Le prince n'a pas abandonné tout espoir de s'entendre avec la majorité de l'Assemblée. — Le message du 12 novembre 1850. — Comment l'expliquer ? — Il espère accabler l'Assemblée de son désintéressement et l'amener à voter la révision. — Accueil favorable de l'Assemblée ; approbation unanime des journaux. — Remarque judicieuse de l'Union sur l'espérance mise par le prince dans la force des choses. — Odilon Barrot dans ses Mémoires l'accuse de mauvaise foi. — Lamartine dans le Conseiller du peuple le loue sans réserve. — Il en est de même de la presse anglaise, sauf le Daily News, qui le traite de Tartufe. — Anniversaire du 10 décembre, banquet à l'Hôtel de ville, où, en réponse au préfet, il confirme la pensée maîtresse du message. — Le Moniteur du soir souligne les idées présidentielles et le but poursuivi. — Les feuilles bonapartistes continuent à faire les enfants terribles. — Indignation du journal de Changarnier, l'Assemblée nationale. — La Gazette de France précise l'objectif du Président. — L'Almanach de Mathieu Lœnsberg. — La continuation de la campagne des journaux bonapartistes révolte l'Assemblée, qui décide qu'elle ne sera pas officiellement représentée par son bureau aux réceptions élyséennes du 1er janvier 1851. — Entrevue du prince et du président de l'Assemblée, M. Dupin. — Interpellation du prince Napoléon Bonaparte sur les instructions données par le général Changarnier relativement aux conditions de réquisition des troupes par l'Assemblée. — Déclaration du général Changarnier ; ovation que lui fait l'Assemblée. — Le Constitutionnel et l'Univers dévoilent le plan des légitimistes et des orléanistes de n'avoir accepté la présidence de Louis Bonaparte que comme un pont. — Le prince se décide à révoquer le général Changarnier. — Refus d'Odilon Barrot de prendre le pouvoir avec la charge de cette révocation. — Déclaration du prince aux principaux chefs de la majorité convoqués à l'Élysée. — Langage provocateur du journal de Changarnier. — 10 janvier, révocation du général ; aucune émotion dans le pays. — Il n'en est pas de rame à l'Assemblée ; interpellation Rémusat ; déclaration de guerre de la majorité ; Baroche, Berryer, Maure, Rouher, général Bedeau. — Le droit de révocation n'était pas contestable, mais les vrais motifs de la mesure ne sont pas dits à la tribune. — Vote de la proposition Rémusat, tendant à la nomination d'une commission chargée de soumettre à l'Assemblée les résolutions que les circonstances pourraient exiger. — L'Univers, le Constitutionnel, la Presse, le Siècle soutiennent le prince ; les autres journaux sont pour l'Assemblée. — Le Daily News, le Times, le Morning Herald condamnent l'Assemblée. — Rapport de M. Lanjuinais au nom de la commission ; il propose de blâmer le gouvernement et de donner au général un témoignage de confiance. — Le National, l'Univers, le Constitutionnel rappellent qu'en 1849 Changarnier a fait crier : Vive Napoléon ! — Discussion de la proposition Rémusat : de Goulard, Monet, Baroche (5 fois), Changarnier, Lasteyrie, Flandin, Berryer, Thiers (3 fois), d'Adelswœrd, Cavaignac, Dufaure vote de l'amendement Sainte-Beuve. — Démission du ministère. — Les journaux ; la presse anglaise. — Message du 24 janvier ; la Presse et le National repoussent les avances du prince ; judicieuses réflexions de l'Assemblée nationale ; le Pays. — 25 janvier, ministère de Boyer. — Les journaux ; article prophétique de l'Opinion publique ; curieuses réflexions du Siècle ; Lamartine, en dehors des feuilles bonapartistes, est seul à défendre le prince. — Interpellation de M. Howyn-Tranchere sur la formation du cabinet. — MM. de Royer, Mathieu de la Drôme, Léo de Laborde, Bouhier de l'Écluse. — Vote de l'ordre du jour pur et simple ; exclamation de M. Bourgat. — M. de la Guéronnière dans la Presse. — Demande d'un supplément de dotation pour le prince ; les Débats seuls appuient, en dehors des feuilles bonapartistes. — Discussion dans les bureaux : Mimerel, Ducos, Dumas, Casabianca, Quentin-Bauchart, L. Faucher pour ; Victor Hugo, Pascal Duprat, etc., contre. — Commission de 15 membres dont 13 défavorables. — Rapport Piscatory. — 10 février, discussion à l'Assemblée : de Royer, Dufougerais, de Montalembert, Piscatory. Rejet de la dotation par 396 voix contre 294. — L'Union, la Gazette, le National, le Siècle, l'Événement, l'Assemblée nationale approuvent le vote que regrettent le Pays, l'Univers, les Débats. — Bruit de l'ouverture d'une souscription en faveur du prince. — Lettre de refus écrite au nom du prince au rédacteur en chef du Pays. — Habileté du prince proclamée par les Débats eux-mêmes. — Articles violents de la Patrie et du Constitutionnel (Granier de Cassagnac). — Les journaux sur la brochure : Qu'est-ce que le retour à l'Empire ? — Les manifestations de l'avenue de Marigny. — Pétition à l'Assemblée sur la dotation. — Propositions Desmousseaux de Givré, Desmars, d'Adelswœrd. — Propagande bonapartiste. — Les sorties du Président. — Revue du 15 mars ; les journaux, le Siècle. — Le clergé de Paris dine à l'Élysée. La révision : les journaux, la correspondance du Bulletin de Paris ; le pétitionnement ; brochure Cormenin ; la presse opposante voit dans la révision le coup d'État et l'Empire ; M. de la Guéronnière dans le Pays, devenu le journal de Lamartine, repousse l'Empire comme ridicule. — La Patrie, l'Univers continuent à défendre le prince. — Renvoi du ministère de Royer. — Odilon Barrot appelé à former un cabinet. — Ministère Léon Faucher, Buffet, Rouher, Baroche ; proposition Sainte-Beuve déclarant que le nouveau ministère n'a pas la confiance de l'Assemblée ; réponse de Léon Faucher ; vote de l'ordre du jour pur et simple. — Les journaux opposants qualifient le nouveau cabinet de ministère de la provocation. — L'Événement déclare que la Société du 10 décembre est reformée et en donne l'organisation. — Léon Faucher, dans une note au Moniteur et la séance du 21 mai, se défend de favoriser le pétitionnement des conseils municipaux. — Exclamation de M. Vieillard à la séance du 22 mai. — 223 représentants déposent une proposition de révision. — Proposition de M. Morin tendant à réduire à un mois le délai après lequel les projets repoussés pourraient être reproduits devant l'Assemblée ; dans la discussion, M. Laclaudure dénonce les agissements des fonctionnaires en faveur de la révision. — M. Godelle. — L'Assemblée vote la prise en considération. — Opinion d'Odilon Barrot sur le mouvement irrésistible de la nation française vers le prince Louis-Napoléon.Le prince, en prononçant la dissolution de la Société du Dix-Décembre, avait fait un pas dans la voie de l'accord avec l'Assemblée. Il allait en faire un second par son message da 12 novembre. Aussi bien il ne demandait qu'à s'entendre avec elle pour arriver à son but : la révision de la Constitution ; mais en même temps il considérait comme une nécessité impérieuse, et par la presse, et par les voyages, et par les revues où il ne pouvait tolérer d'entraves à la libre manifestation des ardentes sympathies de l'armée, d'entretenir et d'accroitre une popularité qui devait précisément à son sens imposer la révision à la Représentation nationale. Le jour même où l'Assemblée reprenait ses travaux, il lui
adressait un message qui dans sa pensée devait non seulement réaliser la
réconciliation des deux pouvoirs, mais eu outre lui permettre, après ce
témoignage éclatant de sa bonne volonté, de secouer enfin la tutelle du
général Changarnier. Il y disait notamment : Les
mêmes électeurs qui venaient de me nommer à la magistrature suprême du pays
vous appelèrent par leurs suffrages à siéger ici. La France vous vit arriver
avec joie, car la même pensée avait présidé à nos deux élections... Malgré
les difficultés, la loi, l'autorité ont recouvré tel point leur empire que
personne ne croit désormais au succès de la violence. Mais aussi plus les
craintes sur le présent disparaissent, plus les esprits se livrent avec
entrainement aux préoccupations de l'avenir. Cependant la France veut avant
tout le repos. Encore émue des dangers que la société a courus, elle reste
étrangère aux querelles de partis ou d'hommes si mesquines en présence des
grands intérêts qui sont en jeu. J'ai souvent déclaré, lorsque l'occasion
s'est offerte d'exprimer publiquement ma pensée, que je considérais comme de
grands coupables ceux qui par ambition personnelle compromettaient le peu de
stabilité que nous garantit la Constitution : c'est ma conviction profonde.
Elle n'a jamais été ébranlée. Les ennemis seuls de la tranquillité publique
ont pu dénaturer les plus simples démarches qui naissent de ma position. Comme
premier magistrat de la République, j'ai été obligé de me mettre en relation
avec le clergé, la magistrature, les agriculteurs, les industriels,
l'administration, l'armée, et je me suis empressé de saisir toutes les
occasions de leur témoigner ma sympathie et ma reconnaissance pour le
concours qu'ils me prêtent, et surtout si mon nom, comme mes efforts, a
concouru à raffermir l'esprit de l'armée de laquelle je dispose seul d'après
les termes de la Constitution, c'est un service, j'ose le dire, que je crois
avoir rendu au pays, car j'ai toujours fait tourner au profit de l'ordre mon
influence personnelle. La règle invariable de ma politique sera, dans toutes
les circonstances, de faire mon devoir, rien que mon devoir. Il est aujourd'hui permis à tout le monde, excepté à moi, de vouloir hâter la révision de notre loi fondamentale. Si la Constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes tous libres de les faire ressortir aux yeux du pays. Moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu'elle a tracées. Les conseils généraux ont en grand nombre émis le vœu de la révision de la Constitution. Ce vœu ne s'adresse qu'au pouvoir législatif. Quant à moi, élu du peuple, ne relevant que de lui, je me conformerai toujours à ses volontés légalement exprimées. L'incertitude de l'avenir fait naître, je le sais, bien des appréhensions en réveillant bien des espérances. Sachons tous faire à la patrie le sacrifice de ces espérances, et ne nous occupons que de ses intérêts. Si dans cette session vous votez la révision, une Constituante viendra refaire nos lois fondamentales et régler le sort du pouvoir exécutif. Si vous ne la votez pas, le peuple, en 1852, manifestera solennellement l'expression de sa volonté nouvelle. Mais quelles que puissent être les solutions de l'avenir, entendons-nous afin que ce ne soit jamais la passion, la surprise ou la violence qui décident du. sort d'une grande nation. Inspirons au peuple l'amour du repos en mettant du calme dans nos délibérations, inspirons-lui la religion du droit en ne nous en écartant jamais nous-mêmes ; et alors, croyez-le bien, le progrès des mœurs politiques compensera le danger d'institutions créées dans des jours de défiances et d'incertitudes. Ce qui me préoccupe surtout, soyez-en persuadés, ce n'est pas qui gouvernera la France en 1852, c'est d'employer le temps dont je dispose de manière que la transition, quelle qu'elle soit, se fasse sans agitation et sans trouble. Le but le plus noble et le plus digne d'une âme élevée n'est point de rechercher, quand on est au Pouvoir, par quels expédients on s'y perpétuera, mais de veiller sans cesse aux moyens de consolider à l'avantage de tous les principes d'autorité et de morale, qui défient les passions des hommes et l'instabilité des lois. Je vous ai loyalement ouvert mon cœur ; vous répondrez à ma franchise par votre confiance, à mes bonnes intentions par votre concours ; et Dieu fera le reste. Il avait fallu une virilité peu commune, une âme fière et résolue pour écrire ce message si remarquable à tous les points de vue, et par l'élévation des idées, et par la noblesse des sentiments, et par la netteté des déclarations. Au lieu de tenir un langage réservé, prudent, il allait de l'avant avec une étonnante hardiesse. L'imagination aventureuse se montrait. Il était sincère quand il prenait ces engagements, mais il voyait son étoile, mais en se jetant ainsi bravement à l'eau il ne doutait pas qu'il aborderait, mais il n'admettait pas que l'Assemblée après un message si chevaleresque continuât à l'écarter et ne votât point la révision. Le message produisit sur l'Assemblée l'impression la plus
favorable. La presse, en général, lui fit aussi un excellent accueil. Dans le résumé qui termine le message, dit le Constitutionnel[1], Louis-Napoléon n'a pas mis seulement sa politique, mais
son âme. Il y a là le cri du patriotisme le plus élevé que nous avons
entendu, nous ne dirons pas depuis combien de temps. Les sentiments vrais
inspirent la vraie éloquence. L'effet de ces nobles paroles sur l'Assemblée a
été immense, il le sera plus encore en France. Il est impossible de concevoir
une plus magnanime vengeance de toutes les injustes et abominables
accusations dont le Président de la République a été l'objet. Louis-Napoléon
s'est placé si haut dans le droit et dans le devoir que rien de tout ce qui
s'est inventé ou dit dans les régions inférieures de l'intrigue ne saurait
plus monter jusqu'à lui. La nation sait maintenant à quoi s'en tenir. Si sa
sécurité était jamais troublée par des tentatives ou des actes de violence,
elle est sûre qu'il y a un côté d'où ce malheur ne lui viendra jamais. Les
hommes extrêmes des partis qui ont exploité tant de calomnies contre
Louis-Napoléon... Louis-Napoléon les accable par son impassibilité dans la
loi... En 1848[2] comme en 1850 il n'a qu'une pensée, qu'une parole, l'amour
du pays et le renoncement personnel... Le message a ôté aux partis leurs
prétextes, car de toutes ces accusations mensongères et absurdes, de tous ces
complots grotesques, le message ne laisse rien, rien qu'une honte pour les
partis et une leçon pour la France... Jamais Assemblée ou pays n'entendirent
une parole plus franche, plus digne, plus loyale. Depuis Henri IV ce langage
du pouvoir communiquant avec les peuples semblait perdu. Le Président parle
