SOMMAIRE : Napoléon à
Paris. — Décrets du sénat. — Infâme adresse du Corps-Législatif. — Réponse de
Napoléon. — Il le dissout. — Marie-Louise régente. — Allocution de Napoléon à
la garde nationale, au moment de son départ. — Ouverture de la campagne de France.
— Combat de Brienne. — Bataille de la Rothière. — Victoires de Champ-Aubert
et de Montmirail. — Combats de Vauchamp, de Nangis. — Napoléon à
Arcis-sur-Aube. — Le congrès de Châtillon, — Marche des coalisés sur Paris.
1814.
Napoléon
après avoir établi la ligne de défense de son armée, partit des bords du Rhin
et arriva à Saint-Cloud avec une extrême rapidité. Le
sénat s'empressa de lui offrir les moyens de défendre le sol sacré de la
patrie, en mettant à sa disposition une levée de cinq cent mille hommes.
L'empereur répondit à la députation qui lui apportait ce décret : Toute l'Europe marchait
avec nous il y a un an : toute l'Europe marche aujourd'hui contre nous. Nous
aurions donc tout à redouter sans l'énergie de la nation. La postérité dira
que si de grandes circonstances se sont présentées, elles n'étaient pas
au-dessous de la France ni de moi. Cependant il ne dissimulait plus l'imminence du danger. Il se trouvait
placé entre les coalisés, qui menaçaient l'existence de l'empire et l'esprit
de l'intérieur, qui, parfois accablé sous le sentiment de ses maux, semblait
faire cause commune avec eux ; entre ses ennemis, qui s'apprêtaient à
l'étouffer, et le découragement de son entourage, de ses ministres même, qui
lui créaient des difficultés et faussaient l'opinion, au lieu de l'éclairer.
Ses lieutenants, gorgés d'or, n'aspiraient qu'au moment où ils pourraient
jouir en paix de leurs richesses. Ce n'étaient plus les hommes énergiques de
la révolution, ni des beaux jours de l'empire. Ils étaient capables de tout
pour mettre un terme à la guerre : ils eussent voulu être des maréchaux de
Louis XV. Par
compensation, cette foule de jeunes et braves soldats, tous les jeunes
officiers intermédiaires rie s'étaient jamais mieux battus. Ceux-là ne voyaient
autre chose devant eux que l'ennemi ; en arrière, que l'honneur, la gloire et
le triomphe de la France. La
chute de Napoléon était le but où tendaient tous les efforts des alliés,
persuadés qu'une fois le colosse abattu, la France désillusionnée préférerait
le bonheur à la gloire. Aussi dans le moment même qu'ils faisaient des
ouvertures fallacieuses, en indiquant Chatillon-sur-Seine pour le lieu de la
réunion d'un nouveau congrès, violaient-ils la neutralité des cantons
helvétiques. Napoléon
avait fait mettre sous les yeux du Sénat et du Corps-Législatif les pièces
relatives aux négociations, déclarant qu'il ferait sans regret les sacrifices
que comportaient les bases préliminaires proposées par les alliés. Le
Corps-Législatif nomma une commission de cinq membres pour examiner ces
actes, et en faire un rapport. Ce rapport, fait pour irriter Napoléon, lui
fut présenté par une députation, à laquelle il répondit à peu près dans ces
termes : J'ai
supprimé l'impression de votre adresse ; elle était incendiaire. Les onze
douzièmes du Corps-Législatif sont composés de bons citoyens, je les connais,
et je saurai avoir des égards pour eux ; mais un autre douzième renferme des
factieux, et votre commission est de ce nombre — cette commission était
composée de MM. Laîné, Reynouard, Gallois, Maine de Biran et Flaugergues —. Le
nommé Laîné est un traître qui correspond avec le prince régent par
l'intermédiaire de De Sèze ; je le sais, j'en ai la preuve : les quatre
autres sont des factieux... Ce n'est pas quand il s'agit de chasser l'ennemi
de nos frontières que l'on doit exiger de moi une constitution : il faut
suivre l'exemple de l'Alsace, de la Franche-Comté et des Vosges. Les habitants
s'adressent à moi pour avoir des armes.... Je vous ai rassemblés pour avoir
des consolations : ce n'est pas que je manque de courage ; mais j'espérais
que le Corps-Législatif m'en donnerait ; au lieu de cela, il m'a trompé ; au
lieu du bien que j'attendais, il a fait du mal... Vous cherchez dans votre
adresse à séparer le souverain de la nation. Moi seul je suis ici le
représentant du peuple... Si je voulais vous croire, je céderais à l'ennemi
plus qu'il ne me demande. Vous aurez la paix dans trois mois ou je périrai ;
c'est ici qu'il faut montrer de l'énergie ; j'irai chercher les ennemis, et
nous les renverrons. Ce n'est pas au moment où Huningue est bombardé, Belfort
attaqué, qu'il faut se plaindre de la constitution de l'état et de l'abus du
pouvoir. C'est contre moi que les ennemis s'acharnent, plus encore que contre
les Français ; mais pour cela seul, faut-il qu'il me soit permis de démembrer
l'état ? L'adresse
était indigne de moi et du Corps-Législatif ; un jour, je la ferai imprimer,
mais ce sera pour faire honte à ceux qui l'ont présentée. En
supposant même que j'eusse des torts, vous ne deviez pas me faire des
reproches, en public ; c'est en famille qu'il faut laver son linge sale. Au
reste, la France a plus besoin de moi que je n'ai besoin de la France. Après
cette escarmouche, Napoléon se rendit au conseil d'état : Vous
connaissez, lui dit-il, la situation des choses et les dangers de la patrie.
