HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE II. — LA POLITIQUE DE RÉSISTANCE (13 MARS 1831-22 FÉVRIER 1836) (suite)

 

CHAPITRE VIII. — L'ÉPILOGUE DU MINISTÈRE CASIMIR PÉRIER (MAI-OCTOBRE 1832).

 

 

I. On ne remplace pas Casimir Périer, tout en prétendant conserver son système. Y a-t-il velléité de réduire rétrospectivement le rôle de Périer ? Sentiments du Roi à cet égard. Son désir de Gouverner et de paraître gouverner. Il ne veut pas, du reste, faire fléchir la résistance. — II. Effet produit dans le gouvernement par la disparition de Périer. Reprise d'agitation dans le parti révolutionnaire. L'opposition parlementaire publie son compte rendu. — III. L'enterrement du général Lamarque, le 5 juin, est l'occasion d'une émeute. Energie de la répression. La lutte se prolonge le 6 juin. Victoire du gouvernement. Attitude des chefs du parti républicain, pendant ces deux journées. Démarche de MM. O. Barrot, Laffitte et Arago auprès de Louis-Philippe. — IV. Les journaux de gauche protègent les vaincus des 5 et 6 juin. L'ordonnance d'état de siège et les polémiques qu'elle soulève. Arrêt de la Cour de cassation. Retrait de l'ordonnance. — V. Les royalistes se soulèvent en Vendée, en même temps que les républicains à Paris. La presse légitimiste après 1830. Chateaubriand. M. de Genoude. Tentative d'union des opposants de droite et de gauche. Cette hostilité des royalistes nuisible à la fois au gouvernement de Juillet et à la cause légitimiste. — VI. Le parti d'action parmi les royalistes. Le complot des Prouvaires. Rêve d'une prise d'armes en Vendée et dans le Midi. La duchesse de Berry et Charles X. La duchesse prépare une expédition en France. Son débarquement. Elle échoue dans le Midi. Tentative de soulèvement en Vendée. Elle est aussitôt réprimée. — VII. La double victoire de la monarchie de Juillet sur les républicains et les légitimistes est complétée par la mort du duc de Reichstadt. L'autorité du ministère n'est pas cependant rétablie. Il paraît incapable de tirer parti de ses victoires. Même insuffisance pour la politique étrangère. Le cabinet n'est pas en mesure de se présenter devant les Chambres. Le Roi se résigne à un remaniement ministériel.

 

I

La mort de Casimir Périer laissait un vide immense dans le cabinet. L'embarras devait être grand de remplacer un tel chef de gouvernement. Chose étrange, on prit le parti de ne pas le remplacer du tout. Il se trouvait que tous les départements ministériels étaient pourvus. Dès la fin du mois d'avril, M. de Montalivet avait cédé le portefeuille de l'Instruction publique à M. Girod de l'Ain, pour prendre celui de l'Intérieur que Périer malade ne pouvait garder[1]. Celui-ci n'avait conservé que la présidence du conseil, rendue par son état de santé purement nominale. A sa mort, on ne prit aucune mesure nouvelle[2]. Privés du chef dont ils avaient été les agents dévoués, courageux, mais un peu effacés, les ministres n'avaient point, par eux seuls, grande autorité ni surtout une signification politique bien précise. D'opinion jusqu'alors un peu flottante ou mal connue, la plupart avaient commencé par être les collègues de M. Laffitte. Cependant la marque imprimée sur eux par la forte main de Périer était, pour ainsi dire, encore visible ; mort, il continuait à les dominer ; nul d'entre eux ne songeait à s'écarter, au dedans ou au dehors, de ce qu'on appelait, dans la langue du temps, le système du 13 mars[3]. Dès le premier jour, le Moniteur publia, sur ce point, les déclarations les plus formelles et les plus sincères. Que la France, veuve d'un grand citoyen, disait le journal officiel, sache bien qu'il n'y a rien de changé dans ses destinées politiques[4].

Pour mieux écarter toute crainte de revirement, le Moniteur indiquait que le système ne tenait pas à la personne du ministre qui venait de disparaître. Déjà, quelques jours auparavant, quand Périer n'était pas encore mort, le Journal des Débats, tout en se défendant de vouloir rabaisser les immenses services de ce ministre, avait dit[5] : C'est une erreur étrange que de s'obstiner a confondre le système et le ministère du 13 mars, comme si le système était né et devait s'éteindre avec tel ou tel homme... M. Périer n'a point créé son système... C'est le système qui a fait le ministère du 13 mars, et non pas le ministère du 13 mars qui a fait le système. Le système du 13 mars a pris naissance au moment même de la révolution de Juillet... Il était né avant M. Casimir Périer ; il lui survivra, si le malheur veut que M. Casimir Périer soit enlevé à la France... Il avait et il a encore d'autres représentants et d'autres défenseurs. Ce langage qui fut, pendant quelque temps, celui de la presse officieuse s'expliquait par la nécessité de prévenir les incertitudes ou les alarmes que la perte du grand ministre pouvait avoir éveillées au dedans ou au dehors. Néanmoins il ne laissa pas que de causer un certain étonnement ; il fut commenté on crut entrevoir, chez les ministres et chez le Roi, quelque velléité de réduire rétrospectivement l'importance de Périer.

Très-laborieux et très-actif, Louis-Philippe avait le goût du gouvernement. D'une santé vigoureuse qui lui permettait au besoin de ne pas donner plus de quatre heures au sommeil, sans aucune de ces passions frivoles qui dépensent trop souvent le temps des princes, il apportait une application méritoire aux affaires publiques, se plaisant à les étudier toutes, à les suivre jusque dans leurs détails, au risque parfois de gêner ses ministres et de se faire reprocher une ingérence un peu tatillonne[6]. Son intelligence était aiguisée, ouverte et cultivée. Ayant beaucoup vu et beaucoup retenu, ayant approché, dans les vicissitudes extrêmes de sa carrière, les gouvernements et les peuples, sachant ce qu'on apprend sur les marches du trône et dans l'adversité, connaissant la nouvelle France mieux que les Bourbons de la branche a !née, et la vieille Europe mieux que les parvenus du libéralisme, d'un esprit très-politique, il avait une confiance fondée dans son habileté, dans ce qu'il aimait à appeler sa vieille expérience, et se croyait plus capable que tous les ministres de gouverner son pays, au milieu de tant de dangers intérieurs et extérieurs. Peut-être n'avait-il pas tort de le penser il avait certainement tort de le laisser voir. Dans la vivacité parfois trop abandonnée et trop féconde de ses conversations, il ne résistait pas toujours à la tentation de parler de ses ministres comme d'instruments dont il se piquait de jouer à son gré. N'était-il pas jusqu'à Périer qu'il se vantait d'avoir fini par bien équiter ? Ils ont beau faire, disait-il un autre jour, ils ne m'empêcheront pas de mener mon fiacre. Ou bien encore : Un ministère est un relais de poste. J'ai quelquefois de bons chevaux, et le voyage est commode ; mais j'arrive à un relais où je suis obligé de prendre des chevaux fringants et rétifs ; il faut bien faire la route, et, après tout, ce n'est qu'un relais. Ces paroles étaient répétées elles blessaient l'amour-propre des ministres présents, passés ou futurs ; elles heurtaient la prétention de cette bourgeoisie libérale qui s'était laissé persuader que le Roi ne devait pas gouverner. Une autre faiblesse de Louis-Philippe était d'accepter malaisément, dans le régime parlementaire, ce partage qui donne au ministre, avec la responsabilité, ce qu'il y a de plus visible dans le gouvernement, et ne laisse au prince qu'une action indirecte qui, pour être discrète, cachée, n'en est pas souvent moins réelle ni décisive. Il désirait avoir, aux yeux du pays, le mérite des services qu'il lui rendait en imprimant une bonne direction à ses affaires intérieures ou extérieures. On eût presque dit qu'il regrettait de ne pas tenir plutôt le rôle du ministre, et que, de ce rôle, il enviait même ce qui semblait le plus étranger aux habitudes d'un prince, la justification publique de sa politique, les luttes, les émotions et les succès des débats parlementaires. Il se savait la parole facile, abondante, aimait à s'en servir, et souffrait de ne l'employer que pour chambrer chaque député dans une embrasure de fenêtre, au lieu de parler, du haut de la tribune, à un nombreux auditoire un peu comme certaines femmes du monde, impatientes des convenances qui les empêchent d'exercer au théâtre leur talent de cantatrice[7].

Périer avait singulièrement comprimé et froissé ce goût de Louis Philippe pour le gouvernement et le gouvernement visible. Le ministre avait prétendu non-seulement s'emparer de tout le pouvoir, mais bien montrer aux autres qu'il était le seul maitre, sans s'inquiéter de l'effacement mortifiant auquel il condamnait ainsi le Roi. Celui-ci s'y était soumis avec une patriotique résignation, quoique non sans chagrin. Périer mort, des esprits malveillants insinuèrent que Louis-Philippe en avait éprouvé un soulagement[8] : insinuation peu fondée, à laquelle les propos inconvenants et maladroits de certains courtisans avaient pu fournir prétexte[9]. Seulement il saisit, avec quelque empressement, l'occasion qui lui était offerte de gouverner davantage et de le faire voir. Sous ce rapport, rien ne lui convenait mieux que l'état dans lequel la mort de Périer laissait le ministère. La présidence du Conseil, dont les droits naguère avaient été exagérés jusqu'à mettre pour ainsi dire le Roi hors du gouvernement, se trouvait être, par une autre anomalie, totalement supprimée les fonctions en revenaient à Louis-Philippe, qui les avait déjà exercées lors du premier ministère[10], et qui avait peut-être le secret espoir de ne plus s'en dessaisir. Sa revanche, on le voit, était complète, d'autant plus que, parmi les ministres, il n'en était aucun dont l'indocilité ou l'importance propre pût, soit entraver l'action royale, soit la rejeter dans l'ombre. Le plus en vue, M. de Montalivet, ministre de l'intérieur, très-jeune encore, sans clientèle personnelle dans le Parlement, était particulièrement dévoué au prince dont la faveur avait fait sa fortune politique.

Pas plus que les ministres, Louis-Philippe ne songeait à faire fléchir la politique de résistance ; mais il était bien aise de montrer que, pour l'appliquer, il pouvait se passer de Périer et de tout autre personnage équivalent. Il se flattait que l'opinion verrait dès lors dans cette politique, non plus seulement le système un ministre, mais celui du Roi. Cette préoccupation, alors très-vive chez lui, l'amenait parfois à des assertions contestables. Causant, quelques semaines plus tard, avec MM. Odilon Barrot, Laffitte et Arago, il leur disait : J'ai remarqué, messieurs, que vous appelez tous mon système de gouvernement, le système du 13 mars. Cette dénomination, je dois vous en avertir, est tout à fait impropre. Le système que nous suivons aujourd'hui est celui que j'adoptai, après de sérieuses réflexions, en montant sur le trône c'est aussi, de point en point, celui qui dirigeait le ministère dont M. Laffitte était le président. Et comme ce dernier réclamait contre cette assimilation : Les vues, je le répète, continuait le Roi, étaient absolument identiques. Depuis que je suis sur le trône, le gouvernement a toujours marché dans la même ligne, parce que cette ligne avait été adoptée après de mûres réflexions parce qu'elle était la seule convenable. Si Périer avait pu assister à cette conversation, n'eût-il pas protesté plus haut encore que M. Laffitte contre un tel rapprochement ? Dans son désir de tout rapporter à son système et d'antidater la politique du 13 mars, Louis-Philippe en prenait trop à son aise avec les faits. Mais son erreur ne portait que sur le passé, et elle ne saurait éveiller aucun doute sur la résolution où il était d'éviter, dans le présent et dans l'avenir, tout ce qui rappellerait, même de loin, le laisser-aller du ministère Laffitte.

 

II

Il n'était pas aussi simple qu'on le supposait de ne pas remplacer un grand ministre les événements le firent voir tout de suite. Périer disparu, la sécurité des conservateurs sembla subitement s'évanouir. Le Journal des Débats, qui tout à l'heure affectait de croire que le système n'avait pas besoin du ministre du 13 mars disait, tout effaré, deux jours après La Providence aurait-elle donc résolu d'abandonner une seconde fois la France aux factions, comprimées un moment par le caractère énergique de M. C. Périer ?... Et il souhaitait de n'être pas réduit à dire un jour que M. C. Périer était mort à propos pour son bonheur, et qu'il fallait le féliciter de n'avoir pas vu sa patrie ensanglantée par les factions victorieuses[11]. Les liens de l'administration, ces liens que Périer avait si solidement renoués, se relâchaient aussitôt. L'un des amis de M. de Montalivet, le général de Ségur, lui adressait la note suivante Le réseau militaire, administratif, judiciaire, flotte incertain. Vos agents hésitent les mauvais ont déjà reçu leur mot d'ordre, qui est le désordre ; les médiocres attendent le premier coup de vent pour tourner à son gré ; les meilleurs se découragent. Les députés ministériels ne rentrent dans leurs départements que pour y être insultés à domicile. Ce n'est qu'après trois jours d'outrages que le préfet le plus décidé, que le générât le plus solide les font enfin respecter. Ainsi, tout se prépare pour que le pouvoir, relevé si péniblement et si glorieusement depuis quatorze mois, s'échappe de vos mains, dans la Chambre, dès la première session ; dans Paris, dès la première émeute[12].

