HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE II. — LA POLITIQUE DE RÉSISTANCE (13 MARS 1831-22 FÉVRIER 1836) (suite)

 

CHAPITRE IX. — LA FORMATION ET LES DÉBUTS DU MINISTÈRE DU 11 OCTOBRE.

 

 

I. Louis-Philippe, obligé à regret de modifier son ministère, s'adresse à M. Dupin. Refus de ce dernier. Ses motifs. Le maréchal Soult chargé de former un cabinet de coalition conservatrice. Difficultés venant des préventions soulevées contre M. Guizot. Ouvertures faites au duc de Broglie. — II. Antécédents du duc de Broglie, peu populaire, mais très-respecté. Son éloignement pour le pouvoir. Il ne veut pas entrer au ministère sans M. Guizot. — III. On accepte M. Guizot, en le plaçant au ministère de l'Instruction publique. Composition et programme du cabinet. — IV. Nécessité pour le ministère d'en imposer à l'opinion. Occasion fournie par la question belge. Convention du 22 octobre avec l'Angleterre. Les troupes françaises en marche contre Anvers. — V. Mesures prises par M. Thiers pour se saisir de la duchesse de Berry. Trahison de Deutz. Que faire de la prisonnière ? On écarte l'idée d'un procès. La princesse transférée à Blaye. — VI. Ouverture de la session. Discussion de l'Adresse. Succès du ministère. — VII. Siège et prise d'Anvers. Résultats heureux de cette expédition pour la Belgique et pour la France. — VIII. Débats à à la Chambre, sur la duchesse de Berry. Le bruit se répand que celle-ci est enceinte. Agitation des esprits et conduite du gouvernement. Après son accouchement et la déclaration de son mariage secret, la princesse est mise en liberté. Sentiments du Roi en cette affaire. Faute commise. — IX. Les royalistes obligés de renoncer a la politique des coups de main. Berryer. Son origine. Son attitude après 1830. Il cherche à être l'orateur de toute l'opposition. Son succès. Avantages qui en résultent pour le parti royaliste. Berryer attaqué cependant par une fraction de ce parti. — X. Chateaubriand se tient à t'écart, découragé, bien que non adouci. Son état d'esprit. Sa triste vieillesse. — XI. Fécondité législative des sessions de 1832 et 1833. Calme et prospérité du pays. Après tant de secousses, était-on donc enfin arrivé à l'heure du repos ?

 

I

Contraint à regret de modifier un cabinet qui lui était à la fois agréable et commode, Louis-Philippe désirait y toucher le moins possible. Ne suffirait-il pas d'adjoindre à M. de Montalivet, au générât Sébastiani et aux autres anciens collègues de Casimir Périer, quelque homme politique leur apportant l'éclat oratoire et l'autorité parlementaire qui leur manquaient depuis la mort de leur chef M. Dupin, par exemple ? Dès le 13 juin 1832, le Roi fit faire à ce dernier des ouvertures. Il se flattait de ne pas trouver, chez un avocat engagé au service des intérêts privés de sa maison et habitué du reste changer souvent de dossier, la fierté un peu ombrageuse, l'entêtement doctrinal, l'indépendance de situation, qu'il redoutait chez certains hommes d'État ; il était trop fin, d'ailleurs, pour n'avoir pas deviné que ce paysan du Danube cachait, sous sa brusquerie souvent boudeuse, un courtisan plus maniable que beaucoup d'autres[1]. Aussi n'attacha-t-il pas tout d'abord grande importance aux objections par lesquelles M. Dupin répondit à ses offres ; quelques cajoleries royales, pensait-il, auraient facilement raison de ces résistances. C'est sans doute ce qui serait arrivé, s'il ne se fût agi que de scrupules de principes. Mais M. Dupin avait d'autres raisons de se dérober. Il redoutait le pouvoir, non par modestie ou désintéressement, mais par calcul égoisme avisé et subalterne, quelque peu analogue à celui de Béranger. Les pourparlers se prolongèrent pendant plusieurs semaines le Roi n'obtenait rien ; cette coquette en souliers ferrés lui glissait entre les mains. Pour se défendre contre des instances trop pressantes, M. Dupin finit même par émettre des exigences de nature à surprendre son royal interlocuteur éloignement de M. de Montalivet et du général Sébastiani ; constitution de la présidence du Conseil dans les conditions où elle fonctionnait avec Périer. Ce dernier trait surtout atteignait Louis-Philippe au point le plus sensible. Renommer un président du Conseil, il s'y résignait ; mais il se refusait à laisser établir en règle l'effacement, auquel il avait momentanément consenti, par égard pour un ministre nécessaire. Il déclara, non sans vivacité, qu'il n'entendait pas se mettre de nouveau en tutelle, en nommant un vice-roi, et le fit avec tant de volubilité raconte M. Dupin qu'il n'y eut moyen de lui rien objecter[2]. Vainement, après cette explosion, le Roi en revint-il aux caresses ; vainement, de son côté, l'avocat, après ses fugues maussades, se laissa-t-il rappeler, il fallut bien finir par reconnaître qu'on ne pouvait s'entendre.

En réalité, d'ailleurs, le désaccord était plus profond encore et portait sur la direction même de la politique. Depuis la mort de Périer, M. Dupin cherchait visiblement à se détacher ou, tout au moins, à se distinguer des autres conservateurs, en compagnie desquels il avait défendu le ministère du 13 mars. On eût dit qu'il tâtonnait pour trouver, entre eux et la gauche, une situation intermédiaire. Trop précautionné pour se laisser lier définitivement à un système et surtout à un parti, mobile d'esprit et peu dévoué de caractère, il aimait, après s'être un instant compromis, à reprendre brusquement son indépendance, fût-ce par des inconséquences et des infidélités. On avait remarqué que, procureur général près la Cour de cassation, il s'était gardé de conclure dans l'affaire de l'état de siège, qu'il avait passé la parole à un de ses avocats généraux et s'était, dans ses conversations, prononcé contre la thèse du gouvernement. Il affectait de répéter qu'il n'approuvait pas tout ce qui avait été fait par les conservateurs. Tout cela, sans doute, était encore un peu vague et incertain. Le propre de M. Dupin était de n'avoir ni vues, ni doctrines fixes. Comme l'écrivait alors Carrel, il était le type le plus parfait de ces gens mécontents de tout, ne sachant ni ce qu'ils sont, ni ce qu'ils veulent. Et l'écrivain du National ajoutait : Avocat d'un talent de parole très-distingué, il a été lancé, par sa réputation de barreau, à une hauteur parlementaire où les principes arrêtés lui seraient fort nécessaires, et il n'en a pas plus que d'études politiques[3]. Ce qu'il y avait de plus net, dans ce nouvel état d'esprit de M. Dupin, était l'animosité qu'il témoignait contre les doctrinaires. Était-ce antipathie contre leurs personnes, opposition contre leurs doctrines, jalousie de leur talent, peur de partager leur impopularité[4] ? Naturellement il ne manquait pas de gens, sur les frontières de la gauche et du centre, pour exploiter et envenimer cette animosité. Le Constitutionnel et le Temps associaient chaque jour l'éloge de M. Dupin à des attaques acharnées contre M. Guizot et ses amis. Dans le monde où s'inspiraient ces journaux, on caressait une combinaison qui eût séparé M. Dupin du parti de la résistance pour le rapprocher graduellement de la gauche. D'ailleurs, près du trône, parmi les habitués du château et jusque dans la famille royale, quelques-uns disaient assez haut qu'il fallait se relâcher de la rigueur militante de Périer, pour rallier la partie modérée de l'opposition : c'était ce qu'on appelait faire fléchir le système du 13 mars. Mais plus cette idée se trahissait, plus elle mettait en éveil la sagesse du Roi. Si celui-ci avait pu préférer M. Dupin à tels autres conservateurs, cette préférence n'allait pas jusqu'à lui faire rien sacrifier de la politique de résistance. Le maintien de cette politique était, à ses yeux, un intérêt supérieur à toutes ses commodités personnelles. Aussi ne tarda-t-il pas à montrer clairement qu'il ne se prêterait à aucune déviation et ce fut l'une des raisons qui mirent fin aux négociations entamées avec M. Dupin[5].

Cette combinaison ainsi écartée, Louis-Philippe se décida enfin à prendre franchement le seul parti possible c'était de faire un ministère vraiment nouveau, un ministère de coalition conservatrice, et il chargea le maréchal Soult de le former. Le choix n'était pas sans habileté. Le renom militaire du personnage, son importance personnelle donnaient satisfaction à ceux qui réclamaient un président du Conseil réel. D'autre part, sans engagement avec les partis parlementaires, sans expérience du détail des affaires autres que celles de l'armée, le maréchal n'apportait pas au pouvoir des opinions et des desseins assez arrêtés, pour que Louis-Philippe pût craindre de le voir tout attirer, absorber dominer, aux dépens de l'initiative royale. Bien qu'il eût été membre du ministère Périer et engagé dans le système du 13 mars, on ne lui connaissait pas d'opinions personnelles bien déterminées. M. Guizot, qui avait été plusieurs fois son collègue, a dit de lui finement[6] : Il n'avait, en politique, point d'idées arrêtées, ni de parti pris, ni d'alliés permanents. Je dirai plus à raison de sa profession, de son rang, de sa gloire militaire, il se tenait pour dispensé d'en avoir ; il faisait de la politique comme il avait fait la guerre, au service de l'État et du chef de l'État, selon leurs intérêts et leurs desseins du moment, sans se croire obligé à rien de plus qu'à réussir, pour leur compte en même temps que pour le sien propre, et toujours prêt à changer au besoin, sans le moindre embarras, d'attitude ou d'alliés. Cette disposition d'esprit donnait une importance particulière au choix des collègues du maréchal. Son avènement ne devait et ne pouvait avoir toute sa portée que s'il se présentait flanqué des chefs de la majorité conservatrice.

Ces chefs, chacun les nommait ; on les avait vus à t'œuvre sous Périer c'étaient, avec M. Dupin, MM. Guizot et Thiers. Aucune difficulté pour l'entrée de ce dernier. Sa fortune était encore trop récente et son origine trop humble, pour porter ombrage soit au Parlement, soit au Roi. Il était demeuré partisan très-résolu de la résistance, et M. Guizot pouvait écrire au duc de Broglie[7] : J'ai vu Thiers, qui est revenu dans d'excellentes dispositions, nullement troublé des charivaris de Marseille, et fort éclairé par ses conversations avec tous les étrangers qu'il a vus à Rome. Les choses allaient moins facilement pour M. Guizot. Son impopularité, que nous avons déjà signalée sous le ministère du 13 mars, semblait s'accroître à mesure que sa rentrée au pouvoir était plus indiquée et plus urgente[8]. Son patriotisme était cependant trop alarmé, et aussi son ambition trop en éveil, pour qu'il se laissât facilement exclure du gouvernement ; voyant le péril public, estimant son heure venue, il avait soif d'agir. Mais Louis-Philippe hésitait à braver les préventions que ce nom soulevait. Peut-être, a cette époque, les partageait-il dans une certaine mesure. Que faire alors ? Car il n'avait pas l'illusion que M. Thiers seul suffit, et qu'il y eût moyen de faire un ministère de résistance en excluant les doctrinaires qui étaient, après tout, les plus capables et les plus fermes des conservateurs. Ne pourrait-on donc pas avoir ceux-ci, tout en évitant M. Guizot ? De là vint l'idée d'offrir un portefeuille à un autre éminent doctrinaire, au duc de Broglie, qui, retiré jusqu'alors dans l'enceinte un peu silencieuse de la Chambre des pairs, avait attiré sur lui moins d'inimitiés. Nous l'avions déjà entrevu, au second rang et dans s une ombre volontaire, parmi les membres du ministère de l'avènement. Appelé maintenant à un rôle plus considérable, il mérite de fixer davantage notre attention.

 

II

Parmi les hommes de 1830, le duc de Broglie représentait alors très-nettement la politique de résistance. A ses débuts, sous la Restauration, il s'était trouvé plus à gauche. Tout l'y avait porté le souvenir de son père, ancien compagnon d'armes de La Fayette aux États-Unis, entré assez avant dans le mouvement de 1789, et qui, victime de la Terreur, n'en avait pas moins recommandé, en mourant, à son fils, de rester fidèle à la révolution française ; l'influence du second mari de sa mère, le marquis d'Argenson, radical d'extrême gauche, socialiste, conspirateur, sans avoir pu, à son grand regret, cesser complètement d'être gentilhomme ; enfin son mariage qui avait fait de lui le gendre de madame de Staël. Mais bientôt, avec cette intelligence curieuse et sincère qui voulait tout examiner par elle-même, et qui, suivant l'expression de M. Sainte-Beuve, pensait tout droit devant elle, le jeune pair avait découvert, chez ses amis de gauche, un certain esprit court, étroit et routinier, qui l'inquiéta et le dégoûta ; il s'était aperçu qu'on rentrait dans ce qu'il appelait l'ornière révolutionnaire[9]. On l'avait vu alors se dégager et s'amender peu à peu affranchissement bien rare des préjugés d'origine. Toujours libéral, il avait commencé à se montrer plus soucieux des intérêts conservateurs, plus intelligent des nécessités du jour, plus indulgent envers le gouvernement, plus scrupuleux dans son opposition. Sans devenir légitimiste soit de sentiment, soit de doctrine, il était arrivé à accepter sérieusement la Restauration avec la Charte[10]. Non-seulement il n'avait pas préparé la révolution de Juillet, mais il ne l'avait pas désirée, et l'avait même redoutée[11].

