Le prince ne néglige rien pour activer le mouvement révisionniste, impressionner l'Assemblée et obtenir les trois quarts des voix exigées par la Constitution. Il préside l'inauguration du chemin de fer de Tonnerre à Dijon ; accueil enthousiaste. Vive l'Empereur ! — Discours du maire de Dijon : la reconnaissance impose à l'Assemblée le vote de la révision. — Réponse du prince : La volonté nationale est toute-puissante ; elle ne veut ni de la royauté, ni de la démagogie ; il a été entravé par l'Assemblée dans le bien qu'il voulait faire. — Grande émotion dans le monde parlementaire. — Le Moniteur ne donne pas le texte exact du discours du prince ; déclaration faite à ce sujet à l'Assemblée par le ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher. — Incident à l'Assemblée sur la question de l'obéissance passive du soldat : le colonel Charras, Changarnier. — Les journaux. — Articles remarquables de Lamartine dans le Pays, de Veuillot dans l'Univers, de Granier de Cassagnac dans le Constitutionnel. Réponse violente du National. — M. de la Guéronnière dans le Pays. — Surexcitation des esprits dans l'Assemblée ; incidents le 4 juin sur l'audace des impérialistes, le 12 juin sur l'obéissance des militaires (encore), le 23 juin sur le pétitionnement. — Le National, l'Événement, l'Opinion publique n'admettent pas la sincérité du mouvement révisionniste ; en sens contraire, la Patrie, l'Univers, qui donne la note juste et vraie. — Nombre des pétitionnaires. — Aveu de l'Union. — Lettres de Léon Faucher, de M. Lefebvre-Duruflé. — Le Constitutionnel attaque les chefs des anciens partis. — Déclaration du Comité général révisionniste. — Brochure du comte de Berthier contre l'Empire. — Lamartine, dans le Conseiller du peuple, réclame la révision. — Revues ; l'Événement. — Inauguration du chemin de fer de Tours à Poitiers ; toast du maire de Châtellerault ; réponse du prince ; discours de Poitiers ; profonde impression ; les journaux de l'opposition ne se rallient pas ; MM. de Lamartine et de la Guéronnière dans le Pays ; différentes versions des journaux sur l'accueil fait au Président. —Inauguration de la statue de Jeanne Hachette ; discours du maire de Clermont, de l'évêque de Beauvais, du maire de cette ville ; réponse du prince, qui fait l'éloge de la monarchie et de la Révolution ; les journaux ; article du duc de Broglie dans la Revue des Deux Mondes en faveur de la révision. — Discussion dans les bureaux de la proposition de révision ; pour Desmousseaux de Givré, de Tocqueville, Berryer, Piscatory, de la Moskowa, de Montalembert, Moulin, Quentin-Bauchart, de Corcelles, Larabit, comte Molé, Casabianca, Lamartine ; contre : Antony Thouret, Michel de Bourges, Quinet, Corne, de Mornay, Barthélemy-Saint-Hilaire. — Commission élue avec 9 membres pour et 5 contre. — M. de Tocqueville rapporteur. — Ce que disent dans la commission Cavaignac, Berryer, de Broglie ; Léon Faucher sur le rôle du gouvernement dans le mouvement révisionniste. — Rapport Tocqueville. — Discussion à l'Assemblée ; pour : Falloux, Coquerel, Berryer, Odilon Barrot ; contre : de Mornay, Cavaignac, Grévy, Michel de Bourges, Pascal Duprat, Victor Hugo, Dufaure ; réponse de M. de Falloux, puis de M. Baroche à Victor Hugo. — Proposition de révision rejetée avec 168 voix de majorité. — Le National triomphe. — Les Débats regrettent le rejet de la révision ; le Constitutionnel n'accepte pas la loi faite à la majorité par la minorité. — L'Univers déclare k prince un homme nécessaire. L'Opinion publique. — Sentiment de révolte du pays. — Le Times critique la Constitution. — Rapport complémentaire de M. de Melun sur le mouvement révisionniste ; M. Charras accuse l'administration d'avoir suscité ce mouvement ; réponse de Léon Faucher ; le général Lamoricière ; M. Baze ; ordre du jour timide voté par l'Assemblée, ce qui ajoute une nouvelle faute à celle du rejet de la révision. — La thèse du prince ; sa valeur. — Influence de M. de Persigny. — Commencement d'août, hypothèse d'un coup d'État admise par le prince ; nominations faites en vue de cette éventualité. — Revue du 7 août ; réflexions du National. — 15 août, banquets bonapartistes à Paris ; l'Opinion publique ; MM. de Lamartine et de la Guéronnière dans le Pays. — Bruits de coup d'État ; la Patrie les dénient ; ils reprennent en septembre ; l'Événement, l'Ordre, les Débats n'y croient pas, ni le Siècle. — Discours du prince à l'inauguration d'un pavillon des Halles. — Le ministère ignore les résolutions du Président. — Coup d'État fixé au 17 septembre, puis reluis. — Léon Faucher, au Comice de Chalons, persiste à espérer la révision. — Article violent du Constitutionnel et du Bulletin de Paris contre la Constitution. — Réponse du Siècle et du National. — Le Constitutionnel revient à la charge. — Rappel de la loi du 31 mai 1850 ; habileté du prince. — 27 octobre, nouveau ministère. — Ce crue disait alors de Maupas. — Hostilité de la presse contre le ministère. — Lettre de Félix Pyat au prince. — Circulaire de Saint-Arnaud sur l'obéissance passive. — Le Siècle et le National. — Message du novembre. — Les journaux. — Nouveaux bruits de coup d'État. — L'opposition des questeurs : le Constitutionnel, le Pays, la Presse, les Débats la condamnent ; l'Ordre, le Siècle, l'Opinion publique, l'Assemblée nationale l'approuvent. — Les ministres de l'intérieur et de la guerre dans la commission d'examen de la proposition des questeurs. — Rapport Vitet. — Curieuse déclaration de l'Opinion publique sur l'attitude de la gauche. — 17 novembre, discussion à l'Assemblée. — Que fallait-il faire ? — Le général Leflô, Crémieux, Michel de Bourges, Vitet, Charras, général d'Hautpoul, Thiers, Jules Favre, Bedeau ; le général de Saint-Arnaud déclare que le décret du 11 mai 1848 n'est plus affiché dans les casernes ; tumulte dans l'Assemblée. — Saint-Arnaud, Magnan, de Morny à l'Élysée. — Rejet de la proposition des questeurs. — Les journaux. — Allocution du prince aux officiers des nouveaux régiments arrivés à Paris ; les journaux. — L'Assemblée supprime le crédit alloué à l'Agence Havas, en signe de blâme du rôle joué par le gouvernement dans la question de la révision. Rapport Daru sur le rappel de la loi du 31 mai 1850. — Discussion. — Rejet. — Les journaux opposants insultent le ministère. — Bruits de coup d'État ; rondes de nuit de M. Thiers et de quelques députés. — Proposition Pradié ; discussion dans les bureaux ; Baroche, Michel de Bourges, Pascal Duprat, de Montalembert. — 15 novembre, M. Lagrange dénonce à la tribune des articles du Courrier de la Gironde et du Mémorial bordelais. — Malgré la gravité des circonstances, l'Assemblée s'amuse toute une séance à l'occasion d'un discours de Pierre Leroux revendiquant le droit de vote pour les femmes. — Lamentable spectacle présenté par l'Assemblée. — Le Parlement se déconsidère. — Une solution s'impose. — Le prince espère pousser l'Assemblée à bout en la faisant violemment attaquer par Granier de Cassagnac dans le Constitutionnel. — Immense émotion causée par l'article du 24 novembre. — La fin approche. — Les journaux. — Interpellation sur l'article du Constitutionnel. — Le ministère, à part le général de Saint-Arnaud, ne sait rien des projets du prince. — Discours menaçant et énigmatique du Président à la distribution des récompenses aux exposants français de l'Exposition de Londres. — La Patrie et l'Univers le louent. — Le Spectre rouge. — Mandement de l'archevêque de Paris sur les périls de la société. — Cri général de lassitude. — Tout le monde parle du coup d'État et l'attend. — Paroles échangées à l'Élysée entre M. Denjoy, député, et M. Granier de Cassagnac. — Le prince Jérôme. — Le punch de l'École militaire. — Le colonel Espinasse. — Réunion des chefs de la majorité et des généraux membres de l'Assemblée hostiles au prince. — Déclaration des généraux Leflô, Bedeau. — MM. de Maleville et Duvergier de Hauranne donnent le détail exact de l'exécution du coup d'État. — La soirée du 1er décembre à l'Élysée. — M. de Morny à l'Opéra-Comique. — Réunion dans le cabinet du Président de la République de MM. de Persigny, de Maupas, de Saint-Arnaud, de Morny et Mocquard. — Le coup d'État. — La France entière y applaudit. — Plébiscite des 20 et 21 décembre 1851. — Jugement sur le coup d'État et sur le prince.La proposition de révision, faite par un grand nombre de représentants du peuple amenés à reconnaître que le rétablissement de la Monarchie légitime ou de la Royauté deJuillet était pour le moment impossible, et que le sentiment national persistait à faire du prince un homme nécessaire, ne pouvait qu'encourager celui-ci à ne rien négliger pour activer le mouvement révisionniste jusqu'au point de balayer toutes les résistances parlementaires, et arriver ainsi à atteindre la majorité des trois quarts des voix exigée par la Constitution. Dès lors il n'hésitait pas à continuer la pratique du système qui lui avait toujours si bien réussi, à payer de sa personne, à garder le contact avec les populations des départements, à faire naître l'occasion d'affirmer publiquement et solennellement les grandes lignes de sa politique, ses vues humanitaires, ses sympathies ardentes pour la démocratie. Il avait conscience de sa force, conscience de sa prodigieuse popularité ; il sentait le courant qui le portait au pouvoir suprême, et il allait de l'avant pour le rendre plus irrésistible encore. Le 1er juin, il présidait à l'inauguration du chemin de
fer de Lyon entre Tonnerre et Dijon. Sur tout le parcours la foule était
immense, les acclamations succédaient aux acclamations. Les cris de : Vive le
Président ! Vive Napoléon ! ne cessaient de retentir[1] ; on entendait
même quelques cris de : Vive l'Empereur ! Sens se faisait remarquer par son
enthousiasme ; à Tonnerre, il y avait plus de 30.000 personnes accourues de
dix lieues à la ronde ; à Ancy-le-Franc, à Aisy, à Montbard, à Verrav, à
Malain, l'empressement était universel ; tous les habitants étaient sur pied
; et quand le train présidentiel passait, les hommes agitaient leurs
chapeaux, les femmes leurs mouchoirs, et le nom de Napoléon sortait de toutes
les bouches. A Dijon, il fait une entrée triomphale. Il assiste à un banquet
où le maire lui adresse ces paroles : Vous êtes non
seulement, prince, l'héritier d'un nom qui porta le plus haut la gloire de la
France ; mais encore, avec une fermeté et une abnégation qui n'appartiennent
qu'aux grands cœurs et aux grands courages, vous avez arrêté dans leur
déchaînement les passions prêtes à déchirer le sein de la patrie. Honneur à
vous, prince, pour un si grand bienfait, et espérons que la nation, dans
l'exercice de sa souveraineté, saura trouver la meilleure expression de sa
reconnaissance. C'était dire qu'à moins d'une révoltante ingratitude,
d'une méconnaissance absolue des véritables intérêts du pays, l'Assemblée
devait maintenir le prince à la présidence. Celui-ci profitait de l'invite
qui lui était adressée de s'expliquer sur la question de la révision et
faisait entendre un langage qui impliquait cette idée que la volonté
nationale ne pouvait subir d'entraves d'aucune sorte et révélait cette
résolution de ne s'incliner que devant elle... Ni
les intrigues, ni les attaques, ni les discussions passionnées des partis,
dit-il, ne sont en harmonie avec les sentiments et l'état du pays. La France
ne veut ni le retour à l'ancien régime, quelle que soit la forme qui le
déguise, ni l'essai d'utopies funestes et impraticables. C'est parce que je
suis l'adversaire naturel de l'un et de l'autre, qu'elle a placé sa confiance
en moi. S'il n'en était pas ainsi, comment expliquer cette touchante sympathie
du peuple à mon égard, qui résiste à la polémique la plus dissolvante et
m'absout 'de ses souffrances ? En effet, si mon gouvernement n'a pas pu
réaliser toutes les améliorations qu'il avait en vue, il faut s'en prendre
aux manœuvres des factions qui paralysent la bonne volonté des Assemblées
comme celles des gouvernements les plus dévoués au bien public. Depuis
trois ans on a pu remarquer que j'ai
toujours été secondé quand il s'est agi de combattre le désordre par
des mesures de compression ; mais lorsque j'ai voulu faire le bien, fonder le
Crédit foncier, prendre des mesures pour améliorer le sort des populations,
je n'ai rencontré que l'inertie... Je profite de ce banquet comme d'une
tribune pour ouvrir à mes concitoyens le fond de mon cœur. Une nouvelle phase
de notre ère politique commence. D'un bout de la France à l'autre des pétitions
se signent pour demander la révision de la Constitution. J'attends avec
confiance les manifestations du pays, et les décisions de l'Assemblée qui ne
seront inspirées que par la seule pensée du bien public. Si la France
reconnaît qu'on n'a pas eu le droit de disposer d'elle sans elle la France
n'a qu'à le dire : mon courage et mon énergie ne lui manqueront pas.
Depuis que je suis au pouvoir, j'ai prouvé combien, en présence des grands
intérêts de la société, je faisais abstraction de ce qui me touche. Les
attaques les plus injustes et les plus violentes n'ont pu me faire sortir de
mon calme. Quels que soient les devoirs que le pays m'impose, il me trouvera
décidé à suivre sa volonté, et croyez-le bien, Messieurs, la France ne périra
pas dans mes mains. Le prince avait prononcé son discours de cette voix[2] calme, lente et flegmatique, avec ce geste précis et ce visage impassible qui étaient dans son habitude. Les phrases par nous soulignées causèrent une émotion profonde dans le monde parlementaire, une émotion telle[3] que le ministre de l'intérieur, Léon Faucher, déclara qu'il démissionnerait si elles étaient maintenues. Le Moniteur ne les inséra pas, mais l'effet était produit. Interpellé à la séance du 2 juin par M. Desmousseaux de Givré, M. Léon Faucher répondait : Le discours de M. le Président de la République a été inséré au Moniteur ; ce texte est officiel ; le gouvernement n'en reconnait pas d'autre. Ces paroles étaient accueillies par de vives et bruyantes exclamations partant de tous les points de l'Assemblée, et M. Duché s'écriait : C'est une escobarderie ! c'est un aveu explicite ! nous prenons acte de l'aveu !... Dans cette même séance le colonel Charras, profitant de la
discussion d'un projet de loi relatif à l'armée, cite ces paroles du général
Foy : L'obéissance de l'armée doit être entière,
absolue, lorsqu'elle a le dos tourné à l'intérieur et le visage tourné vers
l'ennemi ; mais elle ne peut être que conditionnelle lorsque le soldat a le
visage tourné vers ses concitoyens... S'il plaisait aujourd'hui à un chef de
dire à ses soldats : Marchons aux Tuileries et assiégeons le palais des rois,
ne serait-il pas alors du devoir des soldats de dire à cet officier Vous êtes
un rebelle, nous ne vous suivrons pas ? Et cependant, d'après vos principes,
les soldats devraient marcher sur les Tuileries du moment que leur chef leur
en aurait donné l'ordre. Et le colonel Charras conclut que
l'obéissance ne saurait être passive. Comme la droite fait entendre de vives
réclamations, il ajoute : ... Je ne souhaite pas à
cette Assemblée de voir soulever contre elle des bataillons (interruptions
nombreuses et vive agitation)... je disais que je ne souhaite pas à cette
Assemblée, lorsqu'elle proclame le principe de l'obéissance passive absolue,
qu'il se trouve un jour un homme assez entreprenant, assez pervers pour
diriger contre elle des bataillons comme... au 18 brumaire... Ce jour-là, par
le fait même de l'obéissance passive absolue..., l'usurpation fut accomplie.
Cette déclaration motivée par la crainte toujours existante d'un coup d'État,
crainte avivée par le discours de Dijon, amena le général Changarnier à la
tribune[4] : ... Je crois nécessaire, dit-il, de dissiper les appréhensions exprimées... par le colonel
Charras... A en croire certains hommes, l'armée serait prête dans un moment
d'enthousiasme à porter la main sur les lois du pays... Pour vous rassurer,
il me suffirait peut-être de vous demander où est le prétexte à
l'enthousiasme (rires prolongés) ; j'ajouterai que, profondément pénétrée du sentiment de ses
devoirs et de sa dignité, l'armée ne désire pas plus que vous voir infliger à
la France les misères et les hontes du gouvernement des Césars
alternativement imposé et renversé par les prétoriens en débauche. (Vives et nombreuses marques d'approbation.) La discipline est fondée dans l'armée française sur les
bases les plus solides ; le soldat entendra toujours la voix de ses chefs.
Mais personne n'obligerait nos soldats à marcher contre la loi, et à marcher
contre cette Assemblée. Dans cette voie fatale on n'entraînerait pas un
bataillon, pas une compagnie, pas une escouade, et on trouverait devant soi
des chefs que nos soldats sont accoutumés à suivre sur le chemin du devoir et
de l'honneur. (Bravos.) Mandataires de la France, délibérez en paix !... En lisant cette harangue, le Perroquet mélancolique dut penser à certain oiseau de basse-cour qui ne ressemble pas précisément à l'aigle. — Venir, dit le Constitutionnel (4 juin 1851), d'une voix sombre et avec une attitude de conquérant tenir ce langage, c'est assumer de gaieté de cœur la responsabilité d'un ridicule[5]. Le journal l'Opinion publique (4 juin 1851) montre bien que le discours du général Changarnier est une réponse au discours de Dijon : Devant cette parole virile et militaire, le vague et l'emphase du discours de Dijon s'évanouissait comme un brouillard devant un rayon de soleil... (Il a paru) comme une sentinelle qui répond au qui-vive de la situation... Le foudroyant discours du général, le désaveu des paroles prononcées à Dijon, voilà le résultat du pas qu'on a voulu faire en avant. C'est (5 juin 1851) plus qu'un discours, c'est un acte ; ce n'était pas seulement un orateur qui apparaissait, c'était un homme ! Toute la presse s'occupe du discours de Dijon, et cette
même feuille publique (3 et 6 juin 1851)
disait : (On ne peut donner) comme un gage d'avenir une course au clocher faite entre
deux haies de populations qui viennent regarder passer tous les pouvoirs ; et
cette joie candide que montre le Président, après le voyage de Charles X dans
l'Est et les voyages de Louis-Philippe, suivis de leurs chutes, ne donnera
pas une idée très haute de son sens politique... Qui donc lui a donné le
droit de dire ce que veut le pays avant qu'il ait parlé ?... Nous
n'insisterons pas sur ce qu'il y a d'étrange dans ce Te Deum naïf,
chanté sur la révision... Pour ceux qui savent comment les choses se passent
et comment les préfets interviennent dans ce mouvement en envoyant des
lettres de jussion aux maires, cette manifestation du pays... est une
prodigieuse mystification ; M. Louis Bonaparte se pose en victime, lorsque
jamais pouvoir exécutif ne trouva une Assemblée plus disposée à l'aider dans
le bien, plus confiante au début, plus oublieuse des injures et des torts à
la fin. Il se pose ensuite en protecteur, en sauveur, comme si, héritant du
nom de son oncle, il avait hérité de sa forte main... L'effet produit par ce
discours sur l'Assemblée est un sentiment de juste étonnement et de
patriotique tristesse. Les esprits les plus calmes et les plus bienveillants
se montraient profondément blessés de cette nouvelle agression... Le neveu de
l'Empereur ne réussit point à s'oublier sous le Président de la République.
Ce n'est point une magistrature de ce genre qu'il avait rêvée, et ses rêves
jetés dans le moule de l'impérialisme sont mal à leur aise dans la position
légale qui lui est faite. Il ne lui suffit pas d'être quelque chose, il
voudrait être tout. Il se souvient trop de ce que fut son oncle, pas assez de
ce qu'il est lui-même. De là, ce sentiment de personnalité intolérable qui
déborde malgré lui dans ses actes et ses paroles... (Le bonapartisme) a
deux fatalités : le socialisme et la guerre... L'Ordre (4 juin 1851) déclare que le discours de
Dijon est un chapitre à ajouter à la triste histoire dont le message du 31
octobre a été la préface... ; que, hostile à la liberté et au régime
constitutionnel, il a un caractère quasi socialiste. Pour l'Événement (5 juin 1851), la rupture est cette fois
complète et définitive. M. Bonaparte a réussi à
mécontenter tout le monde... Auparavant[6], la monarchie semblait d'accord avec M. Bonaparte pour
supprimer la République ; maintenant, la monarchie s'entend parfaitement avec
la République pour empêcher l'Empire... Point d'Empire, point de prorogation,
plus de bonapartisme, voilà le mot d'ordre de toutes les fractions de
l'Assemblée. Cet Empire, qui s'agite et qui bégaye dans les langes du berceau
républicain, n'est pas né viable. Le National (2 juin 1851) estime que le discours de Dijon est un défi très net jeté tout à la
fois à la majorité légitimiste et orléaniste et à la minorité républicaine.
M. Bonaparte se place au-dessus de la Constitution pour mettre en regard du
pouvoir législatif ce qu'il appelle son gouvernement. Le discours de Dijon
(3 juin 1851) signifie
officiellement à la France l'ultimatum d'une pensée que personne n'ignorait à
coup sûr, mais qui n'avait pas encore arboré d'une façon si directe son
drapeau... pensée que l'esprit et la lettre du pacte fondamental
condamnent... De quel droit se croit-on nécessaire dans un pays qui compte
tant d'illustrations et qui en définitive est bien capable de se sauver
lui-même... C'est fort beau de s'appeler Napoléon... quand on remporte la
victoire de Marengo, d'Austerlitz... Mais où sont vos Marengo, vos Austerlitz
?... Les Débats (3 juin 1851)
disent que l'effet du discours du Président a été grand, mais déplorable. L'Union (4 juin
1851) est profondément attristée. Le chef de l'État a pris plaisir à
ajouter aux alarmes du pays. Pour la première fois on voit un pouvoir jouer
avec les troubles et provoquer les orages, ce qui est une témérité pire que
de les braver... L'homme-salut (16 juin 1851)... Qu'entend-on
par là ? Cela veut dire l'homme-expédient... Quel répit, quelle ombre de
repos a trouvée le pays dans ces successives acclamations de la nécessité
?... Empereur, dictateur ou Roi ont paru successivement des hommes
nécessaires à cette société brutalement jetée hors de son vieux droit
historique. Qu'en est-il résulté ? Après s'être abritée sous ces tentes d'un
jour, après avoir salué tour à tour ces sauveurs d'un moment, elle a vu se
briser tous ces pouvoirs de la veille dans les catastrophes du lendemain.
Telle a été l'histoire de ces hommes nécessaires, de ces hommes-salut...
La Gazette de France veut (6 juin 1851)
espérer que le pays ne se laissera ni intimider ni
séduire. On évoquera vainement tous les spectres rouges et tous les souvenirs
d'une gloire qui ne saurait être un bien héréditaire. Bonaparte avait
d'autres tribunes que les banquets quand il fit le [8 brumaire, il avait
parlé à la France du milieu des champs de bataille d'Arcole, de Rivoli, de
Mantoue, d'Aboukir, et lorsque la dictature fut décernée à César, l'histoire
nous dit qu'il avait vaincu à Pharsale. Le Siècle s'écrie (6 juin 1851) : Le
malheur de la France, depuis qu'elle est entrée dans l'ère des révolutions, a
toujours été de placer trop d'espérances sur les individus et sur les noms.
Les noms et les individus l'ont constamment trompée... La France chercher un
homme ! la France avoir besoin d'un homme ! Quelque chose de si grand avoir
besoin de quelque chose de si petit ! En vérité, ce serait à répudier le
titre de Français... N'est-cc pas un homme qui nous a réduits presque à
l'état de cadavres sous les piétinements de l'invasion ? N'est-ce pas un
homme qui, après nous avoir fait croire à une paix menteuse, nous a
précipités au bout de dix-huit ans dans les embarras de la nouvelle
révolution où nous sommes ? La France chercher un homme ! Et après cet homme
! au lendemain de cet homme ! qu'avez-vous ? Est-ce que vous avez oublié le
lendemain de Mirabeau, le lendemain de Robespierre, le lendemain de Barras,
le lendemain de Bonaparte, le lendemain de M. de Polignac, le lendemain de
Louis-Philippe, le lendemain de M. Guizot, le lendemain de tant d'autres
hommes auxquels une portion du pays a eu la faiblesse de croire ?... Non, non
! la France ne cherche pas un homme !... Le Pays (4 juin),
par la plume de M. de Lamartine, trouve que le Président n'a pas dit
suffisamment ce qu'il était, ni ce qu'il voulait, qu'il a trop parlé en chef
de parti, et qu'il n'a pas parlé de république, réticence obstinée... Quand la France s'est appelée elle-même république et
qu'elle est allée vous prendre par la main dans l'exil pour vous faire une
avance de gloire en vous nommant le premier président de son gouvernement
nouveau, c'est bien le moins qu'on ne paraisse pas rougir de son titre... (Et
puis) quoi ! voilà le chef d'un pouvoir exécutif chargé de veiller à ce
qu'aucune pression irrégulière ne soit exercée contre la Constitution dont il
est le produit... (et) voilà (ses) fonctionnaires, depuis les préfets
jusqu'aux maires et aux gendarmes, qui sollicitent les signatures contre
cette Constitution !... Et vous ne voulez pas que ce peuple très intelligent
aperçoive là une provocation directe... et vous appelez cela... de la
résignation ! C'est la Constitution ici qui se résigne, ce n'est pas vous
!... La France, dites-vous, ne périra pas dans vos mains ; la France sauve la
France, sachons-le bien. Un homme de plus ? elle s'en sert ; un homme de
moins ? elle s'en passe... Le bonapartisme
(12 juin), (c'est)
la contre-révolution sous un faux nom, l'hypocrisie
de l'ancien régime masqué sur le visage d'un nouveau venu aux dynasties,
l'outrage aux temps, à la raison, à la philosophie, à la liberté... le
despotisme restauré à neuf par la main des prolétaires eux-mêmes, vil comme
une lâcheté du peuple, bête comme un anachronisme... Ah ! si la République
devait aboutir à cette impasse du bonapartisme... nous tous, morts ou
vivants, qui avons vécu, pensé, senti, agi, parlé, combattu, souffert, versé
notre âme ou notre sang en France, depuis 1789, pour la cause de l'esprit
humain... cachons-nous, prosternons-nous dans notre honte... couchons-nous
pour mourir... désespérés sur la poussière de tant de révolutions sans but et
sans fruit !... Le journal l'Assemblée nationale (4 juin) dit que les hommes impartiaux ne
peuvent avoir lu ce discours avec satisfaction : Qui
donc veut l'ancien régime ? Est-il permis de lancer à la légère de si
révoltantes accusations et de les lancer de si haut ? Est-il permis de créer
de pareils fantômes pour se donner le mérite puéril d'en délivrer le pays
?... Cette échauffourée de Dijon compromet le pouvoir dans la personne de son
représentant... Que reste-t-il de cette tentative de Dijon ?... de cette
révolte impatiente et systématique contre le pouvoir législatif ? de cette
aspiration immuable vers le destin ? La politique élyséenne... a subi une
leçon sévère (de la part du général
Changarnier)... N'est-ce pas un triste spectacle
que ces rappels à l'ordre adressés si souvent à l'un des grands pouvoirs ?
N'est-ce pas un triste spectacle que ces désaveux qui déconsidèrent...
l'autorité ? Si le discours de Dijon avait la prétention de poser une
candidature, une prétendante, il n'obtiendra d'autre résultat que d'augmenter
le nombre des adversaires de la prolongation... La France a la vie dure. Elle
a résisté.... à cette guerre d'Espagne qui... lui a coûté plus de trois cent
mille hommes ; elle a résisté à cette guerre de Russie où cinq cent mille
Français ont péri de froid et de misère ; elle a résisté à deux invasions qui
lui ont coûté des milliards, le morcellement du territoire et jusqu'à la
dernière goutte de son sang. Elle n'a pas péri malgré ses désastres entre les
mains du grand Napoléon, elle ne périra certainement pas entre les mains de
son neveu... L'Univers continue à être plein de bienveillance
pour le prince (4 juin) : ... (Dans le discours de Dijon) M. Bonaparte se déclare bonapartiste et révisionniste : il
n'est pas le seul, et ce tort lui sera pardonné. Le discours n'est pas
maladroit, le bruit qu'on en fait peut le rendre très habile... M. Bonaparte
attend ; le pays lui sait gré de sa flegmatique patience... Puis Louis
Veuillot, faisant allusion au mouvement révisionniste, ajoute : Comment s'obtiennent toutes ces signatures qui arrivent
par milliers à l'Assemblée pour lui demander et bientôt pour lui commander la
révision ? On leur dit : C'est pour Bonaparte, et ils signent ; voilà la vérité.
Les chances du scrutin, si on v recourt, sont pour lui... L'illustre
journaliste continue très judicieusement : Il faut
s'entendre avec M. Bonaparte, il faut se maintenir dans cette sorte de
lieutenance générale qu'il a remplie depuis le 10 décembre de manière à
mériter quelque gratitude, et qui ne semble pouvoir être occupée par personne
aussi facilement et d'une manière plus satisfaisante que par lui... Le parti
de l'ordre n'est pas tout entier dans les écrivains que nous lisons et dans
les orateurs que nous écoutons ; au-dessous de cette élite brillante,
au-dessous de ces chefs actifs ou remuants, éloquents ou sonores... il y a
une masse inquiète qui... voudrait être bien sûre de conserver sa peau. De
cette absence de foi et d'union dans le parti de l'ordre nous augurons l'avènement
d'une dictature... S'il faut un président, M. Bonaparte non seulement vaut un
autre, mais vaut mieux qu'un autre. Prince, il maintient une sorte de
tradition monarchique ; président en exercice, il a une certaine tradition de
gouvernement qui le fortifie, mais qui aussi l'engage ; Bonaparte enfin, il a
par son nom seul un ascendant que le pouvoir exécutif perdrait en d'autres
mains... La popularité du nom de Bonaparte est incontestable dans le pays,
elle survit à tant de beaux articles qu'on a écrits pour la détruire, elle
résiste aux témoignages que l'Assemblée lui a donnés maintes fois de sa
mauvaise humeur, elle constitue une force avec laquelle doivent compter tous
les hommes politiques... Nous ne leur refusons pas la consolation de croire
qu'ils démolissent l'Élysée, mais nous ne pouvons nous empêcher de croire
qu'ils ouvrent les Tuileries ; ils défont le Président et ils font le
dictateur... Le discours de Dijon... il fallait laisser passer cela... Chacun
tire de son côté, et le Président du sien ; il est bonapartiste avant tout,
comme d'autres sont légitimistes ou orléanistes avant tout ; il fait sa
circulaire électorale, et il ne la fait pas maladroitement... Le docteur
Véron dans le Constitutionnel (9, 10
juin) chante les louanges du Président : ... Le
bonapartisme, c'est le sentiment de l'honneur et l'amour de la gloire poussés
jusqu'au fanatisme ; le bonapartisme n'élève que les grandes âmes et les
intelligences qui honorent et servent l'humanité, de quelque bas-fond de la
société qu'elles puissent sortir ; le bonapartisme, c'est le sentiment
national au plus haut degré, c'est le dévouement au pays, c'est l'amour de la
France ; le bonapartisme, ce sont toutes les conquêtes de 1789...