avec élévation parce que sa façon de penser est élevée. Le Président est
éloquent parce qu'il ose être vrai. Voilà tout le secret de l'immense succès
littéraire de son message. Le Moniteur du soir[3] raconte qu'à la
Bourse du passage de l'Opéra il y avait dans ce que
chacun exprimait non seulement de la reconnaissance, mais encore de
l'admiration. On ne savait trop louer ce calme du chef de l'État se montrant
supérieur aux récriminations qui se sont agitées... On appréciait la grande
sérénité de cette âme honnête et loyale qui plane constamment au-dessus des
petites passions... L'abnégation, la plus belle des vertus dans l'homme
d'État, est le principe dominant dans la politique du Président... Cette
vertu que nous pouvons nommer napoléonienne lui donne raison aux yeux du pays
contre les accusations banales dont il est constamment l'objet... C'est
maintenant à l'Assemblée à lui tenir compte d'un dévouement si pur aux
intérêts de notre grande patrie... n Cette dernière phrase montre
bien, comme nous l'avons indiqué, que le prince aventureusement avait joué
son va-tout sur ce message, pensant étonner, confondre, et irrésistiblement
amener à lui la majorité de l'Assemblée nationale, charmée, séduite,
subjuguée. Le Pays (14 novembre) n'est
pas moins enthousiaste : La France a couvert le
message de ses acclamations ; c'est un monument historique qui atteste la
sagesse de celui qui l'a conçu, devant lequel on s'incline avec respect. A
nous cet acte n'a rien appris. Ce que nous aimons, ce que nous soutenons en
Louis-Napoléon, c'est l'honnête homme qui n'envisage la persévérance que
comme un devoir, et qui, seul lié par son serment qui le renferme dans les
strictes limites de la Constitution, ne veut pas hâter la révision de cette
œuvre d'ignorance et de ruine. Mais... cette Constitution, elle l'arrête par
un frein qui pour lui est irrésistible, l'autorité de la foi jurée. Grand et
beau spectacle donné à l'Europe et au monde ! Les Débats (14 novembre) disent que la partie du message
qui traite de la situation morale et politique du pays a produit la plus
heureuse impression, et que celle qui a trait à la situation matérielle aura
un retentissement non moins grand et non moins salutaire. L'Union (13 novembre) reconnaît qu'il y a dans le
message plus que des garanties et des bonnes paroles, qu'il y a aussi des
gages donnés au grand parti de l'ordre, à l'esprit de concorde et de
conciliation, et que si quelque chose doit consoler des inquiétudes récentes,
c'est de voir enfin le Président protester hautement de son respect profond
pour la Constitution... Jamais, ajoute-t-elle
(14 novembre 1850), démenti plus formel ne fut jeté à une presse amie ; jamais
chef de pouvoir n'a dit plus nettement à de compromettants et officieux
défenseurs : Je vous condamne et je vous désavoue ; vous avez sous mon nom
agité le pays, alarmé la conscience publique ; vous avez laissé croire à des
projets insensés... (Eh bien !) vous avez été les frauduleux éditeurs d'une politique que
je réprouve... — Le pays (18 novembre
1850) ne peut qu'applaudir aux déclarations
du message... (Il) dit d'une manière nette, explicite, avec ce cachet de
droiture, avec ces signes d'honnêteté qui commandent la confiance, que l'on
ne veut pas sortir de la Constitution..., c'est la bonne parole... Mais il a
désiré constamment fortifier sa position actuelle avec l'espérance qu'une
certaine force des choses, acceptée ou subie par l'Assemblée, le
maintiendrait dans le gouvernement. Il ne faut pas s'y tromper, tout cela se
trouve exprimé dans les conclusions du message, mais en termes prudents, mesurés,
avec beaucoup de retenue... qui a rétabli dans les esprits une confiance que,
par respect pour la parole humaine, on doit croire bien fondée. Rien
de plus exact, rien de plus juste que ces réflexions qui extériorisent
excellemment la politique du Président. La Gazette de France (14 novembre 1850) déclare que le message ne
mérite que des éloges. C'est le langage d'un cœur
honnête, c'est l'œuvre d'un homme qui, obsédé par les incitations d'un nom
dangereux, se détermine pour le devoir ; c'est une victoire qu'il remporte
sur lui-même. M. de la Rochefoucauld, duc de Doudeauville, écrit à ce journal
que par le fait seul de son message le Président a
bien mérité de la France. A moins de se parjurer de la manière la plus
scandaleuse, il ne lui est plus permis d'avoir aucune de ces velléités qui
jetaient le trouble dans tous les esprits. Honneur donc à lui ! L'Assemblée
nationale (12 novembre 1850) exprime
la même approbation : Le pays tout entier doit
applaudir. Devant ces promesses, devant cette noble réparation donnée aux
justes susceptibilités de l'Assemblée et. du pays tous les ressentiments
s'oublient, toutes les dissidences s'effacent... toute opposition devient
désormais sans objet. Le Président de la République a choisi la voie de
l'abnégation. L'organe du général Changarnier, comme on le voit,
montait au Capitole. La roche Tarpéienne n'était pas loin. L'Opinion publique (14
novembre) trouve le message doux, insinuant,
presque débonnaire, aux antipodes de celui du 31 octobre 1849. L'Univers
(14 novembre) applaudit au fond et à la
forme du message. Le Président s'est tiré avec un
rare bonheur de tous (les) embarras. Il est difficile de lui refuser la noblesse du
langage et la loyauté des sentiments. L'Événement (14 novembre) lui-même, par les plumes de Paul
Meurice et de François Victor Hugo, fait entendre une note élogieuse : Le message est l'œuvre d'une conscience droite, mais non
celle d'un large esprit. Il est loyal, mais il n'est pas libéral. Si M. Louis
Bonaparte eût manqué hier au serment qu'il a juré devant Dieu à la
Constituante, il eût été un malhonnête homme, demain il serait un
misérable... L'adhésion si franche et si loyale que M. Louis-Napoléon a faite
à la République jure singulièrement avec le message lui-même. La Presse[4] s'écrie : Oui, nous croyons à la parole humaine, parce que nous
croyons encore à la dignité des caractères et à la probité des consciences.
Après celle que le Président vient de donner aujourd'hui à la France et à
l'Europe, il n'y attrait plus de président, il n'y aurait plus de Bonaparte,
il n'y aurait plus d'homme, s'il était permis de douter qu'on pût revenir sur
de telles déclarations... M. Louis Bonaparte ne renonce pas seulement à un
coup d'État par la violence, il renonce aussi à un coup de majorité par la
surprise. C'est une abdication complète, formelle, décisive, absolue de toute
prétention personnelle devant la volonté du pays... En se livrant à la
Souveraineté du peuple, il s'arrache à l'influence de M. Thiers et à la
tutelle du général Changarnier. Il cesse d'être l'instrument des partis. Nous
avons cru entendre un écho des pensées de Ham (16 novembre)... Si M. le Président
avait écouté (les) aventuriers politiques, il n'eût certainement pas écrit
la fin de son message, il n'eût pas proclamé la sainteté du droit et la
grandeur du devoir, il n'eût pas promis de se conformer strictement et
religieusement à la volonté du peuple, légalement exprimée, alors même que
cette volonté lui commanderait de descendre du pouvoir... il aurait oublié
son serment... il aurait appelé à lui quelques officiers ambitieux, quelques
soldats ivres, et sans revenir d'Égypte, sans avoir derrière lui (les
grenadiers qui étaient des héros et une nation à peine échappée de la
terreur, encore tremblante de l'horreur des échafauds et avide d'un pouvoir
tutélaire, sans être ni César, ni Cromwell, ni Napoléon, il aurait enfoncé
les portes du Palais législatif, renversé la tribune, et ramassé un sceptre
dans une aventure !... Heureusement l'hôte de l'Élysée s'est rappelé à temps
les nobles inspirations et les pensées élevées du captif de Ham... Il a rompu
énergiquement avec les aventuriers... II a abdiqué solennellement toute
ambition coupable. Il a renouvelé noblement son serment à la loi et au peuple
!... Le Siècle (13 novembre 1850), au contraire, critique le message comme une avance regrettable à la droite : Ce n'en est pas moins un triste spectacle de voir M. le Président de la République se donner ainsi à la face du monde un démenti formel et désavouer publiquement à trois ou quatre ans de distance toutes les pensées généreuses, toutes les nobles espérances, toutes les tendances intelligentes qu'avaient développées chez lui le malheur, la captivité et l'exil. Odilon Barrot, dans ses Mémoires (t. IV, p. 69), qualifie le message de prodige d'habileté et accuse le Président d'avoir
été de mauvaise foi. Lamartine l'apprécie tout différemment dans le Conseiller
du peuple, qui, lui, n'a pas été écrit après coup : Oh ! que c'est une souveraine habileté que l'honnêteté !
Le Président a été honnête homme, et tous les fantômes se sont dissipés...
Jamais coup de théâtre n'éclaira plus vite et à moins de frais la scène. Les
intrigues rentraient dans l'ombre ; la République avait reparu. Voilà l'effet
du message... Le message pour nous est tout entier dans ces bonnes et belles
paroles qui nous ont fait dire en sortant de la séance où nous les avons entendues
: Nous sortons d'un second 24 féerie pacifique, d'une seconde installation de
la République représentative en France... Voilà le langage qu'un Washington
n'aurait pas désavoué, et si, comme nous n'en doutons pas, un Bonaparte suit
invariablement cette ligne de droiture, de bons sens et de désintéressement,
il aura dans un seul nom la gloire de deux... Nous ne voulons pas nier que
les ambitions qui agitent les souvenirs de l'Empire ont tendu des amorces,
ont insinué des cris aux opinions pour les entraîner à des manifestations
folles et extraconstitutionnelles. Mais le Président a voulu voir par
lui-même, et il a vu. Il a voyagé, il a reçu les Corps, il a communiqué avec
la masse des populations... il a permis et trop permis peut-être les cris
sous les armes, il a tâté le pays, il a vu que le sol ne sonnait pas la
monarchie sous les pas mêmes d'un Napoléon, encore moins l'empire, et il
s'est dit : Soyons ce qu'est la France, faisons mon devoir comme elle fait le
sien. Là est son salut, là est mon honneur, là sera ma récompense. Et il a
écrit le message. Et la France l'a ratifié... Le message a donc eu raison de
dire : Dieu fera le reste ! Mais Dieu se sert de la main des peuples, et le
peuple n'aura d'autre solution sous la main que la République. Le message l'a
compris et il l'a dit d'avance. C'est là son génie ! La presse anglaise approuve le message, à part le Daily
News, qui s'exprime ainsi : Les conservateurs ont
été délicieusement émus dans leurs entrailles de l'action aristocratique de
saint Napoléon venant leur dénoncer la propagande socialiste, confessant sa
foi dans la gendarmerie, glorifiant la restauration du Pape et déclarant que
ceux-là seraient de grands coupables qui par ambition personnelle
compromettraient le peu de stabilité que garantit la Constitution. On
demandait au Président un nolo regnare, une renonciation à l'Empire,
il a répondu à peu près dans ce sens, mais avec un langage que Molière eût pu
mettre avec succès dans la bouche de Tartufe. Le Président a eu pour but
d'amener l'Assemblée à supprimer l'article de la Constitution qui prohibe sa
réélection. Somme toute, si nous désapprouvons le ton de soumission qui règne
dans ce message au sujet de l'Assemblée, nous devons reconnaître que
Louis-Napoléon pourrait fort bien réussir et se distinguer au milieu des
médiocrités de notre siècle. Le Morning Post traite le message
de déclaration noble et loyale ; le Morning Herald, de très bon et satisfaisant
document ; il en est de même du Globe. Le Morning Chronicle dit : Plus de ces amplifications dont la paternité pouvait être
attribuée à première vue à Pétion et à ses imitateurs ; plus de propositions
semi-socialistes, mais un compte rendu consciencieux et bien fait du progrès
matériel de la France. Il résulte du dernier paragraphe du message que
Louis-Napoléon renonce à toute espérance et à tout dessein de s'établir au
pouvoir par une action directe sur le pays. Le Times déclare qu'à chaque ligne respirent le progrès et le calme ;
l'auteur y fait plutôt preuve de candeur que de réserve cauteleuse. C'est un
document honorable, explicite, et par-dessus tout rassurant. Le Sun
estime que le message peut être rangé parmi les plus
brillants des documents officiels de la République. Chaque phrase respire la
sérénité de l'homme d'État ; à travers le calme on voit percer la ferveur
d'un patriotisme sincère. Louis-Napoléon s'est acquis des droits au respect
de tous ceux qui malgré sa politique pleine de sagesse avaient conservé pour
lui un dédain engendré par deux souvenirs malheureux. Par ce message il a
définitivement effacé toute trace de ses erreurs passées. La supériorité de
ce chef-d'œuvre éclate dès le début. Le sentiment des difficultés de sa
position, la connaissance de l'inquiète jalousie avec laquelle ses moindres
mouvements sont observés, la certitude des soupçons qu'on nourrit contre son
ambition personnelle, ne parviennent à altérer à aucun degré la franchise de
ses expressions, ni à troubler même pour un instant la netteté de son
jugement ferme et élevé. — A l'occasion de l'anniversaire du 10 décembre, le préfet
de la Seine donne à l'Hôtel de ville un banquet, et adresse au Président une
allocution où l'on remarque le passage suivant : Deux
années s'achèvent à peine depuis l'élection mémorable dont nous célébrons
aujourd'hui l'anniversaire ; mais un temps bien plus long semble s'être
écoulé quand on se retrace les progrès accomplis[5] sous l'heureuse influence du pouvoir que six millions de
suffrages ont remis en vos mains. Grâce à vos efforts, à votre dévouement, à
l'heureuse harmonie des pouvoirs, il nous est enfin permis d'écarter tous les
intérêts politiques, pour ne vous parler que des intérêts de la ville de
Paris. Cette ville est d'ailleurs l'objet constant de votre sollicitude, et
ce sentiment si précieux pour elle est chez vous héritage de famille.