L'événement arrivé malgré lui, le duc de Broglie se montra sympathique au régime nouveau qui amenait au pouvoir tous ses amis, concourut à faire sortir une monarchie de la révolution, et surtout s'appliqua, dès la première heure, à mettre cette monarchie en garde contre les périls de son origine. Membre du ministère de l'avènement, où il s'était modestement contenté du portefeuille de l'instruction publique et des cultes, il s'y prononça, avec M. Guizot, contre les défaillances ou les complaisances révolutionnaires. Le spectacle du ministère Laffitte ne fit que le confirmer dans sa résistance, et Casimir Périer trouva en lui un adhérent très-résolu. Moins mêlé que ses amis de la Chambre basse à la bataille de chaque jour, il ne perdait néanmoins, dans la Chambre des pairs, aucune occasion de marquer son attitude ainsi ne craignit-il pas de combattre la loi portant abolition du deuil du 21 janvier, au risque de se faire traiter de carliste, reproche alors le plus difficile à affronter. Une telle conduite ne le rendait pas populaire. Plaire à la foule était peu dans sa nature et dans ses goûts trop peu même, pour un homme politique. On l'eût dit plus soigneux de restreindre que d'étendre le cercle de ceux auxquels il s'adressait et dont il recherchait l'estime. En tout, il regardait les idées plus que les hommes, et, parmi ceux-ci, il ne voyait qu'une petite élite. H tenait les autres à distance par une allure sévère, un peu roide, qui venait du reste plus encore d'une sorte de gaucherie que d'un défaut de bienveillance ceux qui l'ont approché ont témoigné de ce qu'il cachait de bonté de tendresse, derrière cette froideur qu'on pouvait prendre pour de l'indifférence ou du dédain. En tout cas, sa haute probité politique et la dignité de son caractère en imposaient à tous, même à ceux qui s'écartaient le plus de lui, et l'on a pu dire qu'il était universellement respecté.

Le duc de Broglie n'avait pas moins d'éloignement pour le pouvoir que M. Dupin ; mais ses motifs étaient tout autres au lieu d'un égoïsme circonspect et terre à terre, c'était un mélange assez original de modestie et de fierté. Cette modestie ne lui permettait pas de se faire illusion sur ce qui lui manquait pour l'action, et il était le premier à en convenir : Je me croyais, a-t-il écrit[12], peu propre au maniement des hommes, et en cela je ne me trompais pas. Une sorte de timidité facilement embarrassée lui faisait redouter d'être mis en avant. Ses amis remarquaient la gène qu'il éprouvait parfois à entrer en relation avec les personnes qui ne lui étaient pas familières, et la facilité avec laquelle il rougissait, quand, dans la conversation, il se trouvait avoir exprimé avec force son opinion[13]. En même temps, sa fierté lui faisait chercher ailleurs que dans les satisfactions vulgaires de l'ambition le but de sa vie. Il déclarait n'avoir aucun goût pour la carrière d'ambition. Son âme délicate était facilement froissée et dégoûtée de ce qu'il y a trop souvent d'un peu impur dans toute action politique. Principalement soucieux de l'honneur de son nom, il redoutait à l'extrême tout ce qui pouvait le compromettre. Il avait cet orgueil fondé de se croire assez haut par sa naissance et par sa valeur propre, pour qu'un titre et une fonction n'ajoutassent rien à son importance. La politique n'était pas pour lui, comme pour beaucoup, un moyen de parvenir ; c'était l'occupation naturelle de son rang, la préoccupation nécessaire de son patriotisme. De même pour les lettres on eût difficilement trouvé un esprit aussi cultivé, se portant avec autant d'ardeur dans toutes les régions où se développait l'intelligence humaine, philosophie, littérature, histoire, droit, économie sociale ; mais, en lui, pas plus de l'écrivain de profession que du politicien aucun besoin de production, et surtout de publicité ; il écrivait pour lui, pour se rendre compte des questions, pour les scruter jusqu'au fond et s'élever jusqu'à leur sommet. Cette existence d'un citoyen s'intéressant et participant aux affaires de son pays, goûtant et approfondissant toutes les choses de l'intelligence, sans se laisser absorber étroitement par aucune, lui plaisait et lui suffisait. Ajoutez les jouissances d'un intérieur orné et charmé par une femme éminente dont tous ceux qui l'ont approchée ont gardé un souvenir ineffaçable[14] ; ajoutez les distractions d'un salon devenu le centre d'une société d'élite que la publication des lettres de M. Doudan a permis aux profanes d'entrevoir, et alors vous comprendrez qu'un tel homme ne fût pas empressé d'être nommé ministre.

Mais, pour vaincre ses répugnances, le duc de Broglie avait, plus que M. Dupin, le patriotisme généreux, l'esprit de devoir et de sacrifice. Ce qu'on lui eût offert comme un honneur, il l'eût obstinément repoussé ; il ne pouvait refuser ce qu'on lui imposait comme une charge et un péril, ce qu'on lui demandait comme un service à son pays malade. Voilà pourquoi, au moment même où M. Dupin se dérobait, le duc de Broglie, faisant violence à ses goûts, se montrait prêt à accepter un portefeuille. Seulement il posa tout de suite ses conditions, dont la première bouleversait toute la combinaison du Roi : il se refusa à entrer sans M. Guizot. Vainement insista-t-on auprès de lui, il fut inébranlable ; si bien que, pendant quelques jours, les négociations parurent rompues.

 

III

Il fallait en finir. L'opinion s'impatientait de ces retards et de ces hésitations. M. Dupin, interrogé de nouveau, repoussa toute ouverture avec aigreur, aussi mécontent qu'on vînt le relancer que jaloux des offres faites aux autres. Dès lors, il ne restait que les doctrinaires. Les plus fidèles partisans de la monarchie se plaignaient de l'exclusion qu'on faisait peser sur cette fraction des conservateurs. La coalition de tous les talents, disait le Journal des Débats, est nécessaire pour combler le vide produit par la mort de Périer, et il ajoutait ces graves avertissements : C'est à grand peine que, depuis juillet 1830, les vrais amis de la révolution ont résisté au torrent qui menaçait de tout engloutir. Le danger a été plutôt évité que conjuré, le mal, suspendu plutôt que guéri ; la désorganisation est encore à nos portes... Ayez peur de l'opposition ménagez-la ; désavouez un seul de vos antécédents ; séparez-vous d'un seul de vos amis vous lui rendez des chances[15]. M. Thiers lui-même ne croyait pas qu'on pût rien faire sans les doctrinaires : Il fallait des forces, écrivait-il, et où les prendre, quand Dupin refusait ?... En conscience, où trouver des hommes plus capables, plus honorables, plus dignes de la liberté, que MM. de Broglie, Guizot et Humann ? Ne faut il pas un infâme génie de calomnie pour trouver à dire contre des hommes pareils ?[16] Et cependant Louis-Philippe redoutait toujours de prendre un ministre trop impopulaire. Dans cet embarras, une transaction fut proposée, à laquelle le Roi se rallia elle consistait à offrir à M. Guizot, non le ministère de l'Intérieur qu'il avait déjà occupé dans le cabinet du 11 août, mais le ministère de l'Instruction publique qui était moins en vue, moins politique, et pour lequel l'ancien professeur de la Sorbonne était, comme il le disait, une spécialité. M. Guizot eut l'esprit de ne pas élever d'objection d'amour-propre. D'une part, il savait avoir beaucoup à faire dans ce département d'autre part, il comptait sur son talent de parole pour jouer, quand même, un grand rôle dans le Parlement et, par suite, tenir une grande place dans le cabinet.

Cette difficulté résolue la constitution du ministère devint aussitôt facile. Les ordonnances de nomination furent signées le 11 octobre. Le cabinet était ainsi composé présidence du Conseil et ministère de la Guerre, le maréchal Soult ; Affaires étrangères, le duc de Broglie ; Intérieur, M. Thiers ; Finances, M. Humann ; Instruction publique, M. Guizot. MM. Barthe, d'Argout et de Rigny conservèrent les portefeuilles de la Justice, du Commerce et de la Marine.

Telle fut, quatre mois après les premières négociations entamées avec M. Dupin, l'issue de cette crise laborieuse. Ce résultat, imprévu pour plusieurs, imposé par la force des choses plus encore que par la volonté des hommes, était certainement ce qu'on pouvait alors attendre de mieux. Ce cabinet était même d'un niveau intellectuel supérieur à celui de Périer. A voir ce brillant triumvirat, Broglie, Guizot et Thiers, ces spécialités éminentes telles que Soult et Humann, on pouvait, reprenant une expression d'origine anglaise, saluer ce ministère comme le ministère de tous les talents. Sans doute cette richesse était obtenue aux dépens de l'uniformité, et même un peu de l'homogénéité. Que d'origines, de doctrines, de tendances, d'habitudes d'esprit et de vie, différentes et presque opposées Les ministres eux-mêmes en avaient conscience et prenaient de part et d'autre leurs précautions. Mais, pour le moment, unis par la crainte du péril et la nécessité de l'action commune, d'accord sur cette action, ils avaient réciproquement confiance, sinon dans toutes les idées, du moins dans le talent de leurs collègues et dans la puissance qui résultait de leur union. N'étaient-ce pas précisément les hommes qui, derrière Casimir Périer s'étaient déjà habitués à combattre côte à côte ? M. Dupin seul manquait, et ce n'était pas la faute du Roi. Dès le lendemain de la formation du cabinet, le duc de Broglie écrivait à M. de Talleyrand, pour en bien marquer le caractère : Le ministère actuel est composé pour moitié des collègues de M. Périer, pour moitié de ceux de ses amis politiques qui, plus compromis encore que lui-même dans la cause de l'ordre et de la paix, avaient été réservés par lui pour des temps meilleurs[17]. Continuer Casimir Périer, tel était en effet le mot d'ordre. C'était ce grand nom qu'on invoquait, et sous lequel on s'abritait. Dans une circulaire adressée à tous les hauts fonctionnaires, le maréchal Soult s'exprimait ainsi : Le système adopté par mon illustre prédécesseur sera le mien ; c'est le vrai système national. Il semblait que Périer mort présidât encore le nouveau cabinet et lui donnât l'unité qui lui manquait.

 

IV

A voir l'accueil que lui firent les journaux, on n'eut pas promis longue vie au nouveau cabinet. Sauf le Journal des Débats, tous se montraient violemment hostiles, depuis le National et la Tribune jusqu'au Constitutionnel, en passant par le Temps, le Courrier français, le Journal du Commerce. Non, mille fois non, s'écriait le Constitutionnel[18], ce n'est pas l'opposition seule, c'est la France entière qui pousse ce cri : Arrière ! arrière ! hommes de la Doctrine ! Le ministère était comparé à celui de M. de Polignac et devait conduire à une semblable catastrophe ; on racontait que Louis-Philippe préparait déjà sa fuite et faisait passer des fonds à l'étranger. Grisés par leur propre tapage, les opposants finissaient par se croire sûrs d'une prochaine victoire. Par contre, les amis du cabinet, assourdis, quelque peu intimidés, se demandaient avec inquiétude ce qui allait se passer à la rentrée des Chambres[19]. Ne savaient-ils pas combien était encore peu consistante la majorité de combat que Périer avait rassemblée et entraînée, pour ainsi dire, à la force du poignet ? La situation pouvait donc devenir périlleuse. Les ministres comprirent qu'il leur fallait, dans les quatre ou cinq semaines qui les séparaient du 19 novembre, date indiquée pour l'ouverture de la session, accomplir au dedans ou au dehors quelque acte qui en imposât à l'opinion.

