom de. Jérôme-Napoléon Bonaparte. De son mariage avec la princesse Catherine, il a trois enfants, dont l'aîné doit avoir aujourd'hui vingt-trois ans. Napoléon II, connu sous le nom de duc de Reichstadt ; qui nous révélera ce qu'il eût été ? Metternich et les infâmes geôliers dont l'avait entouré François II ne lui permirent pas de devenir un homme. Peut-être ne l'ont-ils pas empoisonné ; mais il est des crimes plus lâches et plus atroces encore ; une longue énervation a conduit cet enfant au tombeau : il mourut sans patrie, ô déplorable sort ! Joseph-Napoléon Bonaparte est né à Corté en 1768. Son père, député de la noblesse de Corse à Paris, l'emmena avec lui et le plaça au collège d'Autun en Bourgogne, où il fit ses études avec beaucoup de distinction. Il se destinait au service militaire ; mais il céda à la dernière volonté de son père, mort à Montpellier à la fleur de son âge, et retourna en 1785 dans son pays natal. En 1792, il se trouvait membre de l'administration du département dont le fameux Paoli était président. En 1793, les Anglais s'étant rendus maîtres de la Corse, Joseph se retira sur le continent et s'y maria, en 1794, à l'une des filles de M. Clari, l'un des plus riches capitalistes de Marseille. La délivrance de son pays fut dès lors sa seule pensée ; mais ce ne fut qu'en 1796, par suite de l'occupation de l'Italie par l'armée française, que ses vœux à cet égard furent remplis. Joseph avait suivi son frère dans cette campagne. Le général Bonaparte, voulant faire la paix avec le roi de Sardaigne, le fit partir du Piémont, pour en démontrer la nécessité au directoire. Nommé, plus tard, ministre plénipotentiaire à Rome, puis ambassadeur extraordinaire, if entama directement avec le pape Pie VI, une négociation pour l'engager à user de son influence religieuse afin de porter les Vendéens à la paix. Ces bonnes dispositions furent entravées par l'influence du parti autrichien et par les imprudences des patriotes, dont quelques-uns furent fusillés par un bataillon des troupes papales, dans la cour du palais de France où ils s'étaient réfugiés. L'un des généraux français qui se trouvaient avec l'ambassadeur, le général Duphot, fut tué à ses côtés, tandis qu'il aidait à ramener à la raison les deux partis. L'ambassadeur n'ayant pas reçu les satisfactions qui lui étaient dues, partit pour Paris, où le gouvernement approuva complètement sa conduite et lui proposa l'ambassade de Prusse ; mais Joseph, nommé membre du conseil des Cinq-Cents, préféra répondre à la confiance de ses concitoyens, en entrant au Corps-Législatif. Il s'y fit remarquer par beaucoup de sens et de modération ; dans un comité général des membres des deux conseils, lorsque le directoire attaqua le général Bonaparte, son frère, qui était alors en Egypte, il parla avec tant d'énergie et de raison, qu'il confondit les accusateurs et entraîna tous les suffrages. Peu de jours après il fut nommé secrétaire au conseil des Cinq-Cents. Sous le consulat, il fut membre du conseil d'état. Chargé, avec MM. Rœderer et de Fleurieu, de terminer les différends qui existaient entre la France et les États-Unis d'Amérique, il fut l'un des négociateurs du traité du 30 septembre 1800, qui fut signé à sa terre de Morfontaine. Le 9 février 1801, il signa à Lunéville, avec le comte de Cobentzel, le traité de paix entre la France et l'Autriche et obtint, pendant le cours des négociations, que la place de Mantoue fût remise à l'armée française. Le traité d'Amiens fut signé le 25 mars 1802 : une difficulté s'étant élevée au sujet de plusieurs millions de francs, lord Cornwallis dit confidentiellement à Joseph que quelques millions n'empêcheraient pas la conclusion de la paix ; mais, à quelques jours de là, le plénipotentiaire anglais reçut l'ordre d'insister. Cependant, pour ne pas avoir à rougir devant un homme pour lequel il avait pris de l'estime, il déclara hautement que sa parole était donnée, et qu'il ne la révoquerait jamais. Joseph exprima, le premier, l'idée d'un concert entre la France, l'Angleterre, l'Espagne et la Hollande, pour la destruction du système de piraterie et de la traite des blancs par les états barbaresques. Cette généreuse pensée se trouve énoncée dans une lettre de Joseph à son frère, alors premier consul. En 1803, il fut nommé sénateur et membre du grand conseil de la Légion-d'Honneur. Le concordat avec la cour de Rome fut signé par Joseph, par l'abbé Bernier, depuis évêque d'Orléans, et par le ministre de l'intérieur Cretet. Presque à la même époque, fut conclu entre la France, l'Autriche, la Russie, la Prusse, la Bavière, le traité de garantie relatif aux changements politiques survenus dans l'empire germanique. Joseph eut les pouvoirs de la France. En 1804, au moment où le camp de Boulogne fut formé, Joseph y commanda le 4e régiment de ligne. Le sénat et le peuple français, en appelant Napoléon à l'empire, déclarèrent Joseph et ses enfants héritiers du trône, à défaut d'enfants de Napoléon, et, à défaut des descendants de Joseph, Louis Bonaparte et ses descendants. La couronne de Lombardie lui fut offerte dans la même année ; il la refusa, ne voulant pas contracter des engagements qui lui semblaient onéreux pour ce pays. Joseph resta à la direction des affaires à Paris durant la campagne d'Austerlitz ; peu de jours après cette bataille, il reçut de l'empereur l'ordre d'aller en Italie prendre le commandement de l'armée destinée à envahir le royaume de Naples, dont le souverain avait rompu le traité qui le liait avec la France. Quatorze mille Russes et douze mille. Anglais s'étaient réunis aux troupes napolitaines. Le 8 février 1806, quarante mille Français furent envoyés dans ce royaume. Joseph, à la tête du corps du centre, arriva à Capoue, qui, après avoir fait mine de se défendre, ouvrit ses portes ; huit mille hommes y furent faits prisonniers de guerre. Les Anglais et les Russes ayant opéré leur retraite et le roi Ferdinand s'étant embarqué pour la Sicile, Joseph fit son entrée à Naples le 15 février 1806. Le peuple le reçut comme un libérateur. Il profita de ces dispositions en continuant dans les fonctions publiques la plupart de ceux qui les remplissaient. Joseph, après avoir organisé une administration provisoire dans la capitale, voulut reconnaître par lui-même l'état du royaume : il se mit en marche avec un corps d'élite, commandé par le général Lamarque. Ce fut pendant ce voyage que Joseph apprit que l'empereur l'avait proclamé roi de Naples, et que les autres souverains du continent de l'Europe étaient disposés à le reconnaître prochainement. Il visita-Tarente, traversa ensuite la Basilicate et une partie de la Pouille, et rentra dans la capitale, où l'attendait une députation du sénat français qui, tout en le félicitant sur son avènement, se félicitait aussi de le conserver comme grand électeur et prince français. C'étaient MM. le maréchal Pérignon, le général Ferino, le comte Rœderer. Ce dernier accepta le ministère