SOMMAIRE : Troisième coalition contre la France. — Napoléon propose la paix à l'Angleterre. — Lever de boucliers de l'Autriche. Campagne d'Austerlitz. — Fuite des Russes. — Paix et traité de Presbourg. — Retour de Napoléon. — Scènes d'enthousiasme. — Comment il gouverne. — Les puissances de l'Europe le reconnaissent. — Ils reconnaissent les dynasties créées par lui. — Trahison du roi de Naples. — Il est remplacé par Joseph Bonaparte. — Mort de Pitt. — Fox lui succède. — Espoir de la paix promptement déçu.1805.Le trône impérial était à peine élevé que Napoléon appela à se grouper autour de lui tous les éléments aristocratiques ; il repêcha dans leur obscurité tous les grands noms de la vieille monarchie, et tira du néant où elles étaient restées depuis que la révolution avait réduit les hommes à l'importance de leur valeur réelle, les familles qui avaient fait le lustre de l'ancienne cour. Il eut des chambellans et des pages, et tout un entourage de seigneurs valets, pour l'aduler bassement en attendant un autre maître. Le peuple, qui avait maudit la royauté, ne prévoyait pas que celle-ci finirait aussi par méconnaître tous ses droits. Napoléon n'eut pas plutôt posé la couronne sur son front, qu'il imagina que les rois, dans la confrérie desquels il venait d'entrer, en seraient plus disposés à accueillir favorablement ses propositions, et comme pour l'affermissement de sa nouvelle puissance, la paix lui était nécessaire, il écrivit pour la seconde fois au roi d'Angleterre : Je n'attache pas de déshonneur à faire le premier pas... j'ai assez je pense, prouvé au monde que je ne redoute aucune des chances de la guerre... La paix est le vœu de mon cœur, mais jamais la guerre n'a été contraire à ma gloire... Je conjure votre majesté de ne pas se refuser au bonheur de donner la paix au monde.... Une coalition ne fera jamais qu'accroître la prépondérance et la grandeur continentale de la France... Cette lettre ne produisit aucun résultat ; l'empire, à l'ombre de ses victoires, pouvait prendre, dans le repos intérieur, un accroissement de prospérité et de forces dont la perspective effrayait les Anglais. Aussi, bien loin de prêter l'oreille aux ouvertures pacifiques de Napoléon, ils intriguaient avec plus d'ardeur que jamais pour lui susciter de nouveaux ennemis. Leurs machinations ne tardèrent pas à porter des fruits. La Russie s'était engagée, par un traité secret avec le cabinet de Londres, à faire avancer cent quatre vingt mille hommes pour enlever aux Français les avantages de leurs conquêtes. La Suède était entrée dans cette alliance, et l'Autriche, après quelques hésitations, crut y trouver une garantie contre les empiétements de la France. Au commencement de septembre l'archiduc Ferdinand se met à la tête de quatre-vingt mille soldats ; et, sans déclaration de guerre, envahit la Bavière ; trente mille hommes, sous les ordres de l'archiduc Jean, prennent position dans les montagnes du Tyrol, et cent mille combattants marchent sur l'Adige avec l'archiduc Charles. La cour de Prusse garde seule encore la neutralité ; mais le tombeau du grand Frédéric à Postdam reçoit les serments de sa haine contre les Français, et notre premier revers deviendra pour elle le signal des hostilités. Les circonstances diplomatiques qui accompagnèrent l'invasion de la Bavière méritent d'être rapportées. L'empereur François écrivit d'abord à l'électeur palatin une lettre affectueuse pour l'engager à entrer dans la coalition ; le prince bavarois lui fit une réponse évasive, en insistant sur ce que son fils, alors en France, était au pouvoir de Napoléon. Nouvelle missive de l'Autrichien, mais cette fois impérieuse et menaçante. Blessé de ce langage, l'électeur n'hésita plus à mettre ses vrais sentiments à découvert : Je conserverai l'espoir, mandait-il sans détour à François, que V. M. I. épargnera à des provinces malheureuses l'horreur d'une guerre dont elles n'ont déjà que trop souffert, au moment où les plaies des anciennes hostilités saignent encore. Je dois à mes infortunés sujets, je me dois à moi-même de