HISTOIRE DE NAPOLÉON

TOME PREMIER

 

CHAPITRE TROISIÈME.

 

 

SOMMAIRE : Organisation des pays conquis. — Batailles d'Arcole, de Rivoli. — Reddition de Mantoue. — Traité de Tolentino. — Guerre d'Allemagne. — Marche sur Vienne. — Les préliminaires de la paix sont signés à Léoben.

1797.

 

Après ces exploits de géants, le soldat avait besoin de se remettre de ses fatigues ; Bonaparte ne veut pas que son armée s'endorme dans une dangereuse oisiveté ; il craint pour elle les délices de Capoue, mais il lui convient qu'elle goûte cette espèce de repos qui peut se concilier avec la sécurité, et pour le lui procurer, il distribue habilement ses forces dans des cantonnements d'où elles commandent le pays. Vaubois se retranche sur les bords du Lavisio et occupe Trente ; Masséna s'établit à Bassano et surveille le passage de la Piave ; Augereau garde l'Adige à Vérone ; Kilmaine dirige le blocus de l'imprenable Mantoue, et Bonaparte revient à Milan. Son désir est de mettre un terme à la guerre, et d'assurer d'un même coup, à la France, le prix de ses sacrifices,- aux peuples qu'il vient de délivrer du joug de l'Autriche, des institutions et une pairie. Dans ses lettres au Directoire il le presse de constituer définitivement l'Italie en république : Il faudrait, dit-il, réunir un congrès a Modène et à Bologne, et le composer des députés des états de Ferrare, Bologne, Modène et Reggio. Il faudrait avoir soin qu'il y eût, parmi ces députés, des nobles, des prêtres, des cardinaux, des négociants et de tons les états généralement estimés patriotes : 1° On y arrêterait l'organisation delà légion italienne ; 2° on ferait une espèce de fédération pour la défense des communes ; 3° ils pourraient envoyer des députés à Paris, pour demander leur liberté et leur indépendance. Cela produirait un très grand effet. Il est indispensable de ne négliger aucun moyen pour répondre au fanatisme de Rome, pour nous faire des amis, et pour assurer nos derrières et nos flancs.

Ces desseins généreux de Bonaparte ne purent s'accomplir ; le Directoire avait à cet égard des idées entièrement opposées aux siennes : ce gouvernement, qui paraissait ne pas comprendre sa haute mission, était tout disposé à traiter avec l'Autriche.

La politique, disait le Directoire, et nos intérêts bien entendus, nous prescrivent de mettre des bornes à l'enthousiasme des peuples du Milanais, qu'il convient toujours de maintenir dans des sentiments qui nous soient favorables, sans nous exposer à voir prolonger la guerre actuelle par une protection ouverte, et en les encourageant trop fortement à manifester leur indépendance. Ainsi le Directoire n'offrait qu'une liberté précaire à ces populations si dévouées à la France, et dans ses calculs d'un lâche égoïsme, il se proposait par avance de les abandonner si les revers des armées du Rhin l'obligeaient à faire la paix. Au lieu de servir ces vues étroites, Bonaparte assura la tranquillité de l'Italie, fit fortifier Pizzighitone, Reggio et tous les bords de l'Adda. Les bords de l'Adige furent également fortifiés, et les châteaux de Ferrare et d'Urbain, près Bologne, furent mis en état die défense.

Le blocus de Mantoue se continuait avec la plus stricte rigueur ; la garnison, qui faisait d'abord de fréquentes s orties, affaiblie parles pertes dans les combats et par les maladies, avait cessé ses démonstrations hostiles ; on espérait que le manque de vivres se ferait bientôt sentir et qu'elle se verrait forcée de capituler ; mais les secours que la place avait tirés de Modène, lors de la levée du siège, l'avaient mise en état de tenir plus long-temps qu'on ne croyait ; et l'Autriche qui, prête à se décourager des revers de Beaulieu et Wurmser, venait d'obtenir en Allemagne des succès assez marquants, résolut de tenter de nouveaux efforts pour rétablir ses affaires en Italie.

Le feld-maréchal Alvinzi, détaché de l'armée victorieuse de l'archiduc Charles, avec quarante mille hommes, prit alors le commandement en chef, rallia les débris du corps de Davidowich, et en forma dans le Tyrol un corps de dix-huit mille combattants ; lui-même, après avoir occupé le Frioul, porta son quartier-général à Conegliano, derrière la Piave.

Masséna était, à Bassano, opposé à Alvinzi ; Vaubois, en position sur le Lavisio, protégeait Trente avec dix mille hommes ; Bonaparte était à Vérone avec la cavalerie de réserve et la division Augereau. L'armée française avait reçu un renfort de douze mille hommes ; les soldats, pleins d'ardeur, confiants dans leur général, attendaient avec impatience le moment de fondre sur les Autrichiens.

Alvinzi avait résolu d'opérer sa jonction avec Davidowich dans Vérone même, afin de marcher de là sur Mantoue pour délivrer Wurmser et se précipiter ensuite sur Bonaparte avec une armée de quatre-vingt-dix mille hommes. Mais le général républicain, fidèle à sa tactique, se porta le 6 novembre à la rencontre d'Alvinzi.

Masséna attaqua l'avant-garde, et après quatre heures d'un combat des plus acharnés, il la rejeta sur la rive gauche de la Brenta. Bonaparte, de son côté, repoussait sur Bassano tout ce qui lui était opposé. Mais à deux heures du matin la nouvelle lui parvint que la division Vaubois, débordée et pressée par un ennemi supérieur en nombre, avait évacué la ville de Trente. La sûreté de Vérone se trouvait dès lors compromise ; il n'y avait pas à hésiter ; Bonaparte abandonna aussitôt son projet de rejeter Alvinzi au-delà de la Piave, pour courir au secours de Vérone ; l'armée rétrograda au grand étonnement des habitants, qui venaient d'être témoins de ses succès, et d'Alvinzi, qui se porta en avant. Parvenu au plateau de Rivoli, Bonaparte assembla la division Vaubois : Soldats, dit-il, je ne suis pas content de vous : vous n'avez montré ni discipline, ni constance, ni bravoure : aucune position n'a pu vous rallier ; vous vous êtes abandonnés à une terreur panique ; vous vous êtes laissés chasser de positions où une poignée de braves devait arrêter une armée. Soldats de la 39e et de la 85e, vous n'êtes pas des soldats français : général chef d'état-major, faites écrire sur les drapeaux : Ils ne sont plus de l'armée d'Italie. Ces reproches n'étaient sans doute pas mérités. Qu'on nous place à l'avant-garde, s'écrièrent les soldats. Peu de jours après ils se couvrirent de gloire, et réhabilitèrent leurs drapeaux sous les yeux de toute l'armée.

Malgré l'échec qu'il venait d'éprouver, Alvinzi se trouvait maître du Tyrol et de tout le pays entre la Brenta et l'Adige. Mais sa réunion avec Davidowich dépendait de la prise de Vérone : Bonaparte s'était concentré dans cette place pour s'opposer, au passage de l'Adige ; les Autrichiens vinrent se déployer devant lui, ayant leur gauche appuyée au marais d'Arcole, et leur droite au mont Olivetto ; ils semblaient attendre qu'on leur présentât la bataille,

Le 11 novembre, l'armée française passa les ponts de Vérone, et culbuta l'avant-garde ennemie. La nuit, on prit position au pied de Caldiero. Alvinzi s'était couvert par de très-fortes redoutes ; sa gauche semblait inexpugnable. Masséna, jugeant sa droite mal appuyée, l'attaqua à la pointe du jour ; le feu s'engagea sur toute la ligne, et se soutint toute la journée, malgré la pluie qui tombait par torrents. L'artillerie française ne pouvant manœuvrer, cette bataille n'eut aucun résultat ; les deux armées campèrent sur le terrain ; la pluie continua toute la nuit.

