HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE VII. — LA CHUTE DE LA MONARCHIE (1847-1848).

 

CHAPITRE IV. — LA FRANCE ET LES AGITATIONS EN EUROPE (1847-1848).

 

 

I. Les agitations en Europe, au commencement de 1847. C'est pour le gouvernement français l'occasion d'un grand rôle. Comment il est amené à se rapprocher de l'Autriche et à lui proposer une entente. Rapports directs entre M. Guizot et M. de Metternich. Cette évolution convenait-elle à la situation faite à la France ? — II. Fermentation libérale en Allemagne. Etat d'esprit complexe et troublé de Frédéric-Guillaume IV. Ses rapports avec M. de Metternich. Il convoque une diète des États du royaume. Impulsion ainsi donnée au mouvement libéral et unitaire en Allemagne. M. Guizot comprend le danger qui en résulte pour la France. Il provoque sur ce point une entente avec l'Autriche. Ombrages de la presse allemande. Le public français moins clairvoyant que son gouvernement. — III. Les menées des radicaux en Suisse. Lucerne appelle les Jésuites. Attaque des corps francs contre Lucerne. Le gouvernement français se refuse aux démarches comminatoires demandées par le cabinet de Vienne. Constitution du Sonderbund. Le gouvernement français persiste à repousser les mesures pouvant conduire à une intervention armée. Conseils qu'il fait donner à la Suisse. Les radicaux finissent par conquérir la majorité dans la diète fédérale. — IV. Violents desseins des radicaux suisses. La France écarte une fois de plus les propositions de l'Autriche. Elle essaye, sans succès, d'amener l'Angleterre à tenir le même langage qu'elle à Berne. La diète décrète l'exécution fédérale contre le Sonderbund. — V. L'Europe va-t-elle laisser faire les radicaux ? En réponse à une ouverture venue de Londres, M. Guizot propose aux puissances d'offrir leur médiation, et leur soumet un projet de note. Lord Palmerston, après avoir fait attendre sa réponse, rédige un contre-projet. Le gouvernement français consent a le prendre en considération. II obtient de lord Palmerston certaines modifications de rédaction et fait adopter ce contre-projet amendé par les représentants des puissances continentales. Pendant ce temps, le Sonderbund est complètement vaincu par l'armée fédérale. La diplomatie anglaise a pressé sous main les radicaux d'agir. Lord Palmerston estime qu'il n'y a plus lieu de remettre la note. Triomphe insolent des radicaux. La France n'a pas fait jusqu'alors une brillante campagne. — VI. Les puissances continentales, désireuses de prendre leur revanche en Suisse, attendent l'initiative de la France. M. Guizot comprend l'importance du rôle qui lui est ainsi offert. Il est résolu à le remplir, malgré les hésitations qui se manifestent autour de lui. Il renonce à la conférence et la remplace par une note concertée et une entente générale avec les cours continentales. Le comte Colloredo et le général de Radowitz sont envoyés en mission a Paris. Leur accord avec M. Guizot. Isolement de l'Angleterre. La note est remise à la diète suisse, et l'on se réserve de décider ultérieurement les autres mesures à prendre. En février 1848, la direction de l'action européenne en Suisse est aux mains de la France. — VII. L'Italie, qui paraissait sommeiller depuis 1832, commence à se réveiller avec [les écrits de Gioberti, Balbo et d'Azeglio. Élection de Pie IX. L'amnistie. Effet produit à Rome et dans toute la Péninsule. Dangers résultant de l'inexpérience du Pape et de l'excitation de la population. Premières réformes accomplies à Rome. Leur contre-coup en Italie. Le mouvement en Toscane. Charles-Albert, son passé, ses sentiments, son caractère. Son impression à la nouvelle des premières mesures de Pie IX. — VIII. Politique du cabinet français en face du mouvement italien. Il veut empêcher à la fois que ce mouvement ne s'arrête devant la résistance réactionnaire et qu'il ne dégénère sous la pression révolutionnaire. Ses conseils au gouvernement pontifical. Il cherche à constituer en Italie un parti modéré. Il met en garde les Italiens contre le danger d'un bouleversement territorial et d'une attaque contre l'Autriche. La France et l'Autriche dans la question italienne. Dans quelle mesure et sur quel terrain elles pouvaient se rapprocher. M. Guizot expose à la tribune sa politique. — IX. Occupation de Ferrare par les Autrichiens. Effet produit à Rome et dans le reste de la Péninsule. Embarras qui en résulte pour la politique du gouvernement français. Ses conseils à Vienne et à Rome. Il est assez bien écouté à Vienne. En Italie, au contraire, les esprits se montent contre lui. Comment M. Guizot répond à cette ingratitude. Contrecoup sur l'opinion en France. M. Guizot et le prince de Joinville. Arrangement de l'affaire de Ferrare. — X. Lord Palmerston excite les Italiens contre la France. Au fond, cependant, il ne veut pas faire plus que nous contre l'Autriche. Mission de lord Minto. — XI. L'excitation croissante des esprits n'est pas favorable au mouvement sagement réformateur. Pie IX réunit la Consulte d'Etat. Conseils du gouvernement français. Scènes de désordres à Rome. Situation inquiétante de la Toscane. En Piémont, Charles-Albert accorde des réformes, mais s'effraye de l'agitation qu'elles provoquent. M. de Metternich voit les choses très en noir et se tourne de plus en plus vers la France. Le cabinet de Paris se prépare à intervenir. — XII. L'agitation dans le royaume des Deux-Siciles. Ferdinand II accorde une constitution. Le roi de Sardaigne et le grand-duc de Toscane obligés de suivre son exemple. Embarras du Pape. Sages conseils de notre diplomatie. Action contraire de la diplomatie anglaise. La Prusse et la Russie prennent une attitude menaçante envers l'Italie. L'Autriche se plaint de lord Palmerston et se loue de M. Guizot. Position de la France dans les affaires italiennes au moment où la révolution de Février vient tout bouleverser. Conclusion générale sur la politique étrangère de la monarchie de Juillet à la veille de sa chute.

 

I

Les mauvais procédés de lord Palmerston à notre égard, en Grèce comme en Espagne, sur la Plata comme en Portugal, étaient la moindre part des difficultés avec lesquelles notre diplomatie se trouvait alors aux prises. Il en était d'autres, plus importantes et plus redoutables, dont le ministre anglais n'était pas l'auteur premier, bien qu'il s'appliquât perfidement à les aggraver. Depuis quelque temps, dans cette Europe naguère immobile, un vent s'était élevé qui agitait les peuples et ébranlait les gouvernements ; était-ce un vent de liberté ou de révolution ? L'horizon se chargeait sur plusieurs points de gros nuages noirs ; qu'en allait-il sortir ? une pluie fécondante. ou une trombe dévastatrice ? Dès le commencement de 1847, en Allemagne, en Suisse, et surtout en Italie à la suite de l'avènement de Pie IX, la fermentation était assez visible pour que tous en fussent frappés, ceux qui s'en réjouissaient comme ceux qui s'en effrayaient. Au cours de la discussion de l'adresse, M. Thiers, traçant, à la tribune de la Chambre, un brillant tableau de cette agitation universelle, la saluait avec une allégresse triomphante. M. de Metternich considérait naturellement ce spectacle avec des yeux tout autres. Le monde est bien malade, écrivait-il mélancoliquement au comte Apponyi... La situation générale de l'Europe est fort dangereuse. L'ère dans laquelle nous vivons est une ère de transition, et le moment actuel porte le caractère de l'une des crises comme il doit nécessairement s'en présenter aux époques de transition. Savoir à quoi aboutit une crise n'entre pas dans la faculté des praticiens les plus expérimentés... Je suis né calme et patient, observateur sévère des forces agissantes et surtout des forces motrices ; eh bien, plus je suis tout cela, et moins je me reconnais capable de me rendre compte d'un avenir que mon esprit ne peut pénétrer. Ce qui est clair pour moi, c'est que les choses subiront de grands changements[1]. M. de Viel-Castel, que sa situation au ministère des affaires étrangères mettait à même d'être exactement informé et que sa sagesse d'esprit préservait des exagérations, notait, sur son journal intime, en février 1847 : L'aspect de l'Europe est grave en ce moment, et nul ne peut prévoir ce qu'il deviendra d'ici à quelque temps ; il s'en faut de beaucoup que la France soit la plus compromise[2]. Le baron Stockmar, confident du prince Albert et du roi Léopold, écrivait de Londres, au commencement de 1847 : Je prévois de grandes révolutions ; mais quels en seront les résultats, je ne m'aventurerai pas à le prédire. Et encore : Je suis de plus en plus convaincu que nous sommes à la veille d'une grande crise politique[3]. M. Guizot disait, à la tribune de la Chambre des députés, le 5 mai 1847 : Depuis longtemps, l'Europe a vécu dans un état, à tout prendre, stationnaire ; la politique du statu quo a été, depuis 1814, la politique dominante dans les gouvernements européens. Un grand changement s'opère en ce moment, plus grand que ne le disent ceux qui en parlent le plus. En somme, personne ne pouvait prévoir ce qui allait se passer en Europe ; mais chacun pressentait qu'il s'y préparait des événements graves. L'édifice politique construit en 1815 semblait sur le point d'être renversé ou tout au moins transformé.

En face de telles éventualités, la France ne pouvait demeurer inerte et indifférente. Tout le inonde avait les yeux sur elle, attendait d'elle quelque chose, aussi bien les peuples qui s'agitaient que les gouvernements qui se sentaient menacés. Son intérêt était double : elle devait seconder des mouvements réformateurs et libéraux qui lui créeraient en Europe une clientèle d'États constitutionnels et feraient obstacle à la reconstitution d'une Sainte-Alliance ; mais elle devait aussi empêcher que ces mouvements ne dégénérassent en des révolutions et des guerres qui compromettraient également sa sécurité intérieure et sa considération extérieure. En un mot, il lui appartenait d'exercer une sorte d'arbitrage, de protéger l'impulsion réformatrice contre la réaction absolutiste, et les gouvernements contre la révolution. Ce rôle pouvait être profitable et glorieux. La monarchie de 1830 n'avait pas encore eu l'occasion de tenir en Europe une telle place et d'y exercer une action aussi considérable.

Il était fâcheux que cette tâche s'imposât à elle au moment même où elle était brouillée avec l'Angleterre. Notre gouvernement, sans doute, s'il n'eût tenu qu'à lui, se fût volontiers concerté avec le cabinet de Londres, dont l'alliance lui paraissait indiquée pour toute politique libérale. Mais il n'y avait aucune chance d'obtenir le concours de lord Palmerston ; bien plus, on pouvait être assuré que celui-ci verrait dans ces agitations européennes une occasion de nous susciter des embarras et des périls, en brouillant toutes les cartes, en poussant partout aux troubles et aux révolutions. L'œuvre à accomplir en devenait beaucoup plus compliquée. Le cabinet de Paris vit la difficulté et, pour la surmonter, prit tout de suite une importante décision ; il résolut de chercher du côté de l'Autriche le point d'appui qu'il n'avait plus l'espoir de trouver en Angleterre.

De la part du gouvernement du roi Louis-Philippe, ce n'était pas une sorte de nouveauté soudaine, de brusque revirement. Depuis longtemps, il tendait à se rapprocher de la cour de Vienne, et j'ai eu souvent l'occasion de noter les démarches qu'il avait faites dans ce sens. Sans doute, au lendemain de 1830, le cabinet autrichien s'était montré l'antagoniste, à la fois épeuré et dédaigneux, de la France de Juillet, s'agitant pour reconstituer contre elle la Sainte-Alliance, sur tous les points contredisant ses principes et cherchant à contrarier sa politique, se heurtant directement en Italie à sa diplomatie, presque à ses armées ; c'est contre l'Autriche que Casimir Périer, en 1832, faisait l'expédition d'Ancône ; c'est à M. de Metternich qu'en 1833, à la suite des conférences de Münchengraetz, le duc de Broglie ripostait avec tant de raideur et de hauteur. Mais, dès 1834, le Roi, d'accord avec M. de Talleyrand, jugea le moment venu de se mettre en meilleurs ternies avec les puissances continentales, notamment  avec la cour de Vienne, et il entra en relations directes avec M. de Metternich : cette politique lui paraissait avantageuse à la fois pour la dynastie, qui y gagnerait d'être reçue dans la société des vieilles monarchies, et pour la France, qui, retrouvant par là le libre choix de ses alliances, ne serait plus à la discrétion de l'Angleterre. L'évolution était-elle prématurée ? Le duc de Broglie le croyait, et cette divergence avec le souverain n'avait pas été pour peu dans sa chute. M. Thiers, au début de son ministère, en 1836, entra vivement dans l'idée de Louis-Philippe, et fit beaucoup d'avances aux cours de l'Est, dans l'espoir d'obtenir ainsi pour le duc d'Orléans la main d'une archiduchesse d'Autriche ; mais, déçu sur ce point, il ne songea qu'à se venger et voulut jeter un défi à l'Europe réactionnaire en intervenant en Espagne : le Roi alors le brisa et le remplaça par M. Mole. Le nouveau cabinet donna à la cour de Vienne un gage éclatant de ses intentions amicales, en évacuant Ancône ; aussi l'un des griefs de la coalition fut-il que M. Mole avait trahi la cause libérale en Europe et humilié la France devant les cours absolutistes. Dans la crise de 1840, l'Autriche ne suivit l'Angleterre et la Russie qu'à contre-cœur et parce qu'il lui paraissait impossible de s'en séparer ; si elle était peu énergique dans ses velléités de résistance à lord Palmerston, elle était sans hostilité propre contre la France ; avant la convention du 15 juillet, elle proposa plusieurs fois des transactions destinées à prévenir le conflit ; après, elle chercha des accommodements qui y missent fin, et, quand le cabinet du 29 octobre fut au pouvoir, elle l'aida efficacement à rentrer dans le concert européen. De 1841 à 1846, toutes les fois que M. Guizot avait quelque difficulté avec l'Angleterre, il cherchait appui à Vienne ; M. de Metternich, sans être toujours d'accord avec lui, ne lui refusait généralement pas cet appui, surtout s'il y entrevoyait un moyen de raffermir la paix générale et aussi de relâcher les liens existant entre les deux puissances occidentales ; il ne se montrait vraiment maussade à notre égard que quand l'entente cordiale paraissait s'affermir.

Lors donc qu'au lendemain des mariages espagnols, le cabinet français avait, comme nous l'avons vu, cherché appui à Vienne contre les premières manœuvres hostiles de lord Palmerston[4], il n'avait fait que persévérer dans une politique déjà ancienne. Depuis, la rupture avec l'Angleterre étant devenue plus profonde encore, il voulut faire un pas de plus et proposa formellement à M. de Metternich une entente générale sur les questions pendantes[5]. Pour établir avec le chancelier des rapports plus directs et plus intimes que ne pouvaient l'être les communications officielles, il se servit d'un certain Klindworth, Allemand de. naissance, dont il n'ignorait pas les liens avec la diplomatie autrichienne[6]. Au commencement d'avril 1847, ce personnage se mit en route pour Vienne, avec mission de faire connaître à M. de Metternich les sentiments de M. Guizot sur la conduite à tenir en face de l'agitation soulevée dans diverses contrées de l'Europe, notamment en Allemagne et en Italie ; il devait aussi parler des affaires d'Espagne et de Grèce[7]. M. de Metternich, flatté de recevoir ces avances, chercha, au moins vis-à-vis de ses propres agents, à faire croire que la France libérale était réduite à lui demander secours et à lui faire plus ou moins amende honorable[8]. Mais il ne le prit pas d'aussi haut dans sa réponse au ministre français : fort inquiet lui-même, il avait garde de décourager les ouvertures qu'on lui faisait. S'il se plaisait à envelopper ses déclarations de théories qui rappelaient un peu la Sainte-Alliance, il aboutissait en pratique à accepter le terrain d'accord qui lui était proposé[9]. M. Guizot souriait de ce qu'il appelait un galimatias judicieux[10] ; du moment où il avait satisfaction sur la réalité des choses, peu lui importait que le chancelier s'abandonnât à sa manie prédicante et pontifiante : loin de s'en formaliser, il affectait, pour mieux gagner son nouvel allié, de prêter une oreille attentive à ses enseignements, et était tout prêt à lui payer en courtoisie admirative et déférente l'avantage de l'attirer dans l'orbite de la politique française.

Cette disposition de M. Guizot apparaît bien dans une lettre qu'il adressa à M. de Metternich, après le retour de M. Klindworth ; ce que ce dernier lui rapportait de Vienne lui avait paru assez favorable pour qu'il crût le moment venu d'ouvrir une correspondance directe avec le chancelier ; il lui écrivit donc, le 18 mai 1847, la lettre suivante, qui est trop caractéristique de la nouvelle politique du cabinet français pour qu'il n'y ait pas intérêt à la reproduire en entier : Les conversations de Votre Altesse avec M. Klindworth ne me laissent qu'un regret, mais bien vif, c'est de ne les avoir pas eues moi-même. Plus j'entrevois votre esprit, plus j'éprouve le besoin et le désir de le voir tout entier. Et l'on ne voit tout qu'avec ses propres yeux. On ne s'entend vraiment que lorsqu'on se parle. Faute de cela, et en attendant cela, car je n'en veux pas désespérer, je serai heureux de vous écrire et que vous m'écriviez, et que nos communications, si elles restent lointaines, soient du moins personnelles et intimes. Ce ne sera pas assez, mais ce sera mieux pour les affaires. Et ce sera pour moi un grand plaisir, en même temps qu'un grand bien dans les affaires. Je ne connais pas de plus grand plaisir que l'intimité avec un grand esprit. Nous sommes placés à des points bien différents de l'horizon, mais nous vivons dans le même horizon. Au fond et au-dessus de toutes les questions, vous voyez la question sociale. J'en suis aussi préoccupé que vous. Nos sociétés modernes ne sont pas en état de décadence, mais, par une coïncidence qui ne s'était pas encore rencontrée dans l'histoire du monde, elles sont à la fois en état de développement et de désorganisation, pleines de vitalité et en proie à un mal qui devient mortel s'il dure, l'esprit d'anarchie. Avec des points de départ et des moyens d'action fort divers, nous luttons, vous et moi, j'ai l'orgueil de le croire, pour les préserver ou les guérir de ce mal. C'est là notre alliance. C'est par là que, sans conventions spéciales et apparentes, nous pouvons, partout et en toute grande occasion, nous entendre et nous seconder mutuellement. Ce n'est pas de tels ou tels rapprochements diplomatiques, fondés sur telle ou telle combinaison d'intérêts, c'est d'une seule et même politique pratiquée de concert que l'Europe a besoin. Il n'y a pas deux politiques d'ordre et de conservation. La France est maintenant disposée et propre à la politique de conservation. Elle a, pour longtemps, atteint son but et pris son assiette. Bien des oscillations encore, mais de plus en plus faibles et courtes, comme d'un pendule qui tend à se fixer. Point de fermentation profonde et turbulente, ni pour le dedans, ni pour le dehors. Il y a deux courants contraires dans notre France actuelle : l'un, à la surface et dans les apparences, encore révolutionnaire ; l'autre, au fond et dans les réalités, décidément conservateur. Le courant du fond prévaudra. L'Europe a grand intérêt à nous y aider. A l'occident et au centre de l'Europe, en Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, c'est la question sociale qui fermente et domine. Il y a là des révolutions à finir ou à prévenir. A l'ouest de l'Europe, autour de la mer Noire et de l'Archipel, la question est plus politique que sociale. Il y a là des États à soutenir ou à contenir. Ce n'est qu'avec le concours de la France, de la politique conservatrice française, qu'on peut lutter efficacement contre l'esprit révolutionnaire et anarchique dans les pays où il souffle, c'est-à-dire dans l'Europe occidentale. Et dans l'Europe orientale, où tant de complications politiques peuvent naître, l'intérêt français est évidemment en harmonie avec l'intérêt européen et spécialement avec l'intérêt autrichien. La politique d'entente et d'action commune est donc, entre nous, naturelle et fondée en fait, et j'ai la confiance que, pratiquée avec autant de suite que peu de bruit, elle sera aussi efficace que naturelle. Je suis charmé de voir, mon prince, que vous avez aussi cette confiance, et je tiens à grand honneur ce que vous voulez bien penser de moi. J'espère que la durée et la mise en pratique de notre intimité ne feront qu'affermir votre confiance et votre bonne opinion. C'est la pratique qui est la pierre de touche de toute chose. Et certes, les questions au sujet desquelles notre entente sera mise à l'épreuve, ne manquent pas en ce moment. Vous les avez parcourues et éclairées, tout en causant avec M. Klindworth. Je m'en entretiens aussi avec lui presque tous les jours... Croyez, mon prince, au profond plaisir que me causent les témoignages de votre estime, et permettez-moi de vous offrir tous les sentiments qu'il pourra vous plaire de trouver en moi pour vous[11].

La réponse de M. de Metternich, datée du 15 juin, est loin d'avoir le même intérêt. Après avoir témoigné la satisfaction que lui faisait éprouver la confiance personnelle de M. Guizot, le chancelier dogmatisait avec sa solennité accoutumée. Il se piquait cependant de ne pas vivre dans des abstractions, mais dans le monde pratique, et de savoir tenir compte de la première des puissances, celle de la vérité dans les choses. — Le caractère véritable de notre temps, ajoutait-il, est celui d'une ère de transition... Le jeu politique ne m'a point semblé répondre aux besoins de ce temps ; je me suis fait socialiste conservateur. Il laissait toujours voir quelque préoccupation de se poser comme si c'était la France qui venait rejoindre l'Autriche sur son terrain ; mais, en somme, il adhérait à toutes les idées exprimées par M. Guizot. La France, disait-il, marchant dans une direction conservatrice, peut être sûre de se rencontrer avec l'Autriche, et cette rencontre même renferme un gage pour le repos général. Vous avez, Monsieur, une grande et noble tâche à remplir, celle de consolider le repos de la France. Le repos d'un grand État ne saurait être un fait isolé ; pour arriver à sa pleine jouissance, il doit être soutenu par le repos général. Comptez sur ma volonté de concourir, autant que mes facultés pourront me le permettre, à la salutaire entreprise d'assurer ce bienfait à l'Europe, et veuillez être convaincu de la satisfaction que j'éprouverai toujours en joignant, pour un but aussi important, mes efforts personnels aux vôtres[12].

En nouant ces relations, le désir de M. Guizot était évidemment de se mettre avec M. de Metternich sur le pied d'intimité amicale et confiante où il avait été, de 1843 à 1846, avec lord Aberdeen. Il n'y réussit pas pleinement. La correspondance directe devait se continuer entre les deux ministres français et autrichien ; mais, en dépit des politesses réciproques[13], il y resta toujours quelque chose d'un peu guindé. Si l'entente était établie, elle n'avait, à vraiment parler, rien de cordial.

Cette évolution vers l'Autriche était un moyen de nous défendre contre l'hostilité de l'Angleterre, de nous garantir de l'isolement où lord Palmerston prétendait nous réduire. Elle avait, de plus, cet avantage, constamment poursuivi par notre diplomatie depuis 1830, de rompre définitivement la coalition toujours près de se reformer entre les trois puissances de l'Est contre la France suspecte de révolution. Convenait-elle aussi bien à la situation que nous faisaient, au rôle que nous imposaient les agitations survenues en Europe ? N'avait-elle pas cet inconvénient, au moment où la liberté fermentait dans tant de contrées, de nous ranger dans le camp réactionnaire ? C'était, on le sait, le reproche hautement formulé par M. Thiers. Ce reproche eût été fondé, s'il s'était agi pour la France de se mettre à la remorque de l'Autriche. Mais, comme on le verra, M. Guizot ne l'entendait pas ainsi. Il ne voulait pas aller rejoindre M. de Metternich sur le terrain où, après 1830, le chancelier s'était placé pour nous faire échec ; il voulait le déterminer à venir sur le terrain nouveau, intermédiaire, où il plaisait à la monarchie de Juillet, devenue un gouvernement établi, conservateur, de lui offrir une rencontre. Des deux objets de notre politique extérieure : combattre la révolution et aider aux réformes, le premier plaisait beaucoup plus à l'Autriche que le second. Mais nous comptions sur le besoin qu'elle avait de notre secours contre la révolution, pour obtenir d'elle qu'elle laissât faire les réformes. Que cette politique eût des difficultés, on ne saurait le nier. Il fallait s'attendre que l'Autriche n'eût pas toujours la résignation facile, et qu'elle cherchât à nous attirer clans sa ligne, à nous compromettre. Certains changements, notamment en Italie, devaient être malaisés à lui faire accepter. Mais quelle politique aurait été plus commode ? S'il eût fallu manœuvrer d'accord avec lord Palmerston, au milieu des agitations européennes, n'eussions-nous pas eu au moins autant de mal à ne pas nous laisser engager dans ses complaisances révolutionnaires ?

Du reste, c'était chez M. Guizot une idée arrêtée, que la France servait d'autant plus efficacement la liberté en Europe, qu'elle était plus résolument et plus manifestement conservatrice, qu'elle donnait aux puissances, jusque-là méfiantes et inquiètes, plus de gages de sa sagesse. Il exposait cette idée, le 5 mai 1847, à la tribune de la Chambre des députés, en réponse aux critiques de l'opposition. Parlant du grand changement qui s'opérait alors en Europe : Vous y voyez, disait-il, des gouvernements nouveaux, des monarchies constitutionnelles qui travaillent à se fonder, une en Espagne, une en Grèce ; vous voyez, en même temps, des gouvernements anciens qui travaillent à se modifier, le Pape en Italie, la Prusse en Allemagne. Je ne veux rien développer, je ne fais que nommer. Ces faits-là sont immenses. Croyez-vous que la politique que la France a suivie depuis 1830, la politique conservatrice, pour appeler les choses par leur nom, n'ait pas joué et ne joue pas un grand rôle dans ce qui se passe en Europe ? Beaucoup d'hommes, dans les gouvernements et dans les peuples, ont été rassurés contre la crainte des révolutions ; beaucoup d'hommes ont appris à croire ce qu'ils ne croyaient pas possible il y a quinze ans, que des gouvernements libres fussent en même temps des gouvernements réguliers, parfaitement étrangers à toute propagande révolutionnaire, à tout désordre révolutionnaire. L'Europe a appris à croire cela, qu'elle ne croyait pas. C'est une des principales causes des changements que vous voyez se faire aujourd'hui en Europe. Prenez garde ! le rôle que vous avez joué depuis 1830, ne le changez pas ; soyez plus conservateurs que jamais !

 

II

Il convenait d'indiquer tout d'abord quelle était, en face de l'agitation régnant en Europe, la direction générale donnée à la diplomatie française. Reste maintenant à voir cette diplomatie à l'œuvre, dans chacune des contrées où l'agitation soulevait quelque grave problème. Trois pays, entre tous les autres, devaient, à ce titre, fixer l'attention : l'Allemagne, la Suisse et l'Italie.

On sait comment, après 1815, l'organisation donnée à l'Allemagne et la conduite suivie par les gouvernements de la Confédération avaient trompé les espérances libérales et les ambitions nationales éveillées en 1813[14]. M. de Metternich avait été l'auteur principal et pour ainsi dire la personnification de cette réaction absolutiste à laquelle lui paraissait liée la suprématie de l'Autriche en terre germanique. Pendant de longues années, il fut assez habile ou assez heureux pour se faire seconder par la puissance même qui eût pu trouver intérêt à arborer le drapeau contraire, par la Prusse. Frédéric-Guillaume III, modeste, d'esprit un peu étroit et court, d'autant plus désireux de repos et d'immobilité qu'il avait traversé, pendant sa jeunesse, de plus tragiques vicissitudes, s'était fait une loi de marcher toujours derrière le cabinet de Vienne. Mais ce prince était mort en 1840, et le caractère de son successeur, Frédéric-Guillaume IV, était loin de donner à M. de Metternich la même sécurité. Déjà plusieurs fois[15], j'ai eu l'occasion de noter quelques traits de cette physionomie complexe, énigmatique, troublée : un mélange de chimère et de pusillanimité, d'ambition et de scrupule, d'exaltation et d'indécision ; l'horreur de la révolution, la répugnance pour toute nouveauté libérale, surtout si elle portait la marque française, le culte presque superstitieux du passé, l'infatuation d'un roi de droit divin, des protestations sincères d'attachement à l'Autriche et de déférence pour M. de Metternich ; et, en même temps, une imagination toujours en travail, un esprit plein de projets, des rêves de grandes réformes, le goût de discourir et de donner ses émotions en spectacle, une aspiration à la popularité des remueurs et des meneurs d'opinion, et, dans un lointain encore un peu vague, à travers beaucoup d'incertitudes, la tentation du grand rôle qui pouvait appartenir à la Prusse dans une Allemagne transformée et unifiée. Un tel esprit devait être ému de l'insistance avec laquelle l'opinion réclamait l'exécution des promesses constitutionnelles faites, en 1807 et en 1815, par Frédéric-Guillaume III. Il eût bien voulu dégager la parole en souffrance de son père, satisfaire son peuple par quelque initiative généreuse, se sentir en communion avec l'âme allemande. Mais, en même temps, il était décidé à ne rien faire qui ressemblât à une constitution française, rien qui limitât le pouvoir absolu qu'il croyait tenir de Dieu. L'idée lui vint de résoudre la difficulté en développant les États provinciaux qui fonctionnaient en Prusse depuis 1822, et dont le caractère tout germanique lui plaisait. Il se mit alors à chercher comment il pourrait les réunir et les admettre à délibérer sur les affaires du royaume, sans cependant en faire des États généraux. Cette recherche dura plusieurs années. Par un effet singulier de la confusion qui régnait dans ce cerveau, au moment où il songeait à inaugurer une politique en réalité dirigée contre M. de Metternich, c'était de ce dernier qu'il tenait avant tout à prendre l'avis. Vainement le chancelier tâchait-il d'éviter des entretiens dont il pressentait l'inutilité, le Roi saisissait toutes les occasions de se jeter à son cou et de lui ouvrir son cœur. Ainsi profita-t-il de ce que M. de Metternich était venu, en 1845, à Stolzenfels, saluer la reine Victoria, pour avoir avec lui, dans la cabine d'un bateau à vapeur, une conversation de plus de deux heures. Le ministre autrichien l'écouta en homme dont la sagesse n'était pas dupe de ces chimères. A Frédéric-Guillaume lui affirmant sa volonté de ne se laisser jamais imposer des États généraux du royaume et de se borner à une réunion plénière des États provinciaux, il répliqua : Si Votre Majesté veut réellement ce qu'elle me fait l'honneur de me confier, mon intime conviction me presse de lui déclarer qu'elle convoquera les six cents députés provinciaux comme tels, et que ceux-ci se sépareront comme États généraux. Pour empêcher cela, la volonté de Votre Majesté ne suffit pas. Et comme le Roi ajoutait qu'il agirait seulement pour lui, et que son successeur pourrait changer son œuvre, le chancelier l'interrompant : Il y a des choses, lui dit-il, qui, une fois faites, sont irrévocables ! Quoique ainsi contredit, le Roi n'en termina pas moins la conversation en prodiguant les démonstrations affectueuses à son interlocuteur et en l'embrassant à l'étouffer. Quant à M. de Metternich, il sortit de là inquiet et triste. La Prusse, écrivait-il au comte Apponyi, est dans une fort dangereuse situation. Le Roi veut le bien, mais il ne sait pas où il se trouve... Il fait tout ce qu'il faut pour arriver là où il ne veut point en venir. Rendre droit un pareil esprit est une entreprise impossible. Il ajoutait, toujours à propos des projets de ce prince, dans une lettre à l'archiduc Louis : Tout le monde se demande ce qu'un avenir prochain pourrait bien nous réserver, et personne n'a confiance dans les événements futurs[16].

M. de Metternich avait raison de croire que ses conseils n'arrêteraient pas le roi de Prusse. Le 3 février 1847, après bien des tergiversations, celui-ci publia, avec grand fracas, des lettres patentes convoquant dans une diète générale les États divers, — État des princes, comtes et seigneurs, État de l'ordre équestre, État des villes, État des communes rurales, — qui jusque-là ne s'étaient réunis que sous la forme de diètes provinciales. Le nombre des députés dépassait six cents. Il est vrai que l'assemblée ne devait avoir ni périodicité, ni droit d'initiative, et que ses délibérations étaient purement consultatives. Le Roi, qui se piquait d'être orateur, inaugura, au commencement d'avril, les travaux de la diète par un long discours où éclataient toutes les contradictions de son esprit et de son œuvre. Il y déclarait, avec insistance, qu'aucune puissance sur la terre ne l'amènerait à changer les rapports naturels entre le souverain et son peuple en rapports conventionnels et constitutionnels garantis par des chartes et scellés par des serments ; il n'admettait pas qu'une feuille écrite vînt s'interposer entre Dieu et la Prusse pour gouverner ce pays par ses paragraphes ; il proclamait sa volonté de maintenir l'omnipotence royale contre les damnables désirs et l'esprit négatif du siècle ; et, en même temps, il donnait aux députés réunis l'exemple de la hardiesse, en soulevant, dans sa harangue, les questions les plus difficiles, les plus brûlantes, et en semblant les offrir lui-même à la discussion[17]. Le résultat ne se fit pas attendre. Dans la diète, des voix nombreuses, éloquentes, s'élevèrent contre les thèses royales et revendiquèrent les droits du peuple et de ses représentants. Les débats, qui se prolongèrent jusque vers la fin de juin, furent d'un véritable parlement politique : ils portèrent sur toutes les questions intérieures et même, malgré les ministres, sur les affaires étrangères. Le retentissement fut immense, non seulement en Prusse, mais dans l'Allemagne entière. Les espérances libérales, si longtemps déçues et comprimées, se donnèrent carrière. Chacun avait le sentiment qu'il se passait quelque chose comme un 1789 germanique. Peu importait que Frédéric-Guillaume essayât et même qu'il réussît en partie, pour cette fois, à maintenir ses droits contre les exigences parlementaires ; le seul fait de ces discussions donnait à l'esprit public une impulsion à laquelle on ne pouvait se flatter de résister longtemps. M. de Metternich, qui, au mois de février, dès le lendemain des lettres patentes, s'était écrié tristement, mais sans surprise : Alea jacta est, ajoutait, le 6 juin, après avoir vu se dérouler toutes les conséquences qu'il avait prévues : Le Roi a été entraîné où il ne voulait pas aller. Il ne voulait point d'États généraux, et il les a dans les Etats réunis... Il ne voulait pas subordonner aux États toute la législation, et elle est entre leurs mains... Six cent treize individus ne se laissent pas mettre sur un lit de Procuste, et, si on les y met, ils font sauter le lit et s'en procurent un meilleur[18].

Lord Palmerston voyait avec plaisir Frédéric-Guillaume s'engager dans cette voie nouvelle[19] : il l'y eût volontiers poussé. Rien ne lui paraissait plus favorable à l'alliance anglo-prussienne qu'il rêvait d'édifier sur les ruines de l'entente avec la France[20]. A Paris, avait-on les mêmes raisons d'être satisfait ? S'il n'avait été question, à Berlin, que d'un développement libéral et constitutionnel, la France n'aurait eu aucune raison de le voir de mauvais œil ; bien au contraire. Mais il suffisait d'être un peu attentif, — ce qui, à la vérité, était difficile au public parisien, — pour apercevoir, au fond de ce mouvement, l'idée de l'unité allemande, redevenue si vivace depuis 1840[21]. On la devinait, quoique encore enveloppée de réticences et de scrupules, dans la pensée royale ; elle inspirait évidemment les hommes politiques prussiens dont les conseils avaient décidé Frédéric-Guillaume à publier sa quasi-constitution[22] ; elle éclatait dans les manifestations de la diète et plus encore peut-être dans l'émotion que ces manifestations éveillaient par toute l'Allemagne. Évidemment, en devenant libérale, la Prusse prenait la direction de l'opinion allemande, et continuait ainsi, dans l'ordre politique, à son profit et au détriment de l'Autriche, l'unification qu'elle avait commencée déjà, depuis quelque temps, dans l'ordre économique, par l'établissement du Zollverein. M. de Metternich ne s'y trompait pas. Le 6 juin 1847, dans une lettre au roi de Wurtemberg, où il exposait les dangers de l'expérience tentée par le roi de Prusse, il terminait par ce remarquable pronostic : Il faut que, sous la pression du nouveau système, la Prusse s'efforce d'agrandir l'espace dans lequel elle se trouve emprisonnée ; l'idée allemande lui en fournit les moyens tout prêts, et ces moyens, c'est l'idée des nationalités qui les lui offre, cette idée qui dit tout et qui ne dit rien, cette idée qui remplit actuellement le monde[23].

Ce n'est pas aujourd'hui qu'il est besoin de montrer de quel danger était, pour la France, l'unité allemande constituée sous l'hégémonie prussienne. En intervenant d'une façon trop directe et trop ouverte pour l'empêcher, la diplomatie française eût risqué d'irriter le sentiment national et, par suite, de précipiter le mouvement qu'il lui importait de contenir. Mais elle avait, dans cette circonstance, des alliés tout indiqués, qui pouvaient agir plus utilement et qu'elle devait se borner à stimuler, à seconder sous main : c'étaient les petits États d'outre-Rhin, intéressés à ne pas se laisser absorber par la Prusse ; c'était aussi l'Autriche, menacée dans sa suprématie sur la Confédération. M. Guizot eut tout de suite une vue très nette de la situation, et, dès le 25 février 1847, avant même que la diète prussienne eût commencé ses travaux, il adressait à son ambassadeur à Vienne cette lettre vraiment remarquable[24] : Un fait considérable vient de s'accomplir en Allemagne. Le roi de Prusse a donné une constitution à ses États ; ce que lord Palmerston voit surtout dans cet événement, c'est un triomphe de l'esprit libéral... et c'est dans ce sens qu'il travaille à attirer l'événement et à l'exploiter. Nous n'avons certes aucun éloignement pour l'extension du régime constitutionnel en Europe ; et nous aussi, au moins autant que l'Angleterre, nous pouvons la regarder comme favorable. Mais nous voyons, clans ce qui se passe en Prusse, deux choses : d'une part, le fait purement intérieur pour la Prusse, le changement apporté dans son mode de gouvernement au dedans ; d'autre part, le fait extérieur et germanique, la situation nouvelle que, par suite de ce changement, la Prusse prend ou pourra prendre en Allemagne. Nous n'avons, quant au premier de ces faits, aucun rôle à jouer, aucune influence à exercer ; le changement des institutions intérieures de la Prusse excite notre intérêt sans appeler notre action. Le changement de sa situation en Allemagne,-au contraire, nous préoccupe fort, et notre politique y est fort engagée. Nous sommes frappés du grand parti que la Prusse ambitieuse pourrait désormais tirer, en Allemagne, des deux idées qu'elle tend évidemment à s'approprier, l'unité germanique et l'esprit libéral. Elle pourrait, à l'aide de ces deux leviers, saper peu à peu l'indépendance des États allemands secondaires, et les attirer, les entraîner, les enchaîner à sa suite, de manière à altérer profondément l'ordre germanique actuel et, par suite, l'ordre européen. Or, l'indépendance, l'existence tranquille et forte des États secondaires de l'Allemagne nous importent infiniment, et nous ne pouvons entrevoir la chance qu'ils soient compromis ou seulement affaiblis au profit d'une puissance unique, sans tenir grand compte de cette chance et la faire entrer pour beaucoup dans notre politique. Il y a donc pour nous, dans ce qui se passe en Prusse, tout autre chose que ce que paraît y voir lord Palmerston, et nous y regarderons de très près. Qu'en pense le prince de Metternich ? Quelle conduite l'Autriche tiendra-t-elle en cette circonstance ? Nous aurions grand intérêt à le savoir.

M. de Metternich, auquel lecture fut donnée de la lettre de M. Guizot, répondit dans la même forme, le 18 mars 1847, par une lettre à son ambassadeur à Paris. Il commença tout d'abord par affirmer son accord de vues avec le gouvernement français. M. Guizot, écrit-il, fixe des regards inquiets sur ce qui se passe aujourd'hui en Prusse. Il ne peut mettre en doute que, entre son impression et la mienne, il ne saurait guère y avoir de différence. Le chancelier reconnaît que la situation pourrait évoquer des dangers à l'égard desquels la France et l'Autriche se rencontreraient dans leurs intérêts, et qui, loin de concerner seulement ces deux puissances, toucheraient plus particulièrement les États allemands de second ordre et ceux d'un ordre inférieur. Le moyen d'écarter ces dangers lui paraît être de soutenir, de renforcer le principe de la fédération et de l'opposer aux ambitions centralisatrices. Le salut, dit-il, est dans l'union de tous contre un, dans la voie légale qu'offre le système fédéral. Il promet, quant à lui, de se placer sur ce terrain, d'y appeler ses confédérés, et demande a la France de lui donner, pour cette œuvre, son appui moral. Toutefois, faisant remarquer que le premier rôle doit être laissé aux États allemands, il recommande au cabinet de Paris une grande réserve ; il insiste sur ce que ce cabinet, en se donnant trop de mouvement, risquerait de provoquer le mal qu'il veut empêcher. Un esprit éclairé comme l'est celui de M. Guizot, dit-il en terminant[25], ne saurait se tromper sur ce que nous regardons comme utile ou dangereux. Veuillez porter cette lettre à la connaissance de M. Guizot. Il me trouvera constamment disposé à l'échange le plus franc de mes impressions et de nies idées avec les siennes, et il n'y a pas aujourd'hui de sujet plus grave que le prochain avenir de la Prusse et le contre-coup que, en mal ou en bien, le développement des événements devra porter sur les autres États allemands.

L'observation du chancelier sur la réserve commandée à la France était fondée. Pour le moment, d'ailleurs, le danger qui nous préoccupait n'avait pas pris corps ; le roi de Prusse paraissait même plus embarrassé du mouvement suscité par lui en Allemagne que décidé à en profiter. Il y avait donc pour nous plutôt à regarder, à nous tenir prêts, qu'à agir. Notre vigilance, du moins, ne se ralentit pas. Quand, au commencement d'avril 1847, M. Guizot envoya M. Klindworth en Autriche pour proposer une entente générale[26], la première question dont il le chargea d'entretenir M. de Metternich fut la situation de la Prusse et de l'Allemagne. Cette communication mit de nouveau en lumière l'accord d'intérêts et de vues existant sur ce point entre les cabinets de Paris et de Vienne. M. Guizot pense comme moi, écrivit à ce propos M. de Metternich, que le seul contrepoids possible contre les écarts auxquels a donné lieu l'entreprise de Sa Majesté Prussienne, devra être cherché dans le principe fédéral. Aussi est-ce vers ce but que tendent et que ne cesseront d'être dirigés nos efforts. Le développement des événements servira de guide à notre marche ultérieure[27]. Le gouvernement français ne se contentait pas d'être ainsi en communication avec le cabinet autrichien, il veillait à ce que les États secondaires d'Allemagne, ceux surtout qui avaient un régime constitutionnel plus ou moins analogue au nôtre, fussent aussi sur leurs gardes, et il les assurait de son appui discret, mais ferme, contre toute tentative d'absorption.