L'immortel auteur du nom que vous portez si bien a laissé dans nos murs
d'impérissables souvenirs : rues, places, monuments, tout y conserve l'empreinte
de son génie créateur. Le Président. répond : Fêter
l'anniversaire de mon élection à l'Hôtel de ville, dans ce palais du peuple
de Paris, c'est nie rappeler l'origine de mon Pouvoir et les devoirs que
cette origine m'impose. Malgré l'incertitude des choses, on compte sur
l'avenir, parce qu'on sait que si des modifications doivent avoir lieu. elles
s'accompliront sans trouble. Les gouvernements qui après de longs troubles
civils sont parvenus à rétablir le pouvoir et la liberté, et à prévenir les
bouleversements nouveaux, ont, tout en domptant l'esprit révolutionnaire,
puisé leur force dans le droit né de la Révolution même. Ceux-là, au
contraire, ont été impuissants qui sont allés chercher ce droit dans la
contre-révolution. Si quelque bien s'est fait depuis deux ans, il faut en
savoir gré surtout à ce principe d'élection populaire qui a fait sortir du
conflit des ambitions un droit réel et incontestable. Disons-le donc
hautement, ce sont les grands principes, les nobles passions telles que la
loyauté et le désintéressement, qui sauvent les sociétés, et non les
spéculations de la force et du hasard. Paris est le cœur de la France.
Mettons tous nos efforts à embellir cette grande cité, à améliorer le sort de
ses habitants, à les éclairer sur leurs véritables intérêts. Ouvrons des rues
nouvelles, assainissons les quartiers populeux qui manquent d'air et de jour,
et que la lumière bienfaisante du soleil pénètre partout dans nos murs comme
la lumière de la vérité dans nos cœurs. Ce toast important était tout
à la fois une confirmation des idées du message et une réponse aux
accusations de faire machine en arrière. Le prince se réclamait de la
Révolution ! Dans un banquet offert huit jours après par le président de l'Assemblée au Président de la République, celui-ci boit à la concorde des Pouvoirs publics et à l'Assemblée. Le Moniteur du soir (13 décembre 1850) souligne les déclarations du prince au banquet de l'Hôtel de ville : Loyauté ! désintéressement ! résolution de s'incliner devant les volontés de la France électorale ! Ce sont là des intentions et des sentiments sur lesquels les citoyens honorables de tous les partis peuvent se reposer. Lorsqu'un pareil langage est tenu par le premier magistrat d'un pays, on peut être sûr que les modifications attendues en 1852 s'accompliront sans troubles. Mais les journaux dévoués au Président continuent leur
campagne bonapartiste. Ils disent explicitement, en enfants terribles, ce que
le Président ne fait que penser et espérer. Pour le Constitutionnel (14 décembre 1850), Louis-Napoléon
a ce double mérite de ne devoir son élévation qu'au suffrage universel, et
d'être l'héritier de l'homme de génie dont le nom vivra le plus longtemps
dans l'histoire du monde civilisé. Il s'est montré digne de ce nom depuis le
10 décembre, en rétablissant l'ordre, en honorant la religion, et en opposant
aux entreprises des factieux un cœur résolu et qui ne s'inspire que de
l'amour de la patrie. Il tient en réserve, pour vaincre les intrigues, des
armes avec lesquelles on est invulnérable sous le gouvernement de tous : le
calme et l'honnêteté ! Le Pays (10
décembre 1850) s'écrie : Le 10 décembre est à
la fois un souvenir, un objet de reconnaissance, une espérance. Où donc les
mettez-vous, vos espérances, si vous ne les mettez pas dans l'élection et
dans l'homme qui ont fait tant et de si grandes choses : les Clubs fermés,
l'émeute frémissant dans son impuissance, l'anarchie muselée, la justice
rendue à tous, les désastres se réparant, l'équilibre rendu à nos finances,
la fortune publique rétablie, les fortunes privées s'améliorant, le nom de la
France recouvrant à l'étranger son antique splendeur, ses armées triomphantes
! Que pouvez-vous désirer mieux que ce que vous avez depuis deux ans ?
Et le journal conclut à la nécessité de la prorogation. Déjà, le 3 décembre,
par la plume de M. Abbatucci, il soutenait la même thèse : Quel est l'homme qui, mieux et plus que Louis-Napoléon,
surtout si le peuple proroge ses pouvoirs, peut consolider le gouvernement de
la République, c'est-à-dire le seul qui puisse convenir à tous, puisqu'il
efface et détruit toutes les prétentions dynastiques ? Le pouvoir de
Louis-Napoléon a et aura toujours un double caractère que n'auront jamais les
autres pouvoirs, quoi qu'ils fassent. Il est et sera la consécration de la
pensée générale des populations à un degré d'exactitude dont l'histoire
n'offre et n'offrira peut-être jamais d'exemple. Il est en possession de la
sympathie des masses parce qu'il est l'expression la plus vraie et la plus
éclatante de ces deux grands besoins de notre époque : autorité et démocratie
! les deux faits si considérables dont le vaste génie de l'Empereur avait
réalisé l'alliance. Voilà pourquoi il est le seul homme qui soit sérieusement
populaire en France. C'est aussi le seul homme qui dans les circonstances
présentes puisse développer les grands et immortels principes éclos en 1789,
en les plaçant sous la tutelle du principe d'autorité ! Quand le sol
tremblait sous vos pas, vous vous sentiez heureux de trouver une digue
puissante dans le nom magique de Napoléon ; alors vous étiez pour ainsi dire
à ses pieds. Mais depuis qu'il a sauvé la société, vous cherchez par tous les
moyens à culbuter son pouvoir. Louis-Napoléon est encore notre ancre de
salut... Brisez-la, et l'abîme nous attend. Voulez-vous que le Président se
retire et vous cède la place ? A qui ? Aux légitimistes ? Aux orléanistes ?
Ou aux rouges ? Répondez ! Comme nous (19
décembre), MM. Molé, Thiers, Berryer, de
Falloux, Odilon Barrot, de Broglie, regardent la prolongation des pouvoirs
comme une nécessité indispensable. C'est la seule chance de salut. Dans le
public, chacun le sait, chacun le sent, chacun le comprend. Le Pouvoir
(1er décembre 1850) disait quelques
jours auparavant, ne se contentant pas de demander la prorogation, mais
continuant ses attaques contre l'Assemblée et se montrant ainsi plus
bonapartiste que le prince : De tous ces partis le
parti parlementaire est le plus dangereux. De tout temps il a agité le pays,
il a eu la main dans tous les troubles depuis l'ancienne monarchie jusqu'à la
république de Février. Il a fait la Ligue, il a fait la Fronde, il a agité
les meilleures années du règne de Louis XV ; sous Louis XVI il a préparé la
Révolution, et finalement jeté la France dans les bras sanglants des
terroristes. Nous ne rappelons pas le rôle qu'il a joué sous Louis. XVIII et
Charles X, et en dernier lieu sous la monarchie de Juillet. La Patrie
écrit : J'estime sans doute Washington abandonnant
le pouvoir pour se retirer dans son habitation du Mont-Vernon, mais je
l'estime sans l'aimer ni l'admirer. J'estime, j'aime et j'admire tout à la
fois César franchissant le Rubicon pour marcher sur Rome et Napoléon
débarquant à Fréjus pour se rendre à Paris. Et l'Assemblée
nationale (23 décembre 1850) de
dire alors : Avec un tel langage, que devient la
paix du message ? quels entraînements faut-il attribuer la responsabilité de
cette étrange déclaration (de la Patrie), et lorsque de telles prétentions se produisent avec tant
de précision et de persévérance, lorsqu'on jette si souvent à la
Représentation nationale de semblables défis, lorsque l'on sonne ainsi la
charge pour la conquête du pouvoir absolu, n'a-t-on pas réfléchi aux
résistances que l'on prépare ? Que penser des promesses de l'abnégation ?
Imprudents ! Aveugles ! Comment supposez-vous qu'il suffit de passer le
Rubicon pour devenir César et pour monter jusques au Capitole ? La Gazette
de France précise (23 décembre 1850)
: Le but que se propose l'Élysée est d'arriver à
faire porter de quatre ans à dix ans la durée de la présidence au profit de
M. Louis Bonaparte. A la fin de décembre 1850, presque tous les journaux reproduisent un article sensationnel de l'Almanach de Mathieu Lœnsberg, intitulé : Un rêve prophétique, où il est dit : Pour beaucoup, la mission de Napoléon n'est pas encore accomplie ; il a été envoyé de Dieu pour Guider le génie de la France, pour semer la civilisation nouvelle. Cette idée que Napoléon doit sauver encore la France est restée profondément empreinte dans l'esprit de ceux surtout qui furent ses contemporains. Quand ce rédempteur doit-il revenir ? Quand doit-il reparaître, comme l'annoncent toutes les prophéties, pour consolider son œuvre ? L'année 1854, qui revient la sixième en additionnant par elle-même la date de naissance de Napoléon, doit être la fin de l'angoisse universelle. C'est la date inévitable de la résurrection du grand Empereur. Celui qui a hérité de son nom, qui porte en lui les signes de sa grandeur, dégagé enfin des langes qui l'enveloppent, de toutes les intrigues qui lui lient les bras, sera porté par la voix populaire, la voix immense du peuple entier, à la souveraine puissance, reprenant l'œuvre du grand Empereur ressuscité en lui. Malgré la dissolution de la Société du Dix-Décembre, malgré les termes conciliants du message, la polémique des journaux dévoués au prince était toujours si lyriquement napoléonienne et si audacieusement, si dédaigneusement oublieuse des droits de l'Assemblée, que celle-ci, justement froissée de ces attaques violentes et incessantes dont elle rendait responsable, non sans raison, le Président de la République, décida qu'elle répondrait aux outrages en ne se faisant pas représenter officiellement par son bureau à la réception de l'Élysée le 1er janvier 1851, laissant à ses membres leur liberté d'action. Le président Dupin, homme de conciliation, ayant horreur de la lutte, sans convictions bien fermes, sans caractère, se rendit à l'Élysée, accompagné de quelques députés[6]. Le prince, ne voulant pas tenir compte des blessures faites à la Représentation nationale par la presse bonapartiste, ne voyant que les avances de son dernier message, la main qu'il avait inutilement tendue, irrité de l'abstention officielle de l'Assemblée, engagea avec le président Dupin sur un ton impérieux et blessant le dialogue qui suit : M. Dupin : Je viens, comme mes collègues, vous offrir mes veux les plus sincères. Le prince : ... Je veux bien les croire sincères, puisque vous me le dites, mais j'avais besoin de cette assurance !... Il faut que vous sachiez et que la France sache bien que je ne tiens pas à ce que mes pouvoirs soient prorogés, mais qu'il y a une chose à laquelle je tiens essentiellement, c'est que, quand en 1852 je les remettrai au peuple de qui je les tiens, il les retrouve intacts et respectés. M. Dupin : S'il y a des empiétements, ils ne sont pas venus de l'Assemblée. Le prince : Je suis convaincu que celui des deux Pouvoirs qui empiétera sur l'autre aura tort aux yeux du pays. II est fort heureux qu'il y ait des renouvellements d'année. En voilà une qui finit assez tristement ; une autre commence sous de meilleurs auspices, vous me le dites, je l'espère et je vous remercie. M. Dupin : Je suis tout à fait de votre avis, monsieur le Président, le pouvoir législatif n'a rien à gagner à l'affaiblissement du pouvoir exécutif, et le pouvoir exécutif aurait tout à perdre à l'affaiblissement du pouvoir législatif. L'histoire de nos soixante dernières années, comme celle de ces derniers mois, prouve que toutes les fois qu'un pouvoir a voulu empiéter d'un pas, il a été obligé de reculer de quatre... Cette conversation, dont le texte diffère suivant les
journaux, est l'objet des réflexions de toute la presse. M. Dupin, dit l'Événement (3 janvier 1851), a
été médiocrement accueilli par le Président de la République[7]. C'est bien fait. Qu'allait-il faire dans cet Élysée ? L
Assemblée est-elle l'inférieure du Président, pour que ce soit à elle à se
déranger ? — Des paroles, dit le National
(2-3 janvier 1851), telles que jamais Louis-Philippe n'en prononça devant les
anciennes Chambres sont adressées par le Président de la République,
subordonné du pouvoir législatif, au président et au bureau de l'Assemblée,
personnification de ce pouvoir. La majesté de la Représentation nationale est
atteinte. Puis ce journal gémit sur ce qu'il ne s'est trouvé aucun
membre de l'Assemblée pour protester contre l'attitude et le langage du
prince. En sens contraire, le Pays (3
janvier 1851), s'adressant aux orléanistes et aux légitimistes,
s'écrie : De quoi vous plaignez-vous ? Vous avez
l'ordre... et vous attaquez l'homme qui vous l'a donné ! Vos amis sont en
possession de tous les emplois publics !... Que voulez-vous ? Pouvait-il
faire davantage pour vous ?... Mais les coups d'État ?... prétextes
ridicules, inventés par la mauvaise foi... A qui donc Louis-Napoléon a-t-il
donné le droit de douter de sa parole d'honnête homme ? Qu'on le sache bien,
ce sera une de ses gloires d'avoir donné l'exemple du respect de la foi
jurée. Combien d'hommes dans les journées du 20 décembre 1848, des 19 janvier
et 13 juin 1849, auraient refusé de tout balayer pour consolider leur pouvoir
? Un ambitieux vulgaire se fût jeté dans cette voie. Louis-Napoléon a voulu
se placer très haut dans le droit et dans le devoir[8], et de là dominer tous les partis. Il s'est vengé de tant
de basses accusations en dissipant l'émeute, en rassurant les esprits... Il
n'a jamais mis et ne mettra jamais son ambition... plus haut qu'à servir la
France, qu'à lui apporter sa vie, son sang, son intelligence. Il a toujours
et constamment fait appel à tous les dévouements, à toutes les bonnes
volontés, à toutes les forces vives du pays... Eh bien ! en présence de tant
de condescendance, les partis n'ont pas désarmé... Louis-Napoléon déconcerte évidemment
leurs plans d'avenir... c'est... une des causes de leur acharnement à
combattre le Président. La Presse (7
janvier 1851) dit de son côté : La majorité
n'a dissimulé ni ses préférences, ni ses espérances. Elle est allée à
Wiesbaden préparer le sacre de Mgr le comte de Chambord ; elle est allée à
Claremont encourager les prétentions de madame la duchesse d'Orléans. Elle
s'est alors dispensée de tout ménagement, elle a multiplié impunément les
humiliations, elle a fait échec à tout propos à l'Élysée. En même temps que les feuilles publiques blâment ou
approuvent le Président au sujet de ses déclarations à M. Dupin, le bruit se
répand que la situation du général Changarnier est sérieusement menacée. La Patrie
(2 janvier 1851), pour rappeler à
l'Assemblée que le général n'a pas toujours été d'un parlementarisme farouche,
s'empare de cette rumeur pour publier des instructions[9] autrefois émanées
de lui, d'où il résulte que : Tout ordre ne
provenant pas du général en chef ou de ses subordonnés doit être considéré
comme nul, et que toute demande de troupes de la part d'un fonctionnaire
civil, judiciaire ou politique, doit être rigoureusement repoussée.