ne pas prodiguer leur sang pour des discussions qui leur sont étrangères, et contre un gouvernement qui ne leur a fait aucune injure : c'était le motif originaire de la neutralité absolue et complète que j'avais réclamée auprès de V. M. I. Tout me porte à adhérer inviolablement à ce parti. Durant ces négociations les troupes autrichiennes violaient le territoire bavarois. L'électeur prit le parti de se retirer à Wurtzbourg avec son armée, laissant le champ libre aux puissances belligérantes. Napoléon était au camp de Boulogne lorsqu'il apprit l'outrage fait à son allié, et les mouvements non équivoques de la coalition. A la nouvelle des hostilités commencées par l'Autriche, il fit un appel aux anciens militaires, et aux gardes nationales des départements voisins des côtes maritimes et des frontières du Rhin : tous répondirent à cet appel avec enthousiasme. Les troupes du camp de Boulogne, rappelées en toute hâte, traversèrent la France avec allégresse, passèrent le Rhin, et se réunirent au corps d'armée venu de Hollande, et commandé par le maréchal Bernadotte, qui avait aussi sous ses ordres l'armée bavaroise. Les maréchaux Soult, Davoust, Ney, Lannes commandaient chacun un corps d'armée ; le maréchal Murat commandait la cavalerie, le maréchal Bessières, la garde impériale ; ils avaient sous leurs ordres les généraux Suchet, Marmont, Rivaud, Drouet, Kellermann, Eblé, Wrède, Deroi, Oudinot, Dupont, Loison, Malher, Baraguay-d'Hilliers, Vandamme, Legrand, Saint -Hilaire, Friant, Gudin, Boursier, Duroc, Caffarelli, Claparède, Rapp. Le premier octobre, l'empereur se mit à la tête de la grande armée, la conduisit sur les rives du Danube, tourna les positions de l'armée ennemie, eut avec elle des engagements partiels à Werlingen, Guntzburg, Memmingen, entra dans Munich le 12 octobre, passa le pont d'Elchingen défendu par quinze mille Autrichiens, força, par des manœuvres habiles, le général Mack à s'enfermer dans Ulm avec trente mille hommes, et à lui livrer la place le 17 octobre. C'est là que Napoléon fit celte réponse à un colonel autrichien, étonné de le voir trempé par la pluie : Si votre maître a voulu me faire souvenir que j'étais un soldat, il conviendra, j'espère, que le trône, et la pourpre impériale ne m'ont pas fait oublier mon premier métier. Il poursuivit ensuite, les débris des colonnes ennemies, et détruisit en quinze jours une armée de cent mille hommes, sans avoir livré une seule bataille. Dans ce court espace de temps, il fit soixante mille prisonniers, dont vingt-neuf officiers généraux et deux mille officiers inférieurs ; il s'empara de deux cents pièces de canon et de quatre-vingt-dix drapeaux. De si brillants résultats dus aux savantes combinaisons de l'empereur et à la bravoure de ses soldats, ne coûtèrent à la grande armée que deux mille hommes tués ou mis hors de combat. L'archiduc Ferdinand, réduit à la moitié de son armée, opérait une retraite précipitée. La cavalerie de Murat l'atr teignit dans sa marche près de Nuremberg, et lui enleva dix-huit mille hommes, plusieurs généraux, cinquante canons et quinze cents caissons. Même succès à Lowers, Amstetten, Marienzell, Prassling, Lintz et Insprück. Nous ne nous arrêterons plus, avait dit Napoléon eg. ouvrant la campagne, que nous n'ayons assuré l'indépendance du corps germanique, secouru nos alliés, et confondu l'orgueil de nos injustes agresseurs. Nous ne ferons plus de paix sans garantie ; notre générosité ne trompera plus notre politique. Ces paroles étaient l'annonce d'une course triomphale. Pendant qu'en Italie Masséna, à la tête de quarante mille hommes, franchissait l'Adige, la Brenta, la Piave, le Tagliamento, l'Izonzo, et achevait de mettre les Autrichiens en déroute à Castel-Franco, de son côté Napoléon, après avoir passé l'Inn, se précipitait sur l'arrière-garde des Russes, qui accouraient au secours de l'Autriche, et, vainqueur sur tous les points, il faisait le i3 novembre son entrée solennelle à Vienne. L'empereur d'Autriche voyait ses plans renversés. Son intention avait été de placer en Italie le