La diplomatie prussienne eut vent de nos démarches, particulièrement de nos ouvertures à l'Autriche, et, dans ses dépêches, le comte d'Arnim, ministre de Prusse à Paris, ne manqua pas d'en informer son gouvernement[28]. La presse allemande était aussi sur le qui-vive, singulièrement prompte à prendre feu dès que nous faisions mine de nous occuper des affaires germaniques. En novembre 1847, le Journal des Débats ayant dit que la Prusse n'était pas, ne pouvait pas être toute l'Allemagne, et ayant ajouté que celle-ci était une fédération d'États, non un État fédératif, les feuilles d'outre-Rhin répondirent en revendiquant hautement le droit du peuple allemand à constituer son unité. Le Journal des Débats répliqua en rappelant les traités de 1814 et en insistant sur l'indépendance des petits États. Pour empêcher qu'on n'évoquât le vieux spectre de l'ambition française, il déclara que personne ne songeait plus à revendiquer la frontière du Rhin, et répudia, au nom de son gouvernement, toute prétention de s'immiscer, à titre de protecteur, dans les affaires germaniques. Ce que nous souhaitons, ajouta-t-il, en donnant aux États secondaires de l'Allemagne des témoignages constants d'une vieille sympathie, ce n'est point de les obliger à venir prendre chez nous un mot d'ordre et une consigne, c'est de les encourager à maintenir chez eux l'ordre politique qui s'y est développé dans des formes analogues aux nôtres, à préserver les établissements parlementaires qu'ils doivent, comme nous, au mouvement constitutionnel de 1815. Ce que nous souhaitons par-dessus tout, c'est que les puissants confédérés qu'ils ont à Francfort ne gênent pas plus leur liberté que ne la gênera jamais cette sincère et discrète amitié qu'ils trouvent auprès de nous, et dont on ne réussira plus à leur faire un épouvantail.

En France, le public, distrait par d'autres questions plus bruyantes, s'occupait très peu de ces affaires allemandes ; il les connaissait mal et n'en saisissait pas l'importance. La presse de gauche venait-elle par hasard à en parler, c'était pour s'indigner de ce que le gouvernement se rapprochait de l'Autriche absolutiste, au lieu de tendre la main à la Prusse en voie de transformation libérale ; et elle montrait là une preuve nouvelle de la conspiration réactionnaire dont elle accusait Louis-Philippe et M. Guizot. Vue bien courte et bien fausse ! Elle ne se rendait pas compte que le danger contre lequel la diplomatie française devait se tenir en garde au centre de l'Europe, avait changé de place depuis le seizième et le dix-septième siècle ; qu'il venait, non plus de l'Autriche, maintenant déchue, mais de la Prusse, dont tout révélait la rapide et menaçante croissance. Or, de même que Richelieu avait accepté contre la prépotence de la maison de Habsbourg tous les alliés qui s'offraient, sans s'effaroucher qu'ils fussent protestants, de même, contre l'ambition des successeurs de Frédéric II, M. Guizot pouvait, sans scrupule, faire appel au concours d'une puissance qui n'avait pas encore introduit chez elle le régime parlementaire. Aujourd'hui, d'ailleurs, après les événements de 1866 et de 1870, personne n'hésite à donner absolument raison au gouvernement du roi Louis-Philippe. On lui sait gré de n'avoir pas attendu la leçon de ces événements pour comprendre où était l'intérêt de la France, et l'on ne peut s'empêcher de songer, non sans d'amers regrets, aux malheurs qui eussent été évités, si, parmi les gouvernements venus après lui, tous avaient eu la même clairvoyance et donné la même direction à leur politique.

 

III

En Allemagne, le danger qui préoccupait justement M. Guizot n'était qu'à l'état de menace plus ou moins lointaine. En Suisse, la crise était flagrante et exigeait des décisions immédiates. Bien que le théâtre fût petit, le drame qui s'y déroulait était un de ceux qui, en 1847, occupaient le plus, non seulement le cabinet, mais le public français ; les diverses puissances y prêtaient une attention anxieuse, et l'attitude qu'y prenait notre gouvernement se trouvait avoir une grande influence sur ses rapports avec les autres cours et sur sa situation en Europe ; à tous ces points de vue, ce fut un des épisodes importants et caractéristiques de l'histoire diplomatique de la fin du règne. Pour le bien comprendre, force est de revenir un peu en arrière. On sait que depuis longtemps, en Suisse, le parti radical tâchait de substituer à la fédération existant en vertu du pacte de 1815, un État plus centralisé dont il se flattait d'être le maître et qui menaçait de devenir, entre ses mains, le refuge et la place forte de la révolution cosmopolite. Les puissances, émues d'un travail plus ou moins dirigé contré elles, considéraient que leur participation à la constitution de la Confédération helvétique, en 1814, les avantages de toutes sortes qu'elles lui avaient alors garantis, entre autres la neutralité perpétuelle et l'inviolabilité territoriale, leur donnaient le droit de veiller à ce que cette constitution ne fût pas altérée ; l'Autriche, notamment, s'était fondée sur ce droit pour adresser de fréquentes réclamations au gouvernement fédéral, et avait manifesté, à plusieurs reprises, des velléités d'intervention. J'ai eu occasion de dire quelle avait été l'attitude de la monarchie de Juillet dans cette question : d'abord, au lendemain de 1830, désireuse surtout de faire échec aux influences réactionnaires et d'étendre sa clientèle libérale, elle avait été conduite à protéger plus ou moins les agitateurs suisses contre les autres cours ; plus tard, quand elle avait été mieux dégagée de son origine, et qu'elle aussi s'était sentie menacée par les réfugiés, elle avait commencé à regarder les choses à peu près du même œil que les autres cours, sans cependant confondre son action avec la leur ; on l'avait vue, en 1836, sous le ministère de M. Thiers, en 1838, sous celui de M. Mole, réclamer plus énergiquement que personne contre les menées des radicaux suisses[29].

Ceux-ci, depuis lors, étaient loin d'avoir abandonné leur entreprise. Leur tactique consistait à se porter en masse tantôt dans un canton, tantôt dans un autre, pour y provoquer des révolutions locales qui missent le gouvernement de ces cantons dans leurs mains. Ils calculaient qu'une fois maîtres de la majorité des cantons, ils le deviendraient du même coup de la diète fédérale, et, par elle, supprimeraient l'indépendance des cantons de la minorité. Ce fut ainsi qu'en 1841, ils s'emparèrent du pouvoir en Argovie, et en usèrent aussitôt pour y détruire des couvents célèbres dont l'existence avait été garantie par le parti fédéral : la haine du catholicisme était en effet leur passion maîtresse. La diète, mise en demeure de réprimer une illégalité aussi flagrante, agit avec une mollesse qui ne pouvait en imposer aux persécuteurs. Elle se composait alors de trois fractions à peu près égales, radicaux, catholiques, protestants modérés ; ces derniers étaient froids quand il s'agissait de protéger des couvents. Les catholiques, irrités, et de l'attentat, et du déni de justice, se sentirent d'autant plus portés à prendre, dans les cantons où ils dominaient, les mesures qu'ils jugeaient propres à fortifier leur foi.

C'est sous l'empire de ces sentiments que les Lucernois songèrent à confier aux Jésuites l'institut théologique et le séminaire de leur canton. Rien là que de parfaitement légal. Les Jésuites avaient déjà, sur d'autres points de la Suisse, à Fribourg et dans le Valais, des établissements d'instruction formellement reconnus. Chaque canton était certainement maître de faire, en semblable matière, ce qui lui convenait ; et ceux qui n'avaient pas trouvé à redire quand, quelques années auparavant, le gouvernement radical du canton de Zurich avait confié une chaire d'histoire et de doctrine chrétiennes au professeur Strauss, célèbre pour avoir attaqué la divinité de Jésus-Christ, ne pouvaient certes dénier à Lucerne le droit d'appeler des Jésuites. Seulement, si le droit était incontestable, était-il prudent de l'exercer ? Sur cette question de conduite, il y avait désaccord entre les deux chefs les plus influents des catholiques lucernois. Tandis que le paysan Joseph Leu, uniquement préoccupé, dans sa foi ardente, d'écarter du séminaire des influences qui lui paraissaient suspectes, poussait à appeler les Jésuites, l'avocat Meyer, non moins dévoué à la cause religieuse, mais plus politique, estimait dangereux d'associer sans nécessité la cause conservatrice à celle de religieux alors si impopulaires. Ce dernier sentiment était celui de M. de Metternich, qui, sur la demande de Meyer, agit à Rome, sans succès, il est vrai, pour obtenir que les Jésuites déclinassent d'eux-mêmes la mission qu'on voulait leur confier[30]. La résistance de Meyer et de ses amis retarda pendant quelque temps la décision ; mais la masse du peuple était avec Leu, et l'appel des Jésuites fut définitivement voté en octobre 1844.

Les radicaux résolurent de répondre par la violence à cet exercice parfaitement légitime de la souveraineté cantonale. Précisément, à cette époque, leur audace révolutionnaire était plus excitée que jamais. En février 1845, leurs corps francs renversaient par un coup de force le gouvernement conservateur du canton de Vaud et le remplaçaient par un gouvernement radical. Ils croyaient facile d'user du même moyen à Lucerne. De ce côté, cependant, leurs premières tentatives ne réussirent pas. Ils résolurent alors de procéder plus en grand. On vit en pleine paix, et pendant plusieurs mois, l'un de leurs chefs, M. Ochsenbein, s'occuper à réunir en Argovie, près de la frontière de Lucerne, plusieurs milliers de condottieri ramassés dans toute la Suisse. Quoiqu'on ne se donnât pas la peine de dissimuler la destination de cette armée, l'autorité fédérale n'apportait pas d'obstacle sérieux à sa formation ; bien plus, divers gouvernements cantonaux y concouraient ouvertement et laissaient prendre les canons de leurs arsenaux. Jamais le brigandage politique ne s'était ainsi montré à nu, dans un pays civilisé.

De tels procédés ne pouvaient pas ne pas faire scandale en Europe. M. Guizot ne fut pas le moins indigné. Sans doute, il y avait bien là quelque chose qui le gênait un peu : c'était que des Jésuites fussent la cause ou du moins le prétexte du conflit ; se croyant obligé, en ce moment même, par les clameurs de l'opinion française, de prendre des mesures contre ces religieux, il éprouvait quelque embarras à paraître se faire leur champion en Suisse : aussi ne manquait-il pas de reprocher vivement au gouvernement de Lucerne d'avoir porté la lutte sur un tel terrain et jeté cette sorte de défi à l'opinion protestante et radicale[31]. Mais cette part faite aux préventions régnantes ne l'empêchait pas de réprouver la conduite des radicaux. Au commencement de mars 1845, il fit adresser au gouvernement helvétique de sérieuses représentations et l'adjura de prendre immédiatement des mesures pour supprimer les corps francs[32]. Il demanda en outre aux cabinets de Vienne, de Berlin, de Saint-Pétersbourg et de Londres ce qu'ils pensaient des affaires de Suisse et les invita à se concerter avec lui sur l'attitude à prendre : c'était reconnaître à la question un caractère européen[33].

Pendant que la diplomatie se mettait ainsi en branle, les corps francs, sans s'inquiéter autrement de ses observations, continuaient leur entreprise. Dans les derniers jours de mars 1845, Ochsenbein, à la tête d'une armée de huit mille hommes, munie de douze canons, envahissait le territoire de Lucerne. Les Lucernois, bien que beaucoup moins nombreux, attendirent les assaillants de pied ferme, et, après un court combat où les corps francs ne firent pas brillante figure, les mirent en complète déroute.

Le gouvernement français se réjouit de cette victoire du bon droit[34]. Suffisait-il de se réjouir ? M. de Metternich ne le pensait pas. En réponse aux ouvertures que M. Guizot lui avait faites avant la déroute des corps francs, il proposa que les puissances se concertassent pour adresser au gouvernement fédéral une déclaration comminatoire. Le cabinet de Paris n'entendait pas aller si vite, surtout à la suite de l'Autriche. M. de Metternich, tout en maugréant à part lui contre ce qu'il appelait les équivoques de la politique française, n'insista pas sur sa proposition. D'ailleurs, les Lucernois avaient, à eux seuls, fait si bien leurs affaires, qu'il jugeait moins urgent d'intervenir[35].

C'eût été cependant une grande illusion que de croire à un désarmement des radicaux suisses. Leur échec n'avait fait que les exaspérer. Le brigandage à ciel ouvert ayant échoué, on recourut au guet-apens. Il fut bientôt manifeste que la vie des chefs lucernois était en péril. L'avocat Meyer n'échappa qu'à grand'peine aux embûches qui lui furent tendues. Le paysan Leu, si honnête et si respecté, n'eut pas la même chance. Le 20 juillet 1845, il fut tué traîtreusement, dans son lit, d'un coup de fusil. La clameur féroce par laquelle les radicaux saluèrent cette mort, suffisait à révéler leur complicité. En dépit de leurs efforts pour entraver la justice, l'assassin fut condamné à mort, après avoir avoué que deux mille francs lui avaient été offerts pour prix de son crime ; les instigateurs échappèrent à la vindicte des lois, protégés par les gouvernements des cantons voisins qui refusèrent leur extradition.

Ainsi attaqués par les uns, abandonnés par les autres, menacés chaque jour de nouvelles violences, les cantons catholiques se crurent fondés à prendre des mesures pour se défendre eux-mêmes. Le 11 décembre 1845, sept cantons, Lucerne, Uri, Schwytz, Unterwalden, Zug, Fribourg et le Valais, s'unirent en confédération particulière, s'engageant à se porter mutuellement secours, aussitôt que l'un d'entre eux serait attaqué dans son territoire ou dans ses droits de souveraineté. Ce pacte, auquel on donna le nom de Sonderbund, n'avait rien de contraire aux lois et aux traditions de la Suisse ; les libéraux en avaient donné eux-mêmes plusieurs fois l'exemple, et jamais il n'avait été autant justifié par les circonstances. Les radicaux n'en crièrent pas moins à la violation de la constitution fédérale et soutinrent qu'il appartenait à la diète de sévir. Raison nouvelle pour eux de s'y faire une majorité. Dans ce dessein, ils tentèrent de s'emparer, par de nouveaux coups de force, des gouvernements cantonaux, jusqu'alors aux mains des conservateurs ou des modérés. S'ils échouèrent à Bâle-ville et à Fribourg, ils réussirent à Berne, en janvier 1846, et à Genève, en octobre de la même année. Dès lors, ils possédaient onze cantons sur vingt-deux. Il leur suffisait d'en gagner un de plus pour être maîtres de la diète.

Devant ce danger croissant, M. de Metternich crut pouvoir, en octobre 1846, proposer de nouveau au gouvernement français une démarche comminatoire[36]. La situation créée par les mariages espagnols lui faisait espérer qu'il serait mieux écouté que l'année précédente. C'était précisément le moment où M. Guizot, préoccupé des menées de lord Palmerston à Vienne, protestait, auprès du cabinet autrichien, de sa volonté de défendre la politique conservatrice partout en Europe et particulièrement en Suisse[37]. Cependant, cette fois encore, notre gouvernement se déroba. Était-ce répugnance à marcher derrière l'Autriche, sur un terrain où les deux puissances avaient été en rivalité d'influence ? Était-ce souci des attaques auxquelles il s'exposerait de la part de l'opposition française, en s'engageant dans une sorte de croisade réactionnaire et en paraissant le protecteur des Jésuites ? Ces sentiments ont pu être pour quelque chose dans la conduite suivie, mais il faut en chercher ailleurs la raison vraiment sérieuse et. déterminante, celle qui devait jusqu'à la fin peser sur notre politique en Suisse et lui donner une apparence d'incertitude et de timidité. Si notre gouvernement se refusait aux démarches proposées par l'Autriche, c'est qu'il voyait au bout une intervention militaire. Sans doute, pour le moment, il n'était question que de menaces diplomatiques ; mais on devait s'attendre que, dans l'état des esprits et des choses en Suisse, ces menaces seraient sans effet, et que leur inefficacité constatée forcerait les puissances qui les auraient solennellement proférées, à les appuyer par la force. M. de Metternich ne le niait pas[38], et envisageait même probablement sans déplaisir l'occasion d'étendre à la Suisse le système d'occupations armées qu'il avait souvent appliqué en Italie. Au contraire, par toutes sortes de raisons générales ou particulières, le gouvernement français y répugnait fort. Louis-Philippe, notamment, se montra, dès l'origine, aussi décidé contre une intervention conservatrice en Suisse qu'il l'avait été autrefois contre une intervention libérale en Espagne[39]. Il avait un sentiment très vil des difficultés inextricables qui en résulteraient. M. Guizot s'inspirait évidemment de la pensée du Roi, quand il écrivait, le 22 octobre 1846, dans une dépêche destinée à être communiquée à M. de Metternich : Il n'y a pas moyen de douter que l'intervention étrangère n'excite, en Suisse, la plus forte répulsion. Le sentiment de l'indépendance nationale y est général et énergique. Le mot est puissant, même sur les Suisses qui détestent et redoutent le plus ce qui se passe en ce moment chez eux. Pour que l'intervention étrangère y fût supportée, il faudrait que la nécessité en fût évidente, absolue. Elle ne deviendra telle que lorsque les maux de l'anarchie et de la guerre civile seront, en Suisse, non pas seulement une perspective entrevue, une crainte sentie par quelques-uns, mais des faits réels, matériels, pesant depuis quelque temps sur tous. Un cri s'élèvera peut-être alors de toutes parts pour invoquer la guérison. Mais si l'intervention se montrait auparavant, le cri qui s'élèverait serait celui de la résistance. Beaucoup d'honnêtes gens et de conservateurs le pousseraient comme les radicaux, les uns par un sincère sentiment de nationalité, les autres par pusillanimité et contagion. M. Guizot montrait ensuite combien seraient ainsi aggravées les difficultés par elles-mêmes énormes de la réorganisation qui devrait être opérée en Suisse. Évidemment, concluait-il, en présence de tels obstacles, la sagesse européenne doit dire : Mon Dieu, éloignez de moi ce calice !

Si le gouvernement français ne voulait pas se laisser entraîner dans des démarches qui lui paraissaient conduire à l'intervention, il n'en jugeait pas moins les radicaux suisses aussi sévèrement que le gouvernement autrichien, et il donnait à ce dernier des gages sérieux de la sincérité de ce jugement. En décembre 1846, il rappelait son ambassadeur à Berne, M. de Pontois, que son passé pouvait rendre peu propre à marcher d'accord avec l'Autriche, et il le remplaçait par M. de Bois-le-Comte, que s'es sympathies personnelles et notamment ses ardentes convictions religieuses devaient rendre peu suspect de faiblesse envers les ennemis du Sonderbund. Les instructions du nouvel ambassadeur le mettaient particulièrement en garde contre toute tentation de prolonger l'antagonisme qui avait existé naguère, sur ce terrain, entre les diplomaties française et autrichienne[40]. M. de Bois-le-Comte mit un grand zèle à faire connaître, en Suisse, les sentiments de son gouvernement et à tâcher de créer un état d'opinion qui fît obstacle aux mauvais desseins des radicaux. Non content de causer avec les personnages que sa position lui faisait rencontrer à Berne, il entreprit, de janvier à mai 1847, de parcourir les divers cantons. Dans les conversations qu'il cherchait à avoir avec les hommes de tous les partis, il leur répétait avec insistance : Que chaque canton reste chez soi et laisse les autres se gouverner comme ils l'entendent. C'est par là qu'ont fini vos guerres de religion : elles menacent de recommencer, parce que vous revenez à vouloir politiquement ou religieusement conquérir les uns sur les autres. Ce conseil, nous avons le droit de vous le donner. Lisez l'acte de Vienne : nous y stipulons que nous traitons, en Suisse, avec vingt-deux États indépendants ; nous sommes donc autorisés par vous à vous demander si, en effet, ces vingt-deux cantons indépendants existent, et, quand il en est parmi eux qui nous disent qu'on veut étouffer leur indépendance, à nous en enquérir. Ce n'est pas là porter atteinte à l'indépendance de la Suisse en Europe, c'est protéger l'indépendance des États les plus faibles en Suisse[41].

Mais que pouvaient ces sages conseils devant le parti pris passionné des radicaux ? Ceux-ci n'en poursuivaient pas moins leur campagne, et malheureusement non sans succès. On sait que, grâce à toutes les révolutions locales déjà provoquées par eux, il ne leur restait plus qu'un canton à conquérir pour avoir la majorité dans le grand conseil fédéral. En mai 1847, une élection très disputée et où ils ne l'emportèrent que de trois voix, fit passer de leur côté le canton de Saint-Gall. Leur but était atteint.

 

IV

Il fut tout de suite manifeste que les radicaux, devenus maîtres du pouvoir central, en useraient pour continuer, avec plus de ressources et surtout avec une apparence de légalité, la guerre révolutionnaire commencée par les corps francs contre l'indépendance des cantons catholiques. Quelques jours après les élections de Saint-Gall, ils portaient à la tête du canton de Berne, et, par suite, de la Confédération entière[42], Ochsenbein, l'organisateur et le commandant des bandes qui, en 1845, s'étaient jetées sur Lucerne. Ochsenbein déclarait à tout venant que la nouvelle majorité, sans s'inquiéter de la souveraineté cantonale, allait agir par la force contre le Sonderbund. Et quand notre ambassadeur s'étonnait de le voir prêt à déchaîner ainsi la guerre civile dans son pays : Ne sommes-nous pas en guerre ? répondait-il ; eh bien ! il vaut mieux en finir. Pour la première fois que les radicaux arrivaient quelque part au gouvernement, ils s'y montraient avec les caractères qui deviendront leur marque distinctive dans la seconde moitié de ce siècle : résolution de ne voir dans la possession du gouvernement qu'un moyen de satisfaire leurs passions de parti et d'écraser leurs adversaires ; mépris cynique du droit et de la liberté, surtout de la liberté religieuse ; principe affiché que la majorité peut tout, et que rien n'est dû à la minorité.

Devant un danger devenu ainsi beaucoup plus pressant, on n'est pas surpris de voir M. de Metternich revenir, pour la troisième fois, à la charge. Il proposa que les puissances adressassent à la Suisse des notes identiques d'un ton très nettement comminatoire, par lesquelles elles feraient connaître leur volonté de ne pas souffrir que la souveraineté cantonale fût violentée[43]. Le cabinet de Paris ne crut pas plus que dans le passé pouvoir accepter ce projet. Sa raison était toujours la même ; il craignait d'être entraîné à une intervention armée[44]. M. de Metternich regretta l'échec de sa proposition ; il n'en fut pas surpris[45]. Très résolu à rester uni au cabinet français dont il ne mettait pas en doute les bonnes intentions, il déclara abandonner tout projet auquel ce cabinet ne s'associerait pas[46].

A en croire ce qui se racontait alors, à Paris, dans le corps diplomatique, M. Guizot n'aurait pas écarté aussi nettement la proposition de M. de Metternich, si le Roi n'avait pesé sur lui[47]. Peut-être aussi le ministre se sentait-il obligé de tenir compte des préventions qui régnaient alors dans l'opinion française. Nos journaux d'opposition s'occupaient beaucoup des affaires de Suisse : tous — ceux du centre gauche non moins que ceux de la gauche — prenaient violemment parti pour les radicaux ; ils étaient parvenus à persuader à une portion du public que le cabinet français se mettait à la remorque de la Sainte-Alliance et au service des Jésuites. Le 24 juin 1847, un débat s'engageait sur ce sujet, à la Chambre des députés. Avec quelle véhémence indignée M. Odilon Barrot et ses amis y dénoncèrent cette politique de renégats ! Avec quelle assurance ils mirent au défi le ministère de soutenir le Sonderbund ! Il fallut une sorte de courage, à M. Guizot pour revendiquer, dans son discours, les droits de la souveraineté cantonale et pour avouer son accord avec l'Autriche. Encore eut-il soin de présenter à la Chambre, sous la forme la plus adoucie, la plus atténuée, les avertissements qu'il avait adressés au gouvernement suisse.

Tout en se refusant aux démarches qui lui paraissaient conduire à une intervention armée, le cabinet de Paris se faisait un devoir de renouveler avec plus d'insistance ses représentations au gouvernement fédéral[48]. C'était, il est vrai, plus par acquit de conscience qu'avec l'espoir d'un résultat pratique. Une seule chose eût peut-être donné quelque efficacité à ces représentations, c'eût été que toutes les grandes puissances sans exception tinssent le même langage ; or, jusqu'à présent, il en était une, l'Angleterre, qui se tenait à l'écart, et cette attitude connue était pour beaucoup dans le peu d'égards avec lequel on nous écoutait à Berne. M. Guizot eût désiré vivement voir cesser cette dissonance, non seulement pour avoir plus de chance d'en imposer à M. Ochsenbein, mais pour faire disparaître ce que son entente avec l'Autriche avait d'un peu compromettant aux yeux de l'opinion française. D'ailleurs, d'une façon générale, il recherchait toutes les occasions d'amener l'Angleterre à faire quelque chose avec nous, et de mettre ainsi fin à l'état de bouderie malveillante, suite des mariages espagnols. A la vérité, les dispositions connues de lord Palmerston ne laissaient pas grande chance de rien obtenir. Ne le savait-on pas résolu à nous contrecarrer partout et toujours ? M. Guizot voulut cependant faire une tentative. Le 4 juillet 1847, le duc de Broglie, qui venait d'arriver à Londres, eut avec lord Palmerston un entretien où il le pressa vivement de tenir à Berne un langage analogue au nôtre. Le ministre anglais se montra embarrassé, perplexe, sympathique aux radicaux, mais un peu effrayé des compromissions qu'entraînerait une complicité trop avouée, répugnant à faire quelque chose avec nous et avec M. de Metternich, mais redoutant aussi qu'il ne se fît quelque chose sans lui. Dans une seconde conversation, quelques jours plus tard, il parut mieux disposé, et le duc de Broglie put croire, d'après sa déclaration, qu'il allait envoyer à son représentant en Suisse des instructions à peu près semblables à celles qu'avait reçues notre ambassadeur. Cette nouvelle réjouit fort M. Guizot : croyant acceptée à Londres une politique qu'à Vienne, déjà, on était disposé à suivre, il écrivait au duc de Broglie : C'est notre politique qui devient une politique européenne[49]. Pure illusion ! Au fond, lord Palmerston n'avait aucune intention de réaliser l'espérance qu'il avait donnée au duc de Broglie. Bien au contraire, au même moment, rappelant son ministre à Berne, M. Morier, suspect d'être trop peu favorable aux radicaux, il le remplaçait par un jeune chargé d'affaires, d'esprit peu rassis, M. Peel : il donnait à ce dernier mission de congratuler de la façon la plus flatteuse M. Ochsenbein, et de lui exprimer la confiance qu'inspiraient au gouvernement de la Reine son caractère et ses déclarations[50].

Rien ne pouvait davantage enhardir les radicaux à aller de l'avant. Entrée en session le 5 juillet 1847, la diète vota, le 20 juillet, deux résolutions, l'une prononçant l'illégalité du Sonderbund, l'autre obligeant tous les cantons qui avaient des Jésuites sur leur territoire à les expulser. Les cantons de la minorité déclarèrent que, forts du sentiment de la liberté et de l'indépendance achetées par le sang de leurs pères, ils protestaient solennellement contre ces décisions. La diète se montra résolue à ne tenir aucun compte de ces protestations. Néanmoins, tout n'étant pas encore prêt, elle se sépara en septembre, et s'ajourna au 18 octobre, pour prendre les mesures d'exécution. Ces quelques semaines furent employées en préparatifs militaires dans les cantons où les radicaux étaient le plus les maîtres, à Zurich, à Berne, à Lausanne. Quand la diète se trouva de nouveau réunie, le 18 octobre, elle ordonna le rassemblement d'une armée de cinquante mille hommes, dont elle confia le commandement au général Dufour, officier capable, nullement radical, mais se croyant tenu par devoir professionnel d'obéir aux autorités fédérales. Enfin, après avoir repoussé les propositions de conciliation et de transaction faites au nom de la minorité, elle vota, le 4 novembre, l'exécution fédérale contre les cantons du Sonderbund. La guerre civile était décrétée.

 

V

L'Europe allait-elle donc assister immobile et muette à ce que M. de Barante, à ce moment même, qualifiait justement d'infamie révolutionnaire[51] ? Depuis le mois de juillet, il semblait que les puissances eussent renoncé à faire aucune démarche pour contenir les radicaux. L'Autriche était découragée par le refus de la France, la France par celui de l'Angleterre. Notre, gouvernement s'était contenté d'envoyer sous main des armes et de l'argent à Lucerne ; Louis-Philippe exposait au comte Apponyi que c'était le meilleur moyen d'aider efficacement le Sonderbund, et engageait l'Autriche à en faire autant[52]. Un moment, dans les premiers jours d'octobre 1847, M. Guizot, auquel il coûtait beaucoup de ne rien faire, avait songé à rassembler des troupes sur la frontière suisse ; l'idée lui en avait été suggérée par M. de Bois-le-Comte ; mais elle fut écartée par le conseil des ministres et par. le Roi, toujours préoccupé de ne pas se laisser entraîner à l'intervention[53]. Voyant la guerre civile inévitable, M. Guizot avait fini par se persuader que seule elle pourrait fournir l'occasion d'une intervention utile. Voici, écrivait-il, le 13 octobre[54], à M. de Bois-le-Comte, l'idée que je me forme du cours des choses. Si le Sonderbund est attaqué, il doit se défendre avec ses propres forces, sans aucun recours à l'intervention étrangère. Il est fort possible qu'il réussisse et que les premiers succès de sa vigoureuse résistance fassent tomber, dans tel ou tel canton, les gouvernements radicaux dont l'union est nécessaire pour que la guerre civile continue. Si ce résultat n'est pas obtenu, si la guerre civile continue, si le Sonderbund éprouve des échecs et tombe dans un péril grave et prolongé, qu'il s'adresse à toutes les puissances signataires du traité de Vienne, et réclame, au nom de cet acte, leur intervention. Pour nous, tout devient possible, dès lors, et efficace pour la Suisse. M. Guizot n'oubliait qu'une hypothèse, celle où le Sonderbund serait écrasé trop vite pour avoir le temps d'appeler au secours. Était-ce donc une éventualité invraisemblable, avec la disproportion énorme des forces ? Les cantons catholiques n'avaient que 394.000 habitants, généralement pauvres, tandis que la population beaucoup plus riche des cantons dominés par les radicaux était de 1.867.000 âmes. Mais le souvenir de la vaillante et victorieuse résistance de Lucerne, en 1845, faisait illusion.

Le gouvernement français était dans ces dispositions, quand lui vinrent, du côté où il les attendait le moins, des ouvertures tendant à une action diplomatique immédiate. Le 30 octobre 1847, à sept heures du soir, M. de Bunsen, ministre de Prusse à Londres, accourait assez ému chez le duc de Broglie. Je quitte lord Palmerston, lui dit-il ; je l'ai trouvé très préoccupé delà collision qui s'approche en Suisse... Il demande si l'on ne pourrait pas encore prévenir l'effusion du sang par une démarche collective des grandes puissances, et il m'a invité à m'en entretenir avec vous. Et comme le duc de Broglie, fort surpris et un peu sceptique, objectait que, se mît-on d'accord, on avait de grandes chances de ne pas arriver à temps, M. de Bunsen insista vivement pour qu'on prît au sérieux les dispositions nouvelles du Foreign office[55]. Par une coïncidence significative, le 29 octobre, le chargé d'affaires anglais à Berne avait avec M. de Bois-le-Comte une conversation analogue. Il lui demandait si l'on allait laisser écraser ces braves gens, et parlait fort mal des radicaux. Ne ferez-vous donc rien ? ajoutait-il ; un mot de vous suffirait. Ils ont une peur énorme de vous ; ils sont poltrons, très poltrons. Notre ambassadeur répondit que c'était l'attitude dissidente de l'Angleterre qui avait jusqu'ici ôté toute efficacité aux représentations de la France : Mais enfin, répliqua M. Peel, ne pourrions-nous pas nous entendre ?[56]

Quel était le secret de ce langage si nouveau ? Lord Palmerston jugeait-il nécessaire, pour son crédit en Europe, de ne pas trop afficher sa complicité avec les radicaux ? Ou se flattait-il de nous mieux entraver, en feignant de vouloir marcher avec nous ? Le duc de Broglie trouvait l'ouverture un peu suspecte[57]. Néanmoins, M. Guizot regrettait trop de ne rien faire, pour ne pas saisir l'occasion qui lui était ainsi offerte de tenter quelque chose : si faible qu'elle fût, il ne voulut pas laisser échapper la chance d'obtenir cet accord à cinq qu'il désirait tant. Sans s'arrêter donc à scruter la sincérité de lord Palmerston et de son ami Bunsen, il entra vivement dans la voie qu'on lui ouvrait. Il se flattait que les petits cantons résisteraient assez pour que la diplomatie eût encore le moyen d'agir utilement. On n'arrivera pas à temps pour prévenir la guerre civile, écrivait-il au duc de Broglie, et peut-être, pour la solution définitive, vaut-il mieux qu'elle commence ; mais il y aura quelque chose à faire pour l'arrêter[58].

Il parut à M. Guizot que le mode d'action qui risquerait le moins d'aboutir à l'intervention armée serait une médiation offerte par les puissances aux cantons divisés[59]. Il ne perdit pas un instant, et, dès les premiers jours de novembre, il fut en mesure de proposer aux quatre cabinets de Londres, Vienne, Berlin et Saint-Pétersbourg, un projet de note identique à envoyer immédiatement aux trois parties en présence, cantons radicaux, cantons catholiques et cantons neutres. Cette note commençait par exposer les faits ; elle rappelait les conseils et les avertissements jusqu'alors donnés en vain, l'atteinte portée aux conditions essentielles de la Confédération, le droit qu'auraient les puissances de regarder celle-ci comme dissoute et de se déclarer déliées des engagements qu'elles avaient contractés envers elle ; elle indiquait que, néanmoins, ces puissances avaient résolu de tenter un dernier effort pour arrêter l'effusion du sang et empêcher la dissolution violente de la Confédération ; distinguant, dans les questions qui divisaient la Suisse, deux questions principales, l'une religieuse, l'autre politique, elle proposait de déférer la première à l'arbitrage du Pape ; quant à la seconde, c'est-à-dire à tout ce qui touchait aux rapports des vingt-deux cantons souverains avec la Confédération, les cinq puissances offraient leur médiation ; l'acceptation de cette médiation impliquerait la suspension immédiate des hostilités et l'ouverture d'une conférence diplomatique sur un point voisin du théâtre des événements ; la note se terminait ainsi : Si les représentations de l'Europe n'étaient pas écoutées, si une lutte sanglante, qui révolte à la fois la politique et l'humanité, continuait malgré ses efforts, le gouvernement du Roi se verrait contraint de ne plus consulter que ses devoirs comme membre de la grande famille européenne et les intérêts de la France elle-même, et il aviserait. Cette phrase était rédigée à la fois pour ne pas obliger à l'intervention armée et pour ne pas l'exclure ; chaque puissance conservait, sous ce rapport, sa liberté d'action[60].

Les cabinets de Berlin et de Vienne — le premier surtout — surent grand gré au gouvernement français de son initiative ; ils donnèrent immédiatement leur adhésion et garantirent celle du cabinet de Saint-Pétersbourg[61]. La difficulté était à Londres. Lord Palmerston se montra d'abord très récalcitrant et même quelque peu impertinent. Sur lui, notre principal, notre unique moyen d'action était de le menacer de faire la démarche sans l'Angleterre, auquel cas elle se trouverait, comme la France en 1840, seule contre quatre. Le duc de Broglie, d'accord avec M. Guizot, qui, fort préoccupé de la question, correspondait avec lui presque tous les jours, usa beaucoup de cette menace. Elle rendait le ministre anglais assez perplexe, mais ne le décidait pas. Les jours s'écoulaient, sans qu'il donnât de réponse positive. Son calcul paraissait être de faire traîner les choses en longueur. Or, pendant ce temps, les hostilités commençaient en Suisse. Le 10 novembre, l'armée fédérale envahissait le canton de Fribourg, qui, ne se sentant pas en force, capitulait le 15 et se voyait livré à tous les excès des vainqueurs. Sans doute, ce n'était pas encore là un résultat décisif : le nœud de la question était à Lucerne, où l'on manifestait l'intention de résister comme en 1845. Mais il était bien évident que la diplomatie n'avait plus une heure à perdre. Aussi M. Guizot écrivait-il au duc de Broglie : Si on veut traîner, coupez court à toute tentative de ce genre. C'est un devoir et une nécessité de se décider et d'agir[62].

Tout le monde en Angleterre n'approuvait pas le jeu de lord Palmerston : plusieurs de ses collègues ne se voyaient pas sans préoccupation sur le point d'être séparés de l'Europe et associés aux radicaux ; le prince Albert et le roi des Belges insistaient pour qu'on fit quelque chose en faveur du Sonderbund[63]. Ainsi pressé, le chef du Foreign office se décida, le 16 novembre, à modifier sa tactique ; il parut entrer dans l'idée de la médiation ; seulement, il proposa une autre rédaction pour la note identique. Dans son projet, plus un mot de blâme contre les violences des radicaux, de réserve en faveur de l'indépendance des cantons et de la liberté religieuse ; une apparence d'impartialité entre les deux parties, qui dissimulait mal une préférence pour la diète ; tranchant par avance, contre le Sonderbund, la principale contestation, il prétendait établir, comme condition même de la médiation, l'expulsion des Jésuites ; enfin, il demandait que la conférence se tînt à Londres[64].

Une question de conduite fort délicate se posa alors pour le gouvernement français. Devait-il interpréter comme un refus une contre-proposition témoignant de sentiments si différents des siens, renoncer au concours de l'Angleterre et agir avec les trois autres puissances ? Ou bien devait-il prendre en considération le projet de lord Palmerston, sauf à négocier pour obtenir quelque atténuation des passages les plus choquants ? Autour de lui, les meilleurs esprits étaient divisés. M. Désages penchait pour le premier parti : à son avis, c'était duperie de courir après lord Palmerston, qui se jouait de nous ; nous manquerions ainsi à ce que nous devions aux autres puissances, avec lesquelles nous avions déjà lié partie avant la dernière ouverture de l'Angleterre et envers lesquelles notre honneur était engagé. A ceux qui s'effarouchaient de voir la France se rapprocher des puissances absolutistes, M. Désages répondait : En communiquant avec les cours continentales, avons-nous pris leur drapeau ? avons-nous accepté toutes leurs idées ? nous sommes-nous mis, en un mot, à leur dévotion et à leur suite ? Assurément non. Nous leur avons demandé de nous laisser faire, de se mettre derrière nous[65]. L'opinion contraire avait pour elle une autorité plus considérable encore, celle du duc de Broglie. Non que celui-ci partageât les sympathies de lord Palmerston pour les radicaux suisses. Il n'y a jamais eu, depuis l'origine du monde, écrivait-il à son fils, une meilleure cause que celle du Sonderbund[66]. Mais nul n'avait un sentiment plus vif des dangers d'une intervention prématurée. Intervenir, disait-il[67], sans être appelé par personne, avec la certitude d'être désavoué par tous les conservateurs de la Suisse — je n'en ai pas encore trouvé un seul qui n'en repousse l'idée avec horreur —, intervenir sans aucune chance de pouvoir y établir des gouvernements en état de se soutenir par eux-mêmes, sans savoir, par conséquent, combien d'années il y faudrait faire le métier de geôliers et de gendarmes, et cela dans l'état actuel de l'Allemagne, de l'Italie et de la France, cela nie paraissait, je l'avoue, le comble de la déraison. C'était à cette extrémité qu'il craignait que la France ne fût amenée par une action à quatre avec l'Autriche, la Prusse et la Russie. L'Angleterre écartée, écrivait-il à M. Guizot, nous sommes un contre trois dans la médiation. Une fois la médiation rejetée, et elle le sera certainement, il faut faire quelque chose, et nous sommes à la discrétion de l'Autriche. Voilà mon inquiétude. Il dépend de M. de Metternich, en envoyant-un bataillon dans le Tessin ou à Schaffouse, de nous faire occuper Lausanne. Or, cela est grave[68]. Élargissant d'ailleurs la question, le duc de Broglie était conduit à juger l'évolution faite, en ce moment, par le gouvernement français vers les puissances de l'Est et à peser les avantages comparés des alliances continentales et de l'alliance anglaise. Nous n'avons en Europe que des ennemis, écrivait-il à M. Désages[69], dont il connaissait les vues différentes. Nous avons des ennemis permanents : ce sont les cours continentales ; ennemis prudents, sensés, éclairés sur leurs intérêts, qui ne nous feront jamais que le mal qui ne leur est pas nuisible et qui nous feront quelquefois le bien qui leur est utile. N'en attendez rien de plus, ou vous y serez pris. Nous avons un ennemi accidentel : c'est l'Angleterre égarée par lord Palmerston ; ennemi violent, actif, persévérant, et qui nous fera toujours tout le mal qu'il osera nous faire. Notre jeu est d'opposer, tour à tour, ces inimitiés l'une à l'autre, de défendre l'ordre avec les cours continentales et la liberté avec l'Angleterre, sans nous laisser entraîner à la Sainte-Alliance dans le premier cas, ni au radicalisme dans le second. En passant ainsi de l'un à l'autre, sans compter sur l'un ni sur l'autre, nous leur donnerons souvent de l'humeur : il faut s'y résigner quand on ne peut l'éviter. Point d'illusion, point de découragement, point d'abandon envers personne ; toujours peser ses paroles, et n'en point dire qui soient oiseuses. Il écrivait encore au même correspondant : Il n'y a point pour nous, dans les cours du continent, de sympathie proprement dite, de sympathie permanente, assurée, qui puisse servir de base aune alliance durable et complète. Entre nous et ces cours, l'entente ne peut s'établir que là où nous nous rencontrons dans un intérêt commun de conservation, de paix et d'ordre, dans une question où l'existence des traités est enjeu, où il s'agit de les faire respecter par qui de droit ; et encore devons-nous veiller à ce que cet accord ne fasse pas disparaître notre drapeau d'État libre et constitutionnel, pour lui substituer celui des puissances absolutistes. Plus ou moins, il faut toujours lutter pour prévenir la confusion. Avec l'Angleterre, à la condition de ne traiter avec elle que d'égal à égal, de savoir lui résister à propos, les raisons et les chances de bonne entente, d'alliance sympathique et durable, existent. La politique de conservation surtout, quand elle est celle des deux cabinets, leur est d'autant plus facile à poursuivre en commun, qu'ils sont constitutionnellement portés, l'un et l'autre, à la dégager de ce caractère d'absolutisme ou d'exclusivisme qui lui aliénerait l'opinion publique. Il est donc évident que toutes les fois que nous trouvons l'Angleterre prête à marcher avec nous dans cette voie, à ces conditions et avec cette mesure, nous ne devons rien négliger pour écarter les obstacles qui contrarieraient l'action commune[70]. On le voit, le duc de Broglie conservait quelque chose des préventions qui lui avaient déjà fait combattre si vivement, en 1834 et 1835, la tendance du Roi à se rapprocher de l'Autriche[71]. Peut-être ne tenait-il pas assez compte des changements survenus depuis. En tout cas, c'étaient ces sentiments généraux qui, dans la question particulière de la Suisse, le portaient à faire beaucoup de sacrifices pour ne pas se trouver séparé de l'Angleterre. Il ne se dissimulait pas cependant que continuer la négociation avec lord Palmerston, c'était lui fournir une nouvelle occasion de traîner les choses en longueur. Cette perspective ne l'effrayait pas beaucoup. Au fond, il jugeait l'affaire de la médiation mal engagée et se serait consolé de ne pas la voir aboutir. Je crois, écrivait-il à M. Guizot, qu'il y a tout à gagner maintenant à différer. Si Lucerne doit résister, rien n'arrivera à temps ; l'attaque est en train. Si Lucerne doit imiter Fribourg, et que toute cette affaire du Sonderbund tourne en déroute de Méhémet-Ali, couvrant de ridicule ses malencontreux protecteurs, il ne faut pas faire une démonstration éclatante, car le ridicule en serait plus grand. Pour que la médiation ait un sens, il faut qu'il y ait des belligérants, il faut qu'il y ait des gens qui se battent. J'ajoute qu'après le rejet de l'offre anglaise, la médiation n'est qu'une forme ; c'est une offre qui, venant des quatre puissances seulement, sera rejetée avec insolence. Et puis après, que ferons-nous ? L'offre anglaise me paraît en ce moment une bonne fortune, ne fût-ce que pour gagner du temps et savoir si le Sonderbund est une réalité ou si ce n'est qu'un fantôme[72]. Il ajoutait, dans une lettre à M. Désages : Quant à l'avenir de tout ceci, le plus vraisemblable, c'est que nous ne nous mettrons pas d'accord, et que, dussions-nous nous mettre d'accord, le pauvre Sonderbund sera mort et enterré, avant que nous puissions arriver sur le champ de bataille avec nos paperasses[73].