La question belge offrait précisément une occasion d'agir. On a vu comment, depuis quelques mois, elle semblait arrêtée dans une sorte d'impasse. Peu de jours avant la formation du cabinet, le 1er octobre, la France, appuyée par l'Angleterre, avait proposé à la Conférence de Londres des mesures coercitives pour imposer à la Hollande l'exécution du traité du 15 novembre 1831 les autres puissances avaient élevé des objections, et la Conférence, définitivement impuissante, s'était séparée, chaque État restant désormais juge de ce qu'il avait à faire comme signataire de ce traité. Force était au nouveau cabinet de se prononcer. Laisser les choses plus longtemps en suspens, c'était risquer l'avenir de la Belgique, irriter l'opinion en France, et fournir à l'opposition un redoutable terrain d'attaque. Mais recourir à la force, sans et malgré les autres puissances, c'était une opération difficile, périlleuse, exigeant ce rare mélange d'autorité et de prudence, d'audace, de sang-froid et de mesure, qui avait marqué la politique extérieure de Périer. Le duc de Broglie n'hésita pas un instant. A peine au pouvoir, il avertit les autres puissances, sans se laisser intimider par leur mauvaise humeur, de son intention d'agir ; en même temps, il fit d'instantes démarches pour obtenir le concours indispensable de l'Angleterre. M. de Talleyrand, notre ambassadeur à Londres, mena cette négociation avec autant d'habileté que de vigueur, et, dès le 22 octobre, triomphant des hésitations méfiantes de lord Palmerston, il signait avec lui une convention réglant les conditions d'une action commune de la France et l'Angleterre, à l'effet de contraindre la Hollande à l'exécution du traité du 15 novembre 1831. Parmi les moyens prévus de coercition, figuraient d'abord des mesures maritimes, telles que blocus et embargos, et ensuite ce qui était pour nous le point capital une expédition française contre la citadelle d'Anvers qui faisait partie du territoire attribué par la Conférence à la Belgique, et que l'armée hollandaise se refusait à évacuer.

Le duc de Broglie n'avait pas caché de quel intérêt parlementaire il était, pour le ministère français, d'agir, et d'agir tout de suite. Dès le 11 octobre, le jour même où il prenait possession du ministère, il écrivait à M. de Talleyrand : Il dépend de l'Europe, et surtout de l'Angleterre, de consolider ce cabinet et de mettre un terme par là aux dangers que la victoire du parti contraire entraînerait, dangers dont l'Europe aurait assurément sa bonne part. Nous allons combattre pour la cause de la civilisation ; c'est à la civilisation de nous aider ; c'est à vous, mon prince, de lui dire ce qu'il faut faire pour que nous ouvrions la session avec éclat. Le lendemain, il revenait avec insistance sur la même idée : Que l'Angleterre nous voie, sans en prendre alarme, enlever la citadelle d'Anvers aux Hollandais... Si la session prochaine s'ouvre sous de tels auspices, soyez certains d'un triomphe éclatant. S'il nous faut, au contraire, défendre de nouveau à la tribune les délais, les remises, les procrastinations de la diplomatie notre position sera très-périlleuse. Il ajoutait encore, le 18 octobre : Notre sort dépend de nos œuvres d'ici à la session, et, de toutes les œuvres, la véritable, la seule qui préoccupe l'opinion, c'est l'expédition d'Anvers[20]. Ce fut, en somme, cette considération du péril couru par le ministère français, qui détermina le gouvernement de Londres à céder. Nous avons, sur ce point, le témoignage du roi Léopold bien mis au courant des choses d'outre-Manche par son ami Stockmar : Le ministère Broglie, écrivait-il un peu plus tard à M. Goblet, était mort sans Anvers, et le ministère anglais a jugé plus sage de laisser faire que d'avoir un ministère de l'extrême gauche qui menait à la guerre générale[21].

La nouvelle de la convention du 22 octobre produisit un vif mécontentement chez les trois puissances continentales. A Vienne, M. de Metternich dogmatisa sur ce qui lui paraissait être une violation du droit des gens, s'épancha en sombres prédictions[22] et surtout en gémissements rétrospectifs, maudit le jour où s'était soulevée cette malheureuse affaire de la Belgique et où il s'était laissé attacher au détestable char de la Conférence[23] ; mais, comme mesures effectives, il se borna à prêcher une union plus étroite des trois cours en face de l'alliance anglo-française[24]. La Russie protesta avec irritation et reprit diplomatiquement tout ce qu'elle avait cédé à la Conférence. Mais, à Saint-Pétersbourg comme à Vienne, on estimait qu'en cette affaire le premier rôle et l'initiative appartenaient à Berlin. Dans le monde militaire prussien, l'émotion fut extrême. On n'y pouvait supporter qu'une armée française parût et agît si près du Rhin. Le roi Frédéric-Guillaume, bien que plus pacifique que son entourage, dut ordonner la réunion de deux corps d'armée, l'un sur la frontière belge l'autre sur le Rhin ; sorte de menace à laquelle nous répondîmes aussitôt en formant, derrière l'armée destinée à opérer en Belgique, un corps d'observation massé dans les environs de Metz.

La correspondance du duc de Broglie et de ses ambassadeurs, à cette époque, trahit l'anxiété d'une grosse partie où se jouait la paix de l'Europe. M. de Talleyrand lui-même déclarait en avoir perdu le sommeil. Toutefois, ni lui, ni le ministre ne se laissèrent un instant détourner de leur dessein. Ils avaient mesuré d'avance, avec sang-froid, jusqu'où ils pouvaient aller, sans rencontrer autre chose que de la mauvaise humeur. Le 1er novembre 1832, M. de Talleyrand écrivait au duc de Broglie, dans une lettre confidentielle a Je n'ai pas cru devoir vous parler, dans ma dépêche, des bruits de coalition entre les trois puissances, répandus par quelques journaux français et allemands. Nous n'avons pas à nous inquiéter de pareils projets. L'union de la France et de l'Angleterre arrête tout, et, d'ailleurs, les dispositions certaines des cabinets de Berlin et de Vienne indiquent plutôt de la crainte que l'esprit d'entreprise. Et il ajoutait dans un post-scriptum : Laissez-moi vous recommander de faire plutôt trop que pas assez pour la grande entreprise actuelle songez bien qu'il vous faut un succès[25]. Le gouvernement avait devancé ce dernier conseil. Dès le premier jour, il avait poussé activement ses préparatifs militaires et réuni, sur sa frontière du Nord, une armée considérable, bien pourvue, sous le commandement du maréchal Gérard.

Le 2 novembre, au terme extrême fixé par la convention, la Hollande n'ayant pas cédé, les premières exécutions maritimes furent ordonnées par la France et l'Angleterre. Restait l'action principale l'expédition française contre Anvers. Le Roi des Belges la demanda, le 9 novembre. Toutes les conditions prévues par la convention étaient dès lors remplies, et cependant l'Angleterre, retenue par ses propres méfiances et par les efforts des autres puissances, hésitait à donner son assentiment. Vainement le cabinet de Paris la pressait-il, vainement lui offrait-il toutes les garanties, elle répondait toujours d'une façon dilatoire. On ne pouvait cependant retarder davantage. L'opinion était de plus en plus agitée. Le jour de la réunion des Chambres approchait. Le maréchal Gérard s'impatientait, déclarant que bientôt la mauvaise saison rendrait l'opération à peu près impossible. Le 14 novembre, les ministres, réunis sous la présidence du Roi, délibérèrent s'il convenait de passer outre aux hésitations de l'Angleterre. Les dispositions de l'Europe donnaient à cette question une particulière gravité. Le duc de Broglie et M. Thiers opinèrent résolument pour qu'on allât de l'avant, sans attendre plus longtemps une approbation si lente à venir. Eh bien ! messieurs, conclut le Roi, entrons en Belgique. Les ordres furent aussitôt envoyés au maréchal Gérard. C'était procéder à la Périer. L'assentiment du cabinet de Londres, dont on s'était passé, arriva dans la nuit suivante.

Notre armée, qui ne comptait pas moins de soixante-dix mille hommes, et avait à son avant-garde les deux fils aînés du Roi, franchit rapidement et allègrement la frontière. Le 19 novembre, jour même fixé pour l'ouverture des Chambres, elle se déployait devant la citadelle d'Anvers et les opérations du siège commençaient aussitôt avec vigueur.

 

V

En même temps que l'expédition d'Anvers, le ministère en entreprenait une autre à l'intérieur, toute, différente, où la police remplaçait l'armée, mais qui ne devait pas être d'un effet moins décisif sur l'opinion d'alors. On gavait beaucoup reproché au cabinet précédent de n'avoir pas pu ou pas voulu découvrir la cachette de la duchesse de Berry. Son séjour prolongé dans l'Ouest était une cause d'agitation permanente, et pouvait même devenir un embarras sérieux, au moment où l'on s'apprêtait à tirer le canon sur l'Escaut. Ce qui avait été saisi de la correspondance de la princesse prouvait qu'elle entretenait des négociations avec le roi de Hollande et qu'elle fondait tous ses calculs sur les complications européennes qui pouvaient se produire de ce côté. Ces considérations, jointes à la pression chaque jour plus vive de l'opinion, donnèrent au ministère le sentiment qu'il fallait à tout prix en finir. M. Thiers se chargea spécialement de cette entreprise. Dans ce dessein il s'était fait donner le ministère de l'intérieur, réduit aux attributions de police ; les services administratifs furent transférés au ministère du commerce et des travaux publics. Il se réservait de faire tout lui-même et lui seul, sans être obligé de tenir ses collègues au courant. Parvenu de la veille, cette besogne policière amusait sa curiosité, sans exciter chez lui les répugnances qu'eût ressenties un homme d'éducation plus achevée et plus délicate[26]. Son animosité contre les Bourbons y trouvait d'ailleurs son compte. Et puis, s'il s'était associé à M. Guizot et au duc de Broglie, sans trop se troubler de les entendre traiter d'hommes de la Restauration, il n'était pas fâché cependant de les compromettre par un acte qui fut une rupture éclatante avec la vieille monarchie, un gage décisif donné à la révolution. Quelques jours plus tard, l'arrestation faite, M. Thiers s'en servait à la tribune, comme d'une preuve que le ministère n'hésitait pas à se séparer de la dynastie déchue et il demandait à ses adversaires comment il eût pu davantage se compromettre. De son côté, le Journal des Débats y montrait une marque de dévouement à la révolution de Juillet[27].

M. Thiers choisit des instruments peu nombreux et énergiques. Le mot d'ordre était de se saisir de la princesse par tous les moyens, en évitant les violences contre la personne, en écartant même d'elle toute chance d'accident. En un mot, écrivait le ministre nous voulons prendre le duc d'Enghien, mais nous ne voulons pas le fusiller ; nous n'avons pas assez de gloire pour cela, et, si nous l'avions, nous ne la souillerions pas. Au fond même on désirait : plutôt le départ que l'arrestation de la duchesse. Au moment où toutes les mesures étaient prises pour la serrer de près, le Roi, la Reine, les ministres la firent plusieurs fois avertir qu'on était sur sa trace et que si elle voulait se retirer volontairement, on l'y aiderait[28]. Mais tout échouait devant cette obstination, qui avait déjà résisté aux instances des royalistes et aux ordres de Charles X. Les premières recherches furent sans succès. Elles se heurtaient à cette fidélité royaliste qui, depuis plusieurs mois, déjouait toutes les ruses de la police. Un traître finit cependant par se trouver ; son nom est connu et flétri il s'appelait Deutz, Juif prétendu converti, qui avait capté la confiance de la duchesse de Berry. Dans un rendez-vous donné la nuit aux Champs-Elysées, — vraie scène de roman, — il fit ses offres à M. Thiers. Celui-ci acheta sans scrupule ce honteux concours. Conduits par Deutz, les agents du ministre pénétrèrent, à Nantes, chez mademoiselle Duguigny, et, après vingt-quatre heures de perquisition ils finirent par découvrir la princesse dans l'étroite cachette où elle s'était enfermée avec quelques amis. C'était le 7 novembre 1832.

