HISTOIRE DE LA MONARCHIE DE JUILLET

LIVRE II. — LA POLITIQUE DE RÉSISTANCE (13 MARS 1831-22 FÉVRIER 1836) (suite)

 

CHAPITRE IV. — LA RÉSISTANCE DE CASIMIR PÉRIER (MARS 1831-MAI 1832).

 

 

I. Lutte de Casimir Périer contre le parti révolutionnaire. Répression des émeutes. Celles-ci deviennent plus rares. Insurrection de Lyon, en novembre 1831. Troubles de Grenoble, en mars 1832. —  II. Procès politiques. Le jury. Scandale de ses acquittements. Violences qui suivent ses rares condamnations. Audace des accusés à l'audience. Le ministre continue néanmoins à ordonner des poursuites. — III. Périer fait surtout appel à l'opinion. Comment il use de la presse et de la tribune. Périer orateur. Il raffermit et échauffe la majorité. Il combat l'opposition. Tactique de celle-ci pour seconder ou couvrir les séditieux. Langage que lui tient le ministre. Attitude de Périer en face des émeutes qui suivent la prise de Varsovie et dans la discussion sur la révolte de Lyon. Il souffre et s'épuise dans ces luttes sans cesse renouvelées.

 

I

A peine arrivé au pouvoir, Casimir Périer engage contre le parti révolutionnaire la lutte qui va remplir son ministère ; lutte offensive et défensive, de tous les instants et sur tous les terrains lutte si nécessaire et si méritoire, que le seul fait de l'avoir entreprise et soutenue, pendant un peu plus d'une année, a suffi à sa gloire. Il n'hésite, ni ne parlemente, ni ne capitule, comme ses prédécesseurs. Toutes les forces que, dans cette société bouleversée et désarmée par une récente révolution, il trouve encore debout ou parvient à reconstituer, hommes et institutions, mœurs et lois, il les concentre dans ses mains, les oppose à l'ennemi, les anime en quelque sorte de son courage et de sa volonté. Seulement, s'il use hardiment de toutes les armes que lui fournit le droit commun, il n'en veut pas d'autres ; quelque grave que soit le péril, quelque extraordinaires que soient les circonstances, il met son point d'honneur à ne pas proposer les lois d'exception auxquelles beaucoup de conservateurs lui conseillent de recourir[1].

Avant tout, Périer doit avoir raison des émeutes qui, dans les premiers mois de son ministère, d'avril à septembre, se succèdent d'une façon presque continue. Rien, chez lui, de cette timidité qui, depuis la révolution, embarrassait et arrêtait les ministres quand il leur fallait bousculer, dans la rue, le peuple souverain ou toucher à une de ces barricades que le souvenir de Juillet semblait rendre sacrées. Dès le premier jour, ayant constaté l'insuffisance de la loi contre les attroupements, il en présente et en fait voter une nouvelle[2]. Jusqu'alors, on n'avait osé se servir contre l'émeute que de la garde nationale, dont il fallait subir les variations, les exigences et les défaillances. Périer ne peut se passer de cette milice, en laquelle il n'a qu'une confiance médiocre[3] ; mais il veut l'encadrer dans des éléments plus solides. Il s'applique donc aussitôt à faire sortir l'armée, la garde municipale, la gendarmerie, de l'état de disgrâce et de suspicion où la révolution les avait mises et où le gouvernement les avait laissées il leur fait comprendre qu'il compte sur elles, et qu'aussi elles peuvent compter sur lui. Résolu à dégager la préfecture de police des compromissions révolutionnaires où l'avaient entraînée les hommes politiques qui s'y étaient succédé depuis 1830, il v appelle un personnage nouveau dans les affaires publiques, mais d'un dévouement sûr, d'une intelligence et d'une hardiesse remarquables, M. Gisquet, ancien employé de sa maison de banque. Aussi, dès les premiers troubles qui éclatent le 16 avril 1831, à la suite de l'acquittement de Godefroy Cavaignac et de ses compagnons, la population voit avec un sentiment d'étonnement et de sécurité mettre en ligne des masses considérables d'infanterie et de cavalerie ; après que des commissaires de police à cheval ont fait les sommations légales, ces troupes balayent vivement les rues et les quais ; les factieux, désorientés par une vigueur à laquelle ils n'étaient pas accoutumés, sont promptement en déroute. Quelques jours plus tard, le 5 mai, le maréchal Lobau disperse une foule tumultueuse en la noyant avec des pompes à incendie exécution grotesque et méprisante qui montre bien que le gouvernement ne se croit plus obligé de traiter l'émeute avec déférence. Aux troubles de Juin, des gens du peuple se joignent à la force publique et bâtonnent les factieux, ce dont les journaux se vengent, en accusant bruyamment la police d'avoir organisé des bandes d'assommeurs. La répression, loin de se dissimuler et d'avoir honte d'elle-même, comme naguère, se montre au grand jour et s'annonce fièrement. Le gouvernement, dit le Moniteur du 16 juin, ne manquera à aucun de ses devoirs, et saura déployer, dans ses mesures, la sévérité nécessaire ; c'est la société qu'on menace, sous prétexte de l'attaquer lui-même ; il la défendra par tous les moyens qu'elle lui a confiés. Et encore : La société ne se manquera pas plus à elle-même que le gouvernement ne lui manquera. C'est un autre langage que celui des proclamations de M. Odilon Barrot ou du général La Fayette, pendant le procès des ministres !

Après chaque effort, après chaque combat, Périer soutient énergiquement, contre les plaintes hypocrites ou les colères vindicatives, tous ceux qui se sont compromis sous ses ordres ; il assume, au besoin, la responsabilité des fautes commises par excès de zèle, sachant bien qu'à ce prix seulement, surtout au lendemain d'une révolution, le gouvernement peut s'assurer le dévouement et l'énergie de ses agents. Par contre, le ministre frappe sans merci ceux qui faiblissent. Le 25 septembre 1831, la garde nationale de Strasbourg s'est mutinée pour obtenir l'abolition d'un droit d'octroi ; le préfet a parlementé et même capitulé, en promettant la réduction du droit. A peine informé, le ministre, par télégraphe, révoque le préfet et ordonne que la totalité du droit soit exigée.

L'énergie de la répression finit enfin par gêner un peu l'audace des perturbateurs ; à partir du mois de septembre, les troubles, pour être encore trop fréquents, ne sont plus permanents.. Les associations révolutionnaires n'ont cependant pas désarmé seulement elles prennent de plus en plus le caractère de sociétés secrètes ; l'émeute à ciel ouvert fait place au complot mystérieusement tramé. A la fin de 1831 et au commencement de 1832, on peut relever trois ou quatre complots républicains, sans compter Jeux complots légitimistes et un bonapartiste. Les uns sont découverts par la police avant explosion, les autres avortent au premier essai d'exécution.