M. Guizot ne partageait pas les préventions de son ambassadeur contre une action commune avec l'Autriche et les puissances continentales ; on sait au contraire que, sans vouloir aucunement se mettre à leur remorque, il estimait que ce rapprochement était dans les nécessités de la situation. Il avait également plus confiance que le duc de Broglie dans l'efficacité possible de la médiation et dans la résistance du Sonderbund. Mais, autant que lui, il désirait le concours de l'Angleterre. Il craignait, en rompant avec elle, d'ôter tout effet aux démarches qui seraient faites en Suisse. Il craignait aussi de fournir, en France, une arme redoutable à l'opposition, déjà si animée contre la politique suivie dans les affaires suisses. Ne voulant donc rien négliger pour obtenir, s'il était possible, un concours si précieux, il fit décider par le conseil des ministres, sans perdre un jour, que le contre-projet anglais serait pris en considération, sauf à demander quelques modifications de rédaction. Je suis bien aise, écrivait-il, le 18 novembre, au duc de Broglie, de donner cette preuve de fait que je mets toujours le même prix à l'entente avec l'Angleterre, et que je n'ai pas la moindre envie de son isolement[74].

Dès le 20 novembre, le duc de Broglie voyait lord Palmerston et s'accordait avec lui, sans trop de difficulté, sur les modifications désirées par M. Guizot. La principale portait sur la question des Jésuites ; entre la première rédaction française se bornant à stipuler l'arbitrage du Pape, et le contre-projet anglais ne parlant plus du Pape et posant comme condition l'expulsion de ces religieux, on adoptait cette rédaction intermédiaire : Les sept cantons du Sonderbund s'adresseront au Saint-Siège, pour lui demander s'il ne convient pas, dans l'intérêt de la paix et de la religion, d'interdire à l'Ordre des Jésuites tout établissement sur le territoire de la Confédération helvétique[75]. Malgré le succès apparent de sa négociation, le duc de Broglie n'en demeurait pas moins fort sceptique sur le résultat final. Nous essayons, écrivait-il à son fils, une médiation qui est bien la plus malencontreuse qu'il soit possible d'imaginer. Il ne s'agit de rien moins que de faire passer clans le même bateau le loup, la chèvre et le chou, M. de Metternich, M. Guizot et lord Palmerston. La langue n'a point assez de souplesse pour inventer les équivoques qui seraient nécessaires en pareil cas. Ainsi, moi qui ne suis chargé que du loup, je l'ai un peu apprivoisé, mais pas assez pour que nous en venions à nos fins. Tout cela n'est que de l'encre et du papier perdus. Les radicaux seront maîtres de toute la Suisse, moins peut-être les vallées inaccessibles pendant l'hiver, avant que nous ayons mis nos points et nos virgules, et que nous soyons venus à bout, je ne dis pas de nous entendre, mais au contraire de ne pas nous entendre, c'est-à-dire de cesser de nous imputer mutuellement des perfidies, des desseins cachés, des ambitions dissimulées. Je ne connais pas de plus triste et de plus déplorable tâche que celle-là[76].

Avec les corrections obtenues par le duc de Broglie, le contre-projet anglais parut à M. Guizot, sinon satisfaisant, du moins acceptable. Restait à le faire agréer aux trois autres puissances. C'était là une autre difficulté. En effet, aussitôt avait-on connu, à Berlin et à Vienne, la première rédaction de lord Palmerston, qu'on l'avait déclarée dérisoire, impertinente, et l'on en avait conclu qu'il fallait agir sans l'Angleterre. Si nous entrons en négociations avec lord Palmerston, disait M. de Canitz, ministre des affaires étrangères de Prusse, nous n'aboutirons à rien ; nous n'arriverons même pas à temps pour l'enterrement. Les hommes d'État de Berlin, naguère si portés vers l'alliance anglaise et si hostiles à la France, proclamaient très haut que lord Palmerston était le représentant du principe révolutionnaire, et que toute la cause du principe conservateur était remise aux mains du gouvernement du roi Louis-Philippe[77]. M. de Metternich n'était pas moins animé[78]. M. Guizot entreprit cependant d'amener les trois cours de l'Est à se contenter du contre-projet amendé par lui. Lord Palmerston, leur fit-il remarquer, abandonne son principe, l'illégitimité dû Sonderbund ; il met les deux parties belligérantes sur le même niveau et traite avec toutes deux ; il se joint à nous pour l'offre et les bases essentielles de la médiation en commun : grand désappointement et rude coup pour les radicaux. Si la médiation est acceptée et réussit, le but est atteint. Si elle est refusée ou si elle échoue, nous rentrons tous dans notre pleine liberté. Nous pourrons faire alors, s'il y a lieu, d'autres pas à quatre, à trois, à deux ; mais nous aurons fait les premiers pas à cinq[79]. Le temps manquant pour attendre la réponse des cabinets eux-mêmes, notre ministre, employant un procédé auquel Casimir Périer avait eu souvent recours, réunit chez lui, le 24 novembre, les ambassadeurs d'Autriche, de Prusse et de Russie. Fortement chapitrés par lui, le comte Apponyi et le comte Arnim prirent sur eux d'accepter le contre-projet, et s'engagèrent, dès qu'il aurait été définitivement approuvé à Londres, à le transmettre aux représentants de leurs cours à Berne. L'ambassadeur de Russie, par manque d'instructions, ne put prendre le même engagement ; mais il approuva la conduite de ses collègues et fit espérer l'adhésion de sa cour[80]. L'influence ainsi exercée par M. Guizot sur les ambassadeurs étrangers n'était pas une médiocre preuve de la grande situation qu'il s'était faite en Europe[81]. En possession de cette adhésion, il l'annonça, le jour même, au duc de Broglie et le pressa de tout conclure : On avait bonne envie, lui écrivait-il, de laisser l'Angleterre seule. Nous n'avons pas cédé à cette envie. Nous comptons qu'en retour toute lenteur, toute petite difficulté disparaîtront, et que le prochain courrier m'apportera la signature anglaise[82].

Mais, avec lord Palmerston, on n'était jamais au bout des surprises désagréables. Informé, le 26 novembre, par le duc de Broglie, que les autres puissances acceptaient son contre-projet amendé, il prétendit remettre en question certains points de la rédaction, notamment ceux qui avaient trait aux Jésuites. Notre ambassadeur lui rappela fermement la parole donnée. Pendant trois heures, Palmerston essaya, de toutes les mauvaises chicanes pour échapper à son pressant interlocuteur ; il n'y parvint pas et dut finir par donner l'assurance qu'il ferait remettre la note aux belligérants suisses en même temps que les représentants des autres puissances[83]. Ouf ! ce n'est pas sans peine, écrivait le duc de Broglie à M. Guizot, au sortir de cette conférence. Il m'a fallu recourir aux grands moyens et peindre à lord Palmerston, sous les plus noires couleurs, la position de l'Angleterre dans l'isolement. J'ai employé, dans cette discussion, tout ce que le ciel m'a donné de présence d'esprit, de subtilité, de ressources d'argumentation, de résolution obstinée. Enfin, je l'ai décidé à lâcher prise[84].

Tout paraissait donc conclu, et il n'y avait plus qu'à agir. Le 28 novembre, M. Guizot, le comte Apponyi et le comte Arnim envoyaient aux représentants de la France, de l'Autriche et de la Prusse à Berne, la note identique que ceux-ci devaient remettre à la diète et au Sonderbund. Avis nous avait été donné de Londres, le 27, que sir Stratford-Canning était envoyé en Suisse avec la même mission. La Russie devait suivre prochainement.

Pendant que les puissances, systématiquement entravées par lord Palmerston, avaient tant de peine à se mettre en mouvement, les radicaux, en Suisse, précipitaient les événements. Aussitôt Fribourg soumis, le général Dufour avait marché sur Lucerne. Chacun sentait que là devait se livrer la bataille décisive. La Suisse entière, écrivait l'ambassadeur de France à Berne, est dans une attente pleine de passion et d'anxiété, les yeux tournés vers Lucerne. Les forces des deux partis étaient singulièrement inégales. L'armée du général Dufour ne comptait pas moins de 50.000 hommes de troupes de première ligne, de 30.000 hommes de réserve et de 172 canons ; les officiers et les soldats étaient loin d'être tous des radicaux, mais, suivant l'exemple du général Dufour, ils obéissaient à la diète. Le Sonderbund n'avait pas en tout 25.000 combattants, médiocrement commandés ; pas de direction d'ensemble bien acceptée ; chacun des sept cantons se préoccupait de retenir ses hommes sur son territoire pour le défendre contre l'invasion radicale. L'armée de la diète avait pour elle plus encore que la supériorité du nombre, de l'armement et du commandement : c'était de paraître l'armée régulière de la Confédération ; en voyant s'avancer contre eux des troupes portant le brassard fédéral, ceux-là mêmes qui, en 1845, avaient si gaillardement culbuté les corps francs, éprouvaient, en dépit de leur bon droit, un sentiment d'incertitude et de trouble. La lutte fut courte et sans éclat. Après quelques escarmouches, Lucerne se soumit, le 24 novembre. Du coup, le Sonderbund était mort, et la résistance partielle qui se prolongea encore quelques jours dans les cantons d'Uri et du Valais, n'avait aucune importance. Sans honneur pour les vainqueurs, dont le succès n'était qu'un grossier et odieux abus de la force, la lutte fut aussi sans honneur pour les vaincus, dont la prompte capitulation ne parut pas en harmonie avec leur attitude jusque-là si fière[85].

Ainsi, au moment où la diplomatie, sans nouvelles des opérations militaires, parvenait enfin à arracher le consentement du gouvernement anglais et lançait l'offre de médiation, l'un des belligérants, entre lesquels elle prétendait s'interposer, était déjà écrasé. C'était bien en prévision de ce résultat que lord Palmerston avait fait traîner les négociations préliminaires. Il ne s'était pas d'ailleurs contenté de retarder les puissances. Tandis qu'à Londres il feignait de chercher, de concert avec les autres cabinets, le moyen de contenir le gouvernement fédéral et de prévenir la guerre civile, il se montrait, à Berne, impatient d'applaudir au succès de ce gouvernement et le pressait de précipiter son attaque. Le chapelain de la légation britannique avait même été envoyé au camp du général Dufour, pour l'avertir que le chef du Foreign office, ne pouvant résister plus longtemps à la pression de la France, allait signer la note identique, et qu'il n'y avait pas un instant à. perdre pour abattre Lucerne avant que la note arrivât à destination. Après l'événement, notre chargé d'affaires se donna le plaisir de faire confesser, devant témoins, cette démarche, par M. Peel lui-même. Avouez, lui dit-il, que vous nous avez joué un tour, en pressant les événements. Et comme le diplomate anglais se taisait, notre agent insista : Pourquoi faire le mystérieux ? Après une partie, on peut bien dire le jeu qu'on a joué. — Eh bien, c'est vrai, dit alors M. Peel, j'ai fait dire au général Dufour d'en finir vite[86]. Il est vrai que, quant à lui, M. Peel n'était pas complice du double jeu de son ministre ; il n'était associé qu'à la partie radicale de sa politique ; quand il avait appris que lord Palmerston signait la note identique, il n'avait pu contenir sa surprise et son émotion. Si je pouvais, disait-il à notre agent, montrer les dépêches de lord Palmerston, on penserait, comme moi, que je ne saurais remettre la note qu'il m'annonce. Je donnerai ma démission plutôt que de le faire. Eh ! le puis-je donc, en effet, quand je viens de faire une visite à M. Ochsenbein dans un sens tout opposé ? Vous comprenez que je ne me suis pas lié avec des gens comme les radicaux, par amitié pour eux. Mais la guerre est finie, et l'on m'a fait jouer un rôle qui me blesse beaucoup[87]. Voilà de quelle loyauté usait le ministre qui s'indignait si fort de nos prétendues dissimulations dans l'affaire des mariages espagnols !

Quel effet pouvaient avoir désormais la note identique et l'offre de médiation ? Quand cette note arriva en Suisse, le 30 novembre, c'est à peine si les derniers débris du Sonderbund s'agitaient encore dans le Valais. Les ambassadeurs de France, d'Autriche et de Prusse la firent remettre cependant aux deux parties. Le gouvernement anglais prit prétexte des événements survenus pour s'abstenir, préférant sans doute rester sur les félicitations que son représentant avait adressées aux vainqueurs. Du moment où il n'y a plus de lutte, disait-on au Foreign office, il ne saurait être question de médiation. Les radicaux suisses n'avaient pas dès lors à se gêner. Par une note, en date du 7 décembre, ils repoussèrent la médiation, déclarant qu'il n'y avait jamais eu de guerre civile, mais seulement une exécution armée des décrets de la diète. Ils poussèrent l'impertinence jusqu'à demander à Paris que M. de Bois-le-Comte fût rappelé pour avoir pris ouvertement le parti des rebelles[88]. En même temps, dans l'usage qu'ils faisaient de leur victoire contre la minorité vaincue, ils montraient un mépris cynique de tout droit, de toute justice, de toute liberté. Plusieurs semaines après, le duc de Broglie, dont on connaît pourtant l'esprit mesuré, ne pouvait pas encore parler de ces excès sans un frémissement d'indignation. Dieu, disait-il, a voulu, dans ses desseins impénétrables, que l'œuvre de destruction, que l'œuvre d'iniquité s'accomplît ; il a voulu, pour notre enseignement à tous, que nous revissions encore une fois à l'œuvre et dans son triomphe le principe qui domine aujourd'hui dans la Confédération helvétique et qui paraît relever la tête sur plusieurs points de l'Europe ; il a voulu que nous revissions encore, après soixante ans, la conquête avec ses exigences implacables, l'occupation militaire avec ses exactions cupides, la profanation des lieux saints, la dévastation des choses saintes, les proscriptions en masse, les confiscations en bloc, des gouvernements révolutionnaires improvisés à la pointe des baïonnettes, et improvisant, à leur tour, sous le nom de lois, l'inquisition et la persécution, aux acclamations de la populace[89].

Les circonstances auraient-elles permis au gouvernement français de faire mieux ? En tout cas, force était de reconnaître que, jusqu'alors, sa campagne diplomatique, dans les affaires de Suisse, avait été peu heureuse. Il s'était trompé sur la force de résistance du Sonderbund, comme, en 1840, sur celle de Méhémet-Ali. Il s'était laissé duper par lord Palmerston, genre de mésaventure qui fait toujours faire à un gouvernement une figure assez fâcheuse et un peu ridicule, alors même qu'il peut se plaindre d'avoir été victime de manœuvres déloyales. Il avait mis en mouvement les grandes puissances de l'Europe, pour leur faire essuyer, en fin de cause, le refus insolent des radicaux de Berne. Les clients qu'il avait voulu protéger, d'accord avec les autres cours du continent, ces clients dont la cause était celle de l'ordre, du droit, de la liberté, avaient été écrasés sous ses yeux, sans avoir reçu de lui aucun secours efficace. Les amis de M. Guizot ne pouvaient se dissimuler qu'il y avait là un véritable échec pour la cause monarchique et conservatrice, et aussi quelque humiliation pour le gouvernement français[90]. Par contre, ses adversaires se sentaient encouragés à le prendre de plus haut encore, soit dans la presse, soit dans les banquets alors en pleine activité, avec une politique qui venait de se montrer aussi impuissante ; tous leurs applaudissements étaient pour lord Palmerston qu'ils félicitaient d'avoir joué notre gouvernement, pour les radicaux de la diète dont ils partageaient le triomphe.

 

VI

A Vienne comme à Berlin, on n'était nullement disposé à rester sur l'insuccès des premières démarches. M. de Metternich proclamait, au contraire, que l'écrasement du Sonderbund rendait le devoir de l'Europe plus pressant encore, son droit plus évident[91]. M. de Canitz disait au ministre de France : Peut-on accepter, parce que cela plaît à lord Palmerston, l'énorme échec que vient de subir le parti conservateur en Europe ?[92] Seulement, que faire ? Dans les deux cabinets allemands, se manifestait fortement cette double conviction, d'abord qu'il n'y avait rien à faire avec lord Palmerston, ensuite qu'on ne pouvait rien faire sans M. Guizot ; que l'un était l'ennemi forcé, l'autre le sauveur possible. Cela ressortait des dépêches écrites par M. de Metternich à cette époque : en même temps qu'il se plaignait amèrement de la mauvaise foi de lord Palmerston et qu'il se déclarait résolu à ne pas être une seconde fois sa dupe[93], il témoignait sa confiance en M. Guizot et exprimait le vœu qu'il prît la direction de la campagne. M. Guizot voit les choses telles qu'elles sont, disait-il à notre ambassadeur ; avec un esprit comme le sien, je suis toujours sûr de m'entendre, et je serai toujours prêt à marcher. Il ajoutait qu'il attendait du ministre français le nouveau plan de conduite à tenir[94]. Ces sentiments étaient peut-être plus vifs encore à Berlin ; le marquis de Dalmatie les notait, presque jour par jour, dans sa correspondance avec M. Guizot. Le cabinet prussien, écrivait-il, qui naguère encore se tenait tellement rapproché de l'Angleterre, en est bien loin aujourd'hui. Si je compare le langage d'aujourd'hui à celui d'il y a un an, quelle distance ! Et cette comparaison est ici dans toutes les bouches. On dit tout haut, aujourd'hui, que lord Palmerston est le représentant du principe révolutionnaire, et que toute la cause du principe conservateur est remise aux mains du gouvernement français... Le fait seul d'en être venu à un tel éloignement de l'Angleterre, que je pourrais, après une liaison aussi intime, presque l'appeler une rupture, ce fait peut vous donner la mesure de la préoccupation dans laquelle on est ici. Aussi ne se repose-t-on que sur la fermeté du gouvernement français pour soutenir la cause commune. Si M. de Canitz montrait quelque inquiétude, c'était quand il croyait qu'à Paris on lui gardait rancune de son mauvais vouloir passé. Pourquoi ne veut-on pas de nous ? demandait-il humblement au marquis de Dalmatie, et il revenait alors sur sa conduite dans l'affaire des mariages espagnols, pour chercher à l'excuser[95]. Lord Westmorland, ministre d'Angleterre, qui rentrait à Berlin, dans les premiers jours de décembre, après un assez long congé, était tout surpris du changement des esprits ; sa femme disait à un ami qu'elle voyait avec douleur combien lord Palmerston avait aliéné de l'Angleterre tout le continent[96]. Vainement, de Londres, M. de Bunsen tâchait-il de ramener son gouvernement à une appréciation des affaires suisses, moins contraire à celle du Foreign office ; M. de Canitz ne cachait pas la méfiance que lui inspiraient les rapports de cet agent. Frédéric-Guillaume lui-même entreprenait, avec une ardeur singulière, de convertir son ami Bunsen à des idées plus saines. De quoi s'agit-il en Suisse, lui écrivait-il, et pour nous et pour les grandes puissances ?... D'une seule question que j'appelle l'épidémie du radicalisme. Le radicalisme, c'est-à-dire la secte qui a scientifiquement rompu avec le christianisme, avec Dieu, avec tout droit établi, avec toutes les lois divines et humaines. Cette secte-là, en Suisse, va-t-elle, oui ou non, s'emparer de la souveraineté par le meurtre, à travers le sang, à travers les larmes, et mettre en péril l'Europe entière ? Voilà ce dont il s'agit. Cette pensée, qui est la mienne, doit être aussi la vôtre ; elle doit être celle de tous mes représentants auprès des grandes puissances. A cette condition seulement, vous et eux, vous agirez efficacement dans le sens de ma politique et de ma volonté. Il est de toute évidence, à mes yeux, que la victoire de la secte sans Dieu et sans droit, dont les partisans augmentent de jour en jour — comme la boue dans les jours de pluie —, particulièrement en Allemagne, il est, dis-je, de toute évidence que cette victoire établira un puissant foyer de contagion pour l'Allemagne, l'Italie, la France, un vrai foyer d'infection dont l'influence sera incalculable et effroyable... Le cabinet anglais ne considère pas la situation des choses au point de vue des dangers que court le droit européen, cela est parfaitement clair ; quant à vous, très cher Bunsen, la voyez-vous ainsi que je la vois ? Cela ne m'est pas clair du tout. C'est pourquoi je vous écris, car vous devez, — il le faut, — vous devez voir les choses comme moi, et agir en conséquence, brûlant du feu sacré, parlant, conseillant, n'ayant ni repos ni cesse, aussi longtemps que durera l'affaire[97].

A Berlin comme à Vienne, c'était donc vers Paris qu'on tournait les yeux, de Paris qu'on attendait une initiative et une direction. Ainsi apparaît-il que la campagne diplomatique qui, à regarder ses résultats en Suisse, avait jusqu'alors si mal réussi, influait cependant heureusement sur la situation de la France en Europe. M. Guizot, comprenant l'importance du rôle offert à son pays, était décidé à ne pas tromper l'attente des puissances. Il s'en expliquait ainsi dans la correspondance presque journalière qu'il avait alors avec le duc de Broglie : Le Prussien et l'Autrichien ne nous demandent pas d'adopter leur politique, mais de les mettre à couvert sous la nôtre. Nous sommes évidemment à ce point critique où la bonne politique française peut devenir, de gré ou de force, par conviction ou nécessité, la politique européenne. Crise décisive pour l'affermissement de notre établissement de Juillet et la grandeur nouvelle de notre pays. Il ajoutait, un autre jour : La question est posée plus grandement et plus nettement que jamais, entre la politique conservatrice et la politique révolutionnaire. L'Italie est certainement au bout de la Suisse ; peut-être même l'Allemagne. Et encore : Lord Palmerston veut rester le patron des radicaux, les protéger dans leurs embarras et profiter de leurs victoires. Or, plus je vois les radicaux à l'œuvre, œuvre sérieuse ou frivole, guerre civile ou banquets, plus je les méprise et redoute leur empire. Je suis convaincu que nous entrons dans une recrudescence générale, européenne, de la lutte engagée entre eux et nous. Notre position, dans cette lutte, est excellente aujourd'hui, car, en fondant un gouvernement libre, nous avons fait nos preuves comme gouvernement régulier, et nous sommes les modérateurs naturels, acceptés, de cette lutte, acceptés par les gouvernements eux-mêmes, comme par la portion honnête et sensée des populations. Toute notre politique doit consister à maintenir cette position et à en recueillir les fruits[98].

M. Guizot faisait donc connaître, dès le 4 décembre 1847, à Vienne et à Berlin, sa résolution de continuer, dans les affaires suisses, l'entente et l'action commune avec les puissances continentales[99]. Ayant su que le cabinet prussien avait eu quelques doutes sur ses intentions, il se hâtait de le rassurer et écrivait au marquis de Dalmatie : Priez M. de Canitz, de ma part, d'être certain que je ne manquerai ni à notre politique, ni à nos engagements. J'ai été, dès l'origine, et je suis encore aujourd'hui le premier sur la brèche, dans cette affaire suisse... Nous comptons tout à fait sur le cabinet de Berlin, et il peut compter sur nous[100]. Notre gouvernement ne faisait pas mystère au public de ses intentions. Le 7 décembre, le Journal des Débats annonçait que la chute du Sonderbund ne mettrait pas fin à Faction pacificatrice des puissances en Suisse ; qu'en présence des projets hautement proclamés par le radicalisme, il leur restait le devoir de protéger ce pays contre l'oppression et les bouleversements dont il était menacé ; elles doivent empêcher, déclarait-il, qu'on n'en fasse un foyer de désordre, un laboratoire d'anarchie, en vue de seconder dans les États voisins le mouvement révolutionnaire.

Pour prendre et garder cette attitude, M. Guizot avait cependant plus d'une résistance à vaincre en France. L'opinion continuait à y être fort occupée des affaires de Suisse[101]. Égarée par ses préventions naturelles et par les polémiques des journaux, elle voyait de mauvais œil toute action commune avec les puissances dites réactionnaires. M. de Barante constatait que l'opposition était parvenue à susciter contre la politique suivie en cette circonstance par le gouvernement, une clameur universelle, qu'il se hâtait du reste de qualifier de clameur exagérée, ignorante et irréfléchie[102]. Tout cela n'échappait pas à M. Guizot. Je ne me fais point d'illusion sur les difficultés, écrivait-il, le 3 décembre, au duc de Broglie. La lutte sera très rade dans les Chambres. Je crois parfaitement ce que vous me dites, que de Londres on donnera et qu'à Paris on acceptera ce terrain pour l'attaque contre moi. Personnellement, cela me convient. Au fond et pour les choses, cela est inévitable[103]. Parmi les conservateurs et même parmi les membres du cabinet, tous n'avaient pas le même sang-froid et la même fermeté ; on en peut juger par l'incident que M. Guizot racontait en ces termes au duc de Broglie : Duchâtel et, après lui, quelques-uns de nos amis sont venus rompre ma solitude, fort troublés, répétant ce que disent les adversaires, convaincus que le péril est très grand pour le cabinet, qu'il n'y a pas moyen de se séparer de l'Angleterre dans la question suisse, que rien n'est possible sans elle, pas plus une attitude qu'une action, et qu'il faut tenir, comme elle, la question suisse pour terminée, si on ne doit pas la continuer avec elle. Entre nous, ceci ne change rien à ce que je pense et ferai, et je poserai très volontiers la question de cabinet sur la politique que je viens de vous exposer. Je ne veux certainement pas me ranger derrière les cours continentales ; mais, quand elles se rangent derrière moi et font tout ce que nous leur demandons, je ne ferai certainement pas la bêtise et la lâcheté d'abandonner notre propre politique pour n'avoir pas l'air de la faire en commun avec Berlin et Vienne[104].

C'était jusque chez les collaborateurs les plus intimes de sa politique extérieure que M. Guizot rencontrait, sinon des oppositions, du moins un certain trouble. Tel était, entre autres, le cas de M. Rossi. A son insu, son double passé de patriote italien et de libéral suisse le prédisposait mal à l'entente avec l'Autriche ; mais, en même temps, il était un politique trop avisé pour ne pas apercevoir la nécessité et les avantages possibles de cette entente. De là une sorte d'angoisse dont, de Rome, il faisait part au duc de Broglie, dans une lettre curieuse à plus d'un titre. Je conçois, lui écrivait-il, que les gouvernements s'inquiètent des agitations radicales en Suisse ; pas seulement les absolutistes, mais tout gouvernement libéral et conservateur. Ils se trouvent tous en face d'un ennemi commun qui menace de devenir redoutable et qui fait des progrès tous les jours. Tout le monde n'est pas confiné dans une île et n'aime pas à jouer avec les tempêtes... Quelques indices me font conjecturer qu'on se dispose à donner au radicalisme la leçon qu'il mérite, et à dissiper, s'il le faut, à coups de canon, l'orage qui s'amoncelle. Notre gouvernement ne veut pas rester sous la tente, et je le conçois encore. Il est un grand gouvernement ; il est intéressé dans la question ; il sort de l'isolement par un fait éclatant ; il trouve une noble revanche de Beyrouth ; c'est une reconstitution, à notre profit, de la politique européenne. Tout cela est important, grand même. Il faudrait être stupide pour ne pas l'apprécier à sa valeur ! Une chose cependant m'inquiète ou, à mieux parler, m'inquiéterait, si je n'étais convaincu qu'on saura éviter l'écueil que j'aperçois. Si une action commune devient nécessaire, nous serons les alliés des puissances, du Nord, en particulier de l'Autriche. Vous ne me croyez pas l'esprit assez borné pour me laisser dominer par d'anciens souvenirs et des antipathies : j'ai assez prouvé le contraire ici. Mais, en fait, l'Autriche et nous, nous ne représentons pas le même principe, et une campagne contre le radicalisme, quelque nom et couleur qu'on lui donne, recèle une lutte de principes. En combattant les principes subversifs du radicalisme, il faut bien qu'on sache quel est le drapeau qu'on élève, quel est le but qu'on se propose, quels sont les principes qui nous font agir. Nous pouvons bien avoir avec l'Autriche un intérêt commun, mais la communauté peut-elle s'étendre plus loin ? Pouvons-nous proclamer les mêmes principes et viser au même but ? Oui, si l'Autriche voulait, elle aussi, comprendre les nécessités du temps, du moins pour la Suisse et l'Italie ! Mais je n'y crois guère. Dès lors, la situation devient délicate. L'Autriche ne se plaçant pas sous notre drapeau, il y aurait deux drapeaux distincts, à moins que la France ne se plaçât sous le drapeau de l'Autriche. Cette dernière hypothèse, je m'empresse de le reconnaître, est injurieuse et impossible. Une intervention au nom des principes autrichiens ne serait qu'une réaction qui en préparerait une autre, un peu plus tôt, un peu plus tard. Je suis en même temps convaincu qu'elle serait un grave danger pour nous, pour notre gouvernement, j'ose ajouter pour notre dynastie, un de ces dangers qui n'éclatent pas en naissant, mais qui couvent.et fermentent. Nous sommes des conservateurs, mais, ainsi que M. Guizot me l'écrivait, des conservateurs intelligents et éclairés, tranchons le mot, des conservateurs libéraux. C'est là notre force, notre salut, la gloire de ce grand règne. Je laisse les inconvénients d'un démenti à notre constant langage, etc., etc., car, encore une fois, je suis convaincu, malgré le peu de satisfaction que m'ont fait éprouver certains faits subalternes, qu'on ne songe pas à mettre notre drapeau dans la poche, pour arborer celui du Conseil aulique. Comment s'y prendre pour avoir, dans une action matérielle commune, une action politique distincte ? C'est là le scrupule qui me préoccupe et dont j'ai voulu vous parler, accoutumé que je suis à penser tout haut avec vous. Il ne m'appartient pas de chercher la solution du problème, la meilleure solution, car j'en entrevois plusieurs. On y a sans doute déjà pensé, et je l'attends avec pleine confiance[105].

Quoique dans une moindre mesure, le duc de Broglie n'était pas sans partager quelques-unes des préoccupations de M. Rossi. Il l'avait laissé voir naguère par ses répugnances contre le projet de médiation ; il le montra encore par les conseils qu'il donna à son gouvernement sur la conduite à tenir après la défaite du Sonderbund. M. Guizot avait pensé que, du moment où l'on voulait continuer l'entente avec les puissances, la marche la plus naturelle était de réunir, à Neufchâtel ou ailleurs, la conférence prévue dans les accords préalables et même annoncée dans la note identique ; l'Angleterre, sans doute, refuserait d'y venir ; on se passerait d'elle. S'il n'y a plus lieu à médiation, écrivait notre ministre, il y a toujours lieu à entente entre les puissances, et la conférence doit s'ouvrir comme signe et moyen d'entente... non pour agir immédiatement, mais pour rester, vis-à-vis de la Suisse, dans une situation d'observation et d'attente... La situation se réduit à ceci : faire durer l'entente avec les puissances et l'attente envers la Suisse[106]. Le duc de Broglie témoigna tout de suite une assez vive répugnance pour cette conférence à quatre qui lui paraissait avoir des airs de congrès de Laybach et de Vérone. — Une conférence n'ayant d'autre mission que de représenter les traités de 1815, écrivait-il à M. Guizot, me paraît dangereuse et compromettante. M. de Metternich et le roi de Prusse en parlent fort à leur aise. Ces traités sont leur gloire, et ils n'ont pas de Chambres à concilier. Mais nous ne sommes pas dans la même position. Notre position est excellente, comme vous le dites, en ce sens que nous pouvons faire faire aux autres notre volonté ; mais c'est pour cela qu'il faut qu'ils se plient à nos convenances, et que nous ne tirions pas pour eux les marrons du feu. Toujours convaincu qu'une action armée en Suisse serait prématurée tant que le fond du pays n'aurait pas souffert, et souffert longtemps, amèrement, cruellement, dans ses intérêts matériels, le duc se demandait quelle figure ferait cette conférence forcément oisive. A son avis, il fallait mettre fin, le plus promptement possible, à la première phase des négociations ; et, pour cela, le mieux lui paraissait être une note concertée entre les quatre puissances et signifiée à la diète. Ce n'est pas qu'il entendît au fond passer condamnation sur les méfaits des radicaux ; non, mais voici la tactique qu'il proposait de suivre à leur égard. Il faut, disait-il, bloquer moralement la Suisse, la renfermer en elle-même, la menacer d'un inconnu sans limites, la ruiner en l'obligeant à se maintenir sur un pied de guerre insoutenable pour elle, et attendre que les gouvernements radicaux soient chassés à coups de fourche par les paysans, comme l'ont été les gouvernements conservateurs. M. de Broglie était également fort loin de vouloir que la France se séparât des puissances continentales et se rapprochât de l'Angleterre. Bien au contraire, il entrevoyait comme devant faire suite à la remise de la note concertée, une entente avec les puissances continentales à l'exclusion de l'Angleterre, entente réelle, durable, publique, et même générale, s'appliquant aux affaires d'Italie comme à celles de Suisse. Là est, écrivait-il à M. Guizot, la clef des destinées de l'Europe... Vous êtes alors le maître du terrain dans toute l'Europe ; lord Palmerston sera à moitié détruit, et personne, dans les Chambres, n'a un mot à dire. Il ajoutait : Hâtez-vous... traitez l'affaire de l'entente sans trop en parler à vos collègues ; vous leur feriez peur ; ils bavarderaient, et la mèche serait éventée[107].

M. Guizot, voyant le duc de Broglie d'accord avec lui sur le fond des choses et sur le but à atteindre, ne se refusa pas à prendre en considération ses objections de forme. Après quelques hésitations et à la suite de plusieurs lettres échangées, il renonça à réunir une conférence et se rallia à l'idée d'une note concertée dont il résumait ainsi le contenu : Maintien de notre droit de regarder à ces affaires de Suisse. Réserve de notre droit d'agir suivant les circonstances. Point de demande ; rien qui donne lieu à une réponse. Les engagements de l'Europe envers la Suisse tenus en suspens, tant que la Suisse ne sera pas rentrée dans son état normal. Le mal hautement déclaré. L'avenir laissé incertain. Il ajoutait : La note une fois remise et l'entente rétablie, chacun rentrerait chez soi, et nous attendrions, dans l'attitude prise en commun, ce qui se passerait en Suisse. M. Guizot se fiait à son crédit sur les puissances continentales et au besoin qu'elles avaient de lui, pour leur faire accepter ce changement de procédure. D'ailleurs, ajoutait-il, la perspective d'une entente permanente et générale sur les affaires du continent leur plaira bien plus que ne leur déplaira l'abandon de la conférence. Et je suis de plus en plus convaincu que, pour un temps du moins, nous leur ferons accepter notre politique : ce qui fera faire aux affaires européennes et à nous-mêmes, en Europe, un très grand pas[108].

M. Guizot agit donc aussitôt sur les cabinets autrichien et prussien pour les faire renoncer à la conférence. Il leur montra comment cette conférence, inutile pour l'attitude expectante et comminatoire qu'on voulait prendre envers le gouvernement fédéral, risquait de devenir compromettante ou ridicule. Il insista également sur une considération qu'il qualifiait de toute personnelle, mais qui n'avait pas été probablement pour lui la moins décisive. La conférence, disait-il, aggraverait beaucoup les difficultés déjà fort grandes de ma situation ici, devant nos Chambres et notre public. Je suis profondément convaincu que la politique que j'ai suivie et que je persiste à suivre dans les affaires suisses est bonne, très bonne pour la France comme pour l'Europe, pour notre gouvernement comme pour tous les gouvernements. Mais on ne peut se dissimuler qu'elle est contraire, très contraire aux préjugés, aux traditions, aux passions parlementaires et populaires, et que, pour la faire comprendre et prévaloir, j'aurai à surmonter de très grands obstacles, obstacles que la faiblesse et la défaite si prompte du Sonderbund ont immensément grossis. Ma résolution est parfaitement prise : je ne reculerai point devant ces obstacles ; je soutiendrai dans les débats, je maintiendrai dans la pratique la politique que j'ai adoptée, et je triompherai ou je tomberai en la maintenant. Mais je ne crois pas qu'il soit utile pour personne de rendre le succès plus difficile et plus incertain[109]. Les cabinets de Vienne et de Berlin, désireux avant tout de marcher avec la France et disposés par suite à prendre en bonne part ce qui venait d'elle, se rendirent à ces arguments et consentirent à remplacer la conférence par une note. Fait curieux et qui marque bien leurs sentiments pour M. Guizot : la considération du danger parlementaire auquel était exposé le cabinet français ne fut pas celle qui agit le moins sur eux[110].

A cette époque, d'ailleurs, les deux puissances allemandes donnaient une preuve justement remarquée de la confiance, j'allais presque dire de la déférence qu'elles entendaient témoigner à la France. Dès la fin de novembre 1847, croyant à la réunion d'une conférence, elles avaient désigné chacune leur plénipotentiaire : l'Autriche, le comte Colloredo ; la Prusse, le général de Radowitz : c'étaient deux personnages considérables, et leur choix indiquait l'importance qu'on attachait à leur mission. Ils s'étaient rencontrés à Vienne, dans le commencement de décembre, pour arrêter, sous les auspices de M. de Metternich, la conduite à tenir. Le chancelier autrichien avait tout un plan d'action graduée, débutant par des sommations comminatoires, continuant par une déclaration de dissolution de la Confédération, un blocus commercial, des rassemblements de troupes sur la frontière, et aboutissant, s'il était nécessaire, à une intervention armée et à une occupation territoriale[111]. Mais, à Vienne comme à Berlin, force était bien de s'avouer qu'on ne pouvait rien sans la France, et que c'était M. Guizot, non M. de Metternich, dont l'avis était important à connaître. De là, l'idée d'envoyer les deux plénipotentiaires à Paris, au lieu de les garder à Vienne. Le gouvernement autrichien s'y décida assez facilement ; la Prusse consentit avec plus de peine à une démarche qui paraissait mettre aussi ouvertement sa politique à la suite de la France ; toutefois ses hésitations ne durèrent pas longtemps, et, vers le 22 décembre, le comte Colloredo et le général de Radowitz arrivaient ensemble à Paris[112]. Cette arrivée est une circonstance notable, écrivait au moment même M. de Barante. L'Autriche et la Prusse se plaçant sous la direction de notre gouvernement, lui accordant confiance, résolues à ne pas aller plus vite ni plus loin que nous, et se plaçant en dissidence avec l'Angleterre, voilà qui est très nouveau ![113]

M. Guizot entra tout de suite en conversation avec les deux plénipotentiaires, sur les affaires suisses et aussi sur toutes les autres grandes questions pendantes. Ils apportaient sans doute un désir de réaction un peu solennelle et fastueuse qui n'était pas dans notre ligne. Mais M. Guizot gagna vite leur confiance, prit action sur eux et les ramena entièrement à ses idées. Au plan de M. de Metternich, il fit substituer le sien, qui se résumait ainsi : point de conférence ; point de sommation à terme fixe qui provoquerait un refus ; en place, une déclaration notifiée à la diète, et portant que les puissances considéraient la souveraineté cantonale comme violée ; que par suite la confédération n'était pas dans une situation régulière et conforme aux traités ; puis, la déclaration faite, entente permanente et avouée entre les puissances, attente vis-à-vis de la Suisse, et réserve des mesures qu'il y aurait lieu de prendre ultérieurement. Les cabinets de Vienne et de Berlin ratifièrent avec empressement l'approbation donnée par leurs plénipotentiaires. M. de Metternich, particulièrement, fut enchanté de la déclaration : Il l'adopte sans restriction aucune, écrivait M. de Flahault à M. Guizot, et m'a dit qu'il ne voudrait y ajouter ni en retrancher un seul mot. A chaque passage, il répétait : C'est cela, c'est parfait[114].