Le parti révolutionnaire n'avait jamais complètement désarmé. Toutefois, à la 6n de 1831 et au commencement de 1832, les émeutes étaient devenues plus rares le découragement était visible. La maladie de Périer et son remplacement au ministère de l'intérieur par M. de Montalivet avaient déjà rendu quelque espoir aux hommes de désordre. On les avait vus aussitôt s'agiter ; il avait même été question, dans les conciliabules des Amis du peuple, d'une prise d'armes pour le 5 mai. La mort de Périer augmenta encore l'audace et l'effervescence des sociétés révolutionnaires. Réunies en permanence, elles délibéraient presque ouvertement sur leurs projets d'émeutes. La police ayant apposé les scellés sur le local où l'une d'elles tenait ses séances, les affidés les arrachèrent et maltraitèrent les agents de la force publique. Il était manifeste qu'on croyait le moment venu pour un coup de main, et qu'on s'y préparait comme, si la monarchie était livrée désormais sans défense à ses ennemis. Des conspirateurs bonapartistes et légitimistes suivaient de près ce mouvement, tout disposés à y prêter leur concours, avec l'espoir secret de le faire tourner à leur profit[13]. La presse démagogique ne prenait pas la précaution de dissimuler ses desseins et son attente. Il ferait beau, disait la Tribune du 29 mai, de voir parier d'un article 291 et de sommations à des assemblées de deux cent mille hommes Toutes ces broutilles ne s'opposent qu'aux faibles. Et un autre jour : Toute émeute sérieuse à Paris a produit un changement important. MM. Guizot et de Broglie sont tombés à la voix d'une émeute ; les fleurs de lys au Palais-Royal ont été effacées à une pétition de l'émeute. Il n'y en a pas une qui n'ait porté ses fruits ! Que l'émeute se prolonge, se grossisse, devienne insurrection, et vous verrez le sort du Juste Milieu. Le 1er juin, le même journal s'écriait, à propos d'un procès qui venait de lui être fait : Frappez, frappez encore, insensés ! Vos coups ressemblent au tocsin. Annoncez le péril de votre cause, le triomphe de la nôtre. Frappez encore. Dans peu de jours, il ne vous restera plus à glapir que le sauve qui peut... Le jour du réveil du peuple commence à luire, et déjà bruit le cri national qui enfanta les soldats des trois journées, comme il avait enfanté ceux de nos armées républicaines.

L'opposition parlementaire ne voulut pas rester en arrière. Les Chambres étaient en vacances ; cette circonstance n'arrêta pas les députés de la minorité. Quelques jours après la mort de Périer, ils se réunirent à l'hôtel de M. Laffitte. Sous la forme insolite et presque révolutionnaire d'un appel au pays, ils adressèrent à leurs électeurs un Compte rendu qui était un réquisitoire véhément contre le gouvernement. Ce manifeste, publié le 28 mai, reçut cent trente-quatre signatures. Après avoir répété les griefs connus contre la politique intérieure et extérieure[14], il la montrait aboutissant, après deux ans d'expérience, au dehors, à l'humiliation de la France et à la menace d'une coalition ; au dedans, à la révolution faussée, à la liberté opprimée, à la guerre civile flagrante ; puis il concluait Nous le proclamons avec une douloureuse et profonde conviction que ce système se prolonge, et la révolution de Juillet et la France sont livrées à leurs ennemis. La Restauration et la Révolution sont en présence. La vieille lutte que nous avions cru terminée recommence. Dans cet acte, l'opposition ne témoignait pas seulement de sa violence contre le gouvernement, mais aussi de sa faiblesse envers le parti révolutionnaire. La grande préoccupation de ceux qui se prétendaient dynastiques fut d'obtenir la signature des républicains les plus avancés, de MM. Garnier-Pagès aîné[15], Cabet, Voyer d'Argenson, et, pour y arriver, aucun sacrifice ne leur coûta. M. Odilon Barrot, chargé de rédiger le manifeste, avait écrit dans son projet : Pour tous les hommes sensés, la monarchie constitutionnelle, sincèrement pratiquée, est la forme qui se concilie le mieux avec tous les développements de la liberté ; les républicains réclamèrent, et pour faire droit à leurs exigences on se contenta de dire : La France de 1830 a pensé, comme celle de 1789, que la royauté héréditaire, entourée d'institutions populaires, n'a rien d'inconciliable avec les principes de la liberté. C'est ce que M. Barrot a appelé dans ses Mémoires une légère modification et une variante insignifiante[16]. Carrel était plus dans le vrai quand il écrivait que le compte rendu était une déclaration de neutralité entre la république et la monarchie.

Ce manifeste ne pouvait avoir aucun résultat légal et parlementaire il fournit seulement, pour quelques jours, un aliment aux polémiques des journaux ; il apporta surtout un singulier encouragement aux républicains, aux fauteurs d'émeute, qui voyaient ainsi les fondateurs même du gouvernement de Juillet proclamer sa banqueroute et dénoncer sa trahison. Le compte rendu est aux redoutables émeutes qui vont éclater le 5 et le 6 juin, ce que les banquets seront plus tard à la révolution de Février. Dans les deux cas, l'opposition dynastique, aveuglée, ouvre la voie, donne l'élan aux pires ennemis de la monarchie. Ce n'est pas sa faute si elle n'obtient pas, dès 1832, le triste succès qu'elle aura en 1848.

 

III

Les meneurs des sociétés secrètes n'en étaient plus qu'à chercher une occasion, quand, le 2 juin, le général Lamarque mourut du choléra. Rien n'était plus conforme à la tradition du parti que de transformer des obsèques en manifestation révolutionnaire. Ainsi avait-on procédé, avec des nuances diverses, à la mort du générât Foy et à celle de Manuel. Le grand embarras de ceux qui veulent lancer une émeute est de trouver un prétexte, d'apparence innocente, pour réunir leur armée dans la rue ; un enterrement le leur fournit ; cette armée une fois massée et mise en mouvement, sous couleur de rendre hommage au mort, se grossit naturellement des curieux attirés par la cérémonie ; il ne reste plus qu'a profiter du premier incident pour engager la bataille. Les sociétés révolutionnaires résolurent donc de descendre toutes sur la place publique, le jour des obsèques de Lamarque. Chacune eut son point de ralliement. Les rôles et les armes furent distribués. Les affiliés étaient au nombre d'environ deux mille, presque tous bourgeois[17] ; ils espéraient soulever les ouvriers et entraîner la foule. Avec leur clairvoyance ordinaire, les chefs de l'opposition parlementaire venaient, cette fois encore, à l'aide des révolutionnaires. Préoccupés de faire la contre-partie des obsèques de Périer et d'en imposer ainsi, par une grande manifestation, au gouvernement comme à l'opinion, ils s'agitèrent pour donner beaucoup d'éclat à la cérémonie et pour y attirer le plus de monde possible.

Le 5 juin, jour fixé pour l'enterrement, la foule est immense et les affidés sont à leur poste. On doit conduire le corps, par les boulevards, jusqu'au pont d'Austerlitz, où une voiture attend pour l'emporter à Mont-de-Marsan. Le cortège s'étend interminable, devant et derrière le char que trois cents jeunes gens traînent avec des cordes. En tête et en queue, les troupes d'escorte ; au milieu, des pelotons de toutes les légions de la garde nationale, une longue colonne d'ouvriers, les députations des Écoles, sauf de l'École polytechnique, consignée par ordre supérieur, les réfugiés de tous pays, et surtout les sociétés révolutionnaires, avec leurs bannières de diverses couleurs, dont une rouge, portée par le chef des Réclamants de Juillet[18]. Les physionomies farouches et sombres, les armes qu'on entrevoit à demi cachées sous les vêtements trahissent trop clairement les desseins de beaucoup de membres du cortège. Dès le début, à la hauteur de la rue de la Paix, une clameur s'élève de la foule A la colonne et la longue procession se détourne pour passer par la place Vendôme sorte de dévotion bonapartiste qui était alors-dans les habitudes du parti républicain. A mesure que le cortège s'avance, les esprits s'échauffent, les passions s'exaltent. Le duc de Fitz-James, qui se tenait au balcon d'un cercle, ayant refusé de se découvrir, les vitres de la maison sont aussitôt brisées à coups de pierres. Cris de plus en plus nombreux de Vive la République ! à bas Louis-Philippe ! plus de Bourbons ! Violences croissantes contre les sergents de ville, dont quelques-uns sont grièvement blessés. Plusieurs postes sont désarmés sur le passage. On casse les chaises et l'on arrache les tuteurs des arbres du boulevard, pour se préparer des armes en vue d'un combat que chacun sent imminent. Les meneurs n'en sont plus à cacher leur projet : Mais enfin, où nous conduit-on ? demande une voix. — A la république, répond l'un des chefs de groupe ; tenez pour certain que nous souperons ce soir aux Tuileries. Et le long cortège continue ainsi à rouler lentement par les boulevards, grossi des curieux, formant une masse épaisse de plus de cent mille hommes, d'où émergent les bannières, les bâtons garnis de feuillage, et d'où sort un grondement menaçant, entremêlé de cris farouches ou de refrains révolutionnaires. Le ciel gris et pluvieux rend le spectacle plus sinistre encore. A la hauteur du boulevard du Temple, une immense acclamation accueille une centaine d'élèves de l'École polytechnique qui se sont révoltés et ont forcé leur consigne, pour venir prendre leur place dans la manifestation et aussi dans l'émeute ; triste conséquence des éloges prodigués par le gouvernement lui-même a ceux de leurs camarades qui avaient combattu sur les barricades de Juillet. On arrive enfin au pont d'Austerlitz, terme du convoi. Les orateurs montent sur une estrade pour prononcer des discours que, dans l'agitation croissante de la foule, personne n'entend. Tout à coup, apparaît un cavalier brandissant un drapeau rouge que surmonte un bonnet de même couleur. Le désordre est au comble. Suivant un plan convenu, les affidés tentent de s'emparer du corps, pour le porter au Panthéon ; ils échouent ; mais, dans ce premier combat, des soldats sont blessés. Le cri : Aux armes ! retentit sur plusieurs points ; les barricades s'élèvent ; des coups de feu sont tirés. Les troupes, consignées et massées, dès le matin, en plusieurs endroits delà ville, ont pour instruction de ne se défendre qu'à la dernière extrémité. Aussi reçoivent-elles, sans riposter, les premières décharges, qui blessent plusieurs officiers ou soldats. Mais bientôt les commandants ne peuvent plus se faire illusion c'est bien une insurrection qui commence ; il n'y a qu'à la réprimer vigoureusement.

Du côte du pouvoir, rien de ces hésitations, de cet abandon, signes des gouvernements qui vont tomber. Le Roi, qui depuis la mort de Périer a pris la direction effective des affaires, était à Saint-Cloud le matin : Amélie, dit-il, il y a du trouble a Paris, j'y vais. — J'y vais avec vous, mon ami, répond la Reine. Tous les pouvoirs militaires sont remis au générât de Lobau, qui prend ses mesures avec sang-froid et énergie. Les troupes se montrent résolues et fidèles[19]. Une bonne partie de la garde nationale répond à l'appel ; celle de la banlieue le fait même avec une passion irritée. Au premier moment, l'insurrection s'est étendue avec une rapidité qu'expliquent la préméditation des émeutiers et la volonté du gouvernement d'attendre, pour agir, qu'il soit attaqué, elle occupe, sur la rive gauche, les quartiers compris entre le Jardin des Plantes et la rue du faubourg Saint-Jacques ; sur la rive droite, tout l'est de Paris jusqu'à la hauteur de la place des Victoires. Mais bientôt l'armée, appuyée par la garde nationale, reprend l'offensive, avec succès. Les soldats de l'émeute sont plus éparpillés que nombreux ; ils n'ont pu en effet ébranler la masse populaire, et, sauf de rares exceptions, les ouvriers ne donnent pas. A huit heures du soir, le généra ! de Lobau circonscrit l'insurrection entre les boulevards, les quais, la Bastille et la pointe Saint-Eustache ; il la presse de toutes parts, sans lui laisser aucun répit la bataille se prolonge jusqu'à minuit.

Elle recommence le lendemain, 6 juin, à quatre heures du matin. Les insurgés sont en plus petit nombre encore que la veille, mais résolus, hardis, retranchés, comme en une forteresse, au centre d'un quartier enchevêtré de rues étroites. Force est d'employer contre eux le canon encore n'avance-t-on que lentement. Pendant que la lutte se localise ainsi, le reste de Paris reprend peu à peu sa vie normale, rassuré d'ailleurs par le sang-froid du Roi qui parcourt à cheval la ligne des boulevards jusqu'à la Bastille, traverse le faubourg Saint-Antoine, revient jusqu'aux quais, en imposant aux plus hostiles par sa fermeté calme, ne paraissant même pas s'apercevoir des coups de feu qui parfois éclatent sur son chemin[20]. C'est autour du cloître Saint-Merry que se livrent les derniers combats. Une poignée d'insurgés y tient longtemps en échec l'effort de la troupe et des gardes nationales ; ils ne sont réduits qu'à la fin de la journée. Alors la bataille est définitivement gagnée par le gouvernement ; mais c'est bien une bataille, la plus redoutable et la plus sanglante que les rues de Paris aient vue depuis la révolution de Juillet on compte huit cents morts ou blessés, se partageant à peu près également entre les deux camps.

Dans cette insurrection les soldats de l'armée républicaine ne se sont pas ménagés ; mais les chefs n'ont pas paru sur les barricades. Celui dont on fit le héros de ces journées était un certain Jeanne qui commandait au cloître Saint-Merry, et qui y déploya une rare Intrépidité aventurier obscur dont le passé n'était pas absolument net. Sans doute, si le mouvement avait réussi, les chefs se fussent montrés ; mais leur prudence attendait l'événement. Godefroy Cavaignac lui-même se tint à l'écart. Les plus compromis étaient MM. Garnier-Pagès aîné, Cabet et Laboissière, députés, qui avaient concouru aux préparatifs et contre qui des mandats furent lancés. On avait fait espérer aux combattants que M. Mauguin et le maréchal Clausel se prononceraient pour eux. Les émissaires dépêchés au premier le trouvèrent tremblant de peur ; le second répondit à un artilleur de la garde nationale, qui le pressait de prendre parti : Je me joins à vous, si vous êtes assurés du concours d'un régiment. — Eh ! monsieur, répliqua l'artilleur, si, a l'heure où je parle, un régiment était à nos ordres, nous n'aurions pas besoin de vous[21]. Quant à Carrel, il commençait a ressentir les embarras de son nouveau rôle. En sa qualité d'ancien officier, il tenait en médiocre estime les forces populaires et ne croyait pas au succès de l'émeute. Le soir du 5 juin, dans une réunion tenue aux bureaux du National, il avait combattu l'idée de se jeter dans la lutte. Le lendemain matin, dans son journal, il invitait les magistrats, les députés et la garde nationale à s'interposer, pour empêcher le gouvernement d'égorger la population~))[22]. Quelques heures plus tard, rencontrant M. O. Barrot, il le pressait de prendre la tête du mouvement : Vous êtes, dans tous les cas, compromis, lui dit-il, vous et vos amis, par cette insurrection ; tâchez du moins de la faire tourner au profit de votre opinion. — Ah ! je ne le sais que trop, répondit M. Barrot, et ce n'est pas d'aujourd'hui seulement que vos folies compromettent la liberté ; mais j'aime encore mieux avoir à répondre de votre défaite que de votre victoire... Et il le quitta pour se rendre aux Tuileries[23].