Le lendemain (3 janvier 1851), le
prince Napoléon Bonaparte, à la tribune de l'Assemblée, interpelle le
ministère sur cette publication de la Patrie. Celui-ci sollicite un ajournement
de la discussion, afin de pouvoir répondre en connaissance de cause. L'Assemblée
ne le lui accorde pas[10], et le général
Changarnier vient faire cette déclaration : L'instruction
signalée par le journal la Patrie n'existe pas. (Mouvement, rires prolongés.) Il n'y a rien de pareil dans les instructions... Dans
aucune d'elles le droit constitutionnel de l'Assemblée de requérir les
troupes n'a été mis en question, non plus que l'article du règlement qui
défère à M. le président de l'Assemblée l'exercice de ce droit. Il est très
vrai que, lorsque l'administration présidée par le général Cavaignac m'a
appelé au commandement en chef de la garde nationale, j'ai cru devoir publier
une instruction qui peu de temps après a été textuellement reproduite pour l'armée,
lorsque cette armée a été placée à son tour sous mon commandement. Dans cette
instruction je prends toutes les précautions nécessaires pour l'exacte
transmission des ordres et pour maintenir l'unité du commandement DURANT LE COMBAT.
Ces dernières paroles sont suivies d'une vive approbation et
d'applaudissements prolongés. Le président Dupin s'écrie : Voilà le mot ! Et le général ajoute : Cette instruction a vingt-neuf mois de date... et, si la Patrie
avait une mémoire plus fidèle, il ne tenait qu'à ce journal de retrouver
cette instruction dans les feuilles de l'époque. Si cela peut intéresser
l'Assemblée, j'en donnerai lecture... Non
! non ! s'écrie-t-on ; et l'ordre du jour pur et simple est voté
après une nouvelle ovation faite au général. L'esprit d'intolérance et
d'envahissement, dit le Constitutionnel[11], a été tout entier du côté de l'Assemblée ; l'esprit de
conciliation et d'abnégation même, tout entier du côté du pouvoir exécutif...
Après s'être servi du Président pour rétablir l'ordre, on veut se servir de
l'ordre pour renverser le Président. Puis il ajoute le surlendemain (7 janvier) : ... Peu
à peu le neveu du héros de Lodi, des Pyramides et d'Austerlitz a sinon
dompté, au moins muselé les monstres. II a bravement et noblement joué son
nom, son avenir, sa tète, dans cette bataille qu'il pouvait perdre...
Aujourd'hui il y a un gouvernement, et les partis qui n'ont ni su ni osé le
faire seraient charmés de le prendre tout fait. Voilà la question... Il faut
que le Président soit bien persuadé que le pays tout entier regrette et blâme
tout système d'hostilités dirigées contre le Président ; (lui) créer des
obstacles, le menacer et l'outrager, c'est résister follement à
l'irrésistible courant d'ordre qui emporte la société française. Louis
Veuillot défend la même thèse dans l'Univers : On (8 janvier) lui a cherché des querelles misérables, on lui fait des difficultés ridicules... Ses
manifestations publiques, ses messages, ses discours sont marqués au coin de
la franchise et du bon sens ; il parle bien, il n'agit point mal... On a été
bienheureux de le trouver... On n'est pas sûr de lui ? De qui est-on sûr ?... Le général Changarnier triomphait ; mais ce triomphe était maigre, et devait être de courte durée. Le prince estime que l'attitude de l'Assemblée constitue une atteinte à son pouvoir comme à sa dignité ; il la considère comme une provocation ; il appelle Odilon Barrot[12], espérant qu'il consentira à couvrir de son autorité l'importante mesure à laquelle il est résolu et qui doit priver le général Changarnier de son double commandement. Odilon Barrot reconnaît que la situation du général est devenue tout à fait anormale, qu'il a cessé d'être*le général subordonné, le simple agent du pouvoir exécutif, qu'il est devenu une puissance rivale, que cette situation ne peut se prolonger ; mais, ajoute-t-il, il ne faut pas oublier que le prince a constitué un ministère à sa seule dévotion, et, par suite, le Parlement a cherché la garantie qui lui manque dans l'épée da général Changarnier, auquel on donne ainsi dans la Constitution la place qu'aurait dît y occuper un ministère collectif et responsable ; la seule chose à faire est de revenir franchement à la formation d'un ministère assez fort pour donner une complète sécurité au Parlement. Alors l'importance politique du général tombera d'elle-même, car elle n'aurait plus de raison d'être. Il n'y a pas d'autre manière de destituer le général, et c'est la seule à laquelle il consentira, lui Odilon Barrot, à prêter son concours. Le Président, devant cette résistance d'Odilon Barrot,
n'abandonne pas la résolution qu'il a prise ; il est irrévocablement décidé à
frapper le général Changarnier ; mais il tient à user de formes avec le
Parlement ; et, le 8 janvier, il en convoque à l'Élysée les principaux
membres : Dupin, Molé, Thiers, Odilon Barrot, Berryer, de Broglie, Daru, de
Montalembert. Il leur tient alors le langage suivant[13] : J'ai la ferme résolution de ne jamais excéder les limites
de mon pouvoir constitutionnel, mais je ne suis pas moins résolu à le
maintenir tout entier. Des circonstances tout exceptionnelles ont créé à
Paris un commandement militaire qui, aujourd'hui que la tranquillité publique
est rétablie, n'a plus de raison d'être. De plus, ce commandement anormal,
exorbitant, forme dans l'État un troisième pouvoir qui embarrasse le jeu
régulier des autres pouvoirs. J'ai donc résolu de faire cesser cet état de
choses. On ne peut me contester le droit de nommer ou de renvoyer... les
commandants militaires ; mais comme je désire que l'exercice de mon droit ne
puisse être mal interprété et que je veux rester en parfait accord avec la
majorité de l'Assemblée, je vous ai réunis pour chercher avec vous quelle
Garantie je pourrais donner à l'Assemblée de la légalité de mes intentions et
pour que vous l'assuriez qu'elle n'a aucun empiétement de ma part à redouter.
M. Dupin prend la parole : Monsieur le Président,
votre droit de destituer le général Changarnier est incontestable, mais,
c'est après que le général, aux applaudissements à peu près unanimes de
l'Assemblée, a répondu qu'il était toujours prêt à obéir à ses ordres, que
vous le frappez tout à coup de destitution. Comment espérer que l'Assemblée
ne se sentira pas atteinte dans son honneur et même dans sa sûreté ? Aussi
parle-t-on déjà de s'armer du pouvoir que l'article 32 de la Constitution
donne à l'Assemblée. Le prince déclare qu'il enverra au ministre de la
guerre l'ordre d'accorder à l'Assemblée toutes les forces qu'elle demandera,
et qu'il attendra tranquillement à l'Élysée la fin de cette scène ridicule. Odilon
Barrot estime qu'après l'incident parlementaire soulevé par le cousin du
Président, la mesure atteindrait directement le Parlement dans sa dignité ;
que toutes les paroles ne peuvent rien contre les actes ; qu'il faut un
ministère fort pour diminuer la situation incontestablement anormale du
général Changarnier. M. Thiers fait observer que la puissance morale qui
s'attache au commandement du général est née des vices de la Constitution et
des circonstances, et que, si ce commandement disparaît, l'Assemblée se
sentira menacée et dans son honneur et dans sa sûreté. M. Molé dit que
l'occasion choisie pour cette suppression est des plus malheureuses. Le
prince répond qu'il y a peut-être inopportunité, mais que son honneur est
engagé. M. de Broglie dit : La sagesse de tout gouvernement ne consiste pas à
user de tout sou droit, mais à en user à propos et avec modération... Le roi
Charles X était bien dans son droit lorsqu'il disait à" la Chambre : J'ai le droit de choisir mes ministres, votre droit à vous
est de juger les actes ; attendez donc les actes ! Mais attaquer ces
ministres avant qu'ils aient agi, c'est attaquer ma prérogative royale dans
son essence... Ce qui est vrai pour les monarchies constitutionnelles
ne cesse pas de l'être pour le premier magistrat de la République, d'autant
plus que les rapports entre les pouvoirs sont mal définis. M. Daru déclare
que si la mesure est prise, c'en est fait de l'accord entre les deux
pouvoirs. M. Thiers désavoue toute conspiration contre le Président. C'est
une insigne calomnie. N'a-t-on pas appuyé le gouvernement dans tous ses actes
? Cc qu'on a fait jusqu'à ce jour, on le fera encore. Le général Changarnier
ne conspire pas. Si quelque chose le recommande, c'est son extrême réserve au
milieu des partis. Il a servi loyalement, il continuera à le faire. Le prince
interrompt : Cependant des paroles de lui témoigneraient de sentiments tout
autres. N'a-t-il pas annoncé qu'il se chargeait de me conduire à Vincennes
?... M. Thiers s'écrie : Ainsi ce sont des propos d'antichambre
qui vous déterminent !... Le prince reprend que son honneur est
engagé. Odilon Barrot fait un dernier effort. Le prince lui dit que son
éloquence le touche sans le convaincre, et il lève la séance, qui avait duré
trois heures environ. Le journal du général Changarnier, l'Assemblée nationale, disait trois jours auparavant (3 janvier 1851) : ... Le pouvoir exécutif n'a donc pas lu la Constitution ?... Il ne sait donc pas que l'Assemblée sera souveraine le jour où il lui plaira de s'en tenir à la lettre de la loi fondamentale ? Le pouvoir parlementaire doit... tôt ou tard... rester maitre de la situation. Il suffira qu'il trouve une épée dévouée... L'avertissement était significatif. Le général Changarnier disait ainsi au prince : Je suis là, j'y resterai, et tu ne passeras pas. Le Siècle (2-3 janvier 1851) faisait observer que l'accord n'était pas possible entre le Président et les chefs de la majorité, attendu qu'ils ne veulent pas la même chose. L'Opinion publique[14] déclare que si le général était mis de côté le lendemain du jour où il a protesté de son obéissance constitutionnelle à l'Assemblée, il serait de la dignité comme de la sagesse de celle-ci de lui remettre à l'instant à la main pour la défense du pouvoir législatif (sa) glorieuse épée. Le 10 janvier, le Moniteur[15] publiait un décret, en date du 9, qui rapportait ceux des 20 décembre 1848 et 11 juin 1849 investissant le général Changarnier du double commandement de la garde nationale et de l'armée de Paris[16]. Le prince avait osé ; le grand acte était consommé ; le général Changarnier, qui paraissait intangible, n'était plus qu'un simple député. Sa chute ne produisit en France aucune émotion. Il n'en était pas de même au sein de l'Assemblée législative. Le même jour, M. de Rémusat interpellait le gouvernement : Après les actes graves, extraordinaires, que le Moniteur d'aujourd'hui a annoncés, je m'attendais que les ministres viendraient expliquer... pourquoi ils sont sur ces bancs... Cette Assemblée a sauvé la France ; elle n'a laissé à d'autres que l'honneur de la suivre. (Applaudissements répétés à droite et au centre.) Je demande donc aux ministres de vouloir bien expliquer... l'acte si mémorable, si frappant, qui caractérise leur politique. Dès aujourd'hui je demande s'il n'est pas dans leur intention de répondre que l'Assemblée se retire immédiatement dans ses bureaux pour former une commission qui prenne toutes les mesures que les circonstances peuvent commander... Je veux que l'Assemblée parle, qu'elle fasse entendre sa voix, qu'elle rompe enfin un généreux silence qui a duré trop longtemps ! C'était une véritable déclaration de guerre. La guerre, il est vrai, existait sourdement depuis bien des mois, mais elle n'était pas avouée par la majorité ; à cette heure, elle l'était ; le sort en était jeté ! M. Baroche, ministre de l'intérieur, vient répondre à M.