J'ai cru, sans y être obligé, devoir en donner une communication intime aux
députés du Corps-Législatif. J'ai voulu les associer à nos intérêts les plus
chers ; mais ils ont fait de cet acte de ma confiance une arme contre moi,
c'est-à-dire contre la patrie. Au lieu de me seconder, ils entravent mes
efforts. Noire attitude seule pouvait arrêter l'ennemi ; leur conduite
l'appelle ; au lieu de lui montrer un front d'airain, ils lui découvrent nos
blessures. Ils me demandent la paix à grands cris, lorsque le seul moyen pour
l'obtenir était de me demander la guerre ; ils se plaignent de moi, ils
parlent de leurs griefs ; mais quel temps, quel lieu prennent-ils ?
N'était-ce pas en famille, et non en présence de l'ennemi, qu'ils devaient
traiter de pareils objets ? Étais-je donc inabordable pour eux ? Me suis-je
jamais montré incapable d'entendre la raison ? Toutefois, il faut prendre un
parti ; le Corps-Législatif, au lieu de m'aider à sauver la France, concourt
à précipiter sa ruine ; il trahit ses devoirs ; je remplis les miens, je le
dissous !... Tel
est le décret que je rends ; et si l'on m'assurait qu'il doit, dans la
journée, porter le peuple de Paris à venir en masse me massacrer aux
Tuileries, je le rendrais encore ; car tel est mon devoir. Quand le peuple
français me confia ses destinées, je considérai les lois qu'il me donnait
pour le régir ; si je les eusse crues insuffisantes, je n'aurais pas accepté.
Qu'on ne pense pas que je sois un Louis XVI. Qu'on n'attende pas de moi des
oscillations journalières. Pour avoir été empereur, je n'ai pas cessé d'être
citoyen. Si l'anarchie devait être consacrée de nouveau, j'abdiquerais pour
aller, dans la foule, jouir de ma part de la souveraineté, plutôt que de
rester à la tête d'un ordre de choses où je ne pourrais que compromettre
chacun, sans pouvoir protéger personne. Du reste, ma détermination est
conforme à la loi, et si tous aujourd'hui veulent faire leur devoir, je dois
être invincible derrière elle, comme devant l'ennemi. Après
avoir envoyé des commissaires extraordinaires dans toutes les divisions
militaires pour activer la levée et l'organisation des bataillons de la garde
nationale, Napoléon conféra, pour la seconde fois, la régence à l'impératrice
Marie Louise, et se disposa à quitter Paris. Il réunit alors les officiers de
la garde nationale parisienne, auxquels il dit qu'une partie du territoire
français étant envahie, il allait se mettre à la tête de l'armée, et qu'avec
l'aide de Dieu et la valeur de ses troupes, il espérait rejeter l'ennemi
au-delà des frontières. Puis, tournant ses regards sur Marie-Louise et sur
son fils, qu'elle tenait dans ses bras, il ajouta d'une voix émue : Je confie ma femme et mon
enfant à ma fidèle ville de Paris : je lui donne la plus grande marque
d'estime en laissant sous sa garde les objets de mes plus chères affections.
Ensuite il répéta par deux fois, on me passera sur le corps avant d'arriver
jusqu'à vous. Mais
Napoléon était loin d'avoir, en celte occasion, autant de confiance intérieure
qu'en annonçaient ses actes et ses paroles : il partait l'âme contristée par
les plus sinistres pressentiments. Au
moment de quitter les Tuileries, prévoyant déjà, dans, cet instant décisif,
des perfidies funestes, et les plus noires trahisons, Napoléon résolut de
s'assurer de la personne de Talleyrand. Mais il en fut empêché par les
représentations, et l'on pourrait même dire l'offre de garantie personnelle
de quelques ministres, qui lui démontrèrent que Talleyrand était du nombre
des hommes qui devaient le plus redouter les Bourbons. Napoléon leur céda,
mais il leur dit plusieurs fois qu'il était bien à craindre qu'eux et lui
n'eussent à s'en repentir !... Napoléon
partit de Paris le 25 janvier pouf se mettre à la tête de ses armées : déjà
le 1er du même mois, l'armée russo-prussienne de Silésie avait passé le Rhin
Sur plusieurs points : elle se composait de quatre divisions, formant
ensemble un total de soixante et dix mille hommes. Le duc de Raguse avait dû
se retirer devant cette armée, mais sans éprouver aucune perte. D'un autre
côté, une armée sous les ordres du prince Schwartzenberg, composée de Russes,
d'Autrichiens, de Bavarois, de Wurtembergeois et de Badois, et forte de cent
vingt mille hommes, était entrée en France par la Suisse. Le maréchal
Augereau rallia alors dans le Dauphiné toutes les troupes sous ses ordres
pour protéger Lyon. Quelques villes n'ayant pour garnison qu'une poignée de
soldats et la garde nationale, s'étaient bien défendues, d'autres avaient
ouvert leurs portes sans coup férir. Le moment était venu où, de tous les
points de l'empire, ceux qui voulaient promptement délivrer le territoire de
la patrie et conserver l'honneur national, devaient prendre les armes et
marcher vers les camps, rendez-vous des braves et des vrais Français. Napoléon
arriva le 25 aux avant-postes de son armée ; il était temps qu'il parût en
personne sur le champ de bataille, les frontières orientales de son empire,
attaquées sur tous les points, offraient aux armées qui les envahissaient,
les moyens d'y pénétrer presque sans résistance. Les
succès que les alliés avaient obtenus pendant la campagne précédente ne leur
avaient pas inspiré trop d'orgueil. Ils les avaient achetés cher ; et les
évènements avaient prouvé que s'il était possible de résister à Napoléon et
