SOMMAIRE : Guerre d'Espagne. — Premiers succès. — Capitulation de Baylen. — Arrivée de l'empereur. — Bataille de Sommo-Sierra. — Prise de Madrid. — L'inquisition est abolie. — Délivrance des prisonniers. — Débarquement des Anglais à la Corogne. — Passage du Guadarrama. — Fuite des Anglais. — Prise de la Corogne. — Retour de Napoléon en France.1808.L'avènement de Joseph au trône d'Espagne fut notifié par le secrétaire d'état Cévallos aux puissances, qui toutes le reconnurent, à l'exception de l'Angleterre. L'empereur de Russie avait répondu au général del Peudo, ambassadeur d'Espagne, par des félicitations fondées sur le caractère de Joseph. Ferdinand écrivit aussi dans ce sens à son successeur ; il implora même son intervention pour obtenir une des nièces de Napoléon ; car il n'avait pas renoncé à ce mariage. Le serment de fidélité des Espagnols qui l'avaient suivi en France, accompagnait cette lettre, qui fut communiquée par le marquis de Musquiez aux chefs de l'insurrection, qui commençait à prendre un caractère alarmant ; car la domination de Joseph n'existait réellement que dans la partie occupée par les soldats français. Dans le royaume de Léon, dans la Navarre, l'Aragon, l'Estramadure, les deux Castilles, la Catalogne, les Asturies, on avait mis en pièces ou refusé de recevoir les officiers de Joseph ; Cadix se préparait à une défense opiniâtre. Une junte provinciale, organisée à Séville, dirigeait l'insurrection. Ses actes étaient empreints de fanatisme et de haine contre la France. Mais ce qui contribua le plus à donner à cette guerre un caractère de férocité inouïe, c'est qu'elle eut pour moteurs des hommes que leur profession rend nécessairement étrangers à la société. Ce fut pour leurs moines que les Espagnols s'égorgèrent et se firent égorger au nom de Dieu et de Ferdinand. Les poignards étaient bénis : des miracles, des prédications furibondes précédaient toujours le carnage. Le succès des premiers efforts de l'armée française justifia l'opinion qu'on avait conçue de sa valeur. En quinze jours Bessières pacifie la province de Guipuscoa, l'Alava, la Biscaye, et une grande partie de la Navarre. Lefebvre-Desnouettes soumet le midi de cette dernière province, et forme le blocus de Saragosse, après avoir battu les insurgés dans plusieurs rencontres. Le général Lasalle s'empare de Burgos et de Valladolid. Le général Frère prend Ségovie. Merle détruit un corps espagnol commandé par l'évêque de Santander, et la ville se rend au vainqueur. Dans la Catalogne, dans le royaume de Valence, Moncey et Duhesme voient également la victoire couronner leurs efforts. Le général Dupont pénètre dans l'Andalousie ; Jaen et Cordoue sont enlevées de vive force. Tous les chemins qui pouvaient conduire le nouveau roi à son trône étaient couverts de sang. Quarante mille insurgés défendaient les approches de Madrid : le maréchal Bessières marche à eux avec douze mille hommes, il les atteint à Medina de Rio Secco, les précipite des hauteurs qu'ils occupaient, et les met on pleine déroute. Cette affaire, si glorieuse pour les arma françaises, coûta aux Espagnols dix mille tués, six mille prisonniers, quarante pièces de canon et d'abondantes munitions. Napoléon, en apprenant la nouvelle de cette victoire, s'écria : C'est une seconde bataille de Villa-Viciosa ; Bessières a mis mon frère sur le trône d'Espagne, comme autrefois le duc de Vendôme y plaça l'arrière petit-fils de Louis XIV. Le général Junot était alors dans le Portugal, qui avait imité l'exemple de l'Espagne ; ce succès assura nos communications avec son corps d'armée, qui se trouvait dans une situation critique. Battus ! dans toutes les rencontres, les Espagnols semblent n'avoir plus de chances de salut que dans une prompte soumission. Un événement funeste vint interrompre le cours de ces prospérités, et