Au jour, Bonaparte jugea nécessaire de rentrer dans son camp en avant de Vérone ; les avant-postes autrichiens s'avancèrent alors, et la position de l'armée française devint des plus critiques. Vaubois avait fait des pertes considérables ; aucun renfort n'était arrivé ; les autres corps qui s'étaient battus sur la Brenta et à Caldiero ne comptaient plus que treize mille hommes ; le sentiment de la supériorité de l'ennemi était dans toutes les têtes ; le soldat se plaignait tout haut ; Bonaparte cherchait à relever par ses discours et ses ordres du jour le moral des troupes ; mais lui-même n'était pas sans inquiétude : le 14, il terminait ainsi une dépêche au Directoire :

Toute l'armée est excédée de fatigue et sans souliers : je l'ai reconduite à Vérone, où elle vient d'arriver.

Aujourd'hui, 24 brumaire, repos aux troupes ; demain, selon les mouvements de l'ennemi, nous agirons. Je désespère d'empêcher la levée du blocus de Mantoue, qui dans huit jours était à nous. Si ce malheur arrive, nous serons bientôt derrière l'Adda, et plus loin s'il n'arrive pas de troupes.

Les blessés sont l'élite de l'armée : tous nos officiers supérieurs, tous nos généraux d'élite sont hors de combat ; tout ce qui m'arrive est si inepte ! et ils n'ont pas la confiance du soldat ! L'armée d'Italie, réduite à une poignée de monde, est épuisée. Les héros de Lodi, de Millesimo, de Castiglione et de Bassano sont morts pour leur patrie ou sont à l'hôpital ; il ne reste plus aux corps que leur réputation et leur orgueil. Joubert, Lannes, Lanusse, Victor, Murat, Chariot, Dupuis, Rampon, Pigeon, Menard, Chabran, sont blessés ; nous sommes abandonnés au fond de l'Italie. La présomption de mes forces nous était utile ; on publie à Paris, dans des discours officiels, que nous ne sommes que trente mille hommes.

J'ai perdu dans cette guerre peu de monde, mais tous hommes qu'il est impossible de remplacer. Ce qui me reste de braves voit la mort infaillible, au milieu de chances si continuelles et avec des forces si inférieures. Peut être, l'heure du brave Augereau, de l'intrépide Masséna, de Berthier, de.... est près de sonner : alors ! alors ! que deviendront ces braves gens ! Cette idée me rend réservé ; Je n'ose plus affronter la mort, qui serait un sujet de découragement et de malheur pour qui est l'objet de mes sollicitudes.

Sous peu de jours nous essaierons un dernier effort : si la fortune nous sourit, Mantoue sera pris, et avec lui l'Italie. Renforcé par mon armée de siège, il n'est rien que je ne puisse tenter. Si j'avais reçu la 83e, forte de trois mille cinq cents hommes connus à l'armée, j'eusse répondu de tout ! Peut-être, sous peu de jours, ne sera-ce pas assez de quarante mille hommes.

 

Ce dernier effort que Bonaparte va tenter, est une de ces conceptions qui naissent de la grandeur du péril, et dont le génie seul est capable : il va- sauver son année, anéantir ses ennemis, et assurer enfin à la république la possession de cette Italie, qui a déjà coûté tant de travaux et de sang, et qui était sur le point de lui échapper.

Le 14 novembre au soir, le camp de Vérone prend les armes ; trois colonnes traversent la ville, et vont se former sur la rive droite de l'Adige. L'heure du départ, la direction, le silence, tout annonce aux soldats des dispositions résultant d'une fatale nécessité : l'anxiété se peint sur tous les visages ; l'armée française se retirerait devant les vainqueurs de Caldiero ! Le siège de Mantoue serait levé ! l'Italie serait perdue ! Les habitants suivent, le cœur serré, les mouvements de ces troupes, avec lesquelles ils voient à regret s'évanouir leurs plus chères espérances ; la nuit ajoute encore à cette scène de tristesse. Quinze cents hommes seulement restent dans Vérone, sous les ordres du général Kilmaine. Ils ferment les portés delà place, et interceptent toute communication avec la rive gauche de l'Adige, afin de cacher à l'ennemi les mouvements de l'armée.

Tout-à-coup, au lieu de suivre la route de Peschiera, Bonaparte tourne brusquement à gauche ; avant le jour l'armée est au village de Ronco, où le colonel Andreossy vient de jeter un pont : par un simple à gauche, l'armée se trouve sur l'autre rive. Officiers et soldats commencent à comprendre l'intention du général en chef ; il veut tourner Caldiero ; dans l'impossibilité de lutter en plaine, il porte son champ de bataille sur des chaussées où le courage doit l'emporter sur le nombre ; l'espoir rentre dans les cœurs, l'action va s'engager sous les plus heureux auspices ; la fortune de Bonaparte et les immenses ressources de son génie inspirent à tous cette confiance sans bornes, à laquelle le succès appartient. Une victoire éclatante couronne les armes de la république, et Bonaparte annonce ce triomphe au Directoire, qui, d'après ses dernières dépêches, devait plutôt s'attendre à la nouvelle d'un désastre. Voici le texte du rapport qu'il adressa alors au gouvernement.

Au quartier-général de Vérone, le 29 brumaire an V. (19 novembre 1796).

Je suis si harassé de fatigue, citoyens directeurs, qu'il ne m'est pas possible devons faire connaître tous les mouvements militaires qui ont précédé la bataille d'Arcole, qui vient de décider du sort de l'Italie.

Informé que le feld-maréchal Alvinzi, commandant l'armée de l'empereur, s'approchait de Vérone, afin d'opérer sa jonction avec les divisions de son armée qui sont dans le Tyrol, je filai le long de l'Adige avec les divisions Augereau et Masséna ; je fis jeter dans la nuit du 24 au 25 un pont de bateaux à Ronco, où nous passâmes cette rivière : j'espérais arriver dans la matinée à Villa-Nova -, et par là enlever les parcs d'artillerie de l'ennemi, ses bagages, et attaquer l'armée ennemie, par le flanc et ses derrières. Le quartier-général du général Alvinzi était à Caldiero ; cependant l'ennemi, qui avait eu avis de quelques mouvements, avait envoyé un régiment de Croates et quelques régiments hongrois dans le village d'Arcole, extrêmement fort par sa position, au milieu de marais et de canaux.

Ce village arrêta l'avant-garde de l'armée pendant toute la journée. Ce fut en vain que les généraux, sentant toute l'importance du temps, tentèrent à la tête de nos colonnes de passer le petit pont d'Arcole : trop de courage nuisit ; ils furent presque tous blessés : les généraux Verdier, Bon, Verne, Lannes, furent mis hors de combat. Augereau, saisissant un drapeau, le porta au-delà du pont ; il resta là plusieurs minutes sans produire aucun effet. Cependant il fallait passer ce pont, ou faire un détour de plusieurs lieues, qui nous aurait fait manquer toute notre opération : je m'y portai moi-même ; je demandai aux soldats s'ils étaient encore les vainqueurs de Lodi ; ma présence produisit sur les troupes un mouvement qui me décida encore à tenter le passage. Le général Lannes, blessé déjà de deux coups de feu, retourna et reçut une troisième blessure plus dangereuse ; le général Vignolle fut également blessé. Il fallut renoncer à forcer de front ce village, et attendre qu'une colonne commandée par le général Guieux, que j'avais envoyée par Albaretto, fût arrivée. Elle n'arriva qu'à la nuit, s'empara du village, prit quatre pièces de canon et fit quelques centaines de prisonniers. Pendant ce temps-là, le général Masséna attaquait une division que l'ennemi faisait filer sur notre gauche ; il la culbuta et la mit dans une déroute complète.

On avait jugé à propos d'évacuer le village d'Arcole, et nous nous attendions, à la pointe du jour, à être attaqués par toute l'armée ennemie, qui se trouvait avoir eu le temps de faire filer ses bagages et ses parcs d'artillerie, et de se porter en arrière pour nous recevoir.

