(Novembre 1830-Janvier 1831)I. Composition du cabinet. M. Laffitte. La politique du laisser aller. Les autres ministres. Importance dangereuse de La Fayette. M. Odilon Barrot. Confiance de M. Laffitte. Accueil fait par l'opinion au nouveau ministère. — II. Le procès des ministres. Agitation croissante. Faiblesse de La Fayette et d'Odilon Barrot. La cour des pairs. Menaces et inquiétudes. Les ministres enlevés par M. de Montalivet. L'émeute trompée. L'intervention des Écoles. — III. Exigences du parti révolutionnaire. Démission de La Fayette et de M. Dupont de l'Eure. Impuissance et discrédit du ministère.I Le nouveau ministère, constitué par ordonnance du 2 novembre, fût ainsi composé : MM. Laffitte, président du conseil, ministre des finances ; le maréchal Maison, ministre des affaires étrangères ; Dupont de l'Eure, garde des sceaux ; le comte de Montalivet, ministre de l'intérieur ; Mérilhou, ministre de l'instruction publique et des cultes ; le maréchal Gérard, ministre de la guerre ; le général Sébastiani, ministre de la marine. Quelques jours plus tard, le 17 novembre, les maréchaux Maison et Gérard furent remplacés, l'un, par le général Sébastiani ; l'autre, par le maréchal Soult ; le comte d'Argout reçut alors le portefeuille de la marine. M. Laffitte n'est pas un nouveau venu : on l'a vu, sous la Restauration, se jeter dans une opposition assez ardente, moins par passion doctrinale que par jalousie de banquier opulent contre l'aristocratie de naissance, par soif de popularité et désir d'augmenter la clientèle politique dont il aimait à être suivi[1]. Parvenu, dans les journées de Juillet, à l'apogée de son rôle, ce Warwick bourgeois s'était trouvé, lui aussi, un faiseur de roi ; sur les balcons révolutionnaires, il avait presque partagé avec La Fayette les accolades du duc d'Orléans, les acclamations de la foule, et la satisfaction de protéger une monarchie naissante. Aussi n'était-il pas de caresses dont ne crût devoir l'entourer Louis-Philippe, devenu roi. Saint Jacques et saint Philippe, disait le prince en faisant allusion à son prénom et à celui du banquier, ne sont pas moins irrévocablement unis sur la terre que dans le ciel. Et encore : Tant que Philippe sera roi, Jacques sera son ministre. M. Laffitte buvait ces flatteries royales, jouissait de cette importance avec une sorte d'indolence satisfaite et imprévoyante, sans comprendre que le pouvoir pût être autre chose que cette jouissance. Son épicurisme frivole, mobile et bon vivant redoutait ce qui était travail ou lutte. D'ailleurs, dans cette nature aimable et parfois brillante, rien des qualités sérieuses et surtout de cette puissance d'effort et de lutte qui peuvent seules transformer une importance momentanée en une action durable et efficace. D'instruction fort médiocre, son bagage politique, intellectuel et moral, aurait pu tenir dans une chanson de Béranger. Imbu des vanités et des badauderies nationales, étourdi par les fumées de Juillet, il croyait suffire à tout par une sorte de foi, naïvement ignorante, dans le progrès indéfini du libéralisme, dans la bienfaisante omnipotence de la révolution, dans l'infaillibilité et l'impeccabilité du peuple. Ce banquier heureux n'était même pas un financier compétent. Ce causeur agréable n'avait à la tribune aucun des dons de force, de chaleur et d'autorité, qui font de la parole un moyen de gouvernement. Il était aussi paresseux pour le travail de cabinet que dénué de volonté et d'influence dans le maniement des hommes. S'il ne savait pas commander, sa bienveillance facile, son affabilité superficielle, son besoin de plaire, sa faiblesse de caractère, son habitude de courtiser l'opinion, son manque de convictions sérieuses et de doctrines réfléchies, lui rendaient plus impossible encore de résister, surtout à ceux qui lui paraissaient disposer de la popularité. Son incapacité de gouvernement n'était égalée que par sa légèreté présomptueuse et son vaniteux optimisme. On ne pouvait dire que M. Laffitte personnifiât la politique du mouvement, celle qui se serait avancée hardiment dans la voie révolutionnaire, se dirigeant vers un but certain et voulu ; il n'avait par lui-même aucune opinion violente, aucune obstination de doctrine extrême ; bien plus, il aimait à se dire du parti modéré, parlait volontiers avec quelque dédain de La Fayette, de ses chimères, des écervelés qui l'entouraient, et se piquait de n'être séparé que par des nuances du duc de Broglie et de M. Guizot. Cet état d'esprit apparut dans un débat soulevé peu de jours après la formation du cabinet[2]. M. Guizot avait saisi l'occasion d'une discussion sur la presse pour marquer en quoi il se séparait de M. Laffitte ; il avait opposé ceux qui voulaient resserrer la l'évolution dans les plus étroites limites et la présenter à l'Europe sous la forme la plus raisonnable, à ceux qui la faisaient dévier, la dénaturaient, la pervertissaient, et derrière lesquels s'agitaient les passions exclusives du parti républicain. M. Odilon Barrot accepta aussitôt la question telle que la posait M. Guizot, lui fit tête sur ce terrain, et retourna contre lui le reproche d'avoir méconnu le principe et la portée de la révolution. Mais, dès le lendemain, M. Laffitte, qui avait pris peur d'une contradiction si nette, essaya d'établir, par des déclarations équivoques et câlines, qu'aucune dissidence fondamentale ne le séparait des membres de l'ancien cabinet, et que, d'accord sur le fond des choses, la différence ne consistait que dans la disposition plus ou moins confiante des uns et des autres. Pour un ministère nouveau, c'était une entrée peu fière. Homélie pateline, disait le duc de Broglie, en haussant dédaigneusement les épaules, et, dans un autre parti, le National, désappointé, se plaignait de cette timidité à se distinguer de ceux qu'on remplaçait. La seule politique qu'on découvrît en M. Laffitte, — si toutefois on peut appeler cela une politique, — était celle du laisser-aller, sans plan et sans volonté, que Carrel devait qualifier, d'un mot heureux, le gouvernement par abandon[3]. Cette politique faisait consister le libéralisme dans l'abdication du pouvoir, avait pour principe de ne pas contrarier ceux dont l'irritation pouvait être gênante, livrait les Chambres ou les rues à qui voulait s'en emparer, et aboutissait à une misérable impuissance, sans cesser cependant d'être toujours souriante et satisfaite d'elle-même. Rien de plus périlleux en temps de révolution. Alors, en effet, ceux-là seuls sont en mesure de diriger les événements qui savent ce qu'ils veulent et ce qu'ils peuvent : autrement tout est à la merci du souffle de tempête qui a été déchaîné, et jamais on ne va si loin, dans de pareilles crises, que quand on ignore où l'on va. Si M. Laffitte était le chef officiel et le personnage le plus en vue du cabinet, s'il lui a donné son nom dans l'histoire, il ne faudrait pas croire cependant que cette administration fût beaucoup plus homogène que la précédente. Le Roi avait vu avec regret dissoudre la combinaison du 11 août. S'il ne croyait pas encore possible de faire un ministère de résistance, la perspective de se trouver seul en tête-à-tête avec un conseil de gauche pure lui déplaisait pour lui-même et l'effrayait pour le pays. Il avait donc cherché quelque nouvel expédient qui n exclût pas complètement l'élément conservateur. N'était-il pas allé jusqu'à presser M. Casimir Périer, avec une insistance qui étonne, mais avec un insuccès qui se comprend, d'accepter, sous la présidence de M. Laffitte, le portefeuille de l'intérieur ? A défaut de M. Périer, il avait obtenu ce poste pour un jeune pair de vingt-neuf ans, auquel personne ne songeait, que rien ne semblait désigner, ni l'éclat des services rendus, ni la notoriété du talent, ni l'importance de la situation, ni l'appui d'un parti : c'était le comte de Montalivet. Ses qualités réelles décourage et d'intelligence étaient encore ignorées ; engagé dans la société libérale, non dans le parti révolutionnaire, il n'avait guère aux yeux du public que ce double titre, qui n'était pas