rallumer l'incendie près de s'éteindre. Le 20 juillet, jour même de l'entrée du roi dans Madrid, quarante mille insurgés, commandés par Castanos, présentèrent la bataille à Dupont. Ce général fit la double faute de se laisser séparer des divisions Gobert et Vedel, qui fermaient les deux tiers de son armée, et d'attendre l'ennemi dans une position désavantageuse ; La première de ces fautes pouvait cependant devenir un moyen de succès décisif : le général Vedel arrivant au secours de son chef, avait mis en fuite le corps d'armée qui l'en séparait, après lui avoir enlevé quinze cents prisonniers, trois pièces de canon et deux drapeaux. Vains efforts ! Dupont a capitulé.... S'il est vrai que le désir de conserver des chariots remplis d'un butin immense, fut le motif de cet acte inouï dans les fastes de l'armée française, ses auteurs, trompés dans leur attente, obtinrent le seul prix qu'ils eussent mérité. La capitulation fut violée, eux dépouillés et livrés aux Anglais. Malheureusement de braves soldats, aussi incapables de trahison que de lâcheté, subirent le même destin. Quand l'empereur apprit cet événement, il s'écria : Des généraux français n'aiment pas mieux mourir que de signer que l'armée restituera les vases sacrés qu'elle a volés ! Je voudrais effacer cette honte de tout mon sang. Il fit aussitôt arrêter les généraux Dupont et Vedel, ainsi que l'officier supérieur Villontrey, qui avaient coopéré à la capitulation. Une enquête fut dirigée contre eux. Dupont fut rayé des contrôles de l'armée, dégradé de ses ordres, et emprisonné. Il était le seul coupable. Ce que l'on appelait en France le désastre de Baylen détruisit le prestige que la victoire avait attaché aux drapeaux français ; les Espagnols ressaisirent leurs armes, et se précipitèrent de toutes parts sur nos troupes étonnées. Huit jours s'étaient à peine écoulés depuis l'entrée de Joseph dans Madrid, qu'il se vit forcé d'abandonner cette ville. Les Français ne sont pas plus heureux en Portugal, mais du moins leur malheur n'est point entaché de la honte d'une capitulation de Baylen. Junot n'a que dix mille soldats ; il est attaqué, le 22 août, à Vimeiro, par vingt-six mille Anglo-portugais commandés par le marquis de Welesley, aujourd'hui Wellington. La victoire est indécise, mais le général français ne peut espérer de secours, et l'armée ennemie reçoit sans cesse de nouveaux renforts. Pour ne pas sacrifier le petit nombre de guerriers qui lui restent, il consent à traiter. L'armée française évacuera le Portugal, et des vaisseaux anglais la transporteront en France avec armes et bagages. Cette capitulation du moins ne fut pas violée. Napoléon ne pouvait voir avec indifférence le sort de son frère, et moins encore peut-être celui de l'armée qu'il lui avait confiée. Dans un message qui fut présenté au sénat, il s'exprimait ainsi : Je suis résolu à pousser les affaires d'Espagne avec la plus grande activité, et à détruire les armées que l'Angleterre débarquera dans ce pays... Mon alliance avec l'empereur de Russie ne laisse à l'Angleterre aucun espoir dans ses projets. Je crois à la paix du continent, mais je ne veux ni ne dois dépendre des faux calculs et des erreurs des autres cours ; et puisque mes voisins augmentent leurs armées, il est de mon devoir d'augmenter les miennes. Il demandait en conséquence une levée de cent soixante mille conscrits, et le sénat s'empressa de la voter. La France possédait alors douze armées, dont le total effectif se montait à plus de huit cent mille hommes. Le 11 septembre, l'empereur, en passant une revue, et au moment de partir pour Erfurth, adressa cette proclamation aux troupes qui devaient former son avant-garde. SOLDATS, Après avoir triomphé sur les bords du Danube et de la Vistule, vous avez traversé l'Allemagne à marches forcées : je