Louis-Napoléon... est donc aujourd'hui notre refuge contre les envahissements
du socialisme, contre la ruine et le chaos !... Les populations des
campagnes, à la vue des dangers qui nous menacent, crient noblement au
Président : Courage, courage, sauvez-nous ! Tous les oisifs pauvres,
vagabonds, pillards et bandits, quelques oisifs riches au beau langage et au
cœur sec, voilà ceux que le Président a contre lui. Les travailleurs
honnêtes, ces nombreuses légions viriles de la société, voilà ceux dont les
bras et les votes sont assurés à la cause de Louis-Napoléon. Au 10 décembre
1848, pour la première fois dans l'histoire dù monde civilisé, six millions
d'hommes ont voté, par un entraînement électrique, la restauration du
bonapartisme. Aujourd'hui, ce sont encore ces innombrables populations
passionnées pour l'ordre, pour le travail... qui viennent par des pétitions,
par un nouveau mouvement national, demander la révision, parlons plus
franchement, la prorogation des pouvoirs du Président. Viendra-t-on opposer
des textes à cette levée en masse de tout un peuple ?... Quelques
jours après (17 juin), dans le même
journal, Granier de Cassagnac écrit à propos des affaires d'Espagne : Nous n'avons pas un éloignement et un blâme absolus pour
les généraux qui se jettent l'épée à la main à travers les affaires de leur
pays... L'histoire offre plus d'un exemple de cas où les peuples ont été
sauvés par ces interventions violentes, mais il faut qu'il n'y ait pas
d'autre gouvernement sérieux et durable, il faut être clairement appelé...
par le sentiment national, il faut, en mettant la main sur le pouvoir, le
saisir sincèrement non pour soi, mais pour sa patrie... Comme César,
Bonaparte avait rempli les trois conditions qui légitiment l'intervention de
la force dans les affaires... Le Constitutionnel (17 juin) ne craint pas d'attaquer la
Constitution, de déclarer sans valeur l'article qui proscrit la rééligibilité
du Président : ... Les constituants ont manqué à ce
qu'ils devaient au peuple en restreignant le droit qu'il a de choisir le
Président de la République... Il y a là erreur, excès de pouvoirs... Ce qu'on
n'avait jamais imaginé, c'est d'écrire d'avance dans une constitution
l'ostracisme d'Aristide. Non, on ne fera jamais comprendre à des gens sensés
qu'une nation libre, ayant à nommer son premier magistrat, soit contrainte
par sa Constitution à ne consulter dans son choix ni ses intérêts, ni sa
sécurité, ni sa justice, ni sa conscience... (La) situation du Président est
unique. Avec ce grand nom qui rallie autour de lui une masse innombrable de
Français étrangers à tous les partis, Louis-Napoléon peut donner à la France
un gouvernement qui ne soit pas celui d'un parti et dans lequel tous les
partis peuvent trouver place... Excepté
Louis-Napoléon, personne ne peut nous donner cela aujourd'hui... L'immense
majorité du peuple est contente du Président et veut le garder... Votre
article 45 (30 juin) est une règle contre le bon sens, contre le droit et
l'équité... Il est impossible qu'il ait force exécutoire. Quand le peuple
souverain aura son bulletin de suffrage en main, il y mettra qui il voudra,
et puis cassera qui pourra l'élection. A cela le National (2 juillet) répond : Ainsi donc, à défaut de la loi, l'illégalité ! A défaut de l'ordre, le désordre ! A défaut d'un vote, la violence ! A défaut de l'action régulière et constitutionnelle de l'Assemblée, l'action tumultueuse et insurrectionnelle de l'anarchie décembriste ! En un mot, la prorogation à tout prix, la prorogation contre tout droit, la prorogation contre tous les intérêts de la paix publique, la prorogation même par une révolution... Il n'y aura, il ne peut pas plus y avoir de réélection par le peuple que de révision par l'Assemblée... Dans le Pays (18 juin), M. de la Guéronnière réplique : Louis-Napoléon est un honnête homme... Il a juré la Constitution. Son honneur et sa conscience l'attachent à son serment. Quand on a reçu un nom aussi glorieux, ce n'est pas pour léguer à l'avenir un nom coupable et déshonoré... Les esprits à l'Assemblée étaient très surexcités. On sentait que la corde se tendait de plus en plus, que le moment d'une grande crise approchait, qu'un dénouement, autre que celui prévu par la Constitution, était inévitable ; les adversaires du Président redoutaient que d'une façon ou d'une autre il ne triomphât, et ils saisissaient toutes les occasions d'envenimer une situation si délicate et si grave. Le 4 juin, le ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher, donnait lecture d'un exposé de motifs d'un projet de loi sur les clubs et disait : ... L'audace des anarchistes... lorsqu'on l'interrompt avec violence... M. Brives : Oui, des bonapartistes !... M. Bourzat : ... L'anarchie est dans les pouvoirs publics ; les factieux sont à l'Élysée !... A la fin de son discours, le ministre prononçant cette phrase : Vous n'hésiterez pas à proroger l'Empire... la gauche relève en riant ces expressions : Oh ! oh ! proroger l'Empire !... et, comme la droite lui crie que ce qu'elle fait est puéril, elle ajoute : Oui ! oui ! ça va de mal en pire... Le 12 juin, dans la discussion d'un projet de loi relatif à la garde nationale, M. Arnaud de l'Ariège soutient cette thèse[7] que l'armée ne doit pas obéir aux chefs qui lui commanderaient des actes contraires à la Constitution. Une partie de l'Assemblée trouvant ce débat inopportun, regrettable, s'agite et fait du bruit ; un représentant, M. Soubies, s'écrie alors : Si un chef ordonnait à la troupe de marcher contre l'Assemblée, faudrait-il obéir ? Le président Dupin l'arrête : Ne cherchez pas d'exemple contre les règles, elles seront les plus fortes ! M. Bac : A Strasbourg, si on n'avait pas désobéi à un chef, il y aurait eu une trahison consommée. Le président reprend : La question reste posée entre ceux qui veulent l'insubordination et ceux qui veulent l'ordre, la règle et la discipline. M. Pascal Duprat lui répond : Le 30 d'artillerie devait-il obéir à Strasbourg ? Voilà la question ! Le président lui fait observer qu'il n'a pas la parole et qu'il va user du rappel à l'ordre. Mais la gauche ne veut pas lâcher M. Dupin, et M. Charles Lagrange lui dit : Nous demandons au président de répondre à cette interrogation positive : Auriez-vous obéi au colonel Vaudrey à Strasbourg ? Voilà ce que nous vous demandons. Le président réplique : Ce que je vous demande, moi, c'est le silence. Le général Bedeau intervient pour déclarer qu'on suppose des éventualités invraisemblables. Le colonel Charras lui répond que le général Changarnier, à la tribune, prévoyant le cas où des ordres inconstitutionnels seraient donnés à l'armée, a dit que l'armée refuserait de marcher !... — Et l'Assemblée, après une séance levée de fait, se sépare au milieu d'une profonde agitation. Le 23 juin, dans la discussion d'une proposition sur le droit de pétition, M. Émile de Girardin soutient que le pétitionnement en faveur de la révision ne résulte pas de la libre initiative des populations. Le Président a transmis à tous les préfets et à tous les sous-préfets l'ordre de faire signer une pétition... (Ceux-ci) exercent une double action : d'abord ils transmettent les ordres du ministre de l'intérieur à l'effet de recevoir les signatures pour la prorogation... ensuite ils font des rapports, et nul doute que ces rapports ne seront placés sous les yeux de M. le Président, fondé à croire qu'en effet s'il n'est pas réélu, si la Constitution n'est pas révisée... il y aura un soulèvement général et spontané, que toutes les gardes nationales fourbissent leurs armes et qu'une révolution impériale va soudainement éclater. (Mouvement...) Ce sont (ces rapports des préfets) qui pervertissent l'opinion de l'élu du 10 décembre, c'est pour cela... qu'il serait à désirer que le droit de pétition... fût supprimé. Le National (17 juin), de son côté, ne peut pas attacher d'importance au mouvement révisionniste. Il y a un million de personnes qui directement ou indirectement dépendent de l'État. Jusqu'à ce que les pétitions aient réuni ce nombre de signatures, nous serons autorisés à les considérer comme le grand livre de la servitude publique, et non comme l'expression libre et spontanée du vœu des signataires. L'Événement (1er juillet) dit : Défalquez 100.000 fonctionnaires, défalquez les gens faibles qui ont signé sans trop savoir pourquoi, défalquez les niais, et vous nous direz ce qui reste, vous nous direz quelle est l'importance réelle de cette prétendue manifestation de l'opinion en France. L'Opinion publique (21 juin) s'étonne que le Constitutionnel ne comprenne pas que le Président qui nomme les 86 préfets, les 55 généraux des subdivisions, et en outre tous les fonctionnaires de l'ordre administratif, judiciaire, militaire au nombre de 400.000, est inéligible par la nature des choses dans un pays comme la France où la centralisation est si puissante. Le chef du pouvoir exécutif ne saurait être candidat, parce que c'est un candidat suspect. En vérité, dit encore ce journal (24 juin), quand on songe aux efforts inouïs que l'administration a faits pour provoquer le pétitionnement et pour l'entretenir, l'espèce de coercition morale dont on a usé presque partout, on est obligé de reconnaître que pour tant d'efforts le résultat a été bien petit... C'est (2 juillet) une chose étrange, odieuse... que les organes habituels du pouvoir..., dont le premier devoir est de faire respecter la loi, osent s'écrier : La légalité nous tue ! Lorsqu'on compare cette conduite du premier magistrat de la République à celle de l'immortel Washington, et lorsqu'on rapproche le mouvement national auquel il céda au mouvement administratif à l'aide duquel on essaye de peser sur le pays, on sent grandir son admiration pour le fondateur de la liberté américaine, et l'on plaint le premier chef de la République française d'être resté si loin de son modèle... Le Siècle (17 juin) s'écrie : Législateurs de 1851, vous laisserez-vous insulter, menacer, bafouer de la sorte... ? Le bonapartisme vous signifie insolemment que ce que la Représentation du peuple ne voudra point faire, le peuple le fera... Le mouvement révisionniste est apprécié tout différemment par la Patrie (6 juin) : Tout ce que M. Thiers disait avec tant de logique et de loyauté à la veille de l'élection du Président s'applique également avec la même force à la question de la révision. L'élan est donné, il part des entrailles mêmes de la nation, rien ne peut l'arrêter, rien ne peut le ralentir. Il y aurait folie et témérité à vouloir se mettre en travers de ce mouvement. Il deviendrait alors la vague qui franchit la digue, qui déborde dans la campagne et qui la ravage. Mieux vaut en 1851, comme en 1848, s'y associer afin de le régler et de le diriger. L'Univers juge la situation avec impartialité : Contre un journal qui s'obstine à tenir pour des ombres de législateurs déposant des ombres de pétitions les vingt ou trente représentants que l'on voit à l'ouverture de chaque séance monter à la tribune avec des liasses de papier, il y en a dix qui constatent le fait comme très positif et très digne d'attention. Des preuves de cette nature défient, d'ailleurs, toutes les négations, même les plus passionnées et les mieux lestées d'épigrammes. Le pétitionnement est très sérieux... On ne peut le nier sans manquer à la vérité et sans commettre une maladresse... Que des abus aient eu lieu, nous le croyons très volontiers ; nous faisons plus, nous regardons en semblable matière les abus comme inévitables. Mais nous n'admettons pas qu'une manifestation qui compte déjà plusieurs centaines de milliers d'adhérents soit purement factice, et que l'on doive v voir uniquement l'œuvre de la sottise, de la servilité et de la corruption. Le nombre des signataires des pétitions révisionnistes s'éleva à environ un million cinq cent mille. Sans doute, la formule n'était point la même dans toutes ; les unes concluaient à la révision purement et simplement, les autres précisaient et demandaient explicitement la prorogation, et c'est en vain que les journaux de l'opposition épiloguaient sur la véritable signification du vœu populaire. Sans doute, aussi, le chiffre des pétitionnaires était loin de celui des voix obtenues par le prince au 10 décembre 1848, mais il ne fallait voir là que le résultat de la méfiance du paysan qui craint de signer, de s'engager publiquement, de se compromettre, alors qu'il n'hésite point à donner son suffrage au scrutin secret. Ce n'est pas seulement l'Univers qui atteste toute l'importance du mouvement révisionniste, c'est encore l'organe légitimiste l'Union dont le témoignage n'est certes pas suspect (11 juillet 1851) : Aucun homme raisonnable ne voudrait nier que le mouvement révisionniste soit considérable. Faites la part aussi large que vous voudrez aux influences exercées par les autorités locales, toujours est-il que l'on n'a mis aucun citoyen à la gêne pour lui faire mettre sa signature ou sa croix au bas d'une pétition, et qu'il y a en fin de compte plus d'un million de citoyens qui, avec ou sans sollicitations, demandent la révision de la Constitution. M. Léon Faucher écrivait à un ami, le 31 mai 1851 : Un immense mouvement d'opinion favorisé, mais non commandé
par nous, se déclare dans le pays. Plaise au ciel que nous donnions enfin le
spectacle d'un grand changement accompli dans les lois, sans révolution ni
désordre ! Il disait à un autre, le 12 juin : Le
mouvement révisionniste sera magnifique. Cette grande manifestation du pays
sauvera, je l'espère, le gouvernement représentatif. Je n'ai jamais craint
pour l'avenir de M. lé Président de la République ; quoi que l'on puisse
faire, il sera réélu. M. Lefebvre-Duruflé écrit le 24 juillet à M.
Baze pour lui dire qu'il faut bien reconnaître tout
ce qu'il y a de vrai, de populaire et de spontané dans cette grande
manifestation, et qu'il n'y a pas moyen de (contester) la droiture, la sincérité,
la puissance de ce pétitionnement, le plus nombreux et le plus important qui
soit encore intervenu en France[8]. Granier de
Cassagnac dans le Constitutionnel s'écrie (14,
18 juillet 1851) : Attaquez, analysez,
disséquez les pétitions révisionnistes, faites grand bruit de l'ardente
initiative de l'administration, de l'effort des fonctionnaires... vous
n'empêcherez pas que cette manifestation ne soit la plus, imposante de celles
par lesquelles le vœu public se soit jamais déclaré. Électeurs, propriétaires,
fermiers, habitants des campagnes et des villages... savez-vous ce que vous
êtes pour les ambitieux dont vous troublez les desseins et pour les vieux
partis dont vous Gênez les visées ? Vous êtes .des enfants, des niais, des
mannequins, des imbéciles, des moutons de Panurge qui sautent les uns après
les autres, à la suite d'un garde champêtre ou d'un maire... Vous n'êtes que
des dupes, et on se moque de vous. Depuis deux ans, un homme s'est rencontré d'un
grand nom et d'un grand courage, qui vous a rendu la paix et la confiance ;
eh bien ! tous ces anciens ambitieux, tous ces anciens partis font à cet
homme qui vous a sauvés une guerre acharnée et déloyale... Plierez-vous,
électeurs, vous qui êtes sept à huit millions d'hommes, plierez-vous devant
l'état-major des vieux partis devant les maquignons des pouvoirs renversés...
Ce sont de vieux carbonari, de vieux conspirateurs, de vieux révolutionnaires
qui vous prêchent la légalité après s'en être moqués toute leur vie !... Il circule alors une brochure intitulée : Révision de la Constitution ; République, Monarchie [9], où il est dit : Quels souvenirs l'Empire rappelle-t-il à la France ? De grandes batailles gagnées suivies de grands revers ; de la gloire suivie d'humiliations ; des conquêtes suivies de l'envahissement de ses provinces et de l'occupation de sa capitale par les armées étrangères... L'Empire nous a présenté l'affligeant spectacle du vicaire de Jésus-Christ dans les fers, de la guerre injuste contre l'Espagne, de la déplorable entreprise contre la Russie. A l'intérieur, l'Empire nous a donné le despotisme, épuisé nos finances, dévoré nos populations... Trente-sept ans se sont écoulés depuis la chute de Napoléon. Le nombre de ceux qui ont combattu sous ses drapeaux est maintenant bien réduit... Les partisans sincères d'un nouvel Empire, où sont-ils ? Comptez-les dans l'Assemblée, comptez-les autour de votre personne. Si vous y cherchez ce qui reste encore d'anciennes gloires de l'Empire, vous ne pouvez les y apercevoir, elles se tiennent à l'écart ; elles jugent le retour de l'Empire impossible... Avec le duc de Reichstadt à Vienne, avec Napoléon à Sainte-Hélène, sa dynastie et l'Empire ont pris fin. La prorogation, l'Empire sont donc une chose impossible. Lamartine, dans le Conseiller du peuple, soutenait
la thèse révisionniste : Les Américains, plus
démocrates et plus expérimentés que nous en République, ont ri en nous voyant
écrire cet article de la non-rééligibilité ; ils se sont dit : Mais avec une
pareille exclusion nous n'aurions pas eu Washington !... Condamner mi peuple
à ne pas nommer un président qu'il estime et qu'il désire... c'est attenter à
sa souveraineté... Admettez la révision... par ce seul motif que le pays la
désire... Les fantaisies d'un peuple sont souvent des instincts plus sages
que nos sagesses... En refusant cette révision, vous refoulez toutes ces
espérances, tous ces désirs... vous vous interposez entre le pays et ses
perspectives, vous dites à l'espérance : Tu ne passeras pas ! ... Vous
vous déclarez l'ennemi public de l'imagination d'un pays où l'imagination
tient une si grande place !... vous impatientez l'esprit public !... Nous
avons fait des révolutions pour moins que cela ! — Le prince gardait son impassibilité au milieu de ces discussions passionnées sur le mouvement révisionniste et continuait à se mettre en communication soit avec l'armée, soit avec les populations. A la fin de juin, il passait trois revues, ce qui faisait dire à l'Événement (28 juin) : ... Il n'est pas besoin que le Président croie devoir se montrer aux troupes ; assurément il le peut ; mais que ces revues se répètent jusqu'à trois fois par semaine, c'est ce qui a droit de nous étonner... Nos généraux sont là pour passer les revues nécessaires... Ce journal ajoutait que les cris de : Vive l'Empereur ! Vive Napoléon II ! étaient poussés par une bande enrégimentée de décembraillards. Le 1er juillet, il inaugure le chemin de fer de Tours à Poitiers. Le maire de Châtelleraut termine ainsi son toast[10] au Président : A l'homme dont les populations ont salué l'avènement au Pouvoir comme la garantie du rétablissement de l'ordre, du respect aux lois et du salut du pays ! Après la secousse qui avait ébranlé l'édifice social jusque dans ses bases, l'anarchie portait audacieusement son drapeau... La civilisation menaçait de s'abîmer dans un immense désastre... A l'élu du 10 décembre ! Son gouvernement a rendu le calme aux esprits, ranimé la confiance, ravivé les sources du. crédit et donné un nouvel essor au commerce et à l'industrie... Disons-le hautement, Louis-Napoléon a compris la grandeur de la mission que le peuple a confiée à son patriotisme. On ne devait pas moins attendre d'une politique sage et ferme, basée sur ces mémorables paroles : Il est temps QUE LES MÉCHANTS TREMBLENT ET QUE LES BONS SE RASSURENT ! Honneur et reconnaissance au prince qui les a prononcées. A Louis-Napoléon ! — Le prince lui répond : Depuis trois ans ma conduite peut se résumer en quelques mots. Je me suis mis résolument à la tête des hommes d'ordre de tous les partis, et j'ai trouvé en eux un concours efficace et désintéressé. S'il y a eu quelque défection, je l'ignore, car je marche en avant sans regarder derrière moi. Pour marcher dans des temps comme le nôtre, il faut, en effet, avoir un mobile et un but. Mon mobile, c'est l'amour du pays ; mon but, c'est de faire que la religion et la raison l'emportent sur les utopies, c'est que la bonne cause ne tremble plus devant l'erreur. Dans cette harangue, il adressait au parti conservateur de flatteuses paroles de gratitude, il lui tendait la main à la veille du débat sur la révision. Au banquet de Poitiers, il s'exprime ainsi : ... J'envisage l'avenir du pays sans crainte, car son salut
viendra toujours de la volonté du peuple, librement exprimée, religieusement
acceptée. Aussi j'appelle de tous mes vœux le moment solennel où la voix
puissante de la nation dominera toutes les oppositions et mettra d'accord
toutes les rivalités... Quand on parcourt la France et que l'on voit la
richesse variée de son sol, les produits merveilleux de son industrie ;
lorsqu'on admire ses fleuves, ses routes, ses canaux, ses chemins de fer, ses
ports que baignent deux mers, on se demande à quel degré de prospérité elle
n'atteindrait pas si une tranquillité durable permettait à ses habitants de
concourir de tous leurs moyens à ce bien général, au lieu de se livrer à des
discussions stériles. Lorsque sous un autre point de vue on réfléchit à cette
unité territoriale que nous ont léguée les efforts persévérants de la
royauté, à cette unité politique, judiciaire, administrative et commerciale
que nous a léguée la Révolution ; quand on contemple cette population
intelligente et laborieuse, animée presque tout entière de la même croyance
et parlant le même langage, ce clergé vénérable qui enseigne la morale et la
vertu, cette magistrature intègre qui fait respecter la justice, cette armée
vaillante et disciplinée qui ne connaît que l'honneur et le devoir ; enfin
quand on vient à apprécier cette foule d'hommes éminents, capables de guider
le gouvernement, d'illustrer les assemblées aussi bien que les sciences et
les arts, on recherche avec anxiété quelles sont les causes qui empêchent
cette nation, déjà si grande, d'être plus grande encore !... Il était impossible d'être plus conciliant, plus libéral, plus politique. Venez à moi, disait-il, vous tous qui aimez la France, venez, hommes marquants de tous les partis, je ne repousserai personne ; bien plus, vous guiderez le gouvernement. — Il pousse l'habileté — non — la hauteur des vues jusqu'à rendre un hommage explicite à la royauté ; il proclame l'intelligence de la nation, la vertu du clergé, l'intégrité de la magistrature, la vaillance de l'armée. Comment tout le monde, après cela, ne viendrait-il pas communier dans la révision d'abord, puis dans le régime napoléonien ? Ce discours fut prononcé, comme toujours, sans apparence
de la moindre émotion, au milieu d'un religieux silence[11], en présence de
quatre cents convives, tous debout. Il produisit une grande impression. Le
journal l'Assemblée nationale (3
juillet) ne peut s'empêcher de l'approuver. Il eu est de même de l'Ordre
(4 juillet), le journal d'Odilon Barrot
: (C'est) un
acte de réparation envers les anciens partis et envers la majorité, mais il
ne diffère point par le but (du
discours de Dijon)... Une seule chose reste invariable,
c'est la conclusion... Le Constitutionnel, qui avec la Patrie
est à peu près le seul journal parisien défendant la cause présidentielle,
n'a que des éloges pour les déclarations faites par le prince ; mais en
revanche, le National (3 juillet)
dit à celui-ci : Souvenez-vous du pacte fondamental
; souvenez-vous de vos serments. Cela vous dispensera de vous consumer en
vœux stériles... L'opinion publique n'est que trop fondée à être inquiète
après un tel discours... Quoi, le mot de République n'est pas prononcé
! le mot de Constitution n'est pas prononcé !... En vérité, c'est
assez, c'est trop de discours, de manifestes, répétant à satiété la même idée
et trahissant toujours les mêmes tendances ! c'est assez, c'est trop de
questions constitutionnelles éludées, de questions d'une tout autre nature
indirectement posées ! Toujours des mots, des mots, des mots, des généralités
vagues qui signifient tout ce que l'on veut. Rien de précis, rien de
catégorique, rien de net... Il était si facile de dire : Mon but, c'est le
maintien et le progrès de la République... L'Événement (4 juillet) n'est pas plus favorable au
Président : Que trouvons-nous dans le discours du
Président ? Jamais ce qui révèle une pensée politique, toujours ce qui
annonce une préoccupation personnelle... Grattez M. le Président, vous
trouverez M. Bonaparte... La France est glorieuse et prospère sans lui et en
dehors de lui... Le Pays (4
juillet), après avoir dit par la plume de M. de la Guéronnière : Poitiers fera oublier Dijon. La France retrouvera le
langage sérieux, élevé, conciliant et modéré qui convient à un chef de
gouvernement, — ajoute par celle de M. de Lamartine : Veut-il dire que si le peuple (le) renomme... (il) se laissera
nommer ? Si ces paroles ont un pareil sens, elles sont une provocation à une
révolution par scrutin, suivie bientôt d'une usurpation de magistrature...
Les révolutions amonceler les ruines ? Qui dit cela ?... C'est l'homme dont
l'oncle est monté au trône sur les bras de la révolution de 1789, qui a fait
une révolution militaire, le 18 brumaire, une révolution polir s'élever à
l'Empire ; une révolution à Naples pour couronner sa sœur ; une révolution à Rome pour en chasser le
Pape et donner un titre de roi à son fils ; une révolution en Hollande pour
asseoir son frère sur le trône des Bataves ; une révolution en Allemagne pour
qu'un autre de ses frères eût un royaume en Westphalie ; une révolution en
Espagne pour qu'un quatrième eut l'Escurial pour palais ; une révolution à
Paris en 1814 pour ressaisir l'Empire perdu et reperdu ! C'est l'homme qui a
fait lui-même, dans sa jeunesse, deux légèretés de révolution, peu propres à
assurer la tranquillité durable du gouvernement sous le dernier règne ! C'est
l'homme enfin à qui une révolution a rouvert les portes de son pays et que
cette révolution a nommé chef (du) peuple... Une violence morale faite à la République,
qu'est-ce donc autre chose qu'une révolution, et la pire des révolutions ?...
Nous aimons mieux, nous, le président légal de la République, élu
constitutionnellement par six millions de citoyens et prenant sa popularité
dans son devoir, dans sa probité, dans son désintéressement, et inaugurant
modestement un chemin de fer... que l'usurpateur de la première République,
montrant du doigt à ses prétoriens les portes de la représentation nationale
à enfoncer à Saint-Cloud, montrant de son épée au peuple l'Europe à dévorer
pendant dix ans de sang et de larmes pour distraire une nation de sa
servitude en lui dérobant sous les éblouissements d'une fausse gloire la perte
de sa vraie gloire, la possession d'elle-même... Pour l'Opinion
publique (3 juillet) le discours
de Poitiers n'est qu'une invite électorale aux quatre points cardinaux. Ce
journal ajoute : La réception a été presque partout
froide : un peu de curiosité, beaucoup d'indifférence, et sur quelques
points... une malveillance assez marquée, voilà le résumé du voyage.
L'Assemblée nationale affirme (3
juillet) que les populations ont été plutôt hostiles que
bienveillantes. Le National (5 juillet)
dit que le Président a été partout plus que froidement accueilli : On semble convier la France, ajoute-t-il, à se dégrader jusqu'au rôle des États de l'Amérique du
Sud, où la majesté de la loi est sacrifiée aux cupidités de tel ou tel
dictateur (l'occasion... Oui, on semble demander à ce pays si noble... de
s'avilir, de se 'parjurer... de se suicider... par un ridicule et odieux
pronunciamiento contre le pacte fondamental qu'il s'est donné, contre son
propre principe, contre sa propre souveraineté... L'Union (7 juillet) répond aux journaux républicains
: Rien de moins fondé que cette prétention que la
République serait sortie victorieuse du voyage de Poitiers ; elle est
évidemment ou le fait de l'ignorance, ou le produit de la mauvaise foi... La
vérité, la vraie vérité, c'est qu'une infime minorité a rompu seule le grand
silence des villes... Dans les campagnes, c'est autre chose... L'Élysée a sa
revanche... il a pris de douces gorgées de vivats napoléoniens... D'après
le Constitutionnel (4 juillet),
l'accueil des populations aurait été comme toujours enthousiaste : Foule énorme... milliers de créatures humaines... les
murs, les toits, les arbres chargés de monde... acclamations unanimes.
Il ajoute : Y a-t-il au monde quelque chose de plus
évident, de plus retentissant et de plus matériellement constaté que le
sentiment de gratitude et d'affection dont les populations sont
invinciblement pénétrées envers le Président ? Eh bien ! des journaux graves
croient utilement travailler pour leur cause en travestissant ce sentiment profond
et populaire, et en se moquant à ce point de leurs lecteurs que de leur présenter
cet accueil... comme l'œuvre d'une société[12] connue sous le nom de Société du Dix-Décembre ! Ah ! la
France forme une société immense et unanime pour remercier... le prince...
qui a contenu les factions, a rassuré les esprits et les intérêts, a ranimé
la confiance éteinte. Le 10 décembre 1848, cette société qui se livra aux
mains du neveu de l'Empereur avait déjà six millions de membres... C'est bien
le cri de la France intelligente et reconnaissante que Louis-Napoléon entend
de tous côtés... Est-ce aussi la Société du Dix-Décembre qui a tracé ce
million de signatures ?... Mais puisqu'une société, puisqu'une intrigue
donnent de tels résultats, rivalisez donc avec le Président ; ayez donc des
foules immenses qui vous saluent quand vous passez ! Ayez donc des
pétitionnaires dans toutes les communes d'un grand empire... — Le 6 juillet, le prince se rend à Beauvais pour présider
(à) l'inauguration d'une statue de Jeanne Hachette. A Clermont, le maire de
cette ville lui dit : Au milieu des trop nombreux
partis qui nous divisent, vous avez consolidé l'Autorité... Le pays vous est
reconnaissant de tant d'efforts. La confiance n'est pas encore entière, mais
vous achèverez votre œuvre. Parlez, vous nous inspirez foi dans l'avenir. La
crainte et les appréhensions de tous se dissiperont, et, Dieu aidant, la
France, par les suffrages de ses enfants, saura pacifiquement manifester sa
volonté souveraine et assurer en même temps son repos et sa grandeur...
— De Clermont à Beauvais, des arcs de triomphe sont dressés de loin en loin,
les populations forment la haie, toutes les maisons sont ornées de
feuillages. A Beauvais, nous dit le Journal des Débats[13], les fenêtres,
les toits de toutes les maisons sont garnis de curieux ; les rues sont
jonchées de fleurs et ornées d'arcs de verdure ainsi que de guirlandes. Au
passage du Président, les fleurs pleuvent (sic), les femmes agitent leurs
mouchoirs, et les cris de : Vive le Président ! vive Napoléon ! éclatent de
toutes parts. Il se rend d'abord à la cathédrale, où l'évêque, Mgr Gignoux, l'accueille
par ces paroles : En entrant dans cette cité si
heureuse de votre présence, votre première démarche est pour Dieu que vous
venez adorer clans son temple, votre première parole une parole de prière,
votre première action un hommage rendu à l'antique et sainte loi du dimanche.
Soyez béni de ce noble exemple... Quel que soit l'avenir, l'Église redira
avec bonheur que sous votre gouvernement l'auguste chef de la catholicité est
rentré dans la capitale du monde chrétien. L'éducation a été délivrée des
entraves qui s'opposaient au développement si nécessaire des principes
religieux ; les colonies françaises ont été dotées de trois évêques, et les
pontifes de la France ont pu librement se réunir et discuter dans des
conciles les intérêts sacrés de la religion. Ce sont là des bienfaits que
nous ne pouvons méconnaître... Le maire, dans sa harangue, traduit
ainsi les sentiments de la foule qui l'entoure : ... Votre
présence dans nos murs rappelle le souvenir du voyage du premier Consul en
1802. Elle excite le même enthousiasme et les mêmes sentiments de
reconnaissance. Nous vous sommes redevables de la tranquillité dont nous
jouissons. Les mesures sages que vous avez prises, la force et l'énergie du
gouvernement ont fait taire l'anarchie. L'ordre troublé par une secousse qui
a ébranlé la société jusque dans ses bases a été rétabli. Le crédit renaît,
le commerce et l'industrie ont repris leur libre cours. L'empressement et
l'enthousiasme de la population... sont un hommage rendu à vos nobles
qualités. Chacun est jaloux d'honorer l'élu de la nation, chacun veut
témoigner sa reconnaissance des services que vous avez rendus à la patrie...
Le prince répond notamment par ces paroles bien significatives : — Il est encourageant de penser que dans les dangers
extrêmes la Providence réserve souvent à un seul d'être l'instrument du salut
de tous... Je suis heureux de penser que ce soit l'empereur Napoléon qui, en
1800, ait rétabli l'antique usage... de célébrer la levée du siège de
Beauvais. C'est que pour lui, la France n'était pas un pays factice, né
d'hier, renfermé dans les limites étroites d'une seule époque ou d'un seul
parti : c'était la nation grande par huit cents ans de monarchie, non moins
grande après dix années de révolution, travaillant à la fusion de tous les
intérêts anciens et nouveaux, et adoptant toutes les gloires, sans acception
de temps ou de cause. Nous avons hérité de ces sentiments... L'homme
est tout entier dans ces déclarations. C'est l'élu du Seigneur ; c'est lui
qui est prédestiné par un décret de la Providence à gouverner la France. Il
salue la royauté, il salue la révolution. C'est lui qui, après avoir rendu un
solennel et suprême hommage aux gloires du passé sans distinction, doit
réconcilier tous les partis dans le régime napoléonien. Le Siècle (8 juillet
1851) dit : M. Louis Bonaparte se croit
décidément appelé à nous sauver tous... Pour être ainsi suscité par la
Providence, il ne s'agit que de réunir les conditions de Jeanne d'Arc et de
Jeanne Hachette, et cela semble merveilleusement simple à M. le Président...
Le National (8 juillet 1851)
relève cette déclaration du maire de Beauvais que Louis Bonaparte est
l'héritier de Napoléon : Qu'entend-il par là ?
Vent-il dire que le Président est le fils de Napoléon ? Non, évidemment. Que
le Président a hérité de la bataille de Marengo ou d'Austerlitz ? Cela ne se
lègue guère par héritage. Que le Président a hérité du nom de son oncle ?
L'oncle n'aurait pas existé que le Président ne s'appellerait pas moins
Bonaparte, du fait de son père. Comment donc a-t-il pu hériter de l'Empereur,
et qu'en a-t-il hérité ?... Ce n'est ni le sang ni le génie, ni le nom.
Serait-ce l'Empire ? par hasard un droit de domination sur la France ? Oui,
voilà ce qu'on veut dire... Eh bien, nous dirons à M. le maire de Beauvais
que ce que Napoléon n'a pu garder pour lui-même il a pu encore moins le
léguer à qui que ce soit... Quant à la réponse du prince au maire de
Beauvais, le National s'exprime ainsi : Quelle
hallucination inexplicable a poussé l'orateur... à voir sa destinée dans la
destinée de Jeanne Hachette et de Jeanne d'Arc ? Personne en France ne le
comprendra... Rien n'est à sauver. C'est trop de soins que de chercher à
imposer un salut dont on n'a pas besoin et que nul ne réclame... Le
journal l'Assemblée nationale (8
juillet 1851) ne peut refuser son approbation au discours de Beauvais.