alors, il est vrai, sans quelque valeur, d'être fils d'un ministre de l'empire et colonel de la garde nationale ; mais il offrait à Louis-Philippe cette garantie de lui être personnellement très-dévoué et d'être avant tout, à raison même de l'imprévu de sa faveur, l'homme du Roi. Le général Sébastiani, ministre des affaires étrangères, était aussi depuis longtemps le familier du Palais-Royal ; membre du cabinet précédent, il n'avait pas suivi dans leur retraite MM. Guizot, de Broglie et Mole, dont il partageait cependant les sentiments ; il était resté, afin de pouvoir, dans cette phase nouvelle, servir le Roi qui trouvait en lui un confident sûr et un instrument fidèle. Les deux ministères les plus importants semblaient ainsi soustraits au parti avancé. On en pouvait dire autant du portefeuille de la guerre, dès qu'il fut confié au maréchal Soult, et de celui de la marine passé aux mains de M. d'Argout, naguère encore porte-parole de Charles X dans ses dernières tentatives de transaction. Mais, quelque nombreux que fussent, autour de M. Laffitte, ces ministres à physionomie plus ou moins conservatrice, ils n'étaient pas en mesure de redresser la politique du ministère. Si le Roi avait profité de l'insouciance peu vigilante du président du conseil pour les introduire dans la place, c'était moins comme contradicteurs que comme surveillants, avec l'espoir peut-être de contenir un peu les éléments révolutionnaires du cabinet, non de les dominer, encore moins de les expulser. D'autres ministres, au contraire, étaient plus à gauche que M. Laffitte ; tels M. Mérilhou et surtout M. Dupont de l'Eure. Esprit obstiné et court, orgueilleux de sa fidélité aux principes et aux préjugés de 1792, M. Dupont de l'Eure jouait déjà depuis longtemps, dans la démocratie, ce rôle de vénérable qu'il devait tenir jusqu'après 1848 avec une solennité prudhommesque. On avait insisté, dès le début, pour lui faire accepter un portefeuille, estimant qu'il était, pour la monarchie naissante, une caution indispensable auprès des révolutionnaires. Mais il faisait payer cher ce service qu'il avait rendu à contrecœur, se croyant d'autant plus indépendant qu'il était plus incommode et plus bourru, mettant sa dignité à faire le paysan du Danube au milieu de la cour, sa conscience à se proclamer républicain en étant au service d'un roi, et à se poser en nouveau Roland dans les conseils d'un autre Louis XVI. Chaque matin, il offrait sa démission et allait pleurer dans le sein de Béranger sur le malheur d'être ministre malgré soi. Aux caresses dont Louis-Philippe croyait nécessaire de l'envelopper, il répondait par des coups de boutoir[4]. Aussi docile et complaisant envers la clique criarde dont il était entouré, que grognon et intraitable avec le prince ou ses collègues, il était une sorte de mannequin débile et servile aux mains de cette basoche révolutionnaire qui le maniait et le poussait à sa guise, en affectant de le vénérer, qui pénétrait par lui tous les secrets du conseil, qui y faisait parvenir toutes ses exigences, de telle sorte que le gouvernement était comme ouvert et livré au premier venu. Ne trouvant pas d'ailleurs, dans l'exercice du pouvoir, l'occasion d'élargir ses idées, il s'entêtait, avec une sorte de vanité obtuse, dans les méfiances et les sophismes de lu démocratie la plus vulgaire, et un homme de son parti a pu dire de lui qu'il n'avait guère, en fait de vues politiques, que sa mauvaise humeur et son éternelle austérité[5]. M. Dupont de l'Eure était, du reste, moins le ministre du Roi que celui de La Fayette, dont le changement ministériel avait encore accru l'importance. Le commandant des gardes nationales était alors entouré d'une véritable cour, bien autrement empressée, adulatrice, que celle du Palais-Royal. A ses jours d'audience, la foule se pressait si nombreuse, qu'elle remplissait non-seulement la maison, mais débordait dans la rue[6]. Toutes les députations de province venaient lui rendre hommage, quelquefois même avant d'aller chez le Roi. A ses réceptions du mardi soir, les appartements étaient trop étroits. C'est un salon public, écrit à cette époque un témoin[7], où les amis amènent leurs amis, les fils leurs pères, les voyageurs leurs camarades... Toutes les illustrations politiques, scientifiques, littéraires, populaires, battent pêle-mêle le parquet bruyant, en bottes crottées, en bas de soie, en uniforme, en redingote boutonnée, en habit à revers... Là, toute la France, toute l'Europe, tonte l'Amérique, ont envoyé leurs députations. Cependant, si admirateur qu'il soit, ce témoin est obligé de confesser que la composition de ce salon est singulièrement mélangée ; il y voit tourbillonner cette nuée de jeunes gens à moustache, républicains d'estaminets, avocats sans procès et médecins sans malades, qui font de la révolution par désœuvrement ; il y aperçoit aussi des intrigants de tous ordres... des figures ternes, louches, dégoûtantes à voir ; hideux repoussoir sur ce noble tableau, elles s'agitent autour du bon vieillard qui leur sourit, inoffensif et confiant. Celui-ci en effet, tout entier à la joie de l'enthousiasme qu'il inspire, se promène au milieu des groupes, la tête couverte, non pas de cheveux blancs ainsi que le chante l'hymne de Juillet, mais d'une courte perruque fauve, la face terreuse et comme ternie de la poussière des révolutions qu'il a traversées[8], le corps cassé par l'âge, le regard un peu éteint, la parole engourdie, corrigeant ces signes de décrépitude par une bonne grâce qui trahit le marquis du dix-huitième siècle sous le démocrate du dix-neuvième. Il est le centre de toute cette foule ; au milieu, dit toujours le même témoin, est un groupe serré ; ceux qui le composent s'amincissent et s'allongent, les bras collés au corps ; tout autour, on se hausse sur la pointe des pieds, et les mots : C'est lui ! circulent. À moins de lire les écrits du temps, on ne saurait imaginera quel diapason d'adulation on était monté, dans le monde démocratique, au sujet de La Fayette[9]. Il était l'idole du boutiquier garde national, qui voyait en lui un Napoléon pacifique, à son usage et à sa mesure. Assistait-il à l'Opéra, le parterre exigeait que Nourrit, en costume de Moïse, chantât la Parisienne, et au couplet sur le vieux général tout le monde se tenait debout. Paraissait-il à la Chambre, les députés se levaient. Aux flatteries de la foule s'ajoutaient les caresses du Roi. Tant d'hommages étaient savourés, dans une sorte d'ivresse béate, par cet homme chez lequel Jefferson avait déjà signalé, quarante ans auparavant, une faim canine de popularité. Il croyait sincèrement que ses concitoyens n'étaient occupés que de lui, que s'ils venaient de faire une nouvelle révolution, c'était, par une attention de délicatesse filiale, pour rappeler au vieillard les souvenirs de sa jeunesse et lui préparer une fin de carrière en harmonie avec son début. Aussi n'était-il pas une de ses proclamations où il ne parlât de soi, des événements de sa vie, comme si celle-ci était le résumé, le point culminant et le grand enseignement de notre histoire contemporaine. Autour de La Fayette, on traitait le Roi en personnage d'importance secondaire ; on l'appelait, avec une familiarité dédaigneuse, le citoyen que nous avons fait roi, et l'on s'étonnait qu'il ne se rendît pas mieux compte de sa propre vassalité. Une caricature du temps représentait Louis-Philippe, sa couronne à la main, et La Fayette lui disant : Sire, couvrez-vous. Le mot de maire du palais venait sur toutes les lèvres, et l'on opposait le citoyen roi au roi citoyen. Dans un banquet donné à l'Hôtel de ville en l'honneur du général, le toast au Roi était reçu avec une froideur glaciale, pendant que le général était acclamé, et le chœur, qui chantait la Parisienne, omettait les couplets relatifs au duc d'Orléans. Personnellement, La Fayette montrait sans doute envers Louis-Philippe plus de courtoisie que ses amis ; le gentilhomme démocrate n'avait pas la brutalité vulgaire d'un Dupont de l'Eure ; il n'était même pas au fond sans quelque affection pour le