de le vaincre, ce n'était qu'en opposant des forces plus nombreuses à ses
armées de vieux soldats, et en accumulant contre lui de telles masses, que
ses talents et sa capacité dussent même les trouver irrésistibles. L'Autriche
et la Prusse se rappelaient d'ailleurs les efforts et les triomphes de la
France, à l'époque glorieuse où la République fut sauvée d'une première
invasion. Cette
terrible campagne, où Napoléon devait retrouver tous les talents, toute
l'énergie de sa jeunesse, et reproduire les miracles des belles guerres
d'Italie, était ouverte : Les
maréchaux Ney et Victor formaient l'avant-garde à Vitry-le-François ; Marmont
était derrière la Meuse, entre Saint-Michel et Vitry ; le duc de Trévise
rétrogradait devant le corps principal de l'armée autrichienne, vers Troyes ;
Macdonald s'avançait sur Châlons. L'empereur
arrivé dans cette ville se fit rendre compte de la position des alliés. Le
généralissime s'avançait sur Troyes, qu'il était près d'occuper. Les
Prussiens, entrés à St-Dizier, semblaient se diriger sur l'Aube pour s'unir
aux Autrichiens. Il importait surtout à Napoléon d'empêcher cette jonction ;
il se porta donc rapidement en avant et vint se placer à Vitry. Averti dans
la matinée du 27 que les ennemis se montraient sur la route de Vitry, venant
de Saint-Dizier, l'empereur courut au-devant d'eux ; mais déjà la division
Duhesme les avait battus et repoussés. L'empereur
entra le même jour à Saint-Dizier. Là, les veux de quelques prisonniers
confirment les rapports des habitants et ceux des émissaires : le corps que
l'avant-garde française vient de culbuter est commandé par le général
Lanskoï, et fait partie de l'armée de Silésie, qui poursuit sa marche, de
Saint-Dizier sur l'Aube. Ainsi la jonction de Blücher et de Schwartzenberg
est peut-être opérée, et la masse énorme des ennemis se trouve déjà placée
entre Paris et l'empereur : il les a dépassés ! Tous
les avis indiquent que les Prussiens doivent être maintenant aux environs de
Brienne. Cette nouvelle détermine l'empereur ; il marche sur Blücher, à
travers la forêt du Der, par les chemins les plus difficiles, et que le
mauvais temps semblait devoir rendre impraticables. En dépit de tant
d'obstacles, l'armée française avance, et le matin du 29, elle atteint
l'ennemi près du village de Maizières, à peu de distance de Brienne ;
l'avant-garde commence à se battre. Mais
déjà la communication était établie, par Bar-sur-Aube, entre les deux armées
des alliés. Blücher, après avoir donné l'avis de l'approche des Français au
généralissime, s'était fortifié sur les hauteurs de Brienne, pour attendre
les renforts qu'il le pressait de lui envoyer. Schwartzenberg, répondant à
cet appel, avait dirigé sur ce point les gardes russes et prussiennes avec
les réserves ; heureusement pour l'armée française, ces troupes d'élite
n'arrivèrent pas à temps pour prendre part à l'action. Les
dispositions de Blücher, tant sur les hauteurs où s'élève le château de
Brienne, que dans la plaine autour de la ville, arrêtèrent quelque temps
l'empereur, qui crut devoir attendre l'arrivée de toutes ses forces pour
attaquer. L'infanterie, retardée par le mauvais état des chemins, était
restée en arrière ; une partie seulement put rejoindre vers trois heures et demie.
L'action s'engagea alors : elle fut terrible et dura jusqu'à cinq heures. Bientôt
le château fut emporté après une vive résistance. Blücher redoubla d'efforts
pour en chasser les Français. Ce fut en vain. La nuit ne put interrompre ce
combat acharné ; à neuf heures du soir, le théâtre principal de l'action
était dans la ville, où la mêlée fut affreuse. A onze heures environ, Blücher,
averti que son parc d'artillerie était hors d'atteinte à Dienville, jugea
convenable de mettre fin à ce carnage inutile ; il commanda la retraite. Ses
troupes prirent la direction de Bar-sur-Aube, et les Français restèrent
maîtres du château et de la ville. La nuit
était des plus obscures ; l'empereur, en regagnant son quartier-général à
Maizières, fut assailli par une bande de cosaques ; l'un d'eux menaçait sa
vie, quand d'un coup de pistolet le général Gourgaud l'abattit aux pieds de
Napoléon. La
bataille de Brienne fut un beau fait d'armes, mais produisit peu de
résultats. La jonction des ennemis était opérée, et la perte des Français,
quoique inférieure à celle de l'ennemi, était pour eux, dans ces moments de
crise, d'une grande importance. Cependant
Napoléon n'avait pas de donnée précise sur la position réelle et la direction
de la grande armée alliée. Tandis que Blücher s'en approchait en marchant sur
Bar, Napoléon, persuadé qu'il fuyait, se mettait à sa poursuite. Mais les
Prussiens, parvenus à Trannes le 31 ? s'y arrêtèrent en rencontrant les corps
de Giulay, du prince de Wurtemberg, et les réserves commandées par Barclay de
Tolly. Blücher, fort de ces appuis, résolut d'attaquer l'empereur le 1er
février. L'armée
française, au nombre de trente-six mille hommes au plus, avait pris position
à la Rothière, et occupait les villages de Dienville, Petit-Ménil, la Giberie,
la Chaise et Morvilliers. Blücher développa, autour d'elle, quatre-vingt-quatre
mille fantassins, vingt-deux mille sept cents chevaux, et deux cent
quatre-vingt-six bouches à feu. A la
vue de ces formidables apprêts, Napoléon hésita de compromettre sa petite
armée ; il eut un moment l'espérance que ce mouvement n'était qu'une