Le Journal des Débats (9 juillet 1851),
par la plume de M. Saint-Marc Girardin, est très élogieux : M. le Président a pu différer avec quelques-uns de nos
amis sur les moyens de sauver la société ; il a pu ne pas avoir la confiance
que nous avons dans les ressources du gouvernement parlementaire, mais il ne
s'est jamais trompé sur les vrais ennemis de l'ordre social, il ne les a jamais
ménagés ni flattés, il n'a surtout, jamais fait un pas vers eux. Il a donc
été fidèle dans toutes ses actions à l'alliance qu'il avait contractée avec
le parti modéré... Nous avons d'autant plus le droit de nous féliciter des
paroles de conciliation que prononce le Président qu'aucune de ses actions
n'autorise à se défier de la sincérité de ses paroles... — Il nous faut revenir un peu en arrière, au commencement de juin. La proposition de révision fut alors examinée par les bureaux de l'Assemblée. M. de Broglie, l'un de ses auteurs, venait d'écrire dans la Revue des Deux Mondes (n° de mai 1851) un article très remarqué et très digne de l'être, d'où il résultait que le prince était encore l'homme nécessaire : ... A parler franchement, disait-il, s'il est une chose douteuse, c'est qu'on puisse d'ici à l'année prochaine grouper sur tous les points de la France le parti de l'ordre tout entier autour d'un nom propre, quelque illustre qu'il puisse être. Les noms propres, au contraire, semblent avoir la propriété de dissoudre le parti de l'ordre, et même, plus ils sont illustres, plus par conséquent ils réveillent de souvenirs, plus ils paraissent prompts à faire ravage dans ses rangs... Point de gouvernement, des lois contestées, une majorité rompue, voilà où nous arrivons à un jour marqué... Dans les bureaux de l'Assemblée, la discussion est fort animée. M. Desmousseaux de Givré cite ce mot d'un paysan : J'ai nommé Louis Bonaparte pour qu'il se fit empereur, mais il m'a trompé, et je suis décidé à nommer Ledru-Rollin. M. de Tocqueville votera la révision parce qu'elle a pour elle, à tort ou à raison, l'immense majorité de la nation. M. Berryer dit que le pays ne croit pas aux institutions actuelles M. Piscatory fait cet aveu : On me donnerait le choix des 950 constituants, et certes je les choisirais avec soin, que, j'en suis convaincu dans l'état actuel des partis... nos élus ne viendraient à bout de s'entendre ni sur le fond, ni sur la forme, ni sur les choses, ni sur les personnes, et, tout monarchistes qu'ils seraient, ils feraient encore la République. M. de la Moskowa dit : La voix du peuple est la voix de Dieu... Cette voix de la nation proclame partout aujourd'hui qu'il faut que la révision soit prononcée, et, si telle est la volonté du peuple, cette révision aura lieu par lui, avec nous ou sans nous... C'est (la) prorogation que le pays demande, et s'il la veut bien, il l'aura, attendu que le peuple, en définitive, est maitre chez lui... Qu'on suppose (au Président) des intentions qu'il n'a pas, qu'on lui reproche des torts qu'il n'a pas eus, qu'on incrimine ses moindres paroles, qu'on le calomnie, tout cela n'y fera rien, Louis Bonaparte sera renommé. M. de Montalembert pose ce dilemme : De deux choses l'une, ou la Constitution est conforme à la volonté nationale, ou elle ne l'est pas. Si elle ne l'est pas, qui donc oserait l'imposer au pars ? Et si elle l'est, comment donc les républicains refusent-ils pour elle cette occasion d'une confirmation éclatante et suprême ? Comment se refusent-ils eux-mêmes la satisfaction de nous confondre et de nous écraser sous une manifestation solennelle du vœu public ? Veut-on sauver la République et la Constitution, il faut ouvrir la porte, sinon elle serait enfoncée. M. Moulin estime que l'autorité de la Constitution a été infirmée par des manifestations nationales dont la signification ne peut être contestée... ; quand un régime... est ainsi attaqué, contesté, ébranlé par la défiance publique, il devient nécessaire, ou de le changer, ou de le consolider par une consécration nouvelle... M. Quentin-Bauchart fait cette déclaration : ... Si une monarchie était possible en ce moment, ce serait l'Empire plus que toute autre ; et qui pourrait vouloir de l'Empire ? M. Antony Thouret dit : Louis-Napoléon, voilà le danger... Donnez-moi pour un mois les préfets et les maires, et je me charge d'avoir un million de pétitionnaires demandant la translation d'Abd-el-Kader aux Tuileries. Berryer : Il faudrait ne pas vouloir sentir la fibre du pays pour n'être pas frappé de son défaut de confiance dans ses institutions. M. de Corcelles : Le pays veut la révision. M. Larabit : Quatre ou cinq millions de suffrages viendront quand même à Louis-Napoléon ; oserez-vous les annuler ? Le comte Molé : La révision est demandée par toute la France. M. de Casablanca : Si sept millions de Français ont eu le bonheur de fixer leur choix sur un président qui par sa haute intelligence, sa sagesse, son dévouement au pays a su se concilier leur estime et leur reconnaissance, vous leur défendrez de le nommer une seconde fois ! Le pouvez-vous ? Se laisseront-ils, eux que vous reconnaissez pour souverains, dépouiller de leur plus chère prérogative ? Et s'ils nomment celui que vous prétendez exclure, qui cassera leur arrêt ? A cela M. de Lamartine répond, tout en étant révisionniste : On dit que le peuple, dans le cas où la révision ne serait pas votée, vous ferait violence au scrutin de 1852 et vous forcerait par ses suffrages inconstitutionnels à subir la loi d'un caprice populaire et à subordonner la Constitution à un homme... Il faudrait pour cela deux choses... un candidat factieux se prêtant contre son honneur et son devoir à une violation de la loi, (puis) une majorité d'insurgés contre la loi dans la nation !... Je suis partisan d'une révision courageuse et confiante. Laissez au peuple la liberté de ses choix ; si vous lui refusez un homme, c'est cet homme pour qui il se passionnera... Quant à moi, je n'ai pas peur qu'aucun nom lui paraisse jamais plus grand que le nom du peuple et lui fasse abdiquer sa souveraineté pour la souveraineté d'un élu... M. Michel de Bourges : Le plus grand obstacle à ce que la République ait été loyalement expérimentée a été la personne du Président lui-même. La Providence châtie les peuples assez imprudents pour choisir comme chef d'une République un prince au lieu d'un simple citoyen. M. Quinet ne veut pas de la révision parce qu'elle ne peut profiter... qu'au bonapartisme... qui est à la fois un leurre monarchique et un leurre républicain. M. de Mornay non plus : La révision n'est aujourd'hui demandée qu'en vue de la réélection du président actuel, et cette réélection ne serait qu'une monarchie déguisée. Ni M. Emmanuel Arago : La proposition cache évidemment une pensée personnelle. Ni M. Barthélemy Saint-Hilaire, pour qui révision veut dire renversement de la République ; ni M. Corne : On veut autre chose que ce qui est. Ceux qui veulent la révision la veulent pour sortir de la République... Les bureaux de l'Assemblée, après cette discussion, élirent une commission de quinze membres. Neuf commissaires étaient favorables à la révision, c'étaient MM. de Broglie, Montalembert, de Tocqueville, Berryer, Odilon Barrot, de Corcelles, de Melun, Dufour, Moulin. Six y étaient opposés, MM. Cavaignac, Charras, Jules Favre, Baze, de Mornay, Chamaraule. M. de Tocqueville fut nommé rapporteur, après adoption par la commission de cette rédaction de M. de Broglie : L'Assemblée législative, vu l'article 111 de la Constitution, émet le vœu que la Constitution soit révisée en totalité conformément audit article. Dans la commission, Cavaignac avait dit : L'article 45[14] est un principe... La stabilité des hommes a tué la stabilité des choses... La seule chose qui rendra le pouvoir stable, c'est de l'isoler des prétentions individuelles. Berryer avait déclaré qu'il voulait éviter une réélection inconstitutionnelle. M. de Broglie avait fait observer[15] que si on avait voulu un président renfermé dans des pouvoirs limités, il aurait fallu le faire élire autrement ; qu'au lieu de cela on avait mis le Président au bout d'un mût de cocagne ; que les côtés romanesques de sa vie, le prestige attaché à son nom devaient prévaloir ; qu'on l'avait placé entre le néant et l'usurpation, et qu'on s'étonnait qu'il ne voulût pas du néant ! que toute cette portion de la Constitution était une extravagance, et qu'on la croirait faite à Charenton ; qu'en dehors des princes il n'y avait de chances que pour un démocrate en blouse qui flatterait le peuple dans ses misères et lui promettrait des merveilles dans des réformes utopiques ; qu'un républicain éclairé et modeste ne pouvait arriver par le mode d'élection adopté ; que le caractère du mouvement révisionniste était un désir immodéré du statu quo, une crainte excessive des révolutions ; que si ce mouvement était bonapartiste et entravé, on irait jusqu'au bout et qu'on chasserait l'Assemblée ; qu'au mois de mai on pourrait dire ce que Sieyès disait le soir du 18 brumaire : Messieurs, vous avez un maître ; que c'est pour éviter ce résultat que la révision s'imposait. Le ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher, interrogé sur la question de savoir si le gouvernement n'avait point fait de propagande révisionniste, avait répondu qu'il n'avait point provoqué le,s pétitions, qu'on ne provoquait pas un pareil mouvement qui était vraiment national, qu'il avait seulement engagé l'Administration à donner des conseils dans le sens de la révision, qu'il n'avait rien fait de plus. M. de Tocqueville disait dans son rapport : La majorité ne nie pas que la révision ne soit dangereuse,
mais elle la croit nécessaire. On a tort sans doute de céder trop aisément au
courant de l'opinion publique, niais il n'est pas toujours sage de lui
résister. Il faut avant tout conserver l'affection et la confiance des
masses... Lorsqu'elles sont inquiètes, troublées, souffrantes, et qu'elles
réclament un remède, leur refuser ce remède parce qu'on le juge moins
efficace qu'elles ne l'imaginent, c'est les désespérer... D'ailleurs, ce
qu'elles disent par un instinct vague, nous devons le vouloir par une étude
approfondie de la situation et des affaires... La nation aperçoit... les deux
grands pouvoirs s'affaisser ensemble et sur le point de disparaître en même
temps... Qu'on se figure l'anxiété et la terreur qui doivent saisir tous les
esprits à l'idée de trouver vide, un certain jour, cette place immense
qu'occupe le gouvernement parmi nous. N'est-il pas à craindre que, dans ce
trouble et dans cette angoisse, parvenus au dernier moment, les électeurs se
sentent poussés, non par enthousiasme pour un nom ou pour un homme, mais par
terreur de l'inconnu et horreur de l'anarchie, à maintenir illégalement, et
par une sorte de voie de fait populaire, le pouvoir exécutif dans les mains
qui le tiennent... Et si... une élection inconstitutionnelle avait lieu,
qu'arriverait-il ?... La Constitution tout entière serait renversée... Les
circonstances étant données... qu'on se demande s'il peut sortir du statu quo
actuel autre chose qu'une grande crise, et si cette crise ne doit pas aboutir
nécessairement soit à l'usurpation, soit à l'anarchie, et, en tout cas, à la
ruine de la République et peut-être de la liberté... Le 14 juillet, l'Assemblée aborde la discussion de la révision. C'est M. de Falloux qui, le premier, monte à la tribune. Ce qu'il redoute par-dessus tout, c'est le bonapartisme venant dire : Ne craignez rien ; moi, je réponds du pays sans les socialistes, sans les républicains, sans les libéraux, sans les monarchistes. Cette témérité, cette folie serait la dernière de nos étapes ; le bonapartisme achèverait la décadence et la ruine de notre pays... Le remède, il faut le demander à une révision aussi complète et aussi radicale que possible, à une substitution du principe de la monarchie au principe de la République. (Sensation.) M. de Mornay rappelle qu'il est dans nos annales historiques une journée qui fut appelée la journée des Dupes. (Mouvements et rires.) Il appellerait volontiers celle-ci la journée des Masques. (Rires prolongés...) L'amélioration de la Constitution n'est pas le vrai but qu'on se propose... ; pour le plus grand nombre ce n'est que la prolongation des pouvoirs du Président ; pour les autres... c'est le retour... à la monarchie... Ce que nous avons aujourd'hui... ce n'est ni la République, ni la Monarchie, c'est un système bâtard et faux, c'est un mensonge... (Longue interruption...) Si mon pays pense que la République est le gouvernement qui convient le mieux à ses intérêts... je veux au moins cette République sincère... Eu conséquence je repousse la révision... dont le résultat serait de prolonger un mauvais expédient... Le pétitionnement ? est-il vraiment le cri de l'opinion publique ? est-il bien le vox populi, vox Dei ?... N'est-il pas provoqué ?... C'est à l'instigation du' gouvernement que les conseils généraux émirent un vœu en faveur de la révision, bonapartistes et monarchistes croyant y trouver leur compte. Aussitôt la presse s'empare de ce résultat, agite le pays et lui présente, comme devant amener rage d'or, la prolongation des pouvoirs d'un prince que la Providence a marqué du doigt comme le sauveur de la France. Le peuple... ce n'est pas lui qui est blâmable, ce sont ceux qui le trompent et qui se servent de lui pour satisfaire leurs insatiables ambitions... Les pétitions ?... d'une seule formule, d'un même type, elles semblent sortir du même lieu... Sur 523 signatures de la pétition de Compiègne... on n'a pu en légaliser que 22. Ces faits parlent plus haut que tout. Cette grande démonstration du pétitionnement n'est pas l'expression spontanée, libre et sincère de l'opinion... elle est le résultat de l'action immorale et coupable du gouvernement. Les faits sont patents. Des fonctionnaires ont excité le mouvement. Les tournées de révision n'ont été qu'un véritable racolement politique. Tout en tenant compte de certain langage toujours personnel, toujours provocant, tout en appréciant comme ils doivent l'être, chacun avec sa nuance, le discours irritant de Dijon, celui plus doux, mais non moins significatif, de Poitiers, celui enfin presque mystique de Beauvais, où le moi tient toujours la place de tous, l'orateur ne croit pas à un coup d'État, et de plus il ne le craint pas. Il n'y croit pas parce qu'il ne veut pas faire l'insulte à l'élu de six millions de suffrages de le croire capable de manquer à la foi jurée en face du monde entier, parce que le nom qu'il porte est une garantie de plus, parce qu'il a confiance dans le bon sens, l'honneur et la dignité du pays, parce qu'il a confiance dans l'Assemblée qui saurait défendre la loi. Le général Cavaignac estime que, depuis le jour où a triomphé le principe de la souveraineté nationale, la monarchie a cessé d'être une chose possible en France. Août 1792, juillet 1830, février 1848, ce sont trois victoires remportées par la souveraineté nationale. Dans l'ordre des choses politiques il y a des vérités aussi incontestablement éternelles, aussi incontestablement immuables que dans tout autre ordre de choses. Bien au-dessus de ces vérités, avant elles, se place le principe de la souveraineté nationale. Eh bien, est-ce qu'une génération peut prétendre que c'est une propriété qui est à elle ? La forme monarchique est l'abdication de ce principe. La République en est la seule et unique expression. Nous voulons comme vous la stabilité du pouvoir. Quant à la stabilité des hommes, elle a tué depuis soixante ails tous les gouvernements en France. Oui, toutes nos révolutions ne sont venues que de la stabilité, de la perpétuité des hommes. D'abord un pouvoir temporaire, nous l'avons ; un pouvoir prolongé, on nous en menace ; le pouvoir à vie, je ne sais pas si on l'espère ; et puis, après cela, le pouvoir héréditaire ; et puis l'intérêt dynastique ; et puis les révolutions arrivent ; voilà l'histoire de toutes les usurpations. La conservation des pouvoirs c'est la première étape souvent honteuse, hypocrite vers l'usurpation ; on commence par la prorogation, on finit par l'usurpation. C'est ce qui s'est toujours fait, c'est ce que nous ne voulons pas revoir. La révision est le premier pas fait vers le suicide de la République ; la Constitution nous est bonne, parce qu'elle est mauvaise aux ennemis de la République. Nous consentirons à la réviser quand nous ne verrons plus derrière la révision une entreprise de monarchie. Pour M. Coquerel, la révision, c'est la reconnaissance de fait de la souveraineté nationale, c'est la France appelée à décider de sa destinée. Aucun parti ne peut la refuser sans mentir à ses principes. Louis-Philippe déclarait ne gouverner la France qu'en vertu du vœu de la France. Le droit divin s'appelle aussi le droit national. Qu'est-ce à dire, si ce n'est que le droit divin lui-même ne veut pas prévaloir contre la volonté de la France ? II faut donc nécessairement demander à la nation ce qu'elle pense. Quant à la République, si elle ne tolère pas qu'on examine son principe, elle se met en contradiction avec elle-même. C'est un devoir de voter la révision, quand même la réélection du Président devrait en sortir. Quelles sont ses chances ? Il y en a deux. La première chance qu'il ait de rester au pouvoir, c'est qu'il y est. (Exclamations, chuchotements.) Après soixante années de révolutions, c'est un grand avantage pour rester au pouvoir que d'y être. La France est lasse de tous les changements. Et cependant le Président a une chance meilleure encore, c'est son nom. Nous nous trouvons pour la première fois dans l'histoire en présence d'un fait complètement nouveau, c'est qu'il y a un homme dont les paysans savent le nom. Combien y a-t-il de membres de cette Assemblée qui partagent cet avantage ? (Hilarité générale et prolongée.) S'imagine-t-on qu'il suffit de vingt, trente, quarante années d'éloquence et de triomphes parlementaires pour être connu des cinq millions de paysans qui sont électeurs et qui ne savent pas lire ? (Agitation et rires.) Refuser la révision, c'est augmenter les chances de réélection du Président. Le Président se posera en martyr. (Rires bruyants.) Avec un peuple comme le peuple français, exclure, c'est désigner. Si le Président sortait de la situation d'attente dans laquelle il est... la France trouverait en lui, il faut le croire, bien plus souvent le prisonnier de Ham que l'orateur du banquet de Dijon. (Agitation, chuchotements.) Cependant l'orateur, pour sa part, serait désolé de sa réélection (hilarité générale) par amour pour la logique. (Nouvelle et plus bruyante hilarité.) Connaît-on quelque chose qui soit plus contraire à toutes les règles de l'art de raisonner sa conduite en ce monde que de former une république démocratique et que de mettre ensuite à sa tête un homme qui est prince ? Appelez tout cela du nom que vous voudrez, d'un nom matérialiste, la fatalité ; d'un nom religieux, la Providence ; clans un langage plus terre à terre, les faits ; eh bien, les faits sont là, irrésistibles, indéniables, ils sont là ! Vous êtes en présence d'un corps électoral qui, ne connaissant qu'un nom, votera pour ce nom-là ! Si, comme on peut le prévoir, l'élection inconstitutionnelle a lieu, l'Assemblée qui viendra suffira encore pour résister à tous les empiétements du pouvoir... Si la France s'est abandonnée une fois, elle ne s'abandonnera pas une seconde ; elle saura résister au despotisme impérial et au despotisme démagogique. Après M. Grévy, qui ne veut pas de la révision à cause de la loi du 31 mai, parce qu'on ne peut faire réviser par cinq ou six millions l'œuvre de dix millions de citoyens, M. Michel de Bourges parle dans le même sens et fait l'éloge de la forme républicaine : Lorsqu'à Sainte-Hélène... Napoléon examine... ce qui va venir... il ne songe plus aux restaurations, il songe à la République et il dit : Oui, la France sera républicaine ou cosaque. Voilà sa pensée. (Applaudissements à gauche.) Oui, c'est un grave sujet de méditation que la parole de ce Grand capitaine... qui s'écrie : La République seule peut nous sauver ! Entendez-vous ? La République seule peut nous sauver !... Vous n'inventerez rien qui soit plus grand et plus beau, plus digne des desseins de la Providence. C'est que là est l'avenir du monde, c'est que là est le doigt de Dieu. (Sensation.) Berryer déclare qu'à moins de fermer les yeux à la
lumière, on doit reconnaître que la révision est manifestement réclamée par
le pays tout entier. Les royalistes sont pour la révision ; l'honneur, la
loyauté, la sincérité l'exigent. Il faut craindre que la nation, pour éviter
la guerre civile et l'anarchie, ne se précipite dans ce remède détestable de
violer la Constitution. L'orateur redoute à un égal degré l'élection des
ennemis de l'ordre social et la réélection inconstitutionnelle du chef de
l'État. Parlant de la révolution de 1789-1793 dont M. Michel de Bourges a
fait l'éloge EN BLOC, il ajoute : ... Ces hommes que vous avez appelés des hommes superbes ont
commis, en quatorze mois, dans cette malheureuse France plus de crimes que
toutes les passions, toutes les ignorances, toutes les ambitions, toutes les
perversités n'en ont peut-être fait commettre pendant quatorze siècles ! (Applaudissements et bravos prolongés.) Avez-vous pensé qu'il y avait ici des fils, des neveux,
des proches des victimes ? Avez-vous songé que c'était à la nation la plus humaine,
la plus loyale, la plus généreuse... que vous avez dit en parlant de ces
temps horribles : Peuple, voilà ton Iliade ! (Explosion de bravos.) Vous êtes
du peuple... Je suis plébéien comme vous... Je le connais ce peuple... Il
recueillera ses souvenirs, il comptera ce qu'il a eu de misères, ce qu'il a
eu de souffrances, ce qu'il a eu d'égarement, de hontes, quand vous avez été
ses maitres ! (Acclamations.
Applaudissements répétés et prolongés.)
... Quel orgueil vous anime de venir confondre... la République et 1789 !
Mais la République a brisé les principes des institutions de 1789 ! Mais la
République a égorgé les plus nobles fondateurs de la liberté de 1789 ! (Bravos.)
Mais vos amis, et Thouret, et Bailly, et Chapelier, et tant d'autres... qui
ont fondé les institutions de 1789, ils sont tombés sur les échafauds de la
République ! (Bravo ! Bravo !) ... Vous oubliez que la grande œuvre de 1789, provoquée
par le plus vertueux des rois... par le grand martyr Louis XVI, était fondée
sur le principe de l'hérédité, de la souveraineté publique. Où allez-vous
donc chercher vos incompatibilités ? La République, elle a laissé des
libertés... violées, conspuées par elle-même, et elle les a livrées au
despotisme... Qui a ramené le gouvernement représentatif ? Qui a rendu à la
France les principes de liberté de 1789 ?... La royauté... Quand on accuse
dans le passé, on a un grand avantage. La monarchie... a duré quatorze
siècles, on a un long espace à parcourir pour y saisir des fautes et les lui
reprocher comme si c'était la conséquence de son principe... La royauté... a
inspiré confiance, ramené la paix, fait renaître le travail ; il en est sorti
une prospérité sans égale... La royauté de droit divin ? Jamais expression,
jamais pensée plus fausse n'a été produite... Je ne vous dis pas qu'une
société ne peut pas vivre en République ; ne me dites pas qu'une société ne
peut pas vivre en monarchie... ; oui, à cela près que la monarchie, clans son
gouvernement nécessairement paternel, protège toutes les conditions essentielles
de la société ; à cela près que dans vos idées, dans vos spéculations, dans
vos téméraires théories vous menacez ces conditions essentielles et divines,
je vous accorde et je vous répète qu'une société peut être aussi bien en
République qu'en monarchie... La forme est d'institution humaine... la forme
est éternellement discutable... la forme, c'est là ce qui est livré aux
passions, aux jugements, aux volontés des hommes... Cette royauté de quatorze
siècles... avait-elle failli à sa tâche ? Quoi ! elle nous a conduits,
elle nous a secondés depuis les mœurs farouches des compagnons de Clovis
jusqu'aux grands établissements de saint Louis, jusqu'aux belles économies de
Louis XII, jusqu'aux pacifications de Henri IV, jusqu'à cette magnifique
société de Louis XIV, jusqu'à cette pensée généreuse qui anima les premières
années du règne de Louis XVI, jusqu'à cette époque où l'ascendant de la
France, non pas seulement l'ascendant mercantile... nos possessions de
l'Inde, la richesse de nos colonies, l'Angleterre humiliée, toute cette
puissance de la France au dehors, mais encore l'ascendant de la France
dominant par le goût, par les arts, par l'intelligence... eh bien, la
royauté, ce principe persévérant et fixe a-t-il trahi sa tâche ? a-t-il
manqué à la nation ? Cette société... est-elle restée dans la barbarie ?
Dites si cette royauté n'a pas rempli son devoir... Quand un principe a été
protecteur... quand (un) peuple s'est magnifiquement développé sous sa loi, c'est
un devoir... de (conserver) ce principe conquérant, sauveur, pacificateur et
civilisateur. (Applaudissements.)... Est-ce sérieusement qu'à cette vieille France vous
venez dire qu'elle est républicaine ?... Cette France est républicaine !... (Avec) l'action de
la multitude tumultueuse... sans aucun degré quelconque dans l'échelle
sociale... il n'y a pas de société possible... (Alors quoi ?) le gouvernement
américain ? sauf la fédération, c'est-à-dire sauf ce qui en est la base... En
France (la fédération) c'est une utopie... J'étais... impérialiste à dix-huit
ans... je l'étais encore à vingt ans... Oh ! la gloire de l'Empire !... Mais
j'ai vu, j'ai commencé à comprendre, j'ai senti le despotisme, et il m'a été
odieux. Je n'ai pas attendu sa chute ; j'ai ici de mes amis d'enfance, ils
savent qu'avant la chute de l'Empire je leur disais : Vous ne vous rendez pas
compte de votre gouvernement, il est odieux, il est intolérable ! La gloire
ne couvre pas cela ! — Tu m'es témoin ![16] — L'orateur
invoque du geste un membre de la droite. Ce mouvement oratoire produit une
vive sensation. Tous les yeux se tournent vers M. de Grandville, qui répond à
M. Berryer par des signes réitérés d'affirmation. — Et
puis j'ai vu l'infidélité de la victoire... j'ai vu une immense puissance qui
reposait sur un seul homme... disparaître en un jour... Oh ! alors, j'ai
compris... faire reposer la destinée d'un peuple sur la tête d'un homme,
c'est le plus grand de tous les crimes... Oh ! alors j'ai compris la
nécessité d'un principe... J'ai vu ce que c'était que la République pour une
vieille société dans laquelle des intérêts sont nés, ont grandi, où des
richesses ont été acquises et se sont justement transmises, pour une société
où existaient des gloires, des honneurs, des distinctions personnelles ou
héréditaires, et où tout cela s'attache invinciblement malgré l'égalité à des
individualités, alors j'ai compris que dans cette vieille société la
République était contraire à ses traditions, à ses besoins, à ses instincts,
à sa position en Europe, à son ascendant au milieu des puissances, et qu'elle
ne serait autre chose que le terrain des ambitions, des jalousies, des
cupidités, des mécontentements, des rancunes... la République est
antipathique à l'existence, aux instincts, aux mœurs d'une vieille société de
35 millions d'hommes pressés sur un même territoire. Napoléon à
Sainte-Hélène, dites-vous, a appelé la République comme un progrès... Non !
non ! c'est comme une menace, une menace vengeresse qu'il a dit à l'Europe
qui avait détruit son œuvre : Tu seras républicaine ou cosaque ! (Applaudissements sur un grand nombre de bancs.) Mirabeau qu'on citait hier... quand ce géant s'est vu
brisé sous ses ruines et sous ses labeurs, qu'a-t-il fait ? Il a poussé un
cri de désespoir : J'emporte le deuil de la monarchie, les factieux s'en
disputeront les lambeaux... Oui, tous deux, Napoléon et Mirabeau, ces grands
génies qui ont eu la témérité d'oser vouloir disposer et de tout un siècle et
de tout un grand peuple..., se sont sentis affaissés sous le poids de cette
responsabilité, et tous deux se sont dit : L'Autorité ! l'Autorité ! elle est
brisée ! Là où l'Autorité est brisée il n'y a plus de société, les factions
s'en partageront les lambeaux ! Voilà les paroles de tous deux. (Bravos ; applaudissements prolongés. Agitation
marquée.) Le président : C'est du Mirabeau ! Je sais que des hommes qui ont
mes sentiments... ne partagent pas... ma conviction sur la nécessité de voter
la révision... Supposez que le peuple, excité par le retentissement sous les
chaumières de ce nom de Bonaparte, malgré la Constitution... veuille appeler
encore par des millions de voix à la présidence Louis-Napoléon, eh bien, je
dis, messieurs, que tout est perdu ! (Mouvement.)... Je ne l'attaque pas, je n'ai pas voté pour lui, mais
je maintiens qu'il a rendu un grand ser- LA DÉFAITE DE L'ASSEMBLÉE. 505 vice en se plaçant à la tête du parti de l'ordre. Peut-être en aurait-il rendu d'immenses... s'il avait consenti à prendre pour guide la majorité, au lieu de songer à s'en faire un instrument. Quoi qu'il en soit (s'il est réélu inconstitutionnellement)... voilà un homme... par des millions de suffrages proclamé, placé au-dessus de la Constitution, au-dessus des lois. Or... il faudrait qu'il fia supérieur à l'humanité si, dans cette situation, il ne s'imaginait pas être dans son droit... en brisant tous les obstacles... Vous résisteriez ?... Nous ne voulons pas de guerre civile... Je demande que mon pays, bien avisé... envoie une Assemblée de révision... Je crois que la révision... n'aura qu'une majorité numérique... mais... je supplie les membres de la majorité d'accepter leur défaite, de respecter la Constitution... Mes vieux amis politiques, unissons-nous dans cette résolution de faire respecter la légalité... Soyez inséparables en face des dangers et de la sédition et de l'ambition... (Applaudissements prolongés. Enthousiasme.) Un remarquable orateur, M. Pascal Duprat, succède à
Berryer : La révision ne peut amener que... le
rétablissement de la monarchie... ou la prorogation... La monarchie est
impossible... (non) parce que vous avez été vaincus en 1792, vaincus en 1814,
vaincus eu 1830, vaincus en 1848, vaincus partout, vaincus toujours, (non) parce que vous
êtes en opposition flagrante... avec les intérêts de notre temps... (mais)
parce que cette idée de la royauté a disparu... Elle est impossible par un
autre motif. Ce qui a fait la force et la durée de la monarchie, c'est
qu'elle a été une. L'est-elle ?... Vous avez plusieurs rois... Ah !... je
sais... la fusion ! C'est un rêve qui peut plaire aux vieillards... Quelle
que soit l'ardeur des ambitions... il y a quelque chose ... qui dans l'âme
même des princes doit passer auparavant, ce sont les souvenirs de la famille,
souvenirs vivants, impérieux, inexorables. Hier vous parliez du Roi que vous
appelez martyr ; c'est un d'Orléans qui a jugé ce Roi avec les conventionnels
! Je ne veux pas vous parler de Saint-Leu où le dernier des Condé s'est
éteint par une mort mystérieuse ; je ne veux pas surtout vous parler de Blaye
où la pudeur d'une femme a été jetée en proie aux passions politiques... La
monarchie est impossible... Que reste-t-il ?... la prorogation... La majorité
osera-t-elle tenir au pays ce langage : Nous avons cru que M. Louis Bonaparte
était pour notre pays une cause d'agitation, de guerre civile peut-être...
brisez la Constitution devant lui, il faut qu'il soit réélu ?... On demande
qu'il soit rééligible, parce qu'on a peur qu'il soit réélu ; on a peur, on a
peur. (Mouvement.) Que diriez-vous d'une armée qui, craignant que la place
qu'elle occupe soit un jour prise par l'ennemi, l'abandonnerait elle-même
?... Comment ! il y a devant vous un pouvoir qui vous inquiète, et vous
calculez froidement que la Constitution sera brisée, que le peuple... fera,
malgré la loi, un président, un César... et vous ajoutez qu'il faut respecter
le droit, c'est-à-dire que, pendant qu'un pouvoir ambitieux passera
violemment au travers de la Constitution, vous saluerez avec respect le droit
méconnu, le droit outragé ! Voilà votre courage 1 C'est ainsi que vous
défendez la Constitution, les institutions du pays, son honneur, sa liberté,
ses droits ! Et... qu'auriez-vous fait de plus si vous étiez le complice de
coupables espérances ? Qu'auriez-vous fait de plus, vous, le tribun des rois,
si vous aviez voulu seconder par la puissance de votre parole... la venue de
ce César... que nous empêcherons avec vous ou sans vous de s'asseoir sur les
débris de la République ? (Applaudissements.) Ah ! vous avez peur, et c'est parce que vous avez peur
que vous nous dites d'abaisser devant une ambition criminelle le seul rempart
qui puisse nous protéger... Ce n'est pas ainsi que nous entendons défendre le
droit de la patrie et vous-même... Vous pouvez le défendre... Ne permettez
pas que des ministres viennent flétrir la République... Ne permettez pas que
M . Louis Bonaparte promène plus longtemps à travers la France... des
ambitions qui ne sont pas de notre temps ni de notre pays.. : Si le peuple
veut franchir la Constitution... qui l'en empêchera ? Le droit d'abord... et
vous-mêmes... Le peuple a été entraîné au 10 décembre... Aujourd'hui
aidez-nous à lui faire comprendre tout ce qu'a fait M. Louis Bonaparte...