A la petite pointe du jour, le combat s'engagea partout avec la plus grande vivacité. Masséna, qui était sur la gauche, mit en déroute l'ennemi et le poursuivit jusqu'aux postes de Caldiero. Le général Robert, qui était sur la chaussée du centre, avec la 65°, culbuta l'ennemi à la baïonnette et couvrit le champ de bataille de cadavres. J'ordonnai à l'adjudant Vial de longer l'Adige avec une demi-brigade, pour tourner toute la gauche de l'ennemi ; mais ce pays offre des obstacles invincibles ; c'est en vain que ce brave adjudant-général se précipite dans l'eau jusqu'au cou, il ne peut pas faire une diversion suffisante. Je fis, pendant la nuit du 26 au 27, jeter des ponts sur les canaux et les marais : le général Augereau y passa avec sa division. A dix heures du matin nous tûmes en présence : le général Masséna à la gauche, le général Robert au centre, le général Augereau à la droite. L'ennemi attaqua vigoureusement le centre, qu'il fit plier. Je retirai alors la 32e de la gauche ; je la plaçai en embuscade dans le bois, et au moment où l'ennemi, poussant vigoureusement le centre, était sur le point de tourner notre droite, le général Gardanne sortit de son embuscade, prit l'ennemi en flanc et en fit un carnage horrible. La gauche de l'ennemi, étant appuyée à des marais, et par la supériorité du nombre, imposait à notre droite ; j'ordonnai au citoyen Hercule, officier de mes guides, de choisir vingt-cinq hommes dans sa compagnie, de longer l'Adige d'une demi-lieue, de tourner tous les marais qui appuyaient la gauche des ennemis, et de tomber ensuite au grand galop sur le dos de l'ennemi en faisant sonner plusieurs trompettes. Cette manœuvre réussit parfaitement ; l'infanterie ennemie se trouva ébranlée : le général Augereau sut profiter du moment. Cependant elle résiste encore, quoiqu'on battant en retraite, lorsqu'une petite colonne de huit à neuf cents hommes, avec quatre pièces de canon que j'avais fait filer par Porto-Legnago peur prendre une position en arrière de l'ennemi et lui tombée sur le dos, acheva de la mettre en déroute. Le général Masséna, qui s'était reporté au centre, marcha droit an village d'Arcole, dont il s'empara, et poursuivit l'ennemi jusqu'au village de San-Bonifacio ; mais la nuit nous empêcha d'aller plus avant.

Le fruit de la bataille d'Arcole est quatre à cinq mille prisonniers, quatre drapeaux, dix-huit pièces de canon. L'ennemi a perdu au moins quatre mille morts et autant de blessés. Outre les généraux que j'ai nommés, les généraux Robert et Gardanne ont été blessés. L'adjudant-général Vaudelin a été tué. J'ai eu deux de mes aides-de-camp tués, les citoyens Elliot et Muiron, officiers de la plus grande distinction ; jeunes encore, ils promettaient d'arriver un jour avec gloire aux premiers postes militaires. Notre perte, quoique très-peu considérable, a été très-sensible, en Ce que ce sont presque tous nos officiers dé distinction.

Cependant le général Vaubois a été attaqué et forcé à Rivoli, position importante que mettait à découvert le blocus de Mantoue. Nous partîmes, à la pointe du jour, d'Arcole. J'envoyai la cavalerie sur Vicence à la poursuite des ennemis, et je me rendis à Vérone, où j'avais laissé le général Kilmaine avec 3,ooo hommes.

Dans ce moment-ci, j'ai rallié la division Vaubois ; je l'ai renforcée, et elle est à Castel-Novo. Augereau est à Vérone ; Masséna sur Villa-Nova.

Demain j'attaque la division qui a battu Vaubois ; je la poursuis jusque dans le Tyrol, et j'attendrai alors la reddition de Mantoue, qui ne doit pas tarder quinze jours. L'artillerie s'est comblée de gloire.

Les généraux et officiers de l'état-major ont montré une activité et une bravoure sans exemple ; douze ou quinze ont été tués ; c'était véritablement un combat à mort : pas tin d'eux qui n'ait ses habits criblés de balles.

 

Cette bataille avait duré trois jours. Le soldat avait repris son assurance : Bonaparte, au lieu de se reposer à Vérone, s'acharna à la poursuite de l'ennemi sur la route de Vicence, et sa cavalerie lui fit perdre beaucoup de monde. Alvinzi se retira à marches forcées sur Montée bello. Celte manœuvre permit à l'armée française dé prendre quelque répit.

L'armée d'Italie rentra victorieuse dans cette ville, par la porte de Venise, trois jours après en être sortie mystérieusement par la porte de Milan. L'étonnement et l'enthousiasme' des habitants étaient au comble ; ils reçurent nos soldats comme des libérateurs. Mais Bonaparte ne voulait s'arrêter que quelques moments à Vérone ; l'armée passa l'Adige et joignit Vaubois à Rivoli. Augereau attaqua Dolce, fit quinze cents prisonniers, et rejeta Davidowich dans le Tyrol. Sur un autre point Masséna fit sa jonction avec Vaubois, à Castel-Novo, où ce général avait été refoulé par Davidowich, le troisième jour de la bataille d'Arcole.

Après ces glorieux faits d'armes, l'armée avait besoin de quelque repos ; le général en chef lui fit prendre des cantonnements, et lui-même il retourna à Milan. De là sa correspondance avec le Directoire reprit toute son activité. Il était impatient de terminer cette guerre en ne laissant à l'Autriche aucun espoir de la recommencer. Il voulait que l'Italie fût à jamais délivrée du joug qui avait pesé sur elle ; il demandait des renforts à cors et à cris ; c'était là l'objet de toutes ses dépêches :

Il a fallu, écrivait-il, du bonheur et du bien joué pour vaincre Alvinzi. Comment espérer vaincre, avec les mêmes troupes, Alvinzi, renforcé de trente à trente-cinq mille hommes, tandis que nous n'avons encore reçu que trois mille hommes ?

La guérison de nos malades est sûrement un avantage, mais les malades de Wurmser se guérissent aussi dans Mantoue.

Vous m'annoncez dix mille hommes de l'Océan et dix mille hommes du Rhin ; mais rien de cela n'arrive : il y a cependant six décades de votre annonce. On dit même que la tête de cette colonne de l'Océan a rétrogradé.

Il parait, d'après une lettre de l'empereur, qu'une lutte se prépare pour janvier ; faites au moins que les secours qui devaient arriver contre Alvinzi, et dont la victoire d'Arcole nous a mis à même de nous passer, arrivent actuellement, sans quoi vous sacrifiez l'armée la plus attachée à la constitution, et qui, quels que soient les mouvements que se donnent les ennemis de la patrie, sera attachée au gouvernement et à la liberté, avec le même zèle et la même intrépidité qu'elle a mis à conserver l'Italie à la république.

Enfin, citoyens directeurs, l'ennemi retire ses troupes du Rhin pour les envoyer en Italie ; faites de même, secourez-nous : il n'y aura jamais que la disproportion trop marquée des ennemis qui pourra nous vaincre. Nous ne vous demandons que des hommes ; nous nous procurerons le reste avec d'autant plus de facilité que nous serons plus nombreux.

 

Le Directoire ne se hâtait cependant pas de répondre aux vœux de Bonaparte en le mettant à même de poursuivre ses avantages : était-ce faiblesse ? était-ce indécision ? Etait-ce plutôt l'espoir de conclure la paix ? Le général l'ignorait, et le découragement se mettait dans ses troupes.