vous fais aujourd'hui traverser la France sans vous donner un moment de repos. Soldats ! j'ai besoin de vous. La présence hideuse du léopard souille les continents de l'Espagne et du Portugal. Qu'à votre aspect il fuie épouvanté ! Portons nos aigles triomphantes jusqu'aux colonnes d'Hercule : là aussi nous avons des outrages à venger. Soldats ! vous avez surpassé la renommée des armées modernes, mais avez-vous égalé la gloire des armes de Rome, qui, dans une même campagne, triomphèrent sur le Rhin et sur l'Euphrate, en Illyrie et sur le Tage ? Parti de Paris le 29 octobre, l'empereur était le 7 novembre à Vittoria, où il trouva Joseph. Le premier engagement sérieux eut lieu à Gamonal, en avant de Burgos : retranchés dans une forte position, les Espagnols couvrent cette ville ; mais brusquement attaqués au centre par la division Mouton, qui s'avance au pas décharge, débordés à droite et à gauche par les corps des maréchaux Soult et Bessières, ils prennent la fuite, laissant sur le champ de bataille trois mille morts, trois mille prisonniers, deux drapeaux et vingt-cinq pièces de canon. Ils courent chercher une retraite dans les murs de Burgos. Les Français y entrent en même temps, et la ville est prise. On y trouva des laines pour une valeur de trente millions ; l'empereur les fit transporter à Bayonne. A l'armée d'Estramadure, battue à Burgos, succède l'armée de Galice, qui, vaincue à Durango, à Guènes, à Vulmaceda, est enfin détruite le 12, par le duc de Bellune, à la bataille d'Espinosa. Dix généraux, cinquante pièces de canon tombent en notre pouvoir ; vingt mille hommes sont pris, tués ou blessés. Les débris de cette armée tombent en fuyant dans la division du duc de Dalmatie, qui leur enlève canons, bagages et magasins. Des reconnaissances sont poussées sur Madrid. A Santander le duc de Dalmatie s'empare de plusieurs riches dépôts d'armes et de munitions anglaises. Le 23, le duc de Montebello atteint à Tudela, en avant de Tolède, l'armée ennemie forte de quarante-cinq mille hommes. Castanos la commande. Nos soldats sont de plus d'un tiers inférieurs en nombre ; mais ils brûlent d'effacer le souvenir de l'humiliation que les armes françaises ont subie à Baylen. Ils se précipitent : le centre de là ligne espagnole est enfoncé, la cavalerie du général Lefebvre y pénètre et enveloppe la droite, tandis que le général Lagrange culbute la gauche. Castanos s'enfuit en laissant quatre mille morts, trois mille prisonniers, trente pièces de canon et d'immenses magasins renfermés dans Tudela. Deux routes conduisent de Burgos à Madrid ; l'une, par Valladolid, est entièrement dégagée d'obstacles ; l'autre se trouve coupée à Sommo-Sierra par une redoute située entre deux montagnes escarpées ; les Espagnols la regardaient comme inexpugnable. L'empereur, qui veut frapper un grand coup sur leur imagination, ordonne à ses troupes d'enlever cette position. Douze mille hommes, commandés par Beni-San-Juan, et seize pièces de canon la défendent. L'artillerie engage le combat, mais ses effets ne répondent point à l'impatience de nos soldats. Les chevau-légers polonais et les chasseurs de la garde, commandés par l'intrépide Montbrun, s'élancent à travers une pluie de feu, sur des escarpements dont on eût cru que l'infanterie seule pouvait approcher. L'effet de cette brillante charge est aussi rapide que son exécution : les Espagnols se dispersent dans les montagnes, abandonnant artillerie, drapeaux, bagages et caisse militaire. Leur effroi est tel, et leur fuite si rapide, qu'ils disparaissent comme par enchantement. L'armée française arriva devant Madrid le 1er décembre, sans avoir rencontré l'ennemi depuis Sommo-Sierra. Le a elle célébra, sous les murs de cette capitale, l'anniversaire du couronnement de Napoléon. Bessières, en arrivant, avait fait sommer