prince. Toutefois, au besoin, il ne se gênait pas pour pousser fort loin son droit de remontrance protectrice envers celui qu'il croyait avoir sacré par son accolade[10]. Comme les émigrés royalistes, La Fayette n'avait rien appris ni rien oublié ; il s'en tenait obstinément aux idées de la constitution de 1791, en les mélangeant de réminiscences américaines, et il eût désiré ne pas aller au delà. Par ses opinions propres, il n'était pas un jacobin ; seulement, moins que personne, il savait dire non, et, de ce chef, il méritait d'être au premier rang des politiques du laisser-aller. Était-il conduit parfois à envisager une éventualité de résistance, il se hâtait de l'ajourner indéfiniment. Il y a, disait-il, entre M. Casimir Périer et moi, cette distinction qu'il voudra tirer sur le peuple plutôt que je voudrais le faire. Pour le moment, bien loin de tirer sur l'émeute, il ne savait que lui adresser des proclamations élogieuses, attendries, la suppliant de consentir, par amitié pour lui, à ne pas pousser les choses trop loin. Si le désordre avait un caractère particulièrement hideux, il ne risquait un mot de blâme qu'après avoir feint d'y voir l'œuvre de la contre-révolution. C'est qu'il mettait son point d'honneur et croyait sa popularité engagée à ne jamais se séparer de ses amis, tâchant d'ailleurs de se persuader qu'il les contenait, quand il ne faisait que les suivre. Il ressemble, disait spirituellement Henri Heine[11], à ce gouverneur de ma connaissance qui accompagnait son élève dans les mauvais lieux, pour qu'il ne s'y enivrât pas, puis au cabaret, pour qu'au moins il ne perdît pas son argent au jeu, et le suivait enfin dans les maisons de jeu, pour prévenir les duels qui pourraient s'ensuivre ; mais si le duel arrivait inévitable, le bon vieillard lui-même servait alors de second. Les jeunes meneurs du parti révolutionnaire connaissaient et exploitaient la faiblesse du général ; ils se servaient de lui, l'exaltaient d'autant plus qu'il était, entre leurs mains, un instrument plus docile, le faisaient parler ou parlaient en son nom, l'obligeaient à porter au gouvernement leurs plans, leurs utopies, leurs griefs et leurs exigences, parfois même prétendaient engager la monarchie, malgré elle, jusque dans les questions extérieures. Il y avait ainsi, en dehors du pouvoir régulier, un autre pouvoir, souvent plus puissant, surtout plus agité et plus bruyant que l'autre. M. de Salvandy, faisant allusion à la coterie d'ultras qui, après 1815, s'était groupée autour du comte d'Artois et avait essayé d'établir un gouvernement occulte à côté de celui de Louis XVIII, écrivait que la demeure de La Fayette était devenue le pavillon de Marsan du parti révolutionnaire. Singulière humiliation et péril grave pour la royauté nouvelle ! Aussi M. de Metternich, peu après les journées de Juillet, avait-il dit à l'envoyé de Louis-Philippe, le général Belliard : Il y a deux nobles entêtés dont vous et nous devons également nous défier, bien qu'ils soient gens d'honneur et nobles gentilshommes : le roi Charles X et le marquis de La Fayette. Vos journées de Juillet ont abattu la folle dictature du vieux roi ; il vous faudra bientôt attaquer la royauté de M. de La Fayette ; il y faudra d'autres journées, et c'est alors seulement que le prince lieutenant général sera vraiment roi de France. L'envoyé de Louis-Philippe ne pensait pas d'ailleurs autrement : dans une autre conversation avec le chancelier, il avait dit du commandant des gardes nationales : A la vérité, cet homme est un fléau, et il faudra l'abattre[12]. L'heure de cette délivrance sonnera dans quelque temps, mais pour le moment on ne l'entrevoyait même pas, et jamais la royauté de M. de La Fayette n'avait paru plus forte. La galerie des principaux personnages de la politique de laisser-aller ne serait pas complète, si l'on n'y faisait figurer le préfet de la Seine, M. Odilon Barrot. L'importance de ce dernier était supérieure à son rang administratif, et il se trouvait d'autant plus en vue que sa proclamation, lors des émeutes du 18 octobre, venait d'être l'une des causes de la crise ministérielle. Le rôle qu'il jouait à l'Hôtel de ville paraît alors avoir éveillé, chez les conservateurs, l'idée d'un rapprochement peu flatteur avec le maire de Paris de 1791 et de 1792, avec Pétion. On sait le mot terrible prêté à Royer-Collard ; comme M. Odilon Barrot se faisait présenter à lui, peu après le sac de l'archevêché : Ah ! monsieur, lui dit-il, c'est inutile ; il y a quarante ans que je vous connais ; alors vous vous nommiez Pétion. On raconte aussi que, pendant les désordres d'octobre, le Roi se promenait, avec le préfet de la Seine, sur la terrasse du Palais-Royal : Vive Barrot ! criait-on de la place. Alors le Roi, se retournant vers le préfet : Autrefois, dit-il, j'ai aussi entendu crier : Vive Pétion ![13] Le rapprochement n'était pas juste ; il y avait chez Pétion un côté bas, malsain et pervers, qu'on eût cherché vainement dans la nature, après tout honnête, relativement désintéressée, bonne et même un peu candide de M. Barrot. S'il fallait à tout prix lui chercher un ancêtre parmi ceux qui, pendant la première révolution, l'avaient devancé à l'Hôtel de ville, ce serait plutôt, malgré les différences de caractère et de physionomie, Bailly, dupe de 1789 et victime de 1793. M. Odilon Barrot n'avait pas été des premiers rôles sous la Restauration. Fils d'un conventionnel, ami et protégé d'un régicide, il s'était posé en libéral au barreau de la Cour de cassation, et avait plaidé avec quelque éclat certaines causes politiques. Les journées de Juillet le trouvèrent lieutenant de La Fayette à l'Hôtel de ville. Choisi comme l'un des commissaires chargés d'accompagner, de surveiller et de protéger Charles X, dans sa lente retraite, il remplit avec convenance cette délicate et pénible mission. Aussitôt de retour, il fut nommé à la préfecture de la Seine. Ne lui demandez pas de se renfermer dans sa subordination administrative ; il se piquait de représenter une politique fort différente de son ministre d'alors, M. Guizot. Il se disait de ceux qui reconnaissaient dans l'événement de Juillet tous les éléments d'une grande révolution nationale, changeant complètement le principe et la condition du gouvernement de la France. — On ne devait pas, ajoutait-il, craindre d'en étendre les effets, d'en élargir les bases, de lui faire plonger ses racines constitutives aussi avant que possible dans les masses ; il ne s'agissait plus de continuer la Restauration, mais de s'en séparer radicalement. Il reprochait au gouvernement d'avoir peur de la révolution ; à l'entendre, on eût dû commencer par dissoudre la Chambre et convoquer les assemblées primaires de 1791. Dans chaque question, il était d'avis de céder au parti avancé. Ce personnage que l'histoire ou du moins la chronique se plaît à représenter avec une tenue imposante, secouant comme un lion sa tête sans crinière ou la renversant avec des airs de commandement, le sourcil olympien, la main droite invariablement passée entre deux boutons de sa redingote fermée, affectant, dans sa parole emphatique et martelée, des tournures d'oracle, était au fond le plus solennel des indécis, le plus méditatif des irréfléchis, le plus peureux des ambitieux, le plus austère des courtisans de la foule. Son laisser-aller ne se distinguait de celui de M. Laffitte qu'en ce qu'il était dogmatique et doctrinaire, au lieu d'être frivole et indolent. Il établissait, par principe et en formule, qu'on devait s'abandonner à la révolution, que la seule manière de prévenir ses excès était de la satisfaire en tout et de supprimer ainsi tous ses griefs[14] : politique d'une simplicité merveilleuse où l'on n'avait à s'inquiéter que des résistances et des défiances conservatrices. Optimiste autant que le président du conseil, M. Odilon Barrot l'était avec une candeur qui lui était propre. Son œil bleu et placide exprimait la confiance superbe et sereine qui ne se troublait de rien, surtout des fautes commises, la satisfaction d'un esprit trop court pour s'alarmer, la