Pendant cette inaction de l'armée d'Italie, deux grands évènements, arrivés coup sur coup, paraissaient devoir changer la face des affaires politiques en Europe ! d'une part, Catherine, le colosse de la coalition, mourait d'une attaque d'apoplexie, à la veille de signer un traité d'alliance et de subsides avec l'Angleterre, et son fils Paul Ier affectait des opinions favorables aux intérêts de la France, d'un autre côté, lord Malmesbury, après six mois d'inutiles conférences, était congédié par le Directoire, et le 24 novembre une flotte appareillait de Brest pour transporter une armée en Irlande sous les ordres de Hoche. Une tempête dispersa malheureusement cette flotte, qui devait arracher à l'Angleterre sa plus belle province, et en former contre elle une puissance politique et maritime. Quelques débris de cette expédition furent jetés sur la plage irlandaise. Le général Humbert, le même que l'on a vu plus tard servir la cause de la liberté dans le Nouveau-Monde, osa avec eux tenter une entreprise désespérée. A la tête d'une poignée de braves, il marcha sur Dublin, en appelant les peuples à l'insurrection ; Londres trembla. On envoya une armée pour réduire le général français ; il combattit, fut vaincu, et eut la gloire de dicter les conditions d'une capitulation que l'admiration de l'Angleterre changea en un véritable triomphe.

Vers la même époque, le général Clarke reçut du Directoire des pouvoirs pour traiter de la paix avec Alvinzi ; la cour de Vienne éluda cette négociation, qui n'eut d'autre résultat que de traîner les affaires en longueur et de donner à Alvinzi, qui, après la bataille d'Arcole, s'était retiré sur la Brenta, le temps de réparer ses pertes.

L'armée française reçut vers la fin de décembre de légers renforts, qui portèrent à peine son effectif à quarante-trois mille hommes, dont trente-un mille seulement étaient à l'armée d'observation su l'Adige. L'armée autrichienne se proposait d'opérer sur deux points distincts ? le premier était celui de Vérone ; l'autre le bas Adige. Le quartier-général d'Alvinzi était à Roveredo ; ce général avait quarante-cinq mille soldats : Provera commandait à Padoue une autre armée de vingt mille hommes.

L'évêque de Rome, après avoir rompu-perfidement les négociations qu'il avait entamées, dirigea contre nos troupes un corps de cinq mille hommes appuyés par toute cette immense population des états romains qui n'attendait qu'un avantage des forces autrichiennes pour voler au meurtre et au pillage, sous le prétexte de venger la religion.

Bonaparte est ainsi dans une situation des plus critiques. Il lui faut vaincre ou périr. De la chaîne du Tyrol à la ville des sept collines, le champ de bataille est immense ; cependant il devient pour lui indispensable de balayer cet espace, et il n'a que trente mille soldats ; trente mille contre cent mille hommes de troupes aguerries ! Malheur à lui, s'il succombe ! L'Italie, maudite depuis les revers de François Ier à Marignan, sera encore le tombeau des Français !

Le 12 janvier, une nouvelle campagne s'ouvrit. Masséna, attaqué à Saint-Michel par une division de Provera, la culbuta et lui fit neuf cents prisonniers : Bonaparte, au premier bruit du canon, s'était mis en roule, il arriva sur la fin de l'action.

Par une habile politique, il avait organisé plusieurs bataillons d'Italiens ; il les fit camper sur les frontières de la Transpadane, avec trois mille Français tirés de Bologne, et les opposa ainsi à l'armée pontificale.

Dans la nuit du 15, Bonaparte fit concentrer toutes ses troupes sur Rivoli : la division Augereau seule fut dirigée sur le bas Adige pour disputer le passage de ce fleuve au général Provera.

A deux heures du matin, Bonaparte était sur le plateau de Rivoli : il fit engager par Joubert In fusillade avec une des colonnes ennemies ; au point du jour, celle-ci était repoussée ; Une seconde colonne pressa sa marche vers le plateau ; en moins d'une heure Masséna la rompit ; une troisième courut au secours de celle engagée ; mais l'artillerie française la mitrailla, et la cavalerie, chargeant au même instant, culbuta tout ce qui s'opposait à son attaque, dans le ravin. Infanterie, artillerie, cavalerie, tout fut pris. La quatrième colonne autrichienne se déployait en ce moment sur les hauteurs de Pipolo, croyant avoir tourné l'armée française. Il n'était plus temps ; elle n'arriva que pour être témoin des désastres des trois colonnes qui l'avaient précédée. Mitraillée, débordée, elle fut dispersée et détruite à son tour. Le reste de l'armée d'Alvinzi devint inutile ; il opéra sa retraite par l'Escalier et perdit beaucoup de monde. La bataille de Rivoli fut une des plus terribles de la campagne ; Bonaparte, entouré plusieurs fois, eut deux chevaux tués sous lui. Il prit à l'ennemi sept mille prisonniers, douze pièces de canon et huit drapeaux.

Cependant, le même jour, le général Provera, avec ses vingt mille hommes, avait passé l'Adige près de Legnano : il croyait arriver à Mantoue, battre les sept mille hommes de Serrurier, et échapper à Bonaparte, qu'il savait occupé à Rivoli. A deux heures seulement, au fort de la bataille, Bonaparte apprend par une dépêche d'Augereau la marche de Provera. Son parti est arrêté aussitôt : il laisse à Masséna, à Murât, à Joubert, le soin de poursuivre Alvinzi, et prenant avec lui quatre demi-brigades, se met en marche sur Mantoue. De Rivoli à cette ville, on compte treize lieues ; Provera a vingt-quatre heures d'avance : Bonaparte force en vain sa marche ; il est probable que Provera va lui faire perdre tout le fruit de sa victoire en se joignant aux vingt mille hommes de Wurmser. En effet, au moment où les Français arrivent à Roverbella, Provera vient se présenter devant Saint-George. Bonaparte frémit : il sait que Saint-George, ce faubourg de Mantoue, n'a qu'une très-faible garnison, et qu'un fossé seul le défend : le brave Miollis, d'ailleurs, qui occupe Saint-George avec quinze cents hommes, est bien loin de craindre une attaque du côté de l'Adige, où se trouve Augereau ; il n'observe que le côté de Mantoue.

Provera s'avance avec précaution : il se fait éclairer par des hussards couverts de manteaux semblables à ceux de. nos hussards Berchini. Déjà ceux-ci vont franchir la barrière. Miollis et ses soldats sont perdus : le coup-d'œil d'un sergent les sauve. Il voit approcher ces hussards ; il remarque que leurs manteaux sont neufs ; ceux de Berchini ont fait la campagne. Il pousse la barrière, saisit un tambour et donne l'alarme. Miollis accourt, et, quoique Provera attaque le faubourg de tous les côtés à la fois, ses quinze cents braves se défendent toute la journée, et donnent le temps au général en chef d'arriver à leur secours.

Provera cependant est parvenu à communiquer avec le maréchal Wurmser, et ils ont concerté leurs opérations du lendemain.

Le 16 janvier, dès que le jour paraît, Wurmser sort de Mantoue à la tête de la garnison, et prend position à la Favorite. Bonaparte avait, dans la nuit, placé sa division de manière à empêcher la jonction de cette garnison avec le corps de Provera. Serrurier, avec les troupes du blocus, attaque Wurmser, et le général en chef marche contre l'armée de secours. C'est à cette bataille que la 55e demi-brigade acquit le nom de la terrible, en abordant la ligne autrichienne, et en renversant tout ce qui tenta de lui résister.

Au bout de quelques heures, la garnison était, rejetée dans la place, et Provera, forcé de poser les armes, signait une capitulation. Deux mille hommes seulement parvinrent à s'échapper. Joubert, le même jour, battait Alvinzi, près de Rivoli, et lui prenait sept mille hommes. Les troupes françaises occupèrent aussitôt Trente, Bassano et Trévise. Les débris de l'armée autrichienne ne trouvèrent d'abri que derrière la Piave, ou au milieu des neiges du Tyrol.

En vingt jours l'Autriche venait de perdre trente-cinq mille hommes, dont vingt-cinq mille prisonniers ; soixante pièces de canon et vingt-quatre drapeaux.