Croyez-moi, disait la duchesse de Berry au général Dermoncourt, peu après son arrestation, ils sont plus embarrassés que moi. C'était vrai. La loi du 10 avril 1832 avait interdit le territoire de la France aux membres de l'ancienne famille royale, mais sans mettre aucune sanction à cette interdiction. Le plus sage eût été de reconduire la duchesse à la frontière. C'était le sentiment du Roi, qui disait, quelques jours après, à M. Guizot : On ne sait pas quel embarras on encourt en la retenant ; les princes sont aussi incommodes en prison qu'en liberté ; on conspire pour les délivrer comme pour les suivre, et leur captivité entretient chez leurs partisans plus de passions que n'en soulèverait leur présence. Tel avait été aussi le dessein premier du gouvernement ; il s'en était même ouvert aux cabinets étrangers, au moment où il prévoyait une arrestation prochaine[29]. Les ministres comprenaient que leur jeu n'était pas de grossir l'affaire et d'allumer les passions ; dans la maison où était cachée la duchesse, ils avaient saisi des papiers qui eussent permis d'étendre singulièrement les poursuites ; ils n'en firent pas usage, sachant que les gouvernements n'ont pas intérêt à pousser les représailles jusqu'au bout. On raconte que M. Thiers lui-même, le plus animé de tous, ayant invité, quelque temps après, M. Berryer à déjeuner, lui ouvrit un portefeuille contenant les plus compromettants de ces papiers ; puis, après l'avoir assuré qu'il en avait gardé le secret pour lui seul, il les jeta au feu devant son convive. Le gouvernement eût sagement agi, en ne se montrant pas plus impitoyable contre la duchesse elle-même. Il ne l'osa pas. Il eut peur de mécontenter l'opinion, vivement excitée par la nouvelle de l'arrestation. La violence des légitimistes, l'insolence impérieuse avec laquelle ils exigeaient une mise en liberté immédiate, n'étaient pas faites pour lui rendre la modération plus facile. Ajoutez que ceux des ministres qui jugeaient utile de compromettre leurs collègues dans le sens de la révolution de Juillet, poussaient à la rigueur. Résolution fut donc prise de ne pas relâcher immédiatement la princesse. Mais ce n'était qu'accroître et prolonger les dif6cu !tés. Que faire, en effet, de la prisonnière ? L'idée d'une poursuite en justice pour crime de droit commun, bruyamment soutenue par l'opposition de gauche, fut aussitôt écartée comme odieuse et périlleuse. Quelle dynastie eût pu gagner a voir, sous prétexte d'égalité devant la loi, une femme de sang royal rabaissée au rang d'un criminel vulgaire ? L'appareil même du procès aurait enflammé encore les passions des deux partis. L'issue n'en pouvait être que funeste une condamnation fût devenue très-embarrassante, si les esprits excités en avaient exigé la rigoureuse exécution un acquittement eut été aussitôt interprété comme une condamnation de la royauté de Juillet. La vue de ces périls détermina le gouvernement à faire insérer, dès le 9 novembre, dans le Moniteur, une note annonçant qu'un projet de loi serait présenté aux Chambres, pour statuer relativement à madame la duchesse de Berry. Seulement ce parti n'était pas lui aussi, sans de graves inconvénients qui ne tarderont pas à se produire. En attendant, la princesse fut transférée dans la citadelle de Blaye, où elle entra le 17 novembre.

 

VI

Une fois l'expédition d'Anvers entreprise et la duchesse de Berry arrêtée, le ministère vit arriver, sans alarme, la date du 19 novembre, marquée pour l'ouverture de la session. Ce jour même, un incident se produisit qui augmenta encore ses avantages. Au moment où le Roi, se rendant au Palais-Bourbon, passait sur le pont Royal, un coup de pistolet fut tiré sur lui, sans atteindre personne. C'était le premier de ces attentats qui allaient devenir si fréquents, pendant le règne de Louis-Philippe. Vainement la gauche, profitant des difficultés qu'on rencontrait à découvrir l'assassin[30], insinua-t-elle que c'était un coup de police l'émotion fut vive, et l'impression du péril révolutionnaire s'en trouva utilement ravivée dans l'esprit des conservateurs.

La première épreuve fut la nomination du bureau de la Chambre. M. Dupin, appuyé par le ministère, l'emporta, pour la présidence, de près de cent voix, sur M. Laffitte, candidat de l'opposition. Dans ce vote, toutefois, l'équivoque était encore possible, M. Dupin étant appuyé par quelques-uns de ceux qui combattaient le plus vivement les doctrinaires[31]. Dans la nomination des autres membres du bureau et dans l'élection de la commission de l'Adresse, le succès du ministère fut sans contestation possible. Il apparut à tous que la majorité de Casimir Périer se reformait derrière le nouveau cabinet. A gauche, la déception fut vive et le découragement prompt. La Fayette écrivait, le 23 novembre 1832, à l'un de ses amis : La session s'est ouverte assez tristement pour l'opposition. Plusieurs de nos collègues, même signataires du Compte rendu, sont revenus persuadés que nous avions été trop véhéments l'année dernière. Ils se fatiguent de n'avoir pas la majorité. L'opposition n'augmentera donc pas en nombre.

La discussion de l'Adresse fut longue et passionnée. Mais la gauche, gênée, déroutée par les événements de Belgique et de Nantes, en fut réduite à ressasser ses vieux griefs. Le principal orateur du ministère fut M. Thiers ; M. Guizot était tombé malade, à l'ouverture de la session, fort attristé de se trouver retenu loin d'une bataille où il avait espéré servir ses idées et recueillir de l'honneur. Sur tous les points, la majorité demeura fidèle au ministère aucun des amendements de l'opposition ne put passer. Nul doute ne pouvait exister sur le caractère de la politique à laquelle la Chambre donnait ainsi son adhésion. Le discours du trône, rédigé par M. Guizot, avait proclamé la volonté de continuer le système qu'avait soutenu le ministre habile et courageux dont on déplorait la perte, et il avait montré combien serait dangereuse toute politique qui ménagerait les passions subversives, au lieu de les réprimer. Tels étaient aussi les sentiments de la majorité celle-ci applaudissait, quand, au cours de la discussion, un de ses orateurs, M. Duvergier de Hauranne, s'écriait : Lasse de tant d'agitations, fatiguée de tant de désordres, la nation demande à se reposer, à l'ombre d'un gouvernement qui contienne et punisse les factions, au lieu de les ménager ; qui lutte avec courage contre les mauvaises passions, au lieu de les flatter ; qui gouverne, en un mot, au lieu de se laisser gouverner... Et quand le pays nous demande de la force, nous lui donnerions de la faiblesse ! Quand il veut que nous élevions la digue, nous l'abaisserions ! Quand il nous crie de rester unis et serrés, nous nous diviserions, nous ouvririons nos rangs ! Non, cela n'est pas possible, cela n'arrivera pas. Ce que nous étions l'an dernier, nous le sommes encore...

Au ministère maintenant d'user des forces que l'Adresse lui donnait, pour mener à fin les deux affaires qu'il avait entreprises, au dehors, avec le siège d'Anvers ; au dedans, avec l'arrestation de la duchesse de Berry.

 

VII

Les difficultés de l'expédition d'Anvers n'étaient pas toutes d'ordre militaire, et le gouvernement français n'avait pas seulement affaire aux soldats hollandais. Il avait été convenu que l'armée belge ne prendrait pas part au siège. Sa présence eût ôté à l'opération son caractère d'exécution des décisions prises par la Conférence, et l'eût transformée en guerre entre la Belgique et la Hollande, guerre forcément révolutionnaire et bientôt généralisée[32]. Les Belges se montrèrent fort blessés de cette exclusion. Dans leurs journaux, dans leur parlement, il y eut explosion d'attaques amères, emportées, contre la France, et notre armée eut cette chance singulière, d'être mal reçue par les populations pour lesquelles elle venait verser son sang. Ce n'était pas la première fois que ce petit peuple se conduisait avec nous en véritable enfant gâté. M. de Talleyrand écrivait, à ce propos, au duc de Broglie : Vous devez comprendre maintenant à quel point les Belges sont difficiles à servir. Sébastiani, en hâtant le mariage, les a rendus encore moins maniables. Ils ont fait mon supplice depuis deux ans[33]. Suivant son habitude, la presse opposante de Paris fit écho aux plaintes et aux invectives venues de Bruxelles. Précisément, elle était alors fort embarrassée de l'attitude à prendre en cette question. Elle avait bien essayé d'inquiéter l'opinion, en dénonçant la témérité aventureuse du ministère mais cela venait mal après tant de sommations et de défis d'agir, après tant d'accusations de timidité et de faiblesse[34]. Ces journaux trouvèrent plus commode de montrer notre gouvernement maudit par ceux qu'il disait défendre, accusé par eux de les sacrifier à la diplomatie de la Sainte-Alliance. Tout ce tapage néanmoins ne parvint pas à faire dévier de sa ligne le ministère français. Il imposa avec fermeté à ses protégés l'exécution des conditions convenues, assura le ravitaillement de ses troupes, que la malveillance des Belges avait un moment compromis, et s'occupa surtout de mener rapidement le siège, se fiant au temps pour avoir raison de l'ingratitude des uns et de la mauvaise foi des autres. Les opérations furent habilement conduites. Malgré la résistance courageuse des Hollandais, malgré les difficultés de la saison, malgré les limites parfois gênantes que la prudence diplomatique imposait à notre action, malgré les pronostics contraires de plus d'un spectateur, notamment de Wellington, la garnison fut bientôt à bout de forces, et, le 23 décembre, son commandant signait une capitulation.

Le but atteint, il fallait se presser de mettre fin à une situation qui n'eût pu se prolonger sans péril. Quatre cent mille soldats, français, hollandais, belges, prussiens, étaient réunis en effet dans ce petit coin de l'Europe, et le moindre accident eût amené un choc. Aussitôt donc, fidèle à ses engagements, sans se laisser entraîner par le maréchal Gérard qui voulait pousser plus avant, le gouvernement français fit remettre aux Belges la citadelle conquise, et notre armée reprit la route de France, saluée cette fois, avec reconnaissance, par ceux auxquels elle avait rendu un si grand service et qui finissaient par le comprendre. Tant de mesure succédant à tant de hardiesse, cette façon de rassurer l'Europe après l'avoir bravée, c'était bien la tradition de Périer. Dès le 19 novembre, M. de. Talleyrand avait écrit au duc de Broglie : Voici nos troupes en Belgique ; c'était là la question d'intérêt. Celle de retirer nos troupes, s'il ne survient pas de complications, peut se présenter prochainement ; ce sera alors une question d'honneur ; et je vous conjure de ne pas perdre de vue que celui du Roi, le vôtre et le mien y sont engagés. C'est sur ce terrain-là que la Prusse nous attend et que l'Europe nous jugera. Et plus tard, le 6 décembre, revenant sur cette nécessité de rappeler les troupes aussitôt que le siège serait terminé : C'est, disait-il, la branche d'olivier présentée à toute l'Europe. Le duc de Broglie pensait comme son ambassadeur et agit en conséquence. En somme, toute cette politique fut habilement et honnêtement conduite, et le même M. de Talleyrand avait le droit d'écrire au ministre, le 31 décembre : Voici une bonne fin d'année, dont nous pouvons réciproquement nous faire, je pense, de sincères compliments[35].

L'expédition d'Anvers avait profité aux Belges, d'abord en mettant entre leurs mains la position stratégique la plus importante de leur nouveau royaume, ensuite en leur prouvant que nous étions résolus à les protéger et que l'Europe était impuissante à nous en empêcher. Cependant, elle n'apporta pas encore la solution définitive de cette interminable question. Le roi de Hollande persista à ne pas adhérer au traité du 15 novembre 1831. Il perdait à ce refus car, si, contrairement à cette convention, il occupait encore deux fortins sur le bas Escaut, la Belgique était en possession du Limbourg et du Luxembourg qu'elle devait rendre le jour de la pleine exécution du traité. Mais ce prince obstiné guettait toujours la chance d'une guerre européenne et surtout d'une révolution en France il était convaincu que cette dernière ne pouvait lui échapper. Pour le moment, les efforts des gouvernements de Paris et de Londres ne parvinrent qu'à lui faire accepter, le 21 mai 1833, une convention stipulant la suspension des hostilités et la libre navigation de l'Escaut, jusqu'à la conclusion d'un traité définitif. Celui-ci ne sera signé qu'en 1838.

En dehors des avantages qu'en retira tout de suite et qu'en devait retirer plus tard la Belgique, l'expédition d'Anvers eut, pour la France elle-même, un résultat immédiat et considérable. Elle confirma au dehors l'effet qu'avait produit Casimir Périer, en envoyant une première armée en Belgique, en forçant l'entrée du Tage et en occupant Ancône. Bien plus, elle compléta cet effet il ne s'agissait plus, en effet, de coups de main rapides et restreints, mais d'une opération durant plusieurs semaines et mettant en branle un corps de soixante-dix mille hommes. Sous la Restauration, la guerre d'Espagne avait montré à l'Europe, qui en doutait, que la royauté, rétablie au milieu de l'invasion et de la défaite de la France, s'était refait une armée, qu'elle était en état et en volonté de s'en servir. L'expédition d'Anvers fut une démonstration analogue à l'adresse de cette même Europe qui était disposée a considérer avec dédain et scepticisme la force militaire d'un gouvernement né sur des barricades.