paix d'une conscience à laquelle il suffisait de contempler avec émotion sa propre bonne foi. Puissant pour le mal qu'il ne voyait pas, impuissant pour le bien dont il n'avait jamais que l'illusion, il apportait, dans une œuvre néfaste et au milieu d'alliés détestables, une sorte de bonhomie un peu niaise qui faisait dire à un vieux carliste : C'est Jocrisse, chef de brigands. L'aveuglement de son optimisme était encore facilité par la nature de son talent, par son goût pour les généralisations et les abstractions oratoires ; il négligeait, comme des détails sans importance, les faits qui eussent pu le gêner et l'éclairer, et se trompait lui-même par la sonorité vague de sa parole. Et quelle inconséquence ! Quand La Fayette ou M. Dupont de l'Eure demandaient une monarchie entourée d'institutions républicaines, c'étaient après tout des républicains cherchant à se rattraper sur les choses du sacrifice qu'ils avaient fait, de plus ou moins bon gré, avec plus ou moins de sincérité, sur le mot. Mais quand M. Barrot prenait la même devise, quand il voulait imposer à la royauté des institutions qui en eussent été la négation et une politique qui l'eût conduite à sa perte, il se croyait cependant et se disait sincèrement monarchiste. Dans les journées de Juillet, nul n'avait plus contribué à détourner La Fayette de la république. Depuis lors, il n'évitait pas une occasion de se distinguer du parti républicain, tout en le secondant dans presque toutes ses campagnes. Tel il continuera d'être jusqu'au bout ; et, en 1846, peu avant de commencer cette campagne des banquets, prélude de la révolution et de la république de 1848, il s'écriera avec conviction : Je suis dynastique quand même. M. Barrot a constamment joué le rôle du républicain sans le savoir, disait M. d'Alton-Shée. N'a-t-il pas été aussi un démocrate sans le savoir, ce bourgeois qui, après avoir proclamé sans cesse que le gouvernement devait s'appuyer sur la classe moyenne, parce que celle-ci constituait vraiment la nation, poussait le pays dans une voie qui aboutissait au suffrage universel ? A parler juste, ne devait-il pas tout être et tout faire sans le savoir ? Par manque absolu de clairvoyance, il n'avait aucun sentiment de la responsabilité de ses actes et de ses paroles. Non-seulement il ne prévoyait pas l'avenir, mais, après coup, même sous la leçon des plus formidables expériences, à la lueur des catastrophes les plus éclatantes, il n'a su rien voir du passé. Il a pu être surpris, jamais averti ni désabusé. Après 1848, transporté par la violence du choc dans un autre camp et devenu conservateur, il n'a pas eu un moment l'idée qu'il s'était trompé sous la monarchie de Juillet ; il a étalé dans ses Mémoires, et sur les hommes et sur les choses de cette époque, la naïveté décourageante de son obstination sereine et de son béat aveuglement ; c'était, à ses yeux, la marque d'une constance politique dont sa vanité et sa droiture étaient également flattées[15]. Tels sont les hommes qui vont présider à l'épreuve de la politique de laisser-aller. Certes, M. de Montalivet et M. Dupont de l'Eure, le général Sébastiani et le général La Fayette, M. d'Argout et M. Odilon Barrot, forment un ensemble quelque peu disparate. Dès le lendemain de la formation du cabinet, M. Dupont de l'Eure votait pour la suppression du timbre et des cautionnements des journaux, suppression appuyée par La Fayette et M. Barrot, mais combattue par le président du conseil au nom du ministère. D'autres eussent été troublés de prendre en main le gouvernement avec des éléments aussi incohérents. M. Laffitte ne s'embarrassait pas pour si peu. C'était une des formes de son présomptueux optimisme, de croire que la seule grâce de son esprit et la séduction de sa personne suffiraient à concilier les esprits les plus opposés et à désintéresser les plus exigeants. Après avoir causé avec quelqu'un, il s'imaginait toujours que son interlocuteur pensait comme lui. Il prétendait à la fois être du même avis que M. Casimir Périer et que La Fayette. La perspective des contradictions ne le démontait pas. Je me fais fort, disait-il à un ambassadeur, de ramener à la raison mes propres amis, républicains et libéraux chimériques. Au fond, nous sommes du même avis. Vainement lui mettait-on sous les yeux les périls les plus proches et les plus graves : Bah ! disait-il, laissez là vos défiances incurables et vos rigueurs mathématiques ; l'affaire s'arrangera[16]. A considérer l'état de l'opinion, au moment où la direction des affaires tombait ainsi aux mains de M. Laffitte, celui-ci était seul à envisager l'avenir avec une telle sécurité. Le pays qui avait vu sans regret partir le ministère précédent, accueillait sans confiance ses successeurs. Ces derniers n'obtenaient même pas le bénéfice de cette sorte de lune de miel, de ces quelques jours de crédit qui sont d'ordinaire accordés à tout pouvoir nouveau. Dès le lendemain de son avènement, les journaux amis étaient contraints d'avouer l'anxiété et le malaise de l'esprit public[17], et Béranger lui-même, qui avait été, pendant la révolution, l'inspirateur de M. Laffitte, écrivait dans une lettre intime : Nos ministres ne savent où ils vont ; les hommes et les capacités manquent ; les banquiers et les industriels culbutent les uns sur les autres ; les carlistes se frottent les mains. Il concluait que tout allait mal, et que ses amis au gouvernement étaient en train de perdre leur popularité[18]. Si, avant d'avoir agi, les nouveaux ministres n'inspiraient qu'une défiance presque méprisante, ce n'était pas que personne, surtout à droite, contestât leur avènement et pensât à leur disputer le poste dont ils s'étaient emparés. Les membres conservateurs de l'ancien cabinet leur avaient cédé volontairement la place. M. Guizot se préparait sans doute à arborer au premier jour le drapeau de la politique de résistance, mais sans intention immédiatement offensive. La majorité de la Chambre témoignait de ses tendances et de ses préférences conservatrices, en nommant M. Casimir Périer, par 180 voix contre 60, à la présidence jusque-là occupée par M. Laffitte ; mais elle ne songeait pas pour cela à s'organiser en parti d'opposition. Dans la presse, le Journal des Débats, pourtant fort prononcé contré le parti révolutionnaire, déclarait se poser, à l'égard du ministère, en surveillant, non en opposant. Dans cette réserve générale de la première heure, il y avait un peu de faiblesse et un peu de tactique. Les conservateurs ne s'étaient pas encore soustraits à l'intimidation qui, au lendemain de la révolution, les avait en quelque sorte annulés. Et puis, si méfiant qu'on fût de ce côté envers les hommes du laisser-aller, on les subissait comme une nécessité, on estimait utile qu'ils fassent mis à l'épreuve, et surtout on croyait avoir besoin de leur présence au pouvoir pour franchir le défilé redoutable du procès des ministres. En somme, jamais on ne vit un cabinet, a son avènement, à la fois plus impuissant et plus incontesté, ayant moins de crédit et moins de concurrents. II Au moment où M. Laffitte prenait le pouvoir, la grande, on pourrait presque dire l'unique question de la politique intérieure était le procès des ministres de Charles X. L'agitation commencée à ce sujet sous la précédente administration, et qui avait été la cause ou tout au moins l'occasion de sa chute, continuait en s'aggravant : attroupements tumultueux, placards meurtriers, prédications ouvertes de révolte et de massacre, scènes journalières de désordre dans les théâtres ou les écoles ; par suite, stagnation plus grande encore du commerce et de l'industrie. Les ouvriers promenaient dans les rues la plus menaçante des misères, et les meneurs du parti anarchique s'apprêtaient à profiter de cette émotion pour accomplir leurs desseins de renversement. L'exemple de Carrel permet de juger quelles étaient alors et la force des passions soulevées et la faiblesse des hommes de gauche, même de ceux qu'on croyait les plus fiers et les plus vaillants. Encore monarchiste et relativement modéré, Carrel estimait