démonstration, dans le but de lui dérober une manœuvre de l'armée principale
sur Troyes. Il se disposait même à se diriger sur cette ville, et avait mis
en mouvement les réserves du prince de la Moskowa vers le pont de Lesmont,
quand il fut averti, à une heure après-midi, que l'ennemi s'ébranlait sur
tous les points, pour une attaque générale. A cette nouvelle, l'empereur
contremande les mouvements ordonnés, il monte à cheval, et se porte aux
avant-postes. La neige tombait en flocons si épais qu'ils obscurcissaient le
jour ; il était difficile de juger les mouvements de l'ennemi, qui signalait
son approche par une forte canonnade à sa gauche et au centre, et à la droite
par une vive fusillade. Le
général Sacken, près de s'emparer de la Rothière, fut repoussé par le général
Duhesme et poursuivi par les généraux Piré, Colbert et Guyot ; mais après un
rude choc, eux-mêmes, ramenés jusqu'à Brienne-la-Vieille, laissèrent au
pouvoir des Russes vingt-quatre pièces d'artillerie de la garde. La Rothière
fut alors emportée, et la division Duhesme prisonnière en grande partie. Le
centre des Français enfoncé, l'aile droite, commandée par le général Gérard,
résistait encore ; mais le duc de Raguse, vivement pressé à la gauche,
commença bientôt à rétrograder. L'empereur se porta rapidement de ce côté ;
ni sa présence, ni ses habiles dispositions, ne purent y rétablir les
affaires, et les progrès du général de Wrède continuèrent à répondre, à notre
gauche, à ceux de Sacken au centre. L'empereur jugea dès-lors la bataille
perdue, et fit des dispositions pour la retraite. Cependant une dernière
tentative fut encore essayée sur la Rothière ; elle eut d'abord quelque
succès ; mais Blücher en personne repoussa du village la jeune garde, déjà
parvenue jusqu'à l'église. Partout
des forces supérieures opposées aux Français repoussaient leurs attaques,
dont le but était de déguiser le mouvement général de retraite sur Brienne.
L'empereur, pour contenir du moins l'ennemi, ordonna l'incendie de la
Rothière. Alors Ney prit la route de Lesmont : Marmont suivit la même
direction, avec la cavalerie du général Doumerc ; Victor établit ses bivouacs
à Beugné ; Oudinot ne s'éloigna du champ de bataille qu'après avoir vu la
Rothière en flammes ; enfin le général Gérard abandonna le pont de Dienville
à minuit. L'empereur
se retira à Troyes. La bataille de la Rothière, dont l'issue n'avait pas été
difficile à prévoir, avec des forces si inégales, exalta l'ardeur des alliés
; ces généraux, tant de fois vaincus par Napoléon, s'enorgueillissaient d'un
triomphe qu'ils payaient chèrement. Une
épreuve douloureuse attendait Napoléon à Troyes : c'est là qu'il apprit la
défection de Murat. La campagne commençait sous de tristes auspices ;
l'empereur se proposa de la terminer par un traité honorable, et le congrès
de Châtillon fut résolu : il s'ouvrit aussitôt. Le duc
de Vicence y représentait la France, le comte de Stadion l'Autriche, le comte
de Varmosky la Russie, le baron de Humbold la Prusse ; l'Angleterre y
comptait trois négociateurs : les lords Aberdeen et Carthcart, et sir Charles
Stewart. Toutefois
les hostilités n'étaient pas suspendues, et tandis que les négociations se
poursuivaient, l'ennemi pénétrait au cœur de la France. Napoléon
fit encore un pas rétrograde : il plaça son quartier-général à Nogent. C'est
là que des courtiers venus du Nord l'instruisent de la perte de la Belgique,
et de la retraite du général Maison en dedans de l'ancienne frontière, Carnot
était dans Anvers, où le bloquait un corps d'Anglo-Prussiens. L'empereur
apprend en même temps que Blücher et Schwartzenberg, encouragés par leurs
premiers succès, se sont séparés de nouveau, et marchent à l'envi l'un de
l'autre sur Paris. Le Prussien, à la tête de l'armée de Silésie, grossie de
renforts considérables, se dirige par la grande route de Châlons, et le
prince de Schwartzenberg suit le cours de la Seine. C'est
parmi les alarmes nées de cette position critique que Napoléon reçut du duc
de Vicence le protocole des conférences de Châtillon, du 7 février. Les
plénipotentiaires délibéraient sous l'influence des évènements militaires qui
se passaient autour d'eux. Leurs prétentions croissaient avec l'infortune de
nos armes ; déjà ils exigeaient, comme condition sine qua non, la réduction dé la France à
ses anciennes limites de 1792. Le
plénipotentiaire français demandait des instructions précises sur les
sacrifices qu'il pouvait consentir. Le grand maréchal Bertrand et le duc de
Bassano pressèrent l'empereur, les larmes aux yeux, d'accéder à la demande du
duc de Vicence, en le laissant toutefois libre de s'écarter de ses instructions,
et d'user de la carte blanche qui lui avait été donnée. Il fut décidé qu'on
ne devait pas hésiter à abandonner la Belgique, et même la rive gauche du
Rhin, si l'on ne pouvait avoir la paix qu'à ce prix. Les instructions du
plénipotentiaire furent rédigées dans ce sens : l'Italie, le Piémont, Gênes,
l'état de possession à établir en Allemagne, même les colonies, étaient des
sacrifices faits d'avance. Napoléon devait signer celte dépêche à sept heures
du matin. Il
reçut à cinq heures un rapport sur les mouvements de l'armée russe et
prussienne, qui lui fit juger que des évènements glorieux allaient changer la
face des choses : il ajourna sa réponse au duc de Vicence, et partit pour
Champ-Aubert. La marche de flanc de l'armée de Blücher, que Napoléon épiait