 

VIII

En gardant en prison la duchesse de Berry, le ministère s'était mis sur les bras une affaire à la fois plus embarrassante et moins honorable. On se rappelle qu'une note, insérée au Moniteur, avait annoncé qu'un projet de loi serait présenté aux Chambres pour statuer relativement à cette princesse. Mais il fut tout de suite visible que la Chambre, fort divisée et fort agitée sur cette question, ne serait pas en état de la résoudre. Le ministère dut renoncer à la loi annoncée et décider de lui-même les mesures qu'il jugeait nécessaires, sauf à demander à la majorité une approbation plus ou moins explicite. Bientôt, d'ailleurs, une occasion se présenta de voir dans quelle mesure cette approbation lui serait accordée. Le 5 janvier 1833, la Chambre fut appelée à se prononcer sur diverses pétitions relatives la duchesse de Berry ; le rapport concluait à passer à l'ordre du jour, par le motif que, les mesures à prendre devant être déterminées par des considérations de sûreté publique et d'ordre intérieur, il fallait que le gouvernement restât maître d'agir ainsi qu'il l'entendrait et sous sa responsabilité. Le ministère, qui savait ne pouvoir obtenir du Parlement un appui pins formel, voulut au moins profiter de ce débat pour exposer avec netteté sa conduite et sa doctrine en cette pénible affaire. Il proclama hautement que les lois de droit commun n'étaient pas applicables, et développa avec force les raisons pour lesquelles une mise en jugement serait inconvenante et périlleuse. Dans les circonstances où l'on se trouvait, il regardait la duchesse de Berry comme une ennemie, contre laquelle le gouvernement avait le droit de se défendre et qu'il pouvait retenir en prison, tant que la sécurité de l'État l'exigerait. C'était, il ne le niait pas, sortir de la !égalité mais n'en était-on pas sorti déjà par la révolution ? Ce qu'il s'agissait de faire n'était que la continuation et la confirmation de cette révolution. Si la Chambre voulait prendre sur elle de régler les conditions de la captivité, rien de mieux ; si elle préférait laisser toute la responsabilité au ministère, celui-ci déclarait l'accepter, et il se tiendrait pour approuvé par le seul vote de l'ordre di jour pur et simple. C'était se montrer peu exigeant, et un tel vote était un fondement bien fragile et bien équivoque pour un pouvoir aussi arbitraire. Encore ne fut-il pas obtenu sans difficulté. Les orateurs de la gauche insistèrent pour l'application du droit commun et pour une poursuite devant le jury. M. Berryer porta un coup habile à la thèse du ministère, en se prononçant, comme lui, pour l'ordre du jour pur et simple : Ce sera reconnaître, dit-il, qu'on n'a pas le droit de juger celle dont on s'est emparé ce sera avouer qu'il y a là, non un coupable et un juge, mais deux principes en lutte celui du droit royal et celui de la révolution. Irritée par le défi de ce discours, la majorité tut fort tentée de se prononcer pour un procès criminel. Il fallut, pour la ramener, un grand effort oratoire de M. Thiers. Elle se décida alors à voter l'ordre du jour pur et simple proposé par la commission et accepté par le ministre ; mais il fut visible qu'elle le faisait d'assez triste humeur, sous la pression du cabinet, et qu'au fond il n'eût pas déplu à beaucoup de ses membres de voir une fille de roi forcée de s'asseoir sur les bancs de la cour d'assises.

Ce vote ne mit pas fin à l'agitation des esprits ; bien au contraire. La presse de gauche dénonça bruyamment ce triomphe de la raison d'État et de l'arbitraire, cette violation de l'égalité démocratique devant la loi. A droite, la tactique des uns, l'émotion des autres portèrent l'exaltation à son comble ; le ton des journaux royalistes se haussa à un diapason inouï de violence et d'audace ; ils n'avaient pas assez de sarcasmes dédaigneux pour ce gouvernement qui venait, disaient-ils, d'avouer ses illégalités et ses peurs ; ils s'indignaient du sort fait à la princesse, affectaient de redouter les plus sinistres desseins et sommaient les ministres de mettre aussitôt leur prisonnière en liberté, s'ils ne voulaient être soupçonnés d'attenter à sa vie. On signa des adresses à la mère du duc de Bordeaux on ouvrit des souscriptions pour lui constituer une liste civile ; on annonça une prochaine restauration. Madame, votre fils est mon Roi ! s'écriait Chateaubriand, dans une brochure alors fameuse, et des jeunes gens venaient, à grand bruit, féliciter l'écrivain royaliste et adhérer à sa déclaration ; tentait-on d'en poursuivre quelques-uns, le jury les acquittait. Sur ces entrefaites, un bruit étrange se répandit la duchesse de Berry, disait-on, était enceinte. Aussitôt à gauche, ricanement insultant des adversaires, tout affriandés à l'espoir de voir ce roman chevaleresque se terminer par un vulgaire scandale. A droite, fureur indignée des amis, ainsi désagréablement interrompus dans l'apothéose qu'ils avaient entreprise de l'héroïne de Vendée ; parti pris de ne pas croire à la nouvelle, où l'on ne voulait voir qu'une calomnie méchante du gouvernement. Des écrivains démocratiques s'étant permis à ce propos des plaisanteries malséantes, il s'ensuivit une série de cartels, et l'on put craindre un moment que ces duels n'aboutissent à une sorte de combat des Trente, entre républicains et royalistes. Vainement, avec le temps, la nouvelle de la grossesse se confirma-t-elle, vainement la duchesse elle-même, comme pour préparer l'opinion à une révélation inévitable, déclara-t-elle, le 22 février 1833, s'être mariée secrètement pendant son séjour en Italie, les plus ardents des légitimistes persistèrent à nier, et dénoncèrent là le premier acte d'un complot infâme qui devait aboutir à une supposition d'enfant et au meurtre de la princesse.

Celle-ci n'était pas la dernière à souffrir de ces dénégations inconsidérées dont l'injure retombait sur elle. Ils font maintenant beaucoup de bruit mal à propos, disait-elle non sans amertume, et ils ne sont pas venus, quand je les attendais. D'ailleurs, elle en avait alors fini avec son rêve à la Walter Scott ; la fièvre héroïque était tombée. Restait seulement la femme, la Napolitaine aimable, charmeuse, primesautière, fantasque, prompte aux curiosités frivoles ; plus faite pour le plaisir rapide que pour le long martyre ; plaisante et touchante, rarement imposante, dans ses alternatives de gaietés et de colères, dans ses mélanges imprévus de larmes et de calembours ; avant tout, affamée de liberté, de grand air, de soleil, la première à déclarer que son rôle était terminé et qu'elle avait assez de la politique[36].

Cette tournure prise par les événements, l'agitation crois- sante qui en résultait, n'étaient pas faites pour simplifier et embellir le rôle de geôlier dont le ministère s'était si imprudemment chargé. Les démentis, les soupçons et les défis injurieux des royalistes, la passion surexcitée de leurs adversaires, et aussi la tentation de ruiner moralement, par le scandale, une ennemie, acculaient peu à peu le gouvernement à cette triste entreprise, de rendre manifeste le déshonneur d'une femme, d'une princesse, d'une nièce de la Reine. Il lui fallut s'abaisser à une sorte d'inquisition et de police médicales, user d'autorité et de diplomatie, employer des médecins renommés et un brave général[37], pour obtenir l'aveu ou arriver à la constatation de cette grossesse. Et devant le refus de la princesse, si mobile en d'autres sujets, obstinée sur ce point, on fut amené à prolonger une détention aussi pénible et fâcheuse pour ceux qui l'imposaient que pour celle qui la subissait. Enfin survint l'accouchement, qui s'accomplit dans des conditions particulières de publicité. La veuve du duc de Berry fit à ce moment une révélation dont ses partisans ne furent pas les moins surpris ; elle déclara qu'elle était mariée au comte Hector Lucchesi Palli, gentilhomme de la chambre du Roi des Deux-Siciles, domicilié à Palerme. Cette déclaration ne mit pas un terme aux insinuations outrageantes des ennemis de la princesse, et, ce qui est plus étonnant, elle ne triompha pas de l'incrédulité bruyamment tenace de quelques-uns de ses amis. Ceux-ci nièrent l'accouchement comme ils avaient nié la grossesse ; une cinquantaine de royalistes, dont M. de Kergorlay, déposèrent au parquet, contre les ministres, une dénonciation pour cause de présomption légale du crime de supposition d'enfant.

L'épouse du comte Lucchesi n'était plus un adversaire dangereux aucune raison de la retenir davantage à Blaye. Les portes de la forteresse s'ouvrirent devant elle, le 8 juin 1833 ; elle fut embarquée sur un navire qui la transporta à Palerme. Elle n'était pas, du reste, au bout de ses peines désormais elle aura affaire non plus au gouvernement qu'elle avait voulu renverser, mais au parti et surtout à la famille royale qu'elle avait compromis et mortifiés ; de ce côté, on ne lui épargnera ni les sévérités ni les humiliations ; Charles X notamment ne lui pardonnera jamais ; définitivement séparée de ses enfants, c'est à peine si, après de pénibles pourparlers, elle obtiendra de les entrevoir et de les embrasser.

En France, c'était une affaire terminée. Le 10 juin, une ordonnance leva l'état de siège dans les départements de l'Ouest. Le même jour, s'ouvrit à la Chambre un débat où le ministère rendit compte de sa conduite. MM. Garnier-Pagès, Salverte et Mauguin contestèrent, au nom de la gauche, la légalité de l'emprisonnement comme de l'élargissement. M. Thiers reconnut hautement qu'on s'était placé en dehors des lois, et mit ses contradicteurs au défi de le faire blâmer par la Chambre. Personne n'osa relever ce dé6. Néanmoins, cette fois encore, la majorité ne s'engagea pas au delà du vote de l'ordre du jour pur et simple ; elle persistait à laisser toute la responsabilité au gouvernement.

On conçoit, du reste, que chacun fût plus empressé de décliner que de revendiquer cette responsabilité. Le Roi, qui avait, dès le début, regretté l'emprisonnement, ne manquait pas une occasion de bien marquer qu'en toute cette affaire il avait dû laisser carte blanche à ses ministres. Cette préoccupation avait apparu, plus d'une fois, dans ses entretiens avec les ambassadeurs étrangers ou avec certains amis de la duchesse de Berry, comme M. de Choulot. Nous la retrouvons surtout dans une conversation fort curieuse, récemment publiée. Au cours de la captivité, le docteur Ménière, qui avait été attaché par le ministère à la personne de la prisonnière, fut mandé aux Tuileries. Louis-Philippe lui parla longuement ; faisant allusion aux reproches que M. Ménière devait entendre de la bouche de la princesse, il lui dit : Répondez-lui, monsieur, et ce sera la vérité, que le Roi a complètement ignoré l'infamie de Deutz, que l'arrestation de Nantes, qui en était la conséquence, n'a été soumise au cabinet que quand elle a été consommée, et qu'alors le conseil des ministres a décidé à l'unanimité qu'il fallait laisser son cours à la justice. J'ai eu la main forcée ; j'ai dû céder à des résolutions mûrement arrêtées ; il a fallu résister aux prières de la Reine, faire taire la voix du sang, l'intérêt de la parenté, et tout cela, parce qu'un ministre l'a voulu. Aucune considération personnelle n'a pu entrer en balance contre cette impérieuse nécessité de ruiner un grand parti politique, de rendre la duchesse de Berry impossible, et j'ai dû laisser faire ce que je ne pouvais pas empêcher. Dites-lui bien que la Reine a prié, supplié, que la tante s'est montrée une véritable mère dans cette triste circonstance... En prononçant ces paroles, Louis-Philippe paraissait très-ému ; sa voix altérée indiquait la profondeur du sentiment qui l'agitait. Il reprit : Si madame la duchesse de Berry m'accusait personnellement de n'avoir suivi à son égard que les seules inspirations de mon intérêt, vous pourriez lui rappeler que des personnes qui possèdent sa confiance lui ont dit de ma part quels dangers elle courait en restant en Vendée... Je l'ai fait prévenir, à diverses reprises, des périls de sa situation, je l'ai averti de la possibilité d'une arrestation et des fâcheuses conséquences qui pouvaient en résulter pour elle... Par quelle fatalité s'est-elle obstinée à rester en France, lorsqu'il lui était si facile de partir ?... Les événements ont trop prouvé qu'elle était retenue à Nantes ou aux environs de cette ville par un motif tout-puissant sur son esprit, et c'est là un malheur irréparable. Puis, insistant sur ce qu'il n'avait pu résister à ses ministres, lorsqu'ils invoquaient la raison d'État : Vous lui direz encore que, par le temps qui court, quand l'émeute est dans la rue, quand des assassins à gages se relayent pour me tuer, quand la guerre civile est à peine assoupie dans la Vendée et que la presse la plus ardente enflamme toutes les passions populaires, la position d'un roi constitutionnel est à peine tenable, et qu'en vérité je serais parfois tenté de quitter la partie et de mettre la clef sous la porte[38].