L'adhésion des puissances allemandes impliquait celle de la Russie. M. Guizot avait été un moment préoccupé de la réserve où l'on paraissait vouloir se renfermer à Saint-Pétersbourg, et il s'était demandé si l'on ne craignait pas là de se mettre en froid avec Londres et en trop bons rapports avec Paris[115]. Mais il avait été bientôt rassuré : M. de Metternich se portait fort du concours du gouvernement russe ; celui-ci d'ailleurs ne cachait pas son irritation contre lord Palmerston ; s'il se tenait à l'écart, c'était par crainte, non d'être entraîné trop loin, mais au contraire d'être associé à une action trop molle et trop incertaine[116]. M. de Nesselrode disait lui-même à notre chargé d'affaires : Vous pouvez compter sur l'appui de l'Empereur pour tout ce que vous ferez dans l'intérêt de l'ordre et en vue de combattre le radicalisme[117].

Restait l'Angleterre : communication lui fut faite du projet de note, sans espoir d'obtenir son adhésion, et avec la volonté très ferme de ne pas se laisser une seconde fois jouer par elle. Lord Palmerston refusa en effet de prendre part à une entreprise qui, à l'entendre, ne tendait à rien moins qu'à faire de la Suisse une nouvelle Pologne. Il lui avait paru suffisant d'envoyer à Berne sir Strafford Canning, avec mission de traiter les radicaux en amis, tout en leur conseillant un peu de modération. Au bout de quelques semaines, sir Strafford avouait mélancoliquement à notre ambassadeur qu'il n'avait rien pu obtenir, et il s'éloignait fort découragé. Cet insuccès n'était pas pour rendre à lord Palmerston son isolement plus agréable. Tout ce qui lui revenait de la mission Colloredo' et Radowitz le chagrinait fort, surtout à cause de l'importance qui en résultait pour la France. Il ne négligeait rien pour éveiller dans le cabinet autrichien des défiances à notre sujet[118]. C'était sans succès ; M. de Metternich persistait à réserver toutes ses défiances pour lord Palmerston lui-même. Celui-ci n'avait plus décidément, en Europe, d'autre allié que l'opposition française : celle-ci, il est vrai, était prête à le servir avec une ardeur passionnée. Il y avait entre eux accord plus ou moins explicite pour porter sur les affaires de Suisse le principal effort de l'attaque parlementaire qui allait être dirigée contre le cabinet français[119]. C'était par là que le ministre britannique espérait enfin trouver la vengeance qu'il poursuivait en vain, depuis plus d'une année, contre les ministres auteurs des mariages espagnols[120].

La note fut remise à la diète, le 18 janvier 1848, au nom de la France, de l'Autriche et de la Prusse. La Russie s'y associa après coup. On ne se flattait pas d'en avoir fini ainsi avec la Suisse. Si c'était la clôture d'une première phase de Faction diplomatique, c'était aussi l'ouverture d'une seconde. On prévoyait la nécessité de prendre ultérieurement d'autres mesures, peut-être des mesures coercitives. Quelles seraient-elles ? Le gouvernement français, bien que de plus en plus prononcé contre le radicalisme, entendait toujours éviter l'intervention armée, tant qu'une anarchie prolongée ne l'aurait pas fait désirer par la Suisse elle-même. Il prévoyait cependant l'éventualité — qui ne lui déplaisait pas autrement — où l'Autriche voudrait, de son côté, occuper militairement quelque partie de la confédération ; il était résolu, dans ce cas, à prendre tout de suite, lui aussi, une forte position, et il s'en était entretenu avec le maréchal Bugeaud. En tout cas, les décisions à prendre sur les mesures ultérieures furent ajournées d'un commun accord ; on désirait voir auparavant ce que deviendrait la Suisse, où commençaient à se montrer quelques signes d'apaisement ; on attendait surtout que le ministère français fût débarrassé de la discussion de l'adresse, qui alors l'absorbait complètement. Les autres cabinets, témoins inquiets des dangers parlementaires courus par M. Guizot, étaient les premiers à ne pas vouloir les augmenter par quelque démarche diplomatique qui fournît prétexte aux attaques de l'opposition[121]. Par toutes ces raisons, il fut donc convenu que les puissances ne reprendraient qu'un peu plus tard leurs délibérations sur les affaires suisses : ce n'était pas d'ailleurs un ajournement indéfini ; rendez-vous fut pris pour le 15 mars 1848. Qui donc aurait pu alors prévoir qu'à cette date si proche, la monarchie française ne serait plus ; que les gouvernements d'Autriche et de Prusse seraient, chez eux, aux prises avec la révolution, et que la crise particulière de la Suisse aurait pour ainsi dire disparu dans la crise générale de l'Europe ?

L'entreprise diplomatique, commencée dans les affaires de Suisse, a donc été, comme beaucoup d'autres à cette époque, brusquement interrompue avant d'avoir pu produire ses effets. Il serait difficile et en tout cas assez oiseux de chercher à deviner quels ils auraient pu être. Notons seulement qu'à la veille de la révolution de Février, un résultat paraissait acquis : c'était que la direction de cette entreprise était aux mains de la France. Les puissances continentales sentaient la nécessité et avaient pris leur parti de marcher derrière elle et à son pas. Le comte Colloredo et le général Radowitz avaient manifesté cette sorte de subordination en prolongeant leur séjour à Paris jusqu'à la fin de janvier et en témoignant envers M. Guizot une confiance entière que partageaient leurs gouvernements[122]. Aussi le duc de Broglie lui-même, malgré la répugnance avec laquelle il était venu aux alliances continentales, ne pouvait-il s'empêcher, à la fin de janvier et au commencement de février 1848, de constater la bonne position prise par le cabinet français dans les affaires suisses. Il le montrait imposant sa propre politique aux puissances du continent et les obligeant à la modération et à la libéralité, sans rien abdiquer des idées d'ordre, tandis que lord Palmerston était laissé tout seul, fraternisant avec les radicaux et leur drapeau à la main[123].

 

VII

L'Italie, après avoir été, au lendemain de 1830, l'un des gros soucis de la diplomatie européenne[124], ne l'avait plus occupée ensuite pendant environ quatorze ans. A partir de 1832, le calme s'était fait sur ce théâtre un moment si troublé. Les fauteurs d'insurrections, découragés de n'avoir pas trouvé dans la monarchie de Juillet la complicité révolutionnaire sur laquelle ils comptaient, avaient à peu près désarmé. Au conflit qui avait menacé d'éclater entre les influences rivales de la France et de l'Autriche, avait succédé une sorte d'équilibre ; l'occupation d'Ancône avait répondu à celle de Bologne, et la simultanéité avec laquelle s'opérait, en 1838, l'évacuation des deux villes, manifestait la persistance de cet équilibre[125]. Quant à l'effort tenté par les puissances pour imposer à Grégoire XVI les réformes politiques et administratives indiquées dans le Memorandum du 21 mai 1831, il n'en avait plus été question ; le vieux pontife avait pu s'endormir dans une immobilité routinière qui repoussait les chemins de fer au même titre que les constitutions, et pour laquelle M. de Metternich lui-même était suspect de jacobinisme[126]. Sans doute, cette immobilité n'était pas une solution, et aucun esprit réfléchi ne pouvait se faire illusion sur les dangers du réveil qui succéderait, tôt ou tard, à ce sommeil. Mais les cabinets n'étaient pas tentés de devancer l'heure où ils devraient de nouveau se débattre avec ce redoutable problème. Le gouvernement français, notamment, s'était habitué à ne plus regarder de ce côté. En 1845, M. Rossi recevait à Rome, où il était en mission, la visite du jeune prince Albert de Broglie ; il entretint longuement son visiteur des affaires religieuses qu'il avait à traiter avec la cour romaine ; mais, dans la conversation, il ne fut pas même fait allusion à la situation intérieure de la Péninsule : on eût presque dit que l'ancien émigré italien lui-même oubliait, à ce moment, l'existence de cette question.

Il ne faudrait pas croire, cependant, qu'à cette date de 1845, tout fût muet et sourd au delà des Alpes. Bien au contraire, un mouvement d'opinion libérale et nationale, d'un caractère nouveau, venait de s'y produire. Il n'avait plus son origine dans les sociétés secrètes et ne se manifestait pas, comme en 1831 et en 1832, par des insurrections. C'était une propagande à ciel ouvert, répudiant hautement toute violence, faisant profession de respecter les lois, prêchant la concorde au lieu de la guerre civile, et invitant peuples et princes à s'unir pour l'œuvre commune. Deux livres surtout avaient eu un immense retentissement, le Primato, de Fabbé Gioberti (1843), et les Speranze d'Italia, du comte Balbo (1844) : Gioberti concluait à une confédération italienne dont le Pape, devenu libéral et patriote, serait la tête, et le roi de Piémont le bras ; Balbo, plus préoccupé encore d'indépendance que de liberté, donnait comme mot d'ordre l'expulsion de l'étranger, et proposait de dédommager l'Autriche avec les débris de l'empire turc. A demi tolérés par des polices bénévoles ou indolentes, ces livres pénétrèrent partout en Italie. Leurs doctrines trouvaient un apôtre singulièrement actif et séduisant dans le marquis Massimo d'Azeglio : celui-ci, à la fin de 1845, visitait Rome, parcourait les Légations et la Toscane, répandant la parole nouvelle dans les salons comme parmi le populaire ; puis, au commencement de 1846, devenu auteur à son tour, il faisait paraître sa brochure des Casi di Romagna, qui ne produisait pas moins d'effet que les livres de Balbo et de Gioberti. On ne saurait s'imaginer à quel point l'esprit public italien se trouvait ranimé par ces publications : l'état présent de la Péninsule n'en était pas, sans doute, immédiatement modifié ; mais une grande espérance était descendue dans les âmes, qui toutes se tendaient vers l'avenir de liberté intérieure et d'indépendance extérieure qu'on leur faisait entrevoir.

C'est au milieu de cette attente émue que survient, le 1er juin 1846, la mort de Grégoire XVI. Chacun sent aussitôt que le choix du pape nouveau peut avoir une action décisive sur les destinées de l'Italie. A ne considérer que les prévisions humaines, il semble à craindre que les cardinaux, presque tous créés par le pontife défunt, ne lui donnent un successeur imbu de ses idées : on annonce comme probable l'élection du cardinal Lambruschini, secrétaire d'État pendant le dernier règne, et incarnation de la vieille politique dans ce qu'elle a de plus sévère. Mais voici qu'après un conclave d'une brièveté exceptionnelle, le peuple romain apprend, étonné et ravi, que le Sacré Collège, cédant à une sorte de pression mystérieuse, a porté son choix sur l'un de ses plus jeunes membres, le cardinal Mastaï Ferretti, évêque d'Imola, très pieux, n'ayant sans doute aucune idée bien arrêtée sur les problèmes de gouvernement qu'il ne s'attendait pas à être chargé de résoudre, mais étranger à la coterie rétrograde, naturellement ouvert aux idées généreuses, répugnant aux rigueurs dont son âme tendre a plus d'une fois déploré les conséquences douloureuses, et surtout possédé du besoin d'aimer et d'être aimé ; en venant au conclave, il avait prié un de ses diocésains de lui donner le Primato, les Speranze d'Italia et les Casi di Romagna, pour faire hommage, disait-il, de ces beaux livres au nouveau pape.

Le premier usage que Pie IX fait de sa souveraineté est une amnistie très large à tous les prisonniers ou exilés politiques ; avec le langage d'un père plus encore que d'un souverain, il offre la paix du cœur, pace di cuore, à cette jeunesse inexpérimentée qui, entraînée par de trompeuses espérances au milieu des discordes intestines, a été plutôt séduite que séductrice. A peine le perdono est-il affiché sur les murs de Rome, que se produit, dans toute la ville, une explosion de joie reconnaissante.. Les habitants se portent en foule sur la place du Quirinal pour y acclamer le Pontife. Deux fois déjà, celui-ci les a bénis, quand arrivent de nouvelles bandes des quartiers plus éloignés. Il est nuit ; le Saint-Père est rentré dans ses appartements, et toutes les fenêtres du palais sont fermées. Contrairement à l'étiquette qui veut que les papes ne se laissent pas voir après le coucher du soleil, Pie IX consentira-t-il à paraître encore une fois au balcon ? La foule attend anxieuse. Tout à coup, rapporte M. Rossi, témoin de la scène, les applaudissements redoublent ; je n'en comprenais pas la raison, lorsque quelqu'un me fit remarquer la lumière qui perçait à travers les persiennes, à l'extrémité de la façade. Le peuple avait compris que le Saint-Père traversait l'appartement pour se rendre au balcon. Bientôt, en effet, le balcon s'entr'ouvrit, et le Saint-Père, en robe blanche et mantelet rouge, apparût au milieu des flambeaux. Représentez-vous une place magnifique, une nuit d'été, le ciel de Rome, un peuple immense, ému de reconnaissance, pleurant de joie et recevant avec amour et respect la bénédiction de son pasteur et de son prince, et vous ne serez pas étonné si je vous dis que nous avons partagé l'émotion générale et placé ce spectacle au-dessus de tout ce que Rome nous avait offert jusqu'ici. Aussitôt que la fenêtre s'est fermée, la foule s'est écoulée paisiblement, dans un parfait silence. On aurait dit un peuple de muets ; c'était un peuple satisfait[127]. L'applaudissement, éclaté dans Rome, se propage, en un clin d'œil, dans l'Italie entière. Partout le peuple, tournant vers le Quirinal un regard plein d'amour et de confiance, pousse un long cri de Evviva Pio nono ! Ce cri a son écho au delà des Alpes, même dans les milieux les moins catholiques. Surprenante popularité, qui se manifeste soudainement dans une société où, tout à l'heure, le clergé était suspect, la religion dédaignée. Du coup, elle semble dissiper tous les malentendus accumulés entre l'Église et la société moderne. C'est une de ces heures radieuses de concorde, de foi et d'espérance, où l'humanité croit voir disparaître les difficultés qui pesaient sur elle et toucher à la réalisation de ses rêves les plus généreux.

Mais, hélas ! ce n'est pas d'ordinaire par les applaudissements des foules enivrées et dans l'attendrissement passager des baisers Lamourette que se résolvent les problèmes ardus et complexes imposés aux efforts de nôtre virilité et de notre liberté. Il semble qu'en vertu d'une loi de châtiment qui pèse sur l'humanité, tous les grands enfantements doivent ici-bas se faire dans la douleur et non dans la joie. Dès les premières émotions du nouveau pontificat, on peut discerner, entre le Pape et le peuple qui l'acclame, le germe d'un malentendu. En décrétant son amnistie, le Pape n'a guère songé qu'à suivre l'impulsion de son cœur et à faire œuvre de miséricorde sacerdotale ; le peuple y a vu surtout une répudiation solennelle de la réaction jusqu'alors régnante et l'inauguration d'une politique libérale et nationale, dont il témoigne attendre impatiemment, au dedans et au dehors, le développement. Pie IX a l'âme italienne ; mais il a aussi l'âme apostolique, et, comme père de toutes les nations catholiques, il sent l'impossibilité de se poser en ennemi de l'une d'elles ; s'il n'a aucun scrupule, et si même il est disposé à soustraire le gouvernement pontifical à la lourde tutelle de la chancellerie aulique, il ne l'est nullement à se faire, contre l'Autriche, le chef d'une croisade diplomatique ou militaire. Quant aux réformes intérieures, la difficulté, pour paraître moins insoluble, est cependant fort embarrassante. Sans doute Pie IX a le cœur trop généreux pour ne pas être séduit à la pensée de corriger les abus, de gagner l'amour de ses sujets, de faire succéder la concorde aux anciennes divisions ; aussi est-ce avec une grande bonne volonté et une sincérité parfaite qu'il entreprend de donner sur ce point satisfaction aux vœux de l'opinion. Mais cette transformation d'un État d'ancien régime, toujours malaisée, l'est plus encore à Rome, à cause du caractère ecclésiastique du gouvernement. Dans le passé du pieux évêque d'Imola, dans ses travaux, dans sa nature d'esprit, rien ne l'a préparé à surmonter ces difficultés. Lui-même est le premier à se défendre d'être un homme d'État, et il dit, avec sa belle humeur accoutumée : Vogliono fare di me un Napoleone, mentre che non sono allro che un povero curalo di campagna[128].

A mesure que les événements, en se développant, font naître de nouveaux problèmes, l'inexpérience du Pape se trahit par un mélange de lenteurs hésitantes et de témérités inconscientes. Il soulève trop de questions et n'en résout pas assez ou ne les résout pas assez vite. Il manque absolument de ce qui serait le plus nécessaire en pareil cas, le sentiment net de ce qu'il veut et de ce qu'il ne veut pas, la résolution arrêtée d'aller jusqu'à tel point et de ne pas le dépasser. Cette indécision personnelle le laisse à la merci des influences extérieures, d'autant qu'il a une nature très impressionnable, un esprit mobile, prompt aux inquiétudes et aux doutes, un souci singulier de ne déplaire à personne. Quelque prélat de la vieille cour éveille-t-il chez lui un scrupule, il s'arrête ; mais la foule lui fait-elle froid visage, il tâche aussitôt de regagner sa faveur, en lui promettant d'abandonner ce qu'il a d'abord voulu retenir. Tout concourt ainsi à accroître les exigences de cette foule, aussi bien la velléité de résistance par laquelle on excite son impatience, que les concessions qui lui montrent son pouvoir et la faiblesse du gouvernement. D'ailleurs, il est de jour en jour plus visible que cette foule est conduite par certains meneurs, généralement d'anciens réfugiés, qui ont compris le parti à tirer de l'enthousiasme populaire et du goût du Pape pour les ovations. Remuez les masses, ne fût-ce que pour témoigner de la reconnaissance, écrivait Mazzini ; des fêtes, des chants, des rassemblements suffisent pour donner au peuple le sentiment de sa force et le rendre exigeant. Sous une habile et mystérieuse impulsion, les dimostrazioni in piazza se multiplient et deviennent la vraie puissance directrice. Le moindre prétexte suffit à faire descendre la foule dans la rue. Coragio, Santo Padre, crie-t-elle, confidatevi al vostro popolo ![129] Mais ce n'est plus, comme à l'origine, l'explosion spontanée et sans arrière-pensée de la reconnaissance populaire ; c'est, au moins chez les meneurs, une tactique savamment combinée en vue d'échauffer, d'enfiévrer les esprits, de compromettre, de pousser ou d'intimider le Pontife. Quelques mois ont suffi pour arriver à ce résultat gros de redoutables conséquences : Pie IX n'est plus maître du mouvement dont il a donné le signal ; il est entraîné.

Si l'inexpérience du gouvernement romain l'expose ainsi à de graves périls et risque trop souvent de gâter ses meilleures œuvres, sa bonne volonté n'est cependant pas stérile. À travers des tâtonnements, des gaucheries, des faiblesses, un certain nombre de réformes finissent par s'accomplir, et, à voir où l'on en est au milieu de 1847, après une année de pontificat, force est de reconnaître que beaucoup a été fait. Les écoles primaires développées, les salles d'asile introduites, l'ancienne université de Bologne restaurée, des établissements agricoles créés, les chemins de fer décrétés, la publicité donnée au budget, les attributions du conseil des ministres réglementées, les notables des provinces convoqués en Consulte pour participer à l'administration et donner leur avis sur les changements à opérer, Rome dotée d'une représentation municipale, la presse soustraite à l'arbitraire et jouissant, en fait, sinon encore en droit, d'une liberté à peu près complète, et enfin la garde civique instituée, —- car on s'imagine alors qu'une garde nationale est la garantie nécessaire des libertés publiques, — telles sont, en dehors de beaucoup d'autres questions mises à l'étude, les réformes d'ores et déjà accomplies.

Ces réformes ont leur contre-coup en Italie et y augmentent l'émotion déjà si vive qui a éclaté, dès le premier jour, à la nouvelle de l'amnistie. Chaque dimostrazione faite sous les fenêtres du Quirinal a comme son prolongement dans les diverses villes de la Péninsule, et aux illuminations de la cité pontificale répondent les feux de joie qui embrasent les crêtes des Apennins. Partout on entend la même acclamation : Evviva Pio nono ! Seulement, plus encore qu'à Rome, il apparaît bien que cette acclamation ne signifie pas seulement liberté intérieure, mais aussi indépendance extérieure, expulsion des Autrichiens. Fuori i barbari ! c'est le cri qui sort de tous les cœurs.

En face de cette agitation grandissante, les gouvernements de la Péninsule se sentent fort embarrassés. Il leur est malaisé de traiter en ennemi un mouvement si général et à la tête duquel paraît être le Pape. Quelques princes, cependant, — le roi de Naples est du nombre, — se montrent réfractaires. D'autres, après quelques hésitations, emboîtent le pas derrière le Pontife. Celui qui s'y décide le premier et avec le plus de bonne grâce est le grand-duc de Toscane. Dès le printemps de 1847, il autorise la création d'une presse politique, tolère des réunions et des manifestations libérales, nomme des commissions chargées de rédiger un code civil et un code pénal, promet une garde nationale, des municipalités électives, des conseils provinciaux et même une représentation centrale.

Que le gouvernement toscan s'engage dans la voie des réformes, ce n'est sans doute pas un fait indifférent ; mais il importait bien davantage aux destinées de l'Italie de savoir le parti qu'allait prendre le roi de Sardaigne. Étrange physionomie que celle de Charles-Albert[130] ! Né, en 1798, d'un prince de Carignan ayant fait adhésion à la République française, et d'une mère qui, à peine veuve, se mésallia et abandonna à peu près son fils, son enfance fut triste comme un matin sans soleil. Il paraissait destiné à une vie obscure et étroite, quand des morts imprévues firent de lui l'héritier du trône de Sardaigne. Ce ne fut pas la fin de ses traverses. Entouré par les carbonari qui voulaient se servir de lui contre le roi régnant, il se trouva compromis, en 1821, dans un mouvement révolutionnaire : il en sortit, suspect à la fois au Roi qui l'exila, et aux libéraux qui l'accusèrent de trahison. M. de Metternich manœuvra pour le faire priver de ses droits à la couronne ; s'il n'y réussit pas, il le contraignit du moins à souscrire l'engagement de ne rien changer aux bases fondamentales et aux formes organiques de la monarchie telles qu'il les trouverait à son avènement, et, pour comble d'humiliation, un conseil, composé des évêques du royaume et des chevaliers de l'Annonciade, fut chargé de surveiller l'exécution de cet engagement. Monté suivie trône en 1831, Charles-Albert y conserva les ministres du parti réactionnaire et autrichien, ne relâcha rien du pouvoir absolu, favorisa les entreprises de la duchesse de Berry, de don Carlos et de don Miguel, réprima ou laissa réprimer, avec une sanglante rigueur, les insurrections libérales éclatées, en 1833, dans ses États. En tout cela, sa physionomie semblait d'un prince d'ancien régime ; mais d'autres traits faisaient douter que ce fût là son véritable fond. En même temps qu'il s'enfermait dans une sorte d'immobilité politique, il menait à fin beaucoup de réformes administratives, financières, économiques, judiciaires et militaires. Tout en conservant les anciens ministres réactionnaires, il leur en adjoignait un de tendances libérales, avec lequel il paraissait en intimité particulière. Sans approuver ouvertement la propagande entreprise par Gioberti, Balbo et d'Azeglio, tous trois ses sujets, il passait pour ne pas la voir de mauvais œil. En 1845, des difficultés commerciales s'étant élevées avec le cabinet de Vienne, au sujet de droits, sur le sel et les vins, il poussa le conflit, malgré plusieurs de ses ministres, avec une vivacité, une susceptibilité d'indépendance, qui furent très remarquées en Italie et lui valurent, à Turin, des ovations inaccoutumées ; à la vérité, il en parut plus gêné que flatté.

En mai 1846, M. de Metternich, inquiet de tous ces symptômes, fit demander solennellement à Charles-Albert des explications, et l'invita à désabuser la faction qui cherchait à se servir de son nom[131]. Le Roi répondit par des généralités, protesta qu'il n'accorderait jamais de constitution, mais se réserva d'avancer dans la voie d'une sage réforme, et fit, remarquer qu'il n'était plus possible de combattre la révolution de front[132]. M. de Metternich demeura inquiet et soupçonneux. Il l'eût été bien plus s'il avait su ce qui s'était passé, quelques mois auparavant, entre Charles-Albert et Massimo d'Azeglio. C'était un matin d'hiver, à six heures. D'Azeglio avait demandé audience au Roi pour lui parler de la tournée qu'il venait de faire en Italie ; il lui raconta qu'il avait présenté à tous les patriotes, le Piémont et son roi comme les instruments nécessaires de la délivrance et de la résurrection nationales. J'attends, dit-il en finissant son récit, que Votre Majesté approuve ou blâme ce que je viens de faire. Après un long, silence, le Roi répondit enfin : Faites savoir à ces messieurs de se tenir en repos, de ne pas bouger, puisque le moment n'est pas venu, mais d'être bien certains que, l'occasion se présentant, ma vie, la vie de mes fils, mes forces, mes trésors, mon armée, tout sera dépensé pour la cause italienne. D'Azeglio, étonné, répéta la phrase du Roi. Celui-ci fit un signe de tête, pour assurer qu'il avait été bien compris ; puis, se levant, il mit les mains sur les épaules de son interlocuteur et l'embrassa. Chose étrange ! tel était le renom de dissimulation de ce prince qu'en ce moment même, devant une démonstration si nette et si grave, d'Azeglio se prit à douter : Cet embrassement, a-t-il raconté plus tard, avait en soi quelque chose d'étudié, de froid, presque de funèbre, qui me glaça, et une voix intérieure, le terrible Ne le fie pas, s'éleva dans mon cœur[133].

D'Azeglio avait tort de douter. Depuis longtemps Charles-Albert nourrissait au fond de son âme la pensée d'une lutte suprême contre l'Autriche, lutte où l'Italie trouverait son indépendance et la maison de Savoie le couronnement de son ambition séculaire. C'est pour se préparer à cette lutte qu'il 's'était appliqué à refaire les finances et l'armée du Piémont. Seulement, il renfermait cette pensée au dedans de lui, ou si, par instants, il semblait s'entr'ouvrir, il déroutait, aussitôt après, les curiosités par des démonstrations contradictoires. Ce n'était pas là uniquement un effet de la dissimulation traditionnelle chez les princes de sa race. Né tendre, ardent, crédule, chevaleresque, mystique, les disgrâces et les désillusions de sa vie l'avaient refoulé sur lui-même et lui avaient fait prendre peu à peu un masque de frondeur, de défiance, de sécheresse et de pessimisme ironique. Peu d'hommes ont été aussi tristes : sa sensibilité maladive le mettait dans un état presque continuel de souffrance morale et physique. D'ailleurs, s'il était ambitieux, s'il rêvait volontiers de grands desseins, une sorte d'irrésolution naturelle, aggravée par l'habitude prise de voir tout en noir, lui rendait la gestation de ces desseins particulièrement douloureuse. Il attendait l'heure des grosses responsabilités et des décisions redoutables avec une angoisse indicible. Tous ces traits semblent d'un nouvel Hamlet, et l'on comprend que ce nom se soit trouvé sous la plume de l'écrivain qui a pénétré le plus avant dans l'âme de Charles-Albert[134]. En tout cas, ils expliquent d'où venait, dans son attitude, ce je ne sais quoi d'incertain, de mystérieux, de déconcertant, qui faisait que personne ne se fiait à lui et que lui-même disait à ses familiers : N'est-ce pas que je suis un homme incompréhensible ?

Avec un tel état d'esprit, le roi de Sardaigne ne pouvait demeurer étranger à l'émotion produite par l'avènement et les premières mesures de Pie IX. Mais il voit là surtout le réveil de la question nationale. Il écrit aussitôt à un de ses confidents : C'est une campagne que le Pape entreprend contre l'Autriche, evviva ! Quant aux réformes libérales, il ne se montre nullement pressé de les imiter. Bien au contraire, il ne tarde pas à s'en effaroucher, et semble plutôt vouloir se mettre en travers du mouvement. Ainsi le voit-on interdire l'entrée en Piémont des journaux publiés à Rome et à Florence. Le public, qui a été un moment prêt à unir dans ses acclamations Charles-Albert et Pie IX, ne comprend rien à cette attitude ; il y croit découvrir un signe nouveau des irrésolutions ou du double jeu de ce prince. La vérité est qu'au fond Charles-Albert ne s'intéresse qu'à la question d'indépendance nationale et se soucie fort peu des libertés intérieures ; il les-redoute même, comme risquant d'affaiblir le gouvernement à l'instant où celui-ci aurait besoin de toutes ses forces pour le lutte contre l'Autriche. De plus en plus, cette lutte est sa préoccupation exclusive ; il l'aperçoit au terme de l'agitation provoquée par le Pape, et il en regarde approcher l'heure avec un mélange d'impatience et de tremblement.

 

VIII

Le gouvernement français n'avait pas désiré la crise italienne. Cela était vrai particulièrement de Louis-Philippe, de plus en plus ami, en toutes choses, du statu quo. Son premier sentiment, à la mort de Grégoire XVI, fut un vif regret mêlé de quelque inquiétude : J'ai, écrivait-il au maréchal Soult, le 6 juin 1846, à vous donner une bien triste nouvelle qui n'est pas encore publique, mais qui ne peut rester secrète. Le Pape est mort le 1er de juin. Nous faisons tous, et moi particulièrement, une perte énorme, et vous concevez que nous en sommes tous très affectés[135]. A ce moment même, le prince Albert de Broglie, nommé premier secrétaire à l'ambassade de Rome, étant venu prendre congé du Roi, celui-ci lui dit ces paroles significatives : Ce que je veux, c'est un pape tranquille ; il y a assez de trouble dans le monde[136]. Quant à M. Guizot, pris évidemment un peu au dépourvu par cette mort, il n'envoya à M. Rossi, en vue du conclave, que des instructions sommaires et vagues. Qu'on nous donne, écrivait-il, un pape indépendant, croyant et intelligent... Un esprit ouvert et un peu de bon vouloir dans notre sens, voilà ce qu'il nous faut. J'espère que cela se peut trouver... Nous n'avons jusqu'à présent, quant aux noms propres, aucun préjugé ni aucune préférence[137]. Toutefois, M. Guizot veillait à ce que l'Autriche n'abusât pas de notre réserve, et il prévenait M. de Metternich que si, durant l'interrègne, les Autrichiens entraient dans les Légations, les troupes françaises occuperaient aussitôt Civita-Vecchia ou Ancône[138].

A Paris, on s'attendait à un long conclave et à un résultat assez incolore. Aussi l'élection si prompte de Pie IX et l'explosion qui suivit causèrent-elles à notre gouvernement une grande surprise, à laquelle se mêla peut-être, sur le premier moment, quelque chose comme le sentiment d'une difficulté inattendue et importune. Toutefois il n'hésita pas. A la vue du Pontife inaugurant une politique de clémence et de réforme, il applaudit et offrit son appui. Dès le 5 août 1846, M. Guizot écrivait à M. Rossi[139] : Les hommes sensés et bien intentionnés ressentent une joie profonde, en voyant qu'un pouvoir qui a si longtemps marché à la tête de la civilisation chrétienne, se montre disposé à accomplir encore cette mission auguste et à consacrer, en l'épurant et le modérant, ce qu'il y a de raisonnable et de légitime dans l'état et le progrès des sociétés modernes. De son côté, Pie IX fut, dès le premier jour, gracieux et confiant envers l'ambassadeur de France, le mettant au courant de ses desseins et lui demandant des conseils que celui-ci lui donnait avec une sympathie respectueuse pour de si pures et de si nobles intentions, mais non sans quelque inquiétude de tant d'inexpérience. D'esprit froid et lucide, connaissant les hommes et les choses d'Italie, étranger pour son compte à toute illusion, M. Rossi cherchait à en préserver le Saint-Père et son gouvernement. L'œuvre que vous abordez, ne se lassait-il pas de leur dire, est grande et périlleuse ; une administration vieillie ne se réforme pas en un jour ; des paroles de liberté ne tombent pas impunément du haut d'un trône, sans aller réveiller ce foyer de passions révolutionnaires qui couve toujours au fond des sociétés. Vous avez promis, mettez-vous à l'œuvre. Dès aujourd'hui, faites vos plans ; dès demain, exécutez-les. Ne laissez pas les esprits errer à l'aventure et soulever toutes les questions au hasard. Guidez vous-même le mouvement que vous avez donné, ou vous serez entraîné par lui. Ayez peu de foi aux applaudissements populaires ; ils se changent vite en murmures[140].

Notre diplomatie, fidèle en cela à sa politique générale, avait, à Rome, une double préoccupation : empêcher, d'une part, que le mouvement réformateur, commencé par Pie IX, ne s'arrêtât devant les résistances réactionnaires ; d'autre part, qu'il ne dégénérât sous la pression révolutionnaire. Il lui fallait à la fois stimuler et affermir le gouvernement pontifical. M. Guizot tenait la main à ce qu'aucune des deux parties de la tâche ne fût perdue de vue. Dites très nettement et partout où besoin sera, mandait-il à M. Rossi, ce que nous sommes, au dehors comme au dedans, en Italie comme ailleurs. Nous sommes des conservateurs décidés, d'autant plus décidés que nous succédons, chez nous, aune série de révolutions... Mais, en même temps, nous sommes décidés aussi à être des conservateurs sensés et intelligents. Or, nous croyons que c'est, pour les gouvernements les plus conservateurs, une nécessité et un devoir de reconnaître et d'accomplir sans hésiter les changements que provoquent les besoins sociaux, nés du nouvel état des faits et des esprits. Notre ministre envisageait à ce double point de vue la tâche entreprise par le Pape. Les vœux d'une population qui a longtemps souffert, disait-il, sont, à beaucoup d'égards, chimériques, et il serait impossible de les satisfaire ; mais il faut aussi prévoir que, si les améliorations réelles, efficaces ; graduelles, ne commençaient pas avec certitude, l'opinion publique se lasserait et, de confiante qu'elle est, deviendrait ombrageuse et exigeante. Reconnaître d'un œil pénétrant la limite qui sépare, en fait dé changements et de progrès, le nécessaire du chimérique, le praticable de l'impossible, le salutaire du périlleux ; poser d'une main ferme cette limite et ne laisser au public aucun doute qu'on ne se laissera pas pousser au delà, voilà ce que font et à quels signes se reconnaissent les vrais et grands chefs de gouvernement. C'est évidemment l'œuvre qu'entreprend le Pape... Il peut compter sur tout notre appui. Nous ferons tout ce qui dépendra de nous, tout ce qu'il désirera de nous, pour le seconder dans sa tâche. Rappelant ensuite la politique de lord Palmerston, qui prenait habituellement au dehors polir point d'appui l'esprit d'opposition et de révolution, M. Guizot ajoutait : Nous ne voulons et ne ferons jamais rien de semblable, car nous regardons cela comme très mauvais et très dangereux pour tout le monde... Ce n'est point aux prétentions exagérées des partis, ni même aux espérances confuses du public, c'est au travail réfléchi, mesuré, prudent des gouvernements eux-mêmes que nous entendons prêter notre concours. Et c'est envers le gouvernement du Saint-Siège que nous garderons le plus soigneusement cette position et cette conduite, car c'est peut-être aujourd'hui, de tous les gouvernements appelés à accomplir de grandes choses, celui dont la tâche est la plus difficile et exigé le plus de ménagements[141].

M. Rossi se conformait à ces instructions, quand il cherchait à éclairer le gouvernement pontifical sur les inconvénients de ses alternatives de résistance et d'abandon. Tantôt il le pressait de faire à temps les concessions nécessaires, tantôt il lui recommandait le sang-froid et la fermeté devant les manifestations populaires. En juillet 1847, à un moment où il ne paraissait plus y avoir à Rome ni gouvernement ni police, notre ambassadeur n'hésitait pas à dire au cardinal secrétaire d'État : Songez bien que c'est ainsi que les pouvoirs périssent et que les catastrophes s'annoncent. Puis il écrivait, le lendemain, à M. Guizot : J'espère que ce mot de révolution est encore trop gros pour la situation... Cependant j'ai cru devoir m'en servir hier ad terrorem. Je me rendis à la secrétairerie d'État ; je trouvai Mgr Corboli assez ému ; je lui dis sans détour que la révolution était commencée... qu'il fallait absolument faire, sans le moindre délai, deux choses : réaliser les promesses et fonder un gouvernement réel et solide. M. Rossi portait ce jugement dans une autre lettre : Tout a été tâtonnement et lenteur : on a tout touché, tout ébranlé, sans rien fonder. Comme je le disais au Pape, le gouvernement pontifical a perdu l'autorité traditionnelle d'un vieux gouvernement, sans acquérir la vigueur d'un gouvernement nouveau. On a gaspillé une situation unique. Jamais prince ne s'est trouvé plus maître de toutes choses que Pie IX, dans les huit premiers mois de son pontificat. Tout ce qu'il aurait fait aurait été accueilli avec enthousiasme. C'est pour cela que je disais : Fixez donc les limites que vous voulez ; mais, au nom de Dieu, fixez-les et exécutez sans retard votre pensée[142].

De Paris, M. Guizot, fort attentif à ces événements, approuvait et encourageait M. Rossi. Conseillez toujours au gouvernement pontifical d'accomplir les réformes, lui écrivait-il, de les accomplir promptement, complètement, et de rentrer, dès qu'il les aura accomplies, dans sa position et dans son office de gouvernement uniquement appliqué à faire, selon les lois établies, les affaires quotidiennes et permanentes de la société. Sans doute, il paraît vain de répéter sans cesse des conseils si mal compris et si peu suivis. Mais ces conseils n'en sont pas moins et toujours, d'une part, la bonne politique ; d'autre part, notre drapeau à nous. Il faut le tenir et le montrer incessamment à tous. Il ajoutait, quelques jours plus tard : Il faut se hâter de limiter le champ des ambitions d'esprit et de raffermir l'exercice quotidien du pouvoir[143].

Certes, nul ne peut contester la sagesse clairvoyante de ces conseils, ni ce qu'ils révèlent de sollicitude sincère pour le gouvernement pontifical. En cela, M. Guizot n'était pas seulement guidé par la sympathie que lui inspiraient la personne et l'œuvre de Pie IX. Il avait senti combien la France de 1830 était intéressée à mériter l'amitié reconnaissante du Saint-Siège, quel secours moral devaient trouver dans un tel rapprochement une monarchie qui n'avait pas encore entièrement effacé son origine révolutionnaire et une société matérialiste qui souffrait de son manque de croyances et d'idéal. Rome pourrait nous faire beaucoup de bien, écrivait-il à M. Rossi : son amitié franche, son concours actif nous vaudraient de la force et de l'autorité chez nous et en Europe. Et comme nous pouvons, en revanche, par notre amitié et notre concours, lui faire aussi beaucoup de bien chez elle et en Europe, je suis convaincu qu'elle doit finir par comprendre, accepter et pratiquer sérieusement cet échange de bons offices et de bons effets entre nous. Poursuivez ce but-là, avec votre persévérance et votre tact accoutumés, et indiquez-moi toutes les choses, petites ou grandes, que je puis faire pour vous y aider[144]. Le gouvernement pontifical paraissait comprendre la sincérité et apprécier la valeur de l'amitié qui lui était ainsi offerte. Vers la fin de juillet 1847, à un moment où la fermentation extrême des esprits jetait l'alarme au Quirinal, le cardinal Ferretti, récemment nommé secrétaire d'État, exprimait à M. Rossi la crainte que lui inspirait la double perspective d'une pression révolutionnaire et d'une intervention autrichienne ; notre ambassadeur lui ayant répondu que, le cas échéant, le gouvernement français ne manquerait pas à ses amis, le cardinal l'embrassa vivement, en lui disant : Merci, cher ambassadeur ; en tout et toujours, confiance pour confiance, je vous le promets[145].

Les avertissements et les conseils que M. Guizot adressait au gouvernement pontifical, il ne les ménageait pas non plus au peuple romain. Ses efforts tendaient à créer, en Italie, un parti libéral modéré, qui prît position entre le parti stationnaire et le parti révolutionnaire. Œuvre difficile, surtout en un pays où ce parti modéré était chose absolument nouvelle. Le dépit et la déception que les libéraux ressentaient des lenteurs et des incertitudes du Saint-Siège, les portaient trop souvent à faire cause commune avec les révolutionnaires. M. Guizot ne se lassait pas de les détourner de cette dangereuse promiscuité. Restez fidèle au principe de notre politique, écrivait-il à M. Rossi, principe fondamental en Italie encore plus qu'ailleurs. Conseillez toujours aux modérés de ne point se confondre avec les radicaux qui les perdront, et de persister, quelles que soient les difficultés, dans la résolution d'accomplir, par le gouvernement et de concert avec lui, les réformes que l'état de la société rend indispensables. Il ajoutait, quelques jours plus tard : Je ne peux d'ici que vous rappeler sans cesse les idées générales qui sont nos idées fixes. Créer, entre le parti de la révolution et le parti de la réaction, un parti de la résistance intelligente et modérée, et l'allier ce parti autour du gouvernement qui peut seul être son chef et son moyen d'action, voilà notre idée simple et fixe, la seule idée avec laquelle, vous le savez comme moi, on termine ou l'on prévienne les révolutions[146].