Entre temps, le gouvernement se voyait aux prises avec une révolte d'un caractère absolument différent. A la fin de novembre 1831, on apprenait à Paris, non sans terreur, que Lyon était tombé au pouvoir de quatre-vingt mille ouvriers en armes, et que le drapeau noir y flottait, avec cette sinistre devise : Vivre en travaillant ou mourir en combattant. Cette révolte était née de la misère. La crise que l'industrie lyonnaise traversait déjà avant 1830 s'était trouvée singulièrement aggravée par les événements de Juillet. Réduction des salaires ou même complet chômage, telles avaient été, pour les ouvriers, les conséquences de cette révolution qui, en même temps, les rendait plus impatients du joug et de la souffrance. Les prédications de quelques saint-simoniens ou fouriéristes, venus en mission à Lyon, n'avaient pas peu contribué à troubler encore davantage les cerveaux et à irriter les cœurs. En septembre et octobre 1831, la fermentation était à son comble. Les ouvriers émirent la prétention qu'un tarif de salaires fût imposé aux fabricants. Le préfet, M. Bouvier-Dumolard, séduit par le rôle de pacificateur, flatté de s'entendre appeler le père des ouvriers, se laissa aller à favoriser ces derniers, plus qu'il ne convenait à l'impartialité administrative. Sous ses auspices et au mépris de toutes les lois économiques, un tarif fut arrêté. C'était engager les ouvriers dans une voie sans issue. L'impossibilité d'appliquer ce tarif fut bientôt manifeste ; le peuple en réclama l'exécution avec colère, et la révolte finit par éclater générale et terrible. Les incertitudes et l'impuissance d'une résistance, politiquement et militairement mat conduite, rendirent facile la victoire des ouvriers ; la garde nationale passa presque tout entière à l'émeute ; après des alternatives de combats ou de négociations, les troupes de ligne, peu nombreuses d'ailleurs, furent réduites à battre en retraite hors de Lyon ; encore durent-elles s'ouvrir un chemin à coups de canon, non sans laisser derrière elles plus d'un cadavre. Le préfet, à bonne intention sans doute, ne suivit pas l'armée et demeura seul au milieu de l'insurrection triomphante ; si l'inspiration était courageuse, la conduite le fut moins ; exagérant encore ses concessions du début, il mit sa signature au bas de proclamations qui justifiaient, sanctionnaient la révolte et promettaient de la récompenser ; en même temps, pour rétablir un peu d'ordre matériel dans la ville, il demanda et obtint le concours des insurgés, dont il semblait être devenu le chef ou plutôt l'agent.

On devine ce que Casimir Périer dut penser d'une pacification achetée au prix de semblables capitulations. Si désireux qu'il fût d'éviter une nouvelle effusion de sang, il voulut avant tout que l'autorité du gouvernement fût intégralement rétablie, sans concessions ni conditions. Des troupes nombreuses furent massées autour de Lyon ; le maréchal Soult, ministre de la guerre, et le duc d'Orléans, qui 6t preuve en cette circonstance d'une grande décision et d'un rare sang-froid, se mirent à leur tête. Les insurgés, convaincus de l'Infériorité de leurs forces, embarrassés d'ailleurs de leur première victoire dont ils n'avaient su quel parti tirer, n'essayèrent même pas d'opposer la moindre résistance. La garde nationale fut dissoute, la population désarmée, le tarif aboli, le préfet rappelé et remplacé par M. de Gasparin, quelques-uns des chefs militaires disgraciés. En même temps, sous l'inspiration du duc d'Orléans, des mesures charitables étaient prises pour soulager la misère trop réelle des ouvriers.

Cet événement avait surpris et vivement ému l'opinion. On avait reconnu tout de suite qu'il n'y avait là rien de semblable aux troubles si fréquents depuis les journées de Juillet ; la main d'aucun parti, républicain, bonapartiste ou carliste, n'y apparaissait tout était né d'une question de salaire. Certains beaux esprits de la bourgeoisie alors dirigeante crurent trouver là une raison de se rassurer. C'était avoir la vue courte. Pour qui regardait au delà des frontières un peu étroites du Parlement ou des partis, cette première entrée en scène du socialisme armé n'était-elle pas au contraire le plus menaçant des symptômes ? Et d'ailleurs ne suffisait-il pas d'observer comment les agitateurs républicains et les émissaires des sociétés secrètes avaient aussitôt cherché à se glisser dans les rangs des ouvriers lyonnais, pour s'apercevoir que, dès le premier jour, un lien s'établissait entre la révolution politique et la révolution sociale ?

Le carnaval de mars 1832 fut, dans plusieurs villes de France, l'occasion de désordres que réprimèrent aussitôt les autorités locales, fidèles à l'impulsion donnée par Périer. A Grenoble, toutefois, des complications se produisirent qui fournirent au ministère une occasion nouvelle de marquer sa politique. Par le fait d'un préfet, peut-être un peu ardent, la troupe avait chargé la foule avec quelque précipitation ; une dizaine de curieux avaient été blessés ; grand émoi, aussitôt exploité par les agitateurs qui réclamèrent tumultueusement l'éloignement du régiment accusé d'avoir versé !e sang du peuple Le générât Saint-Clair, commandant à Grenoble, ne sut pas faire tête à ces criailleries, et, un moment prisonnier de l'émeute, il consentit à tout ce qu'elle exigeait de lui le 35e de ligne dut quitter honteusement la ville, où il fut remplacé par un autre régiment venant de Lyon. Une pareille défaillance rendait à l'émeute la confiance qu'elle enlevait à l'armée. Aussi le gouvernement n'hésita-t-il pas un instant il prononça la dissolution de la garde nationale de Grenoble, mit en disponibilité le général Saint-Clair et le commandant de la place, enfin donna ordre de faire rentrer le 35e à Grenoble, musique en tête et enseignes déployées. Le même jour, le ministre de la guerre publia une proclamation à l'armée, où il disait : L'ordre public a été troublé à Grenoble ; le 35e régiment de ligne, chargé de le rétablir, a parfaitement rempli son devoir. Sa conduite a été telle qu'on pouvait l'attendre du bon esprit et de l'excellente discipline qui distinguent tous les régiments de l'armée. Le Roi a ordonné que des témoignages de sa satisfaction fussent adressés au 35e. Sa Majesté n'a point approuvé que ce régiment se fût retiré de Grenoble. Le lieutenant général Delort, commandant supérieur de la 7e division militaire, a reçu l'ordre de le faire rentrer dans la ville, avec les autres troupes qui y sont dirigées. Aucune sorte de transaction relativement au 35e régiment n'avait été et n'avait pu être faite entre de prétendus députés de Grenoble et l'autorité supérieure militaire elle la désavoue formellement... Soldats ! depuis le jour où le drapeau national vous a été rendu, vous n'avez cessé de l'honorer par votre dévouement, votre courage et votre discipline. Vous avez entouré le trône et les institutions de Juillet d'un rempart, au pied duquel les partis sont venus expirer. Soldats ! le Roi et la France vous remercient. Quand un gouvernement parle ainsi à l'armée, il peut compter sur elle, et dès lors il est assuré de demeurer maitre de la rue.

 

II

Périer ne croyait pas son œuvre complète parce qu'il avait employé la force des armes contre le désordre ; il voulait aussi lui opposer la force du droit. De là, les poursuites nombreuses intentées pour complots, violences factieuses, associations illégales, délits de la parole, de la plume ou du crayon. Jamais les procès de ce genre, notamment ceux de presse, n'ont été plus fréquent[4]. On a dit du gouvernement de Juillet qu'il était processif ; M. Guizot a même paru croire, après coup, qu'il l'avait été trop. Ce n'est pas en tout cas le fait d'un pouvoir arbitraire et despotique, et nul n'oserait justifier les violences que l'on demandait alors à la justice de condamner. Le malheur était que trop souvent on ne parvenait pas à obtenir cette condamnation.