injuste et impolitique de verser le sang de M. de Polignac et de ses collègues. Pouvait-il oublier d'ailleurs qu'il avait été épargné par la Restauration, après avoir été pris en Espagne, combattant contre l'armée française ? Eh bien ! au bout de peu de temps, il n'ose plus tenir tête à l'opinion violente ; il se sent gagner par l'ivresse des haines qui fermentent au-dessous-de lui ; il en vient à railler ceux qui veulent rendre la révolution niaise, afin que, dans l'avenir, elle puisse être vantée comme pure de sang et de vengeance ; il déclare démontré qu'il n'y a pas moyen de sauver les anciens ministres ; dans ces hideuses passions, il voit l'expression de la volonté populaire, devant laquelle il s'incline avec douleur, mais sans hésitation ; du moment, dit-il, où l'on ne peut obtenir grâce, il faut être assez déterminé pour s'associer à la solidarité de cet acte de vengeance[19]. Devant cet échauffement et cette perversion croissante des esprits, le gouvernement voyait, non sans anxiété, approcher l'heure décisive où les accusés comparaîtraient devant la Cour des pairs. Sincèrement, il désirait écarter toute conclusion sanglante. Mais quelles étaient ses ressources pour résister aux passions, pour prévenir ou réprimer l'émeute encore dans tout le prestige que lui avait donné l'apothéose officielle des barricades de Juillet ? De police, il n'y en avait plus. Quant aux troupes, suivant l'expression de M. Thiers, ébranlées par le souvenir de la révolution, elles craignaient de se commettre avec le peuple[20]. Restait seulement la garde nationale, incertaine, troublée, tout à fait mauvaise dans certaines de ses parties, par exemple l'artillerie[21], et, dans ses meilleurs éléments, habituée non à obéir au gouvernement, mais à agir de son chef, suivant les inspirations du moment : on était réduit, en cas de trouble, à lui laisser une sorte de dictature[22]. Du reste, le commandant de cette milice, La Fayette, tout en souhaitant de sauver les ministres, ne consentait à employer que des moyens moraux et des démonstrations sentimentales. Enfin le jour du procès arrive. Le 15 décembre s'ouvrent, devant la Chambre haute, ces débats qui doivent durer une semaine. Semaine redoutable entre toutes ! Au dehors, l'émeute vient battre chaque jour les murs du Luxembourg, comme pour reprendre, contre la prison de ce palais, le sauvage assaut qui, un mois auparavant, avait été vainement tenté contre le donjon de Vincennes. Mais où apparaît plus encore le désordre, c'est dans l'attitude des autorités chargées de le réprimer. Pendant que la force armée demeure inactive, La Fayette et M. Odilon Barrot engagent publiquement des pourparlers avec les agitateurs, leur demandent poliment s'ils se sentent assez forts, assez stoïques, pour promener l'échafaud dans toute la France[23], affectent de partager leurs désirs, de reconnaître la légitimité de leurs griefs, et ne les détournent des insurrections qu'en leur montrant un procédé plus sûr pour atteindre leur but ; ils leur promettent, s'ils daignent être sages, qu'on les récompensera en suivant une politique plus révolutionnaire, et réservent la sévérité, de leurs proclamations officielles ou de leurs ordres du jour pour le gouvernement dont ils sont les agents ; moins occupés de flétrir ou de dominer l'émeute que de s'en servir pour entraîner la monarchie plus à gauche, en lui arrachant des concessions, ou en la compromettant par leurs déclarations et leurs engagements[24]. Lorsqu'ils sont absolument contraints de blâmer le désordre, ils affectent de croire qu'il est l'œuvre perfide des légitimistes. Enfin, quand le péril accru contraint de faire appel à la garde nationale, recommandation lui est faite de ne pas riposter en cas d'attaque, et, afin d'être plus sûr de son inaction, on lui refuse des cartouches ; M. Odilon Barrot s'est vanté plus tard d'avoir pris cette précaution. Il avait imaginé à la vérité, pour le moment suprême, un moyen dont le succès lui paraissait immanquable : tous les blessés de Juillet, réunis à l'Hôtel de ville, devaient, à la suite du préfet, se jeter sans armes entre les combattants[25]. L'émeute ainsi ménagée, on pourrait dire encouragée, devenait plus arrogante, et dédaignait même d'écouter patiemment ceux qui la traitaient avec tant de déférence. Nous sommes de la même opinion, disait M. Arago à une bande d'exaltés qu'il espérait ainsi calmer. — Ceux-là, répondait une voix, ne sont pas de la même opinion, dont l'habit n'est pas de la même étoffe. Et, la foule s'échauffant, M. Arago recevait un coup violent dans la poitrine. Sur un autre point, l'émeute ayant déjà à moitié forcé les grilles du Luxembourg, La Fayette se présente pour adresser à ses amis quelque harangue caressante ; mais l'effet en est usé ; des gamins saisissent le général par les jambes, le hissent en l'air et se le passent de main en main, en criant avec des modulations indescriptibles : Voilà le général La Fayette ! qui en veut ? Il faut qu'un détachement de ligne fasse une trouée pour le dégager. Je ne reconnais pas ici, dit le général, les combattants des barricades. — Qu'y a-t-il d'étonnant ? lui rétorque-t-on, vous n'étiez pas avec eux ![26] Dans l'intérieur du Luxembourg, grâce à Dieu, le spectacle est tout autre : les juges sur leurs sièges, calmes, le plus souvent inaccessibles aux menaces de l'émeute dont la rumeur parvient jusqu'à eux à travers les portes closes[27] ; les débats se poursuivant avec une gravité digne et une impassible régularité, sous la présidence impartiale et sagace de M. Pasquier ; l'éloquence généreuse des défenseurs faisant contraste avec l'âpre boursouflure des députés chargés de soutenir l'accusation ; les adieux de M. de Martignac, déjà penché sur sa tombe, et dépensant, avant de mourir, ses dernières forces pour sauver la tête du ministre qui l'avait naguère supplanté ; le brillant début de M. Sauzet, inconnu la veille, célèbre le lendemain dans l'Europe entière, succès d'applaudissements et de larmes ; la belle tenue des accusés, la bonne grâce sereine et chevaleresque de M. de Polignac, la hauteur de dédain, la fierté indomptée et l'émouvante parole de M. de Peyronnet, qui arrache un cri d'admiration à ses plus farouches adversaires ; scène grandiose et pathétique, dont le premier résultat, comme il arrive toujours dans les représailles tentées contre les vaincus, est de ramener l'intérêt sur ces accusés, tout à l'heure encore si impopulaires et si justement accablés sous le poids de leur téméraire incapacité ! Dans la soirée du 20 décembre, — c'est le sixième jour du procès, — le péril devient si pressant, le président reçoit du dehors des nouvelles si alarmantes, qu'il interrompt la réplique du commissaire de la Chambre des députés. Je suis informé par le chef de la force armée, dit-il d'une voix grave et émue, qu'il n'y a plus de sûreté pour nos délibérations ; la séance est levée. Les pairs se retirent, non sans que plusieurs ne soient outragés et menacés. Soirée et nuit pleines d'angoisses. Chacun sait que la sentence doit être rendue le lendemain. La circulation des voitures est interrompue. La garde nationale bivouaque dans les rues, autour de grands feux. La ville est illuminée, par crainte que quelque coup ne soit tenté à la faveur des ténèbres. Les bruits les plus sinistres se répandent ; il semble à tous que l'imminence d'une effroyable catastrophe pèse sur la cité ; une sorte de panique s'est emparée de beaucoup d'esprits, et, à lire les témoignages contemporains, il est visible que plusieurs désespèrent alors de sortir heureusement de cette lutte engagée contre l'anarchie sanguinaire. Le trouble est grand au sein du gouvernement, qui reçoit de ses agents des rapports d'heure en heure plus assombris. On commence du moins à comprendre, de ce côté, que, pour se sauver, il faut d'autres procédés que ceux de La Fayette, et qu'il est temps pour les ministres de ne plus s'effacer derrière ce personnage. Inquiet des dispositions de la garde nationale, le jeune ministre de l'intérieur, M. de Montalivet, insiste pour que le lendemain