principal théâtre de la guerre ; la marche rapide des troupes françaises le forçait non-seulement à quitter sa capitale, mais encore à se jeter dans la Bohême avec les débris de ses armées. Napoléon ne tarda pas à l'y suivre. Vienne ne le retint qu'un moment. Le 19, il chassait les Russes de Brunn et établissait son quartier-général à Wischau. Mais tant de succès ne rendaient pas sa situation moins critique ; il se trouvait au centre de la Moravie, opérant sur un espace de quatre-vingt-dix lieues contre des forces numériques supérieures aux siennes, à gauche ayant à contenir la Bohême, à droite la Hongrie. Les victoires de Masséna et de Gouvion-Saint-Cyr firent disparaître les embarras de sa position : l'armée d'Italie, se frayant un chemin par le fer, rejoignit le 29 à Klangenfurt l'armée d'Allemagne, et une victoire, rendue facile par de savantes combinaisons, signala leur jonction. Sur ces entrefaites une seconde armée russe venait au secours de la première ; le général Kutuzow, après avoir reçu ce renfort, concentra ses troupes dans des positions formidables, dont le village d'Austerlitz était la clé. Là il semblait méditer une vengeance éclatante, lorsque l'envoyé de Prusse, Haugwitz, se présenta devant Napoléon, sans doute pour lui signifier les intentions peu amicales de son souverain. L'empereur ne lui laissa pas le temps de s'expliquer ; il lui dit, en montrant les lignes ennemies : C'est une bataille qui s'annonce, je les battrai ; ne me dites rien aujourd'hui, je ne veux rien savoir ; allez attendre à Vienne l'issue de cette affaire. Napoléon ne pouvait engager que soixante-dix mille hommes dans l'action qui se préparait ; il avait en face cent mille combattants sous les ordres de Kutuzow et de l'archiduc Charles ; malgré cette disproportion numérique, en voyant les mouvements de concentration qu'ils opéraient pour tourner la droite des Français, il s'écria d'un ton inspiré : Avant demain au soir, cette armée est à moi ! La veille de la bataille, il se passa un événement qui dut bien convaincre l'empereur de l'attachement de ses soldats. A l'entrée de la nuit, une illumination soudaine dessina toute la ligne française ; et le camp retentit d'acclamations d'enthousiasme. C'était l'anniversaire du couronnement que l'armée célébrait par cette fête spontanée. Enfin se leva le soleil du 2 décembre. L'ennemi demeure immobile dans ses positions ; mais l'empereur saura bien l'attirer au combat par les séductions de la victoire. Il fait battre en retraite pendant trois heures, comme effrayé de s'être avancé avec tant d'imprudence ; les Français reculent dans un désordre apparent jusqu'à une position dont quelques jours auparavant leur chef avait calculé les avantages. Les généraux ennemis veulent profiter de ce mouvement ; ils dirigent précipitamment leurs masses vers le centre de l'armée française pour l'écraser et dans l'espoir de séparer ses deux ailes. Mais c'est là que se trouve la principale force de Napoléon. Le choc est terrible ; la garde impériale russe se mesure pour la première fois avec la garde impériale française. Après des efforts héroïques de part et d'autre, l'avantage se décide en faveur des Français ; les Russes fléchissent, cèdent, se débandent, et bientôt notre cavalerie pousse devant elle leurs masses enfoncées. Aux ailes la fortune ne nous était pas moins favorable : Lannes et Murat à la droite, Soult à la gauche, se signalent par des prodiges de valeur ; sur tous les points l'ennemi recule. Les positions de Pratzen, de Sokolnitz et de Telnitz sont enlevées de vive force ; les troupes coalisées précipitent leur fuite ; leur déroute est telle que six mille hommes se noient en traversant l'étang de Sokolnitz. Plusieurs colonnes ennemies étaient acculées à des lacs dont l'hiver avait congelé la surface : le désir d'échapper les enhardit à s'aventurer par cette voie dangereuse ; mais la glace ne peut soutenir ce poids énorme d'hommes, d'artillerie, de bagages ; elle rompt, et le lac d'Augezeld engloutit vingt mille hommes avec le matériel qui les accompagnait ; une autre colonne disparaît tout entière dans les eaux du lac Monitz. Notre réserve, forte de vingt mille soldats, n'eut pas besoin de donner ; l'armée ennemie, vaincue par de savantes manœuvres, était en pleine déroule avant la nuit ; ce qui échappa ne dut son salut qu'à la protection des ténèbres. Telle fut la bataille d'Austerlitz, que la présence de Napoléon, d'Alexandre et de François sur le théâtre de l'action, fit aussi nommer la Bataille des trois Empereurs. Dans cette journée, les alliés comptèrent plus de quarante mille hommes tués ou mis hors de combat ; quinze généraux et plus de quatre cents officiers russes furent faits prisonniers ; l'intrépide Rapp, commandant des chasseurs et grenadiers à cheval de la garde, blessa et fit prisonnier le prince Repnin, l'un des officiers supérieurs de la garde russe. La perte des Français fut évaluée à deux mille morts et cinq mille blessés : vingt mille soldats formant la réserve n'avaient pas brûlé une amorce. Quarante drapeaux, les étendards de la garde impériale de Russie, cent vingt pièces de canon furent les trophées de cette victoire mémorable. Toute l'armée française avait fait son devoir ; Bonaparte, au milieu des élans de sa reconnaissance, s'écria : Il faudrait une puissance encore plus grande que la mienne pour récompenser dignement tous ces braves. Des secours pour les veuves et les enfants des blessés et des morts furent décrétés ; Napoléon annonça qu'une fête solennelle consacrerait tous les ans le souvenir dé la bataille d'Austerlitz : chaque corps de l'armée devait y être représenté : Vous avez vu votre empereur partager vos périls et vos fatigues ; je veux aussi que vous veniez le voir entouré de la grandeur et de la splendeur qui appartiennent au souverain du premier peuple de l'univers. Le résultat immédiat de la bataille d'Austerlitz fut 'de raffermir la Prusse dans une neutralité jusque-là douteuse ; là victoire fit cesser les incertitudes de cette cour, et M. de Hangwïtz s'empressa de venir présenter à Napoléon les félicitations de son maître : Voilà, dit en souriant l'empereur, un compliment dont la fortune a changé l'adresse. Cependant les mouvements de l'armée française ne s'étaient point ralentis : elle manœuvra pendant quelques jours autour de l'armée austro-russe, qui se vît bientôt enveloppée de toutes parts. Alexandre et François étaient en péril d'être faits prisonniers. A la vue d’un danger aussi imminent, l'empereur d'Autriche sentit s'évanouir ses dispositions belliqueuses ; le 24 décembre il arriva lui-même au camp des Français. Napoléon le reçut à son bivouac : Je n'habite pas d'autre palais depuis six mois, lui dit-il. — Vous savez si bien tirer parti de cette habitation, répondit François, qu'elle doit vous plaire. Un généreux armistice fut accordé. Les Russes obtinrent îa faveur de se retirer des états autrichiens par journées d'étape à travers les monts Krapacks. Alexandre s'éloigna précipitamment du théâtre des négociations, et une fois rentré dans les limites de son empire, il ne se crut pas astreint à donner son assentiment aux clauses du traité 8e paix, qui fut signe à Presbourg lé 26 décembre. Par ce traité l'Autriche reconnaissait Napoléon comme roi d'Italie et lui cédait les états de Venise, la Dalmatie et l'Albanie. La principauté d'Ausbourg, le Tyrol, la Souabe autrichienne furent partagés entre l'électeur de Bavière, les ducs de Wurtemberg et de Bade. Le titre de roi récompensa la fidélité des deux premiers. Après avoir ainsi écrasé d'un coup de massue la troisième
coalition, Bonaparte revint en France. Jamais il n'y avait été accueilli avec
autant d'enthousiasme. C'était du délire. Sa roule, de la frontière à Paris,
était couverte d'arcs de triomphe, autour desquels se pressait une immense
population, avide de contempler ses traits. Cette fois, les préfets, en
épuisant dans les harangues et inscriptions en son honneur toutes les formes
de l'hyperboles, se montrèrent les organes de l'opinion publique. Paris, on
le pense bien, ne resta pas en arrière des départements. Les autorités