La compétence du jury en matière de délits politiques et de délits de presse était, avec la garde nationale, l'un des principes de l'école libérale, peut-être devrait-on dire l'une de ses illusions. Impossible de la modifier, puisqu'on en avait fait, un peu précipitamment, un article de la Charte révisée. Quoi qu'on doive penser de cette juridiction à une époque de paix, de stabilité et de sang-froid, elle était certainement détestable au lendemain d'une révolution, quand tout était fait pour exciter, chez les jurés, les passions qu'ils devaient réprimer, pour troubler en eux la notion du bien et du mal politique, pour leur enlever cette sécurité qui peut seule donner aux timides le courage de braver certains ressentiments. Le jury acquittait presque toujours. Dans les premiers mois du ministère Périer, sur cinq poursuites pour complot ou émeute, il n'y eut pas une condamnation ; pourtant, loin de nier ce qu'on leur imputait, les accusés s'en faisaient un titre de gloire. Dans l'une de ces affaires, le jury avait déclaré tous les faits constants, en même temps qu'il proclamait les accusés non coupables. La Société des Amis du peuple, cinq ou six fois poursuivie, sortait de ces procès toujours indemne. A un banquet républicain, en mai 1831, M. Évariste Gallois avait brandi un poignard, en s'écriant : A Louis-Philippe, s'il trahit ! Il avouait le propos, déclarait avoir voulu provoquer par là le meurtre du Roi, au cas où celui-ci sortirait de la légalité pour resserrer les liens du peuple ; et il ajoutait que la marche du gouvernement devait faire supposer qu'on en viendrait là. Le jury acquittait M. Gallois. Les articles de journaux les plus factieux, les plus outrageants pour le Roi, demeuraient impunis. Le National entre autres n'était presque jamais frappé. M. Antony Thouret, gérant de la Révolution, feuille jacobine et bonapartiste de la dernière violence, poursuivi trente fois, était acquitté vingt-deux fois. Dans certaines villes de province, le rédacteur de la feuille locale était si assuré de ne pas être condamné, que le procès devenait pour lui une formalité indifférente ; il y affectait une sorte d'impertinence ricaneuse à l'égard des juges et de familiarité amicale avec les jurés[5]. Et quel retentissement donné à ces verdicts ! Applaudissements à l'audience, ovations tumultueuses dans la rue, cris de victoire dans la presse, sarcasmes contre le gouvernement et les magistrats. Partant de cette formule que le jury était le pays, on prétendait que, par ces acquittements, le pays avait condamné le gouvernement ou même le Roi[6].

Le jury se décide-t-il à affirmer la culpabilité, le scandale n'est pas moindre. Le condamné est aussitôt hissé sur une sorte de piédestal ; il devient un opprimé, un martyr, pour lequel tout bon patriote doit prendre fait et cause. On ouvre des souscriptions publiques afin de payer ses amendes, et La Fayette annonce qu'il sera prêt à prendre part à toutes les souscriptions de ce genre[7]. Les journaux frappés impriment en gros caractères, quelquefois pendant plusieurs mois, le nom des jurés avec leur adresse. La Révolution, condamnée le 19 février 1832, publie, le lendemain, que cette condamnation est due à l'animosité de MM. Lachèze, avoué, et Billaud, agent de change. Une petite feuille satirique, les Cancans, se venge ainsi du verdict prononcé contre elle : Ferme, messieurs les jurés, courage, déchainez-vous... Pour commencer à m'acquitter envers vous, je vous condamne à figurer trois fois de suite en tête de mes Cancans. Je vous attache à ce poteau populaire, nouveau pilori, index vengeur de la liberté de la presse, où deux cent mille Français viendront vous saluer des noms qu'on prodigue toujours au courage ou à l'indépendance... Ah ! la France entière saura vos noms... J'ai fait tirer leur honte à vingt mille exemplaires. Les jurés, pour échapper à cette persécution, prennent, vers le commencement de 1832, l'habitude de voter secrètement. Fureur de la Tribune, qui ne veut pas qu'on lui arrache ses victimes ; elle prétend que les jurés sont des hommes publics dont la presse a le droit d'enregistrer les actes ; elle annonce même l'intention de publier la liste de toutes les condamnations, avec les noms des jurés en regard. Ces dénonciations, déjà, par elles seules, fort pénibles pour des bourgeois d'habitudes peu militantes, ont parfois des suites matérielles témoin ce notaire du faubourg Saint-Antoine qui sera dévalisé, dans les journées de juin 1832, pour avoir condamné la Tribune[8].

D'ailleurs, que le procès se termine par un acquittement ou, ce qui est beaucoup plus rare, par une condamnation, les accusés ont soin de transformer leur sellette en une tribune, d'où ils appellent le peuple à la révolte et jettent au gouvernement le défi, l'accusation et l'outrage. Hubert avait donné l'exemple, en septembre 1830, lors du premier procès des Amis du peuple ; Godefroy Cavaignac et ses compagnons l'ont suivi, en avril 1831. Depuis lors, c'est comme une enchère de scandale entre les accusés. L'un d'eux répond au magistrat qui lui demande sa profession Émeutier. Le 11 juin 1831, dans une affaire de complot, les amis des prévenus insultent les témoins, les juges, les jurés, envahissent le prétoire et accueillent par des sifflets et des huées les ordres du président. En janvier 1832, un nouveau procès contre les Amis du peuple amène sur les bancs de la cour d'assises MM. Raspail, Thouret, Blanqui, Hubert, Trélat, etc. l'un d'eux, faisant allusion à la liste civile qu'on discutait alors à la Chambre, déclare qu'il faudrait enterrer tout vivant, sous les ruines des Tuileries, tout homme qui demanderait au pauvre peuple quatorze millions pour vivre ; le jury, cependant, les acquitte ; la cour seule les condamne à raison des délits commis à l'audience. Nous avons encore des balles dans nos cartouches, s'écrie alors Thouret. Parfois les magistrats eux-mêmes se laissent gagner par la faiblesse du jury, ou tout au moins trahissent une hésitation inquiète. Ceux d'entre eux qui montrent quelque fermeté sont aussitôt personnellement attaqués avec une violence sans pareille. Cette insolence des accusés était un des signes tristement caractéristiques de l'époque. M. Pasquier ; dont la carrière et l'expérience étaient déjà longues, écrivait à ce propos : Je n'ai jamais, dans ma vie au travers des révolutions, rien vu de semblable. Babeuf lui-même portait plus de respect à ses juges. Je sais que cette circonstance semble frapper beaucoup les étrangers et surtout les Anglais[9].

Dans ces conditions, ne pouvait-on pas se demander si les poursuites n'aggravaient pas le désordre, au lieu de le réprimer ? Casimir Périer, cependant, ne se décourageait pas de les ordonner. Estimait-il que cette fermeté, obstinée malgré l'insuccès, était une leçon nécessaire à l'esprit public ? Se flattait-il que le scandale répété des acquittements finirait par provoquer une réaction, et que le jury prendrait courage, à mesure que les ministres le convaincraient mieux de leur force et de leur résolution ? En effet, vers la fin du ministère, la proportion des condamnations devint un peu plus élevée pas assez cependant pour qu'on put voir dans cette juridiction une garantie de répression sérieuse. Aussi, quelques années plus tard, lors des lois de septembre 1835, le législateur, instruit par l'expérience, cherchera-t-il à cimier autant que possible la disposition de la Charte qui l'obligeait à recourir au jury en matière politique.