en secret, avait enfin lieu ; le moment était devenu favorable pour
l'attaquer. Le 10
février, à la pointe du jour, Napoléon se porta sur les hauteurs de
Saint-Prix, pour couper en deux l'armée alliée. Le duc de Reggio passa les
étangs de Saint-Gond, et attaqua le village de Baye. Deux divisions
françaises tournèrent les positions des alliés qui furent chassés de Baye. La
garde impériale se déploya alors dans les plaines de Champ-Aubert : le
maréchal Marmont fit enlever Champ-Aubert. Au même instant les cuirassiers
chargèrent à droite, et acculèrent les Russes à un bois et à un lac : les
alliés se voyant sans retraite, leurs masses se mêlèrent ; artillerie,
infanterie, cavalerie, tout s'enfuit pêle-mêle dans les bois. Deux mille
hommes se noyèrent dans le lac : trente pièces de canon, deux cents voitures,
des généraux, des colonels et beaucoup de prisonniers restèrent au pouvoir
des Français. Notre
perte, fut légère : les Français retrouvaient leur force en reprenant
l'attitude offensive. Napoléon, replacé comme eux dans sa vraie position, en
calcule tous les avantages, et poursuit l'ennemi avec son habileté ordinaire. Le 11,
il arrive en avant de Montmirail. Le général Nansouty était en position avec
la cavalerie de la garde, et contenait l'armée du général Sacken, qui était
accourue pendant la nuit, en apprenant l'échec de Champ-Aubert. Le général
York avait également quitté Château-Thierry. A onze heures, les alliés se
formèrent en bataille : les divisions françaises arrivaient successivement.
Napoléon aurait voulu les attendre toutes, mais à trois heures, la nuit
approchant, il fit déboucher le duc de Trévise sur Montmirail. Le général
Friant, avec quatre bataillons de la vieille garde, reçut ordre d'attaquer la
ferme de l'Épine-aux-Bois, position d'où dépendait le succès de la journée,
et que les alliés défendaient avec quarante pièces de canon. Pour
rendre cette attaque plus facile, Napoléon commanda au général Nansouty de
s'étendre sur la droite, afin d'obliger les alliés à dégarnir leur centre. Au
même instant, et dans le même but, il ordonna de céder une partie du village
de Marchais. Alors les troupes russes fit prussiennes du centre furent
abordées au pas de courte par la vieille garde, ayant le maréchal Ney à sa
tête. Les tirailleurs se retirèrent épouvantés sur les masses ; l'artillerie
ne put plus jouer, mais la fusillade devint effroyable : le succès était
encore indécis lorsque les lanciers, les dragons, les grenadiers de la garde
arrivèrent au grand trot sur les derrières des masses d'infanterie, les
rompirent, les mirent en désordre et tuèrent tout ce qui ne fut pas fait
prisonnier. Le duc de Trévise s'empara du village de Fontenelle ; celui de
Marchais fut mis entre deux feux : tout ce qui s'y trouvait fut pris ou tué.
En moins d'un quart d'heure, le plus profond silence succéda à la fusillade.
Les alliés ne cherchèrent plus leur salut que dans la fuite. Cette journée,
si glorieuse pour les armes françaises, coûta encore aux alliés huit mille
hommes tués ou prisonniers : la perte de notre côté fut de deux mille
blessés. L'effet moral de cette bataille fut immense : nos soldats
grandissaient avec la victoire, et les ennemis s'effrayaient de retrouver les
hommes d'Austerlitz et d'Iéna. Le lendemain c'était le tour des Prussiens
d'être battus ; Napoléon fit poursuivre les alliés sur la route de
Château-Thierry : ils soutenaient leur retraite avec huit bataillons qui
n'avaient pas donné la veille, étant arrivés trop tard : ces bataillons
étaient appuyés par quelques escadrons et par trois pièces d'artillerie. Le
général Nansouty, avec deux divisions de cavalerie, se porta, par un
mouvement à droite, entre Château-Thierry et l'arrière-garde des alliés. Le
général Letort, avec une division de dragons de la garde, s'élança sur leurs
flancs. Toute cette arrière-garde fut enveloppée ; on en fit un horrible
carnage : deux mille hommes furent faits prisonniers. En ce moment, le prince
Guillaume de Prusse, qui était resté à Château-Thierry avec deux mille
hommes, s'avança à la tête des faubourgs pour protéger les fuyards. Deux
bataillons de la garde impériale arrivèrent au pas de course, et les
faubourgs furent nettoyés. Alors la réserve des alliés brûla ses ponts, et
s'établit sur la rive droite de la Marne, où elle démasqua une batterie. Les
alliés ne pouvant se, retirer ni sur, la route d'Epernay, ni sur celle de
Soissons, qui leur étaient coupées, furent obligés de prendre la traverse
dans la direction de Reims. Blücher,
comme étourdi de ces chocs rapides et imprévus, demeura depuis trois jours
immobile aux Vertus. Le 12 février, il fut rejoint par le corps prussien du
général Kleist : il réunit alors les débris des autres corps, et marcha avec
vingt mille hommes contre le duc de Raguse, qui occupait Etioles. Ce maréchal
n'étant pas en, forces suffisantes, se relira sur Montmirail. Napoléon partit
le même jour de Château-Thierry, il arriva à huit heures du matin à
Montmirail. Il fit
sur-le-champ attaquer les troupes de Blücher, qui venaient de prendre
position à Vauchamp. Le maréchal Marmont attaqua ce village ; la cavalerie du
général Grouchy tourna la droite des alliés, et se porta à une lieue au-delà
de leur position, et, pendant que Vauchamp était attaqué vigoureusement et
défendu de même, ce général, arriva avec sa cavalerie sur les derrières de Blücher.