Que valait donc au fond cette raison d'État que les ministres invoquaient et à laquelle le Roi s'était cru contraint de céder ? Sans doute, on avait ainsi tué politiquement une princesse entreprenante, la seule qui, dans sa famille, pût rêver de guerre civile ; on avait porté un coup et surtout infligé une cruelle mortification à une dynastie rivale et à un parti ennemi. Mais n'était-ce pas acheté bien cher ? Était-il habile de blesser à ce point les royalistes, de provoquer chez eux d'aussi implacables ressentiments, et d'affronter le genre de reproches auxquels un tel acte devait. donner lieu ? A l'heure où le respect de la royauté se trouvait déjà si ébranlé, était-il prudent d'y porter une nouvelle atteinte, en livrant à la malignité, à l'insolence et au mépris publics les faiblesses d'une princesse royale ? S'imaginait-on que ce qui était retranché ainsi à la dignité de la branche aînée était ajouté à celle de la branche cadette ? N'était-ce pas plutôt une perte pour la cause monarchique elle-même, sous toutes ses formes ; une diminution du trésor commun de prestige et d'honneur, également nécessaire à toutes. les dynasties ? N'était-ce pas en un mot, de la part des hommes de 1830, une faute analogue à celle que commettaient les légitimistes, quand ils tramaient dans la boue Louis-Philippe, sans comprendre que toute royauté était par là rabaissée ? Parmi les amis les plus dévoués du gouvernement de Juillet, quelques-uns avaient, dès cette époque, le sentiment de cette faute : Le gouvernement, dit le général de Ségur dans ses Mémoires, abusa déplorablement de sa victoire ; je veux parler de cette espèce d'exposition publique, de ce cruel pilori, où fut attaché la malheureuse princesse prisonnière. Je ne fus sans doute pas le seul à faire trop inutilement observer que cette atteinte, portée à l'honneur d'un sang royal et à son propre sang, rejaillirait sur soi-même et sur tous les trônes ; qu'elle irriterait toutes les cours, et achèverait de détruire, dans les peuples, un reste de respect si nécessaire à conserver. L'un des ministres d'alors, M. Guizot, revenant plus tard sur ces événements, a raconté comment le Roi avait été d'avis qu'on se bornât à reconduire tout de suite la duchesse de Berry hors de France ; puis il a ajouté : La méfiance est le fléau des révolutions ; elle hébété les peuples, même quand elle ne leur fait plus commettre des crimes. Pas plus que mes collègues, je ne jugeai possible, en 1833, de ne pas retenir madame la duchesse de Berry. Des esprits grossiers ou légers ont pu croire que les incidents de sa captivité avaient tourné au profit de la monarchie de 1830 ; je suis convaincu qu'on aurait bien mieux servi cette monarchie en agissant avec une hardiesse généreuse, et que tous, pays, Chambres et cabinet, nous aurions fait acte de sage comme de grande politique, en nous associant au désir impuissant, mais clairvoyant, du Roi.

 

IX

La déconfiture de la duchesse de Berry marqua, pour les royalistes, la fin de la politique de coups de main. Force leur était bien de se rabattre désormais sur l'autre politique, jusqu'alors un peu dédaignée, sur celle qui cherchait à agir par la presse et le Parlement. La déception était dure pour les ardents et les impatients. Au moins eurent-ils la consolation d'avoir, pour soutenir à la tribune cette lutte sans espoir prochain, un homme dont l'éloquence apporta à leur amour-propre de parti des satisfactions égales à celles qu'ils avaient rêve de trouver par des exploits à main armée. Cet orateur n'était pas un gentilhomme voué par sa naissance à servir sous le drapeau fleurdelysé c'était un fils de la bourgeoisie, tout comme les Dupin, les Guizot et les Thiers. Nouveau venu dans la politique active, il s'engageait volontairement au service d'une cause vaincue, sans en avoir retiré aucun profit personnel alors qu'elle était victorieuse. Chacun a nommé Berryer.

Il était éloquent rien qu'à être vu une tète admirable, noblement portée, avec je ne sais quoi de doux, de fort, de charmant et de dominateur ; le front large et découvert ; les yeux expressifs ; la puissance du buste et la carrure des épaules se dessinant, non sans une coquetterie virile, dans le gilet blanc et l'habit bleu à boutons d'or ; en tout son être, un mélange de vigueur et d'élégance, et surtout une abondance de vie qui s'épanchait sans effort. Ouvrait-il la bouche, il en sortait une voix, d'un timbre incomparable, qu'accompagnait un geste ample et superbe. Rarement homme avait reçu à un tel degré tous les dons physiques de l'orateur. Orateur, il l'était aussi par le mouvement irrésistible de la pensée, la vigueur de la dialectique, l'intelligence prompte à s'assimiler les questions les plus diverses, l'imprévu grandiose des inspirations, une prodigieuse faculté d'émouvoir et d'être ému, et cette sorte de flamme qui jaillissait soudainement, illuminant ou embrasant tout autour de lui.

Pour le rôle qu'il allait jouer sous la monarchie de Juillet, Berryer avait cet avantage de n'avoir pas été personnellement compromis dans le gouvernement précédent. Entré à la Chambre, au commencement de 1830[39], ses seuls actes de député avaient été alors de refuser le portefeuille que lui offrait M. de Polignac, et de combattre l'Adresse des 221. Auparavant il s'était renfermé dans sa profession d'avocat, déjà royaliste sans doute, mais accordant libéralement le secours de sa parole à des clients de toute opinion, ayant même débuté par être l'un des défenseurs du maréchal Ney. Quand on lui jettera à la face quelque faute de la Restauration : J'ai gardé entière, répondra-t-il, l'indépendance de ma vie ; je n'ai pris, envers mon pays, aucune responsabilité dans des actes funestes pour lui.

Dès le lendemain de la révolution, Berryer a marqué son attitude s'il ne se regardait pas comme délié de sa fidélité à la royauté déchue, il ne s'estimait pas non plus dégagé de ses devoirs envers le pays. Pas d'émigration à l'intérieur déclarait-il, c'est-à-dire pas d'abstention, pas d'isolement dans la conspiration ou même dans la bouderie. Quand la Chambre a constitué la monarchie nouvelle, il a protesté, mais.est resté dans le Parlement et n'a pas refusé le serment. Ce serment l'obligeait à répudier toute attaque illégale. Seulement, témoin d'une expérience dont il ne jugeait le succès ni possible ni désirable, il se croyait autorisé à en annoncer l'échec, à y aider même par tous les moyens de discussion que la loi mettait à sa disposition. Il se plaisait à placer la monarchie nouvelle en face de toutes ses faiblesses, de celles surtout qui venaient de son origine, triomphait de ses embarras et de ses contradictions, la poussait, l'acculait aux conséquences les plus extrêmes et les plus périlleuses de son principe, lui refusait les moyens et le droit de limiter et de combattre la révolution d'où elle était née. Lois diverses, questions intérieures ou extérieures, malaises ou crises, tout lui servait à reprendre sans cesse cette critique implacable, dont le dessein était de montrer la royauté de Juillet impuissante pour l'ordre, pour la paix et pour l'honneur, et dont la conclusion logique et avouée devait être un changement de gouvernement. Comment cette conduite se conciliait avec le serment, c'est une question de casuistique dans laquelle nous n'avons garde d'entrer. Le terrain, en tout cas, était singulièrement étroit et glissant, et il fallait au député royaliste toute la souplesse et aussi toute la noblesse de sa parole, pour y garder son équilibre et sa dignité d'attitude.

Dans l'attaque, Berryer apporta cette passion sans laquelle il n'y a pas d'orateur, ses invectives étaient parfois terribles, son mépris plus terrible encore. Et cependant, on ne peut pas dire qu'il ait eu rien des haines enfiellées, mesquines, méchantes, qui marquent trop souvent l'esprit de parti. Tout en lui y répugnait la cordialité ouverte, largement sympathique, la bonté aimable et simple de son caractère ; la liberté de son intelligence, naturellement dégagée des illusions de coterie, des superstitions et des préventions de secte ; les habitudes de l'avocat, avant appris à demeurer le camarade de ceux qu'il venait de combattre à la barre les goûts du dilettante, de l'homme du monde fort répandu dans les sociétés les plus diverses et trouvant plaisir à y être aimé et admiré. On était presque étonné parfois de ses rapports personnels avec ses adversaires de tribune. Non-seulement beaucoup de républicains se vantaient de son amitié, mais il était au mieux avec des partisans de la monarchie de Juillet, comme M. Dupin et M. Odilon Barrot, tutoyait à mi-voix les ministres qu'il combattait tout haut, et déjeunait familièrement chez M. Thiers, au lendemain des affaires de la duchesse de Berry.

Sans jamais abjurer et même en confessant très-haut sa croyance politique, Berryer faisait effort, chaque fois qu'il prenait la parole, pour sortir des thèses particulières à son parti. Par goût et par tactique, il cherchait à devenir, sinon le chef, du moins l'orateur de l'opposition entière ; il y parvenait souvent : fait remarquable quand on se rappelle qu'il représentait les vaincus de 1830. Son secret était de se montrer très-libéral à l'intérieur, très national dans les questions extérieures[40]. Il manquait souvent de mesure, de justice, comme toutes les oppositions exigeait ce que lui-même n'eût pas fait au pouvoir ; ne tenait pas compte des difficultés et des nécessités de la situation mais il trouvait, pour parler de liberté ou de patriotisme, une sincérité et une chaleur d'accent qui remuaient les esprits d'ordinaire le plus éloignés de lui. Ainsi s'expliquent l'éclat et l'étendue de son succès. Nul orateur n'était moins contesté parmi les gens de toute opinion ; la mode était même alors de le porter très-haut. Devait-il parler, les tribunes de la Chambre étaient garnies d'un triple rang de femmes élégantes. Souvent, après ses discours, quand il se laissait tomber sur son siège, accablé et frémissant encore, de tous les bancs, ses collègues venaient à lui, lui serraient la main ; certains même l'embrassaient, comme fit un jour le général Jacqueminot. A le voir ainsi entouré, un étranger eût pu le prendre pour le leader de la majorité. Le royalisme était-il donc redevenu populaire dans le Parlement ? Non, c'était le succès de l'orateur, tenant à la rare adresse avec laquelle, sans répudier sa note particulière, il s'était placé sur le terrain commun à toute l'opposition ; on faisait même ce succès d'autant plus vif qu'on croyait son parti moins en état d'en tirer profit. Si, au lieu des applaudissements et des poignées de main qu'on lui prodiguait, Berryer avait demandé des votes pour sa cause, il eût vu alors à quel point celle-ci était toujours vaincue. Il était du reste trop clairvoyant pour se leurrer d'illusions. S'il y a quelque chance, dira-t-il à Lamartine en 1838, elle n'est plus à vue d'homme ; elle est à un horizon inconnu.

Toutefois, si personnels qu'ils fussent à Berryer, ce succès et cette popularité n'étaient pas a dédaigner pour la cause royaliste. Il y avait là de quoi consoler un parti, de sa nature, plus affamé d'honneur que de pouvoir réel. Et puis, en arborant ainsi le drapeau de la liberté ou du patriotisme, en flattant les aspirations généreuses du pays, l'orateur de la droite ne s'associait pas seulement à la tactique commune de l'opposition ; il dégageait hardiment ses propres amis de certains souvenirs compromettants d'ancien régime ou d'invasion étrangère ; il les amenait peu à peu sur le seul terrain où ils pussent retrouver, pour le moment, une part d'influence dans les affaires publiques, et préparer, pour l'avenir, un retour de fortune. Cela valait mieux que de courir l'aventure d'une nouvelle guerre de Vendée, ou de prendre à rebours les idées de la France moderne comme s'y appliquait alors l'entourage du vieux roi Charles X. Si, après le 24 février 1848, les légitimistes ont fait si brillante figure et occupé si grande place dans les assemblées républicaines, ils le doivent surtout à l'attitude que Berryer leur avait fait prendre depuis 1830. Peut-être même leur succès eût-il été plus complet, s'ils avaient mieux suivi son exemple et ses conseils. Mais le grand royaliste, qui n'était guère contesté dans les autres partis, l'était parfois dans une fraction du sien. L'éclat extérieur de son rôle et la prépondérance de son talent ne le garantissaient pas contre toutes sortes de contradictions de suspicions d'attaques intérieures. Les violents d'extrême droite étaient loin d'avoir désarmé ; et ils manœuvraient, trop souvent avec quelque succès, pour entraver les efforts de celui contre lequel ils croyaient avoir tout dit, quand ils l'avaient traité de parlementaire. Triste histoire, souvent répétée, que celle de ces divisions et de ces déchirements, au sein d'une opinion vaincue. C'est la vue de ces misères qui, dès 1833, faisait écrire à madame Swetchine : Il me paraît bien singulier que la division ne soit, pas un de ces tributs dont se rachète la mauvaise fortune. Comment l'instinct seul ne fait-il pas devenir compactes ceux qui n'ont pour eux ni le nombre, ni l'action, ni le pouvoir ? Ah ! comme me disait un homme d'esprit, si M. le duc de Bordeaux n'avait en France que des ennemis..... Il y a longtemps que je regarde les partis en eux-mêmes comme les plus grands obstacles au triomphe du principe qu'ils servent.