des finances et profita habilement de l'appui que lui donnait le roi pour reconstituer les finances de ce royaume sur des bases nouvelles, et établir un crédit public qui s'est maintenu, malgré les change mens survenus depuis celte époque. M. le maréchal Jourdan avait été nommé par l'empereur, gouverneur de Naples, avant l'avènement du roi qui le conserva dans les mêmes fonctions. Le clergé, présidé par le cardinal Ruffo, la noblesse et le peuple, s'empressèrent de fêter l'arrivée du nouveau roi. La capitale se montra aussi satisfaite que les provinces. Joseph nomma un conseil d'état composé d'un grand nombre de personnes qni lui furent indiquées par l'opinion publique, sans distinction de naissance ni de partis, il choisit un ministère où les avocats les plus célèbres se trouvèrent les collègues des barons de la plus haute naissance. Les Français qu'il admit dans son conseil ou dans sa cour étaient la plupart des hommes distingués par leurs talents dans les assemblées nationales de France : MM. Rœderer, Salicetti, Mathieu Dumas, Miot, Cavagnac, Stanislas Girardin, Jaucourt, Arcambal, Dudon, Maurice Mathieu, Saligny, Ferri, Hugo, Blagnac, etc. Toutes les améliorations dont il avait senti le besoin et la possibilité, dans ses conversations avec des hommes de toutes les classes du peuple dans la longue tournée qu'il venait de faire, il annonça la volonté de les établir avec calme et maturité. Il divisa son conseil et laissa à chaque comité le soin de préparer les améliorations possibles, leur donnant pour exemple la révolution française, dont ils étaient appelés à recueillir les fruits. Cependant la guerre n'était pas terminée ; le siège de Gaëte occupait une partie de l'armée ; l'escadre anglaise était sur les côtes ; les troupes napolitaines, battues et dispersées, s'étaient formées en bandes particulières qui désolaient le pays. La cour de Sicile obtint qu'une armée anglaise tenterait un débarquement dans le golfe de Sainte-Euphémie, où quatre mille Polonais et quelques Français furent forcés à la retraite, événement qui augmenta beaucoup les insurrections partielles. Joseph, occupé à réunir les moyens nécessaires pour réduire Gaëte, se porta sur cette place et fit diriger sur le même point une flottille de chaloupes canonnières qu'on était parvenu à construire, armer et équiper ; il visita les tranchées et batteries les plus avancées, reconnut la place où le brave Valogne, général du génie, venait d'être tué, et ordonna la construction immédiate d'un monument en sa mémoire. Le 7 juillet, le roi retourna sous Gaëte, accompagné du général du génie Campredon et du général d'artillerie Dulauloy : en sa présence, quatre-vingts pièces d'artillerie commencèrent un feu dont l'effet fut tel, que le 18, deux brèches étaient praticables, et déjà le maréchal Masséna faisait ses dispositions pour l'assaut, lorsque la garnison de sept mille hommes proposa une capitulation qui fut signée le même jour. Masséna et son corps d'armée furent dirigés sur les Calabres, d'où les Anglais se retirèrent en Sicile, à son approche. Joseph se porta lui-même à Lago-Negro, avec une réserve. Le maréchal Masséna ayant reçu l'ordre de rejoindre l'armée d'Allemagne, le roi le remplaça dans le gouvernement des Calabres par le général Reynier, qui détruisit entièrement un nouveau corps de six mille bandits, débarqués de Sicile, sous les ordres du prince de Hesse-Philipstadt. La place d'Ameanté fut prise, celle de Marathéa l'avait été quelques jours auparavant, par le général Lamarque. Du Côté de l'Adriatique, le général St-Gyr, commandant des divisions italiennes, avait pacifié ces provinces et venait de prendre Civitella del Tronto. Les chefs de bandes les plus actifs avaient péri, les tentatives d'assassinat sur le roi avaient échoué. Les gardes nationales instituées dans toutes les provinces, sous le commandement des plus riches propriétaires, qui tous avaient pris parti pour le nouvel ordre de choses, contribuèrent beaucoup à éteindre entièrement l'incendie, dès que les masses principales ennemies furent battues et dispersées. Le roi, avant de retourner à Naples, se montre encore dans les provinces, interroge les peuples sur leurs besoins, sévit contre quelques fonctionnaires prévaricateurs, inspire partout la confiance et obtient un triomphe plus certain que celui qui est commandé par la force. Éclairé par les connaissances personnelles qu'il venait d'acquérir sur l'état du peuple, sur ses besoins et ses désirs, il ne lui fut pas difficile de persuader aux conseillers d'état qu'il avait nommés dès les premiers jours de son arrivée, qu'il fallait chercher le bien particulier de chaque classe de la société dans le bien de toutes. Les principaux seigneurs du royaume furent les premiers à applaudir aux projets de réforme ; ainsi la féodalité fut détruite de leur aveu. Les prélats les plus éclairés, membres aussi du conseil d'état, adoptèrent la suppression des ordres monastiques, dont les biens ne tardèrent pas à établir le crédit public ; une administration sage mit de l'ordre dans les finances, les juges féodaux furent, en grande partie, élus à des places de judicature d'institution royale. Ainsi le bien de la nation ne fut acheté ni par le sang, ni parles larmes, ni par la misère subite d'aucun individu. Tout fut fait pour le peuple : la sagesse, la modération présidèrent à ces grands changements. L'on vit des moines, des prêtres, des nobles, contents de la félicité publique, à laquelle ils participèrent eux-mêmes. Les intendants des provinces eurent l'ordre d'employer tous les moines qui auraient des talents et la volonté de se vouer à l'instruction publique. Ceux qui furent jugés propres à exercer les fonctions de curés n'en furent pas éloignés. Les plus infirmes, qui avaient vieilli dans des cloîtres et survécu à tous leurs parents, furent réunis, protégés, encouragés dans de grands établissements publics, où ils continuèrent à vivre en commun avec d'autres ecclésiastiques de divers ordres. Les savants, valides et jeunes, qui voulurent continuer la vie commune, purent se livrer à l'étude des sciences qui avait illustré leurs prédécesseurs, dans les fameuses maisons de Monté-Cassin et de la Gava, qui leur furent affectées, et où furent réunis les bibliothèques et les manuscrits des autres maisons religieuses, dépôts précieux dont ils eurent la garde. D'autres individus des ordres monastiques, encore jeunes, peuplèrent les deux grands établissements de Cinqueméglia et de Monteseruse, qui, formés sur le modèle existant au Saint-Bernard, devaient veiller à la sûreté des voyageurs dans ces régions élevées des Calabres et des Abruzzes, presque toujours couvertes de neige. Les prisons encombrées de malheureux qui y languissaient depuis un grand nombre d'années, furent vidées, en exécution des jugements de quatre tribunaux institués à cet effet. Le régime des Trullatti, moyen ignominieux de recruter l'armée dans les prisons, fut aboli. Chaque