Mantoue, le constant objet des efforts des Français, le boulevard de l'Italie, ne pouvait tenir long-temps, abandonnée à ses propres ressources. On savait que la garnison était réduite à demi-ration. Wurmser tint pourtant encore tout le mois de janvier. Bonaparte lui fit en vain connaître le résultat de cette campagne de huit jours, et fe somma de se rendre. Ce ne fut que lorsqu'il ne lui restait plus que trois jours de vivres, qu'il envoya le général Klénau au quartier-général, pour connaître les conditions qu'on lui ferait. Bonaparte respecta l'âge, la bravoure et les malheurs de Wurmser, il lui accorda au-delà de tout ce qu'il pouvait espérer. Vingt mille hommes, dont douze mille combattants ; trente-quatre généraux, ainsi que tout l'état-major du maréchal, défilèrent devant le général Serrurier. Bonaparte n'avait pas voulu assister à ce spectacle si flatteur : après avoir dicté la capitulation, il avait écrit à Wurmser : Voilà les conditions que je vous accorde si vous ouvrez vos portes demain : si vous tardée quinze jours, un mois, deux mois, vous aurez toujours les mêmes conditions ; vous pouvez attendre jusqu'à votre dernier morceau de pain. Je pars à l'instant pour passer le Pô, et je marche sur Rome....

Wurmser, vivement touché des procédés de son vainqueur, lui écrivit pour lui exprimer toute sa reconnaissance ; il lui fit même offrir de passer le Pô à Mantoue ; mais Bonaparte refusa, et partit, voulant épargner au vieux maréchal la douleur de remettre son épée aux mains d'uri vainqueur de vingt-sept ans. Peu de temps après, Wurmser lui fit donner avis que le pape avait résolu de le faire empoisonner. Bonaparte prit ses précautions, et la trame ourdie par le saint-pontife fut heureusement déjouée.

Mantoue étant rendue, Bonaparte envoya au Directoire les drapeaux pris à l'ennemi dans ces mémorables campagnes. Le général Bessières, commandant des guides, en présenta soixante-onze pris sur les champs de bataille, et le général Augereau en apporta soixante trouvés dans 1 Mantoue. La vue de ces trophées excita en France dé vifs transports d'admiration pour l'armée d'Italie et pour le jeune général qui l'avait si constamment conduite à la victoire.

Bonaparte était maintenant en mesure d'infliger au pape le châtiment que méritait sa perfidie : il ordonna au citoyen Cacault, ministre de là république près la cour de Rome, de se retirer à Florence, et se mit aussitôt en mesure d'envahir les états romains : la nouvelle campagne ne devait être ni longue ni glorieuse ; les troupes du pape étaient peu formidables.

Dès le lendemain de la capitulation de Mantoue, le 3 février, le général Victor passa le Pô et se rendit à Bologne, où le général en chef arriva bientôt : il annonça ses intentions dans cette proclamation laconique : L'armée française va entrer sur le territoire du pape ; elle sera fidèle aux maximes qu'elle professe : elle protégera la religion et le peuple. Le soldat français porte d'une main la baïonnette, sûr garant de la victoire, et de l'antre le rameau d'olivier, symbole de la paix et gage de sa protection. Malheur à ceux qui, séduits par des hommes profondément hypocrites, attireront sur leurs maisons la vengeance d'une armée qui, en six mois, a fait cent mille prisonniers des meilleures troupes de l'empereur, pris quatre cents pièces de canon de bataille, cent dix drapeaux, et détruit cinq armées.

L'armée n'était forte que de neuf mille hommes. Bonaparte lui fit connaître par l'ordre du jour suivant, les motifs qui le forçaient d'entreprendre cette expédition :

1° Le pape a refusé d'observer les conditions de l'armistice qu'il avait conclu ; 2° la cour de Rome n'a pas cessé d'armer et d'exciter les peuples à la croisade, par ses manifestes ; 3° elle a entamé des négociations hostiles contre la France avec la cour de Vienne ; 4° le pape a confié le commandement de ses troupes à des officiers-généraux envoyés par la cour de Vienne ; 5° il a refusé de répondre aux demandes officielles qui lui ont été faites par le citoyen Cacault, ministre de la république française ; 6° le traité d'armistice a été rompu et violé par la cour de Rome, etc.

 

Les troupes papales occupaient la rive droite du Senio. Le 4, à cinq heures du matin, l'avant-garde, sous les ordres de Lannes, passa la rivière à gué, et, à la pointe du jour, se trouva rangée en bataille sur les derrières de l'ennemi. Le général Lahoz traversa le pont en colonne serrée : dès le premier choc, cette multitude, armée par le cardinal Busca, fut dans une déroute complète ; artillerie, bagages, tout fut pris. Quelques moines fanatiques se firent sabrer, le crucifix à la main ; la troupe de ligne fut faite prisonnière.

Aussitôt Victor marcha sur Faenza : retranché derrière des barricades qu'il croyait inexpugnables, le peuple de cette ville insultait et provoquait les Français avec une fureur qui tenait du délire. Il fallut briser les portes et entrer de vive force. Les soldats demandaient que Faenza fût livrée au pillage ; le général en chef s'y opposa. Il fit rassembler tous les prisonniers dans le jardin d'un couvent. Ces malheureux se croyaient perdus ; Bonaparte leur accorda la vie et même la liberté ; il traita de la même manière la plupart des prisonniers faits au combat de Senio ; les officiers appartenaient aux premières familles de Rome ; Bonaparte les renvoya dans leurs foyers, en les assurant de sa ferme résolution de protéger l'Italie et le Saint-Père. Ces officiers, touchés de sa générosité, répandirent de tous côtés les proclamations dont il les chargea ; et le peuple des états romains devint bientôt favorable aux Français, qui furent reçus avec des démonstrations de joie à Forli, à Césène, à Rimini, à Pesaro et à Sinigaglia.

Cependant Colli, avec ses trois mille hommes, s'était retranché dans une forte position, près d'Ancône, et paraissait déterminé à s'y défendre : à l'approche des colonnes de Victor, il se retira pour s'établir à Lorette. Le général Victor le somma de se rendre ; mais pendant les pourparlers, le général autrichien et son état-major disparurent : les troupes françaises et italiennes, débordant l'armée papale, l'entourèrent et lui firent mettre bas les armes.

Bonaparte entra dans Ancône et y établit aussitôt la liberté des cultes et l'égalité des droits politiques. Le peut pie de cette ville, livré à la superstition, courait en foule se prosterner aux pieds d'une madone, qui, au dire des prêtres, versait des larmes, tant elle était affligée de ^arrivée des Français, qu'ils représentaient comme des hérétiques et des impies. Le général en chef ordonna à Monge de vérifier ce miracle : la madone fut apportée au quartier-général, et l'on reconnut que le peuple était trompé par une illusion d'optique adroitement ménagée à l'aide d'un verre. Le lendemain la madone fut replacée dans se niche, mais elle ne pleura plus.

Six jours après son premier mouvement, l'armée française campa à Notre-Dame de Lorette, si fameuse par la casa santa que les anges y apportèrent. Le pape avait prudemment fait enlever les trésors de la madone. On y trouva cependant un million environ en objets d'or et d'argent. Quelques mois auparavant, Bonaparte avait reçu du Directoire une instruction qui lui enjoignait de partir de" Gênes ; pour enlever la casa santa, et les trésors que la superstition y amasse depuis quinze siècles ; on les évalue à dix millions sterling. Pour répondre au vœu du Directoire, Bonaparte lui expédia la madone de bois peint, en exprimant ironiquement le regret que les deux cent cinquante millions eussent été enlevés.