Plus encore peut-être que les exagérations d'un libéralisme trop exigeant et trop impatient, le gouvernement français redoutait, chez les Italiens, les entraînements de la passion nationale. Il s'appliquait à les retenir sur la pente qui les eût conduits à bouleverser l'état territorial de la Péninsule pour y réaliser leur rêve d'unité, et à déchirer les traités européens pour chasser les Autrichiens de la Lombardie et de la Vénétie. Autant il se déclarait prêt à défendre leur indépendance contre toute intervention qui eût prétendu entraver leurs réformes intérieures, autant il les avertissait de ne pas compter sur son appui, s'il leur prenait fantaisie de mettre en péril, par quelque agression, la paix générale. Notre diplomatie croyait ainsi ne pas mal servir les vrais intérêts de l'Italie, et M. Rossi se chargeait de démontrer aux patriotes romains que toute attaque violente contre l'Autriche fournirait à celle-ci une occasion d'arrêter par la force le mouvement national, contre lequel, au contraire, elle ne pourrait rien et devant lequel elle serait tôt ou tard contrainte de capituler, si ce mouvement demeurait pacifique et se manifestait seulement par le progrès intérieur et graduel des divers États[147]. En tout cas, nos ministres étaient certains de servir ainsi les vrais intérêts de la France. Déjà, au lendemain de 1830, quelles que fussent alors les sympathies de l'opinion pour la patrie de Silvio Pellico, la monarchie de Juillet n'avait pas voulu se mettre à la remorque des agitateurs italiens, en favorisant les révolutions au delà des Alpes et en s'engageant dans une guerre contre l'Autriche[148]. Les raisons qui l'avaient alors décidée subsistaient. On peut même dire que le refroidissement survenu avec l'Angleterre eût rendu plus dangereuse encore pour la France toute politique la plaçant en conflit avec l'Autriche et probablement aussi avec les autres puissances continentales.

Il convenait en effet que notre gouvernement, en face du problème particulier de l'Italie, ne perdît pas de vue l'ensemble de la situation faite à la France, en Europe, par les mariages espagnols. On sait que cette situation l'avait déterminé à se rapprocher de l'Autriche. Il lui fallait veiller à ce que sa politique italienne contribuât à ce rapprochement ou tout au moins ne le contrariât pas. Au premier aspect et étant donnés les points de vue assez divergents des deux cabinets, cela paraissait malaisé. M. de Metternich, qui, depuis 1815, avait eu pour politique de maintenir tout immobile au delà des Alpes, avait vu avec déplaisir le mouvement suscité par Pie IX[149] ; un pape libéral lui paraissait une sorte de monstruosité dont il né pouvait prendre son parti[150] ; il faisait remonter le mal à la contagion des idées françaises[151] ; à son avis, c'était pure illusion de vouloir distinguer les réformes modérées et pacifiques des bouleversements révolutionnaires, les premières n'étant que la préface des seconds ; entre un Balbo et un Mazzini, il ne trouvait pas d'autre différence que celle qui existe entre des empoisonneurs et des assassins[152]. Dès le début, il avait essayé sans succès d'endoctriner Pie IX[153], et, dans la suite, il n'avait pas négligé tout ce qui pouvait éveiller en lui des inquiétudes ou des scrupules[154]. Le grand-duc de Toscane se montrait-il disposé à suivre l'exemple du Pape, M. de Metternich lui adressait directement des représentations[155]. Tout cela sans doute témoignait d'idées et de préférences peu en harmonie avec celles de la France. A défaut cependant d'un accord de principes, notre gouvernement ne jugeait pas impossible d'arriver à une sorte d'accord pratique, ou au moins de prévenir tout conflit. Il se rendait compte que le cabinet de Vienne était peu disposé à aller au delà de ces gémissements platoniques, de ces conseils peu efficaces, et qu'il ne se sentait pas en mesure de recommencer quelqu'une de ces interventions militaires qui, depuis 1815, avaient été l'arme principale de sa politique en Italie. Il devinait aussi que ce cabinet, compromis par son renom absolutiste, désorienté par le changement de l'esprit public, comprendrait l'avantage d'être appuyé et pour ainsi dire protégé par une puissance libérale ; cette même raison ne le déterminait-elle pas, en ce moment, dans les affaires de Suisse, à marcher derrière la France ? On voit dès lors comment les deux politiques, parties de points si opposés, pouvaient cependant trouver un certain contact sur le terrain italien : il s'agissait pour nous d'obtenir de l'Autriche qu'elle n'intervînt pas militairement, qu'elle laissât le mouvement réformateur suivre son cours, en lui offrant, comme compensation, de nous employer à limiter ce mouvement, à l'empêcher de devenir révolutionnaire et belliqueux.

Dès la fin de 1846 et les premières semaines de l'année suivante, des pourparlers s'engagèrent sur ces bases, entre Paris et Vienne. Ils prirent plus de précision, en avril 1847, lors de la mission secrète de M. Klindworth[156] : l'Italie était l'un des sujets sur lesquels cet agent devait proposer une entente. M. Guizot, alors très préoccupé des efforts faits par lord Palmerston pour attirer M. de Metternich dans son jeu, insistait naturellement sur ce qui, dans sa politique italienne, pouvait le plus rassurer le cabinet autrichien. Non seulement il se prononçait pour le statu quo territorial dans la Péninsule, ce qui impliquait la sauvegarde des droits de l'Autriche sur le royaume lombard-vénitien ; non seulement il se déclarait opposé à toute agitation révolutionnaire ; mais il exprimait l'avis que les réformes devaient être surtout administratives, et que l'on aurait tort de chercher à introduire prématurément dans les divers États italiens un régime constitutionnel pour lequel ils n'étaient pas mûrs ; il s'offrait à donner, d'accord avec l'Autriche, des conseils dans ce sens au Pape et aux autres souverains[157]. En même temps, tout en recommandant à M. Rossi de ne rien abandonner de notre politique propre, il l'invitait à ménager Vienne, à avoir égard à ses défiances et à ses alarmes[158].

M. de Metternich était trop inquiet des événements d'Italie pour repousser ces ouvertures. De son côté, il en avait fait de semblables au gouvernement français. Sans doute, fidèle à sa manie dogmatisante, il professait, dans les élucubrations diplomatiques auxquelles il se livrait sur ce sujet, des principes sur lesquels notre gouvernement aurait eu des critiques à faire. Mais, en somme, quand il fallait aboutir à des conclusions effectives, il reconnaissait l'intérêt de mettre fin à une rivalité dont les agitateurs tireraient profit ; revendiquant seulement son autorité sur le royaume lombard-vénitien, désavouant toute pensée de porter atteinte à l'indépendance des autres États italiens et à leur droit de modifier leurs institutions, s'offrant même à s'entendre avec la France pour conseiller certaines réformes administratives, il déclarait ne songer, pour le moment, à aucune intervention armée ; il ajoutait que si, plus tard, cette intervention devenait nécessaire, un concert préalable devrait s'établir entre les puissances[159].

Le gouvernement français avait ainsi satisfaction. Dès lors, il croyait pouvoir donner comme mot d'ordre à ses agents en Italie, non plus seulement de ménager l'Autriche, mais de chercher les occasions de se concerter avec elle. Loin de s'effaroucher d'une action commune, il estimait, avec raison, qu'elle tournerait à l'avantage de notre influence, et que la France y deviendrait l'arbitre des décisions à prendre : Je suis d'avis, écrivait-il le 21 juillet 1847 à M. Rossi, qu'en gardant soigneusement notre position, en tenant hautement notre drapeau, vous ne devez point éviter les occasions et les invitations de vous entendre et d'agir de concert avec vos collègues du corps diplomatique, y compris M. de Lutzow — ambassadeur d'Autriche —. Quel que soit l'empire des vieux intérêts, des vieilles passions et des vieilles traditions, les grands gouvernements européens, l'Autriche la première, sont aujourd'hui sensés et prudents. Ils l'ont prouvé depuis 1830, et plus d'une fois. La nécessité leur déplaît. Ils la reconnaissent le plus tard possible. Mais ils finissent par la reconnaître et par l'accepter. Mettons-nous partout à la tête de la nécessité, de la nécessité réelle, bien comprise et exactement mesurée. Soyons ses interprètes dans les conseils de l'Europe. C'est désormais notre position naturelle et la plus grande en même temps que la plus sûre... Ne nous faisons pas autres que nous ne sommes, mais ne nous isolons pas. En définitive, dans l'action concertée, c'est nous qui prévaudrons[160].

Ajoutons, d'ailleurs, que tout ce que le cabinet de Paris faisait pour ménager celui de Vienne et pour rendre possible une action commune, ne le conduisait cependant pas à rien sacrifier des points essentiels de sa politique. Il était surtout bien résolu à ne jamais permettre à l'Autriche une intervention isolée qui lui eût rendu l'espèce de protectorat qu'elle exerçait autrefois sur les gouvernements de la Péninsule ; il entendait que, si le Pape avait un jour besoin d'une armée étrangère pour le protéger, la France ne laissât pas le rôle principal à son ancienne rivale. En cas, disait M. Guizot, de danger matériel, d'appel au secours matériel extérieur, que rien ne se fasse sans nous ; qu'on ne demande rien à personne, sans nous le demander aussi à nous, au moins en même temps. Nous ne manquerons pas à nos amis[161]. Comme pour bien marquer par avance ses intentions, le cabinet de Paris répondait aux mouvements des troupes autrichiennes sur la frontière de la Lombardie, en faisant évoluer la flotte française en vue des côtes d'Italie.

Telle était, sous ses diverses faces, la politique de juste milieu à laquelle le gouvernement français s'était arrêté, dès le premier jour, dans les affaires italiennes, et que, depuis, il avait fidèlement appliquée. M. Guizot estima qu'il ne suffisait pas de la pratiquer diplomatiquement, et qu'il convenait d'en exposer au moins les grandes lignes au public. Il le fit, le 3 août, dans les derniers jours de la session de 1847, au cours de la discussion du budget à la Chambre des pairs. Que faut-il, se demandait le ministre, pour la satisfaction des intérêts français en Italie ? La paix intérieure de l'Italie d'abord ; aucun bouleversement territorial ou politique ne nous est bon au delà des Alpes. Il nous faut aussi l'indépendance et la sécurité des gouvernements italiens ; nous avons besoin qu'ils ne soient dominés ni exploités par aucune autre puissance, et qu'ils gouvernent paisiblement leurs peuples. Après avoir indiqué que, pour obtenir ce dernier résultat, ces gouvernements devaient satisfaire leurs sujets par certaines réformes, il montrait comment le Pape avait donné l'exemple ; puis il ajoutait : Le représentant par excellence de l'autorité souveraine et incontestée entrant dans une telle voie, c'est là un des plus grands spectacles qui aient encore été donnés au monde. On ne peut pas, on ne doit pas craindre que le Pape oublie jamais les besoins et les droits de ce principe d'autorité, d'ordre, de perpétuité dont il est le représentant le plus éminent... Non, il ne l'oubliera pas... Mais, en même temps, puisqu'il se montre disposé à comprendre et à satisfaire, dans ce qu'il a de sensé et de légitime, l'état nouveau des intérêts sociaux et des esprits, ce serait une faute énorme, de la part de tous les gouvernements, je ne veux pas dire que ce serait un crime, ce serait une faute énorme de ne pas seconder Pie IX dans la tâche difficile qu'il entreprend. M. Guizot ne reconnaissait qu'aux partis modérés le pouvoir de mener à bonne fin de telles réformes, et il entendait par là des partis modérés ayant le courage d'agir, de se mettre en avant, d'accepter la responsabilité, le courage de soutenir les gouvernements qu'ils ne veulent pas voir renverser. Il terminait en proclamant que la mission naturelle de la France était de chercher sa force et son point d'appui, non dans l'esprit d'opposition et de révolution, mais dans l'esprit de gouvernement intelligent, sensé, et dans le concours des partis modérés avec de tels gouvernements.

En cherchant ainsi à faire prévaloir, en Italie, des idées de réforme mesurée et pacifique, M. Guizot poursuivait un dessein honnête, raisonnable et conforme aux intérêts de la France. D'ailleurs, qu'eût-il pu faire d'autre ? Impossible, après la secousse donnée par l'avènement de Pie IX, de songer à prolonger l'ancien statu quo. Quant à pousser aux révolutions et à risquer une guerre européenne pour flatter les passions et servir les ambitions des Italiens, c'est une politique dont on peut, hélas ! mesurer aujourd'hui les conséquences. Mais, pour être le seul sage et le seul possible, le parti auquel s'était arrêté le gouvernement du roi Louis-Philippe ne lui en imposait pas moins une tâche très délicate et dont le succès était loin d'être assuré. M. Guizot s'en rendait compte, et, dans l'intimité, il ne cachait pas ses doutes. Je voudrais bien réussir à Rome, écrivait-il[162], le 30 juillet 1847, au duc de Broglie ; mais j'ai une méfiance infinie des Italiens. Et nous sommes là parfaitement seuls, entre les conspirations radicales fomentées de Londres et les routines absolutistes de Vienne... Plus j'avance, plus je demeure convaincu de deux choses : la bonté de notre politique et la difficulté du succès. Et mes deux convictions sont sans cesse aux prises, l'une m'encourageant, l'autre m'inquiétant. Dieu seul a le secret de l'issue : ce serait trop commode de le savoir.

 

IX

Les difficultés avec lesquelles nous venons de voir aux prises la diplomatie française pendant la première année du pontificat de Pie IX, allaient être singulièrement aggravées, en août 1847, par un acte inconsidéré de l'Autriche. Celle-ci, en vertu des traités de 1815, avait droit de garnison dans la place de Ferrare, l'une des villes des Légations. Que fallait-il entendre par le mot place ? Était-ce la ville elle-même, ou seulement le château, espèce de citadelle sans valeur, située au centre de la ville ? Il y avait eu controverse sur ce point. En fait, les Impériaux n'occupaient que le château et quelques casernes ; la garde des barrières et des autres postes était aux mains des pontificaux. Ce partage, délicat de tout temps, le devenait plus encore avec l'excitation des esprits. Des provocations furent échangées entre la garde civique de Ferrare et les patrouilles autrichiennes. Enfin, quelques rixes ayant éclaté dans les premiers jours d'août, le commandant autrichien crut devoir agir comme si la sûreté de sa garnison était compromise ; il la renforça notablement par un corps venu de l'autre côté du Pô ; puis, brutalement, sans avoir aucun égard aux protestations du cardinal-légat, il occupa toute la ville et s'empara des postes jusqu'alors laissés à la garde des pontificaux.

Cet acte indiquait-il, de la part du cabinet de Vienne, la volonté de sortir de sa réserve défensive et expectante ? Non, à ce même moment, M. de Metternich nous déclarait formellement que son gouvernement ne demandait qu'à rester maître chez lui, qu'il n'entendait pas exercer sa puissance souveraine en dehors de ses frontières, et qu'il ne pensait pas à une intervention matérielle[163]. Fait plus significatif encore, quelques jours après, la même idée se retrouvait non moins nettement exprimée dans les instructions confidentielles adressées à M. de Ficquelmont, agent supérieur du chancelier à Milan[164]. On pouvait être d'autant plus assuré de cette sagesse qu'elle était un peu forcée. Non seulement une politique agressive eût froissé d'une façon imprudente l'opinion européenne, universellement sympathique à Pie IX, mais elle eût rencontré des oppositions à Vienne même. Le souffle libéral qui passait en ce moment sur l'Europe se faisait sentir en. Autriche ; une réaction s'y dessinait contre le système de M. de Metternich et se manifestait jusque dans l'intérieur du cabinet ; si le chancelier continuait de personnifier au dehors le gouvernement impérial avec le même apparat, son autorité au dedans était bien entamée ; les autres membres du conseil ne se gênaient pas pour contrecarrer ses desseins ; le ministre de l'intérieur, le comte Kolowrat, se posait ouvertement comme son rival. Pour vaincre ces oppositions, M. de Metternich ne trouvait pas dans l'archiduc Louis, qui remplaçait le souverain malade, et qui était visiblement embarrassé de sa responsabilité, l'appui qu'il était, autrefois, toujours sûr d'obtenir de l'empereur François. En juillet 1847, ayant voulu faire mobiliser un corps d'armée destiné à prendre position sur la frontière du Tessin et sur le Pô, il se heurta à mille difficultés soulevées par le ministre de la guerre et par celui des finances : ce dernier soutenait que les charges pécuniaires résultant d'une telle mesure seraient un danger plus grave pour le gouvernement que celui auquel pouvait donner lieu la marche libérale adoptée par le Saint-Père[165]. Le chancelier n'eût-il pas rencontré une opposition plus forte encore, s'il eût proposé une intervention à main armée dans les États pontificaux ? Dans l'incident de Ferrare, il ne fallait donc pas voir le commencement de cette intervention et l'indice d'un changement de politique. C'était un mouvement d'impatience du commandement militaire, évidemment agacé par tout le tapage italien ; le gouvernement l'avait laissé faire, sans beaucoup de réflexion, flatté peut-être, au milieu d'une politique nécessairement effacée, de faire à peu de frais quelque étalage de sa force armée.

Mais, du premier jour, cette mesure se trouve avoir beaucoup plus de retentissement que ne s'y attendaient et que ne le désiraient ses auteurs. A Rome, c'est l'occasion d'une véritable explosion d'indignation patriotique. Sincèrement ou non, on prétend voir là l'exécution d'une vaste conspiration absolutiste qui a ses ramifications jusque autour du Pape. L'invasion est commencée, s'écrie-t-on ; l'Italie entière doit se lever en armes pour la repousser. Le gouvernement pontifical, troublé de cette émotion, croyant nécessaire de s'y associer pour ne pas être suspect, froissé d'ailleurs dans sa dignité par le procédé des Autrichiens, fait publier dans le Diario di Roma les protestations du cardinal-légat contre l'occupation de Ferrare. Se flatte-t-il de calmer les esprits par cette publicité ? Il les excite au contraire. L'impression, aussitôt répandue et exploitée par les meneurs, est que le Pape prend la tête de la croisade italienne contre l'Autriche. Les journaux racontent qu'il ordonne, dans ce dessein, des armements considérables. Les radicaux profitent de cette effervescence pour se pousser hardiment à la tête du mouvement. Le chef des révolutionnaires, Mazzini, écrit au Pape[166], dans un langage qui fait songer au tentateur offrant au Christ l'empire du monde : Saint Père, j'étudie vos démarches avec une espérance immense... Soyez confiant, fiez-vous à nous... Nous fonderons pour vous un gouvernement unique en Europe. Nous saurons traduire en un fait puissant l'instinct qui frémit d'un bout à l'autre de la terre italienne... Je vous écris parce que je vous crois digne d'être l'initiateur de cette vaste entreprise... Le même Mazzini recommande, d'un autre côté aux masses, de s'engager, avec ou sans le consentement des princes, dans des mesures qui obligent les Autrichiens à les attaquer ; il faut, conclue-t-il, accroître de plus en plus la haine contre les Autrichiens et irriter l'Autriche par tous les moyens possibles[167]. De Rome, l'agitation gagne la Péninsule entière, depuis la Sicile jusqu'au Piémont. Le fait le plus grave peut-être est l'impression produite sur Charles-Albert. Jusqu'alors, en face d'une campagne principalement libérale, il était demeuré froid. Au cri de : Guerre à l'Autriche ! il tressaille. Sous le coup de l'occupation de Ferrare, Pie IX, se croyant menacé d'une invasion autrichienne, a fait demander au gouvernement sarde un asile éventuel et l'envoi immédiat d'un bâtiment de guerre à Civita-Vecchia ; Charles-Albert accède avec empressement à toutes les demandes du Pontife. Grâce à Dieu, écrit-il à son ministre et confident, Villamarina, nous avons un pape saint et plein de fermeté, qui saura soutenir avec dignité l'indépendance nationale. Je lui ai fait écrire que, quelconque événement (sic) qui puisse arriver, je ne séparerai jamais ma cause de la sienne... Une guerre d'indépendance nationale, qui s'unirait à la défense du Pape, serait pour moi le plus grand bonheur qui pourrait m'arriver. Les patriotes italiens, alors réunis à Casal sous prétexte d'association agraire, lui ayant envoyé une adresse toute pleine des sentiments qui bouillonnaient en Italie, il répond par une lettre, lue en séance, où il se dit résolu à faire pour la cause guelfe ce que Schamil fait contre l'immense empire russe. — Il paraît, ajoute-t-il, qu'à Rome on tient en réserve les armes spirituelles... Espérons... Ah ! le beau jour que celui où nous pourrons jeter le cri de l'indépendance nationale ! Le retentissement de cette lettre est énorme. Personne n'hésite plus à se jeter dans une campagne qui paraît avoir pour elle le Pape et le roi de Sardaigne, la plus haute force morale et la plus sérieuse force militaire de la Péninsule. Il est vrai que, suivant son habitude, Charles-Albert se montre, presque aussitôt après, embarrassé de l'enthousiasme qu'il a suscité, fait froide mine aux ovations qui l'accueillent à Turin et à Gênes, et déclare que, s'il est décidé à défendre l'indépendance du royaume contre une agression étrangère, il l'est aussi à ne pas se compromettre vis-à-vis des grandes puissances, en faisant, sans leur consentement, franchir la frontière à son armée. Mais vainement essaye-t-il de courir après ses paroles, celles-ci ont fait trop de chemin pour qu'il puisse les rattraper.

En somme, l'incident de Ferrare non seulement a grandement échauffé les esprits, mais il a eu pour résultat, dans toute l'Italie, de faire passer brusquement au premier plan cette redoutable question nationale que notre diplomatie était jusqu'alors parvenue à maintenir dans l'ombre. Il a ainsi considérablement augmenté les difficultés de la politique modérée et pacifique que le gouvernement français cherchait à faire prévaloir. Ce gouvernement cependant ne se décourage pas. Sans se laisser entraîner, fût-ce d'un pas, hors du terrain moyen où il s'est placé dès le début, il s'efforce d'y ramener les Autrichiens et les Italiens. A tous deux, il entreprend de faire entendre le langage de la raison.

A Vienne d'abord, notre cabinet laisse voir, sous une forme amicale, sa désapprobation du procédé des troupes impériales, insiste sur le danger de l'émotion ainsi provoquée, et appelle fortement, sur les protestations du Saint-Siège et sur la nécessité de régler ce différend de façon à mettre promptement un terme à l'agitation qui en est résultée dans la Péninsule, la plus sérieuse sollicitude de M. le prince de Metternich[168]. De ce côté, nos observations sont bien accueillies. Visiblement embarrassé d'avoir suscité un tel tapage, le gouvernement autrichien nous sait gré de notre désir d'arranger les choses[169]. Loin de grossir l'incident et d'en faire le point de départ d'une politique agressive, il affecte d'en réduire la portée. Nous n'accordons pas à ce pitoyable conflit la valeur d'une affaire, écrit M. de Metternich, mais celle d'une entente sur une question de service militaire[170]. Il reconnaît même qu'il a commis une faute. Pitoyable affaire, dit-il un jour à notre ambassadeur[171], qui fournit une preuve de plus de la faute que commet toujours une grande puissance, lorsqu'elle se compromet dans une petite question. De son côté, le comte Apponyi fait à M. Guizot cette sorte d'aveu : On peut se tromper dans ce qu'on prévoit ; on peut irriter quand on a voulu imposer. Notre ministre ajoute, après avoir rapporté à M. Rossi ce propos : Avec un peu de modération et de patience, je crois que l'incident de Ferrare doit finir à l'avantage du Pape. On en a envie à Vienne. On ne se soucie pas d'engager à fond la partie[172]. Cette impression est durable chez M. Guizot, qui écrit, un peu plus tard, à M. de Flahault[173] : Ce que m'a dit le comte Apponyi ne me permet pas de douter que le prince de Metternich ne désire mettre fin, sans bruit, à cet incident de Ferrare. En attendant, du reste, cette solution, le cabinet autrichien ne nous refuse pas de nouvelles assurances de ses intentions pacifiques. Le gouvernement français désire que nous restions en panne, écrit, le 7 octobre 1847, M. de Metternich au comte Apponyi ; ses vœux à ce sujet seront remplis. Nous savons nous renfermer dans le rôle de spectateur des drames dans lesquels l'heure d'entrer en scène ne nous semble pas venue[174].

Notre cabinet a donc toutes raisons de compter sur la modération de l'Autriche et sur sa volonté de réparer l'esclandre de Ferrare. Cette conviction l'encourage à persister dans son attitude conciliante. Toutefois, il est bien résolu, au cas où son espérance serait trompée, à sauvegarder l'influence de la France et l'indépendance des États italiens. Il ne le crie pas sur les toits, pour ne pas irriter les amours-propres par des menaces éventuelles ; mais il s'en explique nettement avec ses agents, dans ses correspondances confidentielles. M. Guizot écrit, le 7 septembre 1847, à M. Rossi : Rendons-nous compte des diverses hypothèses : 1° Les Autrichiens, sur la réclamation du Pape, rentrent à Ferrare, dans le statu quo antérieur. Si cela arrivait, nous aurions, quant à présent, cause gagnée et rien à faire. — 2° Les Autrichiens, malgré la réclamation du Pape, restent à Ferrare, dans la position qu'ils y ont prise, continuant de soutenir qu'ils en ont le droit aux termes des traités, et sans faire un pas de plus. Que le Pape réclame, dans ce cas, soit notre médiation seule, soit celle de la France et de l'Angleterre, ou de la France et de la Prusse, soit celle de toutes les grandes puissances qui ont signé le traité de Vienne. — 3° Les Autrichiens poussent plus avant dans les États romains, sans appel du Pape et sans prétexte diplomatique. En ce cas, que le Pape proteste solennellement, constate que le fait a lieu contre son gré et s'adresse à nous. Mon avis est que nous devons, dans cette hypothèse, prendre position aussi sur un point efficace des États romains, dans l'intérêt de l'indépendance du Pape et de notre propre situation en Europe. Il serait infiniment désirable que nous ne fissions cela, s'il y avait lieu, que sur la demande du Pape et de concert avec lui... — 4° Ailleurs que dans les États romains, dans quelques autres des États italiens, en Toscane, à Modène, à Lucques, à Parme, les Autrichiens interviennent à la suite d'une insurrection populaire, soit de leur propre mouvement, soit sur la demande des souverains... C'est ici l'hypothèse difficile. Une insurrection contre l'ordre établi et la demande de l'intervention par le souverain lui-même donnent à Vienne des prétextes spécieux et nous embarrassent, nous, dans nos motifs. Et pourtant nos motifs seraient, dans ce cas, presque les mêmes et presque aussi puissants qu'en cas d'une intervention dans les États romains. Il faudrait que les souverains chez qui aucune insurrection n'aurait eu lieu et qui n'auraient pas réclamé l'intervention autrichienne, le Pape, le roi de Naples, le roi de Sardaigne, protestassent contre un acte compromettant pour eux-mêmes, car il pourrait amener un désordre général et une explosion révolutionnaire dans toute l'Italie. S'ils faisaient un pas de plus, s'ils s'adressaient aux autres grandes puissances de l'Europe, à nous d'abord, pour leur demander de s'employer à faire cesser un état de choses si dangereux pour la paix européenne, ils se donneraient à eux-mêmes de fortes garanties et à nous de grands moyens d'action... Ne regardez point tout ceci, mon cher ami, comme des résolutions que je vous annonce et des instructions que je vous donne. Je vous dis mes idées et je vous demande les vôtres sur les cas et les embarras divers qu'on peut prévoir. Et il faut les prévoir pour faire ce que je vous ai dit : prendre nos mesures de façon à être prêts dans toutes les hypothèses. Répondez-moi sans retard. Je n'ai pas besoin de vous répéter que notre pensée dirigeante, dominante, est toujours celle-ci : Soutenir l'indépendance des États italiens et l'influence du parti modéré en Italie, en évitant une conflagration révolutionnaire et une guerre européenne[175].

Rien donc à la fois de plus modéré dans la forme et de plus décidé dans le fond que l'attitude prise par le gouvernement français envers l'Autriche, à la suite de l'incident de Ferrare. Le langage qu'il tient en même temps aux Italiens n'est ni moins sage ni moins net. Dès le premier jour, tout en manifestant au gouvernement romain sa sympathie pour le sentiment de dignité courageuse qui a dicté ses protestations contre l'occupation de Ferrare, il ne cache pas son regret de la publicité qui leur a été donnée[176]. Le Pape, écrit-il à M. Rossi, aurait dû épuiser toute possibilité de vider, de gouvernement à gouvernement, la question diplomatique, avant de porter devant le public une question de nationalité et de révolution. De deux choses l'une : ou l'Autriche désire, ou elle ne désire pas un prétexte pour une levée de boucliers ; si elle le désire, il faut bien se garder de le lui fournir... Si elle ne le désire pas, il faut l'entretenir dans sa bonne disposition, en traitant avec elle comme avec un pouvoir qui ne demande pas mieux que de laisser ses voisins tranquilles chez eux, si on ne trouble pas sa tranquillité chez lui. Ne négligez rien pour ramener et contenir Rome dans cette politique, la seule efficace pour le succès, aussi bien que la plus sûre. L'Italie a déjà perdu plus d'une fois ses affaires en plaçant ses espérances dans une conflagration européenne. Elle les perdrait encore. Qu'elle s'établisse, au contraire, sur le terrain de l'ordre européen, des droits des gouvernements indépendants, du respect des traités. C'est vous dire combien il importe de contenir ces affaires-ci dans les limites d'une question romaine, et d'empêcher qu'on en fasse une question italienne. J'en sais toute la difficulté. Mais employez tout votre esprit, tout votre bon sens, toute votre persévérance, toute votre patience, toute votre influence, à faire comprendre au parti national italien qu'il est de sa politique, de sa nécessité actuelle, de se présenter et d'agir fractionnairement, comme romain, toscan, napolitain, etc., etc., de ne point poser une question générale qui deviendrait inévitablement une question révolutionnaire[177]. M. Rossi s'inspire de ces idées dans ses conversations, et il n'hésite pas à rabrouer les prétentions et les intempérances italiennes. Mais enfin, dit-il avec sa parole froide et mordante, où voulez-vous en venir par ces incessantes provocations contre l'Autriche ? Elle ne vous menace point ; elle reste dans les limites que les traités lui ont tracées. C'est donc une guerre d'indépendance que vous voulez ? Eh bien ! voyons, calculons vos forces : vous avez soixante mille hommes en Piémont, et pas un homme de plus en fait de troupes réglées. Vous parlez de l'enthousiasme de vos populations. Je les connais, ces populations. Parcourez vos campagnes : voyez si un homme bouge, si un cœur bat, si un bras est prêt à prendre les armes. Les Piémontais battus, les Autrichiens peuvent aller tout droit jusqu'à Reggio, en Calabre, sans rencontrer un Italien. Je vous entends : vous viendrez alors à la France. Le beau résultat d'une guerre d'indépendance, que d'amener, une fois de plus, deux armées étrangères sur votre sol !... Et puis, vous voulez être indépendants, n'est-ce pas ? Nous, nous le sommes. La France n'est point un caporal aux ordres de l'Italie. La France fait la guerre quand et pour qui il lui convient de la faire. Elle ne met ses bataillons et ses drapeaux à la discrétion de personne[178].

Ce n'est pas seulement à Rome que le gouvernement français adresse ses conseils et ses avertissements. Il en fait parvenir de semblables aux cours de Toscane et de Piémont. Dans une dépêche adressée au chargé d'affaires de France à Turin, M. Guizot rappelle aux Italiens combien ils compromettent leurs plus importants intérêts, en projetant des remaniements territoriaux qui ne pourraient s'accomplir que par la guerre et les révolutions ; puis il ajoute : Le gouvernement du Roi se croirait coupable si, par ses démarches ou par ses paroles, il poussait l'Italie sur une telle pente, et il se fait un devoir de dire clairement aux peuples comme aux gouvernements italiens ce qu'il regarde, pour eux, comme utile ou dangereux, possible ou chimérique[179].

S'il se refuse à suivre les Italiens dans leurs rêves belliqueux, notre gouvernement a bien soin de marquer qu'il n'en demeure pas moins résolu à protéger et à favoriser, chez eux, les réformes régulières et pacifiques. Pour qu'il ne puisse y avoir à ce sujet aucun malentendu, volontaire ou non, M. Guizot résume, le 17 septembre 1847, dans une courte circulaire destinée à être mise sous les yeux de tous les cabinets étrangers, les principes de sa politique. Il s'y prononce, avec une égale force, d'abord pour le maintien de la paix et le respect des traités, ensuite pour l'indépendance des États et de leurs gouvernements, pour leur droit de régler, par eux-mêmes et comme ils l'entendent, leurs lois et leurs affaires intérieures. Il indique, comme une condition du succès des réformes, qu'elles s'accomplissent régulièrement, progressivement, de concert entre les gouvernements et les peuples, par leur action commune et mesurée, non par l'explosion d'une force unique et déréglée. Il demande, pour la grande œuvre de réforme entreprise par le Pape, le respect et l'appui de tous les gouvernements européens, se déclarant, quant à lui, prêt à le seconder en toute occasion. Notre ministre termine en exprimant le vœu que les principes exposés par lui prévalent dans toute l'Italie ; c'est le seul moyen, dit-il, d'assurer les bons résultats du mouvement qui s'y manifeste, et de prévenir de grands malheurs et d'amères déceptions.

Par application de cette politique, le cabinet français ne manque pas d'aider les gouvernements italiens toutes les fois qu'ils paraissent disposés à s'avancer dans la voie des sages réformes. Le grand-duc de Toscane ayant, vers cette époque, appelé dans ses conseils des libéraux modérés, M. Guizot en exprime aussitôt sa très vive satisfaction et prescrit à notre représentant à Florence de prêter aux nouveaux ministres toscans tout l'appui qui pourra les servir. Il ajoute ce conseil remarquable : Nous ne saurions apprécier d'ici quelle mesure de concessions et d'institutions convient au gouvernement intérieur de la Toscane... Ce qui me frappe, c'est combien il importe qu'une politique à peu près analogue prévale dans les divers Etats italiens, à Rome, à Naples, à Turin, à Florence ; qu'en tenant compte de la diversité des situations et des besoins, ils marchent tous à peu près du même pas, dans la voie des réformes modérées... Si, au contraire, leur marche était très inégale, si les uns se lançaient dans l'innovation extrême, tandis que d'autres se refuseraient à tout progrès, ils en seraient tous, au dedans et au dehors, grandement affaiblis... Je ne crois pas à l'unité italienne, mais je crois à l'union des Etats italiens, et je la désire beaucoup[180]. Cette idée tenait à cœur au gouvernement français, car on la retrouve dans une lettre écrite, quelques jours plus tard, par Louis-Philippe à son neveu, le grand-duc de Toscane : Il me paraîtrait désirable, dit le Roi, que les souverains italiens et leurs gouvernements cherchassent à se recorder, et, si faire se pouvait, à se mettre d'accord sur les changements à apporter, soit dans leur régime gouvernemental, soit surtout dans leurs administrations intérieures. Au cours de cette même lettre, le Roi insistait sur la nécessité de calmer les défiances des peuples par une grande sincérité dans les réformes ; il rappelait, à ce propos, comment sa première parole, en 1830, avait été : La Charte sera désormais une vérité !Ne croyez pas, mon cher neveu, ajoutait-il, que je veuille par là vous pousser à établir une charte en Toscane. Non, je n'émets point d'opinion sur ce que je ne connais pas. Chaque pays, chaque peuple a ses circonstances particulières, sur lesquelles on doit régler ce qui convient ou ne convient pas. Mais ce sur quoi j'insiste avec conviction, c'est que, quoi qu'on fasse, on le fasse nettement, franchement, loyalement et sans aucune arrière-pensée de revenir sur ce qu'on aura fait. C'est là, selon moi, la seule chance de salut[181]. Ce n'était certes pas le langage d'une politique rétrograde et ennemie de la liberté italienne. Les patriotes ultramontains, cependant, ne nous en savaient aucun gré. Ils méconnaissaient absolument ce que nous continuions à faire pour leurs meilleurs intérêts et s'attachaient seulement à ce que nous refusions à leurs rêves. Il leur semblait que nous avions manqué à tous nos devoirs et commis une sorte de trahison, en ne nous mettant pas à leur diapason sur l'affaire de Ferrare, en ne poussant pas avec eux le cri de guerre, en essayant au contraire de jeter quelques seaux d'eau froide sur leur passion nationale en ébullition. Du coup, il fut admis que la France faisait cause commune avec l'Autriche contre l'Italie. A la vérité, de notre politique, les Italiens connaissaient imparfaitement la partie qui tendait à contenir le cabinet de Vienne ; car il entrait précisément dans notre tactique de n'en pas faire étalage ; ils connaissaient surtout les avertissements et les remontrances qui leur étaient adressés, remontrances parfois d'autant plus mortifiantes pour leur vanité qu'elles ne leur arrivaient pas seulement par l'entremise discrète de nos diplomates ? mais que le Journal des Débats les leur notifiait publiquement et non sans rudesse[182]. Encore, si les plaintes contre la France n'étaient venues que des radicaux, dont notre gouvernement était, en effet, résolu à contrarier les desseins ; mais elles venaient aussi des modérés, dont il avait conscience de servir la cause, et qu'il s'était flatté d'avoir pour clients. Ceux-ci, par entraînement ou par peur, faisaient chorus avec les violents. Je suis chaque jour plus frappé, écrivait M. Guizot[183], de l'inhabileté et de la pusillanimité des modérés italiens. Cela me rend très indulgent pour nos conservateurs. M. Rossi analysait ainsi, dans une de ses lettres[184], l'état d'esprit de ces modérés : Ils ne reprochent pas au gouvernement français, comme les radicaux, son éloignement pour les bouleversements révolutionnaires dans l'intérieur des États ; comme lui, ils préfèrent les réformes accomplies pacifiquement par l'accord du souverain et du peuple... Mais ils ne lui pardonnent pas son amour de la paix, son respect pour les traités à l'endroit de la question austro-italienne. Ils sentent avec colère que le veto de la France leur est un puissant obstacle, même borné à l'inaction, à un refus de concours. Quand ils nous accusent d'être les alliés dévoués de l'Autriche, de ne rien faire, de ne prendre aucune précaution pour empêcher l'Autriche de les envahir, de les opprimer, de travailler à réorganiser contre eux une Sainte-Alliance, ils ne disent pas exactement ce qu'ils pensent. C'est une manière de se plaindre d'une amitié qui leur paraît froide et dédaigneuse, parce qu'elle ne va pas jusqu'à leur offrir cent mille hommes. Cette déception se traduisait, dans les journaux de Rome ou de Florence, en invectives contre Louis-Philippe et M. Guizot, devenus presque aussi impopulaires que M. de Metternich. Dans les salons, il était de mode de mal parler de la France. M. Rossi, naguère si bien vu de ses anciens compatriotes, était mis dans une sorte de quarantaine par la société romaine ; se rendait-il au théâtre, personne ne venait le saluer dans sa loge. A Turin également, on boudait notre ambassade, à laquelle Balbo et d'Azeglio reprochaient de retenir Charles-Albert[185]. Les gouvernements eux-mêmes, ne fût-ce que par le langage qu'ils laissaient tenir aux journaux soumis à leur censure, semblaient partager les préventions populaires, ou tout au moins ne pas oser les contredire. A la chancellerie piémontaise, on avait fini par se persuader qu'en aucune hypothèse il ne fallait faire fond sur la France. L'ambassadeur de Sardaigne à Londres, le comte de Revel, causant, en septembre 1847, avec lord Palmerston, lui exprimait la crainte que l'Autriche ne songeât à intervenir dans les États romains. Je ne vois pas, ajoutait-il, ce qui l'en empêcherait ; on sait fort bien que l'Italie n'a rien de bon à attendre de la part de la France ; la conviction générale est que le gouvernement français est d'accord à ce sujet avec l'Autriche[186].

Tout en ressentant l'injustice et l'on peut dire l'ingratitude des Italiens, M. Guizot ne s'en étonnait pas trop. Nous servons leurs intérêts contre leurs passions, écrivait-il. Nous les aidons à faire ce qu'ils peuvent faire, et non pas à avoir l'air de tenter ce qu'ils ne peuvent pas faire, ce qu'ils ne tenteraient même pas sérieusement. Je trouve fort simple que ceux qui les flattent à tort et à travers leur plaisent davantage[187]. Il estimait même que leur mécontentement avait son bon côté. Pour qu'on ne fasse pas de folies en Italie, disait-il[188], il faut deux choses : qu'on ait assez peur des Autrichiens et qu'on ne compte pas trop sur nous. C'était donc sans vaine irritation, avec une sorte d'indulgence hautaine que, dans ses conversations avec le nonce et dans ses lettres à Rome, il rétablissait la vérité sur sa politique : On dit, écrivait-il à M. Rossi, que nous nous entendons avec l'Autriche, que nous donnons pleine raison à l'Autriche, que le Pape ne peut pas compter sur nous dans ses rapports avec l'Autriche. Mensonge que tout cela... Nous sommes en paix et en bonnes relations avec l'Autriche, et nous désirons y rester, parce que les mauvaises relations et la guerre avec l'Autriche, c'est la guerre générale et la révolution en Europe. Nous croyons que le Pape aussi a un grand intérêt à vivre en paix et en bonnes relations avec l'Autriche, parce que c'est une grande puissance catholique en Europe et une grande puissance en Italie... Nous savons que probablement ce que le Pape veut et a besoin d'accomplir, les réformes dans ses États, les réformes analogues dans les autres États italiens, tout cela ne plaît guère à l'Autriche, pas plus que ne lui a plu notre révolution de Juillet, quelque légitime qu'elle fût, et que ne lui plaît notre gouvernement constitutionnel, quelque conservateur qu'il soit. Mais nous savons aussi que les gouvernements sensés ne règlent pas leur conduite selon leurs goûts ou leurs déplaisirs... Nous croyons que le gouvernement autrichien peut respecter l'indépendance des souverains italiens, même quand ils font chez eux des réformes qui ne lui plaisent pas, et écarter toute idée d'intervention dans leurs États. C'est en ce sens que nous agissons à Vienne... en faisant pressentir le poids que nous mettrions dans la balance, et de quel côté nous le mettrions, si le cabinet de Vienne agissait autrement. Du reste, comme toujours, M. Guizot prévoyait le cas où l'Autriche tromperait son attente et où elle prétendrait intervenir : pour cette éventualité, il renouvelait, en ces termes, une déclaration déjà faite plusieurs fois : Ne laissez au Pape aucun doute qu'en pareil cas, nous le soutiendrions efficacement, lui, son gouvernement, sa souveraineté, son indépendance, sa dignité. On ne règle pas d'avance, on ne proclame pas d'avance tout ce que l'on ferait dans' des hypothèses qu'on ne saurait connaître d'avance complètement et avec précision. Mais que le Pape soit parfaitement certain que, s'il s'adressait à nous, notre plus ferme et plus actif appui ne lui manquerait pas[189]. M. Guizot écrivait encore, vers la même époque, au chargé d'affaires de France à Turin : Appliquez-vous à éclairer sur les vrais motifs de notre conduite tous ceux qui peuvent les méconnaître, et, si vous ne réussissez à dissiper une humeur qui prend sa source dans des illusions que nous ne voulons pas avoir le tort de flatter... ne leur laissez du moins aucun doute sur la sincérité et l'activité de notre politique dans la cause de l'indépendance des États italiens et des réformes régulières qui doivent assurer leurs progrès intérieurs sans compromettre leur sécurité[190].