Toute la cavalerie de la garde arrivait en même temps au grand trot :
plusieurs carrés de Prussiens furent enfoncés, sabrés ou pris. A deux heures,
les Français étaient au village de Fromentières, et avaient fait six mille
prisonniers. Blücher en déroute arriva la nuit à Champ-Aubert ; mais le
général Grouchy y était avant lui. Toute
l'armée de Blücher aurait été prise si le mauvais état des chemins n'eût
retardé la marche de l'artillerie. Toutefois, malgré l'obscurité de la nuit,
la cavalerie française enfonça et sabra trois carrés de troupes russes, et
poursuivit les autres jusqu'à Etoles. Dans la
journée de Vauchamp, les alliés firent de grandes pertes : dix mille
prisonniers, dix pièces de canon et dix drapeaux restèrent au pouvoir des
vainqueurs. Ainsi, l'armée de Silésie, forte de quatre-vingt mille hommes,
fut en quatre jours battue, dispersée, anéantie. En
partant de Nogent, le 9 février, pour manœuvrer sur l'armée de Silésie,
l'empereur avait laissé les corps du maréchal Victor et du général Gérard en
avant de Nogent, et celui du maréchal Oudinot à Provins, chargé de la défense
des ponts de Bray et de Montereau. Le maréchal Victor ayant appris que
plusieurs divisions de l'armée autrichienne s'avançaient sur Nogent, fit
repasser la Seine à son corps d'armée ; il ne laissa dans Nogent que douze
cents hommes qui s'y défendirent pendant deux jours entiers. Les divisions
autrichiennes ayant passé à Bray, le maréchal Oudinot se retira sur la
rivière d'Yères, et le maréchal Victor se porta à Nangis. Napoléon
arriva le 16 février sur Yères, et s'arrêta à Guiges. Le lendemain à la
pointe du jour, il marcha sur Nangis. Les alliés furent attaqués aussitôt. Le
général Gérard déboucha sur le village de Mormant ; les dragons du général
Treilhard, arrivant d'Espagne, le tournèrent par sa gauche ; le général
Milhaud le tourna par sa droite ; le comte Drouot s'avança avec de nombreuses
batteries : dans un instant tout fut décidé ; les carrés formés par les
divisions russes furent enfoncés ; tout fut pris, généraux, officiers : six
mille prisonniers, dix mille fusils, seize pièces de canon et quarante
caissons restèrent au pouvoir des Français. Le 18,
le général Bianchi avait pris position, avec deux divisions autrichiennes et
deux divisions wurtembergeoises, sur les hauteurs en avant de Montereau,
couvrant les ponts de la ville. Le général Château l'attaqua vainement, il
dut se retirer : les troupes du général Gérard soutinrent le combat toute la
matinée. Napoléon arriva au galop sur le champ de bataille, et fit aussitôt
attaquer le plateau. Le général Pajol déboucha, chassa les alliés, et les
jeta dans la Seine et dans l'Yonne. Les ponts furent passés au pas de charge.
Le général Bianchi, poussé dans toutes les directions, perdit neuf mille
hommes, dont quatre mille prisonniers, quatre drapeaux et six canons. L'armée
française défila sur les ponts que les alliés n'avaient pu faire sauter. L'armée
du prince Schwartzenberg se trouva ainsi entamée par la défaite du corps du
général Kleist, et par celle des généraux Wittgenstein et Bianchi, qui en
faisait partie. Cette
série de triomphes inattendus releva les espérances de Napoléon : au lieu de
la grande bataille qu'il avait voulu éviter, il venait de remporter cinq
victoires mémorables, l'armée des alliés avait perdu plus de quatre-vingt-dix
mille hommes en dix jours. Au lieu d'avoir à sauver la capitale par la paix,
il croyait l'avoir sauvée par les armes. L'état des affaires avait changé ;
il changea de résolution. Il écrivit de Nangis à son plénipotentiaire pour
lui ordonner de prendre désormais ses ordres sur tous les points de la
négociation : elle se suivit dès-loirs dans les formes ordinaires. Il ne
s'agissait plus pour Napoléon d'aller au devant des concessions qu'on pouvait
exiger de lui, mais de savoir au moyen des négociations qui se suivaient à
Châtillon, quelles étaient les véritables intentions des alliés, et les
sacrifices que, à la faveur des évènements qui venaient de se passer, on
pouvait éviter. A la
fin de février, Napoléon reçut le projet du traité préliminaire remis par les
alliés à Châtillon. On ne pouvait reconnaître un ultimatum dans un assemblage de propositions
exagérées. Abandonner les conquêtes de l'empire, Napoléon ne pouvait s'y
résoudre, mais celles de la France républicaine, il ne se croyait pas le
droit de consentir à un tel sacrifice : il l'aurait fait cependant, car le
salut de la patrie impose des devoirs qui passent avant tout, si un traité de
paix définitif eût été le résultat immédiat de cet abandon ; mais ce n'était
pas un traité définitif qu'on lui proposait, c'étaient des préliminaires de
paix, c'était un armistice les armes à la main, ou plutôt c'était un
armistice par lequel la France aurait mis bas les armes, tandis que ses