Restait La Fayette, que l'émeute était accoutumée à trouver parmi les plus dociles à son appel. Son rôle, dans la cérémonie, avait consisté à tenir un des cordons du char et à prononcer un discours sur l'estrade du pont d'Austerlitz. Il était de ceux qui avaient désiré et conseillé une manifestation imposante dans la pensée que le Roi serait à la merci de l'opposition, quand cent trente mille hommes se seraient publiquement prononcés pour elle[24]. Mais, quand il vit le drapeau rouge, entendit les premiers coups de feu et se rendit compte que la manifestation tournait en insurrection violente, le pauvre vieillard, épuisé d'ailleurs de fatigue, parut perdre le peu de tête qui lui restait ; il n'eut qu'une pensée, se sauver au plus vite, loin non des balles dont il n'avait jamais eu peur, mais de la responsabilité dont il se sentait menacé. On l'aperçut, la figure bouleversée, errer, de ci, de là, à la recherche de sa voiture qui s'était égarée dans la confusion générale. Un fiacre se rencontra, il s'y jeta avec son fils. La foule le reconnut, détela les chevaux et voulut le traîner à l'Hôtel de ville, le sommant de prendre le commandement de l'insurrection. Essaya-t-il de résister, comme le disent les uns ? ou, comme le prétend au contraire M. Louis Blanc[25], s'offrit-il tout entier, disant à ceux qui réclamaient son concours : Mes amis, trouvez un endroit où l'on puisse placer une chaise, et je vous y suivrai ? Peut-être les deux versions ont-elles leur part de vérité La Fayette était par nature assez indécis et, dans le cas particulier, assez troublé, pour avoir tenu ce double langage. D'ailleurs, il sentait bien qu'il n'était plus son maître, et il entendait l'un de ceux qui le traînaient dire à son voisin : Si nous jetions le général dans la Seine, comment le gouvernement repousserait-il le soupçon de l'avoir sacrifié ?Ce n'était pas une si mauvaise idée, disait plus tard le général, en racontant cet incident. Toujours est-il qu'il fut grandement soulagé, quand la troupe dégagea son fiacre et lui permit de rentrer chez lui, brisé de lassitude et d'émotion. Il n'eut garde de retourner auprès des combattants.

Pendant ce temps, les députés de l'opposition dynastique considéraient avec étonnement la suite donnée à leur compte rendu et la tournure qu'avait prise leur manifestation. Le soir du 5 juin, ils s'étaient réunis chez M. Laffitte, comme ils avaient fait au début des journées de Juillet. Leur état d'esprit était à peu près le même qu'à cette époque nullement désireux, pour la plupart, d'une révolution, fort effrayés même de ce qu'elle pourrait être, mais encore moins décidés à la combattre. Les propositions les plus discordantes furent émises, sans aboutir. On eût bien voulu faire une protestation toujours en souvenir de Juillet, mais contre quoi ? Aussi se bornait-on à attendre les événements, pour se mettre bravement à leur suite. Le lendemain 6 juin, il apparut clairement que l'insurrection serait vaincue on s'arrêta alors à l'idée d'une démarche auprès du Roi, pour lui demander d'arrêter l'effusion du sang et de changer sa politique. Il était trois heures de l'après-midi quand MM. Laffitte, O. Barrot et Arago, charges de cette mission, se présentèrent aux Tuileries. Louis-Philippe, qui rentrait de sa promenade à travers Paris, les reçut aussitôt. L'entrevue dura plus d'une heure et demie. Les trois députés en ont dressé une sorte de procès-verbal qui a été publié un peu plus tard[26]. A le lire, on est tout d'abord stupéfait du vide et de la sottise des déclarations faites par les députés. Désavouant pour leur compte l'insurrection républicaine, ils prétendaient y montrer cependant le signe de la désaffection de la nation, la condamnation de la politique du 13 mars ; rééditaient contre cette politique leurs vieux griefs, lui reprochaient d'employer à l'intérieur la force au lieu des moyens moraux, d'être, en face de l'étranger, pusillanime, sans souci de l'honneur national, et menaçaient le Roi, s'il ne changeait pas de système, d'un divorce prochain entre la France et la monarchie de Juillet. Il était facile de réfuter ces reproches et de montrer l'inanité de ces conseils c'est ce que fit Louis-Philippe, avec un succès que ne peuvent contester ceux mêmes qui lisent de l'œil le plus prévenu le procès-verbal de cette conversation. Cependant, à y regarder de plus près, on se demande si le Roi ne se laissait pas entraîner à jouer un rôle autre que le sien. Ne retrouve-t-on pas là les petites faiblesses que nous avons déjà eu occasion de noter chez cet habile homme d'État, trop préoccupé de démontrer aux autres l'excellence de sa politique, et surtout de manifester qu'elle était bien sienne, chez ce brillant et abondant causeur qui ne se souvenait pas assez que le silence est souvent pour un prince une condition de dignité, un acte de prudence et un moyen d'autorité ? En parlant aussi longuement, il s'exposait à dire ce qu'il aurait mieux fait de taire[27]. N'eût-il pas été, par exemple, plus habile, en n'affectant pas de présenter la politique suivie depuis la révolution comme sa politique propre, son système[28] et en ne fournissant pas ainsi à ses interlocuteurs, déjà trop en méfiance sur ce point, un prétexte aux accusations de pouvoir personnel ? Toutefois les derniers qui avaient le droit de lui en faire un reproche étaient les députés qui s'adressaient ainsi au prince, en dehors de ses ministres responsables, qui lui demandaient de changer, motu proprio et contrairement à la volonté connue de la Chambre, la politique du gouvernement. Si l'on pouvait relever quelque incorrection, ils avaient provoqué Louis-Philippe à la commettre. D'ailleurs, ce n'était pas le lieu d'être trop formaliste, et, quand un Roi est obligé de défendre sa couronne contre une émeute, on ne saurait le blâmer beaucoup de se mettre en avant. Seulement que ce soit plutôt pour agir que pour parler. Nous applaudissons Louis-Philippe, quand, dans cette même journée du 6 juin, il dirige la résistance avec un admirable sang-froid, paye courageusement de sa personne, se montre dans la rue alors que la bataille n'est pas encore finie c'était vraiment se conduire en roi. Nous avons plus de doute, lorsque nous le voyons soutenir une controverse contre trois députés de l'opposition, se justifier ou se plaindre auprès d'eux ; en admettant qu'il n'eût pas mieux fait de refuser de les écouter et de les renvoyer à ses ministres, au moins eût-il pu se borner à leur faire savoir ses volontés en quelques mots sévères et nets. Cette brièveté royale eût été plus efficace que les conversations les plus spirituelles et les plus habiles arguments.

L'entrevue ne fut, du reste, qu'un incident alors peu remarqué. En cette soirée du 6 juin, les amis de la monarchie jouissaient d'autant plus de leur victoire qu'ils en avaient un moment douté. Une telle inquiétude peut surprendre. A première vue, il semblerait que le résultat n'eût jamais dû paraître incertain. Les insurgés étaient peu nombreux, sans chefs connus, sans crédit sur la population ; l'armée qui les combattait comptait, en dehors même de la garde nationale, au moins vingt-cinq mille hommes. Et cependant tous les témoignages contemporains révèlent qu'on eut grand'peur l'impression générale fut que la monarchie courait un réel danger. D'où venait cette alarme ? du souvenir de Juillet. On avait conscience d'avoir alors faussé et obscurci le sens de la légalité. On avait tellement flétri la résistance à l'émeute ; on avait tant loué les défaillances de l'armée et la défection de la garde nationale ; on avait proclamé si haut le droit supérieur des barricades ; on avait tant glorifié la révolte des Écoles, tant félicité les ouvriers d'être descendus dans la rue et les députés de s'être ralliés à l'insurrection, qu'on se demandait avec angoisse si tous comprendraient qu'il fallait faire, en 1832[29], le contraire de ce qu'on avait fait en 1830. Les élèves de l'École polytechnique furent heureusement les seuls à ne pas le comprendre.

 

IV

L'insurrection vaincue, il restait à donner satisfaction à la conscience publique, en punissant les factieux. Lorsque le Roi avait parcouru les rues de Paris, dans l'après-midi du 6 juin, un cri avait dominé tous les autres Faites prompte et sévère justice Empêcher cette justice, telle est l'œuvre à laquelle s'appliquèrent aussitôt les journaux de gauche, y compris ceux qui avaient regrette la prise d'armes. La révolution de 1830 leur servait à justifier ou tout au moins à excuser cette nouvelle rébellion. Sous un gouvernement né d'une insurrection populaire, disait le National du 10 juin, devrait-on s'étonner et s'indigner qu'il soit resté, dans la portion du peuple et de la jeunesse habituellement la plus remuante, quelques souvenirs de Juillet mal compris, quelques instincts confus de sédition ?De quel droit demander aux juges de frapper les factieux, disait encore le National, quand, après 1830, on a réhabilité comme ayant été victimes d'un assassinat politique, tous ceux qui avaient été condamnés à raison de faits analogues, sous la Restauration ? Pour grandir les insurgés et les rendre plus intéressants, on insistait sur le courage réel qu'ils avaient montré, notamment au cloitre Saint-Merry ; on poétisait l'acharnement fanatique et meurtrier de leur résistance ; on les posait en attitudes tragiques sur les barricades ; on répétait les mots qu'ils avaient prononcés ou qu'on leur avait prêtés sorte de légende héroïque qui n'a pas peu contribué à donner le change sur la laideur criminelle et la téméraire sottise de cette tentative de guerre civile. Enfin, pour faire oublier qu'elle était accusée, l'opposition se faisait accusatrice elle reprochait au gouvernement d'avoir, par ses propres méfaits, légitime la rébellion ; elle imputait à la police d'avoir provoqué le combat, à l'armée d'avoir commencé le feu. Toutes les injustices, tous les mensonges lui semblaient légitimes pour couvrir ceux que souvent au fond elle blâmait.

Le ministère fournit, dès le premier jour, aux opposants un terrain de polémique sur lequel ceux-ci se hâtèrent de prendre position. Le 7 juin, une ordonnance déclarait Paris en état de siège et déférait aux conseils de guerre le jugement des faits insurrectionnels. Cette mesure qu'avait, dit-on, conseillée M. Thiers, et qui avait séduit le courage juvénile de M. de Montalivet, fut prise, sans doute, par crainte des scandaleuses faiblesses du jury. Ne pensait-on pas répondre ainsi au vœu de l'opinion, fort indignée contre les émeutiers et si désireuse d'une répression énergique ? Une femme éminente du monde conservateur écrivait, le 7 juin : Le cri général est répression sévère. On est enchanté de l'état de siège ; on regrette seulement qu'il ait été mis si tard. Le mot de la garde nationale est celui-ci : Maintenant que voilà l'état de siège, nous sommes bien aises de les avoir arrêtés ; ils n'iront pas au jury[30]. La légalité de l'ordonnance eût été incontestable soit avant 1830, soit sous la législation qui nous régit depuis 1849. En 1832, certains juristes la croyaient douteuse, à raison de l'article de la Charte qui interdisait les tribunaux d'exception. Toutefois il ne semblait pas que l'objection pût venir de l'opposition qui avait elle-même demandé, à grand bruit, qu'on établît l'état de siège en Vendée. Mais l'esprit de parti ne s'embarrasse pas des reproches de contradiction. A peine l'ordonnance fut-elle publiée qu'il y eut explosion dans la presse de gauche, trop heureuse de sortir d'une défensive gênante et de prendre l'offensive. A l'entendre, c'était une répétition des Ordonnances de Juillet, et ce nouveau coup d'État méritait le même châtiment que l'autre. Les barreaux de plusieurs grandes villes rédigèrent des consultations concluant à l'illégalité de l'état de siège. Quant à la bourgeoisie parisienne qui, tout à l'heure, en présence du danger matériel, avait réclamé prompte et sévère justice, rassurée maintenant, elle n'avait plus d'oreille que pour les criailleries de la gauche ; elle se laissait troubler, entraîner, et oubliant sa récente colère contre les émeutiers qui venaient de mettre sa ville à feu et à sang, elle ne cherchait querelle qu'aux ministres qui s'étaient compromis pour la protéger. Ce sont revirements auxquels il faut toujours s'attendre de sa part. Peut-être cependant eût-el !e été moins mobile, avec des ministres plus capables de lui en imposer et de la retenir. Intimidés par le soulèvement des esprits, les conseils de guerre se montrèrent, dans leurs jugements, d'une modération et même d'une timidité extrêmes. Ce ne fut pas tout une mésaventure plus grave attendait le gouvernement.

La Cour royale de Paris avait reconnu la légalité de l'ordonnance du 7 juin, en refusant de se prononcer sur les faits déférés à la juridiction militaire. Mais la Cour de cassation, saisie du pourvoi d'un condamné, annula, sur la plaidoirie de M. Odilon Barrot, la décision d'un conseil de guerre, par le motif que celui-ci avait violé la Charte en se déclarant compétent, et elle renvoya l'accusé devant les juges ordinaires. C'était proclamer l'inconstitutionnalité de l'ordonnance d'état de siège. Long cri de triomphe dans tous les rangs de l'opposition. Le ministère fut fort surpris et mortifié, mais il ne crut pas avoir un autre parti à prendre que de s'incliner devant la décision de la cour suprême. A cette époque, les gouvernements ne connaissaient pas encore les moyens, découverts de nos jours, soit pour empêcher les tribunaux de juger, soit pour se venger des jugements désagréables. La monarchie de Juillet n'était pas sur ce point plus avancée que la Restauration, à laquelle l'indépendance judiciaire avait plusieurs fois fait échec, et qui n'avait pas songé pour cela a la briser. Quelques heures après le prononcé de l'arrêt, l'ordonnance qui avait établi l'état de siège fut rapportée, et tous les accusés rendus à la juridiction ordinaire. Le jury fut d'ailleurs plus sévère que le conseil de guerre il y eut quatre-vingt-deux condamnations, dont sept à mort qui furent commuées en déportation. Mais, à lire les journaux, on eût dit qu'il n'y avait eu qu'une condamnation, celle qu'on prétendait faire sortir de l'arrêt de la Cour de cassation contre le gouvernement convaincu d'avoir violé la Charte contre les auteurs de ce prétendu coup d'État de juin 1832 que la presse de gauche présentera, pendant longtemps, comme allant de pair avec les plus grands forfaits de l'histoire. Était-ce donc là le fruit que la monarchie recueillait de sa sanglante et décisive victoire sur la faction républicaine ? Étrange résultat, en vérité, qui ne faisait honneur ni à la justice du public, ni à l'adresse du ministère.