 

III

Quelque cas et quelque usage que Casimir Périer fît de la répression armée ou judiciaire, ce n'était pas la force sur laquelle il comptait le plus pour avoir définitivement raison du désordre. Demeuré libéral en pratiquant avec énergie la politique de résistance, il prétendait surtout agir par l'opinion, a laquelle il faisait sans cesse appel. C'était chez lui une habitude, un goût, un système, de provoquer et d'apporter, dans chaque occasion, des explications publiques et complètes. Il disait à la tribune, le 30 mars 1831, peu de jours après avoir pris le pouvoir : Devant l'étranger, comme devant le pays, nous expliquons ouvertement notre politique, nous l'expliquons aux fonctionnaires comme aux Chambres. Cette franchise est à nos yeux le premier besoin de l'époque ; c'est la première garantie pour les peuples et pour le pouvoir surtout, qui, après des déclarations si franches, ne craint pas que des promesses faites au dehors, ni des programmes réservés au dedans, puissent le compromettre jamais aux yeux de la France ni de l'Europe. Il mettait en demeure ses adversaires d'en faire autant : Accoutumés depuis quinze ans, disait-il, à savoir ce que nous voulons, nous devons souhaiter que tous les hommes d'État ou hommes de parti expliquent aussi clairement ce qu'ils veulent.

Dans ces discussions, Périer avait recours à la presse, notamment au Journal des Débats, alors résolument conservateur, — ses adversaires disaient même : cyniquement réactionnaire ; il encourageait les habiles directeurs de cette feuille, MM. Bertin. Quelquefois, le soir, il venait aux bureaux du journal faire une partie de whist avec M. Bertin de Vaux, le comte de Saint-Cricq et M. Guizot. C'était, a raconté ce dernier, le moment des conversations intimes sur l'état des affaires, les questions de conduite, les perspectives de l'avenir ; et nous nous retirions, M. Périer, content de se sentir bien soutenu dans la presse comme à la tribune, M. Bertin de Vaux, satisfait de l'importance de son journal et de la sienne propre. Le président du conseil faisait aussi insérer dans le Moniteur officiel des articles d'apologie et de polémique, écrits directement sous ses yeux. Toutefois, sur ce terrain de la presse, le nombre était contre lui ; pour quelques rares journaux qui le défendaient, presque tous les autres l'attaquaient violemment[10]. Le vrai champ de bataille pour Périer, celui où il aimait que toutes les luttes vinssent aboutir et se décider, c'était le parlement. Celui-ci siégea presque en permanence, depuis le commencement jusqu'à la fin du ministère[11]. Ce n'est pas que l'œuvre purement législative ait été alors bien importante, et surtout que le président du conseil y ait pris grande part ; mais les débats politiques se succédaient fréquents, passionnés, retentissants, et Casimir Périer y trouvait son principal moyen de gouvernement. Dans cette société où la révolution avait détruit ou ébranlé toutes les forces morales et matérielles du pouvoir, il cherchait son point d'appui à la tribune et dans la majorité. C'était par des discours et des votes qu'il s'efforçait de défendre et d'assurer l'ordre et la paix. Il lui plaisait d'ailleurs d'aborder ses adversaires face à face, en un champ clos où ceux-ci ne pouvaient se dérober, de les contraindre, sinon à confesser, du moins à entendre la vérité, de serrer de près leurs équivoques, leurs sophismes et leurs calomnies. A défaut même du succès Immédiat, il avait conscience de préparer ainsi la justice future, et cela l'aidait à se consoler des mensonges des partis : Après tout, que m'importe ? disait-il à ses amis ; j'ai le Moniteur pour enregistrer mes actes, la tribune des Chambres pour les expliquer et l'avenir pour les juger.

Cet homme qui prétendait gouverner au moyen du parlement était-il donc, par le don du génie ou la perfection de l'art, un orateur de premier ordre ? Non tel de ses adversaires, et surtout de ses alliés, le primait sous ce rapport, surtout quand il s'agissait de ces discours préparés à l'avance comme un ministre est souvent obligé d'en prononcer. Banquier, il n'avait pas pu se faire à écrire ses lettres. A plus forte raison se sentait-il incapable d'écrire ses discours. Au début de son ministère, quand pareille nécessité s'imposait à lui, il recourait à la plume de M. de Rémusat ou de M. Vitet. Mais bien que ces derniers ne fissent que mettre en œuvre les idées que le ministre leur avait exprimées dans de longues conversations, ils avaient trop d'esprit pour être des secrétaires absolument dociles. Dans ce qu'ils lui apportaient, Périer ne trouvait pas toujours entièrement ou seulement sa pensée. C'est ce qui le décida à recourir à la plume moins habile, mais plus soumise, d'un nommé Lingay, alors chargé des articles officiels du Moniteur. Se sentait-il préoccupé du sujet de son discours, il faisait appeler Lingay, qui s'installait à côté de lui. Alors il causait, ou plutôt il se mettait en colère : ... Ces misérables-la, ils croient me tenir... Eh bien, non... et voici ce que je leur dirai... je leur dirai... Ainsi se déroulaient ses idées, sous une forme irrégulière, heurtée, mais toujours vive et pressante. Lingay écoutait, prenait des notes, se pénétrait le mieux qu'il pouvait de ce qu'il entendait. Le lendemain, il apportait un discours écrit que le ministre corrigeait et que souvent il faisait revoir par M. de Rémusat ou M. Vitet[12]. Périer était bien plus à son affaire dans les improvisations. Il se trouvait alors avoir précisément les qualités de son rôle. Attitude, accent, langage, a écrit un bon juge, tout était d'un maitre[13]. Même quand l'idée et la forme n'avaient rien de saillant, ses auditeurs étaient saisis par l'impression toute vive d'une volonté énergique, d'une impétueuse passion. A la tribune, Périer agissait plus encore qu'il ne discourait ; il commandait, entraînait plus qu'il ne persuadait. Profondément ému lui-même, il ébranlait de son émotion ceux qui l'écoutaient. Au milieu de ses emportements, — et il en avait de singulièrement violents et tragiques, — la pensée restait généralement nette et maîtresse d'elle-même. D'ailleurs, s'il n'était pas toujours adroit, il était toujours puissant. Quand, se dressant de toute sa grande taille à la tribune, pâli par la fièvre et la colère, il menaçait ses adversaires de sa main crispée ou bien quand, bondissant sous une interruption ; il rejetait le manuscrit où sa prudence avait d'abord contenu sa pensée, et écrasait, sous quelque formidable apostrophe, ceux qui avaient osé lui lancer un défi, la Chambre se sentait vraiment dominée. C'était, a dit justement M. Guizot, la puissance de l'homme bien supérieure à celle de l'orateur.