province eut un collège et une maison d'éducation pour les demoiselles. Les filles des officiers et des fonctionnaires publics eurent une maison centrale établie à Aversa, sous la protection spéciale de la reine, et dans laquelle étaient admises de droit, à la fin de chaque année, les élèves les plus recommandables de toutes les maisons provinciales. Des routes praticables aux voitures furent ouvertes jusqu'à Reggio, d'une extrémité du royaume à l'autre. La triple action de l'administration provinciale, du génie militaire et du génie civil fut employée ; aussi l'on vit, dans un an, exécuter une entreprise commencée depuis des siècles, et connue seulement dans le pays par la contribution existant sous le prétexte et sous le nom de la confection de la route des Calabres. La route fut faite et la contribution abolie. De temps immémorial les voyages des rois étaient une charge pour les peuples, par les droits attachés à chaque officier de la maison royale ; ces droits furent abolis. Les peuples des Abruzzes voulurent, comme ceux des Calabres, recevoir la visite du roi. Il parcourut ces provinces, où il eut la satisfaction de voir la population entière accourir sur son passage et travaillant avec ardeur pour ouvrir des roules nouvelles, dans la conviction que c'était l'hommage le plus agréable au roi. Des chefs de bandes, réconciliés avec le nouveau gouvernement par l'opinion des habitans, furent souvent admis à des entretiens particuliers avec le roi, qui n'a jamais eu à s'en repentir. Un de ces chefs ayant résolu de passer à son service et de lui montrer une confiance égale à la sienne, sachant que le prince était attendu à Salerne, avec un corps considérable de troupes, fait ranger en bataille ses gens sur la route ; le roi, accompagné seulement de quelques officiers, arrive bien avant sa garde. Il est complimenté par le colonel, passe en revue sa troupe qui lui prête serment, fraternise avec l'escorte du roi, entre avec elle dans Salerne, et devient le noyau d'un régiment napolitain. Le général d'artillerie Dedon établit plusieurs fabriques d'armes. Déjà une armée de vingt mille Napolitains était organisée. Les règlements d'administration à l'usage de l'armée française furent introduits dans l'armée napolitaine ; des régiments provinciaux furent créés, dont le commandement fut donné principalement aux fils aînés des familles les plus importantes ; une école militaire fut établie sous la direction du général Parisi ; un bureau topographique fut organisé sous celle du savant géographe Zannoni ; les travaux de la belle carte du royaume furent repris et achevés, les places fortes et les batteries des villes réparées. La marine présentait un vaisseau de ligne, des frégates, et quatre-vingt-dix chaloupes canonnières armées d'une pièce de vingt-quatre, et destinées à l'expédition de Caprée. Des ingénieurs habiles avaient reconnu un emplacement pour la formation d'un village, où devait être employée une partie des lazzaroni qui infestaient la capitale de leur oisiveté et de leur misère. Deux mille de ces malheureux furent réunis en un corps d'ouvriers. Habillés, nourris, payés, ils finirent par donner à la capitale une nouvelle issue sous Capo di Monte qui rivalisa la grotte de Pausilipe. La ville fut embellie. Cette partie de la population, que l'on croyait incorrigible, devint industrieuse. Les crimes particuliers cessèrent dès qu'une administration paternelle s'occupant des plus malheureux, loin de les avilir, sut les ennoblir par le travail. La ville de Naples, qui, comme la plupart des villes d'Italie, n'était éclairée que par quelques lampes déposées aux pieds des madones, fut, dès la seconde année du règne du roi Joseph, régulièrement éclairée comme la ville de Paris avec des réverbères, où l'on fit pour la première fois usage des miroirs paraboliques. Les hôpitaux furent dotés en biens nationaux, les seigneurs remboursés des droits de probité par des cédules propres à acquérir des biens nationaux, la dette publique acquittée en grande partie, une caisse d'amortissement fondée et dotée : un emprunt fut rempli en Hollande, et le paiement en fut assuré en biens-fonds. Les fouilles furent encouragées à Pompéïa et dans la grande Grèce. Joseph établit un corps savant sous le nom d'académie royale, divisée en quatre classes ; dans cette académie furent fondues celles de Herculanum et de Pompéïa. Les conservatoires de musique furent encouragés, en même temps qu'un usage infâme, que le goût de cet art ne peut excuser, fut aboli ; l'académie de peinture compta bientôt jusqu'à douze cents élèves. Le roi voulut visiter la maison où était né le Tasse, à Sorrento ; on n'arrive à cette ville qu'à cheval, au bord des précipices ; il fit faire une route, et le roi ordonna la réunion de toutes les éditions de ce poète célèbre dans cette maison, sous la garde de son descendant le plus direct, auquel il alloua un traitement. Il ordonna aussi la confection d'une roule pour y arriver. Dans son voyage de la Pouille, le roi avait été frappé de l'établissement de la Mesta. Ce système pouvait être bon lorsque la culture avait fait peu de progrès, c'est le système des Espagnols pour le pacage des brebis. Un immense pays, connu sous le nom de Tavolière du Puglia, appartenant à la couronne, était enlevé à l'agriculture et consacré à la pâture des troupeaux innombrables qui y affluaient chaque année de tous les points du royaume. Une administration spéciale était établie dans la ville de Foggia, enclavée dans ce territoire. Le revenu annuel en était très-considérable, au point que l'on peut remarquer dans l'histoire des guerres de ce pays, que la saison où les paiements se faisaient entre souvent dans les combinaisons des généraux. Joseph emmena avec lui de Foggia un des administrateurs qui lui avait remis un manuscrit du célèbre Filangieri, qui depuis long-temps avait proposé la destruction du système de la Mesta. A son retour à Naples, il fit discuter le projet par son conseil d'état, qui se trouvait alors composé de plus de cinquante personnes ; il fut adopté au grand avantage du trésor public, ce riche et immense territoire ayant été acheté et mis en pleine valeur par d'industrieux agriculteurs. Les douanes furent reculées aux frontières. Une contribution foncière également répartie, permit la suppression de tous les autres impôts directs. La liste civile fut fixée à cent mille ducats par mois, et la moitié de celte somme fut acquittée en cédules hypothécaires propres à acquérir des propriétés nationales, dont le roi gratifia des personnes du pays attachées à sa cour. Ces propriétés entouraient sa résidence de Capo di Monte ; il voulait inspirer de plus en plus aux seigneurs napolitains le goût du séjour de la campagne. C'est dans ce même esprit qu'en instituant un ordre, auquel tous les genres de services étaient appelés, le roi établit un grand dignitaire par province, résidant dans un établissement agricole dont il avait l'administration. Il