le jardin du Luxembourg soit uniquement occupé par la troupe de ligne. La Fayette cède, non sans objection, à une exigence qui lui paraît une injure à la générosité de la nation. Vous employez trop d'armée et pas assez de peuple, dit cet incurable que le peuple venait cependant de maltraiter si irrévérencieusement quelques heures auparavant[28]. Le 21 au matin, dernière et décisive journée, l'émeute gronde plus menaçante que jamais. Cependant le gouvernement et M. Pasquier se fiaient aux mesures arrêtées la veille au soir, quand ils apprennent que La Fayette, infidèle aux engagements pris, incapable de résister à ceux qu'il est chargé de commander, a laissé entrer dans le jardin des bataillons de gardes nationaux dont l'attitude et les cris ne sont rien moins que rassurants. Les gardes nationaux, répond-il aux plaintes de M. de Montalivet, ont demandé à être chargés de veiller à la sécurité des accusés ; j'ai cru devoir faire droit à leur patriotique réclamation ; on ne pouvait leur refuser une place d'honneur. La perplexité du jeune ministre est grande ; toutefois il ne perd pas la tête. Les débats sont à peine terminés, et l'arrêt n'est pas encore rendu, qu'il s'empare des accusés, les enferme dans une voiture bien attelée, entoure celle-ci d'un escadron de chasseurs, monte lui-même sur le cheval d'un sous-officier, et enlève le tout au galop, avant que personne se doute de ce coup de main accompli avec une si heureuse hardiesse. Au bout de peu de temps, le canon de Vincennes annonce au Roi anxieux que son ministre est arrivé sans encombre dans les murs de la vieille forteresse. L'enlèvement connu de la foule, on entend comme le rugissement du fauve auquel on a arraché sa proie. Est-ce la bataille qui éclate ? A ce moment, la nouvelle se répand, on ne sait comment, que les ministres ont été condamnés à mort. La foule, ainsi trompée, s'arrête. En réalité, l'arrêt n'est pas encore rendu, et les pairs continuent à délibérer, calmes au milieu de ce trouble ; chaque juge exprime à haute voix son opinion sur toutes les questions posées ; il y a grande majorité à la fois pour admettre le crime de trahison et pour repousser la peine capitale. Après ces formalités qui prennent de longues heures, la Cour rentre en séance ; il est dix heures du soir ; les accusés sont absents ; leurs défenseurs seuls sont présents. D'une voix grave, M. Pasquier lit l'arrêt qui condamne les anciens ministres à la prison perpétuelle, avec l'aggravation de la mort civile pour M. de Polignac. La nouvelle parvient aussitôt dans la rue. Quand ceux qui y sont encore apprennent qu'ils s'étaient abusés en croyant à une condamnation à mort, il est trop tard pour rien tenter : beaucoup d'ouvriers sont rentrés chez eux, et tout est renvoyé au jour suivant. Le lendemain, l'émeute se trouve de nouveau sur pied, plus irritée que jamais. Des meneurs lisent l'arrêt dans les carrefours, en provoquant ouvertement à la révolte ; le drapeau noir est arboré au Panthéon ; le buste de La Fayette est lapidé ; mais, au moment où il semble que le sang va couler, un incident se produit qui n'est pas l'un des signes les moins curieux ni les moins instructifs de cette époque d'anarchie. Depuis que les écoles avaient été exaltées pour avoir combattu sur les barricades de Juillet, depuis qu'elles avaient été courtisées par les hommes d'État et qualifiées de glorieuse jeunesse par Louis-Philippe, elles se considéraient comme une sorte de pouvoir public, ayant mission pour intervenir dans les affaires de l'Etat et pour imposer sa volonté au gouvernement. Plus d'une fois, au cours des récentes émeutes, La Fayette et M. O. Barrot avaient traité avec ce pouvoir, en lui promettant une modification de la politique ministérielle. Cette fois encore, en face d'un conflit imminent, ils croient habile d'obtenir, avec des promesses analogues, que les écoliers veuillent bien prendre la cause de l'ordre sous leur haute protection. Ceux-ci ne s'y refusent pas, mais, pour bien marquer à quelle condition, ils affichent sur tous les murs, avec l'approbation du préfet de la Seine, une proclamation où l'on lit : Le Roi, notre élu, La Fayette, Dupont de l'Eure, Odilon Barrot, nos amis et les vôtres, se sont engagés sur l'honneur à l'organisation complète de la liberté qu'on nous marchande et qu'en juillet nous avons payée comptant. Ils menacent de rappeler le peuple aux armes, si ces engagements ne sont pas tenus, si l'on ne donne pas une base plus républicaine aux institutions. Puis, après s'être ainsi posés en arbitres entre le gouvernement et l'émeute, les étudiants et les élèves de l'École polytechnique se promènent dans les rues, portant sur leurs chapeaux les mots : Ordre public. Grâce à la mobilité des foules, ils entraînent à leur suite ceux qui, quelques heures auparavant, voulaient se battre. Avant de rentrer chez eux, ils imposent leur visite au Roi, qui se croit obligé de les féliciter de leur bon esprit. III On avait esquivé tant bien que mal le désordre matériel, la bataille dans la rue : au prix de quelles équivoques, de quels abaissements, de quel désordre moral, c'est ce dont les ministres n'étaient pas hommes à avoir grand souci. Néanmoins une question s'imposait tout de suite à eux. La Fayette et M. O. Barrot s'étaient portés fort pour le gouvernement et avaient pris des engagements envers l'émeute ; maintenant, eux et leurs amis réclamaient publiquement la ratification et l'accomplissement de ces engagements, du ton de gens qui n'admettaient même pas qu'on pût leur résister ; c'était au nom de la garde nationale, alors seule dépositaire de la force publique, qu'ils prétendaient poser des conditions à la monarchie nouvelle[29] ; et à entendre les prédictions effarées des uns comme les impérieuses menaces des autres, il semblait que l'insurrection dût être la conséquence immédiate du moindre refus. Par lui-même, M. Laffitte n'eût pas été disposé à faire longue résistance ; seulement il lui fallait tenir compte du Roi ; celui-ci comprenait qu'autant vaudrait déposer immédiatement sa couronne que de céder à de telles exigences. Pour satisfaire Louis-Philippe, le ministre déclarait dans le Moniteur que le gouvernement n'avait pris aucun engagement, et en même temps il se flattait de consoler les révolutionnaires en obtenant, de la faiblesse complaisante des députés, des remercîments pour la jeunesse des écoles. Mais celle-ci ne voulut pas se laisser payer en phrases ; par trois protestations distinctes qui rivalisaient d'insolence factieuse, les élèves de l'École polytechnique, les étudiants en droit et les étudiants en médecine repoussèrent ces remercîments, et, devant cette rebuffade, l'infortuné ministre fut réduit à balbutier de piteuses explications, où sa dignité et sa sincérité avaient également à souffrir. Plus le désaccord s'accentuait entre le gouvernement et les révolutionnaires, plus La Fayette sentait sa situation devenir embarrassante et fausse. Il saisit la première occasion d'en sortir par un éclat. La Chambre discutait alors la loi organique de la garde nationale. Conduite à se demander si, dans un régime normal, il y avait place pour un commandant général de toutes les gardes nationales du royaume, elle supprima en principe cette fonction, couvrant, du reste, de fleurs La Fayette, et le laissant provisoirement en possession[30]. Celui-ci se sentit atteint, et offrit sa démission. Grisé d'encens, infatué de soi, mal éclairé sur le changement des esprits, ne comprenant pas qu'il commençait à fatiguer et à inquiéter, il s'attendait à voir capituler aussitôt la Chambre et le gouvernement, épouvantés à la seule idée de sa retraite. L'émotion fut, en effet, très-vive dans le cabinet, et le premier mouvement fut de tout employer pour faire renoncer le général à son dessein. M. Laffitte croyait, comme toujours, qu'il était aisé de tout arranger, et il se faisait fort de dissiper, par quelques minutes d'entretien, ce regrettable malentendu. A l'épreuve, il rencontra plus de difficultés qu'il n'en prévoyait. D'une part, La Fayette, qui, dans son