civiles, savantes, religieuses, disputèrent d'éloquence adulatrice, ce fut
une véritable apothéose ; et si dès ce moment Napoléon ne se crut pas un
dieu, ce ne fut pas la faute des fonctionnaires de l'époque. Les arts aussi,
et ceux qui en avaient la direction firent fumer leur encens, et ils ne s'en
acquittèrent pas toujours avec un sentiment de dignité convenable : le fait
suivant en fournit la preuve. Peu de jours après son retour, l'empereur étant
à Saint-Cloud, le directeur du cabinet des médailles vint présenter à
Napoléon celles qu'il avait préparées pour perpétuer le souvenir de la
mémorable campagne d'Austerlitz. A chacune de ces médailles, surchargées
d'inscriptions fastueuses, l'empereur faisait un mouvement d'impatience ;
mais lorsqu'il en vit une qui représentait d'un côté la tête de Napoléon, de
l'autre un aigle étouffant un léopard, il ne put se contenir : Qu'est-ce à dire ? s'écria-t-il. — Sire, répondit le directeur, c'est l'aigle française étouffant dans ses serres le
léopard, l'un des attributs de l'Angleterre.... Napoléon lança avec
force cette médaille dans la cheminée, en s'écriant avec l'accent d'une noble
indignation : Vil flatteur ! comment osez-vous dire
que l'aigle étouffe le léopard, quand je ne puis mettre à la mer un seul
petit bateau pêcheur que les Anglais ne s'en emparent ! C'est bien plutôt le
léopard qui étouffe l'aigle française Faites fondre tout de suite cette
médaille, et ne m'en présentez jamais de pareilles !.... Au sujet
d'une autre également fastueuse, et spécialement relative à la bataille
d'Austerlitz, il dit : Mettez seulement d'un côté la
bataille d'Austerlitz, et de l'autre les aigles française, autrichienne et
russe : la postérité saura bien distinguer le vainqueur. Ce même tact des convenances lui dicta sa réponse au général Kellermann, organe d'une réunion de citoyens qui demandaient l'autorisation d'élever à leurs frais un monument à sa gloire : Je veux le mériter par ma vie entière : m'en élève qui voudra quand je ne serai plus. Plus tard il changea d'avis. Il ne faut pas cependant lui reprocher de s'être élevé un monument en plaçant sa statue sur la colonne de la place Vendôme ; sa première intention était qu'elle fût surmontée d'une statue de la paix ; mais les courtisans ne lui permirent pas de la réaliser. Il fallait des aliments à l'activité continuelle du génie de Napoléon. Sans détourner ses regards des champs étrangers où fermentaient les germes de nouveaux combats, il donnait à la France une foule d'établissements utiles et d'institutions nécessaires. Dans cette seule année, soixante-cinq nouvelles fontaines versèrent leurs eaux à la capitale ; le Conseil d'état lut organisé, le Code de procédure civile fut promulgué, l'Université impériale fut fondée. Il voulait qu'elle travaillât à agrandir et régulariser la sphère des études ; à les rendre fortes et complètes : mais il eut le malheur de lui donner pour grand-maître, Fontanes, qui n'avait que les qualités d'un beau parleur, de l'esprit de salon et point de science. L'Université devint ce qu'elle est encore aujourd'hui entre les mains de nos doctrinaires ; un étouffoir. Les résultats de la courte et glorieuse campagne d'Austerlitz avaient été d'un avantage immense pour la France. L'empire d'Allemagne n'existait plus, et la plupart des petits états qui l'avaient composé, organisés en confédération du Rhin, sous le protectorat de l'empereur, étaient devenus, en réalité, portion intégrante du territoire français. L'autocrate russe, humilié, paraissait aussi désireux de conserver la paix qu'il avait montré d'empressement pour la guerre. Toutes les cours de l'Europe, excepté l'Angleterre, s'étaient vues forcées de reconnaître la légitimité d'un empire fondé par la victoire. Le roi de Prusse, qui, pendant la lutte de la France contre l'Autriche et la Russie, s'était engagé à nous faire la guerre, au moment même où il redoublait ses protestations d'amitié, évita le châtiment de sa déloyauté, en venant de lui-même se mettre à la discrétion du vainqueur. Le margraviat d'Anspach, qui