de Rémusat. Il s'étonne qu'on parle d'un acte menaçant, qu'on craigne quelque
chose d'inconstitutionnel. Je fais appel,
dit-il, aux souvenirs que, tous, nous espérons avoir
laissés dans les consciences, dans l'estime de ceux avec lesquels nous avons
eu pendant longtemps le bonheur de marcher, avec lesquels nous espérons
marcher... (Voix au centre et à
droite : Non ! non !)... Vous me dites : Non... Quoi !... quoi que nous
fassions, quels que soient nos actes !... C'est donc aux hommes que vous
voulez faire la guerre, ce n'est pas aux choses ! (Une voix : Il y
a déjà des actes !) (Je reconnais)
que cette Assemblée (a) sauvé le pays, mais (il
ne faut pas) oublier... les efforts du
pouvoir exécutif depuis le 10 décembre pour concourir à cette œuvre de salut
et de régénération... Notre politique ?... C'est la politique du message du
12 novembre 1850... Respect pour tous les pouvoirs fondés par la
Constitution, respect pour le pouvoir parlementaire, respect pour la
Constitution, pour la Constitution surtout, pour cette ancre de salut... ;
mais aussi défense énergique... des droits et des prérogatives du pouvoir
exécutif... Dans l'acte auquel on a fait allusion il n'y a rien autre chose
que l'acte lui-même, rien autre chose que l'exercice d'un droit
constitutionnel ; il n'y a rien autre chose ; il n'v a pas l'annonce, la
possibilité d'autres actes qui seraient cachés derrière celui-là ; il n'y a
pas la pensée de sortir... du terrain de la Constitution... (Agitation prolongée.) On ne pouvait être plus explicite. Ajoutons que le ministre était sincère. Non seulement il ne songeait point à un coup d'État, mais il n'avait même jamais rien recueilli de la bouche du prince qui pût faire supposer que celui-ci était résolu à franchir le Rubicon. Bien plus, à cette époque, le prince était toujours profondément imbu de l'idée qu'il arriverait par les voies légales. Qu'un coup d'État fût dans la pensée de l'entourage élyséen, c'est possible ; qu'il fût comme ressource suprême dans l'arrière-pensée du prince, c'est encore possible ; mais M. Baroche et ses collègues disaient la vérité en affirmant qu'ils ne feraient pas, eux, un coup d'État. Berryer répond au ministre : La
question qui a été adressée à M. le ministre était une question sur un fait
actuel, sur un fait d'aujourd'hui ; la réponse est vape et contradictoire
avec l'événement... J'aurais compris qu'on fût venu dire à cette Assemblée :
Une armée de Paris n'est plus nécessaire. Mais qu'on laisse les choses en état,
et qu'il ne s'agisse que du changement d'un homme... il est impossible que le
ministère ne rende pas compte de cet acte, surtout quand l'homme qui a été
déplacé... a été l'objet du vote de la semaine dernière... M. Baroche
remonte à la tribune pour déclarer que la politique du cabinet reconstitué
sera celle du message du 12 novembre 1850, et que l'Assemblée ne saurait rien
exiger de plus. M. Dufaure élargit le débat : Tous
les jours l'Assemblée est calomniée par deux cents journaux... une presse
nouvelle a vu le jour ; c'est la première fois qu'on a vu une presse appuyant
d'un côté le pouvoir exécutif, l'exaltant, le vantant, le préconisant et en même
temps attaquant sans relâche le pouvoir législatif ; vous empêchez de
colporter sur la place publique les écrits... qui attaquent le pouvoir
exécutif, et vous en interdisez la vente : pourquoi permettez-vous la vente
des journaux qui attaquent l'Assemblée ?... L'histoire nous a montré que dans
les jours funestes où l'on a voulu porter atteinte à la dignité du pouvoir
législatif, c'est ainsi qu'on a commencé... A en croire les journaux dont je
parle... le règne des Assemblées est fini ; il faut en revenir au règne d'une
volonté unique... Vous voulez que l'Assemblée ainsi attaquée ne dise jamais
rien ;... qu'elle consente à accepter le rôle ignoble et odieux qu'on veut
lui faire... (Ce n'est pas tout). Est-ce que la presse était seule à exalter le pouvoir
exécutif ?... Que voulaient dire ces acclamations séditieuses qu'on entendait
de tous côtés et qui n'ont jamais été poursuivies ?... Pourquoi échauffer
ainsi les masses d'un grand souvenir, je le reconnais, mais d'un souvenir qui
ne peut plus se réaliser, qui est en dehors de nos mœurs, et que trente-six
ans de gouvernement parlementaire ont pour toujours relégué dans l'histoire
?... Le cabinet dit : Vous nous jugerez par nos actes. Il a fait un premier
acte ; c'est bien le moment pour l'Assemblée de le juger, surtout si cet acte
paraît rentrer dans ce système... d'abaissement et d'humiliation de cette
Assemblée... Comment se fait-il que ce soit le lendemain du jour où le
général Changarnier déclare qu'il saura toujours reconnaître les droits de l'Assemblée...
qu'il soit révoqué ?... Je m'attache à cet acte, non pas comme étant un acte
isolé, mais comme étant le dernier d'une série d'actes qui me paraissent
depuis quatorze mois avoir porté de graves atteintes à la dignité de
l'Assemblée. Le garde des sceaux, M. Rouher, intervient : ... Ne craignez pas du gouvernement actuel ces rêves dont on a
prononcé les noms il y a un instant, ces idées de coup d'État... De pareils
rêves seraient complètement insensés, et le pouvoir qui obtiendrait un pareil
triomphe aurait tristement à le regretter, car le lendemain il n'existerait
plus... Franchement, il était difficile d'être plus catégorique. Il
ajoute : Quel acte avons-nous fait ? Nous avons
supprimé le double commandement parce qu'il avait été organisé d'une manière
transitoire. Je déclare de la manière la plus absolue qu'il n'est entré dans
la pensée d'aucun des membres du cabinet de vouloir porter atteinte aux
prérogatives parlementaires... La situation du double commandement était dans
la conviction du cabinet un fait qui devait cesser le plus promptement
possible. Cette conviction existait chez nous avant et indépendamment du vote
(sic) rendu par l'Assemblée, je l'affirme sur l'honneur...
Jamais nous n'avons voulu porter atteinte au pouvoir parlementaire. (Rumeurs et sourires.) Que puis-je dire autre chose si ce n'est que cette
polémique passionnée, nous la regrettons plus profondément que vous
(chuchotements), si ce n'est que nous en repoussons, au nom du pouvoir
exécutif tout entier, la responsabilité d'une manière absolue ? Que puis-je
dire autre chose, si ce n'est que le reproche que vous adressez à ces sortes
d'attaques contre l'Assemblée... nous pouvons le retourner contre d'autres
journaux ?... Le cabinet a usé d'un droit constitutionnel, il l'a fait sans
intention de porter atteinte aux prérogatives... de l'Assemblée ; il
considère le pouvoir parlementaire comme la sauvegarde la plus entière de nos
libertés... Je demande quel intérêt nous pourrions avoir à méconnaître... les
droits de l'Assemblée. Est-ce que nous ne sommes pas aussi des hommes de
liberté ? J'ai ma conscience et mon cœur qui me répondent... Jusqu'en 185'2
soyons calmes, faisons de la conciliation. (Hilarité générale.) Vous ne
le voulez pas ? vous ne voulez pas nous considérer comme exprimant notre plus
sincère et notre plus entière conviction ?... Cela ne la changera pas ; nous
resterons dans la politique du message, nous pratiquerons sérieusement les
idées conciliatrices... les institutions de notre pays, et, tant que nous
serons au pouvoir, personne ne pourra y porter atteinte. La thèse constitutionnelle des ministres n'était pas contestable, mais ils ne répondaient point à ce qu'on leur demandait, ils ne disaient pas pourquoi ils avaient usé de leur droit de supprimer le commandement du général Changarnier. Ils disaient très habilement qu'ils n'avaient qu'à s'expliquer sur la politique du gouvernement ; mais, s'ils avaient raison en principe et dans la forme, au fond ils se dérobaient complètement, alors que les circonstances eussent exigé une autre attitude. Ils le sentaient bien d'ailleurs ; jamais situation plus embarrassante n'avait été faite à des hommes d'État, mais ils se heurtaient à un parti pris du prince, sans connaître sa pensée secrète et sans entrevoir toute la hardiesse des résolutions qu'il pourrait prendre, le cas échéant. Le général Bedeau paraît à la tribune. Depuis six mois, dit-il, nous avons vu tous les journaux qui sont eu rapport plus ou moins direct avec les membres du cabinet attaquer systématiquement... calomnier les actes de cette Assemblée... La Commission de permanence a accompli un acte patriotique d'abnégation au profit du pouvoir exécutif... Personne n'a oublié que des cris séditieux avaient été prononcés, n'avaient pas été poursuivis, et qu'un honorable officier général fut destitué pour avoir témoigné de son respect des règlements militaires... Et tout récemment que se passe-t-il ? Un officier général vient à cette tribune dire que jamais il n'a pu être dans son intention d'oublier les pouvoirs constitutionnels qui sont confiés à l'Assemblée... et c'est le jour où cette déclaration est faite que l'état de la cité permet de supprimer (son) commandement ! Quant à moi, je ne puis admettre que cette raison soit sérieuse !... M. de Rémusat apporte les termes mêmes de la déclaration de guerre : J'avais demandé au ministère des explications sur la situation grave où il s'est placé... Je ne les ai pas obtenues... il faut que l'Assemblée les obtienne... la commission les obtiendra ou les cherchera. (Sensation prolongée.) Il faut évidemment que l'Assemblée prenne certaines mesures... Ne peut-il pas être convenable de faire un message au pouvoir exécutif ou d'adresser une proclamation au peuple français ? (Exclamations ironiques sur quelques bancs à droite. Approbations nombreuses. Interruption prolongée.) Ne peut-il pas être nécessaire de prendre des précautions pour assurer en tout le respect qui est dit à cette Assemblée ? Je prie donc l'Assemblée de se retirer immédiatement dans ses bureaux pour nommer une commission qui lui propose les résolutions que les circonstances pourraient exiger. (Agitation bruyante et prolongée.) M. Baroche monte une dernière fois à la tribune : ... Ce qu'on vous propose n'a pas de précédent... c'est quelque chose qui porterait ou tendrait à porter une souveraine atteinte à la division des pouvoirs qui a été organisée par la Constitution. (Exclamations bruyantes et prolongées.) La résolution qu'on vous propose est de nature à aggraver le conflit qui n'existe pas, qui ne doit pas exister en présence des déclarations que nous avons faites. Cet effort désespéré du ministre ne porte pas, et le renvoi immédiat de la proposition de Rémusat dans les bureaux[17] est voté par 330 voix contre 273[18]. Au fond de tout ce débat qu'y
a-t-il ? dit l'Univers (11 janvier 1851).
Un acte du pouvoir, un acte imprudent, bien que
provoqué peut-être, mais après tout un acte constitutionnel... Il n'y a pas
là le sujet d'un conflit, puisque le pouvoir exécutif n'a pas outrepassé ses
limites... Si donc le conflit éclate, c'est l'Assemblée qui le crée et le
soulève de gaieté de cœur... L'argument que M. Baroche a surtout fait valoir
est la constitutionnalité de la mesure qui a révoqué le général Changarnier.
A cela point de réplique. Le ministère était d'autant plus fort qu'en
diverses occasions l'on a eu à s'occuper du caractère anormal de ce
commandement. Le Constitutionnel (10
janvier 1851) accuse les légitimistes et les orléanistes, si sévères
pour le Président, d'être singulièrement indulgents pour eux-mêmes. Qui n'a vu plusieurs membres de l'Assemblée, précisément
de ceux qui ont eu l'impudeur de prétendre que le Président ne respectait pas
la Constitution, s'en aller publiquement à Wiesbaden et à Claremont ?... Qui
ne sait que les menées, les intrigues, les coalitions de ces deux partis sont
la cause principale des conflits qui s'élèvent, des crises qui se déclarent
?... Que les légitimistes et les orléanistes renoncent à ce grossier
subterfuge de la défense du pouvoir législatif, qu'ils avouent que les
troupes qu'ils demandent, ce sont les troupes destinées à renverser le
gouvernement actuel ; qu'ils avouent que le général qu'ils désignent, c'est
l'Augereau destiné à fructidoriser le pouvoir exécutif et à déporter le
Président de la République à la Guyane pour le compte de Henri V ou de Mme la
duchesse d'Orléans... Tandis que (l'Assemblée) sacrifie l'ordre à ses
passions, le (président) sacrifie ses vues personnelles, ses préférences légitimes
à la tranquillité publique... A un pays démoralisé par le spectacle perpétuel
de la violation des lois, il faut comme remède un long et scrupuleux régime
de légalité. Le Président de la République a l'abnégation éclairée et
généreuse qui conçoit la nécessité de ce régime, qui l'accepte et qui le
pratique avec loyauté. Tout le monde est profondément convaincu que le
Président ne conspire pas, qu'on ne conspire pas autour de lui, qu'il
n'ambitionne pas un pouvoir de surprise et qu'il a été sincère dans les
honorables regrets que lui a arrachés sa conduite d'autrefois. Cette foi
universelle en la loyauté et en l'honneur du Président, voilà un des plus
considérables éléments de sa force... La révocation (10 janvier 1851) du
général Changarnier n'est après tout qu'un acte parfaitement constitutionnel
; de plus, elle est devenue une nécessité de dignité... Le droit, personne ne
le conteste... On sait tous les mensonges exploités à propos des revues de
Satory : les distributions réglementaires de liquides sont transformées eu
scènes d'ivresse ; les- réfections les plus frugales, en orgies ; les cris de
: Vive Napoléon ! demandés l'année précédente par le général Changarnier aux
chefs de corps, comme un cri de salut, sont traités de cris séditieux ; la
Commission de permanence les interprète comme les préliminaires d'une
usurpation. Tous ces ballons d'opposition sont gonflés de calomnie et de
haine. Le général aurait pu les écraser d'un coup de talon, il ne l'a pas
fait. Le pouvoir exécutif ne semblait plus être à l'Élysée... mais aux
Tuileries où M. Changarnier avait fait son quartier général... (et de) son
commandement extraordinaire un pouvoir de l'État... Cette situation n'était
plus tolérable. C'était l'anarchie au sein même du pouvoir exécutif. Les
rôles étaient complètement intervertis, et. les choses en étaient arrivées à
ce point que révoquer ou maintenir le général Changarnier était devenu pour
Louis-Napoléon une question d'être ou de n'être pas président de la
République... Un ministère (10 janvier
1851) a été modifié, un commandant de la
force publique a été changé. Tout cela est-il, oui ou non, dans les droits
incontestables du pouvoir exécutif ? Le surlendemain, il ajoute par la
plume de Granier de Cassagnac (12 janvier
1851) : Nous ne supposerons à personne assez
de simplicité d'esprit pour croire que dans cette lutte d'une Assemblée que
personne au monde n'attaque il y a autre chose au fond qu'une coalition des
partis monarchiques pour renverser violemment, inopinément, Louis-Napoléon et
la République. Les mêmes hommes qui nous ont perdus par leur ambition
insatiable et insensée, les hommes que pendant bien des années la France
nommera dans ses mépris et dans ses colères les hommes des coalitions, les
hommes des mensonges politiques... les hommes des banquets de 1848 s'agitent,
s'allient... pour arracher à la France épuisée et haletante les premiers
instants de calme qu'un gouvernement honnête et inespéré lui a donnés. Et
pour quel motif, grand Dieu ! Parce que le chef du pouvoir exécutif a retiré
son commandement à un officier général... acte constitutionnel, régulier,
légalement inattaquable, voilà ce qu'aucun homme sensé, voilà ce qu'aucun bon
citoyen ne comprendra... Pouvez-vous assurer que l'unité du pouvoir
exécutif... sanctionnée par six millions de suffrages... n'a pas été obligée
de se protéger contre une autorité dont les partis ambitieux avaient fait une
rivale, presque une ennemie ? Êtes-vous bien certains que les pouvoirs du
chef de l'État... n'étaient pas affaiblis, n'étaient pas menacés par cette
compétition avouée, par ce président des partis opposé au président de la
France ? Quoi ! M. Berryer l'homme de confiance de Henri V, M. de Rémusat de
cette famille des La Fayette, qui, depuis un demi-siècle, tantôt
républicaine, tantôt orléaniste, fatigue le pays de sa vanité et de son
incapacité, M. Dufaure cet hermaphrodite de tous les régimes, quoi ! ces
trois hommes qui se combattent depuis vingt ans, se réunissent hier,
étroitement, tendrement, et ils jurent de défendre... une Constitution...
que, d'ailleurs, personne n'attaque et que, s'ils étaient maîtres ce soir,
ils mettraient au cabinet demain. Allons donc, on ne trouvera pas dans le
monde entier un homme ayant assez de titres au royaume des cieux par la
simplicité de son esprit pour être dupe d'une pareille comédie !... La
Presse (9 janvier 1851), par la plume
de M. de la Guéronnière, n'est pas moins favorable au prince : (La révocation du général Changarnier) est un grand acte de dignité et de gouvernement. (Il) n'avait plus,
en effet, le rôle d'un subalterne. Il aspirait évidemment à celui d'un
supérieur. Il était le bras et l'épée de la majorité... Ce bras était sans
cesse levé sur la Constitution comme une menace... Nous avons été avec l'Assemblée
contre les empiétements de l'Élysée, contre les défis insensés, les
provocations coupables, les fantômes de coup d'État et de 18 brumaire...