ennemis auraient occupé les parties de son territoire qu'ils avaient
envahies, et les forteresses d'Huningue, Belfort et Besançon, dont ils
exigeaient la remise, quoiqu'elles fussent situées dans les pays qu'ils
n'occupaient pas. Un tel traité n'était, aux yeux de Napoléon, qu'une
capitulation déshonorante. Des
instructions furent donc expédiées au duc de Vicence pour la rédaction d'un
contre-projet. La proposition des alliés fut envoyée à l'impératrice avec
ordre de la soumettre à un conseil extraordinaire convoqué à cet effet, et
composé principalement des hommes qui avaient exercé de l'influence aux
différentes époques de la révolution, et qui avaient été élevés aux grandes
fonctions de l'empire. Un seul repoussa le projet avec indignation, comme la
proposition la plus déshonorante dont l'histoire de France eût jamais fait
mention, et comme une loi honteuse à laquelle l'honneur même ne permettait
pas aux Français de rester soumis ; les autres furent d'avis d'obéir à la
nécessité. Cependant les hostilités continuaient toujours, et ce fut
vainement que des commissaires nommés par toutes les parties belligérants
furent réunis à Lusigny pour traiter des conditions d'une suspension d'armes
; ils ne purent s'accorder sur la ligne de démarcation. Il fallut se battre
tous les jours. les
débris de l'armée de Blücher s'étaient réunis à Châlons-sur-Marne, où les
cadres furent reformés au moyen des réserves et des recrues arrivées de
Mayence ; ces nouvelles troupes avaient passé l'Aube à Arcis, et l'armée
alliée dite du Nord, composée de quatre divisions russes et d'une division
prussienne, était venue remplacer à Reims et à Châlons l'armée de Silésie. Napoléon
était rentré à Troyes ; mais il dut bientôt se porter d'un autre côté, où
l'armée alliée du Nord faisait des progrès. Les alliés s'étaient divisés en
deux corps d'armée ; les huit divisions russes de Sacken et Wintzingerode
avaient pris position sur les hauteurs de Craonne, et les corps prussiens sur
les hauteurs de Laon. Napoléon arriva le 6 mars devant les Russes ; les
hauteurs de Craonne furent attaquées et enlevées. Les Russes se retirèrent,
et prirent position, le 7, sur une autre hauteur, ayant leur droite et leur
gauche appuyées à deux ravins, et un troisième ravin devant eux. Un seul
passage d'une centaine, de toises joignait cette position au plateau de
Craonne, mais il était défendu par soixante pièces de canon. Le maréchal
Victor, avec deux divisions de la jeune garde, chassa les Russes de l'abbaye
de Vaucler, à laquelle ils avaient mis le feu, et passa le défilé. Le général
Drouet le franchit aussitôt avec plusieurs batteries. Au même instant, le
maréchal Ney passa le ravin de gauche, et déboucha sur la droite des alliés.
Pendant une heure la canonnade fut terrible. Le
général Grouchy déboucha alors avec sa cavalerie, et le général Nansouty
passa le ravin de droite. Une fois le défilé franchi, les alliés forcés dans
leur position, furent poursuivis pendant quatre lieues, et canonnés par
quatre-vingts pièces de canon à mitraille, ce qui leur causa une très-grande
perte ; mais les ravins dont ils étaient entourés pendant leur retraite
furent cause que la cavalerie française ne put les déborder ni les entamer. Le
lendemain de la bataille de Craonne, le maréchal Ney poursuivit les alliés
jusqu'au village d'Etouville. Le 9, les Russes s'étant réunis aux Prussiens,
prirent leur position sur les hauteurs de Laon ; Napoléon jugeant qu'elles
étaient inexpugnables, ne crut pas devoir les attaquer. Ses intentions
étaient de manœuvrer sur l'Aisne. Le 13,
il arriva sur les hauteurs du Moulin-à-vent, à une lieu de Reims, que le
corps russe du général Saint-Priest venait d'occuper. Ce corps couronnait les
hauteurs en avant de la ville. Le maréchal Marmont, formant l'avant-garde
française, l'attaqua, et la division du général Merlin cerna et prit
plusieurs bataillons de landwerhr prussienne. Le général Sébastiani attaqua
la ville : les gardes d'honneur chargèrent entre la ville et les Russes,
qu'elles rejetèrent dans le faubourg. Le général Krasinski ayant coupé la
route de Reims à Bery-au-Bac, les alliés abandonnèrent la ville, et se
retirèrent en désordre, partie sur Châlons, partie sur Rethel et sur Laon. Les
alliés perdirent dans cette bataille cinq mille prisonniers, vingt-deux
pièces de canon et cent voitures. Napoléon,
qui n'avait pu encore parvenir à connaître le véritable ultimatum des alliés,
envoya de Reims, quelques jours après la bataille de Craonne, de nouveaux
pouvoirs à son plénipotentiaire pour terminer ; avec cette seule restriction,
qu'il ne signerait aucun traité dont l'évacuation du territoire et le renvoi
des prisonniers faits départ et d'autre ne fussent pas le résultat immédiat.