 

X

Ces mêmes événements de Vendée et de Blaye, qui grandissaient le rôle de Berryer, amenèrent la retraite volontaire d'un royaliste plus illustre et plus populaire encore, qui naguère semblait mener la bataille de presse contre la monarchie de Juillet. Chateaubriand avait désapprouvé l'entreprise de la duchesse de Berry. Mais, à la vue de la princesse vaincue, captive, il avait cru que l'honneur t'obligeait à la défendre, et avait lancé une brochure toute vibrante des émotions et des colères de son parti. Plus tard, la prisonnière libérée, il travailla a un rapprochement entre le vieux Roi trop immobile et sa trop mobile belle-fille ; il intervint dans les discussions intestines, dans les rivalités d'école et de coterie qui éclatèrent alors, dans le sein et autour de la famille royale, au sujet de l'éducation du duc de Bordeaux, de la fixation et des conséquences de sa majorité misères de l'exil que les Mémoires d'outre-tombe n'ont parfois que trop cruellement divulguées. Est-ce dégoût de ces misères, tristesse de voir ses conseils repoussés[41], mortification de n'avoir pu davantage ébranler la monarchie nouvelle qu'il s'était flatté de jeter bas avec sa plume ? ou bien, est-ce une forme de ce malaise dont ont été atteints presque tous les hommes de lettres de notre temps, et auquel échappait la nature de Berryer, plus agissante et moins pensante, plus simple et moins sensible ? Quoi qu'il en soit, à partir de ce moment, Chateaubriand va se tenir à l'écart. Désormais, plus de ces retentissantes brochures qui étaient à elles seules des événements, plus de ces démarches éclatantes où il apparaissait à la tête de l'armée royaliste. A peine sortira-t-il de cette immobilité, pour prendre part, en 1843, au pèlerinage de Belgrave Square.

Au fond, il n'est pas adouci à l'égard du régime de Juillet ; mais il est plus calme, par lassitude et découragement. Il est toujours fidèle à la vieille royauté, mais d'une fidélité dédaigneuse, insolente parfois ; aussi a-t-on pu le comparer à ces femmes acariâtres qui, sous prétexte qu'elles ne trompent pas leur mari, se croient le droit de lui dire qu'elles ne l'aiment pas[42]. A vrai dire, il est moins fidèle à son roi qu'à lui-même, moins préoccupé de servir une cause que de maintenir l'unité morale et en quelque sorte esthétique de sa vie. Plus que jamais il craint de paraitre dupe de ses clients et de ses principes désabusé, sans cesser d'être fidèle, dit-il de lui-même. Après avoir remué tous les cœurs royalistes par son apostrophe fameuse à la duchesse de Berry : Madame ! votre fils est mon roi ! il s'étonne que ce soit lui qui ait poussé ce cri ; car, dit-il, je crois moins au retour de Henri V que le plus misérable juste-milieu ou le plus violent républicain. Malheureusement, c'est souvent aux pires adversaires de la royauté, ou même à l'héritier des Bonaparte, qu'il fait confidence de son absence de foi et d'espérance[43]. Il y mêle, avec une sorte de complaisance, des généralités démocratiques et presque des prophéties républicaines. C'est sa manière de quêter, pour lui-même, une popularité qu'il n'attend plus pour sa cause. Lui, parfois si amer, si hautain si susceptible avec ses amis politiques, il est aux petits soins avec Béranger et Carrel. Et en même temps, dans cette âme mobile comme sont celles des grands artistes, se produisent, à l'improviste, des attendrissements qui percent ce masque de scepticisme Je viens de recevoir la récompense de toute ma vie, écrira-t-il à madame Récamier le 29 novembre 1843 ; le prince a daigné parler de moi, au milieu d'une foule de Français, avec une effusion digne de sa jeunesse. Si je savais raconter, je vous raconterais cela ; mais je suis là à pleurer comme une bête. Néanmoins, c'est le découragement qui domine. Son dernier mot est toujours de se proclamer a sans foi dans les rois comme dans les peuples il ne croit plus à la politique et rit des hommes d'esprit qui prennent tout ce qui se passe au sérieux.

Ainsi désabusé de la politique, le grand écrivain ne sait pas se réfugier dans les lettres pour leur demander la paix de son esprit et la revanche de son ambition. La fatigue a gagné chez lui jusqu'à l'artiste. Dès 1832, il disait à Augustin Thierry : Je suis las, je suis encore plus dégoûté. Je n'écrirais plus si ma misère ne m'y forçait. Ajoutez, à mesure que les années s'accumulent sur sa tête le regret, le dépit, presque la honte de vieillir. On dirait de ces coquettes qui ont mis tout l'intérêt de leur vie dans leurs succès de jeunesse. Don Diègue ne s'est pas écrié d'un accent plus désespéré : Ô vieillesse ennemie ! Ce sentiment ne sera pas pour peu dans le pessimisme amer de ses Mémoires. Seule, l'amitié ingénieuse et délicate de madame Récamier parviendra à lui apporter un peu de douceur et de distraction. Mais jamais il ne reprendra part ou seulement intérêt aux événements publics. Cette vie naguère si agitée, si retentissante, si mêlée à tous les mouvements et à tous les bruits du siècle, se terminera dans une immobilité chagrine, dans un silence altier, encore enveloppée, sans doute, pour ceux qui la regarderont de loin, d'une vapeur glorieuse, mais de celle qu'on voit d'ordinaire plutôt autour des morts que des vivants. Quand, en 1848, on viendra annoncer la chute de la monarchie de Juillet à celui qui l'avait, au début, tant haïe et tant attaquée, il se bornera a répondre d'un ton indifférent : C'est bien, cela devait arriver.

 

XI

La session de 1832, ouverte le 19 novembre, se prolongea jusqu'au 25 avril de l'année suivante ; celle de 1833 lui succéda sans interruption, et dura jusqu'au 26 juin. Toutes deux furent relativement calmes. En dehors de l'Adresse et des discussions soulevées, à deux reprises, sur la duchesse de Berry, aucun de ces grands débats politiques où les partis se rencontrent et se mesurent. Le ministère restait en possession de sa majorité ; il s'en croyait même assez sûr, pour défier parfois l'opposition par des actes d'autorité à la Casimir Périer[44] : telle fut la brusque destitution de M. Dubois, inspecteur général de l'Université, et de M. Baude, conseiller d'État, tous deux coupables d'avoir pris, comme députés, une attitude hostile à l'un des projets du gouvernement.

L'absence de débats purement politiques permit aux Chambres de voter des lois organiques qui donnaient satisfaction aux besoins permanents du pays. Plusieurs de ces lois sont encore en vigueur, ou tout au moins ont posé des principes qui, depuis lors, ont subsisté dans notre législation loi sur l'organisation des conseils généraux et des conseils d'arrondissement, mettant en œuvre le régime électif, étendu, depuis 1830, à l'administration départementale ; loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, assurant à la propriété la garantie d'une indemnité fixée par jury, et à l'État les pouvoirs qui seuls lui permettront d'entreprendre les grands travaux nécessités par la transformation économique de la société ; loi sur la police du routage ; et surtout loi du 28 juin 1833, sur l'instruction primaire, qui, en organisant l'école publique et en donnant la liberté à l'école privée, a marqué l'une des dates les plus importantes de l'histoire de l'enseignement populaire en France. Une réforme fut introduite dans la présentation du budget pour mettre fin au régime des crédits provisoires. M. Thiers fit adopter un plan de travaux publics qui comportait une dépense de cent millions, répartie en cinq ans, sans recours à l'emprunt ; un tel chiffre paraissait alors hardi[45]. Des ordonnances, préparées par le duc de Broglie, réorganisèrent nos établissements consulaires. Partout, en somme, activité féconde des ministres et du Parlement, qui avaient enfin le loisir de faire les affaires du pays, au lieu de dépenser toutes leurs forces et tout leur temps à défendre, contre des attaques incessantes, l'ordre public, l'existence du gouvernement ou de la société.

Nous savons moins de gré au cabinet et aux Chambres de certaines décisions qui étaient un dernier tribut payé aux révolutionnaires tels l'adoption définitive de la loi abolissant le deuil du 21 janvier, le vote nouveau de la Chambre en faveur du divorce, et la loi accordant des pensions aux vainqueurs de la Bastille. A ce dernier propos, que de banalités et de sophismes furent débités sur la vulgaire et sanglante émeute du 14 juillet ! et, signe du temps, ils le furent non-seulement par La Fayette, mais par le ministre de l'intérieur, M. d'Argout, et par M. Villemain[46]. M. Guizot a confessé et regretté plus tard les concessions fâcheuses qu'en ces diverses circonstances le ministère avait faites, par ses actes ou par son silence, à l'esprit révolutionnaire[47].

Quoi qu'il en fût de ces faiblesses, à voir les choses dans leur ensemble, il était manifeste, vers la fin de la session de 1833, que le gouvernement marchait bien, que le pays était calme et prospère. La presse ministérielle triomphait, avec quelque fierté. De l'aveu de tout le monde, disait le Journal des Débats du 8 juin 1833, jamais le commerce n'a été plus florissant ; le travail abonde ; la misère, entretenue, pendant près de deux années, par les entreprises désespérées des factions, a disparu..... Voyez si le temps ne s'est pas chargé de donner d'insultants démentis à toutes les prophéties de l'opposition. Cette année qui a vu mourir les émeutes, a vu aussi tomber les dernières chances d'une guerre européenne. A l'intérieur, vous rappelez-vous les effrayantes malédictions dont fut salué le ministère du 11 octobre ?..... La majorité, qui voyait bien que c'était son propre système qu'on cherchait à lui faire abandonner, est restée parfaitement unie au gouvernement. Nous avons eu deux sessions beaucoup plus paisibles que les précédentes..... Qui s'est dissous ? L'opposition. Dans la Chambre, dans les journaux, nous avons vu l'opposition mal faite éclater en mille pièces. Et, quelques jours plus tard, le 26 juin : Les Chambres laisseront le pays, non plus comme l'année dernière, inquiet et à la veille d'une secousse violente, mais calme, en pleine prospérité et commençant à avoir foi dans son avenir. Ce que les amis du ministère notaient avec le plus d'orgueil, c'est qu'il n'y avait plus de ces séditions, naguère encore presque permanentes. Voici, s'écriait le Journal des Débats, une année passée sans désordres et sans émeutes ! Et M. Guizot se croyait fondé à dire, du haut de la tribune : Les émeutes sont mortes, les clubs sont morts, la propagande révolutionnaire est morte ; l'esprit révolutionnaire, cet esprit de guerre aveugle, qui semblait s'être emparé un moment de toute la nation, est mort[48]. M. Thiers n'était pas moins satisfait et il écrivait à M. de Barante, le 22 octobre 1833 : Nous sommes unis, très-chaudement secondés par le Roi, admis par les Chambres, et nous attendons[49].

Courbatu comme un malade au sortir d'un long accès de fièvre, le pays jouissait d'un repos qu'il n'avait pas connu depuis trois ans. Les Français à d'autres époques, si vite impatients, si facilement ennuyés des gouvernements qui ne leur assurent que ce repos en sentaient tant alors le besoin, qu'ils désiraient presque le silence et l'immobilité. Bien changés depuis la Restauration ils semblaient plus las que curieux de la politique. M. de Rémusat écrivait à M. Guizot, après avoir parcouru plusieurs provinces : On jouit réellement de la tranquillité et de la prospérité renaissantes. Pour le moment, il n'y a, je vous en réponds, nul souci à prendre de satisfaire les imaginations et de captiver les esprits. Le repos leur est une chose nouvelle qui leur suffit. Le Journal des Débats ne craignait pas de constater publiquement cette fatigue de la politique Il est évident, disait-il, pour quiconque sait et veut observer, que notre fièvre politique commence à se calmer. Il y a un dégoût des longues discussions, un rassasiement de lois et de théories gouvernementales, que tout le monde éprouve plus ou moins. Je ne sais trop ce que l'on pourrait imaginer pour émouvoir et remuer le public, tant il parait affermi dans son indifférence. Jamais session ne l'a trouvé plus calme et plus froid. La feuille ministérielle reprochait même au cabinet de Fatiguer n l'esprit public, en déposant trop de projets. Et elle ajoutait : L'opposition elle-même cache-t-elle sa lassitude ? La violence n'est plus que dans quelques journaux. Là, j'en conviens, le feu sacré brûle encore ; encore est-il facile de reconnaitre, au mal que se donne la presse pour être violente, à la surabondance des épithètes injurieuses, que la violence est dans les mots et non dans le cœur. Cela ne coule plus de source, comme il y a un an[50]. Vers la même époque, M. de Barante constatait dans l'opinion le dégoût de toute discussion, le besoin de repos, la répugnance pour tout ce qui est vif et bruyant puis il ajoutait : La Chambre s'ennuie de l'opposition et d'elle-même aussi[51].