Quand nous aurons fait cette propagande, si une élection populaire voulait le
faire passer à travers la Constitution, sachez dire au pays... au nom de la
majesté nationale (sourires), que vous défendrez la Constitution... — C'est le tour de Victor Hugo. Il commence par faire le procès de la monarchie : ... Sous la régence la monarchie empoche 350 millions par l'altération des monnaies ; c'était le temps où l'on pendait une servante pour cinq sous. (Marques d'étonnement, murmures prolongés à droite...) M. de Greslau : Parlez des pensions données aux poètes. (Hilarité.) Victor Hugo : L'honorable interrupteur fait allusion à une pension qui m'a été offerte par le roi Charles X et que j'ai refusée... M. de Falloux : Je vous demande pardon, vous l'aviez sur la cassette du Roi... (Agitation.) Victor Hugo : Parlez ! M. de Falloux : L'honorable M. Victor Hugo a dit : Je n'ai jamais touché de pension de la monarchie... Victor Hugo : Non, je n'ai pas dit cela. (Vives exclamations à droite mêlées d'applaudissements et de rires ironiques.) J'avais dix-neuf ans, j'avais publié un volume de vers... Le roi Louis XVIII, spontanément, de lui-même, et sans que je l'eusse demandée, m'accorda une pension de 9..000 francs. Quelques années après, Charles X..., dans une pensée de dédommagement pour la non-représentation de Marion Delorme, élevait à 6.000 francs cette pension de 2.000 francs. Je refusai... J'aurais cru manquer à un sentiment de respect... pour la personne du roi mort si j'avais enveloppé dans ce refus le renvoi de la première pension... Je continue... La vieille monarchie faisait... neuf banqueroutes en soixante ans... Le cardinal Dubois définissait ainsi la monarchie : Un gouvernement fort parce qu'il fait banqueroute quand il veut... Eh bien, la République de 1848, elle, a-t-elle fait banqueroute ? Que lui reprochez-vous, à cette République de 1848 ?... Les commissaires de M. Ledru-Rollin, les 45 centimes, les conférences socialistes du Luxembourg. Le Luxembourg ! Ah ! oui... Voilà la grosse affaire. Tenez, prenez garde au Luxembourg ! N'allez pas trop de ce côté-là, vous finiriez par y rencontrer le spectre du maréchal Ney ! (Sensation, applaudissements prolongés à gauche.) M. de Rességuier : Vous y trouveriez votre fauteuil de pair de France. Victor Hugo : Je crois, Dieu me pardonne, que M. de Rességuier me reproche d'avoir siégé parmi les juges du maréchal Ney. M. de Rességuier : Vous vous méprenez avec intention ! Victor Hugo : Quoi ! vous voulez recommencer... Il vous en faut encore... Vous voulez rentrer dans ce cycle terrible, toujours le même... qui commence par des réconciliations plâtrées de peuple à roi... par les Tuileries rouvertes, par des lampions, par des harangues, par des fanfares, par des couronnements et des fêtes... M. Grelier-Dufougeroux : ... Et des odes ! (Rires, bravos à droite ; rumeurs à gauche.) Victor Hugo : ... Mon Dieu, cette place que vous traversez tous les jours ne vous dit donc rien ! Mais frappez du pied ce pavé qui est à deux pas... Le président : Qui menacez-vous donc là ? Victor Hugo : C'est un avertissement. Le président : C'est un avertissement sanglant, monsieur ; vous passez toutes les bornes... C'est une diatribe, ce n'est pas un discours... Victor Hugo : ... Après l'échafaud de Louis XVI, après l'écroulement de Napoléon, après l'exil de Charles X, après la chute de Louis-Philippe, après la Révolution française, la République est la terre ferme, et c'est la monarchie qui est l'aventure ! (Applaudissements à gauche...) Les aspirations populaires se régleront comme les passions bourgeoises se sont réglées... Il y a eu des royalistes autrefois qui... M. Callet : Vous en savez quelque chose... Victor Hugo : ... Ils ne venaient
pas en plein midi, en plein soleil, en pleine Assemblée de la nation,
balbutier : Vive le Roi ! après avoir crié 27 fois dans un seul jour[17] : Vive la République ! (Acclamations
à gauche, bravos prolongés.)... La
monarchie légitime est morte en France, mais (on nous crie :) L'autre monarchie,
la monarchie de gloire, l'Empire, celle-là est possible... La monarchie de
gloire, dites-vous ? Montrez-nous votre Gloire ! (Rires à gauche.)... Qu'est-ce que j'ai devant moi ? Toutes nos libertés
prises... le suffrage universel mutilé !... une politique jésuite ; pour
gouvernement une immense intrigue, l'histoire dira peut-être un complot, je
ne sais quel sous-entendu inouï qui semble donner à la République l'Empire
pour but et qui fait de cinq cent mille fonctionnaires une sorte de franc-maçonnerie
bonapartiste au milieu de la nation... la compression, l'iniquité ; au dehors
le cadavre de la République romaine, l'Autriche debout sur la Hongrie, la
Lombardie, Venise... La France baisse la tête. Napoléon tressaille de honte
dans sa tombe ; et cinq ou six mille coquins crient : Vive l'Empereur !
(Bravos à gauche.) Est-ce tout cela que vous appelez votre gloire, par hasard
? Maintenant votre empire, causons-en, je le veux bien ! (Rires.) M. Vieillard : Personne n'y songe, vous le savez bien ! Victor Hugo : Personne ne songe à
l'Empire ! Que signifient donc ces cris payés de : Vive l'Empereur ? (et)... ces
allusions du général Changarnier aux prétoriens en débauche applaudies par
vous ? (et) ces paroles de M. Thiers également applaudies par vous : L'Empire
est fait ? (et) ce pétitionnement ridicule et mendié ?... Qu'est-ce que la
prolongation des pouvoirs ? C'est le consulat à vie. Où mène le consulat à
vie ? A l'Empire !... Il y a Ià une intrigue... Allons, le grand jour sur
tout cela ! Il ne faut pas que la France se trouve un beau matin avoir un
Empereur sans savoir pourquoi. (Rires à gauche.)Un Empereur !... Quoi ! parce
qu'il y a eu un homme qui a gagné la bataille de Marengo et qui a régné, vous
voulez régner, vous qui n'avez gagné que la bataille de Satory ! Quoi ! parce
qu'il y a dix siècles Charlemagne a laissé tomber son épée et son sceptre, et
que mille ans après... un autre génie est venu (les) ramasser (et) à son tour les
a laissés tomber... vous voulez, vous, les ramasser après lui, comme il les
avait ramassés, lui, Napoléon, après Charlemagne ! (Bravos à gauche.) Vous voulez prendre dans vos petites mains ce sceptre des
Titans, cette épée des Géants ? Pourquoi faire ? Quoi, après Auguste
Augustule ! Quoi ! parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que
nous ayons Napoléon le Petit ! (Applaudissements
et rires prolongés à gauche.) M. de Girardin : Napoléon Bonaparte a eu six millions de suffrages ; vous insultez l'élu du peuple ! M. Baroche, ministre des affaires étrangères : Vous discutez des projets qu'on n'a pas et vous insultez ! Le président : ... M. Victor Hugo n'a pas le droit de discuter sous une forme insultante une candidature qui n'est pas en jeu. — (À l'extrême gauche :) Mais si, elle est en jeu ! M. Charras : Vous l'avez vu, vous-même, à Dijon, face à face. Le président : A Dijon, je respectais les convenances et je me suis tu... Victor Hugo : Ce n'est pas offenser le Président de la République que de dire qu'il n'est pas un grand homme... Ce que nous lui demandons, ce n'est pas qu'il tienne le pouvoir en grand homme, c'est qu'il le quitte en honnête homme. M. Clary : Ne le calomniez pas en attendant. M. Victor Hugo : Ceux qui l'offensent, ce sont ceux de ses amis qui laissent entendre que le deuxième dimanche de mai il ne quittera pas le pouvoir... M. Vieillard : Ce sont là des calomnies... M. Victor Hugo : ... Savez-vous
ce qui fait la République invincible... c'est qu'elle est un résultat
historique... c'est qu'elle est la forme... nécessaire du temps où nous vivons...
c'est qu'elle est l'air que nous respirons... c'est qu'elle s'identifie d'un
côté avec le peuple et de l'autre avec le siècle, elle est l'idée de l'un et
la couronne de l'autre... La France ne sera tranquille que lorsque nous
aurons vu disparaître tous ceux qui tendent la main, depuis les mendiants
jusqu'aux prétendants... M. de la Devansage : La popularité a ses mendiants aussi... M. de Morny : Et ce sont les plus misérables ! Victor Hugo : ... L'instant arrive où une mêlée terrible se fera de toutes les formes déchues... Je ne sais ce que le combat durera... mais ce que je sais... c'est que le droit ne périra point ; je vote contre la révision ! Les palinodies du grand poète, son manque absolu de sens moral politique exigeaient une leçon ; elle lui fut donnée par la voix autorisée et respectée de M. de Falloux. Derrière chacune de ses paroles, dit-il... pour chacun de nous se dressaient des souvenirs... tels qu'il y avait des émotions qu'il était impossible de réprimer. Lorsque M. Victor Hugo parlait de la Restauration, comment comprimer le souvenir présent à tout le monde, présent pour sa gloire, s'il eût su la garder, qu'il avait été le plus pindarique des royalistes... Lorsqu'il a évoqué les souvenirs cruels du Luxembourg... était-il possible que chacun de nous ne se rappelât pas que cette grande et douloureuse ombre du maréchal Ney ne lui avait pas toujours tant fait horreur, puisqu'il n'avait cessé de solliciter un siège à ce même Luxembourg !... Quant à M. le Président de la République... au moment où il en parlait avec des termes si profondément calculés et si profondément amers, chacun de nous se rappelait que, pendant longtemps, sous M. le Président de la République, le nom de M. Victor Hugo circulait sur une foule de listes ministérielles. (Agitation prolongée.) A droite : C'est parfaitement vrai ! M. de Rességuier : Il était dans les salons de l'Élysée. M. de Morny : Il fait ce métier-là depuis trente ans ! M. de Heeckeren : Je l'ai vu, je l'ai entendu. M. de Falloux : Il figurait sur ces listes comme ministre de l'instruction publique... parce que rien dans son langage ni dans ses votes à cette époque ne pouvait faire qu'on s'étonnât de le rencontrer sur cette liste. M. Legros-Devot : Ni à l'Élysée. (Rires bruyants à droite.) — M. Baroche prend la parole au nom du gouvernement ; il défend le prince et déclare qu'il y aurait lâcheté à ne pas rendre témoignage à ses intentions patriotiques. Il ajoute que si on reconnaît de toutes parts les vices de la Constitution, il faut ordonner la révision. Il répond à l'attaque de Victor Hugo : ... Un homme qui n'a pas même l'excuse d'une ancienne conviction ; un homme qui ne peut même pas dire, comme l'honorable M. Pascal Duprat, que pendant longtemps son amour pour la République est resté comme captif sur ses lèvres, car apparemment sous la Monarchie ce n'était pas l'amour de la République qui dévorait M. Victor Hugo (rires bruyants d'approbation)... un homme qui, après avoir été, comme on l'a dit spirituellement, le plus pindariste des royalistes, après la révolution de Février, s'est faufilé clans nos rangs, est venu jusque clans le comité électoral de la rue de Poitiers (bravos)... c'est (après tout cela) qu'on vient maintenant étaler un programme aussi démocratique que social... Dans votre ardeur de nouveau néophyte, vous voulez par la violence de vos attaques faire oublier à vos nouveaux amis le passé que nous vous rappelons... La gloire de ce gouvernement-ci, monsieur,... c'est d'avoir... comprimé l'anarchie, vaincu le désordre, rétabli l'autorité, ramené la confiance et la sécurité, et rendu du travail aux ouvriers... c'est d'avoir vaincu l'anarchie jusque dans Rome et d'avoir... ajouté une page mémorable à nos glorieux faits militaires... En 1848... de peuple) a cru qu'il pouvait encore trouver son salut... dans ce nom (de Napoléon) auquel il s'est rallié avec empressement et avec enthousiasme. Et faut-il donc s'étonner que ces idées d'ordre, d'autorité, soient intimement unies dans la pensée de la France au nom glorieux de Napoléon ? Est-ce que de toutes parts nous ne trouvons pas après tant de révolutions, debout, presque toutes les institutions qui sont dues au génie de Napoléon ? Est-ce à dire pour cela qu'il soit entré dans la pensée de personne de rétablir ce que le génie de Napoléon lui-même n'a pu ni maintenir ni sauver ? Non, messieurs. On a beaucoup parlé d'usurpation... d'intrigues napoléoniennes qui se cachent sous la demande de révision... Notre seul désir, c'est que le peuple soit librement et légalement consulté, et que la France dispose d'elle-même... Les actes de violence, les coups d'État, personne n'en veut, personne, et moins que personne celui qui a dit le 12 novembre : Il ne faut pas que ce soit jamais la passion, la surprise ou la violence qui décide du sort d'une grande nation... Nous vous en conjurons, votez la révision ; emprisonnez-nous dans la légalité dont on nous accuse de vouloir sortir[18]... M. Dufaure répond au ministre et opine contre la révision
: ... On dit que l'article 45 a été fait en méfiance
du Président qui allait être élu... c'est le 27 mai 184S qu'il a été voté, et
je vous demande si, au 27 mai 1848, personne en France prévoyait que M. Louis
Bonaparte aurait l'honneur d'être président de la République... Tout est
calme, tc.us les intérêts sociaux sont protégés par la République... (Quant à) l'avenir,
il n'y a que deux moyens de le protéger : par la monarchie ou par la
République. Par la monarchie ? Qu'on la propose ! Sur quelles bases la
fonderez-vous, je vous le demande !... Après avoir vu depuis soixante ans
tomber successivement tant de gouvernements, la France est plutôt disposée à
n'avoir ni foi monarchique ni foi républicaine, et à demander à son
gouvernement, quel qu'il soit, de lui assurer les biens dont elle a besoin...
L'article 45 de la Constitution est-il si mauvais ?... (Pourquoi) l'avons-nous
voté ?... Si en France, avec une administration centralisée aussi puissante
qu'elle l'est, le Président de la République peut être réélu (nous disions-nous),
— le Président encore inconnu que personne ne pouvait prévoir, —
n'arrivera-t-il pas ce qui est arrivé : toutes les forces et toute la dignité
de l'administration ne seront-elles pas pendant quatre ans employées
déplorablement à préparer sa réélection ?... D'ailleurs, si la révision était
votée... qui arrêtera l'Assemblée constituante ?... Pourquoi l'Assemblée...
n'arriverait-elle pas à détruire les fondements du gouvernement actuel ?...
Le peuple ne fera pas... une illégalité ; il sait très bien que le pouvoir
qu'il instituerait ce jour-là n'aurait plus de limites, ce ne serait plus un
président, ce serait... un despote... Le serment que le 20 décembre 1848 M.
le Président a prêté ici, serment prêté en présence de Dieu... et devant le
peuple français... (il) ne l'oubliera pas... Et si par malheur (il) pouvait l'oublier,
veuillez calculer combien... il y a d'hommes honnêtes qui ne voudraient pas
lui donner un vote qu'il rie pourrait accepter sans être parjure... (Une) élection
inconstitutionnelle serait contraire à la morale et aux lois, je la déclare
impossible... L'on dit... : Êtes-vous sûr de l'énergie, de la fermeté de
cette Assemblée ?... Quoi ! la Constitution ne trouverait pas dans cette
Assemblée la protection et les défenseurs qu'elle doit y trouver ? Messieurs,
il y a encore parmi nous... le sentiment de nos droits... nous ne
l'oublierons pas. Je vote contre la révision. Cette mémorable discussion prend fin sur un discours d'Odilon Barrot en faveur de la révision : Les gouvernements qui durent sont ceux qui se réforment... Croyez-vous que de peuple) puisse voir sans une inquiétude profonde se renouveler si souvent, si vite tous les pouvoirs de la société ? Nos sociétés modernes ont besoin de sécurité, de stabilité... et un peuple que vous tourmentez de trop d'incertitude et de mobilité finira par se retourner vers vous et par vous dire : Laissez-moi tranquille et donnez-moi un peu d'avenir. (Longue agitation.) A gauche : C'est la monarchie alors !... Odilon Barrot : ... Je ne crains
pas pour la République une restauration monarchique... Je suis humilié de la
préoccupation tirée de l'éventualité (de
la réélection du Président). En supposant que
cela fût vrai... eh bien, la Constituante réglera les conditions de cette
réélection... Le peuple prononcera dans son universalité. C'est son droit...
Comment ! toute une nation... qui aurait reconnu des vices radicaux,
fondamentaux, viscéraux, dans sa Constitution... serait tenue en échec parce
qu'une révision ouvrirait une chance légale à la réélection du Président !...
Mais si cette chance vous parait aussi certaine, savez-vous que refuser la
révision... par cette seule raison, ce serait faire un grand rôle à celui que
vous écarteriez ainsi... M. Desmousseaux de Givré : ... (Et) la dictature !... M. Odilon Barrot : Les dictatures sortent... des situations violentes qui se prolongent... Il y a, d'une part, ceux qui demandent la révision dans l'intérêt d'un seul homme, et, d'autre part, ceux qui la repoussent contre un seul homme. Je la demande, quant à moi, pour améliorer les institutions de mon pays, et pour cela seulement... Après ce discours, l'Assemblée va aux voix. Le nombre des votants est de 724. La proposition de révision réunit une majorité de 168 voix avec 446 suffrages[19] ; mais, — comme aux termes de la Constitution ce n'est pas la simple majorité qui suffit, qu'il faut la majorité des trois quarts, soit dans l'espèce 543 voix, — le président déclare que l'Assemblée n'a pas adopté. La proclamation du résultat du scrutin est saluée par toute la gauche du cri trois fois répété de : Vive la République ! L'Assemblée ne se sépare qu'à huit heures du soir, sous le coup d'une profonde émotion. La discussion avait rempli six grandes séances[20]. Le National (20 juillet) chante victoire : Le bonapartisme est vaincu. Un cri prolongé de : Vive la République ! a salué la victoire des principes et de la Constitution. Un écho de ce cri doit retentir à l'Élysée comme un avertissement anticipé du peuple souverain à son premier magistrat, comme la voix de l'avenir de 1852, et l'annonce impérieuse d'une retraite nécessaire... La candidature posée par la faction bonapartiste est plus que jamais factieuse... M. Berryer veut que la Révolution, la République, l'Assemblée, la France entière reculent... devant quoi ? devant une ambition qu'il traite de criminelle ! Et cela, pour l'éternelle honte de notre propre pays, a trouvé des applaudisseurs ! Et ces applaudisseurs des épouvantes de M. Berryer ne veulent pas qu'on dise qu'ils se couchent à plat ventre, eux qui n'ont de courage ni devant le spectre d'une armée de barbares, ni devant l'éventualité d'un crime... Le Journal des Débats[21] craint que ceux qui ont refusé la révision pour écarter une
candidature qu'ils redoutent ne soient allés directement contre leur but.
Nous ne savons si on s'aperçoit qu'en protestant tous les jours et si
longtemps à l'avance contre la candidature de M. Louis Bonaparte on ne fait
que la poser d'une manière plus éclatante et plus dangereuse. Les grands
orateurs qui frappent ainsi avec le marteau de leur éloquence sur ce nom déjà
suffisamment connu ne font peut-être que l'enfoncer plus avant dans la tête
de quelques millions de votants où il pourrait bien rester... Est-on bien sûr
que le pays ne voudra pas faire précisément le contraire de ce qu'on voudra
lui imposer ? L'esprit de contradiction est très populaire dans ce pays-ci...
Mais, dit-on, où s'arrêterait-on dans cette voie ? Si le peuple peut poser
une candidature inconstitutionnelle... pourquoi pas celle d'Abd-el-Kader ?
Que s'il plaisait, en effet, à six millions d'électeurs de nommer M. Cabet on
l'empereur Soulouque, s'il leur plaisait d'être en démence, nous ne voyons
pas ce qu'y pourrait la Constitution... Le Constitutionnel (20 juillet) s'écrie : Aux termes de la Constitution, c'est la minorité qui
l'emporte, c'est la majorité qui est vaincue (20 juillet), un imprudent défi a été
jeté à la volonté nationale. C'est volontairement, c'est sciemment que la
minorité se place en travers de la volonté nationale. La France veut la
révision ; quinze cent mille signatures recueillies en deux mois le disent
assez haut... Quelques jours après, il ajoute (24 juillet) : La véritable source de
la popularité du nom de Louis-Napoléon, c'est la reconstruction religieuse,
morale, administrative et politique de la société. Quel autre nom... est
entouré d'une auréole semblable ?... Quel est celui qui donne à la société de
pareilles garanties ?... Quel est celui que des chances aussi manifestes
accompagnent au scrutin ?... La prolongation des pouvoirs du Président est
l'unique refuge de la société menacée... L'Univers (24 juillet) estime que le prince est par la force des choses l'homme qui semble le plus
capable de présider à la reconstitution du pays, qu'il est le chef désigné,
le généralissime de la grande avinée de l'ordre, que sans lui cette armée...
se sépare en fractions bientôt hostiles... L'Opinion publique (10 juillet) avait dit dès avant le résultat
du scrutin : Le vote de la révision à une majorité
relative considérable devient un danger, il ne change pas la situation, il
l'aggrave... Et, en effet, le pays voyant que la révision avait la majorité dans l'Assemblée, et
une majorité imposante, ne -voulut pas admettre qu'elle vînt échouer devant un
texte constitutionnel exigeant une majorité des trois quarts des votants.
C'est ce qui fait dire au Times (21 juillet)
: Il est ridicule de mettre le quart d'une Assemblée
en possession d'un veto contre les actes des trois autres quarts qui
représentent dans tous les sas la volonté de la nation... Le peuple français
cherche en vain une issue. Le surlendemain de la clôture de la discussion de la
révision, M. de Melun déposait un rapport complémentaire sur le pétitionnement
révisionniste[22].
Un débat s'engageait alors. M. Charras disait : J'établirai
devant vous que ce pétitionnement dont on a fait si grand bruit se serait
réduit à des proportions très modestes et peut-être n'aurait pas existé
longtemps s'il n'avait pas été provoqué, encouragé, excité, organisé par
l'Administration et ses nombreux agents... Nous avons trouvé 4.000 à 5.000
signatures faites par 40, 50 ou 60 individus, et cependant toutes ces
signatures sont légalisées par les maires... M. de Melun : J'ai reconnu beaucoup de signatures écrites de la même main. M. Charras : Quant aux pétitions fabriquées dans les ateliers de quelques journaux... ce serait par dizaines de mille, peut-être par centaines de mille, qu'il faudrait les compter... (C'est une) part immense que l'Administration, depuis le sommet de la hiérarchie jusqu'à sa base, a prise au pétitionnement. La trace des agents inférieurs, nous l'avons trouvée directe, patente, matérielle, saisissable pour tout le monde... Le pétitionnement est un grand mouvement de fonctionnaires et d'agents salariés[23]... L'intervention des représentants de l'autorité à tous les
degrés de la hiérarchie administrative devait être vraie ; mais ce qui est
certain, c'est qu'en dehors de cette intervention le mouvement révisionniste
était aussi sincère qu'universel, c'est que la nation ne voulait pas se
séparer du prince Louis-Napoléon. Le ministre de l'intérieur, M. Léon
Faucher, vint répondre à M. Charras : S'il y a
quelque chose qui frappe dans ce mouvement de pétitions inouï dans notre
pays, c'est sa parfaite spontanéité... Je m'étonne qu'on puisse traiter à la
légère un pareil mouvement d'opinion... Eh quoi ! le gouvernement aurait eu
le pouvoir de dicter un million cinq cent mille signatures... ? Le fait de
l'intervention des fonctionnaires est contraire à la vérité... Après
une protestation du général de Lamoricière contre le pétitionnement, M. Baze
en apporte une autre : Toutes ces pétitions présentent
cet aspect qu'elles n'ont aucun caractère sérieux... ce sont la plupart du
temps des signatures jetées en masse les unes sur les autres... (et légalisées de même)... Nous avons trouvé les mêmes formules à peu près dans
tous les départements... Le pétitionnement est dirigé contre l'indépendance
de cette Assemblée... Qu'on nous le dise ! Qu'on ose monter à cette tribune
!... J'aime mieux des ennemis qui se montrent à découvert que ceux qui
viennent à la tribune faire des protestations de leur respect pour les lois,
et qui les sapent en dessous main. (Que
le ministère vienne nous dire qu'il est là)
pour faire la prorogation au moyen du pétitionnement, pour y pousser par la
presse, par la presse soldée... par le ministre de l'intérieur, je le
prouverai (mouvement)... (Qu'il dise :) Nous sommes un ministère, non du pays, mais d'un homme...
Qu'on le dise !... M. d'Adelswœrd : On ne l'ose pas ! A gauche : Non ! on ne l'ose pas ! (Vives protestations au banc des ministres.) Léon Faucher : Le gouvernement, tant qu'il a l'honneur de siéger sur ces bancs, doit être respecté... M. Baze : Si ses actes ne le rendent pas respectable, est-ce ma faute, à moi ? Le gouvernement a manqué à un double devoir... en provoquant un pétitionnement (et) en y mettant la main... Il faut qu'il se forme un parti de la légalité pour le présent, pour l'avenir, pour toujours et dans tous les temps... L'Assemblée par 333 voix contre 320 vote une proposition
ainsi conçue : L'Assemblée nationale, tout en
regrettant que dans quelques localités l'administration, contrairement à ses
devoirs, ait usé de son influence pour exciter les citoyens au
pétitionnement, ordonne le dépôt au bureau des renseignements. Tel
était le résultat du réquisitoire de l'honorable questeur M. Baze et de la
sortie du général de Lamoricière ; il n'était pas brillant ; cet ordre du
jour de blâme, ne relevant la pression officielle que dans quelques
localités, justifiait et faisait triompher le ministère et le Président.
C'était une nouvelle faute ajoutée à celle du rejet de la révision. Le
Journal des Débats appréciait ainsi les faits (22
juillet 1851) : Où sont les manœuvres
illégales ? où sont les abus d'autorité ?... Le ministère a-t-il persécuté,
menacé, destitué les fonctionnaires qui n'ont pas voulu signer ou faire
signer les pétitions ? Nous n'avons entendu citer aucun nom, aucun acte de
corruption, d'arbitraire ou de violence. Si l'intervention du ministère se
borne aux faits que M. Baze a dénoncés, nous n'hésitons pas à dire que le
cabinet ne mérite aucun reproche... Le gouvernement... n'a fait que remplir
son devoir en portant son opinion à la connaissance de ses agents. Demander à
un gouvernement de rester indifférent sur une question de cette importance...
c'était lui demander d'abdiquer... Il aurait trahi son premier devoir...
Rien de plus juste que ces réflexions. Le 28 juillet, l'Assemblée par 420 voix contre 232 se prorogeait du 10 août au 4 novembre, sur un rapport de M. Manescau, où la question du coup d'État était examinée et résolue comme n'étant pas inquiétante. Le rejet de la révision avait causé au prince une profonde déception et un grand chagrin. Il n'y avait pas d'espoir que, reprise au bout de quelques mois, la question serait résolue autrement. La partie était donc perdue. Fallait-il donc rester emprisonné dans les liens d'une constitution stupide ? Fallait-il donc que contrairement au vœu de la quasi-unanimité des conseils généraux (80 sur 85), contrairement à l'opinion de la grande majorité de l'Assemblée législative, contrairement enfin à la volonté nationale[24], à la volonté de la France presque entière, il abandonnât le pouvoir ? Mais que faire ? un coup d'État ? Et son serment ? ce serment tant de fois renouvelé ? La nation, supérieure au Parlement, l'en relevait ! D'ailleurs, il n'avait pas prêté serment de maintenir la République contre la volonté du peuple ; au contraire, il avait, avant tout, juré de respecter cette volonté, qui, dans aucun cas et sous aucun prétexte, ne saurait être étouffée. Quant à la Constitution même, en permettant à une infime minorité d'entraver la révision, elle avait commis un attentat à la souveraineté du peuple. La volonté nationale ne pouvait être jugulée par la légalité ; la volonté nationale déliait les serments ; la volonté nationale primait tout ; la volonté nationale était chose sacrée ; bien loin d'être un crime politique, un coup d'État serait le triomphe du droit. La thèse était fausse ; mais on comprend, en l'état des esprits et des choses, qu'elle ait fini par séduire le prince, hypnotisé d'ailleurs par cette idée qu'il avait une mission providentielle à accomplir, et poussé dans cette voie par les intimes, notamment par l'ami de la première heure, Fialin de Persigny[25], dont la foi bonapartiste subjuguait le prince lui-même. Aussi, dès le 17 juillet, il commençait à appeler près de lui des hommes sur qui il pouvait aveuglément compter. Il nommait le général Magnan commandant en chef de l'armée de Paris, et, le 26, le général Leroy de Saint-Arnaud était mis à la tête d'une division de cette armée. Le dévouement du premier n'était pas douteux ; quant au second, qui venait de remporter de brillants succès en Algérie, il avait été désigné au prince (après pourparlers avec lui) par : son aide de camp le lieutenant-colonel Fleury, comme un homme capable, énergique et prêt à marcher. Enfin on faisait venir à Paris des généraux et des colonels acquis à la cause du Président, comme Canrobert, Marulaz, d'Allonville, Espinasse, etc. Le 7 août, le Président passait une revue au Champ de Mars. La foule, sur son passage, le salue des cris de : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! Nous l'avons nommé, nous le garderons ! Le National les met au compte de la Société du Dix Décembre et s'étonne que M. Bonaparte soit sorti de l'Élysée, suivi d'une escorte telle qu'en aurait pu désirer un général d'armée, vieilli sous le harnais, quand il n'a pas le droit de commander une patrouille. Le 15 août, ont lieu à Paris plusieurs banquets
bonapartistes où se font entendre de nombreux cris de : Vive l'Empereur ! Ce
qui suggère au journal l'Opinion publique (18
août) les réflexions suivantes : En présence
des scènes étranges et des discours inouïs auxquels on nous fait assister en
nous montrant en perspective un Empire... nous avouons que nous cédons à un
ébahissement irrésistible. Quoi ! voilà les éléments du règne qu'on nous
prépare ! Quoi ! nous aurions déjà eu Austerlitz et Wagram sur la place du
Havre, et l'espoir du nouvel Empire réside dans les banquets du 15 août...
L'Empire qu'on nous promet... c'est précisément l'Empire des souvenirs sans
réalité, l'apparence de l'Empire... l'Empire de carton à travers lequel les
ossements de Napoléon ont passé pour aller résider aux Invalides. Jamais
scène n'a mieux prouvé combien l'Empire était mort. Lamartine[26] exprime ainsi
son inquiétude : ... Oui,
je l'avoue, quand je vis en 1848 ce peuple se passionner pour un nom qui veut
tout dire, excepté démocratie et liberté, je m'enveloppai de mon manteau, je
fermai les yeux et je commençai à douter de la maturité de mon pays ou de sa
constance. Je dis le mot du Rubicon : Alea jacta est ; et je tremblai qu'en
tombant de l'urne à terre la médaille n'eût tourné la face d'un Bas-Empire au
lieu de l'effigie de la Liberté. Néanmoins, il croit à l'avenir de la
République. La monarchie lui parait plus impossible encore que l'Empire : Le plus terrible coup[27] porté au dogme monarchique dans l'âme du peuple n'est, pas
le coup de hache qui a fait tomber la tête de Louis XVI... Non, c'est le coup
de parti, c'est le coup d'intrigue, c'est le coup d'ambition ou c'est le coup
de faiblesse qui a substitué sur le trône de France le prétendant collatéral
à l'héritier légitime, l'oncle au neveu, les d'Orléans aux Bourbons,
Louis-Philippe à l'enfant de l'hérédité. Quant à l'Empire... croyez-vous[28] que légitimistes, orléanistes, républicains sages,
républicains fous, peuple et noblesse, bourgeoisie et ateliers,
capitale et provinces, Chambre et soldats, s'inclinent devant ce caprice de monarchie, devant ce consulat de fantaisie,
devant cette scène du Bas-Empire, jouée par des comparses de 1800, sur le
théâtre sérieux du monde démocratique (lu dix-neuvième siècle ! Non, vous ne
le croyez pas !... Vous savez bien que sans gloire et sans despotisme, point
d'Empire... Et, quelques jours après, dans le même journal[29], M. de La
Guéronnière, traçant un portrait du prince, raconte qu'en 1834 la reine
Hortense, se trouvant à Rome, consulta une somnambule qui s'écria : Ah ! une grande nation le prend pour chef, et
qu'alors la Reine ajouta, haletante et transportée : Pour
empereur, n'est-ce pas ? niais que la somnambule répliqua : Pour empereur, jamais ! — C'est,
ajoute M. de La Guéronnière, non seulement le
pronostic de la somnambule, c'est aussi celui du destin, parce que c'est
l'arrêt de la dignité et de la souveraineté de la nation. Après le rejet de la révision, les bruits de coup d'État
recommencèrent à circuler. La Patrie[30] les avait
démentis : On entend bien encore çà et là des voix
qui s'en vont disant sur tous les tons qu'il faut se défier des intentions du
gouvernement, et qui essayent de rajeunir la fable usée des tentatives
aventureuses du Président ; mais ces voix crient. aujourd'hui dans le désert
; on a tant abusé de l'invention des coups d'État que le journal qui
emploierait maintenant ce moyen d'agitation ne réussirait qu'à faire sourire
de pitié ses lecteurs blasés sur ce genre d'émotions... Mais au
commencement de septembre ils reprennent avec plus d'intensité. On en parle
sur le boulevard[31] ; il en est
question à la Bourse. Chacun s'aborde en se demandant des nouvelles du 18
brumaire. Pariez-vous pour ? Pariez-vous contre ? On s'en amuse. Tout le
monde rit. On raconte que tout a été prévu, jusqu'à un train spécial qui doit
chauffer à la Gare du Nord en cas d'insuccès. F.-V. Hugo, dans l'Événement
(5 septembre), reproche aux amis du
prince de ne pas le défendre coutre des bruits déshonorants : Un 18 brumaire ne serait pas seulement monstrueux, il
serait le comble du grotesque. Le gouvernement qui sortirait de là
s'écroulerait le lendemain sous les éclats de rire de l'Europe. Ni les
Débats (23 septembre), ni l'Ordre
(13, 16 septembre) ne croient au coup
d'État. Cette dernière feuille a foi dans l'honneur
même du Président... Ce serait commettre le parjure le plus éclatant...