 

V

L'insurrection républicaine n'est pas la seule qui ait éclate aussitôt après la mort de Casimir Périer. Le 4 juin, veille du jour où la bataille s'engageait dans les rues de Paris, les royalistes prenaient les armes en Vendée. C'était la faiblesse de la monarchie de Juillet de rencontrer des ennemis acharnés à droite comme à gauche ; selon la parole de Royer-Collard, elle avait le feu en haut et le feu en bas.

Les légitimistes s'étaient remis assez rapidement de l'abattement où les avait jetés tout d'abord le succès de la révolution. Les embarras, les fautes, les périls du gouvernement nouveau, l'insécurité et le malaise du pays leur avaient rendu courage et espoir. Telle avait même été la dissolution générale, pendant le ministère Laffitte, qu'ils s'étaient imaginés toucher au moment de la revanche. Quelques-uns, sans doute, n'en persistèrent pas moins à se renfermer dans une sorte de retraite, déposant leurs armes tout en gardant leurs convictions, et écrivant, comme M. de Villèle, sur la porte de leur demeure, le mot d'Horace : Inveni portum. Mais on ne pouvait attendre pareille attitude de la masse du parti qui n'avait pas les mêmes raisons de sérénité ou de satiété, surtout des jeunes qui, par nature, rêvent plus de la haute mer que du port. Beaucoup de royalistes commencèrent donc aussitôt, contre la monarchie de 1830, la guerre implacable qu'ils devaient poursuivre jusqu'en 1848. Dans les premiers temps, malgré l'immense talent et la renommée déjà éclatante de M. Berryer, le terrain parlementaire n'était pas le plus favorable à leur attaque. Les élections de 1831 les avaient presque complètement exclus de la Chambre. D'ailleurs, les vainqueurs de la veille, orgueilleux de leur succès et de leur nombre, n'eussent pas toléré à la tribune des agressions trop vives contre le régime nouveau, ou une apologie trop ouverte du régime ancien. C'est dans la presse que les vaincus cherchèrent leur revanche, ou tout au moins la satisfaction de leurs ressentiments. Rien ne peut donner une idée du ton que prirent les journaux de droite, de leur violence outrageuse contre le gouvernement et personnellement contre le Roi. Ils dépassaient presque les feuilles de gauche, et nous avons vu cependant jusqu'où allait l'audace de celles-ci[31]. Il est vrai que les écrivains du parti vainqueur ne traitaient souvent pas mieux la dynastie tombée. Renverser à tout prix la monarchie nouvelle et, en attendant, lui faire le plus de mal possible, tel était, dans sa redoutable simplicité, le programme de ces royalistes. Que ce renversement dût tout d'abord profiter à la République, ils ne s'en inquiétaient pas outre mesure ils se flattaient que cette république ne durerait pas ; d'ailleurs, s'ils ne pouvaient obtenir la pleine restauration du droit, ce leur était du moins une première jouissance de voir châtier ce qu'ils regardaient comme une usurpation pis encore, comme une trahison. Pour comprendre leur conduite, il ne faut pas oublier qu'à leurs yeux tout était préférable à ce qui existait.

Chateaubriand alors âgé de plus de soixante ans, dans la plénitude de son talent et de sa gloire, était le plus illustre, et surtout le plus populaire des royalistes. Il donnait le ton à la polémique de son parti, dans des pamphlets terribles que la presse entière commentait avec passion. Essayait-il de tenir la gageure téméraire qu'il avait faite, assure-t-on, au début des journées de Juillet ? Si la légitimité est renversée, avait-il dit, et que la presse soit libre, je ne demande qu'une plume et deux mois pour relever !a légitimité. C'est par le mépris qu'il veut tuer la royauté de 1830 ; il la montre arrivant piteuse, les mains vides, n'ayant rien à donner, tout à recevoir, se faisant pauvrette, demandant grâce à chacun, et cependant hargneuse, déclamant contre la légitimité, contre le républicanisme, et tremblant devant lui. Les sarcasmes ne lui manquent point pour flétrir le pot-au-feu d'une monarchie domestique. Il s'en prend surtout à la politique extérieure du nouveau gouvernement, aux génuflexions et aux mains mendiantes de sa diplomatie. Il lui reproche d'avoir eu peur de son principe par vaillance de cœur, manque d'honneur et défaut de génie ; de s'être traînée sur le ventre, d'avoir abandonné les nations soulevées pour elle et par elle, d'avoir ainsi laissé échapper l'occasion de rendre à la France ses frontières. Les patriotes républicains ne parlaient pas autrement. C'est que, tout en combattant pour la vieille royauté, par fidélité de conviction, peut-être plus encore par point d'honneur, par souci de l'unité de sa vie, Chateaubriand tenait beaucoup à conserver ces applaudissements de gauche dont il avait pris l'agréable habitude, depuis son opposition à M. de Villèle. De là, ses coquetteries avec Béranger et Carrel ; de là, ses éloges à l'adresse du peuple qui l'avait porté en triomphe pendant les journées de Juillet, et qu'il plaignait d'avoir été dépouillé de sa victoire et de sa révolution par les usurpations de la coterie régnante, par ces écornifleurs de gloire, de courage et de génie ; de là, les protestations, souvent injurieuses, par lesquelles il se séparait des hommes impopulaires de son propre parti, des auteurs du coup d'État manqué, de ces eunuques qui avaient tenté d'organiser une terreur de château et avaient formé la conspiration de la bêtise et de l'hypocrisie de là, sa préoccupation de ne pas paraître trop dupe du drapeau politique dans lequel il se drapait, de ne pas être pris par la jeune France pour un rabâcheur de panache blanc et de lieux communs sur Henri IV capable d'un attendrissement de nourrice transmis, de maillot en maillot, depuis le berceau du Béarnais jusqu'à celui du jeune Henri[32].

Dans ces avances à la gauche, il n'y avait pas seulement le calcul d'une vanité personnelle, mais aussi une tactique politique qui fut alors celle de presque tous les royalistes militants. Ceux-ci s'étaient rendu compte qu'ils seraient peu entendus et surtout n'auraient pas d'alliés, s'ils attaquaient la monarchie nouvelle au nom de leurs anciennes doctrines autoritaires, aristocratiques et traditionnelles. Il leur parut plus habile et plus efficace de lui faire la guerre sous le drapeau de la liberté absolue. On vit subitement les anciens amis de M. de Polignac réclamer la licence de la presse, de l'association des réunions, l'extension des droits du jury, la suppression de tout cens électoral, l'élection des maires, etc., etc. Ils n'admettaient pas qu'on relevât dans cette attitude une contradiction avec leur propre passé. Nous avons le droit, disaient-ils, d'exiger de la monarchie nouvelle qu'elle soit conséquente avec ses propres principes. Leur objectait-on que, dans de telles conditions, il n'y avait pas de gouvernement possible Eh ! qui vous dit le contraire ? répondait M. Berryer. Je comprends vos embarras, je les avais prévus, et c'est pourquoi je protestais contre ce que vous faisiez et contre le principe que vous adoptiez. Mais il est adopté, ce principe, adopté pour être la loi du pays. Dès le 18 août 1830, la Quotidienne disait : Il faut oser demander aux révolutions la conséquence des principes qui les produisent. Cela pousse à des abîmes peut-être, mais aussi ramène forcément à l'ordre moral... Lorsqu'on aura vu les pouvoirs, les partis et les factions guidés seulement par l'instinct d'une force brutale se débattre et se renverser dans une immense arène, sans qu'aucun principe de droit puisse jamais jaillir d'un tel choc, les peuples fatigués seront bien obligés de convenir que l'équité, c'est-à-dire la légitimité, a sa source en quelque lieu plus haut[33]. Cette tactique permettait aux royalistes de se rencontrer, dans presque toutes les questions, avec le parti démocratique. Plusieurs même rêvaient une alliance, une coalition formelle. Telle était notamment la thèse de la Gazette de France, qui, au lendemain de la révolution, conviait les républicains à s'unir aux royalistes pour une même œuvre de renversement. Ceux qui adhèrent à la légitimité par sentiment ou par principe, disait-elle, et ceux qui ont foi dans la souveraineté du peuple, tout en se proposant un but différent, doivent être d'accord sur la nullité radicale de tout ce qui a été fait[34].

Le directeur de la Gazette de France, M. de Genoude, fut en effet l'apôtre le plus persévérant et le plus passionné de cette alliance avec la gauche. Aucune rebuffade ne décourageait ses avances. Plus tard, d'ailleurs, il imaginera un moyen ingénieux d'avoir raison des résistances de la presse démocratique ce sera de fonder à ses frais une feuille de gauche, la Nation, qui aura pour programme spécial de marcher d'accord avec la Gazette et de montrer ainsi réalisée l'union des deux partis ; la Nation, à la vérité, ne pourra vivre. Non-seulement M. de Genoude tendait la main aux démocrates, mais il leur empruntait leurs idées, leurs formules, amalgamait bizarrement la souveraineté du peuple et la légitimité royale, et lançait, le premier, au lendemain de 1830, l'idée du suffrage universel, comme il sera le premier, le 24 février 1848, à en demander l'application. Personnage étrange marié d'abord assez richement, ayant ajouté un de au commencement et à la fin de son nom patronymique qui était Genou, il devenait prêtre en 1835, peut-être avec l'espoir de pouvoir présenter désormais toutes ses lubies comme des dogmes, menant du reste une vie qui, sans être irrégulière, n'était guère plus sacerdotale que son costume moitié frac, moitié soutane. Une fois prêtre, il n'aura de cesse qu'il ne soit député, et il y parviendra en 1846. C'étaient autant de préparatifs au rôle universel dont il avait la prétention. Il annonçait, à jour fixe, les États généraux, le congrès et le concile, où il devait siéger, et qui auraient pour tâche de refaire, d'après ses plans et sous sa direction, la monarchie, l'Europe et l'Église. Jamais prophète ne fut plus hardi, plus imperturbable, moins troublé par le démenti des événements. Très-personnel, d'une 'vanité et d'une ambition presque candides dans leur énormité, peu scrupuleux sur les moyens de polémique, ayant quelque chose du charlatan, on ne pouvait néanmoins contester la sincérité de ses convictions, son dévouement à sa cause et le désintéressement avec lequel il dépensait pour elle sa vie et sa fortune. Écrivain médiocre et terne, compilateur audacieux, universellement superficiel, il touchait à tout, fondait des journaux, entreprenait des encyclopédies, faisait des livres de théologie, mêlait la littérature, la politique, la religion et le commerce. Mais il possédait quelques-unes des qualités du journaliste, et son nom a été souvent mis à côté de celui de M. de Girardin il avait du coup d'œil, de l'abondance, des ressources et de l'audace pour la guerre de plume. Ajoutez une naïveté et une confiance dans le paradoxe qui déroutaient la contradiction, un aplomb que rien ne démontait, une ténacité que rien ne lassait, et surtout, au milieu d'une vie par d'autres côtés si mobile et si dispersée, la puissance de l'idée fixe. Je suis, disait-il de lui-même, la vrille qui tourne toujours jusqu'à ce qu'elle ait fait son trou. Criblé de sarcasmes, il avait trop confiance en soi pour en être atteint, tellement persuadé de son importance qu'il finissait par en persuader le public. Vainement ses amis le trouvaient-ils souvent compromettant, vainement ses ennemis étaient-ils tentés de ne pas le prendre au sérieux, il s'imposait à tous, à force de les fatiguer, obligeant les uns à compter sur lui et les autres à compter avec lui ; bien plus, il a fait en sorte que l'histoire ne peut le passer sous silence.

Au lendemain même de la révolution, les hommes de gauche se souvenaient trop de la Restauration pour accepter facilement l'espèce d'alliance que M. de Genoude et d'autres royalistes leur proposaient. Le plus souvent même, ils la repoussaient avec indignation[35]. Mais avec le temps, cette répugnance s'affaiblit. A gauche aussi, on arriva à détester le gouvernement plus que tout le reste. Si nous n'avons pas le même paradis, disait-on aux légitimistes, nous avons le même enfer. L'habitude de la lutte amena une sorte de fraternité d'armes entre les soldats ou les chefs des deux camps. Plus d'une camaraderie de ce genre se forma en prison ainsi le vicomte de la Rochefoucauld devenait, à Sainte-Pélagie, l'ami de M. Sarrut, l'un des rédacteurs de la Tribune. Quand ce journal, si grossièrement révolutionnaire, ouvrit une souscription pour payer ses amendes, M. de Chateaubriand s'inscrivit pour cinquante francs, et la Gazette de France pour mille francs. Un tel rapprochement n'était pas sans offusquer certains royalistes. L'un des anciens collègues de M. de Polignac, M. de Guernon-Ranville, écrivait sur son journal, dans la prison de Ham, à propos de réunions de carlistes et de républicains qui avaient lieu dans certains départements du Midi : L'alliance paraît tout a fait cimentée dans ces réunions. On dit qu'a un grand banquet donné à Berryer, les couleurs rouge et blanc brillaient partout réunies, et le journal royalisteGazette de France, en signalant ce fait, s'écrie avec jubilation : La réforme a donc un drapeau, et maintenant il faudra compter avec elle. C'est bien ! 1815 et 1793 se donnent l'accolade ; les bourreaux et les victimes s'embrassent. Touchante sympathie admirable fusion ! Et M. de Guernon-Ranville ajoutait[36] : C'est M. de Genoude qui est l'inventeur de ce beau système. Mais le déplaisir des sages, d'ailleurs peu nombreux, n'était pas fait pour arrêter la passion des ardents. Bientôt on ne s'étonnera plus, quand il s'agira d'un plan de campagne à arrêter pour l'opposition, de voir les représentants des deux partis se réunir et délibérer ensemble[37], et un jour viendra, en 1843, où M. de Genoude se présentera aux électeurs de Périgueux, avec la recommandation de MM. Arago et Laffitte. Après tout, pour être juste, il faut reconnaître que les légitimistes ne faisaient pas pis qu'on n'avait fait contre eux, quand ils étaient au pouvoir leur alliance avec les républicains n'était pas plus malhonnête que celle des libéraux et des bonapartistes, sous la Restauration.