Madrid, envahie alors par soixante mille paysans rangés autour de cent pièces de canon répandues sur les remparts. Mais l'aide-de-camp chargé de la sommation avait failli être assassiné ; la veille, un officier d'artillerie, soupçonné d'avoir fait remplir les cartouches de sable, avait été coupé en morceaux. Instruit de ces circonstances, et désirant ménager la capitale du royaume qu'il avait donné à son frère, l'empereur passa la journée à reconnaître la ville. Le quartier-général fut établi à Champs Martin, dans une maison appartenant au duc de l'Infantado, l'un des généraux de l'insurrection. Le soir, Napoléon fit occuper les faubourgs par le général Maison, qui y trouva peu de résistance. A minuit, nouvelle sommation, avec menace de bombardement, Le général Castellao, président de la junte militaire qui gouvernait Madrid, demanda un délai pour se concerter avec ses collègues. Tandis qu'ils délibéraient, une colonne d'attaque se porta sur le Retiro, qui, bien que vaillamment défendu par quatre mille hommes, finit par être emporté d'assaut par un bataillon de voltigeurs. Il eût été facile de pénétrer de vive force dans la ville ; mais Napoléon voulait épargner aux habitants les horreurs d'une pareille attaque. Les sommations furent réitérées, et les assiégés commencèrent à dépaver la ville pour amortir l'action des bombes. Notre cavalerie légère ramassa une foule d'individus qui fuyaient les dangers que l'exaltation de leurs compatriotes allait attirer sur eux. Enfin le 5, à neuf heures du soir, le général Morla se présenta, député par les notables de la ville. Il annonçait avec douleur que la population persistait à se défendre, et il demanda un délai d'un jour pour calmer son effervescence. Napoléon s'irrita d'abord de cette proposition ; puis, passant tout à coup des intérêts généraux de Madrid à des particularités relatives an député, il rappela la capitulation du général Dupent : ... L'inhabileté, lui dit-il, et la lâcheté d'un général avaient mis en vos mains des troupes qui avaient capitulé sur le champ de bataille, et la capitulation a été violée. Vous, M. Morla, quelle lettre avez-vous écrite à ce général ? Il vous convenait bien de parler de pillage, vous qui, étant entré en Roussillon, avez enlevé toutes les femmes et les avez partagées comme un butin entre vos soldats !... Violer les traités militaires c'est renoncer à toute civilisation, c'est se mettre sur la même ligne que les Bédouins du désert. Comment donc osez-vous demander une capitulation, vous qui avez violé celle de Baylen ?... J'avais une flotte à Cadix ; elle était l'alliée de l'Espagne, et vous avez dirigé contre elle les mortiers de la ville où vous commandiez. J'avais une armée espagnole dans mes rangs (celle de la Romana), j'ai mieux aimé la voir passer sur les vaisseaux anglais, et être obligé de la précipiter du haut des rochers d'Espinosa, que de la désarmer. J'ai préféré avoir sept mille hommes de plus à combattre que de manquer à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à Madrid. Je vous donne jusqu'à demain six heures du matin. Revenez alors, si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il s'est soumis ; sinon, vous et vos troupes serez tous passés par les armes. Le lendemain à l'heure indiquée nos troupes entrèrent dans Madrid. Un pardon général ramena la paix et la sérénité parmi les habitants de cette ville, qui avait eu plus à souffrir des Espagnols que des Français. Ceux qui voulurent s'éloigner, avec leurs biens et leurs armes, eurent la liberté de le faire. Napoléon par un sentiment de convenance qu'il est facile de s'expliquer, ne voulut point entrer en vainqueur dans la capitale du royaume de son frère. Le soin d'occuper Madrid fut confié au corps d'armée du maréchal Lefebvre. Les troupes campèrent autour de Champ-Martin, séjour