excitait les barons, dont il devait traverser les terres, à y établir leurs anciennes habitations ; il les engageait à l'accompagner et à se montrer les protecteurs du pays et les amis des pauvres. Il avait désigné plusieurs grandes maisons sur les points les plus éloignés de la capitale, pour y passer une partie de l'année, voulant juger par lui-même du progrès de ses institutions. Joseph ouvrit son palais à la noblesse, aux ministres, aux conseillers d'état, aux membres des tribunaux, aux officiers municipaux de Naples et aux officiers supérieurs ; c'est dans leurs familles qu'il choisissait journellement des convives, c'est ainsi qu'il sut influer sur les esprits de toutes les classes de la société. Joseph présidait lui-même le conseil d'état. Quoiqu'il n'y eut alors d'autre loi constitutive que sa volonté, il n'adopta jamais un décret qu'il n'eût été approuvé par la majorité des voix ; il parlait l'italien avec facilité, et profitait de cet avantage pour développer et soutenir les nouvelles théories dont l'expérience avait démontré la bonté. A l'arrivée du roi Joseph à Naples, les revenus publics ne s'élevaient qu'à 7 millions de ducats, ils furent portés à 14 millions. La dette publique était de 100 millions, 50 millions furent payés et les moyens d'extinction des autres 50 millions assurés. Tous les genres de prospérité étaient préparés, mais Joseph fut appelé à d'autres destinées. Il reçut de Bayonne l'invitation pressante de se mettre en marche pour cette ville. Joseph partit avec l'espoir de revoir bientôt sa famille à Naples, où elle restait. Mais à peu de distance de Bayonne, il rencontra l'empereur, qui lui fit connaître ses intentions au sujet de l'Espagne, et lui annonça la tâche qu'il lui destinait : il l'appelait à occuper un trône dont la cession venait de lui être faite. Arrivé à Bayonne, Joseph trouva tous les membres de la junte réunis au château de Morrac. Il répondit vaguement aux discours qui lui furent adressés, mais les jours suivants il s'assura dans des entretiens particuliers qu'il pourrait faire le bien du pays. Joseph seul, sacrifiant le trône de Naples pour monter sur celui d'Espagne, leur paraissait devoir accorder tous les partis et ramener, surpasser même le règne de Charles III. Le soulèvement de Saragosse et de plusieurs provinces, sous le prétexte que l'empereur Napoléon voulait assujettir l'Espagne à la France ; l'assurance que tous les membres de la junte sans exception donnaient à Joseph, que son acceptation devait calmer les troubles, assurer l'indépendance de la monarchie, l'intégrité de son territoire, sa liberté et son bonheur, exaltèrent sa générosité. Mais il ne voulut quitter le trône de Naples qu'avec la certitude que ses institutions seraient conservées, et que les Napolitains jouiraient des bienfaits d'une constitution qui s'était que le résumé des principales lois, suffisantes pour lors aux besoins de ces peuples. Une constitution basée à peu près sur les mêmes principes, fut adoptée par la junte et garantie par l'empereur Napoléon. Joseph et les membres de la junte jurèrent d'y être fidèles : la souveraineté nationale représentée par les cortès y était formellement reconnue. Arrivé à Madrid, Joseph trouva le peuple exaspéré par la journée du 2 mai 1808. Étranger à tout ce qui s'était passé et fort de sa conscience, il convoqua pour le lendemain au palais toutes les personnes qui pouvaient être considérées comme représentant les diverses classes de la société, les grands d'Espagne, les chefs des ordres religieux, les curés, les membres des tribunaux, les officiers généraux, les principaux capitalistes, les syndics des art* et métiers. Toutes les salles se trouvèrent remplies, pour la première fois, par l'affluence de tant d'hommes étonnés de se trouver ensemble. Le nouveau roi s'expliqua avec franchise sur les évènements qui l'amenaient, sur les motifs de sa conduite sur ses projets. Il s'aventura dans les diverses salles encombrées par tant de gens prévenus contre lui, et inspira tant de confiance par celle qu'il montra, qu'il enleva tous les suffrages ; mais ces heureuses dispositions furent effacées par la nouvelle du désastre de Baylen, arrivé six jours après cette réunion et dû à la lâcheté du général Dupont. La retraite sur Burgos fut effectuée. Le roi se trouva au milieu de l'armée du maréchal Bessière, qui trois semaines auparavant avait gagné la bataille de Rio-Seco. Sur ces entrefaites, le général Junot ayant évacué le Portugal, laissa toutes les forces anglaises et portugaises disponibles ; les Espagnols affluèrent alors de tous les côtés contre l'armée française, qui ne put reprendre l'offensive qu'au mois de novembre. Les combats de Burgos, de Tudella, Sommo-Sierra, ouvrirent de nouveau les portes de Madrid au roi Joseph, qui rentra dans sa capitale le 22 janvier 1809. Le peuple n'avait pas perdu le souvenir des espérances qu'il avait conçues lors de sa première entrée ; afin de ne lui laisser aucun doute sur ses intentions, il renouvela dans une occasion solennelle l'assurance de l'indépendance de la monarchie, de l'intégrité de son territoire, du maintien de la religion, de la liberté des citoyens, conditions, disait-il, du serment que j'ai prêté en acceptant la couronne ; elle ne s'avilira pas sur ma tête. Il promit la réunion des cortès et l'évacuation de l'Espagne par les troupes françaises, dès que le pays serait pacifié. Enfin, pour exprimer ses sentiments d'une manière plus énergique, il avait coutume de dire : Si j'aimais la France comme ma famille, je suis dévoué à l'Espagne comme à ma religion. Le choix de ses ministres tomba sur les hommes désignés par l'opinion. La nomination des membres de son conseil d'état fut faite dans le même esprit. Déjà cinq régiments avaient été organisés. Les gens flétris par des jugements en furent exclus. Les peines infamantes cessèrent : on substitua comme dans les armées françaises le véhicule de l'honneur et de l'amour de la patrie aux châtiments corporels, qui ne sont propres qu'à faire des esclaves. Il reconnut la dette et pourvut aux moyens de l'éteindre, il facilita la sécularisation des moines sans l'ordonner encore ; il reconnut par lui-même les travaux à faire pour terminer le canal du Guadarana, il encouragea cette utile entreprise, et favorisa de tout son pouvoir l'industrie nationale. Les premières relations extérieures étaient favorables. L'empereur de Russie avait répondu au général del Pardo, ambassadeur d'Espagne, par des félicitations fondées sur le caractère personnel du nouveau roi. Ferdinand lui avait écrit des lettres amicales, et une entre autres par laquelle il implorait son intervention pour obtenir de l'empereur une de ses nièces en mariage ; le serment de fidélité des Espagnols qui étaient avec lui en France était joint à ces lettres, qui furent communiquées par le marquis de Musqué aux chefs de l'insurrection ; la plupart des membres de la junte de Bayonne en avaient eu