Cette énergie de la volonté et de la parole servit tout d'abord à raffermir la majorité. Nous avons dit quelles difficultés Périer avait rencontrées, dès le début, pour la constituer, et comment, un jour, en août 1831, il avait paru désespérer du succès[14]. Alors, sans doute, le péril immédiat avait été conjuré, et le vote de l'Adresse avait été favorable au ministère. Mais la Chambre ne s'était pas pour cela dégagée des défauts qu'elle devait à son origine, à la révolution, aux habitudes prises pendant l'opposition de quinze ans. Ces défauts étaient même si visibles que les contemporains en étaient frappés et presque découragés. Cette Chambre, écrivait alors M. Duvergier de Hauranne, s'est fait de son indépendance et de sa conscience l'idée la plus mesquine, la plus ridicule. Lui parlez-vous d'appuyer constamment le ministère, elle s'effraye. Lui parlez-vous de le renverser, elle s'effraye encore plus. On prétend, disait naïvement dans la discussion de l'Adresse un honnête député, que si nous n'approuvons pas !e système ministériel, les ministres se retireront. Ce serait une trahison. Nous venons pour combattre le ministère, non pour le renverser. M. Duvergier de Hauranne ajoutait : On ne saurait concevoir au reste combien, sur ce chapitre, la Chambre se montre chatouilleuse. C'est pour elle une sorte de virginité qu'elle a mission de défendre contre le téméraire qui voudrait y toucher. Aussi que de peines pour lui faire dire oui ou non ! Ce n'est en quelque sorte que par surprise qu'on peut lui arracher un vote. Encore n'est-il jamais bien certain que, le lendemain, elle ne le rétractera pas... Dans aucune Chambre les commissions n'ont été aussi peu écoutées. La majorité pourtant les nomme à son gré ; mais, une fois nommées, elle s'en mène comme d'une autorité[15]. M. Guizot avait la même impression ; il écrivait, le 18 octobre 1831, à un de ses amis retenu à l'étranger par ses fonctions : L'incapacité, la subalternité, le tatillonnage, le commérage, voilà le vice radical et incurable de cette Chambre. Elle n'est ni violente ni avide. Il n'y a, je crois, point de grande sottise qu'on n'y puisse faire échouer ; mais la rendre propre au gouvernement, c'est une chimère. Du reste, on n'a jamais mené une telle vie si, harassante, si dénuée de relâche. Ce sont les forêts d'Amérique à défricher que ces esprits-là. Avez-vous vu dans les montagnes les bergers et leurs chiens conduisant un grand troupeau le long d'un précipice et suant sang et eau pour l'empêcher de s'y précipiter ?[16] La duchesse de Broglie disait finement, le 9 septembre 1831 : La Chambre n'entend guère qu'on la gouverne ; elle trouve cela malhonnête[17]. Et elle ajoutait, le 28 octobre : Casimir Périer n'est pas content de la Chambre. Elle se décide un jour et revient le lendemain sur son vote... Elle joint à très-peu de lumières toutes les incertitudes d'une conscience chimérique, secondée par de mauvaises passions[18]. De loin, M. de Barante n'avait pas meilleure impression il écrivait, le 27 août 1831 : Cette Chambre est, comme vous dites, vulgaire, bornée, méfiante, venue de bas lieux. Pourtant la majorité a évidemment bonne intention et craint le désordre. Aura-t-on le temps de faire son éducation avant qu'elle ait amené beaucoup de mal ? C'est ce que nous allons voir. Et le 8 octobre : La Chambre semble s'être rangée à la raison. Bien évidemment elle ne veut ni la guerre, ni les émeutes, Mais il lui en coûte beaucoup qu'on ne puisse maintenir le bon ordre dans un pays, sans y avoir un gouvernement et sans y laisser quelques-uns au-dessus des autres. Pas de pouvoir et nulle supériorité, c'est le beau idéal de la médiocrité française[19]. Cette assemblée avait un défaut plus vilain encore, autre forme d'un esprit petit et bas elle manquait de courage. On le voyait bien dans les grandes crises. Après les premières nouvelles de l'insurrection de Lyon, il y eut une certaine période d'incertitude ; on ne savait guère ce qui se passait ; des bruits sinistres circulaient, et plus d'un prophète de malheur annonçait que la monarchie de Juillet ne se relèverait pas de ce coup. C'eût été le cas, écrivait un contemporain, pour une Chambre courageuse, de se compromettre promptement et franchement. Au lieu de cela, ce ne fut qu'avec une répugnance extrême, et comme malgré elle, que la majorité se décida à voter une Adresse et à promettre son appui. A la pâleur de certains visages, à l'embarras de certains discours, il était clair que, d'avance, on se préparait, sinon à saluer le vainqueur, du moins à abandonner le vaincu[20].

Ces témoignages pris sur le moment même, dans les confidences des contemporains, permettent d'apprécier quelles difficultés et aussi quel mérite Périer avait à maintenir la majorité dans une telle Chambre. Il lui fallait une vigilance et un effort de tous les instants. Chaque jour il devait recommencer le travail de la veille. La Chambre, écrivait un des collaborateurs du premier ministre, a toujours besoin d'être avertie de la gravité des questions. Quand nous nous taisons, nous nous perdons[21]. Au milieu de la bataille, en même temps qu'il faisait face aux attaques de l'ennemi, le ministre devait empêcher la débandade de ses propres troupes. Si grand besoin qu'il eût de cette majorité, il ne la flattait pas et la rappelait volontiers à la modestie de son rôle l'un de ses alliés les plus actifs, M. Dupin, ayant, un jour, parlé d'une question où le gouvernement, disait-il, avait plus que jamais besoin de la tutelle des Chambres, Périer interrompit avec véhémence : La tutelle ? s'écria-t-il ; il n'y a pas de tutelle des Chambres ! On pouvait même trouver parfois qu'il ne contenait ou ne voilait pas assez la colère méprisante que lui inspirait l'état d'esprit de la majorité. Loin d'user des moyens de séduction par lesquels les ministres d'ordinaire retiennent leurs partisans ou en gagnent de nouveaux, il ne savait même pas s'astreindre aux égards, aux politesses les plus simples. Comment, disait un député conservateur, voulez-vous qu'on aime un pareil ministre ? Il ne sait pas seulement les noms de ceux qui votent pour lui[22]. M. de Rémusat écrivait à un ami, le 28 octobre 1831 : Le ministère est considéré par la Chambre comme nécessaire, mais il ne lui est pas agréable. Entre nous, c'est elle qui a raison. Il est difficile d'être plus étranger au manège parlementaire que nos ministres. C'est avec l'administration intérieure leur mauvais côté. Le ministère a les grandes vertus, il lui manque toutes les petites. En temps ordinaire, il ne pourrait subsister quinze jours[23]. Oui, mais il avait précisément ces grandes vertus, et notamment il donnait à chacun l'impression d'une volonté puissante qui dominait toutes les hésitations, en imposait à toutes les prétentions d'indépendance, donnait courage aux plus poltrons. La volonté forte de M. Périer soutient tout[24], écrivait, le 18 octobre 1831, la duchesse de Broglie. D'ailleurs, s'il malmenait souvent la Chambre, il savait aussi éveiller chez elle une noble ambition en lui montrant la Grandeur de sa tâche ; il lui parlait de la reconnaissance dont elle serait entourée, quand elle aurait satisfait ce pays qui lui demandait avant tout du repos, du calme, de la confiance et de l'avenir Il veillait à ce que cette ambition ne s'égarât point ; ce n'était pas chose facile, car les têtes étaient tournées par la fausse gloire de la révolution ; les plus conservateurs se laissaient aller à débiter ou à accepter sur ce sujet les déclamations courantes. Songez, messieurs, leur disait alors le président du conseil, qu'il y a plus de gloire pour ceux qui finissent les révolutions que pour ceux qui les commencent. Cette majorité manquait surtout de courage ; Périer s'efforçait de lui communiquer un peu de celui dont il était rempli. Écoutez ses viriles exhortations : C'est la peur qui sert les partis, qui les grandit, qui les crée car c'est elle qui fait croire à leur pouvoir et ce pouvoir imaginaire ne réside que dans la faiblesse des majorités qui livrent sans cesse le monde aux minorités, dans la mollesse de la raison tremblante devant les passions, dans la lâcheté, disons le mot, des citoyens qui craignent de défendre, d'avouer, avec leurs égaux, leurs opinions. Il y a dans cet état des esprits le symptôme  d'un mal grave dont il appartient à une assemblée française d'arrêter les progrès, en apprenant, par son exemple, à tous les citoyens à mépriser la vaine popularité du jour et à n'ambitionner que la reconnaissance de l'avenir[25]. Grâce à ces efforts continus, la majorité grossissait et se systématisait[26]. En somme, si elle ne s'était pas absolument dégagée des hésitations qui tenaient au fond même de sa nature, elle ne fit défaut à Périer dans aucune circonstance décisive. Par moment même, on eût dit qu'il était parvenu a la pénétrer et à l'animer de ses propres passions à sa voix, sous son impulsion, ces bourgeois, naguère si froids, si incertains, si timides, sentaient s'allumer en eux des ardeurs, des colères qu'ils ne se connaissaient pas, et on les voyait, par l'effet d'une sorte d'imitation, frémir, trépigner, menacer, maudire, à l'unisson du ministre.