de l'empereur. Cette journée du 4 décembre fut consacrée par un grand acte politique. Alors parut le décret qui abolissait l'inquisition. Ce tribunal de sang, dont le nom seul réveille l'idée de toutes les horreurs, étendait encore sa mystérieuse omnipotence sur l'Espagne, et, de là, bravait les nations civilisées. On brisa l'instrument sacré des tortures ; des milliers de victimes furent rendues mutilées à leurs familles, et pour la première fois, la lumière du jour pénétra dans ces cachots où les ténèbres dérobaient au juge sa propre férocité. Tous les amis de l'humanité applaudirent à cette mesure réparatrice ; mais la populace espagnole en reçut le bienfait avec une rage secrète ; ses moines l'avaient accoutumée à ne voir la religion qu'un poignard à la main. Le même jour un second décret réduisit au tiers le nombre des couvents, et affecta leurs biens, partie à l'augmentation du traitement des curés, partie à la dette publique et aux dépenses d'utilité générale. Deux autres décrets portent la même date : l'un destituait les membres du conseil de Castille, qui, après avoir reconnu les droits de l'empereur, s'étaient traîtreusement tournés contre son frère ; l'autre mettait hors de la loi le duc de l'Infantado et quelques autres grands d'Espagne, violateurs perfides du serment de Bayonne. L'abolition des douanes de province à province, l'anéantissement des droits féodaux, l'ordre d'organiser immédiatement une cour dé cassation, signalèrent la présence de Napoléon dans l'intérieur de la Péninsule. Le guerrier se reposait dans les soins du législateur. Il semblait ne vouloir faire sentir aux Espagnols le tort d'une résistance aveugle, qu'en leur donnant des institutions. C'était une noble vengeance. L'attitude bienveillante des troupes françaises avait calmé les inquiétudes des habitants de Madrid. Une proclamation acheva de les rassurer. Madrid reprit son aspect accoutumé ; le cours des affaires recommença comme en pleine paix. Les théâtres furent rouverts, et le flegmatique Espagnol put, chaque soir, se délecter à la danse nationale du fandango, qu'il ne se lasse pas de revoir, entre chaque pièce, toujours sur le même air, avec les mêmes figures, et le même costume. Napoléon ne vint qu'une seule fois visiter Madrid, et encore garda-t-il le plus strict incognito. A Madrid, Napoléon renouvela le mémorable exemple de clémence qu'il avait donné dans Berlin. Parmi ceux qui avaient disputé avec le plus d'acharnement, aux Français, l'entrée de la capitale, se trouvait le marquis de Saint-Simon, Français lui-même, et au service de l'Espagne depuis le commencement de l'émigration. Retranché vers la porte de Fuencarral, il avait fait un feu meurtrier sur nos troupes, même après la capitulation. Obligé de se rendre, M. de Saint-Simon se vit traduit devant une commission militaire qui le condamna à être fusillé. Il allait périr, lorsque sa fille se présenta devant l'empereur et vint implorer sa pitié. Cette démarche fut couronnée d'un plein succès : Napoléon accorda aux vertus de la fille la grâce du père. La capitulation de l'importante place de Roses, qui se rendit le 6 aux armes du général Gouvion-Saint-Cyr, avait achevé de soumettre toute l'Espagne septentrionale. Cependant Joseph ne faisait aucune disposition pour rentrer dans sa capitale. C'est pour hâter sa présence qu'une députation des habitants se présenta devant l'empereur, qui répondit : Les Bourbons ne peuvent plus régner en Europe. Les divisions dans la famille royale avaient été tramées par les Anglais. Ce n'était pas le roi Charles et le favori que le duc de l'Infantado, instrument de l'Angleterre, comme le prouvent les papiers trouvés dans sa maison, voulait renverser du trône : c'était la prépondérance de l'Angleterre qu'on voulait établir en Espagne.... La génération présente