Son courrier rencontra le duc de Vicence à quelques lieues de Châtillon. Les
alliés avaient fixé, comme à Prague, un terme fatal pour la durée des
négociations ' : elles étaient rompues. Napoléon
marcha alors sur Plancy, par Epernay et Fère-Champenoise ; le 19, il passa
l'Aube à Plancy, puis la Seine à un gué, et fit tourner Mery, qui était
occupé par les alliés. Dès ce jour, celte partie de l'armée alliée fut en
pleine retraite. Napoléon arriva le 20 à Arcis-sur-Aube. A peine il entrait
dans cette ville, on vint lui annoncer qu'une nombreuse cavalerie manœuvrait
dans la plaine sur la rive gauche. Aussitôt, pour la reconnaître, les
généraux Sébastiani et Exelmans s'élancèrent à la tête de leurs escadrons ;
mais ceux de l'ennemi, appuyés par d'épaisses lignes d'infanterie,
présentaient des masses impénétrables. Bientôt nos premières colonnes,
inconsidérément engagées, se trouvèrent sous le feu de soixante pièces en
batterie. La situation de ces troupes était des plus critiques, et, dans la
supposition d'un revers, un défilé d'une demi-lieue, où quelques ponts
servent de passage à travers des marais, était leur seule retraite. La
conservation de ce défilé, dont Arcis forme la tête, était de la dernière
importance pour Napoléon. Il avait cru surprendre un corps ennemi, et c'était
au contraire sa propre avant-garde qui se trouvait compromise. Déjà notre
cavalerie se repliait devant celle des Russes : l'empereur voit le danger ;
il vole au-devant de nos escadrons, et leur dit d'un ton plein de feu : N'êtes-vous pas les
vainqueurs de Champ-Aubert et de Montmirail ? Au même instant, il met l'épée à la main, ordonne
de nouvelles charges, et guide lui-même ses soldats au fort de la mêlée. Son
intrépidité rétablit l'action, qui semble se décider en notre faveur ; mais
d'accablants renforts, une épouvantable canonnade, l'acharnement des Russes,
leur nombre et l'avantage de leur position, trompent l'espoir des plus vaillants
guerriers. Nos bataillons, quoique écrasés, demeurent immobiles sous les murs
d'Arcis, et bientôt cette ville et le village de Torcy, où le maréchal Ney,
avec une poignée de braves, avait tenu contre des forces prodigieuses,
deviennent la proie des flammes. Ce combat sanglant se prolongea toute la
journée, sans avoir aucun résultat décisif. Les deux armées conservèrent leur
même position. Dans cette action, Napoléon se montra le digne chef d'une
armée dont les ennemis admiraient l'héroïsme. Au milieu de tant de périls, ce
premier de tous les capitaines eût péri de la lance d'un cosaque, si le
colonel Girardin n'eût détourné le coup. Son mameluck tira aussi plusieurs
fois le sabre pour le défendre, et son cheval fut atteint d'un boulet. En
voyant Napoléon s'exposer ainsi, les soldats murmuraient. Ne craignez rien, leur dit-il, le boulet qui me tuera
n'est pas encore fondu. Les
souverains alliés évacuèrent Troyes, et se retirèrent à Bar. Le duc de
Vicence écrivit alors au prince de Metternich, pour lui annoncer que Napoléon
venant de le mettre à même de renouer les négociations de la manière la plus
franche et la plus positive, il réclamait les facilités nécessaires pour
arriver jusqu'auprès de ce ministre. Le duc de Vicence se flattait que la
paix pourrait être conclue dans moins de quatre jours. Il se rendit aux avant-postes
; mais ce fut inutilement qu'il y attendit le laissez-passer qu'il avait
demandé. Il ne restait donc plus aucun espoir de négociation. Le 26
mars, Napoléon fit attaquer par les dragons du général Milhaud, et par la
cavalerie de la garde, le corps de cavalerie du général russe Wnitzingerode,
qui avait été laissé à Saint-Dizier, afin de maintenir la ligne d'opérations
des alliés, et de faciliter l'arrivée de l'artillerie et des munitions. Après
plusieurs charges brillantes, les Russes, mis en déroute, perdirent dix-huit
pièces de canon et deux mille chevaux. Napoléon,
continuant de poursuivre les alliés, arriva à Troyes le 29 mars ; mais le
même jour il apprit que les Russes et les Prussiens accouraient à marches
forcées sur Paris, et qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour sauver la
capitale. L'empereur et son armée quittèrent Troyes à l'instant même, et se
dirigèrent, avec toute la rapidité possible, au secours de Paris. Mais
déjà les alliés étaient aux portes de la capitale. Dès le 29, ils étaient
partis de Meaux divisés en trois grandes colonnes principales ; l'armée de Silésie
prit la route de Charny, Mory et Aunay ; le centre, composé des gardes, des
réserves et du corps du Rayewski, s'avança par Claye ; la gauche, formée des
Wurtembergeois, du Giulay et des grenadiers autrichiens, suivit le chemin de
Charmentré et de Chelles. C'est dans cet ordre qu'une armée de trois cent
mille combattants menaçait Paris sans défense. Elle inondait aux approches de
la nuit toute la plaine au nord de cette capitale, en déployant ses masses
sur une ligne immense. Les
souverains établirent leur quartier-général à Bondy ; les troupes de Blücher
s'étendaient, à droite, de Villepinte à Grand-Drancy et au Bourget ; celles
du prince de Wurtemberg, autour d'Annet ; enfin, à gauche, Romainville et
Pantin furent occupés par le corps de Rayewski et la cavalerie de Palhen, Déjà deux fois l'on avait vu l'ennemi venir jusqu'aux portes de la capitale, deux fois il avait été repoussé, et l'on espérait qu'il le serait une troisième ; on ne pouvait croire d'ailleurs qu'il s'avançât avec des forces si considérables et avec tant de célérité : chacun aimait à se dissimuler le danger et à s'exagérer les moyens de résistance. Le gouvernement entretint cette disposition des esprits, et, pour augmenter la sécurité de tous, il assura que les troupes qui se présentaient étaient celles d'un partisan audacieux, ou plutôt une colonne égarée tombée dans un piège tendu par l'empereur. |