D'ailleurs, un coup d'État militaire est désormais impossible en France...
Il en est de même du Siècle (14, 15
septembre) : ... (Il manquerait)
à la fois à ses serments, à la reconnaissance, à sa
position, à son pays et à l'histoire... Où prendrait-on les exécuteurs du
coup d'État ? Nos Généraux et nos soldats sont des hommes d'honneur... Ce
n'est point parmi eux que l'on trouverait des traitres... Et puis, lors même
que ce coup d'État impossible à rêver, impossible à exécuter, trouverait des
instruments... après ? est-ce que la loi n'est pas là ? est-ce que nous
n'avons plus de magistrats ? est-ce que la commission de permanence n'est pas
à son poste ? est-ce que l'armée n'obéit plus à la voix de ses chefs ? est-ce
que la garde nationale est licenciée ? est-ce que nous ne veillons pas tous ?
enfin, est-ce que dans un pays de raison comme le nôtre, un coup d'État ne
serait pas une simple saturnale d'un jour ? Il faut, en vérité, que les Gens
qui répandent... ces bruits... aient une grande confiance dans la crédulité
universelle. Quoi !... en présence des pouvoirs constitués, du peuple, de la
garde nationale, de l'Europe, on essayerait de confisquer la République ?
Allons donc ! C'est de la folie d'y penser, c'est de la folie de le craindre,
c'est presque de la folie de le discuter... (Il n'y a qu'à) rire (28 septembre)... Napoléon
lui-même ne pourrait, dans les circonstances présentes, accomplir un 18
brumaire... Les bruits de coup d'État avaient passé le détroit et même faisaient en Angleterre l'objet de toutes les conversations, à ce point que le ministre de l'intérieur disait alors à M. Rouher[32] : On m'a assourdi à Londres de ces prétendus projets du prince contre l'Assemblée. Tout le monde y croit en Angleterre, quoi que j'aie pu leur dire, mais décidément ces bruits sont ridicules. Je fais surveiller l'Élysée très attentivement ; mes agents n'ont pas aperçu le moindre indice. Décidément, il n'y a rien. Le ministre se trompait. Il y avait quelque chose. D'ailleurs, le 15 septembre, en posant la première pierre du deuxième pavillon des Halles, le prince passait sous silence les bruits de coup d'État et parlait comme un homme qui a de longs jours devant soi : ... Je me livre avec confiance à l'espoir qu'avec l'appui des bons citoyens et avec la protection du ciel, il nous sera donné de jeter dans le sol de la France quelques fondations sur lesquelles s'élèvera un édifice social assez solide pour offrir un abri contre la violence et la mobilité des passions humaines. Ce n'était pas seulement M. Léon Faucher qui se trompait, c'était le ministère tout entier qui était convaincu que rien ne se tramait, et notamment le ministre du commerce, M. Buffet, qui, au Comice agricole de Mirecourt, répondait à un toast : ... La peur ? Qui donc a peur ? Et dé qui et de quoi aurait-on peur ? Est-ce que ce sera la violence qui sera appelée à dénouer la situation ? Est-ce qu'une surprise est possible ? Ce ne sera, M. le Président de la République l'a déclaré avec l'assentiment du pays, ce ne sera ni la violence, ni la surprise qui disposerait de nous malgré nous. Les amis du prince, les intimes, depuis le rejet de la révision, ne cessaient de lui dire qu'il n'y avait plus rien à espérer[33], que la volonté nationale ne faisait pas l'ombre d'un doute, qu'il fallait en finir. MM. de Morny, Roulier, Granier de Cassagnac, Abbatucci, de Casabianca, de Turgot, Fortoul, Bineau, Ducos, de Heckeren, d'autres encore, et le premier de tous, M. de Persigny, revenaient constamment sur la nécessité d'un coup d'État, qui s'imposait d'une façon pressante et inéluctable au patriotisme du Président, en face d'une Assemblée impuissante à faire le bien du pays et insurgée contre le vœu du peuple. Le prince écoutait, parlait peu et ne se prononçait point. Personne n'avait le droit de dire : Le prince veut faire un coup d'État. Il céda enfin, croyant ainsi répondre tout à la fois à la voix de la nation, — ce qui est certain, — et à la voix de Dieu, ce qui l'est moins. Et, tout en sauvegardant la souveraineté populaire dans sa pensée par une ratification ultérieure, il fixa le coup d'État au 17 septembre[34], en ne mettant dans la confidence que trois personnes, le préfet de police M. Carlier, et les généraux Magnan et de Saint-Arnaud. Au dernier moment, l'hésitation du préfet de police, et surtout l'avis émis par les deux généraux, notamment par le général de Saint-Arnaud, qu'il valait infiniment mieux attendre le retour de l'Assemblée qu'on aurait ainsi sous la main, décidèrent le prince à reculer l'exécution du coup d'État[35]. Le ministère, moins impatient que l'entourage du prince, estimait que la question de la révision n'était point enterrée et conservait l'espoir que la force des choses triompherait de toutes les résistances. C'est pourquoi, le 25 septembre, M. Léon Faucher disait au Comice de Châlons : ... Vous vous rappelez de quelle hauteur la France tomba dans l'abîme de Février. Vous savez comment la Providence, prenant Louis-Napoléon par la main, s'est servie de lui pour rétablir l'ordre. Une dernière barrière nous retient ; ce ne sera pas trop des efforts persévérants et patriotiques de tous les bons citoyens pour la détruire... C'est de Châlons même qu'est parti eu 1849 le premier cri de révision, ce cri qui a trouvé pour échos, en 1851, les signatures de un million sept cent mille pétitionnaires et les votes de quatre-vingts conseils généraux[36]. La France est majeure, et aucun obstacle ne peut arrêter, ni aucun lien enchaîner sa volonté... Le Constitutionnel (25
septembre 1851), par la plume enflammée de M. Granier de Cassagnac qui
connaissait depuis quelques jours les résolutions du prince, sonne la charge
contre la Constitution. S'il est vrai que la ruine
du pays ne puisse être conjurée que par la révision, et c'est là.une vérité
incontestable, et si l'on est résolu à ne demander cette révision qu'à une
légalité stricte et formaliste, on n'aura pas cette révision, et la France
doit se résigner à périr. Il devrait être superflu de démontrer
l'impossibilité de gouverner et de sauver le pays avec une Constitution qui
nous vaut les transes dans lesquelles nous vivons depuis trois ans, que la
France repousse, qui arrête et tue les transactions, qui en trois ans
réduirait l'agriculture et l'industrie au néant, qui nous affaiblit à nos
propres yeux et aux yeux de l'Europe... En résumé, la France meurt de la
Constitution. La France est-elle résignée à périr plutôt que d'être sauvée en
dehors du texte des règles qu'elle n'a d'ailleurs ni faites ni sanctionnées ?
Un journal, le Bulletin de Paris (2
octobre), parle, de son côté, de l'émotion
immense, du frisson universel qui frappent la France à la pensée du
changement possible du chef de son gouvernement, et qui paralysent ses
mouvements, ses facultés et son travail... Un écrivain disait aujourd'hui
qu'il n'y a pas de Charenton pour les peuples ; nous croyons qu'il fats rait
en bâtir un pour la France, si, voyant et touchant du doigt le remède à tous
ses maux, le préservatif de tous les désastres qui la menacent, elle se
laissait égarer par quelques intrigants ambitieux jusqu'au point de dédaigner
ou de rejeter son salut. A cela le Siècle (2, 15 octobre) répond : On n'a certes jamais rien dit aux royautés le plus grandes
qui approche de ces prodigieux coups d'encensoir. Ni Louis XIV ni Louis XV
n'en ont reçu de pareils... Cela ne rappelle-t-il pas le temps où les Césars
étaient divinisés vivants ? Car que dirait-on de plus d'un dieu ?... A qui
fera-t-on croire que la nécessité de conserver tel ou tel homme à la tête du
pouvoir... vaille non pas une goutte de sang, mais une goutte d'encre ?
Qu'est-ce que cette prétendue nécessité des hommes à laquelle la tuile de
Pyrrhus, la tortue d'Eschyle ou le grain de sable de Cromwell mettent fin
tout à coup ? Si la Providence avait voulu créer des hommes nécessaires, elle
les eût faits immortels... Pétitionnez de suite auprès de la Providence et
demandez pour lui un brevet d'immortalité... Nous nous demandons comment il
se trouve des esprits assez naïfs pour croire à un coup d'État. Comme si,
dans le temps où nous sommes, un homme, quel qu'il fût, pouvait pétrir une
grande nation comme un morceau d'argile !... Est-ce qu'il pourrait... en
vingt-quatre heures transformer à l'aide de sa signature les destinées de 35
millions d'individus ?... Le National (14 octobre 1851) dit aussi dans le même sens : Si les détestables passions d'une coterie factieuse
l'entraînaient à faire une tentative insensée..., le peuple et l'armée... (en)... auraient
bien vite raison. On peut croire à un coup de tête ; personne ne croit plus
aux coups d'État... Ce qui n'empêche pas le Constitutionnel (20 octobre 1851) de continuer de plus belle
: Seul, Louis-Napoléon, par la popularité de son
nom, par la source de son pouvoir qui sort des entrailles mêmes des
populations, peut lutter avec avantage contre les principes destructeurs de
la société ; seul il peut dépopulariser le socialisme..., seul il peut
abattre le terrorisme, les conspirations, les sociétés secrètes ; seul, le
neveu de l'Empereur... peut sauver les églises et les châteaux menacés par
une immense guerre de sauvages[37]. Dans la dernière semaine d'octobre, des bruits de crise ministérielle se répandent. On prétend que le prince veut à tout prix le rappel de la loi du 31 mai 1850, qui a supprimé environ trois millions d'électeurs, et que le ministère s'y oppose absolument. C'était vrai. N'ayant plus rien à attendre de l'Assemblée, il rompait avec elle ; il répondait au rejet de la révision par une proposition de retour au suffrage universel. Il avait consenti au vote de la loi du 31 mai, mais à son corps défendant, par condescendance pour la majorité ; il avait commis là, par ambition, au regard de ses convictions intimes les plus chères, de sa foi dans la souveraineté populaire, un acte de faiblesse des plus regrettables. Quoi qu'il en soit, sa volonté de revenir au suffrage universel qui l'avait sacré, comme pas un homme ne le fut et vraisemblablement ne le sera jamais, était un coup de maitre. S'il était voté, tout l'honneur lui en reviendrait ; et s'il était rejeté, l'impopularité de l'Assemblée serait poussée à l'extrême. Le 27 octobre, le ministère, déjà démissionnaire depuis plusieurs jours et composé de MM. Baroche, Roulier, Buffet, Léon Faucher, Magne, Fould, Chasseloup-Laubat, de Crouseilles, Randon, était remplacé par un nouveau ministère composé de MM. David[38] à la justice, Turgot[39] aux affaires étrangères, Giraud[40] à l'instruction publique, de Thorigny[41] à l'intérieur, de Casablanca[42] à l'agriculture et au commerce, Lacrosse[43] aux travaux publics, Fortoul[44] à la marine, Blondel[45] aux finances, le général Leroy de Saint-Arnaud à la guerre. En outre, M. de Maupas[46], préfet de la Haute-Garonne, était nommé préfet de police en remplacement de M. Carlier. Le Président savait qu'il pouvait compter surie dévouement
absolu de M. de Maupas. Quelques jours avant le 27 octobre, il lui disait[47] : J'apprécie à toute leur valeur les hommes qui me servent
en ce moment ; je suis plein d'estime pour leur talent, mais ils pensent
autrement que moi ; ils voient le salut du pays là où je vois sa perte. Se
traîner à la remorque de cette Assemblée et perdre en vaines querelles le
temps qui nous sépare de 1852, c'est marcher en aveugles à une catastrophe
inévitable. Il faut en finir, il faut agir, il faut à tout prix sauver ce
malheureux pays qui va droit aux abîmes... La situation actuelle est trop
tendue pour pouvoir se prolonger au delà de quelques semaines ; si je n'agis
pas, mes adversaires prendront les devants ; ils n'ont ni l'autorité
nécessaire pour entraîner l'armée à leur suite, ni l'appui de l'opinion ; ils
sont divisés ; leur tentative de coup de force avorterait ; la guerre civile
en serait la conséquence inévitable ; ce malheureux pays serait livré à
l'anarchie ; nous verrions revenir les horreurs de 1793. Il n'y a que mon nom
qui soit une-force suffisante pour rassurer le pays, pour entraîner
l'armée... Plus que jamais aujourd'hui je suis décidé à agir... Je me vois au
bord d'un large fossé plein d'eau ; il est sans doute difficile à franchir,
mais je vois sur l'autre rive le salut de mon pays. Je vous donnerai
l'exemple, je serai à votre tête, je me jetterai le premier à la nage ; mais,
pour Dieu, suivez-moi, et le pays sera sauvé... Le nouveau ministère est accueilli par les huées de la
presse opposante. C'est, dit le Siècle
(28 octobre), traiter
l'Assemblée avec un sans-façon un peu trop cavalier que de lui offrir cette
collection de nullités uniquement destinées à masquer la politique personnelle.
Le Président a groupé autour de lui des doublures afin de se réserver le rôle
principal... L'Ordre (29, 31
octobre) déclare que ces nominations ont produit ... un double sentiment d'ironique dédain et de douloureuse
indignation, et que tout d'abord on s'est pris de rire en voyant cette
étrange collection de noms inconnus, d'incapacités notoires... Le
surlendemain, ce journal ajoute : ... La folie du
parti élyséen est aujourd'hui tellement manifeste que la présence même de
ministres sérieux ne suffirait pas à rassurer l'opinion... Suivant les
Débats (29 octobre), à la salle des conférences, à la Bourse, dans les salons,
dans la presse, l'étonnement est universel, la confusion et l'incertitude
sont à leur comble. L'Union (27,
28, 31 octobre) écrit que le divorce est
consommé, que la rupture est faite... Tout le monde en apprenant ces
nominations disait : Est-ce bien sérieux ?... L'ébahissement est devenu
presque universel... L'Élysée vient de jeter le premier cri de guerre...
L'étoile bonapartiste, voilà donc le salut !... L'Opinion publique
(28 octobre) traite le ministère d'incolore, de complaisant et de subalterne, y voit un
amoindrissement considérable du pouvoir et constate que la responsabilité
présidentielle passe sur le premier plan... L'idée (31 octobre) de
substituer l'arbitraire d'un seul... d'un nom au pouvoir d'une grande Assemblée,
ne nous paraît pas seulement abjecte, elle nous parait insensée... Quant
à la loi du 31 mai, Louis-Napoléon a la voulait (21
octobre) il y a un an parce qu'il espérait obtenir de la majorité la
prorogation, il n'en veut plus parce qu'il ne l'espère plus aujourd'hui ;
l'opinion change parce que l'intérêt change... ; c'est une pitié, et vous
préparez d'inépuisables gaietés à l'histoire. Non, nous n'avons pas besoin de
sauveurs, ils coûtent trop cher... ; nous nous sauverons nous-mêmes... Le Pays
(31 octobre) s'écrie par la plume de M.
de la Guéronnière : ... Nous ne doutons pas
qu'il ne préfère glorifier son nom dans la fondation d'un gouvernement libre
que de le compromettre dans une aventure... Nous aimons mieux croire à la
probité qu'à l'intrigue, au bon sens qu'à la démence... Parce qu'on a
l'honneur d'être le chef d'un gouvernement, cela ne veut pas dire que l'on
soit nécessairement un fou ou un aventurier... ; jusqu'à preuve du contraire,
nous persistons à penser qu'il peut y avoir un honnête homme dans un grand
nom... ; puis par celle de M. de Lamartine[48] : ... Un coup d'État ?... Nous ne répondons qu'en levant les
épaules depuis trois ans..., nous ne croyons ni à la folie, ni au crime, ni à
l'impossible... Les journaux publient la lettre suivante, adressée (30 octobre) par Félix Pyat au Président : J'ai à cette heure l'amère satisfaction du : Je l'avais
bien dit !... Il est prouvé, ainsi que je l'affirmais à la tribune le 5
septembre 1848, que la présidence... avec une base électorale si large...,
c'était une vraie royauté, grosse d'ambitions et de périls ; que,
indépendante et rivale de l'Assemblée, elle recommencerait à coup sûr... le
duel des royautés contre les parlements... ; que le pouvoir exécutif les mots
disent les choses — ne devait être que l'agent du législatif ;... que les
corps à deux têtes sont des monstres... Cela fit beaucoup rire dans le temps
M. de Tocqueville et les autres Américains ; ils n'ont plus si envie de rire
aujourd'hui... A voir l'engouement de la France pour le grand nom que vous
portez, à voir votre candidature voler de clocher en clocher avec l'essor
mênie de l'aigle impériale, votre élection s'étendre d'un horizon à l'autre
avec la promptitude invincible de la foudre... comme une sorte de choléra
national... ; devant cette UNANIMITÉ
PRODIGIEUSE d'opinion... vous avez pu et dû (avoir) le vertige,
vertige concevable, excusable, car il était GÉNÉRAL ; vous avez expliqué
votre SUCCÈS IMMENSE, INOUÏ,
UNIQUE DANS LES FASTES DE L'HISTOIRE, par un
retour d'idolâtrie... pour la monarchie ; dans votre personne... Il y avait
de quoi certes tourner la tête à de moins princes que vous ; il y avait de
quoi conclure... que la France était bonapartiste... C'était là votre erreur,
Monsieur !... Votre élection a été un acte révolutionnaire... L'Empire,
c'était une partie de la Révolution... L'Empereur lui-même, c'était un
parvenu... Un lieutenant passé Empereur, un clerc d'huissier roi de Suède, un
palefrenier roi de Naples, vingt-quatre soldats maréchaux d'empire, le peuple
devenant souverain..., voilà le mot de l'énigme, Monsieur... ; voilà ce qui a
fait votre élection... Sous la monarchie, le peuple en dix siècles n'avait
compté que cieux des siens devenus maréchaux, Fabert et Chevert ; sous
l'Empire, en dix ans il ne comptait pas cieux nobles devenus maréchaux.
L'Empire exaltant le peuple, bouleversant le vieux monde, déplaçant nobles et
rois, mettant la France et l'Europe sens dessus dessous pour introniser les
plus braves, ce n'était donc pas tout à fait l'ordre, la conservation...
c'était tout le contraire, c'était la révolution !... Quels étaient vos
droits à l'estime (des conservateurs) ?... Le nom de Bonaparte, deux
insurrections, un livre communiste, n'étaient pas des titres (auprès d'eux)...
Vous n'étiez pas leur homme... (mais)... ils ont flairé... le pouvoir frais, et, chevaux de
Darius, ils ont salué le soleil levant... ; ils vous ont élu malgré eux,
entraînés par le courant populaire et. dans l'intention de le dominer... ;
ils vous ont embrassé pour vous étouffer. Ils ont voulu faire du prétendant
un pont, une planche à passer de la République à la Régence et à la
Royauté... L'Empire est impossible... parce que pour chasser une Assemblée il
faut revenir d'Égypte et non de Versailles... L'Empire même du véritable
Empereur était un régime monstrueux, inhumain, impossible... ; c'était le
droit brutal de la force, le règne du sabre ; c'était la tyrannie au dedans
et au dehors, c'était l'Europe opprimée par la France, la France opprimée par
un homme... L'Empire... c'est la dictature d'abord et l'invasion ensuite...
L'invasion... a condamné à jamais l'Empire... Ne vous immolez pas... ; nous
nous passerons d'holocauste ; le temps des Messies mâles ou femelles, des
Jésus ou des Jeanne d'Arc, n'est plus. La France n'a pas besoin d'être si
sauvée que vous le croyez... il n'y a personne de nécessaire... faute d'un
prétendant la France ne meurt pas. Ne nous sauvez pas malgré nous, de grâce !... L'émotion causée par la composition du nouveau cabinet n'était pas calmée qu'une circulaire du ministre de la guerre, à peine installé, vint l'exalter encore. Elle était adressée aux généraux commandant les divisions territoriales et ainsi conçue : La confiance que l'armée inspire, elle la doit à sa discipline, et nous le savons tous, général, point de discipline dans une armée où le dogme de l'obéissance passive ferait place au droit d'examen. Un ordre discuté amène l'hésitation, l'hésitation la défaite. Sous les armes le règlement militaire est l'unique loi. La responsabilité qui fait la force et l'autorité militaire ne se partage pas ; elle s'arrête au chef de qui l'ordre émane, elle conserve à tous les degrés l'obéissance et l'exécution. Dans les luttes intestines, la discipline assure le triomphe de l'ordre... Soyons prêts à tout, et soit qu'il faille un jour soutenir au dehors l'honneur de nos armées, soit qu'au dedans la société en péril cherche en nous son plus ferme appui, que ces sentiments qui m'animent et qui sont aussi les vôtres, entretenus dans les rangs de l'armée, la maintiennent à la hauteur de sa double mission... Ce document militaire, qui en toutes autres circonstances eût passé inaperçu, ou même eût été trouvé très correct, fait une impression énorme. On y voit le coup d'État ; c'est le général qui prévient les soldats qu'ils devront obéir aveuglément. Le Siècle (2 novembre) le considère comme ayant une gravité excessive. ... Supposons que le Président... ordonne d'expulser de l'Assemblée les représentants... Les généraux, dans la doctrine de M. de Saint-Arnaud, sont évidemment tenus d'obéir sans examen... Si l'expulsion se fait heureusement, c'en est fait en un tour de main du pouvoir parlementaire et de la liberté du pays. Le dogme de l'obéissance passive livre à celui qui dispose de la force toutes les positions, toutes les places, toutes les lois... Il y a dans la Constitution divers articles qui font à l'armée une nécessité absolue du droit d'examen... La discipline n'est pas l'arbitraire du commandement... L'armée devrait (donc) apprendre à n'avoir plus de conscience... qu'il n'y a plus ni lois, ni droit, ni justice... ; qu'il n'y a que des chefs aux ordres desquels il faut obéir, quels que soient ces ordres... (L'armée) n'est point instituée pour devenir l'humble prétorienne du premier ambitieux... L'ère des Césars ne reviendra pas... Pour le National (2, 3 novembre), la circulaire est un outrage flagrant aux principes constitutionnels. Dans la séance du 4 novembre, l'Assemblée reprenait ses
travaux et entendait la lecture d'un message présidentiel, dont voici les
principaux passages : ... Une vaste conspiration
démagogique s'organise en France et en Europe ; tout ce que les partis
renferment d'insensé, d'incorrigible... s'est donné rendez-vous en 1852, non
pour bâtir, mais pour renverser... Partout le travail se ralentit, la misère
augmente, les intérêts s'effrayent et les espérances antisociales s'exaltent,
à mesure que les pouvoirs publics affaiblis approchent de leur terme... Mon
devoir n'a pas changé, c'est de maintenir l'ordre inflexiblement, c'est de
faire disparaître toute cause d'agitations, afin que les résolutions qui
décideront de notre sort soient conçues dans le calme et adoptées sans
contestations. Ces résolutions ne peuvent émaner que d'un acte décisif de la
souveraineté nationale, puisqu'elles ont toutes pour base l'élection
populaire. Eh bien ! je me suis demandé s'il fallait en présence du délire
des passions, de la confusion des doctrines, de la division des partis, alors
que tout se ligue pour enlever à la morale, à la justice, à l'autorité leur
dernier prestige, s'il fallait, dis-je, laisser ébranlé, incomplet, le seul
principe qu'au milieu du chaos général la Providence ait maintenu debout pour
nous rallier ... Je me suis demandé si, lorsque des pouvoirs nouveaux
viendront présider aux destinées du pays, ce n'était pas d'avance
compromettre leur stabilité que de laisser un prétexte de discuter leur
origine et de méconnaître leur légitimité. Le doute n'était pas possible, et
sans vouloir m'écarter un seul instant de la politique d'ordre... je me suis
vu obligé, bien à regret... (de) choisir un autre (ministère)... qui (voulût) admettre la
nécessité de rétablir le suffrage universel... (Agitation contenue.) Il vous
sera donc présenté un projet de loi qui restitue au principe toute sa
plénitude en conservant de la loi du 31 mai ce qui dégage le suffrage
universel d'éléments impurs... (Mouvement.)... Je n'entends pas renier l'approbation que j'ai
donnée... à l'initiative prise par le ministère qui réclama des chefs de la
majorité, dont cette loi était l'œuvre, l'honneur de la présenter. (Mouvements ; exclamations.) Je reconnais même les effets salutaires qu'elle a
produits. (Sourires ; agitation.)En se rappelant les circonstances... on avouera
que c'était un acte politique... une véritable mesure de salut public... (qui ne doit avoir)
qu'un temps limité... La loi du 31 mai... a même dépassé le but... personne
ne prévoyait la suppression de 3 millions d'électeurs dont les deux tiers
sont habitants paisibles des campagnes. (Chuchotements.) ... Cette immense exclusion a servi de prétexte au parti
anarchique qui couvre ses détestables desseins de l'apparence d'un droit ravi
à reconquérir... Défectueuse... lorsqu'elle est appliquée à l'élection d'une
Assemblée, (la loi du 31 mai) l'est bien davantage lorsqu'il s'agit de la nomination du
Président (rires ironiques prolongés
à droite et à gauche), car si une
résidence de trois ans dans la commune a pu paraître une garantie de
discernement imposée aux électeurs pour connaître les hommes qui doivent les
représenter, une résidence aussi prolongée ne saurait être nécessaire pour
apprécier le candidat destiné à gouverner la France. (Rumeurs, chuchotements.) ... Autre objection grave... La constitution exige pour
la validité de l'élection du Président... 2 millions au moins de suffrages,
et s'il ne réunit pas ce nombre, c'est à l'Assemblée qu'est conféré le droit
d'élire. La Constituante avait donc décidé que sur 10 millions de votants...
il suffisait du cinquième pour valider l'élection. Aujourd'hui, le nombre des
électeurs se trouvant réduit à 7 millions, en exiger deux, c'est intervertir
la proportion, c'est-à-dire demander presque le tiers au lieu du cinquième,
et ainsi dans une certaine éventualité ôter l'élection au peuple pour la
donner à l'Assemblée. C'est donc changer positivement les conditions
d'éligibilité du Président... Enfin le rétablissement du suffrage
universel... donne une chance de plus d'obtenir la révision... (Celle-ci, disaient les adversaires de la
révision,) œuvre d'une Assemblée issue du
suffrage universel, ne peut pas être modifiée par une Assemblée issue du
suffrage restreint... Il est bon de pouvoir dire à ceux qui veulent lier le
pays à une constitution immuable : Voilà le suffrage universel rétabli ; la
majorité de l'Assemblée soutenue par des millions de pétitionnaires, par le
plus grand nombre des conseils d'arrondissement, par la presque unanimité des
conseils généraux, demande la révision : avez-vous moins confiance que nous dans
l'expression de la volonté populaire ?... On objecte, je le sais, que, de ma
part, ces propositions sont inspirées par l'intérêt personnel. Ma conduite
depuis trois ans doit repousser une allégation semblable. Le bien du pays
sera toujours... le seul mobile de ma conduite. Je crois de mon devoir de
proposer tous les moyens de conciliation... pour amener une solution
pacifique, régulière, légale, quelle qu'en puisse être l'issue... La
proposition que je vous fais n'est pas une tactique de parti, ni un calcul
égoïste, ni une résolution subite ; c'est le résultat de méditations
sérieuses et d'une conviction profonde... Rétablir le suffrage universel,
c'est enlever à la guerre civile son drapeau, à l'opposition son dernier
argument... Ce sera fournir à la France la possibilité de se donner des
institutions qui assurent son repos... En dehors de la popularité cherchée, le Président espérait-il aussi que cette abrogation de la loi du 31 mai 1850, tout en ne changeant rien aux dispositions révisionnistes de la majorité, lui ramènerait les voix opposantes, auquel cas le projet de coup d'État pourrait être abandonné ou du moins ajourné ? Quoi qu'il en soit, l'accueil fait au message, et par la presse, et par l'Assemblée, dut lui enlever sur-le-champ les illusions qu'il pouvait avoir. Les membres de la majorité disaient[49] : Les raisons qu'il donne pour abroger la loi du 31 mai existaient lorsqu'elle a été présentée ; tout cela n'est que mensonges répétés et perfidie prolongée ; il se moque de nous ! il est cynique ! Il nous trompe et il nous outrage ! C'est la guerre ! En dehors du Constitutionnel, de la Patrie
et du Pays (cette dernière feuille
revenait au prince), la presse ne montrait pas moins d'indignation. L'Opinion
publique (5 novembre 1851) dit : Depuis de bien longues années jamais on n'avait vu le
gouvernement d'un grand pays prendre une telle attitude, parler un semblable
langage. Ce serait à n'y pas croire si on ne l'avait vu de ses propres yeux,
entendu de ses propres oreilles... Le message, c'est la décadence... Pas un
aperçu neuf, pas une idée... La puérilité, la naïveté, l'égoïsme dans ce
qu'il a de moins acceptable, la témérité, la vanité dans ce qu'elle a de plus
effréné... Il termine en disant qu'on aurait tort de penser qu'il entre dans
sa résolution l'ombre d'une pensée personnelle. Pas un membre à ces mots n'a
pu conserver son sérieux.... Ce journal publie dans ses numéros des 4,
5, 7 novembre un article intitulé : Comment se fit le coup d'État de
Fructidor. — Les Débats (5
novembre) exposent que l'effet produit sur
l'Assemblée a été déplorable... La majorité n'a pas voulu se laisser
convaincre qu'on a la ferme intention de marcher d'accord avec elle, au
moment même où l'on vient lui proposer de se désavouer elle-même en
détruisant l'acte le plus important de sa carrière.., celui qu'elle considère
comme la base essentielle de sa politique... (C'est) le déplorable abandon des
principes qui avaient maintenu jusqu'à présent l'union (des pouvoirs)... ;
c'est un défi jeté (7 novembre) à la Chambre... L'Union (5 novembre) s'écrie : Le message,
c'est la guerre ! c'est l'acte le plus éclatant de rupture avec la majorité.
L'Assemblée nationale (5 novembre)
estime que le pouvoir exécutif vient de rompre avec
la majorité. Il n'est plus possible de se faire illusion sur le sens de cette
inconcevable attaque... Jamais un ministre, jamais une royauté n'avaient
traité une Assemblée avec aussi peu d'égards ; jamais l'intérêt privé... ne
s'était montré avec tant de cynique franchise ; c'est un manifeste adressé à
1a nation pour accuser le pouvoir législatif... Le seul but du message est de
quêter la popularité... Si des ennemis mortels avaient voulu perdre le
Président... auraient-ils imaginé un plus incroyable tissu de non-sens, de
contradictions, un plus maladroit plaidoyer contre la loi du 31 mai, contre
le drapeau du parti de l'ordre, un plus pauvre manifeste de réélection ?...
Le Président... a pour allié la Montagne ! ... La Patrie[50], au contraire, déclare qu'il faut plus que jamais un gouvernement
d'ordre... Si les bases de ce gouvernement ne se trouvent ni dans le parti
légitimiste, ni dans le parti orléaniste, ni dans le parti démocratique, ces
trois partis doivent à leur conscience, à leur honneur, à leur devoir, ils
doivent au pays de le chercher et de le choisir en dehors d'eux... S'il
existe un autre homme que Louis-Napoléon pour établir ce gouvernement
d'ordre, assez populaire pour s'appuyer sur la nation, nous l'adopterons ;
mais vainement nous cherchons autour de nous cet autre sauveur des lois, de
la famille, de la propriété et de la religion ; nous ne le voyons pas...
Dans le Pays (6 novembre 1851), M. de la Guéronnière
considère le message comme un acte de réparation. A l'explosion de mécontentement causée par le message vient se joindre la persistance de plus en plus grande et obstinée des bruits de coup d'État. La situation se tend chaque jour davantage, devient impossible ; les esprits s'irritent et s'exaltent ; on sent la bataille imminente, on a la persuasion que d'une façon ou d'une autre la fin de ce qui existe est fatale et proche. Les membres de la majorité jettent un cri d'alarme ; ils disent que le prince est à la veille de consommer un attentat contre la Représentation nationale ; que tout le monde le proclame ; que c'est l'évidence même ; qu'il faut prendre les devants. Ils sont décidés à se défendre, et parmi les plus résolus se trouvent précisément les trois questeurs, Baze, général Le Flô et de Panat. Et comme il peut exister des doutes sur les conditions d'exercice du droit de défense reconnu à ceux qui représentent l'Assemblée nationale, ils déposent une proposition de loi ainsi conçue : Article premier : Le président de l'Assemblée nationale est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l'Assemblée ; il exerce au nom de l'Assemblée le droit conféré au pouvoir législatif par l'article 39. de la Constitution de fixer l'importance des forces militaires pour sa sûreté, d'en disposer et de désigner le chef chargé de les commander. A cet effet, il a le droit de requérir la force armée et toutes les autorités dont il juge le concours nécessaire. Les réquisitions peuvent être adressées directement à tous les officiers commandants ou fonctionnaires, qui sont tenus d'y obtempérer immédiatement, sous les peines portées par la loi. Article deuxième : Le président peut déléguer son droit de réquisition aux questeurs ou à l'huissier. Article troisième : La présente loi sera mise à l'ordre du jour de l'armée et affichée dans toutes les casernes sur le territoire de la République. Le Constitutionnel (8
novembre 1851) raille : Le ministre de la
guerre... pourrait... (céder sa place) à M. le questeur Baze, ce spirituel avocat de
Lot-et-Garonne, mais qui n'a jamais fait la guerre qu'au Président de la
République. M. Baze pourrait aussi de son autorité privée retenir sous ses
ordres le préfet de police, le préfet de la Seine, tous les commissaires de
police, tous les officiers de paix, tous les sergents de ville et jusqu'à la
gendarmerie... M. Baze... pourrait aussi devenir le chef du pouvoir exécutif....