Il importait d'autant plus à Périer de pouvoir s'appuyer sur une majorité fidèle, que le parti de l'émeute trouvait plus de complices, ou tout au moins de complaisants, dans l'opposition parlementaire. Celle-ci avait pour tactique de nier le péril révolutionnaire. Telle est sa thèse dans la discussion de l'Adresse, en août 1831. Que lui parlez-vous d'un parti républicain ? Il n'existe que dans l'imagination craintive des ministres. Tout au plus y a-t-il quelques jeunes gens généreux, quelques rêveurs inoffensifs, dont il ne convient ni de blâmer ni de réprimer la conduite. Le péril est du côté des carlistes. C'est la Restauration, la Restauration tout entière qui est au pouvoir, dit M. Mauguin, et l'on vient nous faire peur de la république ! S'il y a malaise, la faute en est à la politique du ministère. L'émeute a-t-elle éclaté, ne peut-elle être niée, s'est-elle manifestée terrible et sanglante comme à Lyon, alors l'opposition s'en prend au gouvernement, cause de tout le mal. Il n'y a pas de faute dans un peuple, s'écrie M. Mauguin[27], sans que le gouvernement soit coupable ; si le peuple se rend coupable, c'est que le gouvernement n'a pas su trouver le sentiment national. Ce qui fait dire au Journal des Débats : Toute la politique de l'opposition est dans ce raisonnement : Chaque désordre, chaque émeute, est une réclamation juste, légitime, un droit qui cherche à se faire jour dans les lois. Satisfaites ce droit et ce sentiment qui frémit de son exclusion plus de réclamations, alors plus d'émeutes[28].

Quelques orateurs ont un procédé plus simple encore pour tout imputer au pouvoir ; ils voient dans les troubles l'œuvre d'une police ténébreuse[29], ou du moins reprochent au ministère de les avoir laissés volontairement grossir. Ils demandent à grand bruit des enquêtes, non sur le crime de la révolte, mais sur celui de la répression. Pendant que l'opposition affecte, en parlant des insurgés, une impartialité ou une compassion hypocrites, elle réserve sa sévérité pour ceux qui ont eu la charge de défendre l'ordre ; elle accuse le commandement de précipitation cruelle, l'armée d'animosité contre la population. Quelqu'un ayant soutenu que les soldats, qui venaient de réprimer une émeute, avaient même droit à la reconnaissance que les combattants de Juillet parce que, dans les deux cas, on luttait pour la loi, un député de la gauche, le général Demarçay, protestait contre cette assimilation : Les soldats, disait-il, obéissaient à la voix de leur chef ; rien n'obligeait la population de Paris à se dévouer. Les soldats n'affrontaient qu'une mort ; les combattants de Juillet en affrontaient deux : les balles premièrement et, en cas de défaite, les supplices. Aussi comprend-on que, dans un de ces débats scandaleux, soulevés par l'opposition après chaque révolte, M. Dupin fût autorisé à dire : Il n'éclate pas un désordre, on ne voit pas une émeute, qui ne trouvent dans la Chambre des excuses et des apologies. Et il demandait comment pouvait marcher le gouvernement, quand, dans la représentation nationale, la première impulsion était de donner tort à l'autorité et de donner raison au désordre.

Cette détestable tactique n'était pas suivie seulement par les ennemis de la monarchie ; elle était aussi celle de la partie de la gauche qui se piquait de constituer une opposition dynastique. Nous l'avons déjà vue, dans les questions étrangères, tout en se défendant de désirer la guerre, seconder ceux qui y poussaient ; de même, à l'intérieur, tout en ne voulant pas la république, elle ne semblait avoir d'autre rôle que de couvrir les républicains, de plaider leur innocence, ou au moins leur innocuité, de détourner d'eux la responsabilité et l'irritation, pour les rejeter toutes sur le gouvernement. Écoutez son principal orateur, M. Odilon Barrot : On vient nous parler des troubles, des émeutes, des républicains. Est-ce que c'est là la véritable cause du malaise du pays ? J'ai plus de confiance que vous dans la force de nos institutions, dans le bon sens national. Jamais je n'ai partagé vos terreurs, jamais je ne me suis associé à cette politique de la peur[30]. Il ajoutait que ce malaise venait uniquement de la politique méfiante et réactionnaire de Périer. Au lendemain des émeutes, il se plaignait qu'on eût employé la violence au lieu de a borner les moyens de répression à cette force morale, à cette persuasion[31], dont lui-même avait fait un si heureux et si honorable usage, lors du procès des ministres et du sac de Saint-Germain l'Auxerrois.

Casimir Périer tenait tête à tous ces adversaires, qu'ils fussent violents ou lâches, perfides ou niais. A ceux qui se laissaient entraîner hors de l'opposition constitutionnelle, il adressait cet avertissement que les partis de gauche ont si souvent mérité en France : Qu'il me soit permis de dire à l'opposition qu'il n'y a, dans cette voie, ni présent ni avenir pour elle ; de lui dire que ce n'est pas à de telles conditions qu'on se prépare à gouverner qu'elle ne s'aperçoit pas que, si elle avait le malheur d'arriver ou de retourner au pouvoir par ces voies de destruction, par cette route couverte de ruines, elle aurait brisé elle-même d'avance ses moyens d'action et de force. Elle ne gouvernerait pas, elle serait gouvernée ; car elle n'aurait derrière elle que des passions pour la pousser au lieu de convictions pour la soutenir. Tout gouvernement lui serait impossible, parce qu'elle aurait professé l'opinion qu'il ne faut pas gouverner notre révolution, mais la suivre, et qu'une révolution que l'on suit ne s'arrête jamais que dans l'abime. Contre ceux qui osaient l'accuser d'avoir fait faire l'émeute par la police, le ministre se portait à son tour accusateur : Messieurs, s'écriait-il, il y va, non pas de notre honneur, que nous croyons, que vous croyez sans doute placé à l'abri de ces accusations, mais il y va de l'honneur de l'accusateur lui-même... C'est nous, à notre tour, qui l'interpellons... C'est nous qui venons, à notre tour, le sommer de répondre, au nom des lois, au nom de l'honneur.