Chaque fois que l'Empire a montré son plumet dans des parodies ridicules,
nous l'avons bafoué et nous lui avons fait honte de ses prétentions par la
grandeur même des souvenirs qu'il invoquait... Il n'y a pas de coup d'État
possible... Louis-Napoléon (10 janvier
1851) a déshonoré les coups d'État en les
désavouant avec mépris... Nous lui demandons d'être honnête et de se souvenir
de cette belle parole : ... Je mettrai mon honneur à laisser au bout de
quatre ans à mon successeur le pouvoir affermi, la liberté intacte, un
progrès réel accompli. — Le Siècle (10 janvier 1851) relève cette remarque faite par M. Baroche
avec une verve ironique que le général Changarnier n'a pas toujours été un
obstacle aux cris de : Vive l'Empereur ! et constate que longtemps avant son
ordre du jour des cris inconstitutionnels avaient été proférés sans que ses
oreilles de commandant en chef en aient été alarmées. En dehors de ces journaux, toute la presse est pour le Pouvoir parlementaire. L'Union (10 janvier 1851) dit que l'Assemblée a été attaquée avec violence, qu'elle est traitée plus qu'en rivale, en ennemie, qu'on lui a fait une cruelle nécessité de se défendre, que le Président (13 janvier 1851) ne peut pour le moins échapper à une sorte de complicité morale depuis qu'il a destitué successivement les deux généraux qui avaient voulu proscrire tout signe (de manifestation), que l'on voit apparaître sous le nom d'Empire ou de prorogation une solution personnelle qui met le sort de la France à la merci d'un homme. La Gazette de France[19] s'écrie que la volonté du Président n'a plus de limite, que le commandant de l'armée... s'appelle le général Damoclès, que l'hostilité de l'Assemblée n'a rien de bien inquiétant pour le Président, qu'il a une épée et qu'elle n'en a pas, qu'elle aurait au lieu d'épée un canon, que l'Élysée pourrait dormir tranquille, car il faudrait pour tirer chaque coup de canon l'accord de tous les partis... Le National (9 janvier 1851) estime que c'est la majorité elle-même qui est frappée par la révocation de Changarnier, et que si elle bat en retraite, elle abdique et se suicide. L'Opinion publique (11 janvier 1851) s'écrie : Alea jacta est ! Louis-Napoléon a détruit en un jour l'ouvrage de deux ans, il a divorcé avec son passé, il a dissous l'alliance du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Que rêve-t-on pour lui ? l'Empire... un étrange Empire, plus bas que le Bas-Empire ; nous aurions le rebut du dernier régime dans la personne de ces hommes avides de places... qui changent de gouvernement comme d'hôtel garni et pour qui la politique n'a que des points de vue tout domestiques. L'Ordre (10 janvier 1851) déclare que la destitution du général est une insulte à la souveraineté nationale. L'Assemblée nationale (17 janvier 1851) ne doute pas qu'on aspire dans un avenir indéterminé à une restauration impériale. Le journal de Victor Hugo, l'Événement (13 janvier 1851), demande de quoi les orléanistes et les légitimistes accuseraient le Président. De vouloir l'Empire ? Il leur répondrait qu'ils veulent la régence et la légitimité. Le Vote universel rappelle que Cromwell entrant au Parlement disait : Je ne songeais pas à mal, mais soudain l'esprit de Dieu m'a illuminé, et j'ai cédé à une volonté supérieure ; que la veille du 18 brumaire Bonaparte avait protesté de ses sentiments et de son dévouement à la République... ; qu'une fois déjà nous avons eu cette inscription sur les monnaies françaises : République française. Napoléon Empereur. La presse anglaise est en majorité favorable au prince. Le
Daily News dit : Si jamais chef ou souverain
a eu une excuse pour le désaccord où il se trouve avec un corps de
conseillers remuants et arrogants que l'État lui impose, c'est
Louis-Napoléon, car certes on n'a jamais vu une réunion de politiques si
surannés, si intraitables, si inconstants, si incapables que cette collection
de notables qui constitue... la majorité parlementaire... Ils sont coupables
d'avoir élevé un président pour leur intérêt personnel, (et d'avoir eu) le
projet de (le) combattre et de (le) renverser plus tard. Par cette politique ils ont répandu
de toutes parts les semences de la guerre civile... Ces hommes sont... les
plus coupables et les plus insensés de toute l'histoire. Ils ont mis
forcément Louis-Napoléon dans une situation sans autre issue que de détruire
l'Assemblée ou d'être détruit par elle, tandis que comme seul mode de
solution divers corps d'armée... sous des chefs hostiles... seront appelés à
décider... qui doit l'emporter du pouvoir législatif ou du pouvoir
exécutif... Un parti soi-disant ami de l'ordre qui en arrive là commet l'acte
de folie le plus monstrueux dont les annales politiques d'un peuple puissent
garder le souvenir. L'opinion du Times[20] est la même : Le général Changarnier occupait une position militaire
incompatible avec les droits... du Président... il était la personnification
d'une force militaire indépendante, avec une ligne politique propre, d'autant
moins tolérable qu'elle avait été jetée, cette force, dans la balance de
l'opposition politique. Un pouvoir militaire doit cesser dès qu'il donne un
juste ombrage à l'autorité civile, régulièrement établie. Louis Bonaparte ne
pouvait tolérer plus longtemps une autorité militaire qui refusait de relever
de son gouvernement et aspirait évidemment à étendre son patronage sur l'État
pour des objets qui n'ont pas été clairement définis, mais qui peuvent être
soupçonnés... Les meneurs de la majorité parlementaire sont notoirement à la
tête de réunions organisées qui n'attendent que l'occasion favorable Pour
faire une révolution dans l'intérêt de leur faction particulière... Dans tout
le pays l'opinion est favorable au Président. Cette dernière réflexion émanant d'une feuille étrangère est digne d'être retenue, et il faut reconnaître qu'elle était absolument vraie. Le Président avait pour lui la nation. Écoutons encore le Morning Herald... Cet acte de fermeté et d'intelligence (la destitution de Changarnier) sera... non seulement compris, mais encore applaudi par la plus grande partie du peuple français. Exécuté avec vigueur, il est destiné à relever le Président d'au moins 50 pour 100 dans l'estime de son pays, et en même temps qu'il fera honneur à son caractère auprès des peuples civilisés et des gouvernements intelligents, il abaissera d'autant la caste corrompue, intrigante et lâche à laquelle la politique française a dû depuis quinze ou seize ans la plupart de (ses) erreurs, de ses disgrâces et de ses crimes. Dans la séance du 14 janvier, M. de Lanjuinais déposait le rapport de la commission chargée d'examiner la proposition de M. de Rémusat : ... On ne peut se dissimuler, disait-elle, que depuis longtemps il y a eu près du pouvoir une tendance à montrer peu de foi dans nos institutions, à considérer comme transitoire et éphémère la forme du gouvernement... à préconiser les bienfaits supposés du gouvernement absolu et à aspirer dans un avenir indéterminé à une sorte de restauration impériale. (Chuchotements.) Il n'est personne ici qui ne respecte le culte des souvenirs, mais il ne faut pas qu'il dégénère en un enivrement... et prépare des révolutions nouvelles. C'est ce qui pourrait se réaliser si vous ne concouriez à mettre obstacle à un mouvement qui... se reproduit depuis quelque temps avec une nouvelle intensité... Les cris séditieux de cive l'Empereur ! ont été proférés dans les revues. Un officier général qui résistait à l'impulsion a été révoqué. La presse... s'est répandue en outrages et en calomnies contre l'Assemblée... Enfin un acte plus important, la révocation du général en chef de l'armée de Paris, est venu provoquer votre attention... Quant à l'impulsion donnée à la presse ministérielle, M. le ministre de l'intérieur en a décliné la responsabilité ; vous jugerez si, quand un grand nombre de journaux semblent obéir à un mot d'ordre..., cela peut être le résultat du hasard. (Cependant) on nous a dit qu'on en interdirait la vente si cette polémique agressive contre l'Assemblée continuait. Il est à regretter que cette mesure ait été prise si tardivement. (Mouvement.)... Quant à la révocation du général Changarnier... il nous a paru évident qu'elle avait, au lendemain du vote du 3 janvier, une cause politique qui, par sa relation avec les tendances dont nous avons parlé, pouvait intéresser la dignité de l'Assemblée... L'Assemblée et le Président ont le devoir étroit de demeurer unis... Le jour où l'un d'eux porterait à l'autre une atteinte, il consommerait son propre suicide, lors même qu'un succès éphémère couronnerait une tentative criminelle dont nous n'imputons le dessein à personne. Par 8 voix contre 7, la Commission propose la résolution suivante : L'Assemblée, tout en reconnaissant que le pouvoir exécutif a le droit incontestable de disposer des commandements militaires, blâme l'usage que le ministère a fait de ce droit et déclare que l'ancien général en chef de l'armée de Paris conserve tous ses titres au témoignage de confiance que l'Assemblée lui a donné dans la séance du 3 janvier. Le Constitutionnel (13
janvier 1851) conteste que le prince nourrisse la pensée de restaurer
le pouvoir impérial : Non, le Président n'avait pas
attendu le message pour instruire fa France qu'il ne prétendait nullement à
l'Empire. Il l'avait assez fait savoir par toutes les loyales et éloquentes
paroles prononcées dans ses voyages... A qui fera-t-on croire qu'il ait
multiplié ses protestations d'honnête homme dans toute la France pour venir
ensuite les violer et pour multiplier en quelque sorte par le nombre des
engagements contractés les mépris que n'eût pas manqué d'inspirer cette
violation de la foi si souvent promise ?... Si on a crié : Vive l'Empereur !
à Satory, c'est contre le gré du Président de la République. La Patrie
fait cette réflexion : Sans l'importance exagérée
que la Commission de permanence affectait d'attacher aux voyages, aux
banquets et aux revues, sans les calomnies et les alarmes que la presse de la
faction parlementaire répandait à leur occasion avec un acharnement inouï,
qui s'en serait occupé, qui s'en serait inquiété ? Personne ! Le National[21] s'écrie : Ils ont failli avoir du courage ! Ce rapport de M.
Lanjuinais ne répond ni à la gravité de la situation, ni à l'attente générale
du pays... Cela est timide. Cela est au niveau des abaissements et des
défaillances de ce temps-ci... Nous nous rappelons le général Changarnier,
entourant de troupes l'Assemblée constituante au 29 janvier[22], sans en prévenir son président, le général insinuant
l'ordre formel à ses subordonnés de refuser d'obéir aux réquisitions de ce
président investi par l'article 32 de la Constitution du droit de disposer
des forces jugées utiles à la sûreté de l'Assemblée ; le général enfin dont
tous les actes[23] jusqu'à ces derniers temps témoignaient à la fois de sa
haine pour la République, de son mépris de la Constitution et de son peu de
respect pour le pouvoir parlementaire. Et voilà l'homme qu'on nous propose de
couronner de laurier comme le champion du droit ! Si nous sommes prêts à nous
liguer avec ceux qui protestent contre un nouveau 18 brumaire, nous ne nous
sentons pas disposés à préparer les voies à une contrefaçon de Monk. Le lendemain du dépôt du rapport, le 15 janvier, M. de Goulard
vient combattre les conclusions de la commission : Il existe depuis longtemps, dit-il, une lutte sourde entre le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif. Cette lutte a éclaté par moments. Elle est sous beaucoup de
paroles, sous beaucoup d'actes, elle est dans beaucoup de pensées. Les
incidents pendant la prorogation lui ont donné un caractère plus grave, mais
le message est venu couvrir les quelques fautes qui avaient pu éveiller une
juste susceptibilité. Depuis, n'y a-t-il pas eu pour le pouvoir exécutif
quelques raisons de se sentir blessé ?... s'est-il pas possible qu'il y ait
eu dans l'acclamation (qui le 3 janvier
a salué le général Changarnier) quelque chose
qui jusqu'à un certain point portait atteinte à la dignité du pouvoir
exécutif ? (Vives dénégations à
droite et au centre.) Une partie de
l'Assemblée craint de trouver dans l'acte qui a frappé l'honorable général
Changarnier l'indication d'un système politique, la révélation d'une
arrière-pensée... Quant à moi, je ne suis pas disposé à voir des
conspirations là où les uns ou les autres semblent vouloir les placer, dans
quelques mesures imprudentes, dans quelques scènes fâcheuses. M. Monet prononce ensuite un discours où il conteste que la Commission de permanence ait fait preuve d'un esprit d'hostilité contre le Président. Mais il a été profondément peiné de voir les ministres tolérer, encourager par leur présence des manifestations séditieuses qui n'allaient à rien moins qu'à transformer la noble armée nationale en une armée personnelle, en instrument d'ambition. Des actes nouveaux sont venus donner un. démenti au message. Après la révocation du général Neumayer, il y a celle du général Changarnier. On veut abaisser l'Assemblée. Il ne faut pas livrer les libertés du pays à un pouvoir qui veut se faire son rival pour être bientôt supérieur à tout autre. M. Baroche ne nie pas que des cris inconstitutionnels
aient été proférés, il nie qu'ils aient été provoqués, il le nie absolument.