connaissance précédemment. Les premiers évènements militaires furent heureux, mais bientôt la guerre dans celle contrée prit un caractère des plus affligeants. Joseph fut obligé de quitter Madrid pour combattre l'ennemi. Les sanglantes journées de Talaveyra et d'Almonacide furent deux victoires ; il profita du calme qui les suivit pour revenir dans sa capitale et pour s'occuper de l'administration intérieure. Il se décida à supprimer les ordres religieux, convaincu que cette mesure était également réclamée par l'ordre public et parle rétablissement des finances. Toute juridiction ecclésiastique fut abolie et dévolue aux tribunaux civils, les droits d'asile attribués aux églises, cessèrent d'exister. Les conseils dés Indes, des ordres, des finances, de marine, de guerre, furent dissous ; les douanes reculées aux frontières, le système municipal déterminé, les lois sur l'éducation publique préparées dans le conseil d'état, la dette constituée et garantie, les cendres des personnages illustres et les monuments épars dans des couvents furent réunis dans plusieurs églises, et notamment dans la métropole de Burgos. Le bâtiment de l'Escurial fut destiné à recevoir jusqu'à quinze cents prêtres qui avaient été membres de divers ordres religieux et qui désiraient continuer la vie commune, soit par des raisons de famille ou de santé, soit par la vocation qu'ils avaient de se consacrer à l'étude dans ces vastes dépôts, où se trouvaient enfouis tant de manuscrits et de richesses littéraires qui attendaient des investigateurs et des lecteurs. Le bâtiment de Saint-François fut destiné aux séances des cortès. Cent millions de réaux furent affectés à des indemnités pour les propriétaires qui avaient souffert des ravages de la guerre. Joseph, fidèle aux principes qui lui avaient si bien réussi à Naples, impassible au milieu de préventions excitées par les divers partis, ne proscrivait aucun individu parce qu'il était affilié à corporation quelconque. On voyait à son conseil d'état des généraux d'ordres religieux qui votèrent la suppression des ordres, des officiers généraux ci-devant insurgés, qui votèrent contre les insurgés, des inquisiteurs qui votèrent contre l'inquisition, et dans sa maison des grands qui se prononçaient en faveur des lois populaires. Peu de mois après, Joseph, informé que cinquante mille Espagnols étaient descendus de la Sierra-Morena dans la Manche, marcha à leur rencontre, et les atteignit à Ocana, où ils furent complètement battus par vingt mille Français et quatre mille Espagnols à son service. A sa rentrée à Madrid, Joseph apprit les brillants avantages qu'avaient obtenus le général Kellermann à Alba de Tormès, le maréchal Suchet en Aragon, et le maréchal Augereau en Catalogne, où Gironne était tombée en son pouvoir. Il résolut de suivre le cours de tous ces succès ; la junte de Séville avait convoqué les corlès pour le mois de mars, il voulut les prévenir ; parti de Madrid le 8 janvier 1810, peu de jours après sa rentrée, il se trouva le 11 au pied de la Sierra-Morena à la tête de soixante mille hommes. Le maréchal Victor se dirigea par la droite sur Almadin, le général Sébastiani par la gauche sur Lenarès ; le corps du maréchal Mortier et la réserve commandée par le général Dessolles entrèrent par le centre en Andalousie. Le maréchal Soult avait remplacé comme major-général le maréchal Jourdan, rentré en France. Les positions de l'ennemi furent enlevées en peu d'heures : on lui fit huit à dix mille prisonniers. Le roi s'était fait accompagner de ses ministres ainsi que des principaux officiers de sa maison et de sa garde. Il annonça hautement le désir de tenir les cortès à Grenade au mois de mars. Cordoue se rendit à lui sans coup férir. Les peuples, revenus des calomnies grossières dont ils avaient été imbus sur les armées françaises et leur chef, éclairés par les Espagnols respectables qui entouraient le roi, sur ses vices prétendus, sur son caractère et ses qualités personnelles, convaincus enfin qu'il ne s'agissait pas de soumettre l'Espagne à la France, mais d'établir la paix entre les deux nations et de proposer une réunion de véritables cortès qui, représentant la nation, seraient maîtres d'accepter ou de refuser le roi que la junte de Bayonne leur avait donné et auquel leurs anciens maîtres même avaient prêté serment. Le roi Joseph déclara hautement que, dès que les Anglais auraient évacué la Péninsule, les Français la quitteraient aussi, et que lui-même suivrait leur mouvement, s'il n'était retenu par les vœux sincères de la nation sur ses véritables intérêts ; que la constitution de Bayonne, suffisant aux habitudes des peuples, pourrait être changée et modifiée ; que la nation n'aurait jamais autant de liberté que son roi voudrait qu'elle en eût, puisqu'il ne serait véritablement roi qu'autant que l'Espagne serait véritablement libre et délivrée de tous les étrangers ; de tels sentiments lui ouvrirent les portes de Séville, de Grenade, de Jaën. Le duc de Santa-Fé, ancien vice-roi du Mexique, ministre de Charles IV, de Ferdinand, de Joseph, président de la junte, homme éminemment patriote et populaire, entra à Grenade, à Malaga, avec le général Sébastiani. Le maréchal Victor se dirigea sur Cadix, et le roi rentra à Séville, où il fut reçu comme un libérateur. Le chef de la ville était venu à sa rencontre après avoir conféré avec plusieurs ministres que le roi lui avait envoyés de Carmona quelques jours auparavant, et parmi lesquels se trouvaient M. le capitaine-général O'Farrill et M. Durquijo, qui, sous Charles IV, avait remplacé pendant quelque temps, au maniement des affaires, le prince de la Paix. Ce fut dans cette ville qu'il reçut de l'archevêque les aigles françaises qui étaient tombées au pouvoir des Espagnols, après la désastreuse affaire de Baylen : laissées dans la cathédrale, elles y avaient été cachées au milieu des reliques des saints ; elles furent apportées à Paris par le colonel Tascher de la Pagerie. Cependant dix mille hommes du duc d'Albukerque avaient devancé le corps du maréchal Victor à Cadix ; les Anglais y étaient accourus et avaient beaucoup renforcé la garnison, leurs escadres bloquaient le port. Les principaux habitans et les chefs mêmes insurrectionnels de quatre royaumes de l'Andalousie s'étaient réunis au port Sainte-Marie, en face de Cadix. Ils entouraient le roi, dont ils attendaient alors la fin de leurs maux, et qui leur manifesta l'intention persévérante de réunir la nation à Grenade immédiatement. Tous les membres de la junte centrale devaient faire partie des cortès, les évêques, les grands, les chefs militaires, les riches capitalistes. Celle assemblée vraiment nationale devait avoir à délibérer sur cette seule question. Accepte-t-on, ou n'accepte-t-on pas la constitution et le roi que la junte de Bayonne nous présente ? Si la négative était prononcée, le roi Joseph devait quitter l'Espagne, car il ne voulait régner que par et pour le peuple