Spectacle émouvant et parfois grandiose que celui de cet homme, soutenant la lutte à la fois sur tous les terrains. Considérez-le, par exemple, à l'une des heures les plus tragiques de son ministère, en septembre 1831, quand la nouvelle de la prise de Varsovie a soulevé l'émeute dans Paris, mis la Chambre en feu, et que l'on peut se demander si, dans le trouble général, le gouvernement ne sera pas abandonné par une partie de ses défenseurs. La foule s'est ameutée, tumultueuse, menaçante, devant le ministère des affaires étrangères. Tout à coup, la porte s'ouvre, et un coupé sort. La populace, qui y reconnaît le président du conseil et le général Sébastiani, se précipite et arrête la voiture. Les ministres mettent pied à terre. Périer, pâle de colère, l'œil en feu, marche vers les plus animés. Que voulez-vous ?Vive la Pologne ! nous voulons nos libertés. — Vous les avez, qu'en faites-vous ? Vous venez ici m'insulter, me menacer, moi, le représentant de la loi qui vous protège tous ! Et comme la foule hurlait : Les ministres ! les ministres !Vous demandez les ministres ! s'écrie Périer, les voici. Et vous, qui êtes-vous, prétendus amis de la liberté, qui menacez les hommes chargés de l'exécution des lois ? L'accent dominateur de sa voix, son regard, sa haute stature, saisissent les émeutiers, qui s'écartent et laissent les deux ministres entrer à la chancellerie.

Suivez, dans ces mêmes journées, le président du Conseil à la Chambre, où M. Mauguin reprend les attaques de la rue. Périer arrive dans la salle des séances, raconte un témoin[32], couvert d'une longue redingote grisâtre, semblable au vêtement historique de Napoléon, jette, d'un geste menaçant son portefeuille sur son pupitre, se croise les bras, comme pour défier ses ennemis de venir jusqu'à lui. Son air est si imposant, que sa petite cour, qui d'ordinaire lui faisait cortège à son entrée, reste immobile sur ses places, et que M. Thiers lui-même, 1 qu'on voyait voltiger sans cesse autour du banc des ministres, s'arrête à moitié de la route. Il y a dans son attitude, sur son visage, quelque chose de ce qui, tout à l'heure, a fait reculer l'émeute. Par moments, il se lève pour aller donner des ordres aux officiers qui viennent lui apporter des nouvelles. Je sors aussi pour le voir, raconte le même témoin ; il est nuit déjà, et je le trouve, dans l'enceinte extérieure, pressant la main de plusieurs officiers de la garde municipale et de la grosse cavalerie qui l'entouraient, et leur disant d'une voix forte : A la vie et à la mort, messieurs ! C'est notre affaire à tous. On ne nous épargnerait pas plus les uns que les autres ! Vous jugez de la réponse. C'est un bruit de sabres et d'éperons, un cliquetis d'armes et de jurements. Puis le ministre rentre dans la salle, et, pour ranimer ses troupes parlementaires comme il vient de faire des autres, il monte à la tribune. Son émotion et sa colère sont telles, qu'au premier moment il a peine à parler ; il reste à la tribune, l'œil étincelant, les narines ouvertes, soufflant comme un lion qui se prépare à combattre. Enfin la parole parvient à se frayer un passage, et jaillit vibrante, brève, saccadée phrases un peu incohérentes, où l'orateur fait entrer on ne sait trop comment le cri de Vive le Roi ! et de Vive la France ! Délibérez tranquillement, messieurs, dit-il en terminant ; tant que le pouvoir nous sera confié, nous saurons le défendre et le faire respecter par les factieux. C'est peu de chose, mais rien n'est plus imposant dit encore notre témoin ; l'émotion de Casimir Périer, la chaleur de son apostrophe, l'impossibilité où il est de parler d'une manière suivie, le poing qu'il lève avec fureur contre les bancs de l'opposition, le danger qu'il a couru le matin de ce même jour où il a failli périr sur la place publique, le bruit du tambour et les rumeurs qu'on entend au dehors, tout, jusqu'à l'obscurité qui règne dans la salle, contribue à faire de ce moment l'une des scènes les plus solennelles de notre histoire parlementaire. Et quel est l'enjeu de cette terrible partie ? Il ne s'agit pas d'une lutte de rhéteurs ou d'un conflit d'ambitieux se rencontrant sur quelque problème factice, comme il arrive parfois dans les assemblées politiques. Ordre ou anarchie, paix ou guerre, telle est l'alternative. La cause que Périer tient en main, c'est le salut de la France et le repos du monde.

Vainement le ministre remporte-t-il une victoire, le lendemain tout est à recommencer, et il doit de nouveau faire face aux mêmes attaques le dégoût qu'il en éprouve ne lasse pas son courage. A la suite de la sanglante révolte de Lyon, M. Mauguin tente encore d'innocenter les révoltés pour charger le gouvernement ; et trouvant sans doute, dans le cas particulier, sa cause trop mauvaise, il réveille toutes les méchantes querelles soulevées à propos des émeutes précédentes, notamment la prétendue histoire des bandes d'assommeurs embrigadés par la police lors des troubles du 14 juillet. Périer répond ; sa voix est frémissante, sa lèvre trahit son mépris et sa colère. Pâle, épuise, c'est à croire, en plus d'un moment, qu'il ne pourra continuer ; mais sa passion et les applaudissements d'un auditoire auquel il a communiqué son indignation lui redonnent chaque fois comme un nouvel élan. Le débat dure plusieurs jours, le ministre n'a voulu laisser aucune calomnie, sans en faire justice ; puis, avant de descendre de la tribune, il dit avec une fierté mélancolique Je persiste à défendre notre politique, la vôtre, non nos personnes. Car, il faut le dire enfin, — et après cette triste explication, j'en éprouve plus que jamais le besoin —, il faut dire, permettez-le-moi une seule fois, que jamais je n'ai désiré le pouvoir, qu'entré aux affaires en homme de cœur, je n'ai d'autre ambition que d'en sortir en homme d'honneur ; que je demande, que j'ai droit de demander à mon pays son estime, parce que ma conscience me dit que je l'ai méritée. — Oui ! oui ! bravo ! crie-t-on des bancs de l'assemblée et même des tribunes, où le public n'a pu contenir son émotion. M. Odilon Barrot tâche de couvrir la retraite de l'opposition, en engageant la Chambre à se montrer a indulgente pour le ministre. Je n'accepte pas votre indulgence, je ne demande que justice s'écrie dédaigneusement Périer ; et la Chambre lui rend cette justice, en votant à une immense majorité l'ordre du jour qu'il demandait[33].