Et le ministre ajoute : A moins qu'on ne considère
M. le général Changarnier comme une garantie constitutionnelle, je me demande
comment il est possible de faire de cet acte si constitutionnel une cause de
défiance... Le vote du 3 janvier n'a pas hâté la suppression de ce
commandement... Les choses auraient dû être depuis longtemps dans des
conditions complètement hiérarchiques et complètement normales. La
suppression du double commandement était un fait décidé à l'unanimité par
l'ancien cabinet, avant le 3 janvier... Maintenant est-ce que j'ai besoin de
faire remarquer que la suppression du double commandement constitué le 20
décembre 1848 dans des circonstances extraordinaires, supprimé au mois de mai
1849, puis rétabli, quel jour ? le 13 juin 1849... était devenu un troisième pouvoir entre le pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif ? (Mouvement.)...[24] A ces mots, un
député, M. Howyn de la Tranchere, interrompt le ministre : Il était devenu un obstacle ! M. Abbatucci, député
bonapartiste, réplique : C'était une espérance ! M. Baroche crânement se tourne vers M. Howyn de la Tranchere
et lui dit : a Obstacle à quoi ? M. Howyn de la Tranchere lui envoie cette
riposte : Voulez-vous que je le dise ? Le
ministre n'hésite point et répond : Je permets
l'interruption. Alors M. Howyn de la Tranchere s'écrie : ... C'était un obstacle aux cris de : Vive l'Empereur !
n (Vive approbation.) M. Baroche
reprend : C'était, dites-vous, un obstacle aux cris
de : Vive l'Empereur ? (A droite et
au centre on crie : Oui ! oui !)
M. Baroche répète : C'était, dites-vous, un obstacle
aux cris de : Vive l'Empereur ! (Oui ! oui ! lui répond-on encore.)
Il continue : J'ai bien entendu que vous avez dit :
Oui !... Laissez-moi vous dire : Non !... Et l'on se met à rire,
tant le ministre avait mis d'art et de talent à amener ce : Non ! Puis il ajoute : Mais
d'abord ce n'avait pas été toujours un obstacle ; ce n'avait pas été un
obstacle aux cris proférés au mois de mai 1849 par exemple... à la troisième revue, il fut constaté que des cris de :
Vive l'Empereur !... Un membre : Provoqués !
Le ministre : Par qui ? Le même membre : Par vous ! Le ministre : Cela
est bien facile à dire, mais je voudrais bien que l'interrupteur anonyme se
chargeât de prouver la calomnie qu'il a avancée. M. Charras interrompt
: C'est moi ! Je le prouverai ! Le ministre
continue : Eh bien, prouvez-le. J'ai provoqué, nous
avons provoqué les cris de : Vive l'Empereur ! Et l'honorable M. Charras
s'engage à le prouver. — M. Charras se lève et s'écrie : Oui ! — Nous n'avons pas
provoqué ces cris inconstitutionnels, et pas plus à la troisième qu'à la
quatrième revue il n'y a eu-aucune répression, même proposée. Ainsi ce n'est
pas parce que la présence du général Changarnier empêchait des cris qui
devant lui étaient poussés... — et il était
général en chef, — que la suppression de son
commandement a été décidée ; cette suppression a été décidée par une raison
que je vais vous dire. Vous voulez être, et vous avez raison, pouvoir
législatif dans la plénitude du droit constitutionnel qui vous est accordé.
Eh bien, le pouvoir exécutif veut aussi être dans la plénitude de son droit.
Et si un troisième pouvoir a grandi à côté de lui, est devenu un embarras,
quand il n'est plus une nécessité, le pouvoir exécutif use de son droit, et
il le supprime... Ici un incident se produit. M. de Kerdrel lève les
bras au ciel et s'écrie : Un embarras ! c'est le
comble de l'ingratitude ! M. Denjoy réplique en s'adressant au
ministre : Demandez donc aux interrupteurs ce qu'ils
ont fait de leur reconnaissance pour le Président. M. de Kerdrel
reprend : Nous l'avons montré mille fois, monsieur !
(Agitation.) M. de la Moskowa : Vous êtes tous entrés à l'Assemblée sous le patronage de
son nom, que vous saviez bien invoquer alors ! (Agitation prolongée.) M. Baroche poursuit : Il aurait
fallu pour ne pas être ingrat conserver à tout jamais ce pouvoir exceptionnel
et transitoire, (puisque) l'article 2 de l'arrêté du 13 juin 1849 (dispose qu'il)
cessera aussitôt que la tranquillité publique sera rétablie... Les paroles du
Président, qui, lui, a parlé et pu parler, qui, lui, a seul prêté serment à
cette tribune, qui, lui, a renouvelé ce serment par son message du 12
novembre 1850, repoussent bien loin de sa pensée et de son cœur toute idée de
restauration impériale. N'avez-vous pas encore présentes à la mémoire les
dernières phrases du message du 12 novembre 1850 ? Il vous déclare que, quant
à lui, il n'a pas autre chose à faire que de remplir son devoir d'honnête
homme en exécutant cette constitution, en la maintenant contre les
adversaires de toute nature qui pourraient vouloir la renverser. M. le
Président de la République est le seul auquel on ne puisse pas reprocher des
pensées de restauration impériale. (Rires
et exclamations.) Il a pris cet
engagement d'honneur et il le tiendra, il n'y a aucun danger à craindre pour
la République établie par la révolution de 1848..., non, il n'est pas
question de restauration impériale, et la commission me paraît avoir
singulièrement méconnu la véritable situation quand elle a placé là les
dangers qui menaçaient la République. Le ministre retourne à son banc, accompagné seulement
d'une légère approbation provenant de quelques bancs de la gauche ; la droite
tout entière garde un silence de glace. M. de Lasteyrie succède à M. Baroche
: Tandis qu'on tient ici un langage doucereux et
parfaitement constitutionnel, hors d'ici, dans la presse, dans les couloirs
même de cette Assemblée on tient un tout autre langage... Jamais il n'y a eu
d'Assemblée qui ait plus désiré pouvoir marcher d'accord avec le
gouvernement, et en même temps y a-t-il eu jamais un pouvoir exécutif qui,
quatorze mois durant, par tous ses organes, ait insulté, outragé, calomnié la
majorité qui l'appuie !... C'est bien commode de tenir un langage ici ét d'en
tenir un autre ailleurs... Il y a ici des hommes éminents, chaque jour ils
sont outragés clans cette meute d'aboyeurs qui a été lancée contre tous les
honnêtes gens, contre tout ce qu'il y a d'éminent en France. Il n'y a pas un
seul parti qui voulût renverser le pouvoir légal de M. le Président. Je dirai
plus..., dans ces partis il y avait beaucoup de personnes qui n'ont été
arrêtées dans leur désir de prolonger ses pouvoirs que devant les moyens
employés pour obtenir cette prolongation. (Chuchotements.) Il y a autour du Président une cohorte de conspirateurs
de la veille ou du lendemain (interruption prolongée), qui ne veulent pas de
la prolongation des pouvoirs dans des conditions d'ordre et de stabilité, car
leurs espérances personnelles seraient déçues. (Agitation bruyante.) M. le
ministre nous a dit que la Société du Dix-Décembre était une société de
charité et de secours mutuels. (Rires
bruyants.) Il nous a dit que la Société
du Dix-Décembre était une société de charité comme celle de Saint-Vincent de
Paul et de Saint-François Régis. (Nouveaux
rires mêlés de murmures.) Il nous a dit
que rien n'était moins prouvé que les assommades de la place du Havre, et que
leur imputation à la Société du Dix-Décembre... Eh bien, j'y étais, et j'ai
vu quatre heures durant assommer des hommes inoffensifs..., et ceux qui
commettaient ces méfaits étaient embrigadés et en quelque sorte protégés par
la force publique... J'y étais, et j'y ai rencontré des collègues qui ont vu
la même chose que moi... Je fus très étonné d'entendre dire que c'étaient là
les pratiques de la société de Saint-Vincent de Paul. (Rire général.)
Messieurs, est-ce que vous croyez que sept à huit mille coquins (hilarité
générale et prolongée) jetés sur le pavé de Paris à un jour donné..., cela
n'est pas un danger ? Avec cela on fait des pronunciamientos... (Autre) fait bien
autrement important... : c'est une vieille rubrique des conspirateurs de tous
les temps que pour gagner une armée il faut gagner les sous-officiers. (Mouvement.) Eh bien, à la table du Président se trouvaient en égal
nombre des sous-officiers et des officiers... ; c'est beaucoup pour la
discipline militaire, c'est beaucoup quant à l’intention... L'orateur
parle des revues où des cris de : Vive l'Empereur ! avaient été proférés, du
régiment d'infanterie le 2e qui, après avoir manifesté son enthousiasme,
avait reçu un contre-ordre, celui de rester à Paris, alors que les bagages du
1er bataillon allaient être expédiés ; de la nomination au généralat du
colonel de ce régiment ; de cette réponse du ministre de la guerre que les
cris étaient contraires aux règlements militaires, et il ajoute : Nous avons dit : Le ministre de la guerre est de cet avis,
la commission est du même avis, le commandant en chef de l'armée de Paris est
également de cette opinion. Pourquoi donc crie-t-on ? Nous n'avons jamais eu
de réponse. Le ministre nous avait fait espérer que l'on ne crierait pas à la
prochaine revue de Satory, qu'il donnerait des ordres. Eh bien, Messieurs,
aucun ordre n'a été donné... Venir nous dire à nous qui avons vu, à nous qui
savons, qu'on n'a pas fait crier, quand on a réprimandé, quand on a destitué
! Ah ! c'est trop fort !... La Commission de permanence a fait un simple
ordre du jour constatant les faits, les promesses du ministre, la
non-exécution des promesses... L'orateur ajoute que si la Société du Dix-Décembre s'est transformée et que si
le ministre de la guerre responsable seul des
cris a été renvoyé, on le doit à cette commission. Il dit encore que, suivant
la déclaration du général Schramm lui-même, le général Neumayer a été révoqué
uniquement pour avoir répondu à un colonel : Je crois qu'il vaut mieux ne
pas crier... Dans quelle situation placez-vous
les militaires ?... Celui-là dit à ses soldats de ne pas crier, qui est
destitué ; celui-ci fait crier, qui reçoit un grade ! N'est-ce pas la
démoralisation même ? (Approbation
prolongée.) Enfin il y a la destitution
du général Changarnier, qui alarme la France et irrite l'Assemblée, c'est la
consécration de tous les autres. Il s'agit ici non-seulement de l'honneur de
l'Assemblée, mais plus encore, de l'existence du gouvernement représentatif.
(Agitation.) M. Flandin dit que les chefs de
la majorité ont été frappés dans leurs espérances lorsqu'ils ont vu tomber le
général Changarnier. Il reconnait que dans les cris de : Vive l'Empereur !
dans les banquets insolites, dans la destitution du général Neumayer, il y a
une tendance vers une restauration impériale, une tendance à montrer peu de
foi dans les institutions. Mais... qui donc tient ce langage ?... Quand donc
les chefs des deux partis monarchiques ont-ils 'montré, eux, plus de foi dans
nos institutions ? Quand donc sont-ils venus dire à cette tribune qu'ils ne
considéraient pas comme transitoire et éphémère la forme de notre
gouvernement ? Est-ce quand à cette même tribune on[25] est venu nous dire que le gouvernement de la République
n'était qu'un misérable radeau où l'on avait cherché un refuge ? (Hilarité générale.) La majorité, aujourd'hui si hostile au ministère, a
accueilli ces paroles avec des bravos d'enthousiasme. Eh bien ! où ce radeau
tendait-il avec les pilotes qui le dirigeaient ?... Il tendait aux écueils,
car les pilotes divisés criaient, l'un : Vive Bourbon ! l'autre : Vive
d'Orléans ! Les manifestations de Satory ? (Elles ont été) provoquées par
des démarches inconstitutionnelles, par des manœuvres, par- des intrigues... Une
Commission de permanence est nommée... Que font la plupart de ses membres ?
Les uns de se rendre à Wiesbaden[26] ; les autres à Claremont[27]... Ni les voyages à Wiesbaden, ni ceux à Claremont ne
m'auraient ému, mais pouvait-il en être de même partout ?... N'était-ce pas
une espèce de provocation à l'Élysée, où l'on a pu croire que les velléités
monarchiques s'évanouiraient au seul cri de : Vive l'Empereur ! (cri qui pour tous ces braves soldats signifiait : Vive la République !) (Rires ironiques
à droite. — Plusieurs voix à gauche : Oui ! oui !
c'est vrai ! — Nouveaux rires ironiques à droite.) Ces démarches (à
Wiesbaden et à Claremont), un témoignage de
respect et d'amour, un hommage... aux souvenirs... ? Mais la Commission (n'a-t-elle pas dit)
: Il ne faut pas que le culte des souvenirs dégénère en un enivrement,
qu'il égare les esprits et prépare des crises et des révolutions nouvelles ? Comment
n'a-t-on pas vu que c'était sa propre condamnation ou celle de ses amis qu'on
écrivait ainsi dans ces lignes du rapport ?... N'y a-t-il pas au sein de la
Commission de permanence... trois ministres de la cour de Wiesbaden ?... Il y
avait là une équivoque... le Président a voulu faire cesser tous ces
doutes... Témoignage d'une éclatante et patriotique réconciliation, vous avez
accueilli le message du 12 novembre avec enthousiasme... parce que c'est un
serment de fidélité pour la seconde fois prêté par le Président à la
Constitution... (En ce qui concerne le
général Changarnier,) l'affirmation des
ministres, gens d'honneur, ne peut être tenue pour suspecte... Sa position
considérable... n'était-elle pas de nature à offusquer une haute
susceptibilité ?... Un pouvoir ombrageux et jaloux vaut mieux qu'un pouvoir
trop tolérant... une courageuse injustice vaut mieux que la sujétion
pusillanime à un nouveau maire du palais... ce serait inaugurer la République
de la manière la plus fâcheuse que de l'inaugurer par un président fainéant. (Rires. — Mouvements divers.) Et puis... la (susceptibilité
des ministres...), les succès du cabinet
souvent dus en partie au général Changarnier, ont été considérés comme des
échecs pour le cabinet. (Rumeurs...) Dans la loi des trois millions le succès du cabinet avait
à vous tous paru un échec... Et (l'on parlait partout alors) de l'immense
position que M. le général Changarnier venait de conquérir... Les interpellations
semblaient passer par-dessus la tête du ministère pour aller trouver son
inférieur. Ce n'était ni parlementaire, ni constitutionnel... M. le général
Changarnier restait en face du Président... Qui devait quitter la place ?...