Il était une chose que M. Guizot supportait plus impatiemment que les injures des partis ou de la foule, de ceux qu'il appelait les menteurs et les badauds, c'était la pusillanimité avec laquelle les gouvernements semblaient, par leur tolérance, s'associer aux attaques contre la politique française. Je comprends, écrivait-il le 28 octobre 1847[191], j'admets même dans une certaine mesure le petit calcul qui leur fait rechercher, pour leur propre compte, la popularité du laisser-aller, en rejetant sur nous toute l'impopularité des conseils sensés et fermes... Mais il y a à cela une limite posée par le sentiment de la dignité, comme par l'intérêt du succès. Et quand je lis, dans les journaux italiens, ce concert de calomnies et d'absurdités censurées, je suis bien tenté de croire que la limite est atteinte et que nous ferions bien de faire un peu sentir que nous le pensons. Quelques semaines après, le 17 novembre, devant la faiblesse croissante des gouvernements et les mensonges de plus en plus absurdes dont la politique française était l'objet, M. Guizot déclara décidément que la limite était dépassée ; il ne se contentait pas que le Pape dît à telle personne en particulier n'avoir qu'à se louer du gouvernement français ; il demandait que le langage public, les actes publics du gouvernement romain le proclamassent et le prouvassent. — Je sais, ajoutait-il[192], que cela déplaira aux factieux et aux badauds, et que, pour agir ainsi, un peu de courage est nécessaire. Mais vous savez qu'il n'y a pas de gouvernement possible sans un peu de courage. Déplaire à quelqu'un, risquer quelque chose, c'est la condition quotidienne de ceux qui gouvernent. Je crains qu'on ne sache pas assez cela à Rome, et qu'on ne l'apprenne à ses dépens.

Les injustices de l'opinion italienne n'étaient pas seulement un embarras pour notre politique extérieure. Elles avaient leur contre-coup en France et y augmentaient les difficultés intérieures avec lesquelles M. Guizot était alors aux prises. En effet, toutes les plaintes venues d'outre-monts contre notre gouvernement trouvaient aussitôt écho dans l'opposition française : celle-ci s'indignait que notre diplomatie n'eût pas osé relever le défi de Ferrare, et la dénonçait comme ayant noué une vaste conspiration réactionnaire avec la cour de Vienne. Spectacle piquant que celui des voltairiens de la gauche, pleins d'une sollicitude toute nouvelle pour le Pape, faisant un grief au ministère de ce qu'il ne le soutenait pas assez chaleureusement et associant, dans les toasts de leurs banquets, Pie IX et Ochsenbein. Que les adversaires systématiques de M. Guizot cherchassent ainsi à exploiter le mécontentement des Italiens, il n'y avait pas à s'en étonner ni à s'en émouvoir outre mesure. Un fait plus grave était le trouble jeté dans l'esprit de certains conservateurs dont j'ai eu déjà l'occasion de parler à propos des affaires de Suisse : mal informés de la politique suivie par le ministère, ils se demandaient si la France n'était pas en train de s'aliéner ses amis naturels pour mériter les bonnes grâces de ses ennemis traditionnels ; leurs préjugés d'hommes de 1830 s'effarouchaient à la pensée de se voir participant, en compagnie de l'Autriche, à une nouvelle Sainte-Alliance.

Ces préventions trouvaient accès jusque sur les marches du trône. Le prince de Joinville, qui commandait alors l'escadre de la Méditerranée, était par la même au premier rang pour entendre tout ce qui se disait en Italie contre le gouvernement français. Cette impopularité lui était déplaisante. Jeune, ardent, rêvant de gloire pour son pays et pour lui-même, la sagesse pacifique de son père lui pesait parfois un peu. Dans une lettre écrite, le 7 novembre 1847, de la Spezzia, à son frère, le duc de Nemours, il jugeait ainsi notre politique italienne : Séparés de l'Angleterre au moment où les affaires d'Italie arrivaient, nous n'avons pu y prendre une part active qui aurait séduit notre pays et été d'accord avec des principes que nous ne pouvons abandonner, car c'est par eux que nous sommes. Nous n'avons pas osé nous tourner contre l'Autriche, de peur de voir l'Angleterre reconstituer immédiatement contre nous une nouvelle Sainte-Alliance... Nous ne pouvons plus maintenant faire autre chose ici que de nous en aller, parce que, en restant, nous serions forcément conduits à faire cause commune avec le parti rétrograde ; ce qui serait, en France, d'un effet désastreux. Ces malheureux mariages espagnols ! nous n'avons pas encore épuisé le réservoir d'amertume qu'ils contiennent[193]. M. Guizot ne connut pas cette lettre, mais l'état d'esprit qui l'avait fait écrire ne lui échappait pas. Il faisait grand cas de l'intelligence du prince, qu'il avait ainsi caractérisé, l'année précédente, dans une lettre à M. Rossi : Très spirituel et, quand il se trouve engagé dans les affaires, avec la responsabilité sur les épaules, très sensé ; d'une imagination un peu fantasque et vagabonde, quand il est oisif et en liberté[194]. Il s'était bien trouvé de lui avoir donné un rôle important et délicat lors de la guerre du Maroc[195], et cette épreuve l'avait convaincu que ce prince était capable de comprendre par réflexion et de servir efficacement une politique qui, au premier abord, ne satisfaisait pas son imagination. Il ne crut donc pas faire œuvre inutile en entreprenant de redresser ses idées fausses sur la conduite suivie en Italie. Partant de cette idée que sa mauvaise impression venait surtout de ce qu'il était mal informé, il lui adressa tout un paquet des dépêches diplomatiques où il avait exposé sa politique, et y joignit une longue lettre explicative. Vous le voyez, Monseigneur, lui écrivait-il, nous ne sommes point restés inactifs... Nous ne nous sommes point unis aux souverains absolus. Nous ne nous sommes point liés secrètement avec l'Autriche. Nous avons hautement, toujours et partout, conseillé et soutenu les réformes modérées... Que cette politique n'ait point aujourd'hui, en Italie, la faveur populaire, je ne m'en étonne point. Les Italiens voudraient tout autre chose. Ils voudraient que la France mit à leur disposition ses armées, ses trésors, son gouvernement, pour faire ce qu'ils ne peuvent pas faire eux-mêmes, pour chasser les Autrichiens d'Italie et établir, en Italie, sous telle ou telle forme, l'unité nationale et le gouvernement représentatif. Tenez pour certain, Monseigneur, que c'est là ce qui est au fond de tous les esprits italiens, des sensés comme des fous... C'est là ce qui détermine, en Italie, non pas toutes les actions, tant s'en faut, mais les sentiments de bonne ou de mauvaise humeur, de sympathie ou de colère. M. Guizot indiquait ensuite comment on ne pouvait songer à entreprendre pour le compte de l'Italie ce que, très sagement et très moralement, on n'avait pas voulu entreprendre pour le compte de la France, c'est-à-dire le remaniement territorial et politique de l'Europe, en prenant pour point d'appui et pour allié l'esprit de guerre et de révolution. Il déclarait donc que toute sa politique en Italie, la seule qui convenait à la France, c'était l'indépendance des États italiens et le libre et tranquille accomplissement des réformes dans chaque État. — Cette politique, ajoutait-il, je me suis appliqué à la faire prévaloir par. les moyens réguliers et efficaces, en traitant de gouvernement à gouvernement, sans répandre, chaque matin, devant le public, pour son amusement et pour la satisfaction de ma vanité, mes démarches, mes idées, mes raisons, mes espérances. Je cherche le succès et non pas le bruit. Quand je me suis mêlé de l'affaire de Ferrare, je me suis bien gardé d'aller, dès le premier moment, crier sur les toits le plein droit du Pape et le crime de l'Autriche. J'aurais fait plaisir aux Italiens, mais j'aurais fort gâté l'affaire même. J'ai travaillé, sans bruit et poliment, à convaincre l'Autriche qu'il fallait finir cette affaire, et rentrer dans le statu quo... Je ne désespère pas d'y réussir ; et si j'y réussis, ce sera parce que j'aurai traité la question par les bons procédés, de gouvernement à gouvernement, et en me tenant bien en dehors des clameurs des journaux... L'expérience m'a appris que la bonne politique n'était pas populaire en commençant... Je sais supporter l'impopularité qui passera[196]...

L'espoir que M. Guizot manifestait, dans cette lettre, au sujet de l'affaire de Ferrare, ne devait pas tarder à se réaliser. On sait que, dès le premier jour, le cabinet de Vienne, pressé par nous, s'était montré disposé à chercher quelque arrangement qui donnât satisfaction au Pape. Mais des difficultés s'étaient présentées. L'éclat fait de part et d'autre avait mis en jeu des questions de dignité et d'amour-propre. Et puis, si prêt que fût M. de Metternich à faire des concessions, il lui fallait compter avec les exigences du maréchal Radetzky, commandant supérieur de l'armée impériale en Italie, qui menaçait, si l'on reculait, de donner sa démission[197]. Toutefois, ces obstacles finirent par être surmontés. Au cours du mois de décembre, une convention intervint entre l'Autriche et la cour de Rome, et, le 23, en vertu de cette convention, les troupes impériales remirent aux pontificaux les postes dont ils s'étaient emparés avec une brutalité si altière, quatre mois auparavant. Notre politique à la fois conciliante et insistante avait donc fini par obtenir de l'Autriche une retraite complète. Mais, au delà des Alpes, les esprits étaient trop échauffés pour nous en savoir gré et même pour s'en rendre compte.

 

X

L'irritation qui se manifestait, en Italie, contre la France, offrait à la rancune de lord Palmerston une occasion qu'elle ne devait pas laisser échapper. Sans doute la politique anglaise ne s'était pas toujours piquée de sympathies italiennes. Par tradition, au contraire, elle était favorable à l'Autriche, depuis longtemps alliée de la Grande-Bretagne. Lord Aberdeen disait à notre chargé d'affaires, en 1843 : Souvenez-vous, quelle que soit l'intimité de notre union, qu'en Italie je ne suis pas Français, je suis Autrichien[198]. Le prince Albert écrivait, en 1847, à lord John Russell : Notre politique a jusqu'à présent préféré, en Italie, la suprématie de l'Autriche à celle de la France[199]. Mais lord Palmerston s'inquiétait peu de cette tradition. Surtout depuis les mariages espagnols, il n'avait qu'une pensée : créer à la France des embarras, des mortifications, des périls, fût-ce au risque de mettre l'Europe en feu. Quand il nous vit prêcher la sagesse aux Italiens et chercher à les retenir, il s'empressa de les flatter et de les exciter. Dès le mois d'avril 1847, les lettres de M. Rossi signalaient le travail des agents anglais, poussant au mouvement et surtout insinuant que la France avait partie liée avec les puissances absolutistes[200]. Dans les premiers jours d'août, le Times publiait un article qu'on disait inspiré par le Foreign office[201] et qui eut, au delà des Alpes, un immense retentissement : cet article accusait la France de s'être alliée à l'Autriche pour opprimer le Pape et maintenir les Romains sous le joug, et il promettait aux Italiens l'appui de lord Palmerston.

Cette attitude s'accentua encore plus après l'incident de Ferrare. M. Désages écrivait à M. de Jarnac, le 30 août 1847 : Nos lettres d'Italie sont remplies du mouvement que se donnent les langues des résidents et des voyageurs anglais, langues officielles et officieuses, dans le sens du progrès, de la nationalité italienne, etc., etc., le tout avec accompagnement d'injures pour l'Autriche et d'insinuations perfides sur notre compte. Si lord John n'y prend garde, lord Palmerston le mènera plus loin qu'il ne pense. C'est l'outre de Canning que lord Palmerston est fort disposé, je crois, à lâcher tout ouverte sur le monde, dans l'espoir d'y trouver à se venger de nous et, en même temps, du peu de docilité qu'il a rencontrée à Vienne dans l'affaire du mariage[202]. Les agitateurs italiens savaient naturellement gré aux agents anglais de leur conduite, et l'un de ces derniers constatait avec satisfaction, dans ses dépêches, que les bandes qui manifestaient dans les rues de Florence contre les Autrichiens, criaient en même temps : Vive le ministre d'Angleterre !

Était-ce donc que le cabinet de Londres fût disposé à donner aux Italiens, s'ils entraient en guerre contre l'Autriche, le concours que le gouvernement français leur refusait ? Nullement. Dans ses rapports avec la cour de Vienne, il reconnaissait formellement la légitimité des possessions italiennes de l'Autriche, son droit de les défendre, et ne revendiquait que l'indépendance intérieure de chaque État dans son œuvre de réforme[203]. Rien de plus que la thèse de la diplomatie française. De même, à l'occasion de Ferrare, il tint à M. de Metternich un langage plein de ménagement, se bornant à exprimer l'espoir que les autorités impériales jugeraient compatible avec la sécurité de leur garnison, de revenir à l'ancien état de choses[204]. Lorsque M. Guizot eut connaissance, par lord Normanby, des dépêches adressées de Londres à Vienne en ces diverses occasions, il put déclarer que, pour son compte, il n'avait pas dit autre chose à M. de Metternich[205]. C'était là, de la part de la diplomatie anglaise, une attitude fort différente de celle que pouvaient faire supposer ses coquetteries et ses familiarités avec les agitateurs de la Péninsule. Aussi lord Palmerston ne laissait-il pas que d'être assez embarrassé quand certains Italiens, moins faciles que d'autres à se payer de mots et d'apparences, cherchaient à savoir, d'une façon un peu précise, ce que valaient ses belles paroles. Au commencement de septembre 1847, l'ambassadeur de Sardaigne à Londres, causant avec lui de l'hypothèse d'une intervention autrichienne dans les États romains ou en Toscane, lui demanda si l'on pourrait compter, en ce cas, sur un concours effectif de l'Angleterre. Le chef du Foreign office protesta de sa sympathie, mais se déroba dès que son interlocuteur voulut mettre les points sur les i. Au sortir de l'entretien, le diplomate italien résumait ainsi son impression : Lord Palmerston, ordinairement si net, si précis, si tranchant, pour dire le mot, a été, en cette occasion, vague, incertain et évidemment gêné par ma persistance. Son habitude ordinaire est de récapituler la dépêche qu'on vient de lui lire et d'y faire une réponse catégorique. Au lieu de cela, il s'est livré à des tirades et à des plaisanteries contre la France et contre l'Autriche, qui prouvaient l'embarras de son esprit[206]. C'est qu'au fond, comme l'avait dit, peu auparavant, d'Azeglio, dans une lettre que j'ai déjà citée, lord Palmerston se moquait parfaitement du progrès libéral et national de l'Italie[207]. M. Guizot était même convaincu que, si la France prenait les armes pour aider les Italiens à attaquer l'Autriche, elle rencontrerait devant elle l'Angleterre, faisant partie de la coalition aussitôt reformée[208]. Dans cette affaire, comme dans toutes celles auxquelles il se mêlait alors en Europe, il n'y avait de vrai pour lord Palmerston que le désir passionné de nous faire échec.

Ce désir le poussa, vers la fin d'août 1847, à proposer à ses collègues une démarche plus compromettante encore que les menées plus ou moins occultes auxquelles, jusqu'alors, s'étaient livrés ses agents. Il ne s'agissait de rien moins que d'envoyer l'un des membres du cabinet, lord Minto, en mission à Turin, à Florence, à Rome, afin d'y manifester avec un éclat inaccoutumé la sympathie de l'Angleterre pour l'agitation blâmée par la France. Aussitôt connu à Windsor, ce projet y souleva de graves objections, et le prince Albert rédigea un long memorandum que la Reine remit à lord John Russell. Il y était dit que la mission de lord Minto serait une démarche hostile envers l'Autriche, ancien et naturel allié de l'Angleterre, et qu'elle fortifierait les suspicions déjà éveillées contre le cabinet britannique par ses complicités avec les révolutionnaires d'autres pays. L'auteur du memorandum indiquait comme préférable la remise au cabinet de Vienne d'une note où, tout en lui reconnaissant le droit de se défendre dans ses domaines, on revendiquerait l'indépendance des autres États de la Péninsule. Lord John Russell, qui, comme presque toujours, servait de compère plus ou moins involontaire à lord Palmerston, s'appliqua à dissiper les inquiétudes de la cour ; il protesta que la politique du cabinet était celle du memorandum, et que lord Minto aurait précisément pour tâche de la mettre en pratique. Bien qu'imparfaitement rassuré, le prince Albert renonça à combattre l'idée de la mission ; mais il insista, dans sa réponse à lord Russell, sur ce que, tout en protégeant les mouvements réformateurs, l'Angleterre devait avoir grand soin de ne pas pousser les nations à aller trop vite dans cette voie. La civilisation et les institutions libérales, disait-il, doivent, pour prospérer et faire le bonheur d'un peuple, être le produit d'une croissance organique et d'un développement national. Un échelon négligé, un bond trop subit conduiraient infailliblement à la confusion et au retard du développement désiré. Des institutions qui ne répondent pas à l'état de la société qu'elles sont destinées à régir doivent mal fonctionner, lors même qu'elles seraient, en elles-mêmes, meilleures que l'état dans lequel cette société se trouve. Le prince, revenant ensuite sur une idée déjà indiquée dans son memorandum, recommandait d'éviter, en Italie, les fautes commises en Grèce et en Portugal ; il rappelait que la conduite tenue par l'Angleterre dans ces pays lui avait valu la haine de tous et la conviction générale qu'elle répandait le désordre pour des motifs intéressés. Lord Palmerston, sans laisser voir qu'il se sentît atteint par ce blâme, se déclara d'accord avec le prince consort sur la conduite à suivre, et promit que les instructions de lord Minto y seraient conformes[209].

Ces instructions, datées du 18 septembre 1847, furent en effet assez modérées ; elles chargeaient lord Minto de témoigner aux gouvernements de Turin, de Florence, de Rome, la sympathie de l'Angleterre pour leur entreprise réformatrice et sa sollicitude pour leur indépendance. Ces instructions péchaient moins par ce qu'elles disaient, que par ce qu'elles ne disaient pas, par l'omission de tout avis donné aux Italiens de se mettre en garde contre les entraînements révolutionnaires et belliqueux. Et puis que pesaient des instructions demeurées secrètes, devant ce fait public, éclatant, d'un ministre anglais se déplaçant pour apporter en Italie des félicitations et des encouragements, et cela à un moment où les esprits étaient en pleine ébullition ? Vers cette époque, le duc de Broglie, causant avec lord John Russell, lui disait[210] : Les peuples d'Italie n'ont pas besoin qu'on les enivre d'éloges et qu'on les pousse sur la place publique ; ils ne sont que trop disposés à bien penser d'eux-mêmes et à prendre de vaines démonstrations, des chants, des danses et des cris de joie, pour des actes d'héroïsme patriotique. Ils ne sont que trop disposés à nous dire : Faites nos affaires, et faites-nous des compliments. On ne peut tenir, comme on le fait, des populations en effervescence pendant un temps indéfini, sans qu'il en résulte de graves désordres. Lord John Russell ne contredit pas et parut d'accord avec notre ambassadeur. Celui-ci cependant connaissait trop bien lord Palmerston pour garder aucune illusion sur ce que serait en réalité l'attitude de la diplomatie britannique, notamment celle de lord Minto. Les paroles sont excellentes, écrivait-il à son fils, les instructions modérées, la bonne volonté réelle dans le chef du cabinet ; la mise en œuvre est exactement le contraire, et rien n'est négligé pour porter les pauvres Italiens aux dernières sottises, le tout dans l'unique vue de créer des embarras au Roi et à M. Guizot[211]. Arrivé dans les premiers jours d'octobre 1847 à Turin, lord Minto se rendait à Florence vers la fin du mois, à Rome au milieu de novembre, et demeurait dans cette dernière ville pendant plus de deux mois. C'était, suivant le portrait qu'en traçait alors le duc de Broglie, un galant homme, d'un esprit étroit et résolu, qui devait aller jusqu'au bout, sans la moindre hésitation, soit dans la bonne, soit dans la mauvaise voie, incapable de machiavélisme, mais aussi de nuances et de ménagements[212]. Les conversations qu'il eut partout avec les souverains et les ministres furent évidemment conformes à ses instructions. Les dépêches dans lesquelles il en rendait compte à lord Palmerston — celles du moins qu'il a convenu à ce dernier de publier dans le Blue book — sont d'une insignifiance remarquable : le ministre voyageur voit tout en beau dans le mouvement italien ; s'il ne peut s'empêcher de constater qu'il y a des têtes chaudes, cela lui semble sans importance, et il n'en est aucunement troublé ; de parti pris, il n'aperçoit de danger que du côté réactionnaire. D'ailleurs, ce qu'il pouvait dire dans ses colloques officiels n'était pas ce qui exerçait le plus d'action. La foule n'en connaissait rien. Ce qu'elle connaissait, c'était la signification que donnaient à la présence de lord Minto les meneurs les plus ardents du parti radical. A peine arrivait-il dans une ville, que ces meneurs l'entouraient, se montraient avec lui, lui faisaient des ovations bruyantes, et imprimaient ainsi à sa mission le caractère qui convenait à leurs desseins. Dans ces dimostrazioni, son rôle était assez sommaire ; il se montrait au balcon, et ses speechs les plus longs se bornaient à crier : Vive l'indépendance italienne ! Il n'en fallait pas davantage pour produire l'effet cherché par les meneurs. Un jour, à Rome, la foule envahit la cour de l'hôtel où réside le ministre anglais et pousse des cris répétés de : Vive lord Minto ! Vive l'indépendance ! A bas les Autrichiens ! En réponse à ces cris, des mouchoirs sont agités des fenêtres de l'hôtel. Est-ce lord Minto ou quelqu'un de sa suite ? La foule ne s'en informe pas et redouble ses acclamations. Puis elle se disperse, répandant partout la nouvelle que l'Angleterre a pris en main la cause de l'indépendance italienne trahie par la France et qu'elle se charge de mettre dehors les Tedeschi. La flotte qu'au même moment lord Palmerston envoyait parader sur les côtes de la Péninsule, était présentée comme le prélude et le gage de cette action. Lord Minto se sentait bien parfois un peu embarrassé du personnage qu'on lui faisait ainsi jouer ; mais il n'avait pas l'adresse et la souplesse nécessaires pour échapper à des metteurs en scène aussi habiles ; et puis rien dans ses instructions ne l'invitait à se mettre en garde contre de telles compromissions.

En somme, le voyage du ministre anglais se trouvait avoir pour principal résultat d'accroître partout la fièvre que la diplomatie française cherchait à calmer, de donner partout confiance et impulsion au parti révolutionnaire et belliqueux. En Italie, écrivait M. Rossi, Palmerston est l'espoir des radicaux[213]. On suivait lord Minto à la trace de l'effervescence et des démonstrations tumultueuses qui éclataient pour ainsi dire sous ses pas. A ce triste jeu, l'Angleterre avait gagné, dans les parties agitées de l'Italie, une certaine popularité : popularité bien compromettante pour un grand gouvernement, car elle le montrait plus que jamais dans ce rôle de protecteur de la révolution cosmopolite qui inquiétait le prince Albert ; popularité bien courte et bien précaire, car elle avait été obtenue en éveillant des espérances qu'on ne voulait ni ne pouvait satisfaire[214] ; popularité bien coupable, car on n'avait pas craint de pousser l'Italie sur une pente qui la conduisait à un abîme, et de mettre en péril la paix de l'Europe entière ; mais, malgré tout, popularité agréable au cœur de lord Palmerston, parce qu'il se flattait de l'avoir conquise aux dépens de la France.

 

XI

L'agitation née de l'incident de Ferrare et entretenue par les menées de la diplomatie anglaise n'était pas une condition favorable pour l'œuvre de réforme modérée au succès de laquelle s'intéressait le gouvernement français. Il en était résulté, du côté du public italien, plus d'exigence, d'impatience, l'intimidation plus grande des modérés, l'audace accrue des violents ; du côté des gouvernements de la Péninsule, encore moins de fermeté, de sang-froid, de décision, de possession d'eux-mêmes. Ajoutons que la victoire remportée, à la fin de novembre 1847, par les radicaux de la Suisse, avait, au sud des Alpes, un retentissement qui n'était pas pour améliorer cette situation.

Rome était toujours le point central sur lequel tous les yeux étaient fixés. Le 15 novembre 1847, le gouvernement pontifical faisait en avant un pas considérable : il réunissait, pour la première fois, la Consulte d'État établie par un décret antérieur. Cette assemblée, composée de notables choisis par le Pape sur une triple présentation des provinces, était appelée à donner son avis sur les réformes entreprises et, en général, sur toutes les grandes affaires temporelles ; elle ressemblait un peu à la diète convoquée récemment par le roi de Prusse. Une telle institution dépassait de beaucoup ce qu'on eût pu attendre, un an auparavant, de la libéralité pontificale. Mais les esprits excités menaçaient déjà de ne plus s'en contenter et rêvaient d'un plein régime parlementaire. Ému de ces prétentions, le Pape insista, dans son allocution d'ouverture, sur le caractère purement consultatif des délibérations, et ajouta quelques paroles attristées et sévères sur l'ingratitude d'une partie de ses sujets. Le discours fut accueilli avec une froideur marquée, et, quand le Pontife revint à son palais, la foule témoigna son mécontentement en ne poussant pas les acclamations accoutumées. Les premières séances de la Consulte se passèrent assez bien ; le caractère ferme et respectueux de son adresse sembla indiquer que les modérés y avaient la majorité. Mais bientôt, avec la discussion du règlement intérieur, les difficultés commencèrent. Les délibérations seraient elles secrètes ou publiques ? C'était, en réalité, la question du régime parlementaire qui se posait. Aux prises avec ce pouvoir si nouveau pour lui d'une assemblée délibérante, le gouvernement pontifical se sentait singulièrement inexpérimenté. Je suis fort novice, fort peu expert en ces matières, disait avec bonhomie Pie IX à M. Rossi. Un autre jour, causant avec un de ses familiers, il racontait l'histoire d'un enfant qui, ayant vu un magicien faire apparaître et disparaître le diable, et ayant voulu l'imiter, avait bien réussi à évoquer le fantôme, mais n'avait pu le chasser. Cet enfant, ajoutait le Pontife, c'est moi.

Dans son embarras, Pie IX devait naturellement chercher conseil auprès des gouvernements depuis longtemps habitués à ces problèmes. Lord Minto, alors à Rome, pressait le Pape de tout céder, et cherchait à lui persuader que le seul danger était, non d'aller trop vite, mais de s'attarder. Toutefois, le crédit du ministre anglais n'était pas en progrès au Quirinal ; on finissait par voir clair dans les résultats de sa mission. C'est chose incroyable, écrivait M. Désages à M. de Jarnac, à quel point les Anglais ont mauvaise réputation en Italie, à cette heure, auprès des gouvernants et des modérés[215]. Au contraire, on revenait peu à peu à la France, et l'on s'apercevait que sa sagesse, un moment déplaisante, servait les vrais intérêts de l'Italie[216]. M. Rossi, reprenant toujours les mêmes thèses, recommandait au Pape de faire les concessions nécessaires, mais de bien marquer qu'il ne se laisserait pas entraîner au delà. Puis, se tournant vers les membres de la Consulte, il leur prêchait fortement la modération, la patience, et leur représentait combien ils se mettraient dans leur tort, aux yeux de l'opinion européenne, s'ils entraient en lutte avec un pontife ayant pris l'initiative de tant de mesures libérales.

Le gouvernement français n'admettait point, notamment, qu'on prétendît imposer au Pape le régime parlementaire. Il apercevait, à l'introduction de ce régime dans les États de l'Église, des obstacles d'un caractère particulièrement grave. M. Guizot s'en expliquait ainsi, dans une lettre remarquable, adressée, le 1er décembre 1847, à M. Rossi : Ce qui constitue vraiment l'État pontifical, ce qui fait sa force et sa grandeur, c'est la souveraineté du Pape dans l'ordre spirituel. Sa souveraineté temporelle dans un petit territoire a pour objet et pour mérite de garantir l'indépendance et la dignité visible de sa souveraineté spirituelle. Or, celle-ci ne peut être partagée. Son intégrité, c'est la papauté elle-même. Il serait bien difficile, probablement impossible, que la souveraineté temporelle fût partagée sans que la souveraineté spirituelle eût à en souffrir. Je ne comprendrais pas que, pour se donner le plaisir de couper en deux ou trois parts le pouvoir temporel du Pape et d'en avoir une, les Romains d'esprit et de sens courussent le risque de diminuer et de compromettre la papauté... Se rend-on bien compte de ceci autour de vous ?... Quand je dis on, je veux dire d'une part le Pape, de l'autre les chefs du parti laïque. Le Pape est-il bien décidé à maintenir la position qu'il a prise dans son allocution, c'est-à-dire à conserver sa souveraineté intacte, en admettant, du reste, dans le gouvernement de ses États, toutes les améliorations désirables, notamment ce concours, en haut et en bas, des laïques avec les ecclésiastiques, dont l'appel de la Consulta est déjà, à vrai dire, le témoignage et le gage le plus éclatant ? De leur côté, les chefs du parti laïque comprennent-ils bien ou peuvent-ils comprendre combien il leur importe de maintenir la papauté à toute sa hauteur et dans toute sa force, et combien-ils perdraient eux-mêmes à l'affaiblir et à l'abaisser, dussent-ils avoir en partage un lambeau de sa petite dépouille temporelle ? Il nous importe essentiellement de savoir ce qui en est, sur l'un et l'autre point, pour régler nous-mêmes notre conduite. Si le Pape, d'un côté, et les chefs du parti laïque, de l'autre, se font de leur situation une idée nette et sont résolus de s'y tenir fermement, nous pourrons, à notre tour, les approuver hautement, les appuyer fermement et pratiquer, d'une façon patente et conséquente, une politique en harmonie, avec la leur. Mais s'il n'y avait, à Rome, sur la question vitale, point de vues un peu précises et de résolutions un peu solides ; si le Pape devait tantôt se retrancher dans sa souveraineté, tantôt se laisser aller à la dérive des prétentions qui le pressent ; si les chefs laïques, de leur côté, devaient être tantôt modérés, tantôt très exigeants, et céder tour à tour à la crainte de mécontenter le Pape et au désir de contenter les radicaux ou les rêveurs qui poussent aux révolutions, nous serions obligés alors d'être beaucoup plus réservés et de nous tenir dans une position d'observation et d'attente ; car personne ne peut, en de telles affaires, jouer le rôle des autres et faire pour eux ce qu'ils ne feraient pas eux-mêmes[217].

C'était sur un tout autre point, sur la participation des laïques à l'administration et au gouvernement des États de l'Église, que le cabinet français pressait Pie IX de faire des concessions. M. Rossi avait cette réforme fort à cœur et y revenait souvent dans ses conversations avec le cardinal secrétaire d'État et avec le Pape : Il n'y a plus d'illusion possible, disait-il au premier ; votre situation est nettement dessinée. Les radicaux frappent à votre porte ; il faut leur tenir tête. Vous seul, clergé, vous ne le pouvez pas ; il vous faut le concours des laïques, de tout ce qu'il y a parmi eux de sensé, de puissant, de modéré. Pour les rallier, il faut les satisfaire. La garde civique et la Consulta sont des moyens, ce n'est pas le but. Refuser toute part dans l'administration proprement dite à des hommes qu'on vient de rendre plus forts serait un contresens. Il y a plus d'un an que je le dis et que je le répète : Si vous ne vous fortifiez pas en appelant des laïques aux fonctions qui ne touchent en rien aux choses de la religion et de l'Église, tout deviendra impossible pour vous, et tout deviendra possible aux radicaux... Un cabinet mixte et bien composé rassurerait les timides et satisferait les ambitieux[218]. Le Pape, avec sa bonne foi et sa bonne volonté habituelles, reconnaissait la justesse de ces idées, et essayait de les appliquer. Un motu proprio, du 30 décembre 1847, décida que le ministère de la guerre pourrait être confié à un laïque ; il fut en effet donné au général Gabrielli. En outre, il fut prescrit que, sur les vingt-quatre auditeurs attachés au conseil des ministres, il y aurait douze laïques. M. Rossi, tout en louant ces mesures, ne s'en déclara pas satisfait ; il demanda qu'on introduisit, dans le ministère, deux autres laïques. Le Pape parut convaincu[219]. Mais quand se déciderait-il à agir en conséquence ? Ce n'était pas chose aisée pour lui de dépouiller le corps dont il était le chef.

Chaque fois que notre diplomatie pressait le gouvernement pontifical de satisfaire l'opinion, elle ne manquait pas de lui recommander, en même temps, la fermeté, le courage ; elle le conjurait de prendre enfin en main les rênes que, depuis si longtemps, il laissait flotter. Il faut savoir vous fortifier et regarder en face les radicaux, disait M. Rossi au cardinal secrétaire d'État. Tout est là. Que peut craindre le Pape, en marchant d'un pas ferme dans la voie de l'ordre et du progrès régulier ? En tout cas, l'Europe serait pour lui ; avant tous, plus que tous, la France. Ne l'oubliez pas. Que le Pape ne se trompe pas sur ses véritables amis. Il ajoutait, un autre jour, en causant avec Pie IX : Que Votre Sainteté considère la situation. Son État est au centre de l'Italie. Si l'ordre y est maintenu, il pourrait y avoir, au pis aller, une question napolitaine, ou toscane, ou sarde, mais point de question italienne. S'il y avait bouleversement ici, la clef de la voûte serait brisée ; ce serait le chaos... D'ici peut sortir un grand bien, mais aussi, je dois le dire, un mal incalculable[220].

Nos conseils ne parvenaient pas, malheureusement, à communiquer au gouvernement pontifical la vigueur qui lui eût été nécessaire. Rome est toujours au régime des dimostrazioni ; seulement, le caractère en est bien changé. Pie IX, au lieu d'être l'objet d'ovations respectueuses et attendries, se voit en butte à des familiarités insultantes. Sous ce rapport, rien de plus déplorable que ce qui se passe à l'occasion de la fête du 1er janvier 1848. Inquiet de certains mauvais desseins imputés aux meneurs radicaux, le Pape a commencé par décider que cette fête n'aurait pas lieu. Mais, peu après, le peuple ayant murmuré, il lève l'interdiction ; bien plus, le jour venu, il consent à se montrer au Corso en équipage de gala. Aussitôt, la foule entoure sa voiture avec des clameurs incohérentes. Des enfants déguenillés grimpent sur les marchepieds. Un certain Cicervacchio, tribun du plus bas étage, alors en faveur auprès de la plèbe, et qui devait peu après être compromis dans le meurtre de Rossi, monte derrière le carrosse pontifical et agite au-dessus de sa tête un énorme drapeau tricolore avec cette inscription : Saint Père, fiez-vous au peuple ! N'était-ce pas une scène de révolution ? En même temps, dans cette foule qui paraît avoir perdu le respect de son souverain, l'effervescence antiautrichienne est au comble : une pétition est remise à la Consulte, réclamant une armée nationale, avec des chefs capables, pour commencer au plus tôt la guerre de délivrance.

Si des États de l'Église on passe en Toscane, on y trouve une situation plus troublée encore et plus inquiétante. Point de gouvernement, une presse sans frein, une garde civique en grande partie aux mains des radicaux, les manifestations de la rue à l'état permanent et dégénérant souvent en émeute, partout le cri de guerre contre l'Autriche. Le grand-duc de Toscane est à la dérive, sans savoir où il jettera l'ancre, écrit M. de Barante[221]. M. Doudan parle, de son côté, avec une compassion un peu ironique et méprisante, des avanies triomphales que ses peuples font subir au pauvre grand-duc, et il le montre réduit à l'état d'un souverain désarmé autour duquel on danse et qu'on veut faire danser, pour célébrer la chute de son pouvoir ; il en conclut que les peuples ont bien mauvaise mine à l'heure où ils s'affranchissent. Il ajoute, un peu plus tard, dans une autre lettre[222] : Le grand-duc prend d'un air si doux toutes les fantaisies plus ou moins absurdes de ses sujets, que ces complaisances infinies pourraient bien le mener trop loin. Les idées libérales sont bonnes, mais, comme le bon vin de Champagne, il faut les tenir dans des bouteilles solides et bien bouchées. Les souverains d'Italie n'ont pas la mine de savoir mettre le vin de Champagne en bouteilles.

En Piémont, les esprits sont aussi excités, mais ils ont affaire à un gouvernement moins débile. Qui pouvait savoir toutefois où voulait en venir le prince de plus en plus mystérieux qui régnait à Turin ? Au commencement d'octobre, la foule ayant pris prétexte de la fête du Roi pour faire une manifestation à la façon romaine et pour mêler aux vivats en l'honneur du souverain des cris de : Vive l'Italie ! A bas les codini ! A bas les Jésuites ! la police la disperse assez rudement. En vous parlant à cœur ouvert, écrit Charles-Albert au marquis Villamarina, je vous dirai que toutes ces ovations me répugnent extrêmement ; je suis né dans la révolution, j'en ai parcouru les phases, et je sais ce que c'est que la popularité. Aujourd'hui : Viva ! demain : Morte !... Je m'opposerai de tout mon pouvoir à ces manifestations populaires à l'imitation de Rome et de Florence. Mais, au moment où l'on peut croire ainsi le Roi tout à la résistance, voici qu'il congédie son vieux ministre, M. de La Margherita, personnification de l'ancien régime, et que, le 30 octobre, la Gazette officielle de Turin annonce toute une série de réformes libérales : abolition des tribunaux d'exception, publicité des débats judiciaires, institution d'une cour de cassation, égalité des classes dans les conseils de ville, introduction du système électif dans l'administration locale, création d'un registre de l'état civil remis aux mains des autorités laïques, adoucissement notable de la censure pour la presse politique. Ces concessions, très désirées et peu attendues, sont accueillies avec enthousiasme ; à Turin, à Gênes, le roi réformateur est acclamé avec le même délire que naguère Pie IX. Il est vrai que, comme à Rome, ces acclamations sont calculées pour compromettre et entraîner le souverain. A Gênes, la foule qui crie : A bas les Jésuites ! prétend empêcher Charles-Albert d'aller entendre la messe dans l'église de ces religieux. Est-ce parce qu'il entrevoit ce qui se mêle d'exigences et de menaces révolutionnaires dans ces ovations, que le Roi y paraît si triste, si visiblement souffrant, pâle comme un cadavre, des larmes dans les yeux, et que souvent il s'y dérobe avec une brusquerie qui déconcerte les manifestants ? Au fond, il n'a toujours qu'une pensée, celle de la lutte contre l'Autriche, pensée pleine de désirs et d'angoisses, et si l'agitation populaire lui répugne tant, c'est qu'il y voit un affaiblissement pour la grande œuvre nationale. Dès le commencement d'octobre, dans la lettre déjà citée à Villamarina, il écrivait : Il nous faut de la tranquillité, il nous la faut surtout devant l'Autriche, car, si nous commençons à nous diviser, à être en agitation, l'indépendance nationale finira par se perdre ; et je suis résolu à la soutenir et à la défendre en y donnant ma vie. Et plus tard, ouvrant son cœur au marquis Robert d'Azeglio, il se déclare prêt aux derniers sacrifices pour l'Italie, mais se plaint d'être entravé par les difficultés que fait naître le parti libéral. Il faut des soldats, dit-il, et non des avocats, pour mener à bien la grande entreprise. Infini serait donc le danger d'une constitution qui, livrant la tribune aux parlementaires, affaiblirait la force du gouvernement, amoindrirait la discipline dans l'armée et, par ses indiscrétions, ajouterait aux difficultés déjà écrasantes du commandement. Puis il ajoute, en regardant bien en face son interlocuteur : Rappelez-vous, marquis d'Azeglio, que, comme vous, je veux l'affranchissement de l'Italie, et rappelez-vous que c'est pour cela que je ne donnerai jamais de constitution à mon peuple. Le langage est fier et paraît ferme. Mais il n'est pas probable que ce peuple, une fois mis en branle, accepte de s'arrêter devant la barrière que son souverain prétend élever devant lui. Son effervescence, loin de se calmer, va chaque jour croissant. Les journaux profitent de leur liberté nouvelle pour échauffer les esprits et presser le Roi de leur donner satisfaction. Les manifestations deviennent de plus en plus fréquentes et tumultueuses, et le mot d'ordre y est de demander une constitution.

Ce qui se passe ainsi à Rome, en Toscane, en Piémont, ne dispose naturellement pas M. de Metternich à voir les choses moins en noir. Plus que jamais sa correspondance est pleine de gémissements et de sombres pronostics. Je suis vieux, écrit-il le 7 octobre 1847 au comte Apponyi[223], et j'ai traversé bien des phases dans ma vie publique ; je suis ainsi à même d'établir des comparaisons entre les situations... Eh bien, je vous avouerai que la phase dans laquelle se trouve aujourd'hui placée l'Europe est, d'après mon intime sentiment, la plus dangereuse que le corps social ait eu à traverser dans le cours des dernières soixante années. Il augure très mal des réformes entreprises dans les États romains[224], et s'exprime sévèrement sur Pie IX lui-même. Le Pape, dit-il, se montre chaque jour davantage privé de tout esprit pratique. Né et élevé dans une famille libérale, il s'est formé à une mauvaise école ; bon prêtre, il n'a jamais tourné son esprit vers les affaires gouvernementales ; chaud de cœur et faible de conception, il s'est laissé prendre et enlacer, dès son avènement à la tiare, dans un filet duquel il ne sait plus se dégager, et, si les choses suivent leur cours naturel, il se fera chasser de Rome[225]. Charles-Albert lui inspire la plus grande méfiance ; il devine ses secrètes aspirations ; il sent que la Lombardie frémissante a les yeux fixés sur ce prince ; aussi, tout en témoignant pour les incertitudes et les duplicités de son caractère un certain mépris, le redoute-t-il. Le côté le plus dangereux pour nous, c'est le Piémont, écrit-il le 23 janvier 1848[226]. Enfin, le jeu de l'Angleterre ne lui échappe pas ; il voit tous les dangers de la politique propagandiste suivie en Italie par lord Palmerston, et celui-ci lui apparaît comme l'un des appuis les plus éhontés de la révolution[227].