De telles luttes étaient singulièrement douloureuses à celui qui en portait le poids. Périer avait des heures d'abattement. Toute provocation de l'ennemi, toute attaque mettant son honneur en jeu et son courage en demeure, lui faisaient aussitôt relever la tête. Seulement, au prix de quelles fatigues, de quelles souffrances, pour cet homme déjà malade avant de prendre le pouvoir ! Plus d'une fois, baigné de sueur, la voix altérée, le corps défaillant, il était obligé de s'interrompre et même de quitter la séance, comme faisait, quelques années auparavant, cet autre héroïque malade, M. de Serre. L'opposition semblait prendre un plaisir cruel à entretenir chez le ministre une irritation qui l'usait. M. Mauguin, surtout, s'attachait à cette œuvre meurtrière. C'était lui qui, avec sa faconde présomptueuse, engageait les campagnes, interpellant, pérorant à toute occasion, ressassant les mêmes déclamations. Il s'était constitué l'antagoniste personnel de Périer, antagoniste indigne, mais qui n'était pas, hélas ! inoffensif. Il s'acharnait après lui avec une ténacité froide et méchante ; sa main sûre le dardait de ses traits envenimés. J'ai piqué le taureau disait-il. Au lieu de répondre par le mépris, le ministre bondissait sous la blessure, s'épuisait en colère impétueuse, livrant son âme, là où l'autre ne jouait que de son esprit, et se fatiguait à frapper à coups de massue sur l'ennemi mobile qui se dérobait, en souriant d'avoir torturé une si noble victime. Victime en effet ! Chaque heure de ces débats rapprochait de la tombe l'homme dont la vie était si précieuse à la France.

 

 

 



[1] Faut-il croire cependant qu'à certaines heures d'irritation, Périer était tenté de ne plus se contenter du droit commun ? Louis-Philippe, après la mort de Périer, causant avec les chefs de la gauche, et cherchant un peu, it est vrai, à se faire valoir, aux dépens de son ministre, leur disait, après avoir rappelé la nécessité de la liberté de la presse et du jury : Aussi me suis-je constamment opposé aux mesures d'exception que Périer me proposait souvent, quand il était dans ces accès de colère qui nous ont nui plus d'une fois. (Mémoires d'Odilon Barrot, t. p. 607-608.)

[2] Mars-avril 1831.

[3] Périer estimait que l'organisation de la garde nationale et surtout l'élection de ses officiers présentaient de grands périls. Cela ne peut pas durer, disait-il un jour à La Fayette, ... il faut que ces anomalies disparaissent.

[4] On a calculé, par exemple, que, de la révolution de Juillet au 1er octobre 1832, il y avait eu 281 saisies de journaux et 251 jugements : 86 journaux avaient été condamnés, dont 41 à Paris. Le total des mois de prison s'était élevé à 1.226, et celui des amendes à 347.550 francs. En juillet 1835, la Tribune se vantait d'être à son 114e procès et d'avoir subi 199.000 francs d'amende. Or, pendant toute la Restauration, il n'y avait eu que 181 condamnations pour délits de presse.

[5] M. Degouve-Denunques, rédacteur du Progrès du Pas-de-Calais, se vantait, en 1838, d'avoir été 24 fois poursuivi et 24 fois acquitté. De même, l'Écho du peuple, journal républicain de Poitiers, en 1835, comptait 13 acquittements sur 13 poursuites. M. Anselme Petetin, rédacteur d'une feuille radicale de Lyon, poursuivi 13 fois en trois ans, n'avait été condamné qu'une fois, et encore disait-il que c'était faute d'avoir bien fait les récusations. En 1846, pour la première fois, le jury de Toulouse condamna une feuille légitimiste. Sur d'autres points, a Paris notamment, le jury se montrait sévère contre les carlistes pendant qu'il acquittait les républicains.

[6] Le Constitutionnel, qui n'était cependant que centre gauche, déclarera, quelques années plus tard (3 janvier 1832), à propos d'un acquittement de journal, que les échecs parlementaires de l'opposition étaient plus que compensés parte succès judiciaire qu'elle venait d'obtenir ; car, disait-il, le jury était le pays lui-même, tandis que la Chambre n'en était que la représentation. C'est à propos de ces déclamations sur le jury que M. Thiers, dans la discussion des lois de septembre, dénonçait ces grands mots pédantesques que les partis aiment u créer, et avec lesquels ils veulent écraser la vérité.

[7] Lettre du 26 octobre 1831. (Mémoires de La Fayette, t. VI.)

[8] Le fait a été cité par M. Persil, à la tribune, le 9 avril 1833.

[9] Lettre à M. de Barante en date du 13 janvier 1832. (Documents inédits.)

[10] Le National disait, le 23 avril 1831 : Un seul journal soutient aujourd'hui avec chaleur le ministère du 13 mars : c'est le ci-devant journal de la légitimité, le Journal des Débats. Le Temps, pourtant plutôt favorable au cabinet, disait, à la même époque, qu'avec la presse périodique, telle que nos troubles l'avaient faite, le gouvernement n'avait qu'à choisir entre une existence assez mal assurée et neuf morts bien certaines.

[11] Périer, en prenant le pouvoir, trouva une session en cours qui se prolongea jusqu'au 20 avril 1831. La nouvelle Chambre siégea ensuite d'une façon continue, du 23 juillet 1831 au 24 avril 1832.

[12] Notes inédites de M. Duvergier de Hauranne.

[13] Souvenirs du feu duc de Broglie.

[14] Voir, au tome précèdent, le chapitre Ier du livre II.

[15] Notes inédites de M. Duvergier de Hauranne.

[16] Documents inédits.

[17] Documents inédits.

[18] Documents inédits.

[19] Documents inédits.

[20] Notes inédites de M. Duvergier de Hauranne.

[21] Lettre de M. de Rémusat à M. de Barante, en date du 28 octobre 1831 (Documents inédits.)

[22] Documents inédits.

[23] Documents inédits.

[24] Documents inédits.

[25] Discours du 9 août 1831. Un autre jour, le 21 septembre de la même année, Périer demandait que les amis du gouvernement se montrassent comme ses ennemis, car, ajoutait-il, ce sont les incertitudes d'en haut qui font les inquiétudes d'en bas.

[26] Expression de M. de Rémusat dans une lettre à M. de Barante. (Documents inédits.) M. Duvergier de Hauranne, naguère si sévère pour la Chambre, reconnaissait lui-même ce changement, non sans un certain étonnement. Il écrivait à ce propos : Élue dans un temps de trouble et de désordre, bourrée de préjuges, étrangère, dans une forte portion de ses membres, aux lois les plus simples du mécanisme constitutionnel, avide enfin de popularité, la Chambre de 1831, par la seule force de son bon sens et de son honnêteté, par le seul besoin de rétablir l'ordre et de sauver la société menacée, a su, par degrés, vaincre ses préjugés. (Notes inédites.)

[27] Discours du 19 septembre 1831.

[28] Journal des Débats, 1er mai 1832.

[29] Discours de M. Manguin, 19 et 20 septembre 1831 ; de M. Pagès, 9 avril 1832. Voyez aussi, dans le même sens, le National des 15, 30 mai et 16 juillet 1831.

[30] Un peu plus tard, M. Barrot s'est-il fait une idée plus juste du parti républicain ? Toujours est-il qu'en avril 1832, il crut devoir écrire une lettre publique pour se distinguer de ce parti. (O. BARROT, Mémoires, t. I, p. 213.)

[31] Voyez la plaidoirie de M. Barrot pour le National, après l'émeute du 14 juillet 1831, ou son discours a la Chambre, dans le débat qui suivit les événements de Grenoble, 20 mars 1832.

[32] M. LOÈVE-VEINARS, Lettres sur les hommes d'État de la France.

[33] 21 décembre 1831.