espagnol. L'enthousiasme avait électrisé tous les cœurs, enivré toutes les têtes ; mais ces députés qui s'étaient offerts d'eux-mêmes pour aller parlementer avec leurs compatriotes, partis sur de frêles esquifs, furent arrêtés par les Anglais et ne purent débarquer à Cadix. D'un autre côté, le gouvernement français était fatigué des énormes sacrifices que coûtait à la France l'opposition obstinée de l'Espagne. On voulait que la guerre nourrît la guerre, et le système du roi tendait à calmer l'exaspération espagnole par de bons traitements. Un décret impérial institua les gouvernements militaires dans les provinces espagnoles. Le général de division devint le président de la junte administrative, l'intendant espagnol devait être le simple secrétaire. Cet état de choses ne pouvait manquer de détruire tout le bien produit par la glorieuse campagne de l'Andalousie, entreprise de son chef par le roi, impatient de voir, d'une manière quelconque, se décider son sort, roi d'Espagne par les Espagnols, ou prince français par les Français en France. Le duc de Dalmatie, major-général, pour couvrir sa responsabilité, exigea une lettre autographe du roi, avant de transmettre ses ordres pour cette expédition, qui n'avait pas été ordonnée par l'empereur. N'ayant plus d'espoir d'amender la reddition de Cadix par les moyens conciliateurs qu'il avait tentés, le roi quitta le port Sainte-Marie pour visiter la partie orientale de l'Andalousie, et dirigea sa route par Ronda. Dans le cours de ce voyage, Joseph exprima hautement aux députations de Grenade, de Jaën, de Malaga, sa ferme volonté de ne jamais consentir à aucun démembrement de la monarchie, ni à aucun sacrifice de l'indépendance nationale. De retour à Séville, le roi rendit des décrets qui réglaient la division du territoire, l'administration civile, la formation des gardes nationales. Les préparatifs pour le siège de Cadix étaient faits ; mais prévoyant qu'il traînerait en longueur, et, appelé au centre du royaume pour remédier, autant que possible, au mauvais effet produit par l'établissement des gouvernements militaires dans les provinces, Joseph confia au maréchal Soult le commandement de l'armée d'Andalousie, et retourna à Madrid après une absence de cinq mois. Le duc de Santa-Fé, le marquis d'Amenara, deux de ses ministres, furent envoyés à Paris. Ce dernier était porteur d'une lettre de Joseph, qui annonçait à l'empereur sa détermination de quitter un pays où il ne pouvait faire le bien ni empêcher le mal, si le système des gouvernements militaires n'était pas détruit. La situation de l'empereur était alors si critique qu'il ne put condescendre aux désirs du roi : les deux ministres, de retour à Madrid, y apportèrent des espérances, mais non un résultat positif de leur mission. Le roi Joseph se rendit lui-même à Paris, où il eut une entrevue avec son frère : il en reçut les promesses qu'il désirait, et revint à Madrid, où il fut accueilli comme un puissant protecteur. Mais bientôt de terribles désastres fondirent sur nos armées dans la Péninsule. Les Anglais y déployaient des forces considérables, et les bruits d'une rupture prochaine entre la France et la Russie se répandaient. L'empereur rappelait ses troupes, et dans ce moment, le commandement général des armées en Espagne était rendu à Joseph. Dans de telles circonstances, l'honneur ne lui permettait plus de refuser un poste difficile. Le maréchal Jourdan retourna auprès de lui. Ils se concertèrent pour la résistance. Leurs efforts eurent d'abord les plus heureux résultats ; mais lorsque les revers de Napoléon furent connus, il n'y eut plus moyen de différer l'évacuation : Anglais, Espagnols, Portugais, s'avançaient contre l'armée française, singulièrement affaiblie par le départ des meilleurs officiers et sous-officiers destinés à former de nouveaux corps en France. Arrivé à Valladolid, le roi n'y resta que le temps nécessaire pour rassembler les corps qui étaient sur la Torméo, et en partit dès qu'ils furent réunis. Mais il fut impossible de mettre un ensemble parfait dans les opérations ultérieures. Le ministre de la guerre de France correspondant directement avec les chefs des armées du nord du Portugal et des troupes placées dans les provinces de l'Ebre, ordonnait fréquemment des marches rétrogrades à des corps qui devaient être remplacés par ceux qui étaient en ligne. Ceux-ci se trouvèrent donc tellement affaiblis qu'ils durent se concentrer sur Burgos sans combattre ; le corps du général Clausel avait reçu directement de Paris l'ordre de se porter en Navarre contre Mina. Le roi, après avoir quitté Burgos, passa l'Ebre, et l'armée prit position en avant de Vittoria, espérant pouvoir différer de combattre jusqu'à ce que le corps du général Clausel l'eût rejointe ; mais cette espérance fut déjouée : le général Clausel ne put pas se trouver à la bataille de Vittoria, où trente mille Français en ligne disputèrent la victoire à plus de cent mille ennemis. De l'aveu des Anglais, leurs pertes surpassèrent celles de l'armée française. Joseph, presse par plus de deux mille familles espagnoles qui suivaient sa fortune, n'avait pu leur refuser une escorte pour les conduire en France, où elles arrivèrent en sûreté ; le convoi partit avant la bataille. Le roi laissa dans Pampelune une garnison de quatre mille hommes. La retraite s'était opérée en bon ordre. Les troupes du général Foy, et toutes celles composant les garnisons voisines, ainsi que les postes répandus sur les communications, s'étaient réunis au gros de l'armée, qui se trouvait alors de plus de cinquante mille hommes ; mais il n'était plus temps de penser à l'Espagne. Le général Clausel s'était porté sur l'armée d'Aragon. Dans le nord, les victoires de Bautzen et de Lutzen avaient bien conjuré l'orage momentanément ; mais toutes les forces de la France pouvaient à peine suffire contre tant d'ennemis ligués contre elle. Joseph rentra à Paris, où son frère le laissa avec le titre de son lieutenant, lorsqu'il partit pour se mettre à la tête de cette même armée, qui, après avoir combattu et vaincu toutes les armées de l'Europe dans leur pays, était réduite à défendre son propre territoire. L'impératrice Marie-Louise était régente de l'empire : Joseph, comme lieutenant de l'empire, eut les honneurs du commandement militaire. Ce qui restait de troupes à la garde était sous les ordres du général Caffarelli. Le maréchal Moncey commandait effectivement la garde nationale, le général Hulin les troupes de la garnison. Joseph fut laissé comme conseiller de l'impératrice, ainsi que le prince archi-chancelier de l'empire, Cambacérès. L'impératrice ne devait rien faire sans avoir pris l'avis de ces deux conseillers, Dans des circonstances aussi graves, Joseph ne se refusa à rien. Dans le cas où les évènements de la guerre intercepteraient tourte communication entre le quartier-général impérial et la capitale, si les ennemis venaient à s'approcher de Paris, les ordres que l'empereur