Le retour des prisonniers de Faenza jeta dans la consternation la cour de Rome. Le parti de la liberté exprima hautement ses espérances et ses vœux. Le sacré collège ne voyant plus dès-lors d'espérance de salut que dans la fuite, fit en quelques jours toutes les dispositions nécessaires pour se retirer à Naples. C'est alors que Bonaparte, qui, à son passage à Césène, avait distingué le général des camaldules, et savait l'influence que ce religieux exerçait sur l'esprit du Saint-Père, le lui dépêcha porteur de propositions honorables. Le général en chef assurait S. S. de son respect, et lui offrait, s'il consentait à chasser le cardinal Busca, d'envoyer des plénipotentiaires à Tolentino pour y conclure une paix définitive. Le pape, dont les voitures étaient déjà attelées quand le messager arriva au Vatican, se hâta de confier la direction des affaires au cardinal Doria.

Dans cette occurrence, Bonaparte agit contrairement aux intentions du Directoire, qui lui avait enjoint d'occuper la capitale du monde chrétien, et d'en chasser un ennemi sur la foi de qui la république ne pouvait se reposer. Malgré ces instructions formelles qui lui prescrivaient d'anéantir une puissance dont la réalité temporelle outrageait la raison du siècle, Bonaparte, probablement sous l'influence des idées italiennes inculquées à son premier âge, conclut à Tolentino un traité que Pie VI ratifia le 23 février. Le pape abandonna ses droits sur Avignon et le comtat Venaissin, céda les légations de Bologne, de Ferrare et de la Romagne, ainsi que la ville, la citadelle et le territoire d'Ancône. Il s'engagea aussi à payer seize millions qui restaient à solder pour l'armistice de Bologne, et quinze autres millions pour la paix qui lui était octroyée. Un article spécial obligea le pape à faire désavouer à Paris l'assassinat de Basseville, par un envoyé extraordinaire, et à payer à sa famille une somme de trois cent mille francs ; l'école française des beaux-arts fut aussi rétablie aux frais du saint siège.

Bonaparte dédaigna défaire une entrée triomphale dans Rome, peut-être fut-il retenu par quelque crainte superstitieuse ; quoi qu'il en soit, il retourna sur le champ à Mantoue, et la métropole de la chrétienté est peut-être la seule des capitales de l'Europe où il n'ait pas établi son quartier-général. Plus tard, il faut croire qu'il n'aurait pas eu les mêmes scrupules, et lorsqu'il donna à son fils le titre de roi, il est à présumer que sa vénération pour la tiare s'était singulièrement affaiblie...

A la nouvelle de la prise de Mantoue et de la destruction de l'armée d'Alvinzi, l'effroi s'empara de la cour de Vienne. Les états héréditaires étaient menacés, et tandis que, vainqueur sur le Rhin, le prince Charles enlevait Kehl et se disposait à envahir les frontières de la république, l'armée d'Italie pouvait se porter sur Vienne, dont les avenues étaient ouvertes devant elle.

Il s'agissait d'arrêter à temps le vainqueur de Wurmser et d'Alvinzi. Ce fut au prince Charles lui-même que l'Autriche confia cette tâche. L'élite des armées du Rhin marcha donc sous ses ordres et arriva rapidement sur le Tagliamento, qui devint le point de ralliement des forces impériales.

Le Directoire, de son côté, songea enfin à augmenter l'armée d'Italie, qui n'avait pas remporté tant de victoires sans être considérablement affaiblie. Il ordonna à une division de l'armée de Sambre-et-Meuse et à une division de l'armée du Rhin de passer les Alpes : ces renforts toutefois éprouvèrent des retards dans leur marche, et ce ne fut qu'au retour de Tolentino que Bonaparte put les passer en revue. Bernadotte commandait la division de Sambre-et-Meuse, Delmas celle du Rhin ; elles ne se composaient effectivement que de dix-neuf mille hommes, mais c'étaient là des troupes belles, braves et bien disciplinées : en arrivant sur les rives du Tagliamento, Bernadotte n'eut qu'un mot à leur dire : Soldats de Sambre-et-Meuse, l'armée d'Italie vous regarde. De ce jour, Bonaparte se trouva en état de tout entreprendre, et de forcer l'Autriche à renoncer à l'alliance de l'Angleterre.

Le quartier-général de l'archiduc, d'abord à Insprück, était porté à Goritz. Il avait sous ses ordres cinquante mille hommes, tant dans le Tyrol que dans la Piave : quarante mille hommes s'avançaient d'une autre part pour le rejoindre. Bonaparte résolut d'attaquer son adversaire avant de lui laisser prendre un si grand avantage numérique.

Le Directoire, en refusant de ratifier le traité de Bologne, avait porté un coup sensible à l'armée d'Italie, et l'espérance qu'avait conçue son général d'ouvrir la campagne avec soixante-dix mille hommes, se trouvait déçue. La Sardaigne ne dut plus lui fournir son contingent de troupes ; et Venise, non-seulement se refusa à toute proposition d'alliance, mais encore manifesta des dispositions hostiles. II fallut laisser sur l'Adige dix mille hommes pour imposer à l'oligarchie vénitienne. Ainsi l'armée active se trouvait réduite à cinquante mille hommes, et Bonaparte allait avoir à lutter contre la première renommée militaire de l'Europe.

Avant d'entreprendre les opérations de cette campagne, qui semblait devoir être décisive, il voulut faire entendre encore à ses soldats cette voix qui les électrisait :

SOLDATS DE L'ARMÉE D'ITALIE,

La prise de Mantoue vient de finir une campagne qui vous a donné des titres éternels à la reconnaissance de la pairie.

Vous avez remporté la victoire dans quatorze batailles rangées et soixante-dix combats ; vous avez fait plus de cent mille prisonniers, pris à l'ennemi cinq cents pièces de canon de campagne, deux mille de gros calibre, quatre équipages de pont.

Les contributions mises sur les pays que vous avez conquis, ont nourri, entretenu, soldé l'armée, pendant toute la campagne ; vous avez en outre envoyé trente millions au ministre des finances pour le soulagement du trésor public.

Vous avez enrichi le Muséum de Paris de plus de trois cents objets, chefs-d'œuvre de l'ancienne et nouvelle Italie, et qu'il a fallu trente siècles pour produire.

Vous avez conquis à la république les plus belles contrées de l'Europe ; les républiques Lombarde et Cispadane vous doivent leur liberté ; les couleurs françaises flottent pour la première fois sur l'Adriatique, en face et à vingt-quatre heures de navigation de l'ancienne Macédoine ; les rois de Sardaigne, de Naples, le pape, le duc de Parme, se sont détachés de la coalition de nos ennemis, et ont brigué notre amitié ; vous avez chassé les Anglais de Livourne, de Gênes, de la Corse ; mais vous n'avez pas encore tout achevé, une grande entreprise vous est réservée : c'est en vous que la patrie met ses plot chères espérances : vous continuerez à en être dignes.

De tant d'ennemis qui se coalisèrent pour étouffer la république à sa naissance, l'empereur seul reste devant nous. Se dégradant lui-même du rang d'une grande puissance, ce prince s'est mis à la solde des marchands de Londres ; il n'a plus de politique, de volonté, que celle de ces insulaires perfides, qui, étrangers aux malheurs de la guerre, sourient avec plaisir aux maux du continent.

Le Directoire exécutif n'a rien épargné pour donner la paix à l'Europe ; la modération de ses propositions ne se ressentait pas de la force de ses armées : il n'avait pas consulté votre courage, mais l'humanité et l'envie de vous faire rentrer dans vos familles ; il n'a pas été écouté à Vienne ; il n'est donc plus d'espérances pour la paix qu'en allant la chercher dans le cœur des états héréditaires de la maison d'Autriche. Vous y trouverez un brave peuple, accablé par la guerre qu'il a eue contre les Turcs et par la guerre actuelle. Les habitants de Vienne et des états de l'Autriche gémissent sur l'aveuglement et l'arbitraire de leur gouvernement ; il n'en est pas un qui ne soit convaincu que l'or de l'Angleterre a corrompu les ministres de l'empereur. Vous respecterez leur religion et leurs mœurs ; vous protégerez leurs propriétés ; c'est la liberté que vous apporterez à la brave nation hongroise.