La réquisition (9 novembre) directe... par le pouvoir législatif serait, de soi, une
mesure à ce point révolutionnaire qu'elle aurait pour effet immédiat de
dissoudre la société. Croit-on qu'il se trouvât des colonels pour faire
afficher dans les casernes une loi portant que l'armée devrait désormais
obéissance à deux chefs distincts et séparés, le Président de la, République
et le président de l'Assemblée ? Il ne s'en trouverait pas un !... Si
l'Assemblée prend la moitié du pouvoir exécutif, nous avons l'anarchie ; si
elle le prend tout, nous avons une Convention... Il faudrait mettre dans un
hôpital de fous ceux qui veulent donner à l'Assemblée le droit de requérir
directement la force publique. Et tout cela, mon Dieu ! pour ne pas vouloir
vivre avec le pays, pour ne pas vouloir écouter ses vœux, ses prières, sa
volonté... Quelques écervelés (17
novembre) de l'Assemblée ne se préoccupent
pas de se défendre contre la démagogie et le socialisme, et ne veulent
s'armer que contre le Président. Le pays prendra en pitié... de si folles
imprudences... Qui donc a préservé la société en 1848 ? Qui donc a ramené
l'ordre ? Qui donc a relevé le pouvoir par ce merveilleux accord de six
millions de suffrages ?... La France entière, par la voix de deux millions de
pétitionnaires, par la voix du plus grand nombre de conseils
d'arrondissement, par la voix de quatre-vingts conseils généraux, a demandé
la révision. Voilà le vœu du pays. Les Débats (10 novembre 1851) condamnent la proposition
des questeurs : Comment concilier la situation que
l'on veut créer avec le principe salutaire de la discipline et de la
séparation des pouvoirs ? Si le président de l'Assemblée a le droit de
requérir directement la force armée... il est évident que l'on met deux
armées en présence, l'armée de l'Assemblée et l'armée du président... C'est
la guerre civile organisée. La mesure proposée sera considérée comme une
mesure de vengeance et de colère, comme un acte de représailles !... Ils
ajoutent (17 novembre) que la
Constitution est suffisamment claire et formelle ; que clans le cas d'un
attentat du pouvoir exécutif, ses attributions passeraient de plein droit à
l'Assemblée ; que si l'armée ne veut pas comprendre la Constitution, ce ne
sont pas les développements qui lui en rendront l'intelligence plus facile.
M. de la Guéronnière (8 novembre 1851),
dans le Pays, affirme que l'indépendance parlementaire ne court pas le
moindre risque, que personne ne rêve un 18 fructidor, qu'il n'y a ni un
pouvoir exécutif assez audacieux pour l'oser, ni des généraux assez ambitieux
pour le seconder ; que la France n'est pas assez dégradée pour ne pas trouver
son salut en elle-même, et que les bruits de coup d'État ne sont plus que
ridicules et risibles. M. de Lamartine ajoute bientôt (14 novembre 1851) dans le même sens : Quos vult perdere Deus dementat. Quand Dieu veut perdre un parti, il lui enlève le bon
sens. Nous ne croyons pas que depuis qu'il existe des Assemblées dans le
monde, on ait jamais présenté sérieusement au nom dune majorité une
proposition aussi attentatoire au sens commun, aussi puérile et aussi
révolutionnaire à la fois. Elle restera comme un monument de l'aberration...
Quant aux résultats matériels de la proposition, la pensée se refuse à les
analyser. La moitié d'un gouvernement la main levée contre l'autre ! Une
armée du président sur la rive droite de la Seine, une armée de l'Assemblée
sur la rive gauche... Dans la seule proposition (il y a) un outrage
au pouvoir exécutif. Depuis quand un outrage n'est-il pas un commencement d'hostilité
?... Et le Pays dit encore par la plume de M. de la Guéronnière
que le coup d'État est imaginaire et chose fantastique dont les imbéciles
seuls pourraient avoir peur ; puis par celle de M. Ducuing : L'Empire est fait, dites-vous. Ah ! ne vous calomniez pas
ainsi vous-mêmes. Ce n'est pas seulement une campagne d'Italie et une
expédition d'Égypte qu'il faut derrière un 18 brumaire. Il faudrait encore
pour complice une nation... ayant perdu la foi de ses destinées, et, comme
César, s'enveloppant pour mourir dans un manteau de gloire. Ce qu'il faudrait
encore, c'est une Assemblée ayant abdiqué toute dignité et tout courage, un
Parlement-croupion à la porte duquel un nouveau Cromwell vînt écrire : Maison
à louer non meublée... La Presse (17
novembre) soutient que le coup d'État est un péril imaginaire
qu'affectent de craindre MM. Thiers, de Rémusat, Changarnier, Lamoricière,
Leflô et autres. La destruction du gouvernement
serait l'œuvre de l'armée de Paris !... J'ai entendu (dit Émile de Girardin), de mes oreilles entendu, M. Thiers soutenir cela en
gardant son sérieux !... Le lendemain du jour où le Président aurait dispersé
l'Assemblée, qui pourrait-il prendre pour ministres ? A quel titre
gouvernerait-il ?... Un pouvoir ainsi dérobé n'aurait pas vingt-quatre heures
d'exercice !... Au contraire, l'Ordre (10
novembre 1851) approuve la proposition des questeurs : De tristes exemples, celui du 18 fructidor notamment,
prouvent qu'une Assemblée est perdue quand elle attend au dernier moment pour
prendre des mesures de salut... Le droit (17
novembre) (qu'a l'Assemblée) de pourvoir directement à sa sûreté sera-t-il une lettre
morte, ou ce droit recevra-t-il une organisation qui permette d'en user ?...
En présence d'éventualités menaçantes, l'Assemblée croira-t-elle qu'il est de
son honneur... de se mettre à la merci du pouvoir exécutif ? En un mot,
l'Assemblée nationale abdiquera-t-elle ? On a vu des Assemblées céder à la
force et subir des 18 brumaire. On n'en a pas vu encore préparer elles-mêmes,
en se désarmant volontairement, les coups d'État qui doivent les emporter.
L'Opinion publique (8 novembre 1851)
dit aussi : Rien de plus siffiple, de plus logique,
de plus naturel que cette proposition... Il ne serait pas sérieux de
prétendre que l'Assemblée, qui ne peut user de son droit de réquisition que
pour se mettre en garde contre le pouvoir exécutif, doit s'adresser pour cela
au ministre de la guerre du pouvoir exécutif. Autant vaudrait dire qu'en cas
d'incendie il faudrait demander de l'eau à la flamme... Convient-il (9 novembre) que (le
droit de réquisition) soit nettement défini et réglé d'une manière si claire
et si incontestable que tous les chefs militaires voient bien la mesure et la
limite de leurs devoirs, et qu'ils ne puissent jamais hésiter ?... La pire
des anarchies serait une situation tellement équivoque que l'obéissance des
chefs militaires put dépendre de l'interprétation d'un texte obscur...
L'Assemblée nationale (10 novembre
1851) veut espérer qu'il n'y aura personne
d'assez puissant dans le pays pour se placer au-dessus des lois et pour
assurer le triomphe d'un 18 brumaire... Le Siècle (16 novembre) s'écrie : Si l'Assemblée (ne
vote pas la proposition,) il n'y a plus qu'un
pouvoir, le pouvoir exécutif, et c'est alors que l'on pourrait dire avec
vérité : L'Empire est fait ! Le 10 novembre, la Commission[51], chargée d'examiner la proposition des questeurs, se réunit pour entendre les ministres de l'intérieur et de la guerre. Ceux-ci déclarent s'opposer formellement à la prise en considération. Le ministre de l'intérieur demande quelle crainte sérieuse, quelle tentative inconstitutionnelle, quel acte, quelle parole émanée du gouvernement ont pu éveiller les susceptibilités de l'Assemblée et justifier ses défiances. Le message est plein de respect pour les droits de l'Assemblée, l'exposé de motifs rend justice aux services rendus par la loi du 31 mai au moment de sa promulgation. Pour arriver à son abrogation, le gouvernement a pris la forme la moins blessante, il s'agit d'un projet de loi soumis à tous les amendements... Il n'y a rien là qui puisse motiver la proposition des questeurs... L'Assemblée ne saurait avoir une existence complètement indépendante du pouvoir exécutif, auquel la proposition porte la plus grave atteinte. Le choix des troupes, la nomination du chef par l'Assemblée formeraient deux camps. Quel refus de la part du ministre de la guerre a pu justifier une pareille défiance ?... Le gouvernement aura toujours la plus grande déférence pour les vœux de l'Assemblée ; il désire l'union, le parfait accord des pouvoirs. M. de Thorigny en tenant ce langage était absolument sincère, car il ignorait les arrière-pensées du prince, résolu à aller jusqu'au bout. — Le président de la commission pose alors la question suivante : Le décret du 11 mai 1848 a-t-il (aux yeux du ministre de la guerre) conservé son autorité ? — Et le général de Saint-Arnaud de répondre : Le décret est toujours copié sur les registres des régiments qui arrivent à Paris et affiché dans les casernes. Le renouvellement de ce décret, qui est encore en vigueur... produirait un mauvais effet sur les troupes... Que l'Assemblée s'adresse au ministre, il s'empressera d'exécuter ses ordres et se fera gloire de marcher à sa défense. — Pardon ! dit le président, il faut se placer dans certaines hypothèses. Si le ministre de la guerre est loin... — Le général de Saint-Arnaud l'arrête : Il y a un principe qui domine tout, c'est l'unité du commandement. Le ministre de la guerre peut toujours se trouver, et le droit donné à un questeur de faire quitter à un chef de corps une position importante peut compromettre la défense générale. Que l'Assemblée demande au ministre toutes les troupes qu'elle juge nécessaires à sa sûreté, elles lui seront accordées... — Pardon ! pardon ! reprend le président, mais nous ne nous entendons pas du tout, oh ! mais pas du tout... Il y a un cas qui peut se présenter, c'est celui de l'antagonisme entre les deux pouvoirs ; or, pour assurer son indépendance contre le pouvoir exécutif, il est de toute évidence que l'Assemblée ait un droit de réquisition directe. — Le ministre de la guerre déclare qu'il ne peut répondre à une supposition inadmissible. — Le président s'étonne que dans sa circulaire du 28 octobre le ministre de la guerre n'ait point prononcé les mots de loi, institutions. — Le ministre répond que l'omission a été volontaire ; qu'il croit la loi placée trop haut pour la faire descendre dans des circulaires ; qu'il n'y a pas à en recommander l'exécution à des hommes qui la portent dans leur cœur ; que lui, ministre, serait le premier à respecter la loi et à la faire respecter de tous. Interpellé à nouveau sur le décret du 11 mai 1848, il déclare encore qu'il est affiché dans les casernes, qu'il est copié dans les instructions de chaque régiment, qu'il a force obligatoire. — Et le ministre de l'intérieur renouvelle cette déclaration de son collègue. — Un membre fait judicieusement observer que si le décret a force de loi, il entraîne tous les inconvénients reprochés par le cabinet à la proposition des questeurs. —A cela le MINISTRE DE LA GUERRE[52] ne répond rien, si ce n'est que l'Assemblée pourra donner des ordres au commandant des troupes qu'elle aura demandées, mais que le pouvoir exécutif seul peut en nommer le chef. — Le président fait des réserves. — Le ministre de la guerre déclare qu'il n'y a plus d'armée si un commandement peut être donné sans l'intervention du ministre de la guerre. Que l'Assemblée demande un général, le ministre s'empressera de le nommer, mais la nomination doit venir de lui. En définitive, le ministre niait le droit de réquisition directe telle que l'entendait la majorité, droit consistant à se faire obéir d'une troupe quelconque, commandée par un chef quelconque, sans avoir à passer par aucun intermédiaire. Il n'avait, en effet, de valeur qu'à cette condition, pour le cas où le Président de la République et le ministre de la guerre s'entendraient dans le but de commettre un attentat contre la Constitution. Quant aux déclarations faites par le ministre sur le décret de 1848, elles n'avaient plus grande valeur, étant donnée la théorie ministérielle relativement au droit-de réquisition. Néanmoins le Président de la République, sans doute, les trouva encore excessives, jugea que le ministre de la guerre avait été trop loin dans la voie des concessions, car le lendemain la commission recevait du ministère une lettre où il était dit que le procès-verbal de l'audition des ministres était inexact, et que le décret du 11 mai 1848 ne pouvait être considéré comme étant encore en vigueur ; qu'il n'avait pas été proféré un seul mot pouvant établir le contraire ; que si le ministre de la guerre avait reconnu que le décret avait été précédemment affiché dans les casernes, il avait énergiquement repoussé l'application qu'on en prétendait faire au besoin, et revendiqué avec une parfaite précision les droits appartenant au pouvoir exécutif. A la suite de cette communication, la commission déclara que son procès-verbal n'était que la reproduction fidèle des paroles prononcées en sa présence. Le 15 novembre, au nom de cette commission, M. Vitet
déposait un rapport[53] sur la
proposition des questeurs. Il citait d'abord l'article 32 de la Constitution
: L'Assemblée nationale... fixe l'importance des
forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose... puis
l'article 83 du règlement de l'Assemblée constituante, donnant au président
le droit de requérir la force armée et d'adresser directement les
réquisitions à tous les officiers, commandants ou fonctionnaires, et enfin
l'article 84 du même règlement autorisant le président à déléguer ce droit de
réquisition aux questeurs ou à l'un d'eux. Il ajoutait : L'Assemblée constituante, à partir du 20 décembre 1848,
n'a plus été en réalité qu'une Assemblée législative. Or... depuis cette
époque, non seulement on n'a ni effacé ni modifié les articles 83 et 84,
mais... il a été reconnu par deux ministres parlant au nom du chef de l'État
que ces deux articles continuaient à être obligatoires. Le droit de réquisition
directe est formellement contenu dans l'article 32 de la Constitution... Pourquoi
l'inscrire dans une loi ? Ce qui a décidé (les
auteurs de la proposition), c'est que votre
règlement n'a pas reproduit les articles 83 et 84 du règlement de l'Assemblée
nationale, le vôtre se bornant (art.
112) à dire que le président de l'Assemblée exerce
le pouvoir conféré au pouvoir législatif par l'article 32 de la Constitution
de fixer l'importance des forces militaires établies pour sa sûreté et d'en
disposer. Le droit de réquisition directe a donc cessé d'être explicitement
proclamé... Il n'en existe pas moins... mais les ministres... déclarent qu'il
n'appartient pas à l'Assemblée... — Dès lors
il a semblé à la commission[54] que la proposition devait être prise en considération. Le 17 novembre, la discussion avait lieu à l'Assemblée. Le
MINISTRE DE
LA GUERRE apporte tout d'abord à la tribune la déclaration suivante : ...
Après la Constituante, le décret du 11 mai 1848, qui
n'était qu'une partie de son règlement, fut de plein droit abrogé, puisque
l'Assemblée législative, en faisant un règlement nouveau, ne l'a pas
reproduit... La proposition... demande pour le président de l'Assemblée un
droit de réquisition directe, illimitée, absolue sur l'armée tout. entière...
C'est là un empiétement véritable contre lequel il nous est impossible de ne
pas protester. L'article 32 attribue à l'Assemblée pour sa sûreté la
disposition de forces... dont elle aura préalablement déterminé l'importance.
Ce droit nul ne le conteste, mais il faut le renfermer dans les limites
prescrites par la Constitution. Le Président de la République ne peut être
dépouillé des attributions que les articles 49, 50 et 64 lui ont conférées...
Si vous adoptiez la proposition des questeurs, vous feriez passer dans la
main du président de l'Assemblée le pouvoir exécutif tout entier. Ce droit qu'on
demande pour lui ne serait pas seulement la violation du grand principe de la
séparation des pouvoirs, ce serait aussi la destruction de toute discipline
militaire. La condition essentielle de cette discipline, c'est l'unité de
commandement. Or le projet donne un nouveau chef à l'armée, le président de
l'Assemblée nationale. Inopportune, inconstitutionnelle, destructive de
l'esprit militaire, la proposition accuse... une méfiance injuste envers le
pouvoir exécutif... Au nom du salut du pays, nous vous demandons de ne point
prendre ce projet en considération. (Mouvement
prolongé.) Le ministre avait raison. Il n'y a pas de gouvernement possible si le pouvoir législatif peut disposer souverainement de l'armée en même temps que le pouvoir exécutif. Mais l'Assemblée n'avait pas tort en redoutant un attentat. Alors quoi ? Ah ! il n'aurait pas fallu faire la Constitution de 1848. Ensuite, à la fin de l'année 1851, il aurait fallu avoir le courage de son opinion et aller jusqu'au bout, sans perdre un jour, sans perdre une heure, en décrétant d'accusation le Président de la République. Mais est-ce que cela était possible ? Les éléments de culpabilité, avant que l'attentat fût consommé, étaient-ils suffisants pour entraîner une accusation ? En les supposant tels, eût-on trouvé une force publique pour arrêter le prince, une prison pour le garder, un tribunal pour le châtier ? Il fallait se résigner, composer avec lui, accepter la situa. tion, et subir les conséquences des fautes lourdes commises d'abord par la Représentation nationale en confiant au suffrage universel direct l'élection présidentielle, ainsi qu'en rapportant la loi d'exil de la famille Bonaparte, et puis par le Peuple en choisissant pour chef de l'État le prince Louis-Napoléon. L'un des questeurs, le général Le Flô, vient répondre au
général de Saint-Arnaud : Cette proposition n'est
pas un acte d'agression... elle n'est pas plus méfiante que toute autre loi...,
que l'article 32 de la Constitution... ; elle est un acte de franchise et de
loyauté... (Il y a là) une question de dignité, de conservation et
d'existence... Des chefs de corps, des officiers généraux, — que je ne suis
pas allé chercher, entendez-vous ? — sont venus à moi et m'ont dit : les uns,
qu'ils reconnaissaient le droit de l'Assemblée ; les autres, qu'ils le
niaient positivement... mais tous, que notre proposition était pour eux un
bienfait, en ce sens qu'elle... fixerait... définitivement la ligne de leurs
devoirs... Le point capital de notre proposition, c'est d'empêcher que la
responsabilité ne s'égare... Elle ne porte aucune atteinte à la discipline de
l'armée, à l'unité de commandement, à ce dogme de l'obéissance passive, à
tous ces grands principes enfin que je respecte autant que qui que ce soit...
A qui fera-t-on croire que le président de l'Assemblée ira déranger
étourdiment les dispositions... qui auraient été ordonnées par le ministre de
la guerre ?... De deux choses l'une... ou le pouvoir exécutif sera d'accord
avec l'Assemblée, et alors vous n'avez aucun conflit à redouter ; ou i y aura
désaccord... et alors vous avez certainement le droit de vous précautionner,
car vous aurez tout à redouter pour votre indépendance. (Mouvements divers...) Si vous repoussez notre proposition, vous aurez découvert
l'Assemblée, vous aurez livré son existence aux hasards d'un coup de main
!... Vous vous seriez désarmés nous-mêmes, et Dieu veuille que vous n'ayez
jamais à le regretter amèrement. Quant à nous... il nous restera la
conscience d'avoir rempli MI devoir suprême envers l'Assemblée et le pays, et
la triste consolation de nous être affranchis d'une responsabilité pleine de
périls. M. Crémieux se demande comment il se fait que la lune de
miel du prince et de l'Assemblée soit finie. Est-ce qu'ils n'ont pas été sur
tout d'un accord touchant ? Est-ce qu'ils n'ont pas admirablement marché côte
à côte, la main dans la main ? Est-ce que,
d'ailleurs, les articles 36 et 32 de la Constitution ne sont pas là,
l'article 36 qui vous déclare inviolables, l'article 32 qui vous donne le
droit de disposer de troupes dont vous aurez fixé l'importance ? Est-ce qu'on
peut comparer le pouvoir secondaire du Président à celui de l'Assemblée qui
est souveraine ? Qui donc Oserait se mettre en travers de la volonté de
l'Assemblée ? La Constitution ne dit-elle pas : Toute mesure par laquelle
le Président de la République dissout l'Assemblée nationale, la proroge ou
met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison.
Et n'ajoute-t-elle pas : Par ce seul fait, le Président est déchu de ses
fonctions ; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance ; le pouvoir
exécutif passe de plein droit à l'Assemblée nationale ; les juges de la
liante Cour se réunissent immédiatement, à peine de forfaiture ; ils
convoquent les jurés pour procéder au jugement du Président et de ses
complices. Voix à droite : Et les moyens ! M. Crémieux : Quoi ! vous auriez peur que l'Élysée vînt vous enlever des bancs que vous occupez ! Voyons ! de quelle manière ? Creton (ironiquement) : Il n'y en a pas d'exemple ! M. de Laboulie : On vous le fera voir ! M. Crémieux : ... Vous,
Assemblée, vous vous regardez comme sans force contre un homme ! ... Vous
redouteriez que M. Bonaparte vînt aujourd'hui attenter à votre autorité souveraine
et porter contre vous sa main déloyale et criminelle ! Et c'est l'Assemblée
nationale qui ne craint pas de laisser supposer une pareille terreur ?...
Mais savez-vous pourquoi ?... C'est que vous ne sentez pas derrière vous
l'appui du peuple !... Tenez, voyez-vous, là (la gauche)... nous n'avons pas la
moindre frayeur de lui !... Vous vous défiez de lui... parce que vous croyez
qu'il veut se faire populaire ; eh bien, nous vous disons : Fais toujours,
nous prenons ton acte et nous ne craignons pas ta popularité... Si le
Président de la République veut la prorogation... malgré la Constitution...
il trouvera le peuple... S'il veut toucher à l'Assemblée... il trouvera la
Constitution ! (Explosion de rires à
droite.) Vous doutez de la force de la
Constitution... tout à l'heure (vous
doutiez) de l'armée !... Est-ce que l'armée
n'est pas peuple ? Elle est peuple dans ses entrailles ; elle est peuple
depuis le premier jusqu'au dernier de ses officiers, depuis le premier
jusqu'au dernier de ses soldats ; ce peuple... ne fera jamais défaut au jour
du danger... Les soldats aiment la République ; ils se lèveraient comme un
seul homme, entendez-le bien, contre le président qui aurait l'audace de leur
dire : Suivez-moi, je suis contre l'Assemblée nationale !... La Constitution
donne à l'Assemblée toute la force qu'il lui faut ; l'Assemblée n'a pas
besoin d'avoir une garde autour d'elle ; sa garde, c'est le peuple ! Le rapporteur, M. Vitet, rappelle que dans la discussion de la Constitution les mots et en dispose ont été substitués aux mots et en règle l'emploi, sur ces observations de M. Duplan : ... Si vous admettez que l'Assemblée doit seulement régler l'emploi des forces... il en résultera que le commandant... pourra être nominé par le pouvoir exécutif... ; or, c'est là ce qui, à mon avis, ne doit pas être inséré dans la Constitution... Je crains que, placé en face de l'Assemblée, le pouvoir exécutif ne lui laisse pas toujours ou qu'il soit tenté de ne pas lui laisser toute liberté d'action... Je veux donc que nous nous armions... d'une certaine défiance vis-à-vis du pouvoir exécutif, quel qu'il soit. Je désire que la direction des forces... destinées... à l'Assemblée... soit mise dans les mains du président de l'Assemblée, et que l'Assemblée puisse nommer le commandant. Il faut que le président de l'Assemblée puisse au besoin prévenir un mauvais dessein qui viendrait du chef du pouvoir exécutif, et il ne pourrait pas le prévenir si les forces étaient placées sous la direction du chef du pouvoir exécutif. A droite : Ah ! ah ! c'est clair ! Et M. Vitet ajoute : C'est d'après cet exposé de motifs en quelque sorte... que l'Assemblée, adoptant l'idée de l'orateur, a substitué le mot dispose aux mots en règle l'emploi. Il n'y a pas eu une seule objection. Donc le véritable esprit de la Constitution, c'est dans ce commentaire qu'il faut l'aller chercher... M. Charras prend la parole : ... La
République, dit-il, est placée entre deux
périls... Dans ce moment, la majorité se trouve dans le droit, et je la
soutiens dans le droit. Il y a un autre péril au moins aussi grand — le
moment est venu de s'expliquer nettement, et je ne fais que répéter ici ce
qui se dit dans les mille et une conversations qui agitent les couloirs de
cette Assemblée depuis huit jours — ce péril... vient du côté du pouvoir
exécutif. Il... a marché d'accord avec la majorité tant qu'il s'est agi...
d'attaquer la Constitution, la République... Maintenant la majorité se sépare
de lui... parce que... dans des vues que je n'ai pas à apprécier, il est venu
proposer le rappel de la loi du 31 mai. Cette même majorité, qui jusqu'ici
avait laissé passer presque sans protestation les faits les plus
scandaleux... Satory !... Comment, il n'est pas inouï, il n'est pas
scandaleux que des régiments aient défilé sous les yeux du ministre de la
guerre en poussant... des cris factieux ! Comment, il n'est pas inouï, il
n'est pas scandaleux d'avoir vu des officiers, ceux qui avaient poussé,
provoqué ces cris inconstitutionnels, ces cris factieux, devenir l'objet de
faveurs éclatantes !... Je suis très attentivement tous les mouvements qui se
font dans la tête et dans les corps mêmes de l'armée de Paris, et j'affirme
que ce sont les hommes qui ont éclaté en actes de dévouement pour la personne
du Président... qu'on appelle à Paris, auxquels on confie les plus hautes
positions ; je dis qu'à l'heure qu'il est, dans les salons... on parle avec
un laisser-aller inimaginable, de quoi ? de fermer les portes de cette
Assemblée et de proclamer... ce que vous savez ! (Exclamations diverses, sourires et dénégations
au banc des ministres.) M. Michel de Bourges n'éprouve pas les craintes du précédent orateur : ... Vous avez parlé de péril ?... Il s'agit de périls théoriques... Le péril, c'est que la monarchie est menacée, c'est que la République commence à être inaugurée, voilà le péril ! ... (Bruyante adhésion et applaudissements à gauche.) ... Vous avez peur de Napoléon Bonaparte, et vous voulez nous sauver par l'armée. L'armée est à nous... Non, il n'y a point de danger, et je me permets d'ajouter que, s'il y avait un danger, il y a ici une sentinelle invisible qui vous garde ; cette sentinelle, je n'ai pas besoin de la nommer, c'est le peuple ! (Vifs applaudissements à gauche. Mouvements divers.) Après quelques mots du général d'Hautpoul qui n'admet pas le droit de réquisition directe, M. Thiers monte à la tribune : ... La cause vraie de la proposition des questeurs, c'est surtout... la circulaire du ministre de la guerre... d'un caractère extrêmement grave. En présence du langage du chef de l'armée, il importe d'éclaircir la loi... Il est infiniment dangereux de ne pas rétablir pleinement dans l'esprit de l'armée le sens vrai de ses devoirs... Est-il vrai que lorsque le général Baraguey d'Hilliers a remplacé le général Changarnier en faisant appel à la discipline et à l'obéissance absolue de l'armée, il s'est cru obligé d'ajouter que le devoir de l'armée était en obéissant de maintenir à la fois les pouvoirs établis par la Constitution et le respect des lois ? Après le général Baraguey d'Hilliers, le général Magnan l'a reconnu... Pour la première fois le ministre de la guerre fait appel dans des termes nouveaux à l'obéissance passive, à la discipline, à l'esprit militaire... Il pervertit l'esprit de l'armée... s'il n'ajoute pas à l'instant même, à côté du dogme de l'obéissance absolue, le dogme du respect de la loi... Cette circulaire est d'une immense gravité... Sous aucun régime on ne doit tenir à l'armée un tel langage... En imposant le principe absolu, sans réserve, de l'obéissance, vous devez donner pour but à cette obéissance le maintien de hi loi. Eh bien, vous, législateurs... vous devez rendre la loi claire. Telle a été l'intention de la proposition... Violemment interrompu par la gauche qui ne le laisse pas achever une seule phrase, obligé de lutter contre des clameurs incessantes, épuisé, il termine ainsi : Dites à la France que lorsqu'il s'agissait de l'indépendance de l'Assemblée, de l'avenir du gouvernement représentatif, de la dernière Assemblée peut-être qui nous représentera véritablement (exclamations ironiques à gauche : Allons donc ! allons donc ! ...), vous n'avez pas voulu m'écouter ! Le général de Saint-Arnaud remonte à la tribune : J'ai cru de mon devoir de rappeler à l'armée le principe
tutélaire de la discipline, l'obéissance passive du soldat sous les armes. Ce
principe, je l'ai appris à l'école de l'illustre maréchal Bugeaud. (Mouvement.) ... On
me reproche de n'avoir pas rappelé à l'armée le respect de la loi et de la
Constitution... Je n'ai trouvé ni utile ni digne de recommander à des chefs
le premier de tous les devoirs... Je n'ai pas songé à faire descendre la loi
des hauteurs où elle réside, dans un ordre du jour, pour placer dans une
hypothèse de violation qui n'est pas acceptable. (Mouvement.)
L'obéissance aux lois, c'est le principe vital de toute société. Qui donc en
doute ? Si vous opposez, par je ne sais quelle distinction de méfiance, le
respect de la loi au respect de la discipline, que ferez-vous, si ce n'est
introduire et développer dans l'armée un esprit de délibération mortel à la
discipline, qui subordonnerait la question de l'obéissance à la question
toujours agitable de savoir si les ordres du cher ne violent pas la loi ?
J'ai dit : Sous les armes, le règlement militaire est l'unique loi ; j'ai dit
une vérité d'évidence. Nous ne contestons pas à l'Assemblée le droit de fixer
les forces qu'elle juge nécessaires à sa sûreté, mais cette réquisition doit
passer par la voie hiérarchique. (Agitation
bruyante et prolongée.) M. Jules Favre succède au ministre de la guerre : ... Qu'avez-vous à faire ?... Ordonner l'exécution de la loi. Requérez demain, et vous verrez que le pouvoir exécutif cédera. Et s'il ne cède pas, il sera mis en accusation. (Agitation.) ... De deux choses l'une, ou vous croyez que le pouvoir exécutif conspire, accusez-le ; ou vous feignez de croire qu'il conspire, et c'est que vous conspirez vous-mêmes contre la République, et voilà pourquoi je ne vote pas avec vous... Le général Bedeau demande s'il est vrai que le décret du 11 mai 1848, affiché dans les casernes, ait été retiré par ordre du pouvoir exécutif. — Le Ministre de la guerre répond : ... Le décret tombé en désuétude, jamais exécuté, n'était plus affiché que dans un très petit nombre de casernes. Je n'ai pas voulu laisser aux soldats un prétexte de doute et d'hésitation, je l'ai fait enlever là où il existait encore A ces mots, une grande partie de l'Assemblée se soulève. On apostrophe le ministre : Vous nous avez dit le contraire dans la Commission ! Vous nous avez donc trompés ! — Une agitation inexprimable se produit. — On crie : L'accusation ! l'accusation ! — M. Charras, au milieu du tumulte, se tourne vers le président et d'une voix retentissante dit : Je demande la mise en accusation ! — Le trouble est à son comble. Une grande majorité semble se former contre le gouvernement. On croit que la proposition des questeurs va être votée. Le ministre de la guerre en est persuadé, et[55], après avoir fait signe de le suivre au général Magnan et à M. de Morny qui assistaient à la séance, il se rend avec eux à l'Élysée pour prendre les devants sur l'Assemblée et arrêter les dernières mesures d'exécution d'un coup d'État[56]. L'Assemblée va aux voix, et, à la stupéfaction générale, la proposition des questeurs est rejetée à une immense majorité, par 408 suffrages contre 300. Toute la gauche avait voté contre en haine de la droite[57], et un certain nombre de conservateurs pusillanimes avaient reculé devant l'éventualité d'une tentative d'arrestation du Président de la République[58]. Le journal d'Odilon Barrot, l'Ordre, est consterné
par ce vote (18 novembre). M. Louis-Bonaparte, en eût-il la tentation, n'aura pas
besoin d'enfoncer les portes du Palais législatif ; voici qu'on se précipite
au-devant de lui pour lui en offrir les clefs... La majorité s'est
définitivement livrée... elle vient de signer son abdication... Nous
craignons bien (19 novembre) que le gouvernement représentatif n'ait rendu le dernier
soupir dans les embrassements de l'Élysée et de la Montagne. Le Journal
des Débats (19 novembre) ne l'est
pas moins, et présente le triste tableau de l'état de la Représentation
nationale : Si l'Assemblée doit offrir une fois
encore le lamentable spectacle qu'elle a donné dans cette séance, c'en est
fait de son autorité, de sa considération, de son existence peut-être.