servit à doter l'un des nouveaux souverains, le grand duché de Berg, que Murat reçut à litre de récompense, et la principauté de Neufchâtel, qui fut donnée à Berthier, furent les seuls sacrifices exigés du monarque prussien, à qui un traité d'échange imposa en outre l'obligation de fermer aux Anglais les ports de l'Elbe et du Weser. Le roi de Naples, qui, deux mois auparavant, avait juré de garder la neutralité, était aussi entré dans la coalition ; il avait reçu les Anglo-Russes et son armée se disposait à marcher avec eux pour envahir l'Italie. C'était la quatrième fois que ce prince violait ainsi ses serments. Napoléon, las d'opposer la clémence au parjure, ne balança plus à tirer une vengeance éclatante d'un ennemi qui avait méconnu le bienfait du pardon. Il annonça hautement, par une proclamation datée de Schœnbrunn, qu'il était dans l'intention de renverser le trône de Naples. Il fut bientôt en mesure de réaliser ce projet. Dès les premiers jours de janvier, une armée française de cinquante mille hommes destinés à entreprendre la conquête des Deux-Siciles, se mit en mouvement. Joseph Napoléon, en l'absence de son frère, la commandait avec le titre de généralissime, et le maréchal Masséna en dirigeait les opérations : elles furent conduites avec la plus grande rapidité. A peine nos avant-gardes eurent-elles pénétré sur le territoire napolitain, que les troupes de la coalition abandonnèrent les frontières et regagnèrent leurs vaisseaux, en évitant de traverser la capitale du royaume, dans la crainte d'y trouver la population insurgée contre elles. Leur retraite occasionna la dispersion des milices nationales nouvellement levées. Les troupes réglées, peu nombreuses, restèrent seules fidèles à leurs drapeaux. Elles furent réparties dans les forts de Naples et dans les places les plus importantes de la Pouille ; mais ces préparatifs de défense étaient insuffisants pour rassurer la cour. Le roi Ferdinand, après avoir vainement employé les supplications, afin de conjurer l'orage prêt à fondre sur lui, ne songea plus qu'à chercher un refuge. Le 23 janvier, il s'embarqua et fit voile pour Palerme, laissant à son fils aîné des pouvoirs illimités. Ce jeune prince et la reine sa mère firent tous leurs efforts pour organiser la résistance ; ils armèrent les lazzaronis, et parurent vouloir se mettre à leur tête, tandis que quelques affidés de la couronne essayaient de soulever les provinces. La nouvelle de ces tentatives hâta la marche des Français. L'armée de Joseph, divisée en trois corps, passa le Garigliano le 8 février, et quatre jours après, Naples, Capoue, et Pescara avaient ouvert leurs portes. Joseph fit le surlendemain son entrée dans la première de ces villes, d'où la reine s'était enfuie, emportant avec elle tout l'argent des caisses publiques, et les effets précieux des palais. On trouva dans l'arsenal deux cents pièces de canon, deux cents milliers de poudre, et dans le port plusieurs navires richement chargés. Les habitants, à l'aspect de nos aigles, rendirent grâces au ciel de les avoir délivrés de l'odieuse tyrannie qui pesait sur eux. Jamais nos drapeaux ne furent salués par les acclamations d'une joie plus sincère. Cependant on apprit bientôt que le prince royal venait de rassembler dans la Calabre une armée de vingt mille hommes, presque entièrement composée de malfaiteurs, à qui l'on avait promis l'impunité de leurs crimes et le pillage de la capitale. Le général Reynier, à la tête d'un corps, se porta à la rencontre de cette réunion de brigands, l'atteignit à Campo-Tenese le 9 mars, l'attaqua dans son camp retranché, enleva ses redoutes, la défit et la dispersa. Deux mille prisonniers tombèrent en notre pouvoir ; le reste de cette multitude se jeta dans les montagnes en se dirigeant vers le rivage, où, par un prompt embarquement, elle se déroba à la poursuite. Cette victoire était décisive : Napoléon, en ayant appris la nouvelle, annonça qu'il conférait le titre et la dignité de roi de Naples à son frère Joseph. Ce prince reçut, le 13 avril, à Bagnara, le sénatus-consulte