La maison d'Autriche, qui, depuis trois siècles, va perdant à chaque guerre une partie de sa puissance, qui mécontente ses peuples en les dépouillant de leurs privilèges, se trouvera réduite, à la fin de cette sixième campagne — puisqu'elle nous contraint à la faire —, à accepter la paix que nous lui accorderons, et à descendre, dans la réalité, au rang des puissances secondaires, où elle s'est déjà placée en se mettant aux gages et à la disposition de l'Angleterre.

 

Cette proclamation devait enflammer tous les cœurs : depuis le tambour jusqu'au général, chacun se sentait grandi par son enthousiasme pour les résultats d'une guerre dont le dénouement serait si beau. Dans cette proclamation tout était vrai. Nos armées républicaines se battaient alors en effet pour donner la liberté aux peuples ; leurs chefs, dégagés d'ambition, voulaient seulement la gloire pour nos armes, l'indépendance pour nos voisins.

Sous le feu de l'ennemi, Masséna, le premier, passa la Piavc à Saint-Damien, et battit la division du général Lusignan, qu'il fit prisonnier. Serrurier, Guieux, effectuèrent aussi le passage et tournèrent toutes les divisions qui défendaient la basse Piave. Le quartier-général fut porté à Conegliano : l'ennemi nous attendait dans les plaines de Tagliamento, favorables au déploiement de sa nombreuse cavalerie. Bonaparte le laissa sur ce champ de bataille de son choix, et fit rapidement ses dispositions.

Le 16 mars, dès neuf heures du matin, les deux armées se trouvaient en présence. La canonnade s'engagea d'une rive à l'autre. L'armée française, voyant l'ennemi trop bien préparé, cessa son feu, et établit son bivouac : l'archiduc crut qu'elle prenait position : il fit un mouvement en arrière, et rentra dans son camp. Mais, deux heures après, quand tout fut tranquille, l'armée française reprit subitement les armes, et se précipita dans la rivière. L'ennemi accourut pour s'opposer au passage ; il n'était plus temps : la première ligne avait traversé le Tagliamento dans le plus bel ordre, et était déjà rangée en bataille sur la rive gauche. La seconde ligne passa la rivière, protégée par les troupes qui l'avaient précédée. Après plusieurs heures de combat, l'ennemi se voyant tourné, battit en retraite, abandonnant au vainqueur huit pièces de canon et des prisonniers.

Masséna s'était emparé de la chaussée de la Ponteba. L'archiduc ne pouvant plus se retirer par la Carinthie, puisque Masséna était à Osopo, résolut de gagner la chaussée de la Ponteba, par Tarvis. Masséna n'était qu'à deux journées de Tarvis ; aussi l'archiduc courut-il de sa personne à Clagenfurt, se mettre à la tête de la division de grenadiers qui s'y trouvait, et prit position pour arrêter Masséna. Ce général ayant reçu l'ordre de marcher tête baissée sur Tarvis, s'y porta en toute hâte. Le combat fut opiniâtre ; de part et d'autre on sentait l'importance d'être vainqueur. Le prince autrichien se prodigua de sa personne, et fut sur le point d'être pris. Le général Brune déploya la plus grands valeur. Les Autrichiens furent rompus, et ne purent opérer aucune retraite ; les débris de ces divisions coururent se rallier à Villach, derrière la Drave, en abandonnant Tarvis.

Du champ de bataille de Tagliamento, le général Guieux s'était dirigé sur Udine, par la chaussée d'Isonzo ; il avait eu tous les jours de forts engagements avec l'arrière-garde de Bagalitsch, et l'avait obligé-à précipiter sa marche. Arrivés à la Chiuza di Petz, les Autrichiens se crurent sauvés, mais bientôt attaqués en front par Masséna, et en queue par Guieux, ils se virent réduits à mettre bas les armes. Général, bagages, canons, drapeaux, tout fut pris.

L'armée victorieuse passa la Drave sur le pont de Villach, que l'ennemi n'avait pas eu le temps de brûler ; elle se trouvait ainsi en Allemagne. La langue, les mœurs, le climat, la culture, tout contrastait avec l'Italie. Il fallait se conformer à des nécessités nouvelles : Bonaparte adressa aux habitants la proclamation suivante :

Au quartier-général à Clagenfurth, le 1er avril 1479.

Au peuple de la Carinthie.

L'armée française ne vient pas dans votre pays pour, le conquérir, ni pour porter aucun changement à voire religion, à vos mœurs, à vos coutumes ; elle est l'amie de toutes les nations, et particulièrement des braves peuples de Germanie.

Le Directoire exécutif de la république française n'a rien épargné pour terminer les calamités qui désolent la continent. Il s'était décidé à faire le premier pas et à envoyer le général Clarke à Vienne, comme plénipotentiaire, pour entamer des négociations de paix ; mais la cour de Vienne a refusé de l'entendre ; elle a même déclaré à Vicence, par l'organe de M. de Saint-Vincent, qu'elle ne reconnaissait pas de république française. Le général Clarke a demandé un passeport pour aller lui-même parler à l'empereur ; mais les ministres de la cour de Vienne ont craint, avec raison, que la modération des propositions qu'il était chargé de faire ne décidât l'empereur à la paix. Ces ministres, corrompus par l'or de l'Angleterre, trahissent l'Allemagne et leur prince, et n'ont plus de volonté que celle de ces insulaires perfides, l'horreur de l'Europe entière.

Habitans de la Carinthie, je le sais, vous détestez autant que nous, et les Anglais, qui seuls gagnent à la guerre actuelle, et votre ministère, qui leur est vendu. Si nous sommes en guerre depuis six ans, c'est contre le vœu des braves Hongrois, des citoyens éclairés de Vienne, et des simples et bons habitants de la Carinthie.

Eh bien ! malgré l'Angleterre et les ministres de la cour de Vienne, soyons amis ; la république française a sur vous les droits de conquête ; qu'ils disparaissent devant un contrat qui nous lie réciproquement. Vous ne vous mêlerez pas d'une guerre qui n'a pas votre aveu. Vous fournirez les vivres dont nous pouvons avoir besoin. De mon côté, je protégerai votre religion, vos mœurs et vos propriétés ; je ne tirerai de vous aucune contribution. La guerre n'est-elle pas elle-même assez horrible ? Toutes les impositions que vous avez coutume de payer à l'empereur serviront à indemniser des dégâts inséparables de la marche d'une armée, et à payer les vivres que vous nous aurez fournis.

BONAPARTE.

 

C'était en appréciant de la sorte les caractères des populations, et en s'efforçant de les rassurer, que le grand capitaine se conciliait leur affection. A son approche, partout alors s'éveillait un espoir de régénération ; on croyait voir s'avancer l'homme de la civilisation, le distributeur de ses franchises et de ses libertés. Il s'annonçait comme épris de la justice, il était le chef de la propagande armée : aussi les soldats qu'il guidait furent-ils bien reçus du paysan, qui les considéra comme alliés, plutôt que comme ennemis.

Depuis dix jours la campagne était ouverte sur les bords de la Piave, du Tagliamento et dans le Frioul, et les deux armées du Tyrol étaient restées inactives. Le général Kerpen, qui commandait le corps autrichien, attendait les renforts du Rhin, et le général Joubert n'avait d'autre ordre que celui de contenir l'ennemi. Mais dès que Napoléon se fut décidé à pénétrer en Allemagne par la Carinthie, il envoya l'ordre au général Joubert de battre l'ennemi, de le rejeter au-delà du Brenner, et de rejoindre l'armée à Spital. Joubert commença son mouvement, et attaqua le camp du général Kerpen. Le succès ne fut pas douteux : Kerpen perdit la moitié de ses troupes à Saint-Michel, et celte bataille ouvrit le Tyrol. Joubert entra à Neumarch avec des canons, des drapeaux et des prisonniers.