Si nous avons rappelé l'acharnement de la presse royaliste contre le gouvernement d'alors, ce n'est certes pas avec l'intention de rallumer des querelles aujourd'hui éteintes. Grâce à Dieu, elles n'ont plus de raison d'être, et le seul résultat de ce retour sur le passé doit être de nous faire mieux sentir le tort que cette division causait aux deux partis. La monarchie de Juillet, surtout au début, n'a pas toujours bien compris quelle cause de faiblesse était pour elle l'hostilité des légitimistes. Ceux-ci lui paraissaient avoir été, pour le gouvernement précédent, des amis si gênants par leurs exigences, si compromettants par leur impopularité, qu'elle se félicitait presque de leur opposition, comme si le gouvernement en devenait plus commode, et la faveur du public plus assurée aussi s'attachait-elle, par son langage, par ses actes, à marquer davantage la séparation, et s'en faisait-elle un titre auprès de la foule. Vue bien courte ! Pour être une minorité alors vaincue et peu en faveur, le parti royaliste n'en comprenait pas moins la plus grande part de cette élite sociale, aristocratie de la naissance, de la fortune, de l'éducation, de la -tradition, sans laquelle et surtout contre laquelle on ne saurait établir un gouvernement durable. En dehors de ce groupe, il restait bien encore un parti conservateur pour soutenir la monarchie nouvelle, mais un parti rabaissé, découronné, appauvri de ses éléments brillants, généreux et croyants, n'ayant plus assez de prestige pour en imposer à la foule, assez de force pour soutenir la lutte .contre les ennemis de tout gouvernement. Cette vérité a été du reste mieux vue après coup, et les esprits les moins suspects de partialité pour les hommes et les idées du parti royaliste l'ont confessée. Rien n'est assuré en politique, a écrit M. Renan en 1869, jusqu'à ce qu'on ait amené les parties lourdes et solides, qui sont le lest de la nation, à servir le progrès. Le parti libéral de 1830 s'imagina trop facilement emporter son programme de vive force, en contrariant en face le parti légitimiste. L'abstention ou l'hostilité de ce parti est encore le grand malheur de la France. Retirée de la vie commune, l'aristocratie légitimiste refuse à la société ce qu'elle lui doit, un patronage, des modèles et des leçons de noble vie, de belles images de sérieux. La vulgarité, le défaut d'éducation de la France, l'ignorance de l'art de vivre, t'ennui, le manque de respect, la parcimonie puérile de la vie provinciale, viennent de ce que les personnes qui devraient au pays les 'types de gentilshommes remplissant les devoirs publics avec une autorité reconnue de tous, désertent la société générale, se renferment de plus en plus dans une vie solitaire et fermée. Le parti légitimiste est en un sens l'assise indispensable de toute fondation politique parmi nous ; même les États-Unis possèdent cette base essentielle de toute société, dans leurs souvenirs religieux, héroïques à leur manière, et dans cette classe de citoyens moraux, fiers, graves, pesants, qui sont les pierres avec lesquelles on bâtit l'édifice de l'État. Le reste n'est que sable ; on n'en fait rien de solide, quelque esprit et même quelque chaleur de cœur qu'on y mette d'ailleurs[38].

Mais si le parti légitimiste, par son opposition, faisait du mal à la monarchie de Juillet, il s'en faisait aussi à lui-même. La campagne d'opposition à outrance, de vengeance implacable, de renversement quand même, où il s'engageait, était pleine de tentations mauvaises elle le conduisait à des procédés et à des alliances révolutionnaires qui n'étaient pas sans fausser ses habitudes intellectuelles, diminuer son autorité politique et altérer son intégrité morale. Dans ce nouveau rôle, il n'était plus lui-même, étonnait la conscience publique et fournissait prétexte aux sévérités de ses adversaires qui lui reprochaient, avec M. Guizot, son mélange bizarre d'insolence aristocratique et de cynisme révolutionnaire[39]. D'ailleurs, cette monarchie de Juillet, où l'on ne voulait voir qu'une usurpation à châtier à tout prix et à tout risque, ne s'en trouvait pas moins avoir le dépôt de l'autorité et la charge de défendre la société contre ses ennemis. Les royalistes ont dû se demander plus tard si les coups dont ils avaient frappé ce gouvernement n'avaient pas atteint l'autorité sociale, et notamment si leur campagne audacieusement poursuivie pour avilir la personne d'un roi, n'avait pas abaissé la royauté elle-même, contribué à détruire complètement dans nos mœurs le prestige et le respect dont la dynastie légitime eût eu la première besoin, et préparé ainsi les esprits à la république.

Double leçon, dont ont profité ces deux moitiés, également nécessaires, du parti conservateur et monarchique. Les libéraux de 1830 y ont appris qu'ils étaient impuissants à rien fonder de solide, de complet et de durable, sans les royalistes. Ceux-ci ont vu que cette politique de ressentiment, dont le dernier acte a été de pousser un cri de joie triomphante le 24 février 1848, n'avait ni avancé la restauration de leur dynastie, ni accru t'honneur de leur drapeau, ni servi les intérêts permanents de la société.

 

VI

Il était des royalistes assez nombreux et surtout fort remuants auxquels cette guerre de plume et ces manœuvres de presse ne suffisaient pas. Vivant entre eux, se nourrissant de leur propre exaltation, ils s'imaginaient, comme les républicains, qu'un coup de main pourrait jeter bas un gouvernement si précaire. Ils croyaient l'armée mécontente des humiliations qu'on lui avait fait subir après la révolution. Le dédain avec lequel il était de mode, chez eux, de traiter la royauté bourgeoise, aidait à leurs illusions. A ceux qui parlaient de laisser d'abord la monarchie s'user, ils répondaient : Profitons, au contraire, de ce qu'elle n'a pas encore eu le temps de s'installer. Humiliés de la façon un peu piteuse dont le ministère Polignac s'était laissé battre par les Parisiens, ils étaient impatients de venger, par quelque fait d'armes, l'honneur de leur drapeau. Parmi eux étaient beaucoup d'officiers démissionnaires de la garde royale. Des hommes considérables, le maréchal de Bourmont, les généraux duc des Cars et vicomte de Saint-Priest, croyaient le succès possible, et, en tous cas, estimaient l'effort nécessaire pour relever le prestige et le moral de leur parti.

Au sein même du parti d'action, l'accord était loin d'être complet. Quelques-uns tournaient plus ou moins les yeux du côté des puissances européennes ; ils étaient peu nombreux et vivement désavoués par la plupart des royalistes qui n'avaient pas oublié combien avait été cruellement exploitée, contre la royauté légitime, la coïncidence de la Restauration et de l'invasion étrangère. D'autres prétendaient agir, à la façon des républicains, par des sociétés secrètes et des émeutes dont les soldats seraient recrutés, à prix d'argent, dans les mêmes régions où les révolutionnaires trouvaient gratuitement les leurs. Tel fut, en février 1832, l'étrange complot des Prouvaires. On avait enrôlé, à grands frais, et organise, à peu près comme les carbonari, quinze cents hommes de main, généralement aventuriers de carrefours. Leurs chefs apparents étaient un cordonnier et un passementier. Quels étalent les chefs réels ? On a parlé du maréchal duc de Bellune ; il est probable qu'on se servait de son nom malgré lui. En somme, les recherches de la police n'ont pu guère remonter, dans cette affaire, plus haut qu'un comité qui se prétendait en rapport avec la duchesse de Berry, et dont faisaient partie des gentilshommes peu connus[40]. Les conspirateurs avaient résolu de faire leur coup dans la nuit du 2 février. Un bat était annoncé aux Tuileries, pour cette date. On devait cerner le palais, y pénétrer par le Louvre et s'emparer de la famille royale. Mais la police était de moitié dans le secret. Quelques heures avant le moment fixé, une grande partie des conjurés étaient réunis dans un banquet ; rue des Prouvaires survinrent les sergents de ville et les gardes municipaux. Il y eut une velléité de résistance ; des coups de feu furent tirés, dont un tua un malheureux agent de police. Meurtre inutile ! Tout était manqué. Parmi les individus arrêtés, cinquante-six furent renvoyés en cour d'assises ; vingt-sept condamnations furent prononcées, dont six à la déportation, et deux, par contumace, à la peine de mort.

Des entreprises aussi suspectes n'étaient pas faites pour plaire à un parti chevaleresque. Combien plus était-H séduit à l'idée d'une prise d'armes au plein soleil, d'un combat face à face ! L'agitation qui s'était manifestée à la suite de la révolution de 1830, dans les départements de l'Ouest, lés bandes de chouans qui s'y étaient reformées, bandes isolées, il est vrai, et composées plutôt de réfractaires que de partisans politiques, avaient donné à penser qu'il serait possible de généraliser le mouvement et de réveiller l'ancienne Vendée de 1793. On comptait aussi sur le Midi, où les royalistes étaient en effet nombreux et où surtout, par la vivacité méridionale de leur langage, ils faisaient illusion aux autres et peut-être à eux-mêmes sur leur force et leur résolution. Les fidèles qui allaient visiter les royaux exilés les entretenaient de ces espérances. Souvent même, la compassion pour le malheur, l'ardeur du dévouement, ou le désir de se faire valoir, les conduisaient à embellir le tableau. Vainement les politiques sérieux du parti, MM. de Chateaubriand, de Pastoret, Berryer, Hyde de Neuville, de Dreux-Brézé, faisaient-ils parvenir des avis absolument contraires et avertissaient-ils que ces projets reposaient sur de pures illusions ; vainement, de la Vendée même, les renseignements étaient-ils loin d'être unanimes, et des doutes y étaient-ils parfois exprimés sur la possibilité d'un soulèvement ; il était plus facile et plus agréable de se faire entendre, quand on offrait de se battre et qu'on promettait le succès.

Ce n'était pas auprès de Chartes X que ces ardeurs belliqueuses trouvaient le plus d'accueil. Enfermé, comme en un tombeau, dans le sombre château d'Holyrood, à Édimbourg, désabusé par tant de catastrophes, inerte par vieillesse, résigné par piété, ce prince attendait peu des moyens humains, et se préoccupait surtout de ne pas compromettre, dans une aventure, cette dignité royale qu'il avait su garder intacte, jusque dans sa chute, et qui seule lui restait de l'héritage de ses pères. Il était d'ailleurs encouragé, dans sa méfiance, par son conseiller favori, M. de Blacas, qui ne voyait guère rien de sérieux à tenter en dehors des puissances étrangères. Tout autres étaient les dispositions de la duchesse de Berry, mère du jeune duc de Bordeaux, sur la tête duquel l'abdication de Charles X et la renonciation du duc d'Angoulême faisaient reposer le droit royal. Vivant alors à Londres, entourée de jeunes femmes et de jeunes gens, dans un va-et-vient de visiteurs qui faisait illusion sur la force du parti, elle accueillit aussitôt avec ardeur le projet d'une prise d'armes et se montra résolue à y jouer personnellement le premier rôle. Elle s'exaltait à cette pensée qu'une femme saurait reconquérir une couronne perdue par des hommes, et que la mère remettrait elle-même son fils sur le trône. Chez cette Napolitaine aimable et rieuse, légère et mobile, vraie reine de l'élégance et du divertissement, facilement absorbée par ses fantaisies du moment, animant et égayant tout autour d'elle, semant les grâces et les bienfaits tout en récoltant les plaisirs, facile à vivre, le cœur sur la main, sans morgue comme sans discipline, chez cette veuve de vingt et un ans que la mort tragique de son époux n'avait pu ni éteindre, ni rendre longtemps grave, il y avait un côté vaillant et généreux. Une heure d'héroïsme lui était même plus facile qu'une vie de devoir simple et triste. L'exil inerte et résigné dans un vieux château, entre Charles X et la duchesse d'Angoulême, représentait pour elle quelque chose de cent fois pire que le danger, l'ennui. Au contraire, l'expédition qu'on lui proposait, tout en intéressant sa tendresse et son ambition maternelles, en séduisant son courage, amusait son imagination. Pour elle et pour beaucoup de ses partisans, il s'agissait moins d'exécuter un dessein politique mûrement médité, que de transporter dans la France bourgeoise de 1830 une chevaleresque aventure, quelque chose comme la mise en action d'un récit de ce Walter Scott qui régnait alors souverainement sur toutes les têtes romanesques. Un peu plus tard, quand Madame se trouvait en Vendée, un royaliste disait aux politiques du parti, fort embarrassés et mécontents de cette équipée : Messieurs, faites pendre Walter Scott, car c'est lui le vrai coupable[41]. En tout cas, ce devait être le dernier roman de l'auteur de Waverley, qui mourut peu après la prise d'armes de la Vendée, le 21 septembre 1832.

La situation était assez mal définie entre la duchesse de Berry et Charles X. Celui-ci n'avait pas rétracté l'abdication de Rambouillet il l'avait même confirmée seulement auprès des siens, il semblait être demeuré le Roi ; il tenait sous sa garde le duc de Bordeaux. On eût dit qu'à ses yeux l'abdication devait rester sans effet, tant qu'il n'aurait pas pourvu à la régence. En tout cas, à défaut de ses droits de roi, il prétendait conserver ceux de grand-père et de chef de famille. La duchesse et ses amis, parmi lesquels on remarquait le général duc des Cars, le maréchal de Bourmont, le vicomte de Saint-Priest, le comte de Kergorlay, le comte de Mesnard, soutenaient au contraire, plus ou moins ouvertement, que Charles X s'était dépouillé de toute autorité, que la régence appartenait de droit à la mère du jeune roi, et que d'ailleurs, pour agir sur la France, il fallait lui montrer quelqu'un de plus jeune, de moins compromis que le vieil auteur des Ordonnances.