avait donnés lui enjoignaient de faire partir le roi de Rome et l'impératrice, de se rendre avec eux. sur la Loire, de les faire accompagner par les grands dignitaires, les ministres, les officiers du sénat, du corps-législatif et du conseil-d'état. Joseph, quelques temps après, reconnut la justesse de, ces précautions, lorsque d'abord par des insinuations détournées, et ensuite par des discours plus explicites, beaucoup de sénateurs ne dissimulèrent plus leur opinion sur la proclamation de Napoléon II, celle de la régence de l'impératrice, et de la lieutenance de Joseph sous un empereur mineur. Ce fut alors que Joseph fit sentir à son frère la nécessité de faire la paix ; et quand les faibles corps des maréchaux Marinant et Mortier, ramenés sous Paris, se dirent suivis de forces ennemies, bien supérieures, que toute communication entre l'empereur et la capitale fut rompue, joseph communiqua à l'impératrice et à l'archi-chancelier les instructions que son frère lui avait données. Les ministres, les grands dignitaires et président des sections du conseil, réunis au nombre de vingt-deux, reconnurent dans ce conseil que le cas prévu était celui du moment présent, et qu'il valait mieux laisser Paris à ses autorités et à ses forces particulières que de compromettre le sort de l'empereur : et par cela, celui de l'empire tout entier. Le ministre de la guerre (duc de Febre) déclara qu'il n'y avait pas d'armes prêtes, qu'elles étaient livrées journellement aux troupes des nouvelles levées et à mesure qu'elles partaient ; ainsi il fut unanimement décidé que le gouvernement se transporterait à Chartres, et de là sur la Loire. Cependant Joseph observa que l'on ignorait encore à quels ennemis on avait à faire ; pour les reconnaître et agir en conséquence de cette reconnaissance, il offrit de ne pas partir avec l'impératrice ; les ministres de la guerre, de la marine, se joignirent à lui ; ils promirent de ne rejoindre l'impératrice qu'à la dernière extrémité, lorsqu'ils se seraient bien convaincus que l'on se retirait devant la presque totalité des armées alliées. Cette conviction, ils ne tardèrent pas à l'acquérir dès le lendemain. Marmont, déclarant qu'il ne pouvait tenir, demanda à être autorisé à traiter pour la conservation de la sûreté intérieure de la capitale. Joseph ne partit qu'à quatre heures, lorsqu'il sut que l'ennemi occupait Saint-Denis, et que dans quelques minutes il ne serait plus temps de passer la Seine. En passant par Versailles, il se fit suivre par les dépôts de cavalerie qui étaient dans cette ville, et se rendit à Chartres, où il trouva l'impératrice, et de là à Blois. On a beaucoup reproché au roi Joseph la proclamation par laquelle il donnait à la garde nationale parisienne l'assurance qu'il restait à Paris ; telles étaient ses intentions, mais quelques heures avaient tout changé ; en suivant la régente, il fit ce qu'il devait. Ses ordres portaient de réunir sur la Loire, autour de la régente, les autorités nationales et toutes les troupes possibles : c'est ce qu'il fit. Les armées des ducs de Castiglione, d'Albufera et de Dalmatie étaient encore intactes ; si l'empereur était arrivé sur la Loire, il eût encore pu balancer la fortune en trouvant sous sa main les moyens dont il avait ordonné la réunion. Les armées d'Aragon et d'Espagne étaient disposées à suivre les mouvements qui seraient imprimés par l'empereur, lorsque l'abdication de Fontainebleau ne laissa plus d'autre parti à Joseph que celui de se retirer en Suisse, où il resta jusqu'au 19 mars 1815, jour où il sut l'arrivée de son frère à Grenoble. Il partit seul avec ses enfants ; à leur aspect, les troupes postées sur la frontière arboraient la cocarde tricolore aux cris de vive la nation ! vive l'empereur ! C'est ainsi qu'il traversa une partie de la France et arriva à Paris le 22 mars. La perte de la bataille de Waterloo ayant ramené les étrangers en France, Joseph se retira en Amérique ; son frère Napoléon devait l'y rejoindre. Joseph, accueilli dans le Jersey, un des états de l'union, par une loi faite à son occasion et qui lui fut adressée avec une bienveillante politesse par le gouverneur de cet état en 1817, put y acquérir des propriétés sans devenir citoyen américain. En 1825, un acte de la législature de New-Yorck lui conféra pareille dispense. Non moins éclairés qu'impartiaux, ces peuples libres ont pu devancer le jugement de la postérité sur la foi que l'on doit prêter aux calomnies de toute nature dont on a essayé de noircir le nom de l'empereur Napoléon et de sa famille, en butte depuis 1815 aux persécutions de la Sainte-Alliance. Ils ont vu Joseph Bonaparte, ils l'ont aimé, et ils ont regretté cet hôte généreux, près de qui tous les patriotes de l'Europe étaient assurés de trouver un refuge. Lorsqu'en 1810, le peuple de Paris eut chassé la dynastie imposée à la France par les étrangers, Joseph crut de son devoir d'adresser à la chambre des députés la lettre suivante : A MM. DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS À PARIS. MESSIEURS, Les mémorables évènements qui ont relevé en France les couleurs nationales et détruit l'ordre de choses établi par l'étranger dans l'ivresse du succès, ont montré la nation dans son véritable jour ; la grande capitale a ressuscité la grande nation. Proscrit loin du sol de la patrie, je m'y serais présenté aussitôt que cette lettre, si je n'avais lu parmi tant de noms avoués par la libéralité de la nation, celui d'un prince de la maison de Bourbon. Les évènements des derniers jours de juillet ont mis dans tout son jour cette vérité historique, il est impossible à une maison régnante par le droit divin de se maintenir sur le trône, lorsqu'elle en a été expulsée une fois par la nation, parce qu'il n'est pas possible que des princes nés avec la prétention d'avoir été prédestinés pour régir un peuple, s'élèvent au-dessus des préjugés de leur naissance... Aussi le divorce entre la maison de Bourbon et le peuple français avait-il été prononcé ? et rien au monde ne pouvait détruire les souvenirs du passé : tant de sang, de combats, de gloire, de progrès dans tous les genres de civilisation, tant de prodiges opérés par la nation, sous l'influence des doctrines libérales, étaient des brandons de discorde tous les jours rallumés entre les gouvernails et les gouvernés ; fatigués de tant de révolutions et désireux de trouver la paix sous une charte donnée et acceptée comme ancre de salut après tant d'orages, les bons esprits étaient en vain disposés à tous les sacrifices ; plus puissante que les hommes, la force des choses était là, et rien ne pouvait mettre d'accord les hommes d'autrefois, restés stationnaires, et ceux qu'une révolution de trente ans avait grandis et régénérés ; en vain le duc d'Orléans abjure sa maison au moment de ses malheurs, Bourbon lui-même, rentré en France l'épée à la main avec les Bourbons à la suite des étrangers, qu'importe que son père ait voté la mort du