qui l'élevait sur le trône. Aussitôt il se fit proclamer, et partit pour visiter les provinces méridionales de son royaume. Un mois après, il rentra à Naples, où le peuple laissa éclater les mêmes transports de joie qui l'avaient partout accueilli sur son passage. Les Napolitains bénissaient le retour de la paix ; mais ils n'en jouirent pas complètement. Les Anglais, qui continuaient de diriger les résolutions de la cour de Païenne, firent de la Calabre une autre Vendée. Ce pays fut l'affreux repaire où ils apportèrent encore une fois tous les bandits siciliens : le cabinet britannique eut tout lieu d'être satisfait de la conduite de ces dignes auxiliaires. Cependant, ce n'était pas assez pour lui d'entretenir l'incendie dans cette partie du continent, il nous suscita en même temps de nouveaux ennemis dans le nord. Pitt, le plus implacable adversaire de notre révolution, était mort, emportant avec lui dans la tombe le regret d'avoir échoué dans toutes ses combinaisons. Fox, depuis longtemps l'âme de l'opposition, lui avait succédé. Ce nouveau ministre, suivant un système bien différent de celui de son prédécesseur, montrait des dispositions pacifiques, et l'on commençait à croire à la possibilité d'un rapprochement entre la France et l'Angleterre. Le prodigieux accroissement de la puissance de Napoléon, et sa grande influence sur le continent, ne paraissaient pas même y mettre obstacle ; et quoique, par un nouvel attentat contre la liberté des peuples, l'empereur vînt d'imposer un souverain à la Hollande, dans la personne de Louis Bonaparte, son troisième frère, et qu'il se fût arrogé le protectorat de la confédération du Rhin, en obligeant François II de renoncer à l'héritage de Charles-Quint, des négociations, entamées en février 1806, n'avaient point été interrompues. Déjà, de part et d'autre, les bases du traité avaient été posées et acceptées, et tout annonçait l'heureuse issue de ces préliminaires, lorsque Fox fut atteint d'une maladie grave. Cet événement laissa un champ libre aux partisans de la guerre. Lord Yarmouth, qui, en sa qualité de plénipotentiaire de la Grande-Bretagne, secondait les vues de Fox, fut tout à coup rappelé à Londres, et remplacé par lord Lauderdale, dont la mission était de prolonger les conférences, de manière à voiler aussi longtemps qu'il serait nécessaire les manœuvres du gouvernement britannique, pour renouer un plan offensif. On travaillait sourdement à former une quatrième coalition, les éléments en furent promptement rassemblés. De toutes les puissances que l'on sollicita d'y entrer, l'Autriche, dont les plaies étaient encore saignantes, la Porte Ottomane et le Danemark furent les seules qui refusèrent leur participation. Le Danemark devait plus tard être puni de sa neutralité par l'incendie de Copenhague et par la perte de la Norvège. La Suède avait depuis longtemps une attitude hostile. La Russie qui, malgré sa défaite à Austerlitz, avait renouvelé ses agressions, rejetait un accommodement qu'elle avait elle-même provoqué ; et son empereur, oubliant la générosité de Napoléon, qui avait pu le faire prisonnier à celte fameuse journée, se préparait à rentrer en lice. La Prusse, à qui l'occupation du Hanovre et une prétendue guerre contre la Suède avaient fourni le prétexte de nombreux armements, les tourna subitement contre nous. Les troupes de la Hesse, de la Saxe et des duchés du nord de l'Allemagne, marchaient sous ses étendards. La mort du ministre Fox, qui eut lieu à cette époque, avait pu seule déterminer cette immense levée de boucliers. Le cabinet de Londres, n'ayant plus alors besoin de dissimuler ses véritables intentions, rappela brusquement lord Lauderdale : Cet ambassadeur arriva de Paris à Boulogne la nuit même où ses compatriotes bombardaient ce port, rendu neutre pour l'échange des courriers, et faisaient le premier essai de ces fusées à la Congrève, qui depuis, ont été entre leurs mains un si barbare moyen de destruction. Lord Lauderdale se rembarqua à la lueur des, flammes qui accusaient la perfidie de son gouvernement. |