La différence des points de vue auxquels, à Holyrood et à Londres, on envisageait le projet de prise d'armes, n'était pas faite pour atténuer ce désaccord. Charles X estimait ce projet déraisonnable et dangereux. Cependant, au commencement de J831, entouré, pressé, il ne crut pas pouvoir s'opposer plus longtemps à toute action il se résigna à donner un demi-consentement et à conférer condition nettement à la duchesse de Berry, pour le cas où elle entrerait en France, le titre de régente[42]. Seulement il lui adjoignait le duc de Blacas et donnait à celui-ci pouvoir de s'opposer à toute démarche imprudente. La duchesse se rendit alors en Italie, pour y préparer de plus près sa descente en France. Entre sa témérité généreuse et tout imaginative et la circonspection hautaine, étroite et froide du favori royal, l'entente était impossible. Le conflit s'aggrava rapidement, et bientôt il fallut en venir à un éclat. M. de Blacas, à peu près congédié, dut s'éloigner, et, à la fin de septembre 1831, après conférence entre les conseillers de la duchesse, il fut signifié au vieux roi qu'en vertu de l'axiome Donner et retenir ne vaut, il n'avait plus, depuis l'abdication, le droit de disposer de la régence, que la mère du roi mineur avait qualité pour se proclamer elle-même régente, et que d'ailleurs, dans la disposition des esprits en France, la publication d'ordonnances par lesquelles Charles X conférerait la régence et en réglerait les conditions, aurait un effet funeste. Ainsi émancipée de la cour de Holyrood, la duchesse de Berry employa l'hiver de 1832 à presser les préparatifs de son entreprise. Les belles promesses des royalistes du Midi leur firent réserver l'honneur de prendre les premiers les armes. Marseille devait donner le signal, toutes les provinces environnantes y répondre, et de là le mouvement gagner la Vendée et la Bretagne. Le duc des Cars était chargé de commander dans le Midi, le maréchal de Bourmont dans l'Ouest. Tout était prévu pour le lendemain de la victoire des ordonnances, rédigées d'avance, constituaient un gouvernement provisoire, composé du maréchal de Bellune, de MM. de Pastoret, de Chateaubriand, de Kergorlay ; elles convoquaient les États généraux à Toulouse, rétablissaient les provinces, avec des libertés locales étendues, abolissaient une partie des impôts indirects, licenciaient les plus jeunes soldats, augmentaient la solde des autres et récompensaient l'armée d'Alger. Il n'était pas jusqu'à la composition de la maison du jeune roi qui ne fût arrêtée dans ses détails. Les gouvernements étrangers, si peu favorables qu'ils fussent à Louis-Philippe, ne voyaient pas sans déplaisir ces préparatifs ; M. de Metternich engageait sous main le duc de Modène à renvoyer la duchesse de Berry de ses États ; le Czar, causant avec un envoyé de cette dernière, M. de Choulot, gémissait sur la froideur de la Prusse et de l'Autriche, mais se gardait lui-même de promettre aucun secours ; seul, Charles Albert, roi de Piémont, donnait ouvertement son appui et s'exposait ainsi aux remontrances du gouvernement français[43]. Quant à la princesse, plus exaltée que jamais, impatiente de tout retard, elle se refusait à voir aucun obstacle, à tenir compte d'aucun renseignement défavorable ; se décidant par l'imagination et le sentiment, dans ce qui était du ressort de la raison et du bon sens ; écoutant seulement ceux qui abondaient dans ses idées ; désarmant, par son charme et sa belle humeur, l'opposition des sages qui, séduits, mais non convertis, se résignaient a la suivre en branlant la tête[44].

Enfin vient l'heure si désirée de l'exécution. Madame s'embarque à la dérobée sur un petit navire frété sous de faux noms, et, suivie de rares et fidèles compagnons, parvient, le 29 août 1832 à se faire jeter sur la côte de Provence. Le lendemain, à Marseille tentative d'insurrection qui, dès la première heure, échoue piteusement. Quelques soldats suffisent à disperser les conjurés, dont plusieurs sont arrêtés, entre autres M. de Kergorlay. On n'a que le temps de faire parvenir à la princesse un billet ainsi conçu : Le coup a manqué ; il faut sortir de France. Mais elle refuse de se rembarquer. D'ailleurs, les mesures prises par le gouvernement le lui permettraient-elles ? Messieurs, en Vendée ! dit-elle aux amis qui l'entourent. Donnant l'exemple elle se met hardiment en route, traverse la France de part en part, dépiste partout la police grâce à la fidélité de ses partisans[45], ne se rebute d'aucune fatigue ni d'aucun péril, prend en gaieté les ruses et les déguisements auxquels il lui faut recourir. En6n, vers le 15 mai, elle arrive en Vendée, traquée, mais insaisissable, le plus souvent travestie en jeune paysan sous le nom de Petit-Pierre, toujours sur le qui-vive passant de ferme en ferme, à cheval ou plus souvent à pied, par des chemins détestables, recevant mystérieusement les hommages des gentilshommes auxquels elle se fait connaître, partageant la chaumière et mangeant le pain du métayer. Plus que jamais, elle est en plein Walter Scott. Une telle vie n'est pas faite pour calmer l'exaltation de la duchesse. Vainement plusieurs des chefs bretons et vendéens lui déclarent-ils, tardivement il est vrai, qu'un soulèvement leur paraît impossible[46] ; vainement M. Berryer vient-il, au nom de ses amis de Paris, la supplier de renoncer à son projet[47] : elle se montre surprise et irritée de ces conseils, rappelle les avis tout contraires sur la foi desquels elle s'est engagée, et repousse vivement l'idée d'une retraite qui lui paraît désastreuse pour sa cause et ridicule pour elle-même. D'ailleurs, elle ne manque pas de gens qui, par aveuglement, par faux point d'honneur, par dévouement mal entendu, la poussent à agir, ou qui du moins se feraient scrupule de l'en détourner. Et puis, de quelles illusions ne se nourrit-elle pas encore ! Elle s'imagine qu'il suffira de répandre ses proclamations pour décider l'armée à passer au drapeau blanc, ou met sa confiance dans un stratagème de roman au moyen duquel on prétend enlever aux soldats dispersés leurs armes et leurs habits. Enfin, après des tiraillements, des contre-ordres qui ont dérouté ses partisans et mieux averti ses adversaires, elle fixe définitivement la prise d'armes à la nuit du 3 au 4 juin.

A la date indiquée, le tocsin sonne ; des bandés se forment, mais peu nombreuses et sans ensemble. Quelques petits combats sont livrés, le 4 à Aigrefeuille, le 5 au Chêne, le 7 au château de la Pénissière, où quarante-cinq fils de famille se défendent héroïquement, au milieu même des flammes, contre plus de deux cents soldats. Partout les Vendéens sont écrases il ne leur reste plus qu'à se disperser et à rentrer chez eux. La duchesse de Berry avait annoncé qu'elle serait de sa personne au premier rassemblement. Ce n'est certes pas le défaut de courage qui l'en a empêchée, et, quoi qu'il eût pu lui arriver dans un combat, tout eût mieux valu pour elle que ce qui devait suivre ; mais, dès le premier moment, sa cause est à ce point perdue qu'il lui faut dépenser toute son énergie à se soustraire aux poursuites, en alerte le jour et la nuit, réduite à changer à tous moments de refuge. Enfin le 9 juin elle est forcée de reconnaître que la Vendée n'est plus même en état de la cacher ; elle gagne Nantes, déguisée en paysanne, et s'établit chez les demoiselles Duguigny ; elle devait y rester jusqu'au jour où elle sera vendue par Deutz.

La déroute était complète. Elle eût risqué même d'être un peu ridicule, sans le respect dû à des actes de courage comme celui de la Pénissière, et sans cette bonne tenue que le parti royaliste ne gardait jamais mieux qu'aux jours de ses grands revers. C'était, en tout cas, un échec irréparable pour la cause qu'on avait cru relever d'un seul coup, et une confirmation décisive de la défaite de Juillet. Pendant que la Vendée mettait bas les armes qu'elle ne devait jamais reprendre, le duc d'Orléans parcourait ces provinces du Midi que la mère du duc de Bordeaux s'était flattée de soulever, et il y recevait un accueil chaleureux auquel, du reste, aidaient sa bonne grâce et sa présence d'esprit. M. de Metternich constatait de loin l'étendue de la défaite à laquelle les royalistes s'étaient si témérairement exposés. L'absurde entreprise de madame la duchesse de Berry, écrivait-il, le 15 juin 1832, à son ambassadeur à Rome, a eu un résultat aussi opposé que possible aux vues de la duchesse ; elle aura ainsi prêté au roi Louis-Philippe la vitalité qui lui manquait ; elle l'aura affermi sur un trône qui, jusqu'à cette heure, ne reposait sur aucune base solide[48]. Aussi la royale aventurière était-elle vivement blâmée par sa propre famille. J'ai eu l'occasion, écrivait encore M. de Metternich au comte Apponyi, ambassadeur en France, de m'entretenir avec madame la duchesse d'Angoulême sur l'entreprise de Madame, sa belle-sœur. Elle pense à ce sujet, comme le roi Louis-Philippe et comme l'Empereur. Charles X en jugeait de même et le faisait dire par M. de Blacas[49]. Ils avaient donc bien mal servi leur parti, ceux qui avaient poussé à cette prise d'armes, surtout ceux qui, voyant la folie de l'aventure, ne s'étaient pas mis en travers ou même y avaient applaudi, par crainte de paraître moins courageux et moins dévoués que tels ou tels cerveaux brutes. C'était, du reste, une faute assez fréquente chez les légitimistes ; ils oubliaient trop souvent que le meilleur courage n'est pas celui qui fait aller au feu, ni le meilleur dévouement celui qui consiste à dire aux princes ce qu'ils désirent entendre. La conséquence était que, chez eux, ce n'étaient pas toujours les sages qui décidaient et conduisaient.

 

VII

La monarchie de 1830 remportait donc, an même moment, une double et complète victoire, sur les républicains, à Paris, et sur les royalistes, en Vendée. Elle mettait en plein jour l'impuissance des deux partis qui s'étaient vantés d'avoir si facilement raison de sa faiblesse. Elle manifestait surtout sa résolution de se défendre par la force, non-seulement contre ceux qu'elle avait supplantés, mais aussi contre une partie de ceux qui avaient contribué à l'établir. Le gouvernement, écrivait à ce propos un homme politique, est rentré en possession du canon. Un pouvoir sans canon est impossible, tout comme un pouvoir sans raison. Charles X est tombé faute de raison nous chancelions faute de canon ')[50]. A la même époque, comme pour compléter l'effacement de tous les rivaux possibles de la dynastie nouvelle, le fils de Napoléon Ier le malheureux duc de Reichstadt, se mourait phtisique, à Vienne[51]. L'événement a prouvé, depuis, que cette mort ne détruisait pas toutes les chances d'une restauration napoléonienne, que même elle les augmentait, en transportant l'héritage des prétentions impériales à un prince plus remuant et plus ambitieux. M. de Metternich avait tout de suite deviné ce péril, et, dès le 21 juin 1832, il écrivait à son ambassadeur à Paris : Je vous prie de rendre le roi Louis-Philippe attentif au personnage qui succédera au duc de Reichstadt. Je me sers du mot succéder, car dans la hiérarchie bonapartiste, il y a une succession tout avouée et respectée par le parti. Le jeune Louis Bonaparte est un homme engagé dans les trames des sectes. Il n'est pas placé, comme le duc de Reichstadt, sous la sauvegarde des principes de l'Empereur (d'Autriche). Le jour du décès du duc, il se regardera comme appelé à la tête de la république française[52]. Mais en France, on était convaincu que la mort du Roi de Rome supprimait le seul prétendant sérieux à la succession de l'Empereur.

Ces événements, qui augmentaient la force de la monarchie de Juillet, laissaient cependant le ministère toujours aussi débile. Celui-ci ne trouvait pas, dans son double succès, le crédit dont il manquait auparavant ; on ne le prenait pas davantage au sérieux et on ne le croyait pas plus durable. L'opinion lui savait moins gré d'avoir vaincu les insurrections, qu'elle ne lui imputait à grief de les avoir encouragées et en quelque sorte provoquées par sa faiblesse. Et surtout, nul ne le croyait en. état de tirer de la victoire tout ce qu'elle contenait. Le Roi a beaucoup gagné, écrivait un des chefs du parti conservateur, non-seulement dans les rues, mais dans les salons. C'est le propos courant du faubourg Saint-Germain que, le 6 juin, il a pris sa couronne..... Mais le cœur me saigne de tout ce que pourrait rapporter et ne rapportera probablement pas ce capital. Je crains fort que nous ne le dépensions, au lieu de le faire fructifier. C'est le moment ou jamais de prendre une attitude et de commencer une conduite de gouvernement. Le cri en arrive de tous côtés. Beaucoup de gens le répètent ; tous viennent, s'agitent, mais sans effet. Rien n'est possible que par un vrai cabinet. Celui-ci n'est rien, de plus en plus rien ; le succès ne lui est bon qu'à faire ressortir sa nullité[53].

A regarder, en effet, soit à gauche, soit à droite, il ne semblait pas que le ministère sût tirer parti de ses avantages. Les conservateurs étaient péniblement surpris qu'au lendemain même des 5 et 6 juin, la presse de gauche eût repris audacieusement l'offensive, notamment dans les polémiques sur l'état de siège. Sans doute, si l'on avait pénétré plus avant dans le parti révolutionnaire, on y aurait trouvé plus d'insolence que de confiance au fond son découragement était grand[54] ; mais le public s'en tenait aux apparences et en voulait au cabinet de n'avoir pas davantage intimidé ceux qu'il avait vaincus. Les ministres n'en imposaient pas même à leurs subordonnés. Dans son voyage à travers le Midi, le duc d'Orléans entendit des maires et des conseils municipaux rappeler le gouvernement aux prétendus engagements de l'Hôtel de ville, repousser le funeste système et se plaindre que '< l'éclat du soleil de Juillet eût a pâli Sous un Casimir Périer, se disait-on un tel désordre ne se fût pas produit.