outrecuidance, s'imaginait tenir le gouvernement à sa merci, formulait des exigences inacceptables même pour M. Laffitte : changement de ministère, suppression immédiate de la Chambre des pairs, convocation d'une assemblée nouvelle chargée seulement de faire une loi électorale et d'établir un suffrage presque universel. D'autre part, si le Roi partageait ou du moins jugeait utile de paraître partager la tristesse et le trouble de ses ministres, il devait cependant au fond se consoler d'être débarrassé d'un tel protecteur ; peut-être n'avait-il pas été sous main étranger à l'incident parlementaire qui avait amené la démission, et il n'était pas disposé à payer de sa propre abdication le retrait de celte démission ; aussi, tout en affectant avec M. Laffitte de ne chercher qu'un raccommodement, tout en multipliant à cet effet les démonstrations et les démarches, veillait-il, avec une sagesse habile et clairvoyante qui commençait à être plus libre de se montrer et d'agir, à ce que le ministre ne consentît pas une capitulation humiliante et désastreuse. Dès lors, la rupture était inévitable, et le cabinet, acculé malgré lui à faire acte de force, se décida à accepter la démission de La Fayette et à le remplacer par le général comte de Lobau[31]. Tout tremblant de son involontaire hardiesse, il attendait avec angoisse quel effet elle produirait dans l'opinion. Mais vainement La Fayette chercha-t-il à émouvoir ses frères d'armes, se posant en victime ; vainement les journaux de gauche éclatèrent-ils en emportements indignés[32] ; vainement les patriotes colportèrent-ils des protestations contre la scandaleuse ingratitude de la monarchie ; vainement M. Dupont de l'Eure donna-t-il, lui aussi, cette démission dont il avait si souvent menacé 3 : personne ne bougea ; la masse demeura calme, presque indifférente ; le Roi, passant en revue, avec le nouveau commandant, les diverses légions de la garde nationale, fut partout chaleureusement accueilli ; M. Mérilhou remplaça sans scrupule son ami M. Dupont de l'Eure au ministère de la justice[33] ; M. Odilon Barrot lui-même resta à son poste, après avoir provoqué de M. Laffitte une explication où celui-ci lui déclara — ce qui ne lui coûtait jamais — qu'il était parfaitement d'accord avec lui[34]. Rude châtiment pour la vanité de La Fayette ; leçon aussi pour la timidité du gouvernement qui avait trop douté de sa force ; il apparaissait dès lors que sa faiblesse tenait non-seulement à la situation, mais aussi à son défaut de confiance et de courage. M. Laffitte n'était capable d'écouter ni de comprendre aucune leçon. Plus que jamais il était satisfait de tout et principalement de lui-même. L'ambassadeur étranger auquel il avait déjà témoigné sa sérénité confiante, au début de son ministère, ayant eu l'occasion de causer de nouveau avec lui, dans les premiers jours de janvier, racontait, non sans une surprise légèrement railleuse, qu'il l'avait retrouvé plus content et plus assuré encore qu'au mois de novembre, en plein optimisme, et regardant toutes les circonstances comme favorables[35]. Le président du Conseil était sincèrement et naïvement convaincu que, de ces événements dont il n'avait cependant dirigé aucun, il sortait grandi, avec plus de crédit auprès des conservateurs, et plus d'autorité sur les révolutionnaires. Le contraire était la vérité. A gauche, les ardents ne lui pardonnaient pas la retraite de La Fayette et de Dupont de l'Eure. Bientôt le licenciement de l'artillerie de la garde nationale leur fournit un nouveau grief[36]. Sans doute, de ce côté, on ménageait encore personnellement M. Laffitte ; on regrettait son défaut d'énergie ou de puissance, sans contester ses bonnes intentions ; mais on ne se déclarait plus ministériel, et le National poussait vivement ses amis à se constituer en opposition, avec La Fayette pour chef. A droite, on n'ignorait pas que M. Laffitte n'était pas changé : on le voyait continuer, comme par le passé, à chercher, dans le monde révolutionnaire, les familiers auxquels il se livrait et livrait le gouvernement avec tant d'indiscrétion et de complaisance. Pourquoi lui eût-on tenu compte de l'éloignement de La Fayette, qui était l'œuvre de la Chambre — et peut-être du Roi, — mais non la sienne ? Quant au procès des ministres, si l'on se félicitait de son issue, la conduite qu'y avait suivie le cabinet ne paraissait de nature à lui mériter ni grande admiration pour le passé ni grande confiance pour l'avenir. D'ailleurs, ce procès une fois terminé, disparaissait l'une des principales raisons qui avaient déterminé les conservateurs à accepter M. Laffitte ; si l'on ne croyait pas encore le moment venu de prendre l'offensive contre le cabinet et de précipiter sa chute, on était moins empressé que jamais à le soutenir : à peine consentait-on à le tolérer. M. Guizot, chaque jour plus ferme, mieux dégagé des compromissions du premier moment, se faisait applaudir de la majorité, eu parlant le langage qu'elle eût attendu du ministère, opposait les principes de gouvernement aux sophismes révolutionnaires, protestait contre le pouvoir extérieur que l'émeute prétendait s'attribuer, et soulageait la conscience publique en flétrissant les violences ou les lâchetés du parti qui se disait propriétaire exclusif de la révolution de 1830, de ce parti inquiétant et faible, à la fois cause des troubles et impuissant à les réprimer ; il n'attaquait pas directement le cabinet, mais indiquait qu'il comptait moins sur lui que sur la société française elle-même, pour faire l'œuvre de défense et de salut[37]. Ne trouvant d'appui ni à droite ni à gauche, le ministère était hors d'état de gouverner : il semblait d'ailleurs n'en avoir ni le désir ni même l'idée. Il n'exerçait aucune direction sur la Chambre, qui agissait comme si elle ignorait à peu près son existence. Les partis se battaient par-dessus sa tête. La majorité proposait et votait, en dehors de lui, les lois les plus importantes, ou remaniait les projets qu'il avait présentés, sans s'inquiéter autrement des échecs qu'elle pouvait ainsi lui infliger. C'est ce qui se produisit notamment pour les lois sur la garde nationale, sur l'organisation municipale, sur le jury, sur l'amortissement, sur l'impôt direct. Cette absence de gouvernement n'était pas moins sentie dans le pays que dans le parlement, et nul ne se gênait pour témoigner aux ministres un mépris, pour leur faire des affronts, dont on chercherait vainement l'analogue à d'autres époques. En veut-on un exemple ? Pour remédier au désordre croissant des écoles, le ministre avait cru devoir invoquer une ordonnance de 1820, interdisant aux élèves d'agir ou d'écrire en nom collectif comme s'ils formaient une corporation. Des étudiants ayant protesté et ayant été cités de ce chef devant le conseil académique, la jeunesse des écoles envahit et saccagea la salle où se tenait le conseil, hua le ministre et le procureur général, leur jeta des pierres, des œufs et de la boue, et les obligea à s'enfuir, le tout sans que l'autorité prît aucune mesure de répression[38]. Situation pitoyable, dont les journaux de gauche eux-mêmes renonçaient à dissimuler la misère. Le National montrait de toutes parts des embarras de gouvernement ; il dénonçait la suspension forcée de toute activité sociale au milieu des incertitudes de la politique... tout le monde mécontent de n'être pas gouverné ou de l'être ridiculement ; il rappelait les désastres du commerce, qui s'était promis merveille de la révolution, et que la révolution semblait achever ; puis il ajoutait : La voix de la nation entière n'est qu'une plainte, comme disait un poète romantique. Il n'est personne qui ne soit mécontent de tout le monde[39]. |
[1] Sur Laffitte avant 1830, je me permets de renvoyer à ce que j'en ai dit dans le Parti libéral sous la Restauration, p. 51 et suiv.
[2] Séances du 9 et 10 novembre 1830.
[3] Carrel a dit en effet dans le National, au moment de la chute du cabinet (11 mars 1831) : M. Laffitte a fait l'essai, non pas d'un système, mais de l'absence de tout système, du gouvernement par abandon.