Tandis que Kerpen était poursuivi par Joubert, la première division autrichienne du Rhin débouchait à Clausen. Kerpen rallia ses troupes derrière cette division, mais les Français arrivèrent bientôt, et, chassant les Autrichiens de leurs positions, ils les contraignirent de se replier sur Mittemvald. Attaqués et battus une troisième fois, les débris du corps de Kerpen se retirèrent sur le Brenner. Joubert, voyant que rien ne s'opposait plus à l'exécution des ordres du général en chef, commença son mouvement pour se joindre à la grande armée ; il arriva au quartier-général avec douze mille hommes et sept mille prisonniers.

L'armée de l'archiduc, en moins de vingt jours, avait été défaite en deux batailles rangées et en plusieurs combats ; elle avait perdu vingt mille prisonniers et cinquante pièces de canon. Elle était rejetée au-delà du Brenner, de l'Isonzo et des Alpes-Juliennes. Le quartier-général français était en Allemagne, à soixante lieues de Vienne. Les armées françaises allaient être bientôt sous les murs de cette capitale. La plus grande consternation régnait à la cour d'Autriche ; les meubles précieux et les papiers les plus importants furent embarqués sur le Danube, pour être transportés en Hongrie, ainsi que les jeunes archiducs et archiduchesses.

Napoléon comptait sur la coopération de l'armée du Rhin pour pousser jusqu'à Vienne, lorsqu'un courrier, qui lui était expédié par le Directoire, lui donna l'avis que cette armée, sous les ordres de Moreau, ne pouvait pas entrer en campagne, faute de bateaux pour effectuer le passage du Rhin. Le général en chef ne pouvait donc plus se flatter d'entrer à Vienne : il n'avait pas assez de cavalerie pour descendre dans la plaine du Danube ; tout ce qu'il pouvait faire était d'arriver jusqu'au sommet du Simering, et de tirer parti de sa position pour conclure une paix avantageuse.

Quelques jours après avoir reçu la dépêche du Directoire, Bonaparte écrivit en ces termes à l'archiduc :

Le général en chef de l'armée d'Italie à son altesse royale M. le prince Charles.

31 mars 1797.

M. LE GÉNÉRAL EN CHEF,

Les braves militaires font la guerre, et désirent la paix : celle ci ne dure-t-elle pas depuis six ans ? Avons-nous assez tué de monde et causé assez de maux à la triste humanité ? Elle réclame de tous côtés. L'Europe, qui avait pris les armes contre la République française, les a posées ; votre nation reste seule, et cependant le sang va couler encore plus, que jamais. Cette sixième campagne s'annonce par des présages sinistres, quelles qu'en soit l'issue, nous tuerons de part et d'autre quelques milliers d'hommes de plus, et il faudra bien que l'on finisse par s'entendre, puisque tout a un terme, même les passions haineuses.

Le Directoire exécutif de la République française avait fait connaître à Sa Majesté l'empereur le dessein de mettre fin à la guerre qui désole les deux peuples ; l'intervention de la cour de Londres s'y est opposée : n'y a-t-il donc aucun espoir de nous entendre ? Et faut-il, pouf les intérêts ou les passions d'une nation étrangère aux maux de la guerre, que nous continuions à nous entre égorger ? Vous, M. le général en chef, qui, par votre naissance, approchez si près du trône, et êtes au-dessus de toutes les petites passions qui animent souvent les ministres et les gouvernements, êtes-vous décidé à mériter la titre de bienfaiteur de l'humanité entière, et de vrai sauveur de l'Allemagne ? Ne croyez pas, M. le général en chef, que j'entende par là qu'il ne soit pas possible de la sauver par la force des armes ; mais, dans la supposition que les chances de la guerre vous deviennent favorables, l'Allemagne n'en sera pas moins ravagée. Quant à moi, M. le général en chef, si l'ouverture que j'ai l'honneur de vous faire peut sauver la vie à un seul homme, je m'estimerai plus fier de la couronne civique que je me trouverai avoir méritée, que de la triste gloire qui peut revenir des succès militaires.

Je vous prie de croire, M. le général en chef, aux sentiments d'estime et de considération distinguée avec lesquels je suis, etc.

L'archiduc répondit aussitôt :

MONSIEUR LE GÉNÉRAL,

Assurément en faisant la guerre et en suivant la vocation de l'honneur et du devoir, je désire autant que vous la paix, pour le bonheur des peuplés et de l'humanité. Comme cependant, dans, le poste qui m'est confié, il ne m'appartient pas de scruter ou de terminer la querelle des nations belligérantes, et que je ne suis muni, de la part de S. M. l'empereur, d'aucun plein pouvoir pour traiter, vous trouverez naturel, M. le général, que je n'entre point là-dessus avec vous dans une négociation, et que j'attende des ordres supérieurs pour.cet objet de si haute importance, et qui n'est pas précisément de mon ressort. Quelles que soient, au reste, les chances futures de la guerre, ou les espérances de la paix, je vous prie, M. le général, d'être bien persuadé de mon estime et de ma considération distinguée.

 

Bonaparte était aux portes de Vienne, et il offrait la paix à un ennemi qu'il avait constamment battu ; le cabinet autrichien, toujours orgueilleux, selon sa coutume, ne se montra pas touché de cette démarche magnanime : il accueillit ces ouvertures sans y répondre franchement ; son but était de gagner du temps, mais Bonaparte était bien résolu à ne pas perdre un moment.

Un traité d'alliance offensive et défensive venait d'être enfin signé avec la Sardaigne ; une partie des forces piémontaises allait entrer en ligne avec nos bataillons. Le général, persuadé que le seul moyen d'accélérer les négociations était de leur donner l'appui des baïonnettes républicaines, ordonna à la division Masséna de se poster en avant. Un combat opiniâtre s'engagea le 1er avril près de Neumarck, où les troupes françaises entrèrent pêlemêle avec les Autrichiens. L'archiduc tenta alors d'arrêter les progrès de notre marche en renouant les négociations : Bonaparte répondit : l'on peut très-bien négocier et se battre. Le lendemain, en effet, une affaire très-chaude eut lieu dans les défilés d'Unzmarck ; l'ennemi fut culbuté, et notre avant-garde entra dans Léoben le 7 avril.

Le 8 avril Bonaparte était à Indembourg. Là il reçut deux envoyés de l'empereur, les généraux Belgarde et Meerweldt. Ils venaient demander un armistice de dix jours, afin de pouvoir traiter de la paix définitive. Bonaparte leur répondit : Dans la position militaire des deux armées, une suspension d'armes est toute contraire à l'armée française ; mais si elle doit être un acheminement à la paix tant désirée, et si utile aux peuples, je consens sans peine à vos désirs. La république française a manifesté souvent à S. M. le désir de mettre fin à cette lutte cruelle. Elle persiste dans les mêmes sentiments.

Le soir même l'armistice fut signé, mais pour cinq jours seulement.

Les plénipotentiaires autrichiens arrivèrent à Léoben le 13 avril, et les préliminaires de paix furent signés le 18. Par une fatalité inconcevable, les armées françaises du Rhin, dont la diversion eût assuré le succès des plans hardis de Bonaparte, et sur la coopération desquelles il ne devait plus compter, commencèrent à se mettre en mouvement le jour même de la signature des préliminaires. Hoche, qui venait d'être mis à la tête de l'armée de Sambre-et-Meuse, passa le Rhin le 18 avril. Desaix, en l'absence de Moreau, le franchit le 21. Partout les Autrichiens furent battus ; Kehl fut repris. Mais le 22 la nouvelle de la signature de la paix arriva sur le Rhin, les deux habiles généraux durent cesser les hostilités. Hoche s'arrêta à Francfort, Moreau à Offenbourg.