Plus M. de Metternich est inquiet, plus il sent le besoin de se tourner vers la France. C'est d'ailleurs le moment où le même rapprochement s'opère dans les affaires de Suisse et où le voyage à Paris du comte Colloredo et du général de Radowitz semble mettre aux mains du gouvernement français la direction de la défense conservatrice en Europe[228]. Non, sans doute, que le chancelier se rallie complètement à nos principes et à notre point de vue dans la question italienne ; il persiste à soutenir que le juste milieu, possible en France, est une illusion en Italie[229]. Mais il sent que, seuls, nous pouvons quelque chose contre les périls qui le menacent ; c'est à nous qu'il a recours pour contenir les gouvernements dont les menées l'alarment, celui de Turin par exemple ; confiant dans les intentions de M. Guizot, disposé à se mettre pour ainsi dire derrière lui, il lui demande à plusieurs reprises ce qu'il compte faire, comme pour régler là-dessus sa propre attitude[230]. Quant à lui, il proteste toujours de sa volonté de demeurer sur la défensive, de ne pas intervenir tant qu'on ne viendra pas l'attaquer sur son propre territoire[231] ; de cette modération, il adonné un gage en faisant retraite dans l'affaire de Ferrare, et si, vers la fin de décembre, il envoie quelques soldats à Modène sur la demande du duc, cette mesure, trop restreinte pour être sérieusement inquiétante, n'est que l'exécution d'un traité antérieur et spécial, nullement le préliminaire d'une intervention plus étendue.

Le gouvernement français ne se refusait pas au premier rôle que le cabinet de Vienne semblait lui laisser. Il ne se faisait cependant pas d'illusion sur les dangers de la situation et sur la gravité des résolutions qu'elle pouvait l'obliger à prendre. Rome surtout le préoccupait : on sait que, dès l'origine, il s'était déclaré résolu à défendre le Pape, le cas échéant, et à ne pas laisser, sur un terrain aussi important, le champ libre soit à la révolution, soit à l'Autriche agissant seule et comme puissance réactionnaire. Or, le moment de mettre cette résolution en pratique par une intervention armée lui paraissait approcher. Quelque répugnance qu'il eût pour les opérations de ce genre, — et cette répugnance s'était manifestée dans les affaires d'Espagne autrefois, dans celles de Suisse tout récemment, — il n'hésitait pas et se préparait à toutes les éventualités. Dans les premiers jours de janvier 1848, notre ambassadeur à Vienne avait sur ce sujet, avec M. de Metternich, une conversation que ce dernier résumait en ces termes, dans une lettre au comte Apponyi : Après la lecture des rapports qui venaient de m'arriver de Rome, de Florence et de Turin, M. de Flahault me dit :Mais voilà une détestable position des choses !... Les puissances ne peuvent pas souffrir que le Pape soit chassé !Cela ne devrait point être possible, lui dis-je ; mais de quels moyens les cours disposent-elles pour agir comme elles devraient le faire ? L'Autriche est hors d'action ; ceux qui ont à se reprocher le malheur n'ont qu'à réparer le mal qu'ils ont fait. — Il faut que le Pape adresse une réquisition simultanée à la France et à l'Autriche. — L'Autriche, repris-je, ne peut se charger seule de la besogne, car vous arriveriez avec un nouvel Ancône ; la France, si elle agit seule, sera paralysée par l'Angleterre ; les deux cours allant ensemble, le parti libéral, réuni aux radicaux, chassera M. Guizot, parce qu'il sera accusé de vouloir renouveler avec M. de Metternich la Sainte-Alliance !Mais il faut se moquer d'une attaque pareille ; que le Pape s'adresse aux deux cours, et nous irons !C'est vous qui le dites ; êtes-vous le cabinet français ?Non, mais le cabinet parlera. — S'il parle, nous verrons ce que nous aurons à répondre[232]. Ainsi qu'on peut s'en rendre compte, le diplomate français paraissait beaucoup plus décidé à l'intervention que le ministre autrichien. M. de Flahault ne se trompait pas sur les dispositions de son gouvernement. Vers cette époque, le duc de Broglie, alors à Paris et fort avant dans les confidences de M. Guizot, écrivait à son fils, premier secrétaire à l'ambassade de Rome : Il est évident qu'il en faudra venir à une intervention à Rome et en Toscane, en supposant que le reste tienne bon. Heureusement, la violence contre le Pape excitera tout le monde ici, et ceux qui s'en rendront coupables ne seront pas épousés, du moins tout de suite, par l'opinion même la plus violente. Heureusement encore, l'Autriche n'a ni la possibilité ni la volonté d'agir sans nous, peut-être pas même avec nous, à Rome du moins, et nous tiendrons la tête du mouvement. Mais, pour cela, il faut que le ministère reste en place. Il ajoutait, quelques jours plus tard : Il y a des points arrêtés. Ainsi, secourir le Pape s'il demande secours ; intervenir si les Autrichiens interviennent ; mais, dans le cas où les Italiens attaqueraient les Autrichiens, les laisser se battre sans y prendre part, voilà le plan général. Les circonstances décideront du reste[233]. En effet, M. Guizot avait obtenu du Roi et du conseil des ministres des décisions formelles dans ce sens. Des troupes étaient réunies à Toulon et à Port-Vendres, prêtes à être embarquées au premier signal ; le général Aupick était désigné pour le commandement de cette expédition éventuelle et avait reçu ses instructions. Une dépêche, du 27 janvier 1848, informait M. Rossi de toutes les mesures prises et l'autorisait, s'il le jugeait utile, à les annoncer au gouvernement pontifical.

 

XII

Vers la fin du mois de septembre 1847, M. Guizot, après avoir énuméré tout ce qui l'inquiétait en Italie, concluait en ces termes[234] : Cependant, j'espère : à Naples, il y a un roi et une administration ; en Piémont, il y a un roi, un gouvernement et une nation ; je crois que ces deux États tiendront bon. Quelques semaines plus tard, M. de Metternich exprimait également l'idée que la révolution pourrait être limitée et contenue, tant qu'elle n'aurait pas gagné ces deux royaumes[235]. Enfin, au commencement de janvier 1848, M. Rossi terminait ainsi le récit des scènes de désordre dont Rome venait d'être le théâtre : Ce n'est encore qu'une tempête dans un verre d'eau ; Turin et Naples sont les parois du verre ; si ces parois viennent à rompre, tout est à craindre[236]. Le mois de janvier n'était pas fini, que l'une de ces parois se brisait.

Ferdinand II, qui régnait à Naples depuis 1830, était un pur autocrate, convaincu de son omnipotence, habitué à imposer en toutes choses sa volonté ; plein de mépris, quoique non sans sollicitude pour ses sujets ; professant que ceux-ci n'avaient pas besoin de penser, puisqu'il se chargeait de leur bien-être ; détesté de la partie intelligente, remuante et ambitieuse des classes moyennes, en même temps qu'il jouissait d'une sorte de popularité parmi les lazzaroni ; non dépourvu de résolution et de fierté, mais esprit court, obstiné, avec je ne sais quoi d'un peu rusé et ironique ; portant haut le sentiment de la dignité de sa couronne et prompt à maintenir l'indépendance de son royaume, soit contre l'Angleterre quand elle tentait de le violenter, soit contre l'Autriche quand elle prétendait le protéger. Par son caractère, par ses idées, par son passé, il était donc porté à voir de mauvais œil un mouvement italien où l'autonomie napolitaine risquait d'être absorbée dans l'idée nationale, et un mouvement libéral qui menaçait son absolutisme[237]. Quand du Quirinal part le signal des réformes, et que les gouvernements de Toscane et de Piémont y répondent plus ou moins, Ferdinand II, plein d'humeur et non sans dédain à l'égard du nouveau pape, jaloux de Charles-Albert et se méfiant de lui, essaye de fermer absolument ses États à la contagion des idées nouvelles. Mais toutes les prohibitions policières sont impuissantes. Vainement les premières insurrections, éclatées, en septembre 1847, à Messine et à Reggio, sont-elles assez rudement réprimées, l'agitation va croissant, surtout en Sicile. Là, les abus de l'administration sont pires encore qu'en terre ferme, et le mécontentement se complique d'un vieux sentiment d'indépendance très réfractaire à la prépotence napolitaine. A la fin de 1847, les choses deviennent si menaçantes, que le Roi reconnaît la nécessité de faire quelques concessions aux Siciliens. Il s'y prend mal, et, au milieu de janvier 1848, Palerme, en pleine révolte, repousse les troupes envoyées pour la soumettre, et réclame impérieusement l'autonomie de la Sicile avec la constitution libérale de 1812, autrefois établie sous l'influence de l'Angleterre.

Cette même influence se devine dans le mouvement sicilien de 1848. Lord Napier et tous ses compatriotes de Naples et de Palerme, écrit peu après M. Désages[238], ont été très actifs pour l'insurrection et la séparation. Les efforts de pacification que fait notre diplomatie[239] se heurtent à l'action contraire de la diplomatie britannique. Au plus fort des troubles, le gouvernement napolitain ayant demandé aux représentants de la France et de l'Angleterre de se porter médiateurs pour arrêter l'effusion du sang, et notre chargé d'affaires s'étant montré disposé à accepter cette mission, le ministre anglais, lord Napier, s'y refuse, à moins que le roi de Naples ne l'autorise à rendre aux Siciliens la constitution de 1812 et à leur garantir le droit d'y faire eux-mêmes telles modifications que bon leur semblerait : Partez seul, si vous le jugez convenable, dit-il à son collègue français ; seulement, je dois vous prévenir que le bâtiment qui vous conduira en Sicile portera également des lettres à nos agents et aux hommes influents du pays, par lesquelles je leur expliquerai pourquoi je n'ai pas cru devoir partir avec vous. Quant à m'associer à vous dans cette occasion, croyez-moi, je le regrette, mais c'est impossible. Partout ailleurs, sur tous les points du globe, en Chine même, je pourrais peut-être faire ce que vous me demandez : en Sicile, la France et l'Angleterre ont des intérêts d'un ordre très différent[240]. Il était évident qu'une Sicile, à demi ou même complètement séparée de Naples, convenait aux ambitions méditerranéennes de la politique britannique.

L'insurrection de Palerme a naturellement son contre-coup à Naples, où se produisent des démonstrations menaçantes. Ferdinand, effrayé, se tourne vers l'Autriche et lui demande jusqu'à quel point il peut compter sur son aide. M. de Metternich, qui, on le sait, n'était nullement en mesure et en volonté de se lancer dans une intervention, assure le roi de Naples de tout son appui moral ; mais, quant à un secours armé, il s'excuse sur l'impossibilité de faire traverser les États pontificaux par ses troupes, sans l'autorisation du Pape : or, il sait bien que, dans l'état des esprits, on ne peut pas, à Rome, lui donner cette autorisation, et en effet le cardinal secrétaire d'État ne parle de rien moins que de se porter lui-même à la frontière pour barrer le chemin aux Autrichiens[241]. Laissée ses propres forces, Ferdinand sent fléchir son orgueil de prince absolu, et entre à son tour dans la voie des concessions. S'il y vient le dernier, il y marche singulièrement vite. Le 18 janvier 1848, un décret confère des attributions nouvelles et presque représentatives aux Consultes déjà existantes de Naples et de Sicile ; des ministres distincts sont nommés pour cette dernière portion du royaume. Le 19, d'autres décrets apportent de grands adoucissements au régime de la presse et accordent une large amnistie. Mais la population surexcitée ne se déclare pas satisfaite ; le 27 janvier, elle remplit les rues de Naples, promenant des drapeaux aux trois couleurs italiennes, criant : Vive Pie IX ! et réclamant une constitution. Après quelques velléités de résistance, la capitulation du Roi est complète. Il l'envoie, non seulement du palais, mais du royaume, son ministre de la police et son confesseur, particulièrement impopulaires, et prend des ministres libéraux. Bien plus, le 29 janvier, une proclamation annonce l'octroi d'une constitution analogue à la charte française. C'est dans Naples un délire de joie ; le Roi étant sorti à cheval, la foule se presse pour lui baiser les mains. Le 11 février, la constitution est définitivement promulguée. En quelques jours, Ferdinand, naguère si réfractaire au mouvement libéral, a de beaucoup dépassé tous les autres souverains qui n'en sont encore qu'aux réformes civiles, et qui ont jusqu'ici refusé de donner des constitutions. Est-ce seulement, chez lui, effet de la peur, ou bien nécessité de lâcher d'autant plus qu'il a plus imprudemment retenu ? Probablement l'un et l'autre. Peut-être cherche-t-il aussi à jouer une sorte de méchant tour aux autres gouvernements : une malice de ce genre est assez dans sa nature. On racontait de lui ce propos : Ils me poussent, je les précipiterai.

L'impulsion venue de Naples est en effet irrésistible. Dans toute l'Italie, des manifestations bruyantes ont lieu en l'honneur de la révolution des Deux-Siciles, et les souverains sont mis en demeure de suivre l'exemple de Ferdinand II. Si décidé que Charles-Albert ait été jusqu'alors à ne pas s'engager dans cette voie, il se sent ébranlé par une telle clameur. Il consulte une sorte de conseil de conscience sur la valeur de la promesse qu'il a faite autrefois à M. de Metternich de ne pas changer les bases fondamentales et les formes organiques de la monarchie ; le conseil déclare qu'il n'y a là rien qui empêche l'octroi de la constitution. Cet avis ne calme pas entièrement les scrupules du Roi, et c'est l'âme déchirée, au milieu d'angoisses qui contrastent étrangement avec l'allégresse de la foule, que, le 8 février, il se décide à publier les bases d'un Statut selon le type de la charte française. Le grand-duc de Toscane n'est pas homme à résister quand le roi de Sardaigne cède ; lui aussi promet donc sa constitution, le 11 février, et la promulgue le 17. Que va faire le Pape, ainsi enveloppé de gouvernements qui deviennent représentatifs et pressé par son peuple qui lui crie qu'un Pie IX ne peut refuser ce qu'un Bourbon a accordé ? Chez lui, sans doute, le chef d'État n'est pas habitué à résister longtemps ; mais ici, la conscience du Pontife est en jeu : il doute que le régime parlementaire soit compatible avec l'intégrité de sa souveraineté spirituelle. Tout en bénissant, du balcon du Quirinal, la foule qui réclame la constitution, il lui rappelle tout ce qu'il a fait déjà et la supplie de ne rien demander qui soit contraire à la sainteté de l'Église. Il consent néanmoins à charger une commission d'examiner quelles institutions pourraient donner satisfaction au vœu populaire, sans entraver l'exercice du pontificat. L'un des premiers actes de cette commission est de prendre l'avis de l'ambassadeur de France, qui, naturellement, en réfère à son gouvernement[242]. M. Rossi voit les difficultés théoriques du problème ; mais en fait, il constate que la nécessité d'un gouvernement représentatif est reconnue, à Rome, par tout le monde. Parmi ceux qui, autour du Pape, se prononcent le plus hautement dans ce sens, on remarque beaucoup de personnages naguère très opposés à toute concession de ce genre. Ils n'ont pas changé, dit finement M. Rossi ; c'est toujours le même sentiment : ils avaient peur de la constitution ; aujourd'hui, ils ont peur de ceux qui veulent une constitution. Est-il besoin d'ajouter que, dans toute la Péninsule, l'effervescence, provoquée par la question constitutionnelle, amène un redoublement de manifestations contre l'Autriche ? A Turin, dans la fête organisée en l'honneur du Statut, figurent les délégués milanais en costume de deuil, et le soir, dans les rues de la ville, circule un char allégorique sur lequel chaque ville lombarde a sa bannière brandie par un homme en armure de fer ; au sommet, un moine sonne le tocsin à coups redoublés.

Le gouvernement français — j'ai déjà eu l'occasion de le dire — estimait que, pour le moment, les Italiens avaient bien assez à faire de mener à terme leurs réformes civiles, et il ne désirait pas qu'ils s'appropriassent trop tôt notre régime parlementaire. Ce n'est pas qu'il fût indifférent à l'avantage de voir ce régime s'étendre en Europe et, par suite, accroître le nombre des clients naturels de la France ; mais c'est que rien ne lui paraissait devoir plus nuire à son patronage libéral que des innovations prématurées et par suite condamnées à l'insuccès[243]. Néanmoins, le changement accompli, il ne peut faire mauvais visage à ceux qui témoignent ainsi le désir de le prendre pour modèle. Il leur déclare donc se féliciter des nouveaux gages d'intimité que créera désormais la similitude des institutions politiques, et promet de seconder l'établissement pacifique et régulier des nouveaux régimes constitutionnels[244]. Mais, cette politesse faite, il s'empresse d'y ajouter, avec une amicale franchise, des conseils qui trahissent ses inquiétudes. Ainsi indique-t-il, dans une dépêche à son représentant à Florence, les deux conditions dont dépend, à son avis, le succès de l'entreprise tentée en Toscane. La première est que les modérés se rallient autour du grand-duc... s'appliquent à faire sortir des institutions nouvelles un gouvernement fort et régulier, les défendent énergiquement contre l'invasion des passions démagogiques, assignent au mouvement un temps d'arrêt et résistent fermement à ceux qui voudraient le pousser au delà. La seconde est que le gouvernement toscan mette toute sa fermeté à assurer le maintien des traités, à conserver avec les États voisins des rapports de bonne intelligence, à empêcher que son territoire ne devienne un foyer de propagande et d'hostilité contre tel ou tel État, enfin à écarter toute cause, tout prétexte d'intervention extérieure et toute occasion de guerre[245]. Le gouvernement français n'envoie pas d'autres conseils à Turin. Louis-Philippe répète volontiers au marquis Brignole, ambassadeur du gouvernement sarde à Paris, que le meilleur moyen, pour le Piémont, de rassurer les puissances sur ses innovations politiques, est de se montrer résolu à contenir le parti qui pousse à la guerre contre l'Autriche[246]. Se tournant en même temps vers la cour de Vienne, notre cabinet tâche de lui faire prendre, sinon en gré, du moins en patience, les constitutions italiennes[247], et obtient d'elle de nouvelles assurances qu'elle ne songe toujours pas à intervenir, soit à Naples, soit ailleurs[248] ; il lui offre, du reste, de proclamer, d'accord avec les autres cabinets, le respect dû à ses droits sur le royaume lombard-vénitien, lui promet de s'employer à surveiller et à contenir Charles-Albert, et lui annonce que notre armée est prête, au premier appel, à voler au secours du Pape[249].

Comme il fallait s'y attendre, cette fois encore, notre action modératrice est contrariée par la diplomatie britannique. Celle-ci, bien que convaincue à part soi que les Italiens ne sont pas mûrs pour le régime parlementaire et l'avouant au besoin, a pressé ardemment les gouvernements piémontais et toscan de suivre sans retard l'exemple du roi de Naples[250]. Les constitutions octroyées, elle prend partout sous son patronage ceux qui veulent en tirer les conséquences les plus radicales. Ce rôle est particulièrement visible à Naples, où les concessions royales n'ont pas désarmé l'insurrection sicilienne, et où l'Angleterre paraît de plus en plus avoir intérêt à la persistance du conflit et du désordre. Une telle conduite n'est pas pour rendre plus facile la situation de nos représentants en Italie. Ceux-ci se sentent impuissants à retenir un mouvement ainsi protégé, excité, et, sur le théâtre particulier où ils opèrent, la popularité des agents de lord Palmerston leur semble parfois grandir aux dépens de la leur. Aussi ne faut-il pas s'étonner de trouver alors, dans leurs appréciations, une note assez attristée. De Naples, M. de Bussières mande, vers la fin de février 1848, à M. Guizot, que l'influence de la France est très diminuée, que les Anglais tiennent le haut du pavé, parlent en maîtres, font trembler le gouvernement, ont des agents partout, soudoient la presse, renversent le ministère suspect de sympathies françaises, pour le remplacer par un ministère à eux[251]. De Turin, M. de Bacourt, chargé d'affaires de France, écrit à M. de Barante : Mon influence ici est absolument nulle ; on se méfie de nous, surtout le gouvernement. Puis il ajoute : Le Piémont est complètement changé de ce que vous l'avez connu. Ce gouvernement si régulier, cette administration si ordonnée, ce roi si hautain et si inabordable pour la foule, ce calme si complet qu'il ressemblait, dit-on, au calme des tombeaux, tout cela n'existe plus. L'agitation révolutionnaire s'est emparée de tout le monde. Il n'y a plus d'autorité nulle part, que celle des journaux plus ou moins radicaux et de la tourbe qui s'agite dans les cafés, dans les auberges, dans les rues... Les hommes que vous avez connus raisonnables, modérés, corrigés presque par l'expérience des révolutions, ont, tous ou à peu près, perdu la tête... Ceux d'entre eux qui ont encore le pouvoir de réfléchir n'ont pas le courage d'arrêter les autres et d'affronter l'impopularité en disant qu'on court à la perte. Mon rôle est ici très difficile, car, si je dis, comme je le fais, que la France appuiera toutes les réformes légitimes qui ont été faites par le Roi, mais qu'elle appuiera aussi le maintien des traités, seule base du maintien de la paix générale, on me répond que je parle de la France de M. Guizot, mais qu'il y a, derrière lui, derrière notre gouvernement, derrière le Roi, une France qui ne permettra pas qu'on écrase l'Italie, si elle tente de chasser les Autrichiens... Le ministre d'Angleterre joue ici, dans la mesure de son esprit, le jeu de lord Palmerston ; il pousse aux partis extrêmes ; c'est lui seul qu'on écoute de tous les membres du corps diplomatique. Il prend en main la défense des Lombards persécutés par l'Autriche et accepte les ovations que les avocats radicaux de Turin lui décernent en l'honneur des notes diplomatiques adressées par lord Palmerston au prince de Metternich... Je juge tout très froidement, et c'est pour cela que je vous affirme que nous sommes ici dans la première phase d'une révolution[252].

Les Italiens faisaient preuve d'un singulier aveuglement, quand ils refusaient d'écouter nos conseils de sagesse et préféraient se fier aux flatteries de la diplomatie anglaise. En effet, à ce moment même, sans qu'ils parussent s'en apercevoir ou s'en inquiéter, une grave menace s'élevait contre eux en Europe ; ils étaient en train, par leurs imprudences, de s'attirer l'hostilité de deux grandes puissances, jusqu'alors demeurées spectatrices : la Prusse et la Russie. Le gouvernement prussien avait été assez longtemps sympathique au mouvement inauguré par Pie IX, et s'était d'abord montré peu compatissant pour les embarras de la politique autrichienne, à laquelle il reprochait volontiers son exagération dans tout ce qui regardait l'Italie ; il aimait à voir dans les réformes du Pape une sorte d'imitation de celles de Frédéric-Guillaume[253]. Le prince de Metternich, disait M. de Canitz au ministre de France, part de ce point qu'il y a une révolution en Italie ; si l'on entend par cette expression une modification du système suivi jusqu'ici, on pourrait dire aussi qu'il y a une révolution en Prusse[254]. Mais, au commencement de 1848, le point de vue changea complètement à Berlin. On aperçut dans l'agitation italienne cette révolution que le roi de Prusse abhorrait et qu'à ce moment il désirait tant réprimer en Suisse ; on y découvrit aussi une menace contre les traités constitutifs de l'Europe. Dès lors, on jugea nécessaire de manifester hautement la résolution de la traiter en ennemie. Dans les premiers jours de février 1848, le gouvernement prussien fit adresser des représentations à Turin : il y démentait le bruit, alors répandu en Italie, d'un refroidissement entre l'Autriche et la Prusse ; tout en reconnaissant le droit du gouvernement sarde de changer ses institutions, il faisait remarquer que la garantie donnée par l'Europe à l'indépendance des États italiens avait pour contre-partie l'obligation pour ces États de remplir leurs devoirs internationaux ; que cette garantie était incompatible avec une attitude de menace et d'agression envers un pays voisin, et que tel était le caractère du mouvement unitaire, auquel on semblait, à Turin, donner trop d'encouragement ; il terminait par cette grave déclaration qu'il considérerait comme s'adressant à lui-même toute attaque dirigée contre l'Autriche, son alliée[255].

Derrière la Prusse était la Russie. Nicolas, à la différence de Frédéric-Guillaume, n'avait jamais vu d'un œil favorable le mouvement italien ; mais il avait paru d'abord y faire peu d'attention. Tout au plus, en octobre 1847, s'en était-il occupé un moment, pour féliciter le roi des Deux-Siciles de la vigueur avec laquelle il venait de réprimer des insurrections, et de sa résolution de faire face avec énergie au débordement du torrent révolutionnaire[256]. Naples était visiblement le seul point de la Péninsule où il trouvait un souverain vraiment selon son cœur. Aussi, grandes sont son émotion et sa colère quand, quelques mois plus tard, il apprend que ce roi de Naples a été réduit à capituler devant la révolution. Il sort alors de son immobilité un peu dédaigneuse et indifférente. Il offre à l'Autriche de mettre d'urgence à sa disposition l'argent dont elle aurait besoin, sauf à régulariser plus tard les conditions de cet emprunt ; il lui propose également de se charger de maintenir la Galicie, afin de rendre disponibles pour l'Italie les troupes qui s'y trouvent[257]. C'est tout de suite qu'il voudrait voir le cabinet de Vienne agir avec énergie, et il se plaint amèrement de la timidité de ce cabinet, de sa vieillesse, de ses tiraillements intérieurs[258]. Comme le gouvernement prussien, c'est Turin qu'il juge le point le plus menaçant en Italie : il invite Charles-Albert à considérer l'Autriche comme son alliée naturelle, et lui signifie sans réticence que toute attaque du Piémont contre l'Autriche en Lombardie serait regardée par la Russie comme un cas de guerre[259]. Ce n'est pas tout ; il s'adresse aussi à lord Palmerston. Le 12-24 février 1848, le comte Nesselrode envoie au baron Brunnow, représentant de la Russie à Londres, une longue dépêche sur la situation de l'Italie, qu'il déclare être chaque jour plus grave et plus menaçante pour la paix générale. Il veut bien ne pas mettre à la charge du gouvernement anglais tous les faux bruits, toutes les fausses inductions qu'on a cru pouvoir tirer, en Italie, de son langage et de celui de ses agents. Mais, ajoute-t-il, l'idée a fini par s'accréditer que ce gouvernement appuie de ses désirs les efforts que tenterait l'Italie pour rejeter au delà des Alpes ce qu'on est convenu d'appeler le joug autrichien. Cherchant ensuite par quel argument il pourrait détourner lord Palmerston de la voie où il s'est engagé, il n'en trouve pas de plus efficace que de faire appel à cette haine jalouse de la France qui, déjà en 1840, a rapproché les deux cabinets de Londres et de Saint-Pétersbourg. Sa thèse est curieuse, surtout comme aveu de la grande situation alors acquise à la France en Europe. En favorisant, dit-il, le mouvement constitutionnel sur le continent, l'Angleterre agit, sans le vouloir, dans l'unique intérêt de la France, dont les idées démocratiques, par la nature du sol où elles tombent, ont bien plus d'écho dans les esprits, bien plus d'affinité avec les mœurs que n'en peuvent avoir les idées anglaises. C'est en favorisant l'introduction de ces institutions et le triomphe de ces idées en Espagne et en Grèce, que l'Angleterre y a déjà augmenté la puissance morale du gouvernement français... Même chose aura lieu en Italie. D'ici à peu, grâce aux changements qui sont à la veille de s'y effectuer, comme ils ont déjà eu lieu dans les autres pays, la France aura conquis par la paix plus que ne lui donnerait la guerre. Elle se verra, de tous côtés, entourée d'un rempart de petits États constitutionnels organisés sur le type français, vivant de son esprit, agissant sous son influence, et si, plus tard, cette France, non plus celle de Louis-Philippe, mais celle qui lui succédera, quand le système de compression adopté par ce souverain aura cessé de la contenir, obéit aux instincts d'ambition qui tendent à la faire déborder hors de ses limites, le gouvernement anglais regrettera trop tard d'avoir affaibli d'avance le ressort des résistances qu'on aurait pu opposer aux Français, paralysé la puissance autrichienne qui leur servait de contrepoids et miné ainsi par la base le système défensif fondé autrefois par lui-même, de concert avec l'Europe, au prix de tant de calamités, de labeurs et de sacrifices. Le comte Nesselrode ne s'en tient pas à cet appel aux mauvais sentiments de lord Palmerston contre la France ; il termine par des avertissements qui sont de véritables menaces et pose un casus belli. Il signifie au cabinet de Londres que l'Empereur est fermement résolu, en ce qui concerne l'état de possession assigné aux divers États italiens par les actes dont il est garant, à ne transiger en rien sur la marche que lui prescrivent ses devoirs et ses intérêts politiques. Il indique notamment qu'il n'admettra jamais cette séparation de la Sicile plus ou moins sourdement poursuivie par la diplomatie anglaise. Quant à la Lombardie, le chancelier russe s'exprime ainsi : L'appui moral de l'Empereur est d'avance acquis à l'Autriche dans les mesures qu'elle prendra pour s'en conserver la possession ; et si les attaques qu'elle aurait essuyées d'un point quelconque de l'Italie étaient soutenues du dehors par quelque puissance étrangère, notre auguste maître n'hésiterait pas à regarder une pareille agression comme un cas de guerre européenne et à employer dès lors toutes ses forces disponibles à la défense du gouvernement autrichien[260].

Cette attitude de la Prusse et de la Russie est faite pour relever un peu l'Autriche du découragement où elle était tombée. M. de Metternich croit voir approcher, et il s'en réjouit, le moment où, l'Italie entrant en révolution flagrante, les puissances ne pourront pas ne point s'en mêler. — Vous avez dit, écrit-il à M. de Ficquelmont le 17 février 1848, un mot qui renferme la vérité tout entière : Les événements dans le royaume des Deux-Siciles rompent le tête-à-tête dans lequel l'Autriche s'est trouvée avec la révolution italienne. Ce mot, je l'ai adopté, et je m'en suis emparé dans mes expéditions aux cours... Ne tombons pas d'ici à deux mois, et bien des choses seront placées autrement qu'elles ne le sont le 17 février ![261] Non sans doute que le cabinet de Vienne se sente ainsi enhardi à sortir de sa réserve et à tenter quelque démarche offensive : bien au contraire, il continue à protester qu'il ne songe à rien de semblable ; une intervention isolée en Italie, loin de le séduire, l'effraye, et il déclare qu'en tout cas, il ne voudrait jamais rien faire dans ce genre, qu'après concert entre les puissances et en agissant en leur nom, au lieu d'agir au sien propre[262]. Seulement, il se sent autorisé à le prendre de plus haut avec l'Angleterre, et notamment à ne plus subir aussi patiemment les interrogations soupçonneuses que lord Palmerston a l'habitude de lui adresser à propos de tous les bruits d'intervention qui circulent en Italie. A une question de ce genre que le ministre anglais lui fait poser au cours de février, le chancelier répond sur un ton fort piqué, et, se portant accusateur à son tour, il se plaint de la malveillance témoignée dans ces derniers temps à l'Autriche par le cabinet anglais, et de l'encouragement donné par ses organes officiels à la méfiance des gouvernements italiens[263]. L'irritation contre le chef du Foreign office est alors extrême à la cour de Vienne. M. de Metternich écrit, le 17 février, à M. de Ficquelmont : Je vous envoie ci-joint quelques pièces qui vous montreront jusqu'où vont les inepties enragées de lord Palmerston. Si vous comprenez cet homme, vous êtes plus avancé que moi[264]. Quelques jours plus tard, le 23 février, dans une lettre à son ambassadeur à Londres, il montre lord Palmerston à la tête de tous les mouvements qui tendent à bouleverser l'Europe, et allumant l'incendie en Espagne, en Grèce, en Suisse et en Italie[265].

En même temps qu'il se plaint de lord Palmerston, M. de Metternich se loue, de plus en plus, de M. Guizot. Malgré quelques griefs de détail, il déclare que les dispositions personnelles de ce ministre sont aussi bonnes qu'elles peuvent l'être sous l'influence de sa position[266] ; que le cabinet français marche aussi bien qu'il peut aller[267] ; qu'il a une bonne attitude en Italie[268]. L'appui qu'il trouve maintenant à Berlin et à Saint-Pétersbourg ne lui fait pas attacher moins de prix à notre concours. Il demeure convaincu de l'impossibilité de rien tenter d'efficace sans la France, et, par suite, comprend la nécessité de se placer sur le terrain où il peut la rencontrer. Aussi continue-t-il à demander ce qu'on pense et ce qu'on veut à Paris, afin de régler là-dessus sa propre conduite[269]. En réalité, dans l'affaire d'Italie, comme dans celle de Suisse, il est toujours résigné à marcher derrière la France. Mêmes sentiments en Prusse. Notre crédit est, depuis quelques mois, singulièrement grandi à la cour de Frédéric-Guillaume. Le marquis de Dalmatie écrit de Berlin, le 19 février 1848, à M. Guizot : La confiance dans le gouvernement du roi Louis-Philippe est absolue. On l'exprime ici de toutes les façons. A mon retour, on me l'a dit en termes plus énergiques et, j'ai dû le reconnaître, plus sincères que jamais[270]. Peu importe, dès lors, ce que la dépêche, citée tout à l'heure, du comte Nesselrode au baron Brunnow, trahit de malveillance persistante à notre égard dans le gouvernement russe : cette malveillance est impuissante ; du reste, comme on l'a vu par cette même dépêche, ce n'est pas à Saint-Pétersbourg qu'on a le sentiment le moins vif de la grande position que la France s'est faite en Europe. En somme, M. de Barante peut, dans une lettre intime, écrite le 31 janvier 1848, caractériser ainsi la situation respective du cabinet de Paris et des autres cours : Sans l'agitation où les radicaux tiennent les esprits, le rôle de la France paraîtrait ce qu'il est réellement, et l'on remarquerait que ces puissances du continent, auparavant menaçantes, toujours prêtes à s'unir avec l'Angleterre contre nous, implorent maintenant notre aide, n'osent pas intervenir et se tiennent sur la défensive, heureuses de se concerter avec nous[271].

Le gouvernement du roi Louis-Philippe en était là de sa campagne diplomatique, quand soudainement il sombra dans la tourmente du 24 février. Quel eût été, sans cela, l'issue de cette campagne ? En présence d'une crise qui devenait, en Italie, chaque jour plus aiguë, aurait-il pu longtemps encore empêcher les révolutions et la guerre ? Et, si celles-ci avaient fini par éclater malgré lui, aurait-il trouvé là l'occasion d'une sorte d'arbitrage suprême qui lui eût définitivement donné le premier rôle en Europe, ou bien son juste milieu se fût-il débattu, impuissant entre les deux parties, et eût-il été réduit, soit à se laisser annuler, soit à se mettre à la remorque de l'une ou de l'autre ? C'était le secret d'événements qui n'ont pas eu le temps de se produire. Quoi qu'il en soit, le dessein de cette politique était honnête, raisonnable et conforme aux intérêts français. A travers beaucoup d'obstacles, le gouvernement y était demeuré imperturbablement fidèle ; les difficultés, en effet très graves, rencontrées par lui, étaient imputables, non à ses propres fautes, mais à celles que d'autres avaient commises malgré lui. Enfin, si embrouillées que fussent les choses en Italie, à la fin de février, nous y avions du moins sauvegardé l'essentiel : les divers gouvernements, quoique entraînés et affaiblis, étaient tous debout ; l'Autriche, bien que menacée, n'avait pas été matériellement attaquée et s'était abstenue de son côté de prendre l'offensive. Faut-il ajouter que, si l'on est embarrassé pour préciser quel bien la monarchie de Juillet, en subsistant, eût pu faire dans la Péninsule, on ne l'est pas pour mesurer le mal qui, sur ce théâtre, devait résulter de sa chute ? L'Italie, prise de vertige et n'étant plus retenue par personne, va se précipiter tête baissée dans tous les périls dont la diplomatie du roi Louis-Philippe a cherché à la préserver : elle va entreprendre contre les Autrichiens une guerre où elle sera fatalement écrasée, et son mouvement réformateur se perdra en un désordre révolutionnaire qui la conduira au meurtre de Rossi, à la fuite de Pie IX et à la république romaine.

 

J'ai suivi ainsi, l'une après l'autre, chacune des grandes entreprises qui ont occupé la diplomatie de la monarchie de Juillet, dans la dernière période de son existence. Sauf en 1831 ou en 1840, jamais cette diplomatie n'avait été plus agissante et appliquée à de plus graves objets. M. Guizot, qui s'y donnait tout entier, parfois un peu au détriment de la politique intérieure, y avait acquis une rare maîtrise. On a pu en juger par les lettres particulières dans lesquelles il traitait presque toutes les affaires et dont je me félicite d'avoir pu donner de nombreux extraits. On ne saurait dire moins de bien de celles de ses correspondants quand ils s'appelaient Broglie ou Rossi. C'est un ensemble de littérature diplomatique vraiment incomparable. Malheureusement, en racontant ces diverses négociations, l'historien est, chaque fois, obligé de s'arrêter court devant l'abîme soudainement creusé par la révolution du 24 février. Je ne me dissimule pas — car je l'ai éprouvé pour mon compte — ce que cette interruption a de pénible et d'irritant. On dirait d'un spectacle qu'un accident ferait cesser brusquement au moment le plus critique du drame, et où, en place du dénouement curieusement attendu, on n'aurait plus sous les yeux que des acteurs qui s'enfuient et une scène qui s'effondre. Et cependant, tout incomplète et mutilée que dût être forcément cette histoire, elle était trop importante par les questions soulevées, et surtout trop caractéristique de la direction nouvelle suivie par le gouvernement du roi Louis-Philippe, de la position acquise par lui au dehors, pour ne pas être exposée avec détail. L'impression générale et dernière qui s'en dégage me paraît fort honorable pour ce gouvernement. Nous venons de le voir, en Europe, jouissant d'un crédit, occupant une place, exerçant une action qu'on ne lui avait pas encore connus. Tandis que l'Angleterre était isolée et discréditée par ses compromissions révolutionnaires, que les petits États constitutionnels étaient naturellement amenés à faire partie de notre clientèle, que les vieilles monarchies, désorientées par le changement de l'esprit public, prenaient confiance dans notre modération et sentaient le besoin de notre appui, la France, devenue ouvertement, résolument conservatrice, sans cesser d'être sagement libérale, se trouvait exercer une sorte d'arbitrage, imposer sa politique aux autres cours du continent, et avoir la direction des grandes affaires pendantes. Cela seul, et quelle qu'eût pu être plus tard l'issue de chacune de ces affaires, était un résultat considérable. Pour en mesurer l'importance, il suffit de se rappeler combien longtemps la monarchie de Juillet avait vécu sous la menace constante d'une nouvelle coalition des puissances continentales, condamnée à une prudence qui lui interdisait les grandes initiatives, et fatalement rivée à l'alliance anglaise, alliance excellente en soi, mais incommode et coûteuse du moment qu'elle était forcée. Maintenant, elle a définitivement dissous la coalition ; elle a retrouvé le libre choix de ses alliances, et son appui, on pourrait dire sa protection, est recherchée par ceux qui la traitaient en suspecte. En un mot, à la veille du 24 février, elle est parvenue à effacer le tort que lui avait fait, en Europe, la révolution de 1830 ; elle a reconquis la faculté de faire au dehors de la grande politique.

 

 

 



[1] Lettres du 10 mars et du 19 juin 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 330 et 333.) — Il y avait longtemps, d'ailleurs, que le chancelier d'Autriche avait, au sujet de cette année 1847, de fâcheux pressentiments. En 1840, peu après la signature de la convention du 15 juillet, on parlait, dans sou salon, des préparatifs militaires de la France et des dangers que courait la paix. Non, dit le prince, la paix ne sera pas troublée cette fois ; tout cela se calmera ; mais, en 1847, tout ira au diable ! Cette anecdote fut racontée dans les premiers jours de 1848, par la princesse de Metternich, à M. de Flahault, alors ambassadeur de France à Vienne. (Lettre particulière de M. de Flahault à M. Guizot, en date du 8 janvier 1848. Documents inédits.)

[2] Documents inédits.

[3] Le Prince Albert, Extraits de l'ouvrage de sir Theodore Martin, par M. CRAVEN, t. 1, p. 212.

[4] Voir plus haut, t. VI, chap. V, § IX, et chap. VI, §§ I et VIII.

[5] M. de Metternich écrivait, le 19 avril 1847, au comte Apponyi : Le cabinet français voudrait établir avec nous une entente. Nous n'aimons pas ce terme, fort discrédité aujourd'hui. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 331.)

[6] M. Guizot écrivait, le 31 mars 1847, au marquis de Dalmatie, ministre de France en Prusse : Vous verrez à Berlin un Allemand que vous connaissez sûrement, de nom au moins, M. Klindworth. Sachez qu'il voyage pour moi. Au fond, il appartient au prince de Metternich. Ce n'est pas une raison pour que je ne m'en serve pas. (Documents inédits.)

[7] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 388.

[8] Voir notamment les lettres de M. de Metternich au comte Apponyi, en date du 19 avril et du 25 mai 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 331 à 333.)

[9] Lettre et dépêche du 12 et du 19 avril 1847, de M. de Metternich au comte Apponyi. (Mémoires de M. de Metternich, p. 388 à 395.)

[10] M. Guizot écrivait au duc de Broglie, le 3 décembre 1847 : Il m'est arrivé une fois d'appeler les dépêches du prince de Metternich un galimatias judicieux. Convenez que sa petite lettre d'aujourd'hui me donne bien raison. (Documents inédits.)

[11] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 400 et 401.

[12] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 400 à 403.

[13] Dans une lettre du 7 novembre 1847, adressée par M. Guizot à M. de Metternich, on trouve cette phrase : J'ai appris avec grand plaisir que la santé de Votre Altesse était excellente. J'en fais mon compliment à l'Europe. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 405.)

[14] Voir plus haut, t. IV, ch. IV, § X.

[15] Voir plus haut, t. IV, ch. IV, § X ; t. V, ch. I, § VIII ; t. VI, ch. VI, § I.

[16] Mémoires de M. de Metternich, t. VI, p. 634 ; t. VII, p. 100 à 103 et 127 à 137. — Cf. aussi une conversation de M. de Metternich, rapportée dans une lettre particulière du comte de Flahault à M. Guizot, en date du 21 janvier 1847. (Documents inédits.)