De même avec les royalistes. La Vendée était vaincue elle n'était pas pacifiée. La duchesse de Berry s'obstinait à rester en France, contre l'avis même de ses amis[55], contre les ordres de Charles X[56]. Insaisissable dans sa cachette de Nantes elle bravait le gouvernement, écrivait aux souverains de l'Europe, correspondait avec ses partisans de province et de Paris, divisait la France en grands commandements, constituait des comités, cherchait partout à entretenir et à aviver l'agitation. Les amis du gouvernement craignaient qu'en cas d'embarras extérieur ou autre, il n'y eût là une cause de danger[57] ; ils ne comprenaient pas que le ministère n'eût pu découvrir la retraite de la princesse, et le soupçonnaient de n'avoir pas osé le faire, parce qu'il se sentait trop faible pour surmonter les difficultés morales et matérielles d'une arrestation.

Quand il avait voulu se montrer plus prompt et plus énergique, le ministère n'avait pas eu la main heureuse. Croyant découvrir dans le voyage de M. Berryer auprès de la duchesse de Berry une preuve de complicité, il avait ordonné l'arrestation de l'illustre avocat, ainsi que de M. de Chateaubriand, du duc de Fitz-James et de M. Hyde de Neuville. C'était certes frapper haut encore eût-il fallu frapper juste. Quelques jours ne s'étaient pas passés qu'une ordonnance de non-lieu libérait les trois derniers. Quant à M. Berryer, après plusieurs mois de détention, il comparut devant la cour d'assises de Loir-et-Cher[58]. Le néant des preuves était tel qu'à l'audience le ministère public dut abandonner l'accusation. Le triomphe fut pour M. Berryer et ses amis. Une telle faute indiquait de la part du ministère peu de clairvoyance, peu de tact et un défaut de sang-froid qui n'était certes pas un signe de force.

Il n'était pas jusqu'aux affaires diplomatiques où l'on ne souffrit d'avoir un ministère qui n'en imposait pas plus au dehors qu'au dedans. M. de Metternich profitait de ce que Casimir Périer n'était plus là pour essayer aussitôt de prendre sa revanche en Italie ; dès le 19 mai 1832, il adressait à son ambassadeur à Rome une longue dépêche où il indiquait que la mort de ce ministre permettait de beaucoup oser ; il ajoutait que la position où se trouvait le gouvernement français offrait au Souverain Pontife une chance dont il était sage qu'il profitât pour régler ses affaires, c'est-à-dire pour rentrer dans l'orbite de l'Autriche[59]. Même après la répression de l'insurrection de Juin, le chancelier ne prit pas plus au sérieux le ministère ; il conserva son dédain et sa méfiance. Les événements qui viennent de se passer à Paris, écrivait-il le 21 juin 1832, ont à nos yeux la valeur de ces coups de force qu'il n'est pas rare de voir exécutés par des hommes faibles, dans les occasions où ils sont poussés à bout. Il ajoutait qu'il n'avait pas pu découvrir le moteur de l'énergie déployée ; le Roi lui paraissait incapable d'avoir été ce moteur, et aucun des ministres au pouvoir ne lui semblait de taille à se charger du rôle de M. Périer[60].

Ces dispositions des puissances risquaient de devenir périlleuses, en l'état de la question belge. Le roi de Hollande refusait toujours d'accepter le partage fixé par la conférence, dans le traité des Vingt-quatre articles (15 octobre 1831) ; il persistait à occuper militairement une partie des territoires que ce traité avait attribués à la Belgique, notamment la citadelle d'Anvers. Le gouvernement de Bruxelles demandait vivement à être mis en possession de ces territoires. Il s'adressait surtout à la France, devenue sa protectrice attitrée, depuis l'expédition d'août 1831, et encore rapprochée de lui par le mariage de Léopold avec la princesse Louise, fille aînée de Louis-Philippe[61]. Périer avait obtenu que, malgré l'opposition de la Hollande, l'Autriche, la Prusse et la Russie ratifiassent, sous certaines réserves, ce traité des Vingt-quatre articles ; mais on ne pouvait espérer qu'elles se concertassent avec nous pour en imposer l'exécution par la force. Il était même visible, depuis la mort de Périer, que le roi de Hollande reprenait confiance, qu'il se flattait de ramener les puissances dans son camp et d'être appuyé par elles, en cas de lutte armée. Que faire ? Prolonger le statu quo, c'était laisser incertain le sort définitif de la Belgique ; c'était notamment exposer celle-ci aux chances d'un revirement de la politique anglaise or, en mai 1832, on avait pu croire, un moment, que les tories allaient reprendre le pouvoir. D'autre part, agir malgré les puissances, n'était-ce pas s'exposer à un conflit redoutable ? En tout cas, pour résoudre une question si délicate, il fallait un ministère sûr de lui-même et de son avenir, inspirant à l'Europe un peu de la confiance et du respect qu'elle avait si vite témoignés à Périer. M. de Talleyrand, alors tout entier à cette affaire belge qui était son œuvre, voyait bien l'insuffisance du cabinet à ce point de vue ; il s'en exprima hautement, dans un séjour qu'il fit à Paris, vers !a fin de juin.

Les affaires d'Italie et de Belgique n'étaient pas les seules où se faisait sentir, pour notre diplomatie, le besoin d'une direction ferme. En ce même moment, une guerre survenue entre le pacha d'Égypte et la Porte rouvrait la question d'Orient ; le Sultan, vaincu et effrayé, se jetait dans les bras de la Russie, et le ministère était à ce point pris au dépourvu par cette grave complication, qu'il n'avait même pas d'ambassadeur à Constantinople.

Si le cabinet n'était pas en état de faire face aux difficultés de la politique intérieure et extérieure, il semblait peut-être encore moins capable de faire bonne figure dans les débats des Chambres. Parmi ses membres, pas un orateur de premier rang, pas un chef de parti ayant crédit et clientèle. Depuis la mort de Périer, le Parlement était en vacances ; mais ces vacances devaient avoir un terme, et un terme prochain. Or tout faisait croire que la session serait dif6cile. Les opposants, les auteurs du Compte rendu, encouragés sans doute par la faiblesse du cabinet, se préparaient à pousser très-vivement l'attaque. Du côté des députés conservateurs, les symptômes n'étaient pas plus rassurants beaucoup, de ceux surtout qui se croyaient des titres au pouvoir, s'exprimaient avec amertume et dédain sur les ministres, sur leur médiocrité, leur présomption, et aussi sur leur trop grande dépendance à l'égard du Roi ce dernier reproche s'adressait particulièrement à M. de Montalivet et au générai Sébastiani, devenus ainsi très-impopulaires. Dans le même ordre d'idées, on commentait l'absence d'un président du Conseil et la prétention du Roi d'en remplir les fonctions. Un ministère et un vrai président du Conseil ! tel était le vœu qui se dégageait de toutes les conversations du monde parlementaire.

Les ministres n'étaient pas en mesure de faire tête à un soulèvement si général. Ils ne témoignaient guère plus de confiance que le public dans le cabinet dont ils faisaient partie. Les uns, ennuyés et fatigués, ne demandaient, comme le baron Louis, qu'à s'en aller au plus vite. D'autres, pour se faire un titre à être compris dans les combinaisons futures, offraient eux-mêmes en holocauste leurs collègues plus compromis, notamment M. de Montalivet et le général Sébastiani. Ils s'imputaient mutuellement leur faiblesse commune, qu'ils augmentaient encore par ces divisions et ces récriminations. Il y a de quoi se mettre en fureur, écrivait un témoin, à voir combien ces journées du 5 et du 6 juin ont été gaspillées. Vous avez su sans doute toutes les querelles dans l'intérieur du cabinet, et on ne lavait pas son linge sale en famille ! Il n'y avait pas de ministre qui n'annonçât que le ministère ne pouvait plus tenir. Chacun faisait des arrangements pour garder son portefeuille à lui tout seul. Chacun négociait de son côté à l'insu de ses collègues. Jamais la perte de M. Périer n'a été plus sensible que huit mois après sa mort[62]. Un tel état ne pouvait se prolonger. Nous sommes en dissolution, disait, avec trop de raison, l'un des ministres[63].

Force fut donc au Roi de se rendre compte qu'il n'était pas si simple de ne pas remplacer Casimir Périer. Il le reconnut à regret ; il eût préféré pouvoir garder encore des ministres en qui il trouvait des agents dévoués, commodes et déférents ; mais il avait l'esprit trop politique pour se buter contre une nécessité. Il se résigna donc à un changement et commença les pourparlers qui, après de laborieuses vicissitudes, devaient aboutir à la constitution du ministère du 11 octobre.

 

 

 



[1] Ordonnances du 27 et du 30 avril 1832.

[2] Rappelons quelle se trouvait être alors la composition du cabinet : Montalivet, Intérieur ; Sébastiani, Affaires étrangères ; Barthe, garde des Sceaux ; baron Louis, Finances ; d'Argout, Commerce et Travaux publics ; Girod de l'Ain, Instruction publique ; maréchal Soult, Guerre ; amiral de Rigny, Marine.

[3] Dans les controverses de cette époque, on faisait grand abus de ce mot de système. Peu de jours après que Périer avait pris le pouvoir, le 15 mars 1831, le Journal des Débats avait écrit : Depuis plus de quatre mois, le gouvernement semble ne pas avoir de système. C'est ce défaut de système qui fait ses tiraillements. L'avènement du nouveau ministère est un système. Quel est ce système ?... Depuis lors, on ne parlait plus que du système : on était pour ou contre le système. Ce langage devait persister longtemps. En 1839, le Roi, causant avec M. Dupin qu'il pressait d'entrer au ministère, s'écriait : Pourvu qu'on ne s'écarte pas du système ! et M. Dupin protestait. Pour mon compte, disait-il, ne croyez pas que je veuille entreprendre ce que le Journal des Débats appelait dernièrement la glorification du système. (Mémoires de M. Dupin, t. IV, p. 6.)

[4] Moniteur du 17 mai 1832.

[5] Journal des Débats, 15 mai 1832.

[6] Le Roi, a dit M. Guizot, manifestait trop d'avis et de désirs dans de petites questions et de petites affaires qui ne méritaient pas son intervention. L'indifférence et le silence sont souvent d'utiles et convenables habiletés royales ; Louis-Philippe n'en faisait pas assez d'usage. C'est ce qui faisait dire à Béranger avec plus de méchanceté que de vérité : Le Roi veut goûter à toutes les sauces et fait tourner toutes celles où il trempe le bout du doigt.

[7] A cette époque même, en juin 1833, le Roi, causant avec les chefs de la gauche, ne trahissait-il pas son regret, quand il leur disait : Un roi constitutionnel ne peut malheureusement pas s'expliquer à la tribune je ne puis faire connaitre personnellement mes sentiments que quand je voyage, et vous aurez remarque que je ne laisse jamais échapper ces occasions sans en profiter. (Mémoires d'Odilon Barrot, t. I, p. 610.)

[8] Il ne convient d'accueillir qu'avec méfiance l'assertion de M. Odilon Barrot qui prétend qu'a la nouvelle de la mort de Périer, le Roi se serait contenté de cette froide réflexion : Est-ce un bien ? est-ce un mat ?...

[9] M. Guizot raconte, à ce propos, dans ses Mémoires (t. II, p. 329) : Peu de jours après la mort de M. Casimir Périer, j'étais aux Tuileries, dans le salon de la Reine ; un membre de la Chambre des députes, homme de sens et très-dévoué au Roi, dit à l'un des officiers intimes de la Cour : Quel fléau que le choléra, monsieur, et quelle perte que celle de M. Périer !Oui, certainement, monsieur ; et la fille de M. Molé, cette pauvre madame de Champlâtreux ! Comme pour atténuer, en le comparant à une douleur très-légitime, mais purement de famille, le deuil public pour la mort d'un grand ministre. Je ne doute pas que, si le roi Louis-Philippe eut entendu ce propos, il n'en eut senti l'inconvenance ; mais les serviteurs ont des empressements qui vont fort au delà des désirs des rois, et celui-là croyait plaire en repoussant M. Casimir Périer dans la foule des morts que le choléra avait frappés.

[10] Lors du second ministère, M. Laffitte avait le titre de président du Conseil ; mais son indolence laissait grande place à faction et à la prépondérance royales.

[11] Journal des Débats du 17 mai 1832.

[12] Mémoires du général de Ségur, t. VII.

[13] Sur cette agitation, cf. Histoire des sociétés secrètes et du parti républicain de 1830 a 1848, par Lucien DE LA HODDE. Ce dernier, membre actif des sociétés révolutionnaires pendant toute la monarchie de Juillet, rédacteur des journaux d'extrême gauche, était en réalité un habile et précieux agent de la police secrète. Quand Caussidière, lui-même ancien conspirateur, arriva à la préfecture de police en 1848, il découvrit le rôle joué par son camarade. Il réunit alors seize de ses amis chez Albert, au Luxembourg ; de la Hodde avait été convoqué. Caussidière invita la réunion à se constituer en tribunal secret pour juger un traitre, dénonça de la Hodde, et lui donnant à choisir entre un pistolet armé ou un verre de poison, le somma tragiquement de se donner la mort. L'ancien agent de la police s'y refusa. On n'osa le tuer, et Caussidière dut se contenter de le mettre arbitrairement au secret dans la prison de la Conciergerie. De la Hodde ne recouvra sa liberté qu'à la chute de Caussidière. Il publia son Histoire des sociétés secrètes en 1850.