[4] Veut-on un spécimen des rapports de M. Dupont de l'Eure et du Roi ? Un jour, en plein conseil, M. Dupont s'écrie : Maudite galère ! — Ah ! oui, parlons-en, répond le Roi, maudite galère, à temps pour vous, à perpétuité pour moi. — A perpétuité ? reprit le ministre ; ma foi, je n'en sais trop rien, du train dont cela va. Dans tous les cas, Sire, cela vous amuse ; mais moi, je ne m'en arrange pas du tout. — Un autre jour, M. Dupont, donnant un démenti au Roi et menaçant de le rendre public, osait dire : Prenez garde à qui on croira de vous ou de moi. (SARRANS, Louis-Philippe et la contre-révolution, t. II, p. 77, 81.)
[5] M. LANFREY.
[6]
Lettre de Macaulay alors en voyage à Paris. (Life and letters of lord Macaulay, par M. TREVELVAN.)
[7] M. LUCHET, dans le Livre des Cent un, t. II.
[8] Expression de M. Napoléon Peyrat.
[9] Dans l'écrit que j'ai déjà cité, M. Luchet écrivait de La Fayette : Son image, le soir, vient me visiter ; je m'en empare, je l'embrasse, je la caresse ! Je l'appelle honneur, patrie, liberté, gloire ! Je la vois incarnée, faite homme, majestueuse, au front serein, calme et belle, semblant me bénir... Attendrissante bénédiction, que je croyais être celle de Dieu, un jour que je la reçus en effet, et que, se penchant sur moi, il me dit d'une voix altérée : Au revoir, mon ami ! — On disait couramment alors qu'il n'y avait que deux noms dans l'histoire du siècle : La Fayette et Napoléon. Que d'attendrissement sur les vertus de La Fayette ! Un écrivain de la gauche, aide de camp du général, s'écriait en s'adressant aux réactionnaires : Vous qui avez supporté tant de vices et de crimes, ne pouvez-vous donc supporter encore quelques jours les vertus de La Fayette ?
[10] Continuez, disait un jour La Fayette au Roi, continuez à répudier le principe de votre origine, et je vous garantis que la république, et peut-être la démagogie, ne sauraient désirer un meilleur auxiliaire que Votre Majesté. (SARRANS, La Fayette et la contre-révolution, t. II, p, 2.)
[11] De la France, p. 215.
[12] Mémoires de M. de Metternich, t, V, p. 26.
[13] Louis BLANC, Histoire de dix ans, t. II, p. 122.
[14] Dès le lendemain de la formation du cabinet, répondant à M. Guizot, M. O. Barrot déclarait qu'il fallait désintéresser le parti républicain, dont les conservateurs effarés se faisaient un monstre, en lui accordant tout ce qu'il demandait. Ne vous inquiétez donc pas, concluait-il, de ces dangers, qui ne sont qu'imaginaires. (9 novembre 1830.)
[15] Louis-Philippe disait de M. O. Barrot, le 24 février : C'est un niais, mais il est bon homme. (Conversation de M. Thiers avec M. Senior, rapportée par ce dernier.)
[16] Mémoires de M. Guizot, t. I, p. 141 et 156.
[17] Six jours après la formation du cabinet, le National du 8 novembre dénonçait une inquiétude générale, et il ajoutait : La France manque plutôt de confiance que de calme. Son mal le plus grand est l'incertitude. L'impatient d'arriver à une situation définitive, ou du moins nette et précise, se fait remarquer sur tous les points du territoire... Sur un mot, l'inquiétude augmente ; sur Un bruit de ville, la frayeur se répand.
[18] Correspondance de Béranger, lettre du 23 novembre.
[19] Le National, passim, en novembre et décembre 1830.
[20] La Monarchie de 1830, p. 126.
[21] O. Barrot a écrit, deux ans plus tard : Il faut le dire, la garde nationale était au moins partagée sur la conduite qu'il y avait à tenir dans cette circonstance ; la très-grande majorité, ou du moins la partie énergique et active de cette garde, demandait que le sang versé en juillet fût expié par du sang. (Lettre écrite en 1832, Mémoires, t. I, p. 194.)
[22] Carrel, revenant après coup sur ces événements, a écrit que le ministère, impuissant, avait été obligé de livrer à la garde nationale une dictature de quelques jours. (National du 20 février 1831.)
[23] Expression de M. O. Barrot, dans un discours prononcé à la Chambre, le 20 décembre.
[24] M. O. Barrot disait, par exemple : Sorti de vos rangs, en parfaite sympathie d'opinion et de sentiments avec vous, ce que vous éprouvez, je l'éprouve. Je ne suis étranger ni à votre impatience de voir réaliser au milieu de nous des institutions promises, ni à vos justes ressentiments. La Fayette parla à cette époque, pour la première fois, de ce prétendu programme de l'Hôtel de ville auquel il mettait le Roi en demeure de se conformer.
[25] Odilon BARROT, Mémoires, t. I, p. 194, 196.
[26] M. Victor Hugo assista à cet incident, qui est rapporté dans l'ouvrage intitulé : Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.
[27] Par moments, cependant, certains esprits avaient quelque peine à garder possession d'eux-mêmes. Le duc de Broglie a écrit à ce propos dans ses Notes biographiques inédites : L'ébranlement des esprits devint tel, dans les deux ou trois derniers jours, qu'il monta rapidement de bas en haut, qu'on parla plus ou moins de compromis, qu'il fut question de faire de M. de Polignac un bouc émissaire, et de livrer sa tête pour sauver celle des autres ; proposition que j'ai entendue moi-même sortir de bouches que je ne veux pas même désigner indirectement.
[28] Voyez l'étude de M. Ernest DAUDET sur le Procès des ministres.
[29] Le National disait : La garde nationale mesure, nous n'en doutons pas, toute l'importance du service qu'elle a rendu ; elle en veut trouver le prix dans une marche plus franche, plus décidée, plus nationale, et nous croyons qu'elle n'attendra pas qu'on s'endorme encore, pour faire connaître à quelles conditions on peut compter à l'avenir sur ses services.
[30] Séance du 24 décembre 1830.
[31] 27 décembre 1830. Voici, comme spécimen de ces violences, quelques fragments d'un article de Carrel, qui cependant, nous l'avons dit, n'avait pas encore rompu avec la monarchie : La Fayette était au-dessus de toute récompense ; mais on le croyait aussi au-dessus des indignités d'un Parlement Croupion... Allons, vous qui avez bassement trahi la branche aînée des Bourbons, vous qui rampiez depuis cinq mois, en flatteurs avilis, sous la souveraineté nationale que vous détestiez, travaillez à réédifier la légitimité ; mais nous vous démasquerons, nous troublerons vos joies, nous vous ferons passer de mauvaises nuits, jusqu'à ce que vous succombiez, et votre règne ne sera pas long.
[32] Au lendemain des journées de Juillet, comme le duc de Broglie exposait au Roi tous les embarras que lui causerait la présence de M. Dupont de l'Eure dans son ministère : Que faire donc ? avait dit Louis-Philippe. — S'en défaire, avait répondu le duc de Broglie, et le plus tôt possible ; mais pour cela, il faut guetter le moment. Notre homme a cela de bon qu'il met son point d'honneur à faire fi du pouvoir et des avantages qui en dépendent, à se poser en Cincinnatus. Il vous offrira sa démission trois ou quatre fois la semaine ; le tout est de bien choisir l'occasion. — J'y penserai, avait dit le Roi. Louis-Philippe, en acceptant cette fois la démission de son garde des sceaux, suivait donc, un peu tardivement, le conseil que lui avait donné le duc de Broglie.
[33] M. Mérilhou était remplacé à l'instruction publique par M. Barthe.
[34] SARRANS, Louis-Philippe et la contre-révolution, t. II, p. 34.
[35] Mémoires de M. Guizot, t. II, p. 100.
[36] 31 décembre 1830.
[37] Si le gouvernement se manquait à lui-même, j'ai confiance dans la société française et actuelle ; j'ai la confiance qu'elle se sauverait elle-même du désordre, comme elle s'est sauvée de la tyrannie. (Discours du 29 décembre 1830. Voir aussi celui du 27 janvier 1831.)
[38] 22 janvier 1831.
[39] National du 15 janvier 1831.