Jamais, à aucune des époques les plus tumultueuses et les plus orageuses,
l'Assemblée n'a présenté une plus désolante image de désordre. Ce qu'on a vu
hier, ce n'était point une lutte, c'était l'anarchie générale, c'était le
chaos, c'était la dissolution... (Un) coup d'État ? Pourquoi les ennemis du pouvoir
parlementaire, s'il en a, iraient-ils compromettre par des violences inutiles
une œuvre qui s'accomplit si complaisamment sans eux ? Pourquoi
tenteraient-ils les hasards d'un conflit avec l'Assemblée, quand l'Assemblée
travaille avec une activité si fébrile et si fatale à sa propre ruine ?
Comment voulez-vous que cette malheureuse nation... ne désespère pas de la
liberté et ne se jette pas dans les premiers bras qui lui paraitront un
refuge ? C'est le grave et important Journal des Débats qui
parle. Dans le jugement à porter sur l'acte du 2 décembre, l'histoire
n'oubliera pas cette déposition. L'organe du général Changarnier, l'Assemblée nationale (19, 20 novembre 1851), estime que la Représentation s'est suicidée : Elle a décidé que, menacée de se voir dénier son pouvoir, elle irait demander des gendarmes à celui qui prétendait l'en déposséder... Elle devra lui dire : Vous avez bien la mine de méditer coutre moi quelque mauvais coup, soyez donc assez bon pour me prêter quelques-uns de ces régiments avec lesquels vous vous disposez à m'investir et à me faire sauter par les fenêtres !... L'Union (21 novembre 1851) déclare que les représentants de la droite qui n'ont pas voté la proposition des questeurs sont précisément ceux qui le croient capable de tout. Les souvenirs de Boulogne et de Strasbourg les ont fait trembler pour leur peau ou pour l'avenir de leur ambition. Voilà donc, voilà les admirables défenseurs des droits, des libertés... On peut juger de ce que seraient les uns et les autres dans un jour de péril suprême. Les premiers, émules de Robespierre, iraient, comme lui, ensevelir leurs frayeurs au fond des caves ; les derniers, à l'exemple des sénateurs de l'Empire, tiennent déjà en disponibilité pour le futur dispensateur des pensions et des titres, leurs admirations et leurs fidélités successives. Les représentants du peuple qui avaient voté la
proposition des questeurs et qui croyaient à l'imminence d'un coup d'État
pouvaient invoquer, pour justifier leur sentiment, la réponse aussi pleine de
crânerie que d'ambiguïté faite par le prince au général Magnan qui était
venu, le 9 novembre, lui présenter les corps d'officiers nouvellement arrivés
à Paris : ... Si la gravité des
circonstances... m'obligeait de faire appel à votre dévouement, il ne me
faillirait pas, j'en suis sûr, parce que, vous le savez, je ne vous
demanderais rien qui ne soit d'accord avec mon droit reconnu par la
Constitution, avec l'honneur militaire, avec les intérêts de la patrie ;
parce que j'ai mis à votre tête des hommes qui ont toute ma confiance et qui
méritent la vôtre ; parce que, si jamais le jour du danger arrivait, je ne
ferais pas comme les gouvernements qui m'ont précédé, et je ne vous dirais
pas : Marchez, je vous suis. — Mais je vous dirais : Je marche, suivez-moi ! L'Opinion publique (10 novembre 1851) rapportait que ce discours avait produit une vive impression dans l'Assemblée ; que ces mots : Je marche, suivez-moi ! placés dans la bouche d'un magistrat civil, à qui la Constitution n'accorde pas le droit de marcher à la tête d'un peloton, avaient paru radicalement inconstitutionnels. Le Siècle (90 novembre 1851) dit : Jamais la France ne consentira à ce qu'on la menace. Dans toutes les conversations du boulevard, il n'est question que de la harangue présidentielle aux officiers... M. Louis-Bonaparte... s'exprime à la façon de Louis XIV. Le National (10 novembre 1851) faisait remarquer : que M. Bonaparte parait oublier l'article 50 de la Constitution qui ne lui permet pas de commander en personne. A son appel, pas une escouade ne bougerait, pas un soldat ne marcherait derrière lui. La Gazette de France (10 novembre 1851) déclarait que le Président était sur l'extrême limite de la légalité, et qu'elle était effrayée pour la France et, pour lui EN PENSANT A LA FORCE DES MOBILES QUI L'INCITENT A MARCHER EN AVANT DANS UNE SITUATION OU IL A BESOIN D'UNE FORCE D'ÂME SURHUMAINE pour ne pas se jeter et nous jeter dans l'abîme. L'Assemblée législative, en repoussant la proposition des questeurs, n'avait pas osé assumer la responsabilité d'un conflit armé qui eût été alors inévitable, mais elle avait auparavant, fatalement condamnée à ces alternatives de faiblesse et d'énergie qui, somme toute, la déconsidéraient de plus en plus, d'abord flétri la propagande bonapartiste faite ou tolérée par le gouvernement alors qu'il était encore aux mains de M. Léon Faucher, puis affirmé sa politique en repoussant le projet d'abrogation de la loi du 31 mai 1850. Dans la séance du 8 novembre, il. Creton demandait la suppression d'un crédit de 40.000 francs, destiné à payer la Correspondance Havas, en disant : Cette correspondance qui se multiplie tous les jours par trois ou quatre cents organes... a pris un caractère éminemment séditieux et inconstitutionnel... L'Assemblée ne doit pas subventionner des articles qui préparent la violation du pacte qui nous lie et qui la conseillent ouvertement aux campagnes... En voici (un échantillon) : ... Au milieu de tout ce bruit qui n'arrive même pas jusqu'à elles, les campagnes persévèrent dans leur instinctif dévouement, et on n'arrivera jamais à leur faire comprendre qu'elles doivent effacer de leurs bulletins un nom qu'elles aiment, et se priver bénévolement de l'homme qui a su comprimer l'anarchie et leur donner le pain, l'ordre et le travail. Les arguties constitutionnelles peuvent avoir un certain attrait pour les docteurs des villes, mais on n'amènera jamais les habitants des campagnes à sacrifier le connu qui leur convient à l'inconnu qu'ils redoutent... L'orateur blâme le ministère d'avoir recours aux services d'un agent qui se met ouvertement en révolte contre la Constitution, qui prêche.la sédition. Après des explications embarrassées de M. Léon Faucher, il obtient la suppression de toute allocation à l'agence Havas. Le 11 novembre, M. Daru avait déposé un rapport tendant au
maintien de la loi du 31 mai 1850 sur la capacité électorale : ... Est-ce bien le moment, disait-il, d'enlever à la cause de l'ordre une de ses plus précieuses
garanties ?... La loi du 31 mai a été dénoncée au pays comme une violation de
la Constitution, comme un attentat... Votre puissance ne s'abaisse que devant
la justice, le droit, la vérité ; jamais devant la menace... (Cette) mesure... (serait) tout à la
fois contraire à la politique qui nous a constamment dirigés, à l'intérêt de
la sécurité de l'État, à la dignité de l'Assemblée... Peut-on admettre cette
imprudente et inexacte théorie que le suffrage universel n'est susceptible
d'aucune règle... que le droit de suffrage est inhérent à l'homme ?... Ce
serait abonder dans le sens de ce sectaire... du seizième siècle qui
soutenait que le peuple était la seule autorité dans le monde qui n'eût pas
besoin de la raison pour valider ses actes... Le suffrage .universel ne forme
pas un principe supérieur... non susceptible d'erreur et de correctif... (L'Assemblée n'a fait que distinguer) entre le domicilié et le non domicilié, distinction toute
morale qui n'a rien d'arbitraire, rien de privilégié, car elle peut toujours
cesser pour celui qui en est atteint... Le lendemain, la discussion s'ouvrait. M. de Vatimesnil
disait que le Président de la République avait été absolument d'accord avec
la majorité pour faire voter la loi du 31 mai 1850 ; qu'il ne pouvait
prétendre n'avoir jamais cru à la durée de cette loi ; qu'alors il l'aurait
déclaré dès l'origine ; qu'on ne faisait pas une loi électorale, à titre de
simple démonstration, pour n'en jamais user ; que d'ailleurs on devait
concerter en commun les modifications à apporter à une loi élaborée d'un
commun accord ; qu'on voulait séparer sa politique de la politique de
l'Assemblée ; qu'on voulait se faire une position à part. — Le ministre de
l'intérieur, M. de Thorigny, répondait que la loi du 31 mai 1850 avait abouti
à la suppression d'un tiers des électeurs, et que cette conséquence si grave,
qui n'avait pas été prévue, était inacceptable ; que, d'ailleurs, le principe
du projet de loi était celui-là même qui avait sauvé le pays ; qu'il y avait
lieu de réparer une injustice ; que les grands pouvoirs de l'État avaient
tout à gagner à se retremper dans le suffrage universel le plus étendu
possible. — Michel de Bourges s'écriait : ... C'est
trois millions de citoyens que vous excluez aujourd'hui... mais ils ont
concouru à fonder le gouvernement républicain, à nommer le 10 décembre
Napoléon Bonaparte, votre homme jusqu'à hier, entendez-vous ? (Rires à gauche...) Vous dites qu'il est le mien aujourd'hui ; oui, je
défends aujourd'hui l'œuvre de l'homme qui est au Pouvoir, je m'en glorifie. (Sourires ; agitation à droite...) Le domicile n'a jamais été considéré (par la Constituante)
comme une condition substantielle de l'électorat... Comment persévérez-vous
depuis que vous savez le résultat de votre loi ?... Lorsque, à cette tribune,
je disais timidement : Mais il y aura trois millions d'électeurs qui périront...
vous vous récriâtes ; l'un de vous me parla d'un million, et alors le général
de Lamoricière me reprit et me dit : Il n'y en aura pas 600.000. (Mouvement.)
C'est consigné au Moniteur... Que dit le message ? Oui, vous avez
ébranlé le seul principe qui nous reste, que la Providence ait conservé
debout... Oui, vous avez exclu trois millions d'hommes dont les deux tiers
sont de paisibles habitants des campagnes ; oui, cette loi-là pourrait
devenir le drapeau de la guerre civile... Eh bien ! comment osez-vous croire
que cette pensée ne soit pas sincère ?... Vous croyez encore, à l'heure qu'il
est, qu'il y a des pensées ambitieuses cachées derrière ce message ?...
Louis-Napoléon à Ham... n'avoua-t-il pas loyalement ses fautes ?... Vous
l'avez cru sincère... et maintenant qu'il vient dire au peuple : J'ai eu
le malheur de vous prendre ce qui vous appartient, et je vous le rends ! vous
ne le croyez plus sincère !... Vous ne voulez rien voir... ! 1852 approche...
Les électeurs... le message à la main, disent : Nous voulons voter ! (Profond mouvement...) (On dit :) Cette société sera sauvée par l'armée... (Alors) je plains
mon pays... car l'armée, c'est l'épée !... Si c'est Cromwell, vous avez un
protecteur ; si c'est Monck, vous avez Henri V ; si c'est Napoléon Bonaparte,
l'homme du 18 brumaire, vous avez l'Empire ; si c'est Othon, Vitellius ou
Galba, vous avez le Bas-Empire ! (Applaudissements
redoublés à gauche.) M. Daviel, ministre de la justice, essaye en vain de balbutier quelques explications sur le projet de loi. Tout son discours, d'ailleurs fort court et fort insignifiant, disparait au milieu des rires et des plaisanteries. Le président Dupin fait de l'esprit aux dépens du malheureux ministre, qui, troublé, répète plusieurs fois un mot pour un autre. L'hilarité redouble, bruyante et générale, d'autant plus que le président, à son tour, éprouve quelque peine à formuler la mise aux voix du projet de loi. L'Assemblée s'amuse. Par 353 voix contre 347, elle décide qu'elle ne passera pas à une seconde délibération. Le Siècle (14 novembre) dit que les ministres sont des personnages dignes non pas de la comédie, mais des tréteaux de Tabarin ; que ce sont des nullités compromettant à qui mieux mieux, aux éclats de rire incompressibles de l'Assemblée et des tribunes, la cause sacrée dont la défense leur était confiée ; que la discussion a été une farce grotesque ; que le gouvernement a fini comme il avait commencé, au milieu des hoquets convulsifs d'un rire emporté, d'un rire impossible à décrire. Le bruit se répand, dans la soirée, que le prince ne peut accepter le rejet de sa proposition d'abrogation de la loi du 31 mai 1850, et que le coup d'État sera fait dans la nuit. Quarante députés[59] environ se réunissent chez M. Baze, qui en sa qualité de questeur habitait dans le palais de l'Assemblée, et veillent jusqu'à une heure avancée. M. Thiers et quelques représentants quittent la réunion pour aller rôder autour de l'Élysée, voulant se rendre compte par eux-mêmes de ce qui pouvait bien se tramer dans les ténèbres. On s'était juré de garder le secret sur cette expédition. Le lendemain, la presse bonapartiste la révélait avec force plaisanteries et sarcasmes. On ne se tint pas pour battu, et on recommença plusieurs fois jusqu'au 2 décembre. En même temps, l'Assemblée, tout en ne doutant point du
coup d'État, se préoccupe du cas où le Président, reculant devant l'emploi de
la force, se déciderait, malgré la Constitution, à courir les chances d'une
réélection, à la suite d'une campagne inconstitutionnelle, menée en sa faveur
par tous les agents dépendant du pouvoir exécutif. Elle s'empare de la proposition
Pradié, ci-dessus relatée[60], sur la
responsabilité des dépositaires de l'autorité publique. Dans la discussion
dont elle est l'objet au sein des bureaux, M. Baroche s'étonne des prévisions
blessantes qu'elle implique et n'admet point qu'on accuse le Président de
vouloir se faire réélire à tout prix. — M. Michel de Bourges dit : Est-il vrai qu'un président qui, ayant en main tout le
pouvoir exécutif, ayant sous sa main 500.000 fonctionnaires, pousse à violer
la Constitution, est coupable ?... N'a-t-il pas, depuis deux ans, par tous
les moyens immenses, infinis, dont il dispose, poussé à la violation de la
Constitution ? Vous avez une décision de l'Assemblée... (déclarant) qu'il a
excité ces pétitions séditieuses... Il y a une société célèbre par ses
désordres, par ses tentatives insurrectionnelles... Ce n'est pas tout...
toute une presse, affiliée à l'Élysée, a dit pendant un an : Qu'est-ce que
la Constitution ? Il y a quelque chose de bien plus puissant que tout cela,
c'est la volonté du peuple, et le peuple sautera par-dessus la Constitution...
Ne dites donc pas que nous allons au-devant des faits, que nous soulevons des
prévisions blessantes. Il y a des faits comme des montagnes, des faits qui
crèvent les yeux. En présence de ces faits, nous prenons nos mesures, enfin,
contre cette immense force qu'on appelle le pouvoir exécutif... Tant qu'il
n'y eut pas en ce monde de parricide... il n'y eut pas de loi contre le
parricide ; mais quand, dans un jour maudit, un scélérat eut versé le sang de
sa mère, on grava sur les tables une loi qui punit le parricide. (Sensation.)
Nous faisons une loi de responsabilité ; c'est, s'il en fut, une loi de
prévision contre les agents du pouvoir exécutif ; le Président n'est qu'un
agent ; il faut que la loi soit faite pour lui comme pour les autres...
M. Pascal Duprat ajoute : Le chef du pouvoir
exécutif parait méconnaître le rôle qui lui est assigné ; il oublie trop
souvent dans ses paroles et dans ses actes qu'il n'est que le premier
magistrat d'un État républicain ; il est temps que la loi lui rappelle ses
devoirs et lui dise à quels périls il s'expose s'il ne respecte pas les
limites qui lui ont été tracées par la Constitution... Dans un autre
bureau, M. de Montalembert disait : C'est une suite
de la proposition des questeurs, une revanche de son rejet que l'on veut
obtenir au détriment des véritables intérêts de l'État et de la paix
publique. La permanence de cette lutte est odieuse au pays ; il refuse de s'y
associer. Le National (23
novembre 1851), en mentionnant qu'une immense majorité, une sorte
d'unanimité s'est prononcée dans les bureaux pour la loi qui détermine les
cas de responsabilité du pouvoir exécutif, fait observer que le projet comble
une grande lacune en ajoutant aux cas de mise en accusation du Président
celui où il se rendrait coupable de provocation à la violation de l'article
45 de la Constitution. Enfin, vers la fin du mois, l'appréhension d'un coup d'État se reproduisant avec plus d'intensité que jamais, un député, M. de Tinguy, dépose une proposition tendant à autoriser les conseils généraux à se saisir de l'autorité publique dans leurs départements en cas d'événements de force majeure. Le 15 novembre, le citoyen Lagrange dénonce à la tribune
deux articles de journaux, du Courrier de la Gironde et du Mémorial
bordelais, disant : ... Nous voulons la
réélection du Président... Pour atteindre ce résultat... nous sommes résolus
à fouler aux pieds les articles à l'aide desquels on croit enchaîner notre
volonté. Nous ne reculerons même pas devant un 18 brumaire, et nous conseillerons
à Louis-Napoléon Bonaparte d'étouffer la République le jour où elle essayera
de réaliser une de ses menaces... Oui, nous espérons qu'il ne démentira aucun
de ses antécédents... et qu'il se souviendra toujours que le 18 brumaire fut
mie des plus belles pages de la vie de son oncle, dont l'épée frappa aux
applaudissements de la France une République détestée... La République est
une impasse dont la nation n'a aucun moyen de sortir, et à ce compte il doit
lui être permis de composer avec cette rigueur de légalité qu'ont seuls les
gouvernements sérieusement établis. La grande, l'unique affaire de la nation,
c'est de se sauver ; sur un vaisseau prêt à s'engouffrer, on ne regarde pas
tant à la discipline... L'orateur se tourne alors vers le général de
Saint-Arnaud : Ce n'est pas l'avis de M. le ministre
de la guerre, qui ordonne avec tant de raison à ses troupes d'avoir le plus
profond respect pour la discipline. (Hilarité
à droite.) Seulement je regrette qu'il
ait oublié d'ajouter, et d'avoir surtout le plus grand respect pour la loi et
pour la Constitution... Puis il continue : ... Quand nous nous prenons, mes amis et moi, à arrêter nos esprits sur
certains bruits qui courent la rue et la presse, et dont nous entendons
l'écho ici même, répétés par tous les couloirs de ce palais, bruits qui
hurlent ola provocation et la menace... nous sommes à nous demander si la loi
du 31 mai... (n'était pas autre chose) qu'une provocation. (Interruption
bruyante.) On espérait l'émeute... Quand
vous avez eu rejeté la loi du 31 mai, j'ai entendu dire le lendemain par
beaucoup de monde qu'un danger était imminent... (puis) à minuit
qu'un grand nombre de représentants... étaient réunis ici... Ils
délibéraient. Sur quoi ? Où était le danger ? Ah çà, mais Brennus était donc
aux portes de nome, qu'on entendait tant de bruit sur les degrés du Capitole
? (Rires.) Voix diverses : Comment, les oies ! les cris des oies ! M. Chapot : C'étaient des canards ! (Nouveaux rires.) Le citoyen Lagrange : .... Qu'on
nous dise ce qu'on y faisait. Et chez les questeurs ? (Rumeurs à droite.)... Est-ce qu'il n'y avait pas quelque menace en l'air ?
Dites-le-nous !... Vous n'êtes pas assez légers pour vous réunir à minuit
pour ne rien faire ! (Agitation à
droite.) Malgré tout, l'Assemblée se plaît à consacrer de longues heures à la gaieté. Le 21 novembre, elle ne fait entendre qu'un continuel et bruyant éclat de rire durant un grand discours de Pierre Leroux qui réclame le droit de vote pour les femmes ; ce qui arrache au président Dupin cette exclamation : Oh ! Athéniens ! — Dans cette même séance, on met aux voix un amendement proposé par le général de Grammont et établissant le vote obligatoire ; le scrutin a lieu au milieu d'un tel tumulte, n'ayant d'autre cause que l'invraisemblable affolement qui régnait alors dans l'Assemblée, que le président Dupin s'écrie : Malheureux pays ! Ces séances achevaient de déconsidérer le Parlement dans
le pays, et, par contre-coup, mettaient le comble à la popularité du prince
regardé plus que jamais non seulement comme le sauveur nécessaire, mais
encore comme le sauveur d'une venue urgente. Une solution s'imposait. Le
prince, désirant sans doute que l'attaque vînt de l'Assemblée, pensa la
pousser à bout en faisant écrire clans le Constitutionnel du 24 novembre un
article intitulé : Les deux dictatures, qui de l'aveu de son auteur,
M. Granier de Cassagnac[61], dépassait avec intention toute mesure, provoquant avec la
plus violente audace et les droites et les gauches. Il était ainsi
conçu : Lundi dernier (17 novembre)... on a été à
l'épaisseur d'un cheveu des coups de fusil et de la guerre civile. Les partis
qui se disputent le pouvoir avaient jeté dans l'Assemblée une proposition ayant
pour objet, moins encore de donner une armée au pouvoir législatif que de
jeter de l'indécision, du désordre dans les troupes, et de fournir à un
général audacieux l'occasion et le moyen d'entraîner un régiment. Si
l'Assemblée avait eu la faiblesse de prendre seulement en considération la
proposition qui lui était soumise, on lui eût subitement arraché un acte
d'accusation. Les conspirateurs avaient arrêté leur coup de main... Armés
d'un vote... ils auraient arrêté les ministres en pleine séance, et si ce
début avait été heureux, ils auraient essayé d'enlever le Président de la
République. Mais le Président de la République et ses amis sont médiocrement
disposés à se laisser escamoter ; les assaillants eussent donc été accueillis
à coup de fusil, ou mieux encore, et la bataille s'engageait dans les rues
immédiatement. Ce résultat a été possible jusqu'à 7 heures et demie ; le vote
de l'Assemblée l'a fait évanouir. Certainement rien n'est plus
insensé, plus monstrueux, plus criminel qu'un tel dessein ; il n'en est pas
moins la vérité pure... Cette conspiration flagrante, incessante, contre le
Président de la République, a pour auteurs des hommes parlementaires, chefs
avoués du parti légitimiste et du parti orléaniste, profondément divisés
entre eux, mais unis par la haine commune que leur inspire l'élu du 10
décembre. Elle est organisée depuis dix-huit mois, et du temps où un général
notable occupait les Tuileries, il se tint dans ses salons des réunions... où
l'on mit en délibération d'arrêter Louis Bonaparte et de le mettre à
Vincennes. Il ne saurait y avoir à ce sujet aucun doute ; un ancien premier
ministre (M. Molé) de Louis-Philippe qui assistait à ces réunions avertit le
Président de ce qui se tramait contre lui... Cette conspiration dépasse en
ridicule toutes celles qui ont été enregistrées dans les livres de Saint-Réal
et de Vertot. Abandonnée... à la suite des voyages de Claremont et de
Wiesbaden... cette ancienne conspiration... contre l'élu du 10 décembre a été
reprise récemment... Le dictateur est désigné par tout le monde, c'est le
général Changarnier. Ainsi quatre ou cinq anciens ministres, dix à douze
anciens députés... voudraient faire jouer à l'Assemblée le rôle que voici. :
remplacer à la tête de la société l'élu de six millions d'hommes par l'élu de
quinze ou vingt conspirateurs, le neveu de l'Empereur par un général sans
faits d'armes et sans illustration, un nom magique par un nom impuissant, un
pouvoir régulier par un pouvoir irrégulier... L'un des conspirateurs disait,
il y a deux jours : Il faut en finir ! — Il faut en finir ? et de quoi donc ?
Du nom de Louis-Napoléon Bonaparte qui se popularise de plus en plus, de la
sagesse de son gouvernement qui lui concilie toutes les familles paisibles et
honnêtes, de ses chances de durée... Les conspirateurs ne sont pas
dangereux... Le pouvoir, qui a la garde et la responsabilité de l'ordre, est,
comme bien on le pense, instruit de leurs desseins et de leurs menées, et,
quoiqu'ils ne la sentent pas, ils ont chacun -h main ferme et résolue de la
justice toujours suspendue à un pouce de leur collet. La preuve qu'ils ne
sont pas à craindre, c'est qu'ils ne sont pas encore embarqués. Allez, allez,
chevaliers errants des princesses perdues... conspirez tant qu'il vous plaira
; promenez dans les ténèbres vos faces blêmes que la peur agite, et signalez
au pays les conjurations de l'Élysée pour masquer les vôtres !... Aveuglés
par vos passions comme le taureau par le drap rouge, vous donnerez, tête
baissée, sur la pointe de l'épée tendue et immobile qui vous attend !... Cet article soulève une immense émotion. On sent que décidément la fin est proche. Le National (25 novembre 1851) répond au Constitutionnel : ... Bataille ! l'organe de l'Élysée menace l'Assemblée d'une bataille si l'Assemblée use de son droit et fait son devoir en votant la loi sur la responsabilité du pouvoir exécutif. Le Constitutionnel est enivré des souvenirs du 18 brumaire ; il se croit en mesure de recommencer cette triste épopée ; il ne réfléchit pas qu'il lui manque une chose pour cela, une seule, le héros !... Le défi est jeté à l'Assemblée ; s'il n'est pas relevé, elle abdique... Le Messager dit par la plume de M. E. Forcade : Des articles comme celui-là sont des actes... Il se peut qu'il y ait des gens qui appellent sur la France l'ère des Césars ; il se peut qu'il y en ait qui rêvent pour eux, dans une orgie de gouvernement impossible, le rôle d'affranchis ; mais que ces gens-là se bornent à respirer les fumées de leur noble ambition ; qu'ils ne parlent pas de l'armée ; l'armée ne fournira à leurs Vitellius ou à leurs Othons ni un préfet du prétoire, ni un tribun (les soldats, ni un centurion... L'Union (25 novembre 1851) s'écrie : ... Il est temps d'en finir avec cet effroyable déborde, ment d'invectives, de calomnies, d'effrontés mensonges, dirigés chaque jour contre le pouvoir représentatif. La mesure est-elle comble ? Les écrivains (lu bonapartisme ont-ils jeté assez de fiel, porté assez d'accusations contre l'Assemblée ? Qu'espèrent-ils encore ? Où prétendent-ils arriver ?... C'est le Parlement que l'on veut détruire au profit d'une dictature... N'avons-nous pas raison de crier à l'Assemblée : Alerte ! Agissez ! voici le jour où pour vous l'action, c'est la vie ! Le Siècle (25 novembre 1851) déclare qu'il y a des gens qui sont prêts à tout, des impatients qui ne voient de salut que dans le coup d'État. Tous les atermoiements, toutes les précautions, toutes les diplomaties leur semblent des moyens misérables et insuffisants... La seule manière, suivant eux, de mettre fin à la crise, c'est de faire hardiment un coup de main. Rien de plus simple, on empoigne 300 individus, on fait entourer l'Assemblée par deux bataillons, on place des troupes dans toutes les rues, sur toutes les places, et le tour est fait. Un simple roulement de tambour annonce à l'Europe que le gouvernement de la France vient de changer. Telle est la politique élémentaire prêchée chaque jour par ceux qui se donnent comme les amis intimes du prince... A l'Assemblée, M. Creton interpelle le ministère sur l'article sensationnel du Constitutionnel. Le Ministre de la justice, M. David, répond que le gouvernement ne saurait être responsable[62] d'un article de journal qu'il n'a pas inspiré, qu'il n'a pas connu avant la publication, pas plus qu'il ne peut l'être des bruits qui circulent soit dans l'Assemblée, soit au dehors. M. Berryer s'élance à la tribune et somme le ministre de déclarer s'il a les preuves de l'existence d'un complot, et dans le cas de l'affirmative, s'il est prêt à poursuivre les criminels. Le Ministre de l'intérieur, M. de Thorigny, s'empresse de dire que si les preuves d'un complot contre l'Assemblée étaient acquises au gouvernement, celui-ci n'hésiterait pas à poursuivre les coupables, quels qu'ils fussent. Le ministère, à part le général de Saint-Arnaud, ne savait
absolument rien de ce qui se tramait dans l'intimité de l'Élysée. Le
lendemain, 25 novembre, le Président, à la distribution des récompenses aux
exposants français de l'Exposition de Londres, prononçait, dans un langage
énigmatique, un discours d'une tournure menaçante : ... Puis-je oublier que tant de merveilles de l'industrie ont
été commencées au bruit de l'émeute et achevées au milieu d'une société sans
cesse agitée par la crainte du présent comme par les menaces de l'avenir ? Et
en réfléchissant aux obstacles qu'il vous a fallu vaincre, je me suis dit :
Combien elle serait grande, cette nation, si l'on voulait la laisser respirer
à l'aise et vivre de sa vie ! En effet, c'est lorsque le crédit commençait à
renaître, c'est lorsqu'une idée infernale poussait sans cesse les
travailleurs à tarir les sources mêmes du travail, c'est lorsque la démence,
se parant du manteau de la philosophie, venait détourner les esprits des
occupations régulières pour les jeter dans les spéculations de l'utopie,
c'est alors que vous avez montré au monde des produits qu'un calme durable
semblait seul permettre d'exécuter. En présence donc de ces résultats
inespérés, je dois le répéter, comme elle pourrait être grande, la République
française, s'il lui était permis de vaquer à ses véritables affaires et de
réformer ses institutions, au lieu d'être sans cesse troublée, d'un côté par
les idées démagogiques, et de l'autre par les hallucinations monarchiques !
Les idées démagogiques proclament-elles une vérité ? Non. Elles répandent
partout l'erreur et le mensonge... Les ressources employées à les réprimer
sont autant de pertes pour les améliorations les plus pressantes, pour le
soulagement de la misère. Quant aux hallucinations monarchiques, sans faire
courir les mêmes dangers, elles entravent également tout progrès, tout
travail sérieux. On lutte au lieu de marcher. On voit des hommes, jadis
ardents promoteurs des prérogatives de l'autorité royale, se faire
conventionnels afin de désarmer le pouvoir, issu du suffrage populaire. On
voit ceux qui ont le plus souffert, le plus gémi des révolutions, en
provoquer une nouvelle, et cela dans l'unique but de se soustraire au vœu
national... Ces efforts seront vains. Tout ce qui est dans la nécessité des
temps doit s'accomplir. L'inutile seul ne saurait revivre. Cette cérémonie
est encore une preuve que si certaines institutions tombent sans retour, celles,
au contraire, qui sont conformes aux mœurs, aux idées, aux besoins de
l'époque, bravent les attaques de l'envie ou du puritanisme... Ne redoutez
pas l'avenir. La tranquillité sera maintenue, quoi qu'il arrive. Un
gouvernement qui s'appuie sur la masse entière de la nation, qui n'a d'autre
mobile que le bien public et qu'anime cette foi ardente qui vous guide
sûrement, même à travers un espace où il n'y a pas de route tracée, ce
gouvernement, dis-je, saura remplir sa mission, car il a en lui, et le droit
qui vient du peuple, et la force qui vient de Dieu ! Pour la Patrie (26 novembre 1851), ce discours est un acte. C'est une magnifique et patriotique réponse à tous les factieux qui s'agitent, à tous les ambitieux qui se liguent dans une ténébreuse et sourde conspiration contre le pouvoir dont la nation a remis entre les mains de Louis-Napoléon le dépôt sacré. Elle sera entendue dans toute la France ; elle vibrera dans toutes les âmes honnêtes ; elle entraînera tous les esprits sensés[63]... Un libelle, écrit en style apocalyptique, augmente la terreur causée au pays par le désarroi qui règne dans les sphères gouvernementales, c'est le Spectre rouge. Le terme où nous touchons, dit-il, c'est le chaos social, la barbarie. Il n'y a sur le vieux sol de la Gaule que des riches inquiets ou des pauvres dressés à la haine, à la soif du pillage. Ce qui les retient à cette heure, c'est l'armée... Les prolétaires aspirent au jour où ils tiendront nos petits-enfants et les écraseront sur la pierre !... J'annonce la Jacquerie... Entre le règne de la torche et le règne du sabre, vous n'avez plus de choix. Ce sabre, grâce à Dieu, n'est pas celui de Tamerlan ; il ne sortira pas du fourreau pour détruire, mais pour protéger ; il est devenu l'élément civilisateur, car il combat la barbarie !... Ce ne sont pas seulement les journaux et les publications bonapartistes qui crient : La patrie est en danger ; c'est la voix autorisée de l'archevêque de Paris qui se fait entendre : La sagesse humaine est à bout ; la société tout entière chancelle ; comme un homme ivre, au bord de l'abîme, le vieil ordre social s'affaisse. Le sentiment est général et se traduit partout, dans les salons comme dans les rues, par cette déclaration aussi simpliste qu'énergique : Ça ne peut pas durer comme ça ! Il n'y a pas de légalité qui tienne I Il n'y a "pas de disposition constitutionnelle qui puisse empêcher une nation, unanime dans son vœu, de faire sa volonté ! Il faut que cela finisse ! Pour l'amour de son pays, que le prince fasse donc ce fameux coup d'État, attendu comme le Messie depuis trois mortelles années, et qu'il agisse vite ! Jusque dans les réceptions de l'Élysée, on parle couramment du coup d'État qui va se faire ; on en rit et on en plaisante, même dans les rangs de la droite, non parce qu'on n'y croit pas, mais au contraire parce qu'on le considère comme fatal. C'est ainsi qu'un député, M. Denjoy, dit à haute voix à Granier de Cassagnac[64] : Eh bien ! quand est-ce que vous nous mettez à la porte ? et que celui-ci lui répond sur le même ton : J'espère, mon cher ami, que cela ne tardera pas. — Le frère de l'Empereur, le prince Jérôme, mande alors le
préfet de police, M. de Maupas, pour le prier d'être l'intermédiaire d'un
rapprochement avec son neveu, et à cette occasion, il lui dit[65] : Avant huit jours mon neveu aura fait son coup d'État...