Le pays entrait-il donc définitivement en possession de ce repos tant désiré ? Les émeutes étaient-elles aussi a mortes que le proclamaient M. Guizot ou le Journal des Débats ? Hélas ! l'événement devait bientôt donner un démenti à cette trop prompte satisfaction. Au moment même où la session de 1833 se termine dans ces illusions, l'agitation révolutionnaire recommence, à l'occasion des préparatifs des fêtes de Juillet ; les émeutes paraissent imminentes ; le gouvernement et les Chambres vont être contraints de nouveau de se vouer principalement à la lutte contre le désordre, lutte plus violente que jamais et qui les absorbera encore pendant trois années.

 

 

 



[1] C'est, a écrit M. de Cormenin, une espèce de paysan du Danube qui a chausse tes talons rouges... Il est gauche à la cour et malappris. Il y offense, par ses lazzi, de princières susceptibilités. Les excursions de sa faconde importunent. Mais on ne t'empêche pas de courir à travers plaine, parce qu'on sait qu'il revient au g !te et se laisse prendre facilement par les deux oreilles. Dupin est le plus rustre des courtisans et le plus courtisan des rustres. JI ne faut pas s'y tromper les courtisans de cette espèce ne sont pas les moins maniables. Le dessus de l'écorce est rude au toucher, mais le dessous en est lisse. (Livre des orateurs, t. II, p. 85.)

[2] Mémoires de M. Dupin, t. II, p. 441.

[3] Article du 25 décembre 1832.

[4] Où trouver d'ailleurs des natures plus dissemblables que celles de M. Guizot et de M. Dupin ? Pour se rendre compte de cette dissemblance, il suffit de comparer les Mémoires des deux hommes. On connaît ceux de M. Guizot, moins confidences personnelles qu'histoire générale, regardée et racontée de haut. Les Mémoires de M. Dupin, plats et insipides, sans une vue large et élevée, ne sont en réalité qu'une série de petites notes, classées dans l'ordre chronologique, toutes rédigées au point de vue le plus mesquinement personnel, et coupées par les citations, soigneusement colligées, des articles de journaux où l'on avait fait l'éloge des discours et même des raouts de l'auteur.

[5] Quelques semaines plus tard, M. Thiers, racontant ces pourparlers ministériels, écrivait au général Bugeaud : Le Roi avait songé non à moi, non à M. Guizot, mais à M. Dupin seul. M. Dupin a voulu être chef absolu, faire et défaire à sa volonté, et surtout s'allier à la gauche, sous prétexte de transiger avec ses chefs les plus modérés. (Cité par M. D'IDEVILLE, dans son livre sur le Maréchal Bugeaud.)

[6] GUIZOT, Mémoires, t. II, p. 359-360.

[7] Lettre du 28 mai 1832. (Papiers inédits.)

[8] M. de Barante, vers cette époque, écrivait de Turin à M. Guizot : Vous avez contre vous cette fièvre d'égalité et d'envie, maladie endémique après nos révolutions. La Chambre m'en parait envahie comme le public. Les succès qu'elle-même accorde sont presque un titre à sa malveillance. Vous êtes en butte à de violentes préventions populaires. Après les révolutions, il se manifeste, dans notre pays de vanité, une horreur des supériorités qui n'a plus d'aliment qu'en s'attaquant aux supériorités de l'esprit. (Lettres du 8 et 19 octobre 1832.)

[9] Souvenirs du feu duc de Broglie.

[10] Le duc de Broglie, comme il l'a dit lui-même, se tenait à distance et hors de portée de la cour, n'ayant nul goût pour cette faveur d'ancien régime dont toute restauration se trouve nécessairement assaisonnée mais ne se tenait pas à moindre distance, malgré ses liaisons politiques et domestiques, de tout complot républicain ou bonapartiste. Et il ajoutait : Le roi d'Angleterre, Charles Ier écrivait, dit-on, à la reine Henriette-Marie qu'il ne lui avait jamais été infidèle même en pensée ; autant en aurais-je pu dire aux Bourbons de la branche aînée, mais sous condition, bien entendu, qu'entre nous la fidélité serait réciproque. (Souvenirs.)

[11] Suivant de l'œil le cours précipite des événements, je ne me livrais pas aussi volontiers que bien d'autres à la perspective qui semblait s'ouvrir. La nécessité de traverser un état de transition révolutionnaire, et l'incertitude du résultat définitif, m'inspiraient plus de répugnance et d'anxiété que n'avait pour moi d'attrait l'espérance d'un état meilleur. (Souvenirs du feu duc de Broglie.)

[12] Souvenirs du feu duc de Broglie.

[13] Life, Letters and Journal of George Ticknor.

[14] Citons, par exemple, le beau portrait qu'en trace M. Guizot dans sa notice sur le duc de Broglie : Née dans l'ardent foyer de la vie et de la société de madame de Staël, sa fille en avait gardé la flamme, en l'unissant a la lumière céleste, et elle en était sortie comme un beau métal sort de la fournaise, aussi pur que brillant, et fait pour les plus saintes comme pour les plus éclatantes destinations. La beauté de sa figure était l'image de son âme noble et franche, digne avec abandon, fière sans dédain, expansive et bonne jusqu'à la sympathie, pleine de grâce comme la liberté dans les mouvements de sa personne comme de son esprit, rarement en repos, jamais en trouble intérieur créature du premier rang dans l'ordre intellectuel comme dans l'ordre moral, et en qui le don de plaire était le moindre de ceux qu'elle avait reçus de Dieu. Le duc de Broglie avait raison de porter à sa femme une affection si profonde et mêlée d'un tel respect qu'aucune parole ne le satisfaisait pour parler d'elle. Je suis tenté d'éprouver le même sentiment.

[15] Journal des Débats du 22 septembre 1832.

[16] Lettre au général Bugeaud, du 12 octobre 1832.

[17] Lettre du 12 octobre 1832. (Papiers inédits.)

[18] 6 novembre 1832.

[19] Le 11 octobre, jour même de la formation du ministère, l'ordonnance de convocation avait été publiée. A la même date, une autre ordonnance avait créé d'un coup soixante pairs. Une telle fournée n'était pas faite pour augmenter beaucoup l'autorité de la Chambre haute ; mais c'était la conséquence nécessaire de la révolution qui avait dépeuplé cette Chambre et en avait arrêté le recrutement héréditaire.

[20] Papiers inédits.

[21] Cité par M. HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, 1830-1870, t. I, p. 509.

[22] On a vu, disait M. de Metternich dans une de ses dépêches, l'Europe entière mise en feu par suite d'une excitation bien moindre que celle qui sera nécessairement produite par celle d'Anvers. (Mémoires, t. V, p. 298.)

[23] Metternich, Mémoires, t. V, p. 398, 408. Le chancelier d'Autriche en venait à regretter ouvertement que la Prusse n'eût pas étouffé l'insurrection belge dès le début, fût-ce au prix d'une guerre avec la France. (Ibid., p. 411, 412.)

[24] Metternich, Mémoires, t. V, p. 400, 401.

[25] Papiers inédits.

[26] M. Thiers se lassa, du reste, assez vite de ce rôle. Je ne veux pas, dit-il, être le Fouché de ce régime, et, dès le 31 décembre 1832, il passa au ministère des travaux publics et du commerce. Le ministère de l'intérieur, rentré en possession de ses attributions administratives, fut alors confié à M. d'Argout.

[27] Séance du 29 novembre 1832 et Journal des Débats du 14 novembre précédent.

[28] Sur ce point les témoignages abondent. Cf. notamment la Captivité de madame la duchesse de Berry, à Blaye, Journal du docteur Ménière, t. I, p. 187.

[29] M. de Metternich écrivait à son ambassadeur en France, le 30 octobre 1832 : Tout ce que veut le roi des Français, à l'égard de madame la duchesse de Berry, est d'accord avec ce que doit vouloir l'Empereur... Il faut la sauver malgré elle, et on ne peut la sauver qu'en la faisant sortir de France. Ce but une fois atteint, elle devra être remise à sa famille.

[30] Après une instruction laborieuse, on poursuivit de ce chef Bergeron, qui fut acquitté.

[31] Le Constitutionnel raillait les ministériels qui présentaient M. Dupin comme leur candidat : M. Dupin ! disait-il, l'orateur bourgeois, l'éloquent plébéien qui ne s'est pas jugé d'assez bonne maison pour entrer dans un cabinet doctrinaire. Et vous avez beau, messieurs les doctrinaires, vous accrocher au pan de son habit, il saura bien le secouer, de manière à vous faire lâcher prise. (13 novembre 1832.)

[32] M. Louis Blanc se plaignait précisément que l'expédition eût un caractère diplomatique au lieu d'être révolutionnaire. (Histoire de dix ans, t. III, p. 408.)

[33] Document inédits.

[34] Cf. sur ce sujet le Journal des Débats du 4 novembre 1833.

[35] Document inédits.

[36] Telle apparaît la captive de Blaye, dans les écrits des personnes qui l'ont approchée à cette époque, notamment dans le Journal, récemment publié, du docteur Ménière.

[37] Le commandement de la forteresse de Blaye et la garde de la duchesse de Berry avaient été confiés à un officier qui devait bientôt illustrer son nom par d'autres services, au général Bugeaud. Les journaux de droite voyaient alors en lui un geôlier barbare, une façon d'Hudson Lowe. Propos de parti. La vérité est que, dans une mission pénible que d'autres il est vrai, n'eussent peut-être pas acceptée, il fut droit et respectueux.

[38] La Captivité de madame la duchesse de Berry, à Blaye, Journal du docteur Ménière, t. I, p. 185.

[39] C'est à cette époque qu'il avait atteint l'âge de quarante ans, condition d'éligibilité sous la Restauration.

[40] Lui rappelait-on Louis XVIII, déclarant qu'il devait sa couronne, après Dieu, au prince régent d'Angleterre, il répliquait : Quelques paroles que l'on cite, fût-ce des paroles de roi, je ne les couvre pas de mon suffrage, j'en abjure la responsabilité. Un autre jour, il allait jusqu'à louer la Convention Je sépare complètement de toutes nos querelles, disait-il, tout ce qui est relatif à la position de la France a l'égard de l'étranger. En tous temps et sous tous les régimes, je crois que je n'aurais pas eu un autre sentiment, et, pour me montrer à vous tel que Dieu m'a fait, si je disais ici toute ma pensée, je rappellerais une époque d'horreurs, de crimes, une assemblée vouée par ses actes antérieurs à l'exécration des gens de bien, dont le souvenir soulève encore tout cœur d'homme eh bien ! je la remercie d'avoir sauvé l'Intégrité du territoire !

[41] Quelques années plus tard, en octobre 1836, il écrivait à la duchesse de Berry : J'ai été opposé à presque tout ce qui s'est fait... Henri V sort maintenant de l'enfance ; il va bientôt entrer dans le monde, avec une éducation qui ne lui a rien appris du siècle où nous vivons.

[42] Après tout, écrit-il, c'est une monarchie tombée ; il en tombera bien d'autres ! Nous ne lui devons que notre fidélité : elle l'a.

[43] Chateaubriand écrivait à Louis-Napoléon, le 19 mai 1832 : En défendant la cause de la légitimité, je ne me fais aucune illusion, mais je pense que tout homme, qui tient à l'estime publique, doit rester fidèle à ses serments.

[44] Le nom de Périer était toujours celui sous lequel s'abritaient les ministres. M. Guizot disait, le 6 mars 1833 : Quel est le système de l'administration actuelle ? C'est le système du J3 mars ; système, je me fais honneur de le dire, implanté dans cette Chambre par mon honorable et illustre ami, M. Casimir Périer.

[45] Une partie de ces travaux comprenait achèvement de l'arc de triomphe de l'Etoile, de la Madeleine, de la place de la Concorde et du Panthéon.

[46] M. Villemain dit, en cette occasion, à la Chambre des pairs : Toutes les Chambres des députés et la Chambre des pairs doivent se souvenir à jamais que c'est à de telles insurrections que nous devons tous l'honneur de siéger dans cette Assemblée. Ne médisons pas de ces grands souvenirs... Oui, sans doute, comme dans tous les grands événements, comme dans toutes les commotions politiques, des crimes, des attentats, des violences individuelles ont suivi le développement soudain et nécessaire de l'énergie nationale. Le crime a été à côté de la grandeur. C'est la force et la fatalité des révolutions. C'est parce qu'elles sont si terribles qu'elles doivent être rares...

[47] GUIZOT, Mémoires, t. III, p. 218, 219.

[48] Discours du 16 février 1833.

[49] Documents inédits.

[50] Journal des Débats du 20 décembre 1832 et du 8 juin 1833.

[51] Lettre du 18 décembre. (Documents inédits.)