roi son cousin pour se mettre en sa place ! qu'importe que le frère de Louis XVI le nomme lieutenant-général du royaume et régent de son petit-fils ! en est-il moins Bourbon ? En a-t-il moins la prétention de devoir être appelé au trône par le droit de sa naissance ? est-ce bien sur le choix du peuple ou sur le droit divin qu'il compte pour s'asseoir au trône de ses ancêtres ? ses enfants penseront-ils autrement ? et le passé et le présent ne font-ils pas assez prévoir quel sera l'avenir sous une branche de cette maison ? le 14 juillet, le 10 août, n'annonçaient-ils pas assez les derniers jours de juillet 1830 ? et ces journées à leur tour ne menacent-elles pas la nation d'un nouveau 28 juillet, à une époque plus ou moins rapprochée ? Non, messieurs, jamais les princes institués par le droit divin ne pardonnent à ceux auxquels ils sont redevables ; tôt ou tard ils les punissent des bienfaits qu'ils en ont reçus ; leur orgueil ne plie que devant l'auteur du droit divin, parce qu'il est invisible ; les annales de toutes les nations nous redisent ces vérités, elles ressortent assez de l'histoire de notre propre révolution, elles sont écrites en lettres de sang sur les murs de la capitale ; à quoi ont servi et le milliard prodigué aux ennemis de la patrie et les condescendances de tous les genres dont on a salué les hommes d'autrefois ? Vous construiriez sur le sable, si vous oubliez ces éternelles vérités, vous seriez comptables à la nation, à la postérité des nouvelles calamités auxquelles vous les livreriez : non, messieurs, il n'y a de légitime sur la terre que les gouvernements avoués par les nations ; les nations les créent et les détruisent selon leurs besoins ; les nations seules ont des droits ; les individus, les familles particulières ont seulement des devoirs à remplir. La famille de Napoléon a été appelée par trois millions cinq cent mille votes : si la nation croit dans son intérêt de faire un autre choix, elle en a le pouvoir et le droit, mais elle seule. Napoléon II a été proclamé par la chambre des députés de 1815, qui a reconnu en lui un droit conféré par la nation ; j'accepte pour lui toutes les modifications décrétées par la chambre de 1815, qui fut dissoute par les baïonnettes étrangères ; j'ai des données positives pour savoir que Napoléon II serait digne de la France ; c'est comme français surtout que je désire que l'on reconnaisse les titres incontestables qu'il a au trône, tant que la nation n'aura pas adopté une autre forme de gouvernement : seul, pour être légitime dans la véritable acception du mot, c'est-à-dire légalement et volontairement élu par le peuple, il n'a pas besoin d'une nouvelle élection ; toutefois la nation est maîtresse de confirmer ou de rejeter des titres qu'elle a donnés, si telle est sa volonté : jusque là, messieurs, vous vous devez à Napoléon II, et jusqu'à ce que l'Autriche le rende aux vœux de la France, je m'offre à partager vos périls, vos efforts, vos travaux, et à son arrivée à lui transmettre la volonté, les exemples, les dernières dispositions de son père, mourant victime des ennemis de la France, sur le rocher de Sainte-Hélène. Ces paroles m'ont été adressées sous la plume du général Bertrand : Dites à mon fils qu'il se rappelle avant tout qu'il est français, qu'il donne à la nation autant de liberté que je lui ai donné d'égalité ; la guerre étrangère ne me permit pas de faire tout ce que j'aurais fait à la paix générale. Je fus perpétuellement en dictature ; mais je n'ai eu qu'un mobile dans toutes mes actions, l'amour et la gloire de la grande nation ; qu'il prenne ma devise ; Tout pour le peuple français, puisque tout ce que nous avons été c'est par le peuple. Messieurs, j'ai rempli un devoir qui me paraît sacré. Puisse la voix d'un proscrit traverser l'Atlantique et porter au cœur de ses compatriotes la conviction qui est dans le sien !... la France seule a le droit de juger le fils de Napoléon ; le fils de cet homme de la nation peut seul réunir tous les partis dans une constitution vraiment libérale et conserver la tranquillité de l'Europe ; le successeur d'Alexandre n'ignore pas que ce prince est mort avec le regret d'avoir éloigné le fils de Napoléon ; le nouveau roi d'Angleterre a un grand devoir à remplir, celui de laver son règne de l'opprobre dont se sont couverts les geôliers ministériels de Sainte-Hélène ; les sentiments de l'empereur d'Autriche ne sauraient être douteux, ceux du peuple français sont pour Napoléon II. La liberté de la presse est le triomphe de la vérité, c'est elle qui doit porter la lumière dans toutes les consciences : qu'elle parle et que la volonté de la grande nation s'accomplisse, j'y souscris de cœur et d'âme. Signé JOSEPH-NAPOLÉON BONAPARTE, comte DE SURVILLIERS. New-Yorck, le 18 septembre 1830. Les députés qui s'étaient faits les promoteurs d'un gouvernement qui n'avait pour lui ni la sanction du peuple consulté, ni le principe de l'hérédité, ne voulurent pas que cette lettre fût portée à la connaissance de la nation. Cette protestation fut par eux regardée comme non avenue, et s'ils y répondirent, ce ne fut qu'en proscrivant de nouveau la famille de Napoléon, et en se mettant en hostilité constante contre les affections d'un peuple qui depuis trois ans n'a cessé de crier qu'il les renie comme ses représentants et ses organes. Aujourd'hui Napoléon II, au nom de qui Joseph Bonaparte faisait des réserves, est mort dans sa prison autrichienne. Mais, d'après les constitutions de l'empire, un Bonaparte a pu recueillir ses prétentions ; c'est Joseph qui se présente pour réclamer l'héritage de son frère et de son neveu ; retiré à Londres, où Lucien est allé le rejoindre, il attend, assure-t-on, des circonstances propices pour ressaisir le sceptre impérial. Si la France, après les cruelles déceptions de juillet, pouvait encore vouloir faire l'expérience d'un nouveau règne, sans doute, elle n'hésiterait pas à confier ses destinées à Joseph Bonaparte ; cette fois du moins elle aurait rencontré un honnête homme. Mais la monarchie tombée ne se relèvera plus, et si son sort est de périr aux mains du titulaire actuel, soyons-en sûrs, il n'y a plus d'avenir que pour la démocratie. Alors Joseph et tous les Bonaparte viendront s'offrir aux suffrages de leurs concitoyens, il n'y aura plus de bannissement injustement prononcé contre eux ; pour eux, au contraire, il y aura des honneurs si on les en juge dignes, mais point de royauté : la couronne civique est la seule qui puisse leur être décernée. Joseph Bonaparte a eu deux enfants de son mariage avec mademoiselle Julie Clary, Charlotte-Zénaïde-Julie Bonaparte, née le 8 juillet 1801, et Charlotte Bonaparte, née le 31 octobre 1802. D'après le vœu de Napoléon, qui désirait à Sainte-Hélène que ses neveux et ses nièces s'unissent entre eux, Zénaïde s'est mariée à Charles-Lucien Bonaparte, prince de Musignano, fils de Lucien Bonaparte, et Charlotte a épousé Charles, fils de Louis Bonaparte. |