J'ai servi l'Empire jusqu'à sa dernière heure ; je veux qu'à son premier jour
le nouveau règne de notre dynastie me trouve comme son premier soldat au
poste du péril. Le jour du coup d'État, le Président se présentera au
peuple ; il faut que le frère de l'Empereur soit à ses côtés... Voyez mon
neveu ; il a bon cœur vous arriverez facilement à savoir à quelles conditions
la bonne harmonie peut se rétablir. Quant à moi, je vous donne pleins
pouvoirs ; j'oublierai mon âge et mes antécédents pour ne penser qu'au
bonheur de revoir la paix dans notre famille... Je ferai la première
démarche, je vous autorise à le dire... — Cette lettre n'est pas
seulement curieuse parce qu'elle nous montre combien rame des grands peut
être misérable — c'est là le petit côté de l'affaire — elle l'est surtout au
point de vue historique, parce qu'elle nous révèle, à la veille du 2
décembre, la toute-puissance du prince fondée, tout comme en décembre 1848,
sur une irrésistible popularité. On racontait, et le fait était exact, que le colonel[66] du régiment de lanciers qui, à Satory, s'était fait remarquer entre tous par son ardeur à donner le signal des cris de : Vive l'Empereur ! venait d'offrir, à l'École militaire, aux colonels des autres régiments de la garnison de Paris un punch dans lequel des toasts enthousiastes et inconstitutionnels avaient été portés au chef de l'État. On disait encore, et l'on ne se trompait pas, que la garde de l'Assemblée avait été confiée au 42e de ligne, et qu'il était sous les ordres du colonel Espinasse, aveuglément dévoué au prince. Les chefs de la majorité[67] se réunissaient avec les généraux membres de l'Assemblée et délibéraient sur la situation ; le général Bedeau, fort des confidences du général Carrelet, affirmait que l'armée ne marcherait pas contre l'Assemblée nationale ; le général Le Flô soutenait le contraire. MM. de Malleville, Duvergier de Hauranne annonçaient que le jour du coup d'État était fixé, que les proclamations au peuple et à l'armée étaient toutes prêtes, que M. de Morny serait nominé ministre de l'intérieur au moment de l'attentat. Le lundi 1e décembre, il y avait réception à l'Élysée. Le
prince accueillait tous les visiteurs, — et ils étaient fort nombreux — avec
son affabilité ordinaire. Rien dans son attitude ne trahissait la moindre
préoccupation. Il montrait son calme et son impassibilité habituels. De son
côté, M. de Morny[68] était à
l'Opéra-Comique, bien en vue dans une loge, où à une dame lui disant : On prétend qu'il va y avoir un coup de balai, que
ferez-vous ? il répondait nonchalamment : Je
tâcherai d'être du côté du manche. A dix heures et demie, il se
trouvait à l'Élysée, dans le cabinet du Président de la République, où
celui-ci venait bientôt le rejoindre et où arrivaient successivement MM. de
Persigny[69],
le confident le plus intime, l'ami inséparable, l'homme des audaces, l'apôtre
du bonapartisme ; Mouillard, chef du cabinet présidentiel ; le préfet de
police, M. de Maupas ; le ministre de la guerre, le général de Saint-Arnaud[70]. Ils étaient
six. En l'espace d'une demi-heure, le plan déjà arrêté fut à nouveau rappelé
et précisé ; l'argent nécessaire fut distribué[71], les proclamations
au peuple et à l'armée furent envoyées[72] à l'Imprimerie
nationale. Quelques brèves paroles furent échangées. M. de Morny[73] s'écria : Il est bien entendu que chacun y est pour sa peau.
M. Mocquard répondit : Sans doute ! mais la mienne
est déjà si usée que je ne joue pas bien gros jeu. Le prince dit alors
: J'ai confiance dans le succès ; j'ai comme
toujours à mon doigt une bague de ma mère, dont le chaton porte pour devise :
Espère ! C'était toujours l'homme de Strasbourg et de Boulogne. ; ce
qu'il fut jusqu'à la fin[74]. A onze heures,
tout était terminé. Si M. Thiers fit alors une ronde suprême, il put
constater qu'avant minuit on dormait dans tout le palais de l'Élysée. Le
lendemain, au lever du jour, le coup d'État était accompli. La France entière
y applaudissait. Trois semaines après (vote
des 20 et 21 décembre), elle le sanctionnait par sept millions quatre
cent quatre-vingt-un mille deux cent trente et un suffrages[75]. On ne saurait
contester la sincérité de ce verdict national. Il n'y a pas de pression
officielle qui puisse entraîner sept millions de suffrages. Ce fut une
nouvelle et prodigieuse acclamation populaire[76]. L'histoire n'en
condamnera pas moins le prince, parce qu'il
n'est jamais permis de violer une Constitution librement acceptée, ni de
manquer à une parole librement donnée ; mais elle n'aura garde d'oublier que,
privé du droit de dissolution, il ne pouvait faire appel au pays, et qu'il
avait pour lui la majorité dans le Parlement, la presque unanimité des
conseils généraux, la nation entière, y compris l'armée ; tout le monde
enfin. En même temps, elle condamnera surtout la France, sa complice, son
impatiente et impérieuse complice. Dans son jugement définitif, elle sera
indulgente au Président de la République, et elle réservera toutes ses
sévérités pour l'Empereur. FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME |
[1] Les cris de : Vive Napoléon ! Vive le Président ! dominaient tout. A peine quelques cris de : Vive la République ! Mais ce qui m'a frappé le plus, c'est l'empressement des populations rurales accourues de toutes parts pour voir le neveu de l’Empereur. Elles étaient groupées nombreuses et compactes autour des plus minces stations.... (Journal des Débats, 3 juin 1851.)
[2] L'Assemblée nationale, numéro du 3 juin 1851.
[3] Voir Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 132.
[4] M. DE MAUPAS (p. 135, 136) prétend dans ses Mémoires que la déclaration de Changarnier avait fait l'objet d'une délibération en règle entre trois ou quatre des plus ardents ennemis du prince, dont M. Thiers. ... L'idée première appartenait bien au général Changarnier, et il avait, selon sa coutume, confié au papier le premier flot de son éloquence. Ce papier (nous devons à un ami qui en est le jaloux détenteur la faveur de l'avoir sous les yeux), qui contient la vraie première pensée du général, est couvert de ratures. L'improvisation y apparait laborieuse. Sur une seconde feuille se trouve la copie de ce premier jet, encore couverte de corrections ; mais, cette fois, c'est M. Thiers qui corrige, et l'écriture de l'illustre homme d'État n'est pas de celles sur lesquelles l'erreur soit un instant possible. Puis enfin le factum est copié sur une troisième feuille. Ces trois feuilles sont encore, comme elles étaient en 1851, chez le général Changarnier, attachées ensemble par une épingle ; la dernière est écrite sur un revers coupé de lettre de faire part...
[5] Il fallait que l'Assemblée eût bien peur... pour manifester un tel enthousiasme pour quelques paroles...'qui n'étaient, à vrai dire, qu'une vaine forfanterie. On rapporte qu'un orateur de l'antiquité ayant été vivement applaudi se retourna vers un auditeur et lui demanda s'il ne venait pas de dire quelque sottise. Le général Changarnier aurait pu faire la même demande. Comment lui, qui connaissait si bien l'esprit militaire et qui professait si hautement le culte de la discipline, pouvait-il se faire illusion au point d'affirmer que les soldats désobéiraient à leurs officiers ? Il savait bien le contraire. Cette pompeuse phrase... n'était dans la situation que ridicule... (Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 134.)
[6] 8 juin 1851. (Article de Ch. Hugo.)
[7] Elle avait été quelques jours auparavant, comme nous l'avons vu, celle du colonel Charras.
[8] Le 25 juillet paraissait dans les journaux une note émanant du Comité général pour la révision de la Constitution, où il était dit : La plupart des fonctionnaires n'ont pas signé ; quelques-uns ont empêché le pétitionnement... Le Comité Général n'a reçu du gouvernement ni impulsion, ni direction... Le pétitionnement a jailli du bon sens national. Signé : Pépin Lehalleur, président ; Turgot, vice-président ; Guyard-Delalain, P. Lavallée, de Beaumont-Vassy, F. Marbeau, Kœnigswarter.
[9] Par le comte Ferdinand de Berthier.
[10] Menu du banquet : 400 potages Crécy aux croûtons, 11 saumons genevois au sauterne, 11 turbots hollandais, 12 buissons d'écrevisses et de crevettes, 12 rôtis de 15 cailles, 6 rôtis de canetons de Rouen, 6 rôtis de dindonneaux nouveaux, 6 rôts de jambons d’York à la gelée, 22 poulets à la Saint-Lambert, 22 filets à l'anglaise, 11 timbales à la milanaise, 11 mayonnaises de homard, 15 haricots verts à l'anglaise, 15 pois à la française, 50 melons glacés, 11 raviers assortis, 59 gâteaux napolitains, 11 gâteaux Montmorency, 11 bombes, 11 fromages glacés, 4 vases (l'ananas, 4 vases de fleurs, 22 corbeilles amandes et fleurs, 11 corbeilles abricots et fleurs, 11 corbeilles cerises et fleurs, 44 compotiers de fraises, 44 de biscuits à la vanille, 44 de petits fours, 44 de gaufrettes, 22 fromages Chester, 22 de Roquefort, madère (glacé et non glacé), beaune (en carafe), chateau-laffitte, gruaud-larose, léveillé, etc. ; champagne (glacé et non glacé), café, liqueurs. (Journal des villes et des campagnes.)
[11] On aurait entendu voler l'aile d'un oiseau-mouche. (L'Assemblée nationale, 3 juillet.) L'Univers dit : A Dijon, M. Louis Bonaparte avait été franc jusqu'à la brutalité, d'autres ont dit jusqu'à la maladresse ; à Poitiers, il s'est montré habile et parlementaire : mais, en somme, l'un et l'autre discours signifient qu'il reconnaît au peuple le droit de l'élire malgré la Constitution.
[12] Dans un procès de presse fait alors à un journal, le Messager de l'Assemblée, le journaliste incriminé, M. Forcade, par suite de circonstances inutiles à mentionner ici, est amené à lire le passage suivant d'un rapport du préfet de police, M. Carlier, au Président de la République : ... La Société du 10 décembre, qui prend le titre de société de secours mutuels, est une société politique qui nient à son titre et à son organisation ; elle est composée d'intrigants et d'hommes tarés... Elle compromet le Président en lui attribuant des intentions qu'il n'a pas ; elle lui fait un mal infini en se posant entre le pays et lui... Les manifestations spontanées... étant attribuées à la Société du 10 décembre... ne font plus aucun effet...
[13] 8 juillet 1851. De Clermont à Beauvais, dit le Moniteur, les habitants et les gardes nationales étaient accourus partout sur le passage et faisaient retentir l'air de leurs acclamations. Chaque village avait son arc de verdure et de fleurs. A Beauvais, il a traversé les rues entre deux haies de gardes nationales dont plusieurs avaient fait vingt lieues pour assister à la tête. Jamais accueil pins sympathique n'avait été fait au chef du pouvoir exécutif. e— Les journaux ne sont pas d'accord sur l'accueil fait au Président dans ce nouveau voyage. C'est toujours la même chose. Faisons seulement remarquer qu'il n'eût pas été possible aux Autorités civiles et religieuses de parler, comme elles l'ont fait, de l'universel empressement et de l'enthousiasme des populations, si réellement l'accueil avait été hostile ou même simplement empreint de réserve et de froideur. — Le National (7 juillet) s'exprime ainsi : Partout sur son passage M. Bonaparte a pu entendre les gardes nationaux et les populations acclamer énergiquement... la République ; cette fois encore les décembraillards ont entendu leurs cris étouffés sous les acclamations longuement retentissantes de : Vive la République ! L'Événement (9 juillet) : Quand les jeunes princes de la maison d'Orléans faisaient une excursion à travers la France, le Moniteur publiait les relations officielles de ces voyages, et, à l'entendre, les populations avaient toujours montré le plus grand enthousiasme ; on sait où la dynastie déchue est arrivée d'enthousiasme en enthousiasme. Le même grand enthousiasme qui a servi successivement à M. Ledru-Rollin, à M. de Lamartine, à M. Caussidière, on l'a remis à neuf, et il sert aujourd'hui à M. Bonaparte.
[14] Déclarant que le Président n'était pas rééligible.
[15] Faut-il s'étonner, s'écriait-il, qu'un homme qu'on aura porté au haut des tours de Notre-Dame éprouve un vertige ? On le place entre l'usurpation et le néant...
[16] Il y eut là un des plus beaux mouvements oratoires que l'histoire ait enregistrés.
[17] Allusion aux acclamations qui, dans l'Assemblée constituante de 1848, saluèrent la proclamation de la République.
[18] Non, jamais nous n'avons assisté à un tel oubli du devoir, à un tel abaissement de la dignité du gouvernement, à un tel spectacle d'anarchie !... Nous ne pouvons comprendre ni amnistier la bassesse. Où sommes-nous tombés, qu'il nous faille subir de tels spectacles ! C'est assez, c'est trop de dégoût ! Jamais on ne descendit à pareil niveau. Ô génie de la patrie, quelle honte ! Ô nobles et grands souvenirs de nos révolutions, quelle décadence ! Ô illustre passé de la France, quel présent ! La France vous répudie ! la France vous désavoue ! la France vous honnit !... (National, 19 juillet 1851.)
[19] La proposition de révision fut repoussée par 278 suffrages. Il aurait fallu pour qu'elle fût votée qu'elle réunit 343 voix contre seulement 181. S'il est au monde une fiction, dit l'Assemblée nationale du 20 juillet, qui fasse cabrer l'esprit, c'est bien celle qui soumet une majorité de !r2S6 voix à une minorité de 278.
[20] Les députés les plus connus avant voté pour sont les suivants : Abbatucci, général Achard, de Luynes, de Padoue, général de Kerdrel, général de Bar, général Baraguey-d'Hilliers, Berryer, Bocher, A. Bonaparte, L.-L. Bonaparte, de Broglie, Buffet, Casimir Périer, Chambolle, général de Chasseloup-Laubat, Coquerel, de Corcelle, de Crouseilhes, Cunin-Gridaine, Dahirel, Drouin de Lhuys, Dupetit-Thouars, Dupin, général Duriac, Duvergier de Hauranne, Estancelin, de Falloux, Léon Faucher, Fortoul, Ach. Fould, de Girardin, de Goulard, général Gourgaud, général de Grammont, général de Grouchy, général d'Hautpoul, général Husson, de Laboulie, amiral Lainé, de Larcy, général Lauriston, général Lebreton, de Maleville, Mathieu-Bodet, de Melun, de Mérode, Molé, de Montalembert, de Montebello, général Montholon, de Morny, de Mortemart, de la 3Ioskowa, de Mouchy, L. Murat, Edgard :Ney, général d'Ornano, général Oudinot de Reggio, de Parieu, Passy, général Pelet, de Persigny, Pidoux, Plichon, Poujoulat, général de la Fosse, de Riancey, général Ragé, Roulier, général Huilière, Sauvaire-Barthélemy, de Ségur d'Aguesseau, de Sesmaisons, Soult de Dalmatie, Suchet d'Albufera, de Talhouét, général Tartas, de Tocqueville, de Tracy, général Vast-Vineux, de Vatimesnil, Wolowski, Mortimer-Ternaux. — Votèrent contre : Bedeau, Napoléon Bonaparte, Pierre Bonaparte, Carnot, Cavaignac, Changarnier, Charras, Dufaure, Pascal Duprat, Eugène Sue, Jules Favre, de Flotte, Grévy, général Laidet, de Lamartine, Lamennais, de Lamoricière, Lanjuinais, de Lasteyrie (les deux), général Leflô, Victor Lefranc, de Laborde, Michel de Bourges, de Mornay, Pierre Leroux, Piscatory, Ed. Quinet, Raspail, Baudot, de Rémusat, général Bey, de la Rochejaquelein, Sainte-Beuve, général Subervie, Thiers, Valette, Victor Hugo, etc.
[21] 22 juillet. (Article de John Lemoinne.)
[22] Les départements qui, eu égard à leur population, avaient envoyé le plus de pétitions étaient : la Meuse, la Haute-Saône, la Charente, la Charente-Inférieure, la Côte-d'Or et l'Isère ; le moins : le Finistère, la Loire-Inférieure, le Morbihan, le Gard, la Mayenne et la Vendée.
[23] Un mouvement de dégoût s'est manifesté sur presque tous les bancs de l'Assemblée, à mesure que l'odeur nauséabonde de cette cuisine du pétitionnement... se répandait dans la salle. M. de Melun a constaté en outre que les modèles de ces pétitions venaient presque tous de Paris, qu'ils étaient imprimés, ce qui peut donner une idée de la spontanéité du pétitionnement. (Opinion publique, 9 juillet 1851.) — Oui, mais il n'empêche que les signatures affluaient par milliers. — Le National (10, 14 juillet 1851) : ... Le rapport de M. de Melun est le coup de grâce de cette vaste intrigue, nouée par le parti bonapartiste sur toute l'étendue du territoire pour arracher à l'ignorance ou à la peur de la majorité la prorogation des pouvoirs présidentiels... Inconstitutionnel dans son but, immoral dans ses moyens, le mouvement factice imprimé aux populations par les agents de l'administration bonapartiste ne mérite que le dédain et le mépris des hommes de cœur... C'est une émeute de fonctionnaires... provoquée par des allocutions officielles, organisée par des instructions venues d'en haut...
[24] GRANIER DE CASSAGNAC, dans ses Souvenirs du second Empire (t. II, p. 62), rapporte qu'un jour de l'été de 1851, après avoir attendu à Saint-Cloud le prince qui se promenait à cheval, celui-ci, une fois arrivé, lui raconta ceci : Il venait de rencontrer un rempailleur de chaises qui l'avait interpellé ainsi : Arrête-toi un instant et laisse-moi te dire un mot. On dit que là-bas, à la Chambre, ils ne veulent pas de toi. Eh bien, nous en voulons, nous ! Nous savons que tu aimes le peuple et l'ouvrier. Qu'ils n'oublient pas que c'est nous-qui t'avons nommé et qu'à ton premier signal nos bras et nos poitrines sont à ton service. — Cet homme, ajouta le prince, touchait mon genou de ses poings fermés, et, comme mon cheval s'impatientait, il s'est rangé tout aussitôt en disant : Compte sur nous !
[25] Le 11 août 1851 se réunissaient à Saint-Cloud, pour y traiter la question du coup d'État, MM. de Morny, de Persigny, Carlier, Rouher. (GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, t. III, p. 140.)
[26] Voir le Pays du 19 août.
[27] Gazette de France du 22 août. Réflexion aussi profondément juste que profondément triste.
[28] Le Pays, 3 septembre. — Le journal l'Union disait : ... Le bonapartisme n'est... qu'une chimère sociale. Il est sans racines dans les mœurs et dans les lois... Il n'a pas de passé, il n'a pas d'avenir ; c'est un point dans l'histoire... L'Empire a été dans les desseins de Dieu, il a eu sa mission et il l'a remplie ; on ne refait pas une œuvre achevée ; le bonapartisme n'est qu'un mot... (31 juillet 1851.)
[29] Le Pays, 12 septembre.
[30] 31 juillet. — Elle disait quelque temps après (20 août) : On croit rêver quand on voit une Constitution qui récompense les services et les talents par l'ostracisme... qui fait à un peuple un crime de la reconnaissance. Il n'y aura qu'un homme capable... de devenir le boulevard de l'ordre et d'assurer le salut de la société, et cet homme... sera le seul que le pays n'aura pas le droit d'élire, sous le futile prétexte qu'il aura déjà contribué pendant quatre années à lui donner le calme et la sûreté. Voilà ce qui révoltera toujours le bon sens !...
[31] Le Siècle, 4 septembre.
[32] GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, p. 151.
[33] Voir les Mémoires de M. DE MAUPAS sur le Second Empire, p. 223 et suiv., passim.
[34] Voir GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, p. 159.
[35] Trois semaines après, l'Indépendance belge (19 octobre) parlait avec une exactitude surprenante du projet de coup d'État et de ce qui venait de se passer : Il n'a échoué que par le refus de concours des généraux... Le plan consistait à occuper militairement... Paris... pendant la nuit, puis à répandre au jour un manifeste présidentiel qui, se fondant sur la résistance de l'Assemblée aux vireux révisionnistes exprimés par de nombreuses pétitions et par les vœux de quatre-vingts conseils généraux, déclarait cette Assemblée dissoute. Aux termes du même manifeste, le suffrage universel était rétabli et les collèges électoraux devaient être convoqués dans un bref délai pour statuer sur le maintien du Président au pouvoir pendant dix ans, sa rééligibilité indéfinie, etc., etc. Tel est le plan superbe qui n'a manqué que par la faiblesse des généraux, comme dit M. de Persigny ; il a été ajourné à des temps plus propices... — Ce fut bien là tout le coup d'État du 2 décembre.
[36] Les conseils généraux se sont prononcés avec un élan, avec un ensemble dont ils n'avaient peut-être jamais offert l'exemple. (Les Débats, 26 septembre.)
Le Times (12 septembre) : On peut sûrement inférer de ce vote (des conseils généraux) que ces départements ont voté de fait pour quelque chose de différent de la République... Il demeure démontré que le peuple français vit sous des institutions condamnées et répudiées par les seize dix-septièmes de la population...
[37] Pouvons-nous, en bonne justice, reprocher à M. Louis Bonaparte de n'être ni un homme de Génie ni un héros ? Or il aurait eu besoin de génie et d'héroïsme pour échapper aux difficultés dans lesquelles l'a enlacé le parti conservateur. Il veut rester au pouvoir, et ce n'est pas d'aujourd'hui. Bien d'autres à sa place auraient eu cette pensée et l'auraient moins légitimement. (Univers, 16 octobre 1851.)
[38] Procureur général à Rouen.
[39] Ancien pair de France.
[40] Membre de l'Institut.
[41] Ancien avocat général à Paris.
[42] Député.
[43] Député.
[44] Député.
[45] Inspecteur général des finances.
[46] Ancien sous-préfet de Beaune, puis de Boulogne. Préfet de l'Allier.
[47] Mémoires, p. 188, 189.
[48] 1er novembre. — Voir aussi le Conseiller du peuple, par Lamartine.
[49] Voir Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 173.
[50] Odilon Barrot fait dire par l'Ordre : Il est bon que le pays et l'Assemblée sachent que cette idée (d'un coup d'État) n'est pas abandonnée... et (qu'on) se promet d'y revenir quand tous les autres moyens seront épuisés... Nous vivons sous un gouvernement où tout est possible...
[51] Voir Procès-verbaux de la 24e commission d'initiative parlementaire.
[52] Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
[53] L'Opinion publique (16 novembre), après avoir dit que le rapport Vitet est un chef-d'œuvre de bon sens, de lucidité, de convenance parlementaire, de fermeté modérée, ajoute cette déclaration qui a une véritable importance historique : Nous avons entendu aujourd'hui quelques membres des bancs supérieurs de la gauche accueillir sans beaucoup de peine l'idée d'une violence tentée contre l'Assemblée, dans la pensée que la force révolutionnaire aurait facilement raison plus tard de M. Louis Bonaparte...
[54] Sur 30 membres présents, 23 se prononcèrent pour la prise en considération, 6 votèrent contre et 1 s'abstint ; aucun membre, sur la question de principe, n'adopta l'opinion des ministres.
Les conclusions du rapport Vitet étaient ainsi formulées : Sera promulgué, mis à l'ordre de l'armée et affiché dans les casernes l'article 6 du décret du 11 mai 1848 dans les termes ci-après : Article unique. Le président de l'Assemblée nationale est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de -l'Assemblée. A cet effet, il a le droit de requérir la force armée et toutes les autorités dont il juge le concours nécessaire. Les réquisitions peuvent être adressées directement à tous les officiers, commandants ou fonctionnaires, qui sont tenus d'y obtempérer immédiatement, sous les peines portées par la loi.
[55] Odilon BARROT, Mémoires, p. 201.
[56] .... L'Élysée était bien décidé, quoi qu'il arrivât, à ne pas se soumettre au vote de l'Assemblée... Un officier de l'armée de Paris aurait raconté que le régi-ruent de lanciers caserné au quai d'Orsay doit tenir chaque nuit 200 hommes prêts et 200 chevaux sellés et bridés, mousquetons chargés. (Odilon BARROT, Mémoires, p. 201.)
[57] Si elle craignait... l'ambition de Napoléon, elle détestait encore plus la politique de la majorité. (Odilon BARROT, Mémoires, p. 196.) — D'après l'Ordre (18 novembre), la Montagne envisageait avec joie l'éventualité d'un coup d'État, persuadée qu'ensuite une insurrection formidable aurait raison du prince.
[58] Notamment votèrent pour : Arnaud de l'Ariège, de Kerdrel, Barthélemy-Saint-Hilaire, Baze, de Beaumont, Béchard, Bedeau, Berryer, Beugnot, Bocher, de Broglie, Casimir Périer, Cavaignac, Chambolle, Changarnier, Charras, Coquerel, de Corcelle, Desmousseaux de Givré, Dufaure, Dufraisse, Duvergier de Hauranne, de l'Espinasse, Estancelin, de Falloux, Fresneau, Grévy, Kolb-Bernard, de Laboulie, Lamoricière, Lanjuinais, de Larcy, de Lasteyrie (les deux), Le Flô, de Laborde, de Malleville, Marrast, Martel, Mège, de Melun (les deux), de Montebello, de Mornay, de Mortemart, Nettement, Pidoux, Poujoulat, Quinet, général Radoult, général Lauriston, général Rulhière, général de Saint-Priest, Baudot, de Ravinel, de Rémusat, de Rességuier, de Riancey, Sainte-Beuve, de Talhouet, Mortimer-Ternaux, Thiers, de Tocqueville, Valette, de Vatimesnil, etc.
Contre : général Achard, général de Padoue, général de Bar, général Baraguey d'Hilliers, général Chasseloup-Laubat, général Durrieu, général Fabvier, général Gourgault, général de Grammont, général de Grouchy, général d'Hautpoul, général Husson, général Laidet, général Lebreton, général de Montholon, général d'Ornano, général Oudinot de Reggio, général Pelet, général Rapatel, général Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, général Bey, général logé, général Subervie, général Wast-Vicieux, colonel Vaudrey, de Luynes, Antony Thouret, E. Arago, Rance', Baroche, Bineau, Boinvilliers, Antoine Bonaparte, Louis-Lucien Bonaparte, Napoléon Bonaparte, Pierre Bonaparte, Buffet, de Cambacérès, Carnot, de Caulaincourt, de Casabianca, Clary, Colfavru, Crémieux, de Crouseilhes, Dain, Dariste, Daru, Drouyn de Lhuys, Pascal Duprat, Eschassériaux, Eugène Suc, Léon Faucher, Jules Favre, de Flotte, Fortoul, Achille Fould, Frémy, Gavini, Émile de Girardin, Godelle, de Goulard, Greppo, de Heeckeren, Laboulaye, de Laborde, Lacrosse, Lamennais, Larabit, Victor Lefranc, Madier de Montjau, Mathieu-Bodet, de Mérode, Michel de Bourges, de Montalembert, de la Moskova, de Mouchy, de Moustier, Lucien Murat, Martin Nadaud, Edgard Ney, de Parieu, de Persigny, Pierre Leroux, Raspail, de la Rochejaquelein, Roulier, Schœlcher, de Ségur d'Aguesseau, Suchet d'Albufera, de Tracy, Valentin, Victor Hugo, Vieillard, Wolowski, etc., etc. — M. Daru, le lendemain du rejet de la proposition des questeurs, disait qu'il ne voulait pas avoir de tache de sang sur les mains. (Voir Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 203.)
[59] Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 185. — Voir aussi le Siècle du 15 novembre 1851 ; On se préoccupe vivement dans la salle des conférences des projets... (de l'Élysée). Ces projets, qui ne sont plus un mystère pour l'armée, inspirent de sérieuses inquiétudes à plusieurs officiers supérieurs... — C'était donc le 12 novembre au soir.
[60] Voir chapitre XIII, § II.
[61] GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, t. III, p. 181. — Quand il revit le prince, après avoir écrit cet article, celui-ci lui tendit le petit doigt de sa main droite, ce qui était sa manière habituelle de donner la main h ceux qu'il aimait particulièrement. (Tome III, p. 205.)
[62] Trois jours après le désaveu de son ministre, le prince sue remercia de cet article et m'en demanda un autre poussant encore les choses plus loin. (GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, p. 101.)
[63] Nous admirons l'adresse de M. Louis-Napoléon dans tous ces petits discours inquiétants et irrépréhensibles qu'il prononce toujours à propos... Quels que soient le lieu et la circonstance, il sait dire à son profit le mot qui va le plus droit aux préoccupations du moment ; il sait le placer, pour ainsi dire, sur la limite de son droit constitutionnel... Le discours aux exposants de Londres... est vraiment un chef-d'œuvre... Il dénote un sens gouvernemental bien plus exercé que beaucoup de gens ne le souhaiteraient.... (Univers, 28 novembre 1851.)
[64] GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, t. III, p. 211.
[65] DE MAUPAS, Mémoires, p. 236.
[66] Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 186.
[67] Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 186.
[68] A toujours passé pour le frère utérin du prince ; fils de la reine Hortense et du comte de Flahaut ; ancien officier. Brillants états de service. Au siège de Constantine sauva la vie au général Trézel. Démissionnaire en 1838. Industriel, fabricant de sucre aux environs de Clermont-Ferrand. Député du Puy-de-Dôme en 1842. — M. de Morny est venu voir Clément ; il lui a dit qu'il ne voyait plus qu'une chance de salut pour la France ; il fallait appeler Henri V au trône ; il veut faire le voyage de Frohsdorf à l'insu des siens. (Août 1848, Journal de la princesse Mélanie. — Voir les Mémoires du prince DE METTERNICH, t. VIII, p. 31.) — Orléaniste ardent... Il assista pour la première fois à l'une de nos réunions le 1er décembre ; le prince, le général de Saint-Arnaud et moi l'initiâmes, aux détails d'exécution depuis longtemps résolus. (DE MAUPAS, Mémoires, p. 291.)
[69] Parmi les hommes qui avaient encouragé vivement le prince dans la voie d'une solution décisive... il faut placer en première ligne le comte de Persigny. (DE MAUPAS, Mémoires, p. 288.)
[70] Courageux, résolu, il voyait sans la moindre émotion l'heure du péril arriver. (DE MAUPAS, Mémoires, p. 287.)
[71] A la séance de la Chambre des députés du 28 juin 1892, M. Camille Pelletan prétendait que le prince, à la veille du coup d'Etat, avait pris 25 millions à la Banque de France. C'est une erreur, ainsi que le déclarait M. Burdeau. Le prince n'avait à sa disposition que quelques centaines de mille francs qui se trouvaient légitimement en sa possession. Il n'a jamais pris un centime à personne ; en revanche, il avait la main constamment toute grande ouverte pour tous. Au mois d'avril 1851, il avait emprunté 500.000 francs au maréchal duc de Valence. (Papiers et correspondance de la famille impériale trouvés aux Tuileries, édit. Garnier.)
[72] Elles furent portées à l'imprimerie par le lieutenant-colonel de Béville, officier d'ordonnance du Président.
[73] GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, p. 217.
[74] Le 2 décembre était le jour anniversaire du couronnement de Napoléon Ier et de la victoire d'Austerlitz.
[75] Voir le Moniteur du 15 janvier 1852.
[76] (Les représentants de la gauche) avaient affirmé avec une grande solennité que le peuple tout entier s'insurgerait pour la défense du Droit et de la Constitution, et ce peuple n'avait que des sarcasmes pour les victimes du Droit et de la Constitution. — Ah ! disaient les ouvriers du faubourg Saint-Antoine, ce sont les vingt-cinq francs qu'on va coffrer ! C'est bien joué ! (L'indemnité des représentants était de 25 francs par jour.) (Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 231) — ... (La) part de la fortune est grande sans doute (dans son succès), mais elle n'exclut pas celle qu'il faut faire à la capacité personnelle de Louis-Napoléon, et cette capacité que ses adversaires ont commis la faute de méconnaitre, est incontestable. Je ne suis pas suspect à cet égard. Eh bien... cette foi dans sa destinée, cette force de volonté, cette patience et cette audace dans ses résolutions en faisaient déjà un homme hors ligne... (Odilon BARROT, id.)
On raconte que le général Changarnier dit au commissaire de police Leras qui le conduisait à Mazas : La réélection du Président était certaine ; il n'avait pas besoin de recourir à un coup d'État ; il se donne bien de la peine inutilement.
Au moment même du coup d'État, le Siècle, sans trouver d'écho, écrivait encore le 2 décembre : .... Entre vous, messieurs, et l'Empire, il y a la France piétinée par l'étranger, rejetée violemment entre les bras de l'ancien régime, privée d'une partie de son territoire, grevée du milliard de l'occupation... il y a des monceaux de cadavres... un océan de sang... La dissolution violente de l'Assemblée n'est pas possible... Un 18 brumaire sans Bonaparte serait quelque chose de plus inconcevable... que l'Empire sans l'Empereur... De son côté, c'est en vain que l'Opinion publique, ce même jour, s'écriait : L'Empire demande à recommencer l'Empereur, c'est-à-dire que le corps demande à vivre sans l'âme, que la lampe demande à éclairer sans l'huile... L'Empire sans l'Empereur, cela ressemblerait à un train essayant de marcher sans locomotive...