[17] Le prince Albert écrivait, à ce propos, au baron Stockmar : J'ai lu aujourd'hui avec alarme le discours du roi de Prusse, qui, dans ma mauvaise traduction anglaise, produit une impression vraiment étrange. Ceux qui connaissent et qui aiment Roi le retrouveront là, lui, ses vues et ses sentiments, dans chaque parole, et lui seront reconnaissants de la franchise avec laquelle il s'est exprimé ; mais, si je me place au point de vue d'un public froid et mal disposé, je me sens trembler. Quelle confusion d'idées ! et quel courage de la part d'un roi, que d improviser ainsi, dans un pareil moment et aussi longuement, non seulement en touchant aux sujets les plus difficiles et les plus épineux, mais en s'y plongeant d emblée, en prenant Dieu à témoin, en promettant, menaçant, protestant, etc. ! (Le Prince Albert, Extraits de l'ouvrage de sir Theodore Martin, par M. CRAVEN, t. I, p. 221.)

[18] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 368 à 371, et 377 à 379.

[19] BULWER, The Life of Palmerston, t. III, p. 285.

[20] Voir plus haut, t. VI, chapitre VI, § I.

[21] Sur 1840, voir plus haut, t. IV, ch. IV, § X.

[22] D'après une lettre de M. de Flahault, M. de Metternich était persuadé que ces vues d'agrandissement politique et territorial entraient pour beaucoup dans les conseils des hommes d'État qui s'étaient employés le plus activement à déterminer le roi de Prusse à publier sa constitution. (Lettre particulière de M. de Flahault à M. Guizot, du 5 mars 1847. Documents inédits.)

[23] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 378.

[24] Documents inédits.

[25] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 371 à 376.

[26] Voir plus haut, au § I.

[27] Lettre au comte Apponyi, en date du 12 avril 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 389.)

[28] Dépêches mentionnées par HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 649, 650.

[29] Sur ces précédents, voir plus haut, t. III, ch. II, § III ; ch. III, § III ; ch. VI, § III.

[30] Voir, sur ce point, les renseignements contenus dans les Mémoires de Meyer, publiés à Vienne en 1875, et analysés dans la Revue générale de Bruxelles, mai et octobre 1881. — Voir aussi les Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 115 et 116.

[31] Dépêches de M. Guizot à M. de Pontois, des 26 décembre 1844 et 3 mars 1845.

[32] Dépêche de M. Guizot à M. de Pontois, du 3 mars 1845.

[33] Voir notamment une dépêche de M, Guizot au marquis de Dalmatie, ministre de France à Berlin, en date du 23 mars 1845.

[34] Vous aurez bien joui, écrivait, le 4 avril 1845, Louis-Philippe au maréchal Soult, de l'échec vigoureux que les corps francs ont essuyé dans leur indigne tentative. L'effet moral en sera grand, et contribuera, j'espère, à désabuser ceux qui croient encore que les révolutionnaires sont toujours les plus forts, et qu'en définitive ils obtiennent toujours la victoire. Nous autres, vétérans de 92, nous savons le contraire ; mais on nous prend trop souvent pour des Cassandres. (Documents inédits.)

[35] Dépêches et lettres diverses d'avril, mai et juin 1845. — Cf. Mémoires de M. Guizot, t. VIII, p. 444 à 448, et Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 110 a 121.

[36] Dépêches de M. de Metternich au comte Apponyi, en date des 11 et 16 octobre 1846. — Voir aussi une lettre confidentielle du même au même, du 19 octobre, reproduite dans les Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 178.

[37] Voir plus haut, t. VI, ch. V, § IX et ch. VI, § I.

[38] Voir, par exemple, ce que M. de Metternich devait écrire au baron de Kaisersfeld, son représentant en Suisse, le 1er juillet 1847, et au comte Apponyi Je 3 juillet : Si l'on ne veut pas éventuellement de l'action, disait-il, il faut éviter la menace. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 459 et 464.)

[39] Dépêche de l'envoyé sarde à Paris, M. de Brignole, en date du 22 octobre 1846. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 663.)

[40] Instructions remises à M. de Bois-le-Comte, février 1847.

[41] Voir notamment une dépêche de M. de Bois-le-Comte, du 22 janvier 1847.

[42] Depuis janvier 1847, Berne étant canton directeur, son président particulier devenait de plein droit chef du pouvoir exécutif de la Confédération.

[43] Dépêche du 7 juin 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 451 à 454.)

[44] Dépêche de M. Guizot à M. de Flahault, en date du 25 juin 1847.

[45] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 457, 458, 464.

[46] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 459, 460, 464. — De Paris, on avait donné à entendre à M. de Metternich que l'intervention, impossible à faire ensemble et simultanément, pourrait se faire séparément et successivement : l'Autriche prendrait les devants, et la France suivrait. M. Guizot se flattait que, dans de telles conditions, une action militaire serait plus facilement acceptée par le public français ; elle lui paraîtrait destinée moins encore à peser sur la Suisse qu'à faire contrepoids à l'Autriche. Mais c'était précisément cette dernière interprétation que redoutait fort M. de Metternich ; il se souvenait de notre expédition d'Ancône, et ne voulait pas nous fournir l'occasion de la recommencer en Suisse. Nous ne donnerons pas dans ce panneau, écrivait-il au comte Apponyi. (Ibid., p. 335, 461, 462, 465.)

[47] HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 671. — D'après l'envoyé badois, M. Guizot lui aurait dit lui-même n'avoir fait en cette circonstance que céder à la manifestation d'une volonté auguste qui s'était prononcée d'une façon décisive. (Ibid.) — M. de Metternich avait eu les mêmes informations par son ambassadeur à Paris. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 461.)

[48] Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, du 4 juin 1847. Lettre et dépêche de M. Guizot à M. de Bois-le-Comte, du 2 juillet 1847.

[49] Correspondance confidentielle de M. Guizot et du duc de Broglie pendant la première moitié de juillet 1847. (Documents inédits.)

[50] Dépêche de M. Peel à lord Palmerston, août 1847. (Papiers parlementaires anglais.)

[51] Lettre à M. d'Houdetot, du 10 novembre 1847. (Documents inédits.)

[52] Dépêche confidentielle du marquis Ricci, représentant du gouvernement sarde à Vienne. (BIANCHI, Storia documentata délia diplomazia europea in Italia, t. V, p. 13.)

[53] Lettre particulière de M. Guizot à M. de Bois-le-Comte, du 13 octobre 1847. (Documents inédits.)

[54] Document inédits.

[55] Dépêche du duc de Broglie à M. Guizot, du 1er novembre 1847. — Bunsen n'avait pas dû être le moins étonné de l'ouverture de lord Palmerston. En effet, peu auparavant, tout dévoué qu'il fût au ministre, anglais, il ne pouvait s'empêcher de dire de lui au duc de Broglie : Depuis les derniers événements d'Espagne, Palmerston est comme un lion blessé ; il est intraitable ; il nous rudoie dans les affaires de Suisse ; il dit que nous donnons la main à tous les projets de l'Autriche et de la France, et leur suppose, à l'une et à l'autre, des projets démesurés ; il ne veut pas entendre raison sur les affaires de Grèce... Il n'y a rien à faire avec lui. (Lettre confidentielle du duc de Broglie à M. Guizot, eu date du 30 octobre 1847. Documents inédits.)

[56] Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, du 31 octobre 1847.

[57] Lettre confidentielle du duc de Broglie à M. Guizot, du 30 octobre 1847. (Documents inédits.)

[58] Lettres confidentielles de M. Guizot au duc de Broglie, dans le commencement de novembre 1847. (Documents inédits.)

[59] M. Guizot avait déjà pensé à cette médiation, quelques mois auparavant. (Lettres confidentielles de M. Guizot au duc de Broglie, pendant la première moitié de juillet. Documents inédits.)

[60] Dépêches de M. Guizot en date des 4, 7 et 8 novembre 1847.

[61] Dépêches du marquis de Dalmatie et du comte de Flahault à M. Guizot, en date des 10 et 11 novembre 1847. — Voir aussi la dépêche de M. de Metternich au comte Apponyi, en date du 15 novembre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 490 à 492.)

[62] Correspondance confidentielle de M. Guizot et du duc de Broglie, pendant la première moitié de novembre 1847. (Documents inédits.)

[63] Lettre confidentielle du duc de Broglie à M. Guizot, du 14 novembre 1847. (Documents inédits.)

[64] Dépêche de lord Palmerston à lord Normanby, en date-du 16 novembre 1847. — Voir aussi une lettre confidentielle du duc de Broglie à M. Guizot, en date du 16 novembre. (Documents inédits.)

[65] Lettres diverses de M. Désages à M. de Jarnac, du 16 au 22 novembre 1847. (Documents inédits.)

[66] Lettre du 13 octobre 1847. (Documents inédits.) Dans cette même lettre, le duc de Broglie parlait avec admiration de cette résolution calme de ne pas souffrir qu'on porte atteinte au droit qu'a Lucerne de confier à cinq Jésuites l'éducation de ses enfants, pas plus que Guillaume Tell n'a souffert qu'il fût porté atteinte au droit qu'il avait de ne pas ôter son bonnet devant les armoiries de l'Autriche.

[67] Lettre à M. Désages, du 21 novembre 1847. (Documents inédits.)

[68] Lettre confidentielle du 18 novembre 1847. (Documents inédits.)

[69] Lettre du 21 novembre 1847. (Documents inédits.)

[70] Cité dans une lettre écrite, le 24 novembre 1847, par M. Désages à M. de Jarnac. (Documents inédits.)

[71] Voir plus haut, t. II, ch. XIV, § VI.

[72] Lettre du 19 novembre 1847. (Documents inédits.)

[73] Lettre du 21 novembre 1847. (Documents inédits.)

[74] Documents inédits. — Quelques jours auparavant, M. Guizot écrivait déjà, dans le même ordre d'idées : Je n'ai pas la moindre envie de prendre sur lord Palmerston, à quatre contre un, ma revanche du traité du 15 juillet. Nous sommes quittes depuis longtemps à cet égard, et ce n'est pas ma faute si j'ai été obligé de n'acquitter. (Documents inédits.)

[75] Dépêche et lettre du duc de Broglie à M. Guizot, en date du 20 novembre 1847.

[76] Lettre du 24 novembre 1847. (Documents inédits.)

[77] Lettre du marquis de Dalmatie à M. Guizot, en date du 22 novembre 1847. (Documents inédits.)

[78] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 494 à 500.

[79] Lettre particulière de M. Guizot à ses représentants à Vienne, Berlin et Saint-Pétersbourg, en date du 19 novembre 1847. (Documents inédits.)

[80] Dépêche de M. Guizot au duc de Broglie, du 24 novembre 1847.

[81] M. de Metternich, après coup, devait exprimer un regret de l'adhésion donnée par son ambassadeur. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 508.)

[82] Lettre particulière de M. Guizot au duc de Broglie, en date du 25. novembre 1847. (Documents inédits.)

[83] Dépêche du duc de Broglie à M. Guizot, du 26 novembre 1847.

[84] Lettre particulière du 26 novembre 1847. (Documents inédits.) — Quatre jours plus tard, revenant sur cet entretien, le duc de Broglie écrivait encore a M. Guizot : Si je n'eusse pris mon parti de rompre, après trois heures d'altercation, de replier mon papier, de prendre mon chapeau et de me lever pour sortir, Palmerston n'aurait pas lâché prise. (Documents inédits.)

[85] C'est ce qui devait faire dire, quelques semaines plus tard, en pleine Chambre des pairs, au plus éloquent apologiste du Sonderbund, M. de Montalembert : Oui, la défaite a été honteuse. La vérité m'arrache ce témoignage au détriment même dé mes amis. Le duc de Broglie, avant l'événement, avait le pressentiment de ce qui allait se passer ; il écrivait à M. Guizot : Il n'y a rien de si simple et de si légitime que de céder à la force ; mais, quand on en est là, il ne faut pas trancher du Léonidas ni des martyrs. (Lettre du 20 novembre 1847. Documents inédits.)

[86] Lettre de M. de Massignac, secrétaire d'ambassade, à M. de Bois-le-Comte, en date du 29 novembre 1847, rapportée dans une dépêche de ce dernier, en date du 31 décembre 1847.

[87] Dépêche de M. de Bois-le-Comte à M. Guizot, en date du 2 décembre 1847.

[88] Le fait fut connu des diplomates accrédités à Paris. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 677.)

[89] Discours prononcé à la Chambre des pairs le 16 janvier 1848. — M. Doudan, tout sceptique qu'il fût, s'exprimait avec émotion sur les violences commises par ces enragés de radicaux contre de pauvres gens qui leur étaient supérieurs devant Dieu, bien qu'ils aimassent les Jésuites ; il les qualifiait d'indignes sauvages ; puis, à propos de l'expulsion des religieux de Saint-Bernard, l'un des hauts faits des vainqueurs, il ajoutait : Les chiens du Saint-Bernard sont très supérieurs à ces radicaux-là, quoi qu'on en puisse dire. (Mélanges et Lettres, t. II, p. 145 et 148.)

[90] Journal inédit du baron de Viel-Castel, à la date du 5 décembre 1847.

[91] Dépêches de M. de Metternich, du 29 novembre et du 7 décembre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 500 et 508.)

[92] Lettre particulière du marquis de Dalmatie à M. Guizot, en date du 2 décembre 1847. (Documents inédits.)

[93] Dépêches de M. de Metternich, des 12 et 24 décembre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 354, 511, 512, 523.)

[94] Lettres particulières de M. de Flahault à M. Guizot, en date des 29 et 30 novembre 1847. (Documents inédits.)

[95] Correspondance particulière du marquis de Dalmatie avec M. Guizot, en novembre et décembre 1847. (Documents inédits.)

[96] Lettre du marquis de Dalmatie à M. Guizot, du 10 décembre 1847. (Documents inédits.)

[97] Frédéric-Guillaume IV et le baron de Bunsen, par M. SAINT-RENÉ TAILLANDIER.

[98] Lettres particulières de M. Guizot au duc de Broglie, en date des 29 novembre, 3 et 6 décembre 1847. (Documents inédits.)

[99] Lettres au comte de Flahault et au marquis de Dalmatie. (Documents inédits.)

[100] Lettre du 8 décembre 1847. (Documents inédits.)

[101] Ces affaires, notait M. de Viel-Castel, occupent en ce moment tous les esprits, et elles rejettent dans l'ombre les questions intérieures. (Journal inédit.)

[102] Documents inédits.

[103] Documents inédits.

[104] Lettre particulière de M. Guizot au duc de Broglie, en date du 13 décembre 1847. (Documents inédits.)

[105] Documents inédits.

[106] Lettre de M. Guizot au duc de Broglie, en date du 3 décembre 1847. (Documents inédits.)

[107] Lettres particulières du duc de Broglie à M. Guizot, du 4 au 17 décembre 1847. (Documents inédits.)

[108] Lettres particulières de M. Guizot au duc de Broglie, du 4 au 20 décembre 1847. (Documents inédits.)

[109] Lettres particulières de M. Guizot au comte de Flahault et au marquis de Dalmatie, en date du 20 décembre 1847. (Documents inédits.)

[110] Lettre du marquis de Dalmatie à M. Guizot, en date du 25 décembre 1847. (Documents inédits.) — Dépêches de M. de Metternich au comte Apponyi, en date dès 24 et 29 décembre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 355 à 359, et 523 à 527.)

[111] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 513 à 520.

[112] Lettres particulières du marquis de Dalmatie à M. Guizot, en date des 16, 18, 19, 22 décembre 1847. Lettre particulière de M. Guizot au comte de Flahault, en date du 21 décembre 1847, et lettre de M. de Flahault à M. Guizot, en date du 28 décembre 1847. (Documents inédits.)

[113] Lettre du 27 décembre 1847. (Documents inédits.)

[114] Lettres particulières du comte de Flahault à M. Guizot, des 8 et 12 janvier 1848 ; du marquis de Dalmatie à M. Guizot, du 9 janvier 1848. (Documents inédits.) — Voir aussi une dépêche de M. de Metternich au comte Apponyi, du 12 janvier 1848. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 553, 554.)

[115] Lettre particulière de M. Guizot au marquis de Dalmatie, en date du 10 décembre 1847. (Documents inédits.)

[116] Lettres particulières du marquis de Dalmatie à M. Guizot,. en date des 16, 19 et 22 décembre 1847 ; du comte de Flahault à M. Guizot, en date du 28 décembre 1847. (Documents inédits.) — Voir aussi dépêche de M. de Metternich au comte Apponyi, en date du 12 janvier 1848. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 553, 554.)

[117] Lettre particulière de M. Guizot au comte de Flahault, en date du 21 décembre 1847. (Documents inédits.)

[118] Lettre de lord Palmerston à lord Ponsonby, alors ambassadeur à Vienne, en date du 21 décembre 1847. (ASHLEY, The Life of Palmerston, t. I, p. 13.)

[119] Dès le 30 novembre 1847, le duc de Broglie écrivait à M. Guizot : Lord Palmerston est très content, visiblement très content des affaires suisses, et il dirige ses journaux de façon à en faire contre vous le principal point d'attaque de notre opposition. Le duc de Broglie ajoutait, dans une autre lettre, datée du 24 décembre 1847 : Il est sans exemple que des pièces diplomatiques aient été publiées sans être déposées au Parlement. La publication des documents suisses n'aura donc pas lieu avant le mois de février ; mais il est probable que lord Palmerston les fait imprimer en attendant, et il les donnera furtivement en communication à l'opposition en France. (Documents inédits.)

[120] Lettre de lord Palmerston à lord Minto. (ASHLEY, The Life of Palmerston, t. I, p. 10.)

[121] M. de Metternich écrivait à M. de Ficquelmont : M. Guizot veut attendre la fin du débat de l'adresse et la réponse du Directoire helvétique, avant de passer a la seconde période de l'action à entamer dans l'affaire suisse. En cela, M. Guizot a raison. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 563.)

[122] Dépêche de M. de Metternich à M. de Ficquelmont, 10 février 1848. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 563.) — Voir aussi une lettre particulière du 19 février 1848, dans laquelle le marquis de Dalmatie signale les bonnes impressions rapportées par le général de Radowitz à Berlin. (Documents inédits.)

[123] Lettres du duc de Broglie à son fils, en date des 27 janvier et 7 février 1848. (Documents inédits.)

[124] Voir plus haut, livre I, ch. V, § III, et livre II, ch. II, §§ II et VI.

[125] Voir livre III, ch. VI, § IV.

[126] Voir ce que M. de Metternich rapportait lui-même à M. de Sainte-Aulaire en 1843. (Mémoires de M. Guizot, t. VII, p. 289.)

[127] Lettre à M. Guizot, du 18 juillet 1846.

[128] Ils veulent faire de moi un Napoléon, quand je ne suis qu'un pauvre curé de campagne. (Cité par M. le marquis COSTA DE BEAUREGARD dans son livre sur Les dernières années du roi Charles-Albert.)

[129] Courage, Saint Père, ayez confiance dans votre peuple !

[130] Pour tout ce que j'aurai à dire de ce prince, je me suis beaucoup servi des attachants volumes du marquis COSTA DE BEAUREGARD, sur la Jeunesse et les Dernières Années du roi Charles-Albert.

[131] Le chancelier écrivait, le29 mai, à son ministre à Turin : Le Roi n'a le choix qu'entre, deux systèmes diamétralement opposés : entre celui qu'il a suivi jusqu'ici, et celui que bien des symptômes semblent caractériser comme étant celui qu'il entend suivre un prochain avenir. Le premier de ces systèmes est celui de conservation ; l'autre est celui de la crasse révolution... Je regarde comme possible que l'encens libéral puisse obscurcir ses yeux... S'il a pris son parti, s'il veut la révolution, qu'il se prononce, nous saurons prendre le parti qui nous convient ; s'il ne la veut pas, qu'il se prononce contre le mauvais jeu, nous sommes prêts à le seconder dans ses efforts... Le point le plus essentiel, c'est que nous voyions clair dans la situation.

[132] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 226 à 247.

[133] Le marquis d'Azeglio a rapporté lui-même cette dramatique conversation dans ses Ricordi.

[134] Voir la préface du livre de M. le marquis DE COSTA, les Dernières Années du roi Charles-Albert.

[135] Documents inédits.

[136] Ce propos m'a été rapporté par M. le duc de Broglie.

[137] Lettre du 8 juin 1846.

[138] Dépêche de M. de Revel au ministre des affaires étrangères du Piémont, en date du 10 juin 1846. (Storia documentata della diplomazia europea in Italia, par Nicomède BIANCHI, t. V, p. 6.)

[139] J'ai eu sous les yeux, grâce à de bienveillantes communications, la correspondance officielle et confidentielle de M. Guizot et de M. Rossi, correspondance également remarquable des deux côtés. J'y ai fait de nombreux emprunts. Une partie de ces documents avait déjà été citée soit dans le livre de M. D'HAUSSONVILLE sur la Politique extérieure du gouvernement de Juillet, soit dans les Mémoires de M. Guizot. J'indiquerai ceux qui seront publiés ici pour la première fois.

[140] Ce résumé des conversations de M. Rossi a été donné par le prince Albert de Broglie, qui, comme je l'ai dit, était alors premier secrétaire de l'ambassade de Rome. (Rossi et Pie IX, article publié dans la Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1848.)

[141] Lettre du 7 mai 1847. La première moitié de cette lettre avait été seule publiée par M. Guizot dans ses Mémoires ; la fin est inédite.

[142] Lettres diverses de M. Rossi à M. Guizot, de juillet 1846 à juillet 1847.

[143] Lettres particulières de M. Guizot à M. Rossi, en date des 21 et 28 juillet 1847. (Documents inédits.)

[144] Lettre du 28 mai 1847. (Documents inédits.)

[145] Lettre de M. Rossi à M. Guizot, du 30 juillet 1847.

[146] Lettres des 21 et 28 juillet 1847. (Documents inédits.)

[147] Lettre de M. Rossi à M. Guizot, en date du 28 juillet 1847.

[148] Voir livre I, ch. V, § III.

[149] Dépêche de Ricci, ambassadeur sarde à Vienne, 26 février 1847. (BIANCHI, Storia documentata delta.diplomazia europea in Italia, t. V, p. 397, 398.)

[150] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 476.

[151] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 339.

[152] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 410.

[153] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 251 à 256.

[154] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 410 à 414.

[155] La lettre écrite, à ce propos, le 24 avril 1847, par M. de Metternich au grand-duc, est assez curieuse. Il lui reproche sa passivité en face d'un parti libéral aussi dangereux que le parti radical. Le souverain chassé ne revient jamais, lui dit-il sous forme d'avertissement. Puis il ajoute : Que Votre Altesse Impériale ne se fasse aucune illusion sur lés dispositions fâcheuses à l'égard de l'Autriche : le mot Autriche ne désigne pas la chose elle-même ; il ne s'applique qu'au pouvoir répressif dont les hommes du progrès voudraient se débarrasser. Si ce pouvoir tombait, les princes italiens tomberaient aussi, et pas un ne resterait sur son trône. En ce qui concerne le trône, grand-ducal, il est une vérité indiscutable : Votre Altesse Impériale et votre Maison ne sont ni plus ni moins italiennes et allemandes que le roi de la Lombardie. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 405 à 410.)

[156] Voir plus haut, au § I, dans quelles circonstances avait eu lieu cette mission.

[157] Dépêche du comte d'Arnim, ministre de Prusse à Paris, en date du 25 janvier 1847. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 682.) — Dépêche du marquis Ricci, ambassadeur de Sardaigne à Vienne, en date du 26 février 1847. (BIANCHI, Storia documentata, etc., t. V, p. 19 et 398.) — Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 398 à 400.

[158] Ménagez toujours Vienne, écrivait M. Guizot à M. Rossi, le 6 décembre 1846. Ses défiances et ses alarmes du côté de l'Italie sont infinies. Lord Palmerston travaille toujours à lui arracher quelque démarche, quelque parole réelle ou apparente qui le serve dans ses protestations contre la descendance de M. le duc de Montpensier. M. de Metternich tient bon et reste tout à fait en dehors de la question. Il nous importe fort qu'il persiste et que, soit dans l'affaire espagnole, soit dans l'affaire polonaise, on ne se retrouve pas quatre contre un. Je suis sûr que vous n'oublierez jamais cela, tout en avançant dans notre voie à nous. (Documents inédits.) — Louis-Philippe était également très soucieux que M. Rossi ne fit rien pouvant donner de l'ombrage à l'Autriche. (Dépêche du marquis Brignole, ambassadeur de Sardaigne à Paris, en date du 5 décembre 1846. HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, t. II, p. 681.)

[159] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 390 à 400, 416 à 422, 471 à 474. — On s'en tint, entre les deux gouvernements, à cet échange d'idées ; mais il n'y eut pas de convention proprement dite, comme le prétend à tort un historien prussien, M. Hillebrand, sur la foi d'une dépêche de l'ambassadeur de Sardaigne à Paris. (Geschichte Frankreichs, t. II, p. 682.) L'existence de cette convention secrète est contredite par tous les documents que j'ai eus sous les yeux, notamment par une lettre déjà citée de M. Guizot à M. de Metternich, ou il est dit que l'entente s'était faite sans conventions spéciales. (Voir plus haut, au § I de ce chapitre.)

[160] Documents inédits.

[161] Même lettre du 21 juillet 1847. — Cela montre à quel point M. Hillebrand se trompe quand, sur la foi d'une dépêche du ministre de Prusse à Paris, il prétend que le gouvernement français aurait promis à l'Autriche de ne pas recommencer l'expédition d'Ancône, si les Autrichiens occupaient les Légations. (Geschichte Frankreichs, t. II, p. 682.)

[162] Documents inédits.

[163] Lettre de M. de Metternich au comte Apponyi, en date du 6 août 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 416 à 422.)

[164] Dépêche du 22 août 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 471 à 474.)

[165] Dépêche du marquis Ricci, ambassadeur de Sardaigne à Vienne, en date du 14 août 1847. (BIANCHI, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. V, p. 399 à 402.)

[166] Lettre du 8 septembre 1847. (COSTA DE BEAUREGARD, Les dernières années du roi Charles-Albert, p. 559.)

[167] Lettre du 4 octobre 1847. Cette lettre, tombée aux mains de M. de Metternich, a été communiquée par lui au cabinet anglais, en novembre 1847, et par suite publiée dans les Parliamentary Papers.

[168] Dépêche de M. Guizot au chargé d'affaires de France à Vienne, en date du 1er septembre 1847.

[169] Lettre de M. de Metternich au comte Apponyi, en date du 19 octobre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 344.)

[170] Lettre de M. de Metternich au comte Apponyi, en date du 19 octobre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 344. — Cf. aussi lettre du 7 octobre (p. 425).

[171] Lettre particulière du comte de Flahault à M. Guizot, en date du 22 novembre 1847. (Documents inédits.)

[172] Lettre du 18 septembre 1847. (Documents inédits.)

[173] Lettre du 8 octobre 1847. (Documents inédits.)

[174] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 425.

[175] Documents inédits.

[176] Dépêche de M. Guizot à M. Rossi, 25 août 1847.

[177] Lettre particulière de M. Guizot à M. Rossi, du 26 août 1847. — M. Guizot revenait avec insistance sur cette idée. Nous pourrons et nous ferons beaucoup, disait-il dans une autre lettre, pour la cause de l'indépendance et des réformes romaines, toscanes, napolitaines, sardes. Nous ne pourrions et ne ferions rien pour la cause d'une révolution qui attaquerait l'ordre général européen. Et les autres puissances s'uniraient contre. (Lettre du 18 septembre. Documents inédits.)

[178] D'HAUSSONVILLE, Histoire de la politique extérieure, t. II, p. 260.

[179] Dépêche à M. de Bourgoing, en date du 18 septembre 1847. — Voir aussi la dépêche de M. Guizot au comte de La Rochefoucauld, ministre de France à Florence, en date du 25 août 1847.

[180] Lettre du 7 octobre 1847, publiée par le marquis de Flers, dans son livre : Le roi Louis-Philippe, Vie anecdotique, p. 436 à 439.

[181] Lettre du 17 octobre 1847. Le roi Louis-Philippe, p. 443 à 447.

[182] C'est à l'occasion de certains articles du Journal des Débats, qui soulevèrent, en effet, beaucoup d'irritation au delà des Alpes, que M. d'Azeglio écrivait à un de ses amis de France : Que peut gagner votre ministère à laisser ainsi insulter par le principal de ses organes un peuple qui fait les efforts les plus méritoires pour se tirer de l'état d'abjection où l'avaient réduit ses détestables gouvernements ? (Correspondance politique de Massimo d'Azeglio, publiée par E. RENDU.)

[183] Lettre de M. Guizot au duc de Broglie, en date du 25 octobre 1847. (Documents inédits.)

[184] Lettre du 17 février 1848.

[185] Dès le 12 avril 1847, avant l'affaire de Ferrare, Massimo d'Azeglio écrivait à un Français : Ce qui va trop doucement et même ne va pas du tout, c'est votre ambassade. Je sais bien que l'affaire des mariages espagnols gêne terriblement le gouvernement français en Italie ; aussi n'avons-nous pas la prétention d'exiger de M. Guizot une déclaration de guerre à M. de Metternich. Si les mariages espagnols sont avantageux pour la France, cela vous regarde ; mais, sauf meilleur avis, vous n'avez pas non plus intérêt à jouer en Italie absolument le même air que l'Autriche... Or, dans ce moment-ci, les deux flûtes, je vous assure, sont terriblement d'accord ; et je ne vois que l'Angleterre qui puisse s'en réjouir. Vous lui laissez là, à elle, qui au fond se moque parfaitement de notre progrès libéral et national, un admirable terrain, et elle saura l'exploiter. (Correspondance politique de Massimo d'Azeglio.)

[186] Dépêche du comte de Revel, en date du 3 septembre 1847. (BIANCHI, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. V, p. 410.)

[187] Lettre de M. Guizot à M. Rossi, en date du 28 octobre 1847. (Documents inédits.)

[188] Lettre du 27 septembre 1847. (Documents inédits.)

[189] Lettre du 27 septembre 1847. (Documents inédits.)

[190] Dépêche de M. Guizot à M. de Bourgoing, en date du 18 septembre 1847.

[191] Documents inédits.

[192] Documents inédits.

[193] Cette lettre, qui a été publiée dans la Revue rétrospective, contenait d'autres critiques contre la politique du Roi. J'aurai l'occasion d'y revenir.

[194] Lettre du 8 août 1846. (Documents inédits.)

[195] Voir plus haut, t. V, ch. VI, § III.

[196] Cette lettre était du 7 novembre, c'est-à-dire de la même date que la lettre du prince de Joinville au duc de Nemours ; elle a été publiée par M. Guizot, dans ses Mémoires, t. VIII, p. 385 à 389.

[197] Dépêche de lord Minto, adressée de Rome à lord Palmerston, en date du 13 novembre 1847. (Parliamentary papers.)

[198] Voir plus haut, t. V, ch. IV, § I.

[199] Le prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Theodore Martin, par A. CRAVEN, t. I, p. 233.

[200] Lettres des 18 et 20 avril 1847. (Documents inédits.)

[201] Lettre du duc de Broglie à M. Guizot, en date du 9 août 1847. (Documents inédits.)

[202] Documents inédits.

[203] Voir les dépêches de lord Palmerston à lord Ponsonby, en date des 12 août et 11 septembre 1847. (Parliamentary papers.) Voir aussi Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 414 à 416.

[204] Autre dépêche du 11 septembre 1847.

[205] Dépêche de lord Normanby à lord Palmerston, du 17 septembre 1847.

[206] Dépêche du comte de Revel au ministre des affaires étrangères de Sardaigne, en date du 3 septembre 1847. (BIANCHI, Storia documentata della diplomatia europea in Italia, t. V, p. 411.)

[207] Voir plus haut, § IX de ce chapitre.

[208] M. Guizot exprimait cette opinion dans une lettre à M. Rossi, en date du 18 septembre 1847. (Documents inédits.) — Voir aussi ses discours à la Chambre des députés, dans les séances des 29 et 31 janvier 1848.

[209] Le prince Albert, extraits de l'ouvrage de sir Theodore Martin, par A. CRAVEN, t. I, p. 230 à 234.

[210] Dépêche du duc de Broglie à M. Guizot, en date du 16 septembre 1847.

[211] Lettre du 23 septembre 1847. (Documents inédits.)

[212] Lettre du duc de Broglie à son fils, en date du 15 septembre 1847. (Documents inédits.)

[213] Lettre au duc de Broglie, en date du 24 décembre 1847. (Documents inédits.)

[214] L'Angleterre, disait M. Guizot dans sa lettre déjà citée au prince de Joinville, donne aujourd'hui aux Italiens les paroles et les apparences qui leur plaisent ; elle ne leur donnera rien de plus, et il faudra bien qu'ils s'en aperçoivent eux-mêmes.

[215] Lettre du 27 janvier 1848. (Documents inédits.)

[216] M. Rossi écrivait, le 18 novembre 1847, à M. Guizot : Ceux qui nous ont trouvés trop réservés ont compris que la voie pacifique était la plus sûre. Aussi revient-on peu à peu à nous, précisément à cause de la réserve digne et sérieuse que nous y avons mise.

[217] Documents inédits.

[218] Lettre de M. Rossi à M. Guizot, en date du 12 décembre 1847. Voir aussi une lettre du 14 décembre, rapportant une conversation semblable avec le Pape.

[219] Lettre de M. Rossi à M. Guizot, en date du 18 janvier 1848.

[220] Lettres précitées de M. Rossi à M. Guizot, en date du 12 décembre 1847 et du 18 janvier 1848.

[221] Lettre à M. d'Houdetot, en date du 10 novembre 1847. (Documents inédits.)

[222] Lettres du 6 et du 27 novembre 1847. (Mélanges et Lettres, t. II, p. 136 et 141.)

[223] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 424.

[224] Lettre au comte Apponyi, en date du 2 novembre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 439.)

[225] Lettre au comte Apponyi, en date du 7 octobre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 342.) Voir aussi p. 344 et 435.

[226] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 433, 437, 444 et 557.

[227] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 426 et 441.

[228] Voir plus haut, § VI de ce chapitre.

[229] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 424, 554, 558. — Voir aussi les Mémoires de M. Guizot, t. VIII, p. 373 à 377. — Voir enfin une lettre de M. de Flahault, en date du 17 octobre 1847, rapportant à M. Guizot une conversation de M. de Metternich, et la réponse de M. Guizot, en date du 27 octobre. (Documents inédits.)

[230] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 349, 424, 438, 555, 558, 559. — Voir aussi la lettre de M. de Flahault à M. Guizot, en date du 29 janvier 1848. (Documents inédits.)

[231] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 425, 437.

[232] Lettre du 14 janvier 1848. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 555.)

[233] Lettres du 16 et du 27 janvier 1848. (Documents inédits.)

[234] Lettre du 28 septembre 1847. (Documents inédits.)

[235] Lettre à M. de Ficquelmont, en date du 23 octobre 1847. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 437.)

[236] Cité par M. D'HAUSSONVILLE dans son Histoire de la politique extérieure du gouvernement de Juillet, t. II, p. 262.

[237] Peu de temps après son avènement, ayant reçu de Louis-Philippe, son oncle, le conseil de faire des concessions à l'opinion, Ferdinand II avait répondu par cette lettre qui le peint bien : Pour m'approcher de la France de Votre Majesté, si elle peut jamais être un principe, il faudrait renverser la loi fondamentale qui constitue la base de notre gouvernement, et m'engouffrer dans cette politique de jacobins pour laquelle mon peuple s'est montré félon plus d'une fois à la maison de ses rois. La liberté est fatale à la famille des Bourbons, et moi, je suis décidé a éviter à tout prix le sort de Louis XVI et de Charles X. Mon peuple obéit à la force et se courbe ; mais malheur s'il se redresse sous les impulsions de ces rêves qui sont si beaux dans les sermons des philosophes et impossibles en pratique. Dieu aidant, je donnerai à mon peuple la prospérité et l'administration honnête a laquelle il a droit ; mais je serai roi, je serai roi seul et toujours... J'avouerai avec franchise à Votre Majesté qu'en tout ce qui concerne la paix ou le maintien du système politique en Italie, j'incline aux idées qu'une vieille expérience a montrées au prince de Metternich efficaces et salutaires... Nous ne sommes pas de ce siècle... Les Bourbons sont vieux, et, s'ils voulaient se calquer sur le patron des dynasties nouvelles, ils seraient ridicules.

[238] Lettre à M. de Jarnac, en date du 12 février 1848. (Documents inédits.)

[239] Le même M. Désages mandait à M. de Jarnac, le 27 janvier 1848 : Nous écrivons à Naples pour prêcher modération pendant la lutte, clémence et réformes après, si l'insurrection est comprimée.

[240] Cité par M, D'HAUSSONVILLE dans son Histoire de la politique extérieure, t. II, p. 271.

[241] Dépêche du ministre des affaires étrangères de Naples à son ambassadeur a Vienne, en date du 14 janvier 1848 ; dépêche de cet ambassadeur, en date du 17 janvier ; dépêche du comte de Ludolf, ambassadeur d'Autriche à Rome, en date du 23 janvier. (BIANCHI, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. V, p. 88, 89.)

[242] Lettre de M. Rossi à M. Guizot, en date du 17 février 1848. — La réponse du gouvernement français ne put être donnée avant la révolution de Février.

[243] A l'heure même où, sans qu'on le sût encore à Paris, commençait réclusion des constitutions italiennes, le 31 janvier 1848, M. Guizot expliquait, à la tribune du Palais-Bourbon, pourquoi il avait laissé les gouvernements de la Péninsule juges du degré et de la nature de leurs réformes, sans les pousser à copier nos institutions politiques. Je crois, disait-il, que la France doit avoir constamment l'œil ouvert sur l'équilibre qui se déplace, de jour en jour, en Europe, entre les grands systèmes de gouvernement, entre les gouvernements absolus et les gouvernements constitutionnels. Je crois que l'établissement d'institutions libres tourne au profit de la France, de son influence, de sa grandeur : à une condition cependant, à la condition que ces tentatives-là réussissent... Savez-vous ce qu'il y a de plus dangereux pour le régime constitutionnel ?... Ce sont les tentatives infructueuses ou malheureuses. Savez-vous ce qui a le plus nui aux réformes en Italie ? Ce sont les révolutions de 1820 et de 1821, révolutions mal conçues, venues mal à propos, fondées sur de mauvais principes et fondant des institutions impraticables... Je n'ai nulle envie de voir recommencer des tentatives pareilles... Voilà la cause de ma réserve dans les conseils que je peux être appelé à donner aux Etats italiens. Quand ils se sentiront en mesure de fonder des constitutions chez eux, quand elles seront, en effet, praticables, leur indépendance sera, je le répète, affirmée, maintenue par nous, aussi bien qu'elle l'est aujourd'hui pour les reformes purement administratives.

[244] Dépêche de M. Guizot au comte de La Rochefoucauld, ministre de France à Florence, en date du 21 février 1848.

[245] con1 dépêche.

[246] BIANCHI, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. V, p. 93 à 95, et p. 434 et 435.

[247] BIANCHI, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. V, p. 93 à 95, et p. 434 et 435.

[248] Lettre particulière de M. de Flahault à M. Guizot, en date du 1er février 1848. (Documents inédits.)

[249] Dépêche de M. d'Arnim, ministre de Prusse, à Paris, en date du 8 février 1848. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1848, t. II, p. 690.)

[250] Dépêches de M. Abercromby, ministre d'Angleterre à Turin, en date des 2 et 3 février 1848, et dépêches de lord Palmerston à ses agents à Turin, Florence, Naples, en date des 11 et 12 février.

[251] Lettres des 23, 28 février et 3 mars 1848. (Documents inédits.)

[252] Février 1848. (Documents inédits.)

[253] Ce rapprochement se présentait à d'autres esprits qui, à raison de leurs préjugés, ne pouvaient voir qu'un des côtés de la physionomie du Pape. Le prince Albert écrivait, dans une lettre au baron Stockmar, le 13 février 1848 : Le Pape est la contre-partie du roi de Prusse ; beaucoup d'élan, des idées politiques, à moitié digérées, peu de perspicacité, avec un esprit très cultivé et très accessible aux influences extérieures. Leur pierre d'achoppement à tous les deux, c'est la pensée qu'ils peuvent mettre leurs sujets en branle et garder ensuite complètement dans leurs mains la direction et l'extension du mouvement... (Le Prince Albert, Extraits de l'ouvrage de sir Theodore Martin, par A. CRAVEN, t. I, p. 243.)

[254] Correspondance du marquis de Dalmatie avec M. Guizot, en 1847, notamment lettres du 18 août et du 14 octobre. (Documents inédits.)

[255] Lettres du marquis de Dalmatie à M. Guizot, notamment celles du 18 et du 19 février 1848. (Documents inédits.)

[256] Dépêche du comte Nesselrode à l'ambassadeur russe à Naples, en date du 18 octobre 1847. (BIANCHI, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. V, p. 414.)

[257] Dépêche chiffrée du marquis de Dalmatie à M. Guizot, en date du 20 février 1848. (Documents inédits.)

[258] Dépêche de M. Mercier, chargé d'affaires de France à Saint-Pétersbourg, en date du 3 février 1848, et dépêche du marquis de Dalmatie, en date du 19 février. (Documents inédits.)

[259] BIANCHI, Storia documentata, etc., t. V, p. 96.

[260] La dépêche du comte Nesselrode, qui ne fut communiquée à lord Palmerston que le 7 mars, après la révolution de Février, se trouve dans les Parliamentary papers distribués aux Chambres anglaises en 1849.

[261] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 589.

[262] Lettre de M. de Metternich à M. de Ficquelmont, en date du 10 février 1848. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 564.) Lettres du comte de Flahault à M. Guizot, du 1er février 1848 ; du marquis de Dalmatie au même, du 18 février ; de M. Désages au comte de Jarnac, du 14 février. (Documents inédits.)

[263] Dépêche de lord Palmerston à lord Ponsonby, en date du 11 février 1848, et dépêche de M. de Metternich au comte Dietrichstein, ambassadeur d'Autriche à Londres, en date du 27 février 1848. (Parliamentary papers.)

[264] Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 589.

[265] Cité dans les Mémoires de Bernard de Meyer, le chef des catholiques lucernois. (Cf. Revue générale de Bruxelles, octobre 1881.)

[266] Dépêche à M. de Ficquelmont, en date du 10 février 1848. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 563.)

[267] Dépêche à M. de Ficquelmont, en date du 19 février 1848. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 567.)

[268] Lettre particulière du comte de Flahault à M. Guizot, en date du 24 février 1848. (Documents inédits.)

[269] Dépêche de M. de Metternich au comte Apponyi, en date du 6 février 1848. (Mémoires de M. de Metternich, t. VII, p. 563.)

[270] Documents inédits.

[271] Documents inédits.