[14] Voici quelques fragments qui donneront une idée de ce document : ..... Lors de la discussion de la liste civile, nous avons cru que la royauté nouvelle avait d'autres conditions de force et d'existence que le luxe et la corruption des vieilles monarchies. — Deux systèmes étaient présentés pour l'organisation de t'armée l'un, qui demandait une puissante réserve composée de la garde nationale et des soldats libérés du service, aurait permis de diminuer la force et les dépenses de l'armée permanente... Ce système, plus économique, plus favorable à la fusion de la garde nationale et de l'armée, était le notre. Le gouvernement, abusé par de funestes doctrines et d'injustes préventions, n'a vu d'ennemis que dans ceux qui avaient combattu pour le fonder... — C'est la rougeur sur le front que nous avons entendu les agents du gouvernement parler de la crainte de déplaire aux cabinets étrangers ; nous croyions que la France était à jamais affranchie de cette humiliante influence... Après le renversement d'une dynastie imposée par la Sainte-Alliance, le gouvernement devait surveiller avec inquiétude les mouvements des monarques étrangers. Il ne devait pas leur permettre surtout d'étendre et d'augmenter leur puissance... Et cependant, malgré ses promesses formelles, il a abandonné l'Italie à la domination de l'Autriche, et il a laissé périr la Pologne, cette Pologne que nous pouvions secourir, quoi qu'on en ait dit à la tribune, et que notre devoir était de sauver, etc., etc.

[15] Il ne faut pas confondre ce Garnier-Pagès, homme de talent, qui cachait dans un corps maladif une volonté froide et passionnée, avec son frère cadet, personnage bonasse, médiocre et un peu ridicule, qui dut seulement au renom laissé par son amé de se trouver un moment en 1848 à la tête de la France. Le 24 février, on lisait, à la tribune de la Chambre envahie, les noms des membres du gouvernement provisoire ; arrivé au nom de Garnier-Pagès, une voix du peuple cria : Il est mort, le bon !

[16] O. BARROT, Mémoires, t. I, p. 268.

[17] DE LA HODDE, Histoire des sociétés secrètes, p. 87.

[18] Ainsi appelait-on ceux des combattants de Juillet qui prétendaient n'avoir pas été récompensés selon leur mérite.

[19] On a raconté que, quand le cortège était arrivé à la place de la Bastille, un officier du 12e léger s'était avancé vers le premier groupe et avait dit au chef Je suis républicain, vous pouvez compter sur nous. Aucune défection ne se produisit.

[20] M. de Saint-Priest écrivait à M. de Barante : Louis-Philippe a fait son devoir de roi avec un courage, une bonne grâce, un à-propos vraiment admirables ; ni trop ni trop peu ; du courage sans témérité, de la dignité dans le maintien, des mots heureux à la façon de Henri IV. (Documents inédits.)

[21] Louis BLANC, Histoire de dix ans, t. III, p. 286.

[22] Magistrats, députés, gardes nationaux ne peuvent se croire fidèles à leurs serments envers le pays, s'ils n'interviennent pas de la manière la plus énergique entre la population qu'on menace d'égorger, et un gouvernement qui veut forcer les soldats à égorger la population, les citoyens a s'armer contre les citoyens. Par son endurcissement à soutenir un fatal système, il s'est fait une nécessité du crime ; il faut qu'il étouffe dans le sang nos patriotiques résistances..... La France vent un gouvernement qui la défende au lieu de l'assassiner. (National du 6 juin 1832.)

[23] Mémoires d'Odilon Barrot, t. I, p. 270.

[24] Lettre du 20 juin 1832. (Mémoires de La Fayette, t. VI, p. 674.)

[25] Louis BLANC, Histoire de dix ans, t. III, p. 286.

[26] On trouve notamment le texte de ce procès verbal dans les Mémoires de M. Odilon Barrot, t. I, p. 596 a 612.

[27] C'est ainsi qu'on eût préféré ne pas le voir chercher à se faire une sorte de popularité libérale aux dépens de ses conseillers, notamment de Casimir Périer. Dans le conseil des ministres dont on veut me tenir éloigné, disait le Roi, ce n'est certainement pas par mon influence qu'on prendra des déterminations illibérales. Ce matin, par exemple, il y avait des avis pour la mise en état de siège, et je m'y suis formellement opposé. Cette déclaration était d'autant plus fâcheuse que, le lendemain, le ministère décidait cette mise en état de siège on verra quelles polémiques et quelles difficultés devaient en résulter. Louis-Philippe se vantait également de s'être opposé aux mesures d'exception, que Périer lui proposait souvent quand il était dans ces accès de colère qui, ajoutait-il, nous ont nui plusieurs fois. A un autre moment, il disait n'avoir jamais deviné par quel caprice Périer s'était opposé obstinément à une démarche demandée par M. Arago.

[28] Dès mon arrivée au trône, disait le Roi, j'adoptai une marche qui me parut bonne, qui me semble bonne encore aujourd'hui. Prouvez-moi que je me trompe, et je changerai. Jusque-là, je dois persister ; je suis un homme de conscience et de conviction. On me hacherait comme chair à pâté dans un mortier, plutôt que de m'entraîner dans une voie dont on ne m'aurait pas démontré la convenance. Ce ne sont pas là les influences de ce prétendu entourage dont on parle tant. Je vous le dis avec franchise, un entourage, je ne m'en connais point. Peut-être est-ce l'effet de mon amour-propre, mais je crois pouvoir ajouter que personne n'a pris sur moi un ascendant qui, dans les grandes ou même dans les petites affaires, me soumette à ses volontés. Mon système de gouvernement, je le répète, me paraît excellent ; je n'en changerai point, tant que vous ne m'aurez point prouvé qu'il est mauvais. Et plus loin, dans le même ordre d'idées, le Roi prononçait, au sujet de Casimir Périer, des paroles que nous avons déjà citées.

[29] La pensée de ce rapprochement entre les journées de juillet 1830 et celles de juin 1832 préoccupait alors tous les esprits. M. Guizot écrivait, le 14 juin, au duc de Broglie : La parodie de la révolution de Juillet est jouée et tombée. Rien n'y a manque l'adresse des 221 sous le nom de Compte rendu, etc. (Papiers inédits.)

[30] Lettre de madame G*** à M. le duc de Broglie. (Papiers inédits.)

[31] Les grands journaux légitimités étaient déjà très-violents. Mais ce n'était rien à côté des petites feuilles satiriques d'extrême droite telles que le Bridoison ou les Cancans. La lecture en est singulièrement répugnante. Pour en avoir une idée, voyez les citations faites par M. Giraudeau, dans son livre sur la Presse périodique de 1789 à 1867, p. 76 à 87.

[32] Cf. passim, discours à la Chambre des pairs, 7 août 1830 ; De la Restauration et de la Monarchie élective (1831) ; De la nouvelle proposition relative au bannissement de Charles X et de sa famille (1831) ; lettre à la duchesse de Berry (1832) ; lettre à Béranger (1832), etc., etc.

[33] Il faut croire que cette tactique est la tentation naturelle de tout parti dans la situation des légitimistes après 1830 ; car les cavaliers anglais n'avaient pas agi autrement au dix-septième siècle. Lamartine cite à ce propos, dans une lettre à M. de Virieu, ce passade de Burnet : Les cavaliers vaincus se firent les plus logiques des républicains. Personne ne poussait aussi loin qu'eux les conséquences de la révolution, et, quand on leur demandait pourquoi ils proclamaient, d'une façon si absolue, des principes contradictoires à leur ancienne nature, ils répondaient : Nous avions une logique pour la monarchie, nous en avons une pour la république ; elle est sincère ; nous voulons l'extension indéfinie des principes que le pays a adoptes. La restauration ayant au lieu, ils revinrent à leurs anciens principes, mais ils avaient perdu toute autorité pour les faire de nouveau prévaloir. On leur opposait leurs paroles récentes, et de là vint le discrédit où ils tombèrent justement et la chute définitive de la dynastie.

[34] Gazette de France du 10 août 1830.

[35] Voir, par exemple, l'article publié par Carrel, dans le National, à la date du 11 mars 1831.

[36] Journal de M. de Gernon-Ranville, 1er août 1834.

[37] C'est ainsi qu'en 1840, à l'occasion des affaires d'Orient, MM. Dupont de l'Eure, Odilon Barrot, Mauguin, Thomas du National, Isambert, Chambolle du Siècle, Louis Blanc se réunissaient chez M. Laffitte, avec MM. de Genoude de la Gazette de France, Laurentie de la Quotidienne, Lubis de la France et Walsh de la Mode. (NETTEMENT, Histoire de la littérature sous le gouvernement de Juillet, t. II, p. 474.)

[38] Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1869, p. 100.

[39] Discours de M. Guizot, du 12 mars 1834. Cf. aussi le discours du 9 août suivant.

[40] DE LA HODDE, Histoire des sociétés secrètes, p. 79 et suivantes.

[41] Mémoires d'outre-tombe, par CHATEAUBRIAND, t. X, p. 143. Walter Scott ne tournait pas seulement la tète des princesses. Combien de petites bourgeoises rêvaient alors d'être Diana Vernon. Voir, à ce propos, dans les spirituels Mémoires de M. de Pontmartin, l'histoire de la fille du chocolatier marseillais. (Correspondant, 25 décembre 1881, p. 1046.)

[42] Ordre du 21 janvier 1831.

[43] Dépêches citées par HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs (1830-1848), t. I, p. 355-358,

[44] M. de Metternich déplorait alors la malheureuse facilité de la duchesse de Berry à se laisser influencer par des flatteurs qui, en sachant caresser ses affections toutes naturelles, l'exaltent et l'entraînent. Le chancelier déclarait d'ailleurs que l'entreprise projetée ne pouvait avoir que de fâcheux résultats. (Mémoires de Metternich, t. V, p. 284, 340.)

[45] C'est ce qui faisait dire, quelques mois plus tard, à M. Berryer, devant la cour d'assises de Loir-et-Cher : C'est beaucoup pour moi d'avoir cette pensée, satisfaisante pour l'honneur et le courage français, que, depuis cinq ou six mois que madame la duchesse de Berry est entrée en France, elle a changé de demeure trois ou quatre fois par semaine, que, dans chacune de ses retraites, huit dix personnes ont connu son secret, et que pas une seule n'ait été tentée de le trahir.

[46] Voir, sur ces faits et sur ceux dont nous parlons plus loin, le Journal militaire d'un chef de l'Ouest, par le baron DE CHARETTE. Celui-ci, l'un des amis les plus ardents de la duchesse de Berry, l'un de ceux qui la poussèrent le plus à l'action, déclare avoir écrit sa relation pour ainsi dire sous les yeux de Son Altesse Royale.

[47] On trouva plus tard, dans les papiers de la Duchesse, une note datée du 1er juin et écrite de la main de M. de Chateaubriand. On y lisait : Les fidèles amis de la duchesse de Berry non-seulement pensent que la guerre civile est toujours une chose funeste et déplorable, mais que de plus elle est, en ce moment, impossible. Ils pensent que les personnes qui ont été conduites à conseiller des mouvements de cette nature ont été grossièrement trompées, ou par des traîtres, ou par des intrigants, ou par des gentilshommes de courage qui se sont plus abandonnés a la chaleur de leurs sentiments qu'ils n'ont consulté la réalité des faits. La note concluait en déclarant formellement que la duchesse n'avait qu'une chose à faire quitter la France au plus vite. (Documents inédits.)

[48] Mémoires de Metternich, t. V, p. 349

[49] Mémoires de Metternich, t. V, p. 298-299.

[50] Lettre du 14 juin, adressée au duc de Broglie. (Documents inédits.)

[51] Le duc de Reichstadt succomba le 22 juillet 1832 ; mais dès le mois de juin, M. de Metternich annonçait qu'il était perdu.

[52] Mémoires de Metternich, t. V, p. 288.

[53] Documents inédits.

[54] L'effort est visible, écrivait à ce propos M. Guizot, le 23 juillet 1832, pour maintenir l'insolence ; mais la confiance a disparu. Et il ajoutait : Carrel professe le découragement, le mépris des siens. (Documents inédits.)

[55] Cf. le Journal militaire d'un chef de l'Ouest, par le baron DE CHARETTE. Il faut sauver madame la duchesse de Berry malgré elle, écrivait M. de Metternich, et l'on ne peut la sauver qu'en la faisant sortir de France. (Mémoires de Metternich, t. V, p. 298.)

[56] Charles X écrivait à la duchesse de Berry, le 28 août 1832 : J'ai besoin, ma chère enfant, de vous exprimer la parfaite inquiétude que j'éprouve de votre courageuse, mais inutile persévérance, dans une entreprise manquée, dès le principe, et qui ne peut plus être qu'aussi dangereuse pour vous qu'elle est funeste pour la cause que nous servons.. Le vieux roi continuait en l'invitant, de la façon la plus pressante, à quitter la France. La duchesse d'Angoulême lui écrivait dans le même sens. (Papiers saisis lors de l'arrestation de la duchesse. (Documents inédits.) — Dans une dépêche du 28 juillet, M. de Werther, ambassadeur de Prusse en France, parte des prières instantes que Charles X et la duchesse d'Angoulême avaient adressées à la duchesse de Berry, pour la déterminer à revenir auprès d'eux. L'ambassadeur croit que la répugnance que lui inspirait le séjour d'Holyrood était pour beaucoup dans la résistance de la princesse. (HILLEBRAND, Geschichte Frankreichs, t. I, p. 399.)

[57] C'était bien en effet le calcul de la duchesse de Berry ; au mois d'août 1832, elle adressait à ses partisans une circulaire, où, pour se justifier d'être demeurée en France contrairement à leur avis, elle leur montrait l'état menaçant de l'Europe : la question belge, sur te point d'amener un choc violent entre les puissances du Nord et la France ; le vieux roi de Hollande, par sa persévérance, paraissant devoir entraîner dans la lice, en vertu des traités de 1815, cette vieille Europe qui semblait sommeiller depuis les grandes guerres de l'Empire ; et, tout en se défendant de vouloir rien faire par l'étranger, elle déclarait rester pour profiter de ces événements. M. de Charette, qui nous rapporte ce résumé de la circulaire, ajoute qu'elle avait convaincu beaucoup de Vendéens, qui dès lors ne conseillèrent plus à la duchesse de quitter la France.

[58] Arrête le 7 juin, M. Berryer ne fut jugé que le 16 octobre.

[59] Mémoires de Metternich, t. V, p. 339.

[60] Mémoires de Metternich, t. V, p. 339, 352 à 355,

[61] Ce mariage fut célébré à Compiègne, le 9 août 1835.

[62] Lettre du comte de Saint-Priest à M. de Barante, en date du 4 octobre 1832. (Documents inédits.)

[63] Mémoires de Dupin, t. II, p. 445 et 531 à 553.