pourra varier dans ses opinions : trop de passions ont été mises en jeu. Mais vos neveux me remercieront comme leur régénérateur ; ils placeront au nombre des jours mémorables, ceux où j'ai paru parmi vous, et de ces jours datera la prospérité de l'Espagne. Les mouvements des divers corps d'armée avaient continué ; de Madrid, Napoléon dirigeait tout : le duc de Bellune à Tolède, le duc de Dantzick à Talavera de la Reyna, le général Saint-Cyr à Barcelone, suivaient les impulsions de son génie. Cependant on savait qu'une armée anglaise venait de débarquer à la Corogne, et qu'elle s'était grossie des débris des armées espagnoles. L'empereur ne se pressa point de marcher à sa rencontre ; il voulait laisser s'engager dans l'intérieur ces ennemis avec lesquels depuis si longtemps il brûlait de se mesurer. Les Anglais, sous la conduite des généraux Moore et Baird, s'avancèrent assez rapidement jusqu'à Salamanque. Arrivés dans cette ville, ils montrèrent plus d'hésitation ; durant plusieurs jours, leur année resta stationnaire. Enfin, on reçut la nouvelle que le 15 ils avaient passé le Duero, et que leur cavalerie s'était avancée jusqu'à Valladolid. Aussitôt l'ordre fut donné aux troupes campées à Madrid de se préparer à marcher ; l'empereur se mit à leur tête, et le 22 décembre toute l'armée fut en mouvement. Le soir même, les Français arrivèrent an pied de ht Guadarrama, montagne élevée, d'une longue traversée et couverte de verglas. Les difficultés du passage rebutaient l'artillerie et la cavalerie ; Napoléon à pied se mit à la tête des différentes colonnes, et par son exemple il ranima l'énergie du soldat. On employa deux jours, par une tourmente affreuse, à franchir ce pas difficile. Dès que les Anglais furent avertis de l'approche de l'empereur, ils s'empressèrent de rétrograder, comme saisis d'une terreur panique. Le temps que nous avions perdu au passage de la Guadarrama favorisa leur retraite. Pour plus de sécurité, ils rompirent le pont de l'Esla. Napoléon était si impatient de les joindre qu'il fit traverser la rivière à ses troupes par un gué dangereux qu'on découvrit après plusieurs sondes infructueuses. Malgré la rapidité de sa course, il ne trouva les insulaires ni à Bénévent ni à Astorga. Notre cavalerie seule eut la satisfaction d'atteindre leur arrière garde et de la battre dans toutes les rencontres. L'empereur n'alla point au-delà de Valladolid : peu jaloux de poursuivre un ennemi qui n'osait l'attendre, il se reposa sur ses lieutenants du soin d'achever la victoire. Le maréchal Soult remplit dignement cette mission. Les Anglais, après avoir perdu dans leur retraite près de neuf mille hommes, dix mille chevaux, leur artillerie, leurs magasins et leur caisse militaire, se crurent trop heureux de gagner, à la faveur des ténèbres, le port de la Corogne ; leur dessein était de se rembarquer. Ne trouvant point de vaisseaux pour les recevoir, ils se virent dans la nécessité de faire les dispositions de défense : le seul point qui rende la Corogne accessible fut hérissé de fortifications. Soult triompha de leurs précautions. Les Français attaquèrent cette position formidable le 16 janvier 1809, à deux heures après midi ; on se battit avec acharnement de part et d'autre ; la lutte fut opiniâtre, et l'obscurité de la nuit y mit seule fin. Le général Moore resta sur le champ de bataille avec deux mille cinq cents des siens ; le général Baird eut un bras emporté. Le commandement de l'armée anglaise passa entre les mains du général Hope, qui n'attendit pas le jour pour la faire embarquer. Cependant l'Autriche, enhardie par la diversion de la Péninsule, commençait à prendre une attitude hostile. Napoléon, informé des préparatifs qu'elle faisait, partit tout à coup de Valladolid le 17 janvier, et le 23 du même mois il était déjà aux Tuileries. |