On ne peut dire à un citoyen, quelque grand qu'il soit : Vous êtes nécessaire au repos du pays, vous êtes une
garantie constitutionnelle... Berryer monte à la tribune : Messieurs, dit-il, ne disputons plus sur les mots ; arrêtons-nous à la réalité des choses ; nous sommes dans une situation précaire et transitoire... Un tel état de choses ne peut pas se prolonger et ne se prolongera pas. Cela est évident... vous ne pouvez pas vivre de cette vie précaire... Quelle politique faut-il tenir ?... Il faut resserrer les liens de la majorité par une résolution sincère de ne pas devancer la marche des événements, par la volonté ferme, loyale, de ne pas prétendre ni dominer ni surprendre le pays au nom d'un parti... (et cela...) sans conspiration, sans intrigues, sans tentatives apparentes ou cachées. C'est vers ce but qu'il faut marcher et laisser la France libre et maîtresse de ses destinées... Oui, je suis allé à -Wiesbaden faire un acte politique... j'y ai porté cette politique d'union de tout ce qui est honnête, de tout ce qui est respectable dans mon pays... Ne parlez pas de conspiration ! Non, non, il n'y a point de tentatives de restauration subreptice... Il n'y a au fond de tout cela... que la vie, l'action libre et patente des partis à la veille du jour fixé pour la révision... Je dis à l'Assemblée : Arrêtez-vous au premier pas... Si la majorité qui a sauvé la société française est brisée... je déplore l'avenir qui est réservé à mon pays ; je ne sais pas quels seront vos successeurs, je ne sais pas si vous aurez des successeurs, ces murs resteront peut-être debout, mais ils seront habités par des législateurs muets. — Vive réclamation au banc des ministres. — M. Vieillard s'écrie : Vous n'avez pas le droit de dire cela ! — M. Baroche dit : N'ayez pas peur !... — Je ne vois qu'une chose, c'est la marche, c'est la puissance, c'est la domination des événements si la digue de résistance ne reste pas debout. C'est là ce que j'entrevois, et je dis que si la majorité de cette Assemblée est brisée, nous aurons à subir, ou le mutisme qui nous sera imposé par une démagogie violente, ou le mutisme qu'un absolutisme absurde tentera de faire peser sur le pays ! (Très bien ! Grande agitation.) La parole est donnée à M. de Lamartine : Ce n'est pas, dit-il, sans appréhension que j'ai vu le suffrage universel... aller chercher... le nom, quelque glorieux qu'il soit, de Napoléon ; je l'ai vu avec une secrète répugnance. La seule rigueur que l'histoire aura peut-être à me reprocher, c'est d'avoir signé non pas la proscription... mais... l'éloignement... momentané de l'homme sur le nom duquel je craignais que par un prestige naturel, rayonnant de tant de gloire, la raison du pays ne vînt un moment à s'égarer... (Mouvements divers.) Je n'ai pas voté pour Napoléon, président de la République... Depuis... 1848, aucune crise ne m'a paru encore aussi grave que celle... qui va dépendre du vote que vous allez porter. (Sensation.) On vous a dit : Il y a une conspiration à l'Élysée, il y a des symptômes impérialistes... Je les ai signalés dans des écrits... Il ne m'appartient pas aujourd'hui d'y pénétrer... J'accorderai..., si vous voulez, qu'il y a des noms qui conspirent... il y a des situations telles... (qu'elles font revivre) des souvenirs... Ici l'orateur se tourne du côté des membres qui composaient la Commission de permanence et se demande si le pays n'a pu croire que de leur part aussi il y avait une conspiration contre la République. Il constate en effet que cette commission ne comptait guère que des hommes notoirement attachés aux monarchies déchues ; il lui reproche d'avoir accueilli toutes sortes de délations, et, après avoir accumulé ainsi tous les éléments de suspicion et de haine contre la première magistrature républicaine, d'avoir scellé ses procès-verbaux. Ces derniers mots font naître un mouvement prolongé. Lamartine poursuit : Lorsqu'un message de réconciliation, message que les républicains les plus difficiles ont accepté avec applaudissement... — M. Charras s'écrie : C'est de l'hypocrisie ! — Le président : Je vous rappelle à l'ordre ! — Plusieurs membres à gauche : Rappelez-nous aussi à l'ordre ! — Le président : Je vous rappelle à l'ordre ! — Une cinquantaine de membres de la gauche se levant : Tous ! tous ! — Le président : Donnez vos noms au Moniteur ! — Lamartine parvient à continuer : Des voix déclarent qu'elles ne croient pas à cette loyauté. Je réponds, moi, que je crois toujours, quand un homme élevé à cette hauteur profère sans y être obligé un nouveau serment à la République, et quand en y manquant il aurait pour démenti non pas seulement vos voix, mais les voix de l'histoire et de la postérité. (Mouvement prolongé d'approbation.) Si vous adoptiez la proposition Rémusat, vous seriez seuls devant le pays, avant en face de vous un pouvoir exécutif annulé, paralysé, amputé dans son action légitime. {Mouvement.) Vous auriez une suspension terrible de gouvernement... Pour résultat ? une Assemblée changée ainsi en un véritable pouvoir omnipotent, en Convention de royalistes. (Agitation.) Depuis le message, que s'est-il passé ?... La Commission de permanence soupçonnait le pouvoir exécutif ; le pouvoir exécutif, de son côté, je n'en sais rien (on rit), paraissait ou pouvait soupçonner la Commission de permanence ; enfin le pays soupçonnait profondément la Commission de permanence... (Dénégation.) (Depuis) la réconciliation scellée par (la) déclaration si solennelle de fidélité à son devoir et à la République, contenue dans le message, il n'y a pas un seul acte du pouvoir exécutif qui ait pu avoir pour résultat le moindre froissement de la dignité de l'Assemblée ; qui ait été un nouveau symptôme de cette conspiration impérialiste dont nous parlait tout à l'heure l'honorable M. Berryer... qui, sortant de la limite de ses attributions constitutionnelles, ait pu donner à l'Assemblée tout entière le moindre droit, le moindre prétexte de voir une atteinte à son indépendance et à sa dignité... Le ministre de l'intérieur, M. Baroche, donne une seconde fois le 17 janvier. Prenant d'abord à partie M. Berryer, il dit : Comment... pourrait-on continuer à reprocher au pouvoir exécutif je ne sais quelles prétendues manifestations impérialistes qu'il a toujours désavouées, quand on venait faire à cette tribune une éclatante manifestation monarchique ? Comment pourrait-on continuer à faire un crime au pouvoir exécutif de quelques cris isolés de : Vive l'Empereur ! qu'il n'a pas provoqués, quand on est venu faire entendre du haut de cette tribune le cri de : Vive le Roi ! et poser résolument la monarchie en face de la République ? (Agitation.) Il proteste une dernière fois contre toute solidarité entre le pouvoir exécutif et les journaux qui le défendent La Société du Dix-Décembre a été dissoute. D'une instruction judiciaire il résulte que les rixes de la place du Havre ne peuvent être rattachées à des personnes appartenant de près ou de loin à ladite société... La révocation du général Changarnier a ému principalement ceux qui, attachés aux anciens partis par leurs souvenirs ou par leurs espérances, n'ont pas dissimulé... qu'ils considèrent la situation actuelle comme transitoire et précaire. Pourquoi... ? Serait-ce... parce qu'en enlevant le défenseur de l'ordre on aurait enlevé le défenseur de l'Assemblée ? — M. de Lasteyrie : Oui ! — Le défenseur de l'Assemblée... ! Contre qui ? S'il était vrai que nous avons soudoyé et embrigadé cinq à six mille coquins pour porter atteinte au pouvoir parlementaire ou pour amener je ne sais quelle restauration impériale... vous auriez dû, vous devriez, il en est temps encore, demander notre renvoi devant la Haute Cour... Accusez le ministre, accusez plus haut encore, si vous croyez que cela soit possible... L'Assemblée n'a pas besoin de défenseur, parce qu'elle n'a pas d'ennemis... Par l'importance exceptionnelle de son commandement, le général Changarnier, sans qu'il le voulût, sans qu'il le sût, malgré lui, était devenu le point de mire et l'espérance des partis... Tous ceux qui... regardent notre état actuel comme transitoire... s'étaient habitués à penser que, le jour où la France serait appelée à délibérer sur ses destinées, l'influence politique du général Changarnier, l'influence que lui donnait son grand commandement... ferait pencher la balance en faveur du parti auquel et sa conscience et ses affections l'auraient rattaché... Eh bien, nous n'avons pas cru devoir ni pouvoir permettre que cette influence, qui n'est pas dans la Constitution apparemment, se perpétuât, se consolidât, se fortifiât par sa durée, et nous avons voulu que pour le jour de la grande délibération nationale le terrain constitutionnel fût complètement déblayé et que la volonté nationale pût se faire jour sans aucun obstacle, sans aucune difficulté. (Vif assentiment sur un grand nombre de bancs.) — Le ministre disait la vérité ; il dégageait alors le motif réel de la révocation de Changarnier. A l'Élysée, on craignait que le général ne fût opposé à la révision et l'on estimait que cette opposition serait décisive si elle était encore étayée sur sa grande situation officielle. Reste à savoir si dans le lointain intime et secret des conceptions princières il n'y avait point cette pensée qu'en cas de force majeure, de coup d'État inéluctable pour arriver aux fins inabandonnables, le succès, ainsi que nous l'avons déjà marqué, ne devait pas être considérablement facilité par là même. — M. Baroche arrive aux voyages à Claremont et à Wiesbaden. Il admet qu'à Claremont on soit allé saluer une famille dans le deuil et les larmes. Mais à Wiesbaden il y a eu des délibérations politiques. Il ajoute : Ces manifestations monarchiques, nous ne les redoutons pas, forts que nous sommes de nos bonnes intentions et du sentiment national. Il y a trois choses dont nous ne voulons pas. Nous ne voulons pas d'une restauration monarchique ni pour la branche aînée ni pour la branche cadette, et la troisième chose dont nous ne voulons pas, c'est une restauration impériale. Cette importante déclaration n'est accueillie par aucune manifestation de la droite, que rien ne peut plus convaincre ; et si l'on entend quelques Très bien ! ils sont proférés par la gauche. M. Baroche insiste et rappelle cette phrase du message : Que ce ne soit jamais la passion, la surprise ou la violence qui décident du sort d'une grande nation ! Et il termine ainsi : Il n'y a de salut pour la France que... dans le gouvernement républicain... celui qui nous divise le moins, parce que c'est celui auquel peuvent se rallier les gens honnêtes de tous les partis. — Ici le Moniteur mentionne : Marques nombreuses et très vives d'approbation sur un grand nombre de bancs. Le général Changarnier ne pouvait garder le silence. Il apporte la déclaration suivante : ... Je n'ai voulu être et je n'ai été l'instrument d'aucun parti... ; malgré d'odieuses insinuations... je n'ai favorisé aucune faction, aucune conspiration, aucun conspirateur... (Applaudissements.) Mon épée est condamnée à un repos au moins momentané, mais elle n'est pas brisée, et, si un jour le pays en a besoin, il la retrouvera bien dévouée et n'obéissant qu'aux inspirations d'un cœur patriotique et d'un esprit ferme, très dédaigneux des oripeaux d'une fausse grandeur ! (Émotion. — Longue agitation. Deux salves d'applaudissements.) Puis vient M. Thiers, dont le discours était très attendu
: Il y a plusieurs partis... Quel est le premier
qui, par des actes sérieux, appréciables... a manifesté ses préférences ?...
Spectacle inouï !... Je n'avais pas encore vu le Pouvoir accusant la
Majorité... Après l'élection du Président, à laquelle nous avons contribué
pour notre part, nous ne nous sommes pas dissimulé que si le nom de Napoléon
donnait... une grande force... au pouvoir, ce nom... pouvait être...
l'occasion de prétentions dangereuses... On a rappelé les princes de la
maison Bonaparte ; dès cet instant il n'y avait plus de choix possible les
masses couraient vers le prince Napoléon... Il n'est 'pas juste... de dire,
comme on l'écrit tous les jours, que tout le bien vient d'un seul des
Pouvoirs... et que tout le mal vient de l'autre... Singulier phénomène... une
majorité soutenant le pouvoir qui toujours l'attaque !... Le message nous a
profondément affligés pour trois raisons : la première, c'est qu'on
renvoyait... des hommes qui avaient dignement... représenté le Pouvoir... la
seconde, (c'est qu'on annonçait) quelque merveille (de
ce nouveau système) ; la troisième... c'était
de trouver une sorte d'omnipotence... (à) ces hommes nouveaux... Nous aurions pu... prouver que,
dès qu'il y a une Assemblée, quel que soit le pouvoir, il faut avoir (sa)
confiance... Avons-nous réclamé... ? Non, nous sommes restés les appuis
dociles, soumis, du pouvoir... Comment nous récompensait-on ?... Par les
attaques de cette presse qui trouve (que
seul un) pouvoir fort peut sauver (le pays). Nous
avons consenti à prendre la responsabilité (de la nouvelle loi électorale)...
Nous avons encore donné au pouvoir notre concours tout entier... Les attaques
ont-elles cessé à ce nouveau rapprochement ? Non, elles ont été plus vives
que jamais, et plus hardies à soutenir que le pouvoir... sans Assemblée,
était définitivement le meilleur pour ce pays... Eh bien, a-t-on même alors
trouvé le ternie de notre dévouement et de notre soumission ? Non... On est
venu nous demander la dotation... Il nous en a coûté beaucoup de
l'accorder... Cela tendait contre notre gré à dénaturer l'institution de la
présidence... Pourquoi l'avons-nous fait ? pour la paix publique... (Il ne pouvait y avoir) de rupture que pour un immense intérêt politique... On
nous a dit... il y a eu quelques manifestations inconstitutionnelles, si l'on
veut, mais il y en avait eu à Wiesbaden, à Claremont ; partant quittes ! (hilarité générale.) C'est un quitus que pour ma part je ne puis accepter...
Étrange manière de s'excuser... (Mais) moi, je crois que ce qui s'est passé dans ces voyages
n'était pas inconstitutionnel... Oui, j'ai été voir à son lit de mort un Roi
dont j'avais combattu la politique et dont cependant j'avais toujours chéri
la personne... Je m'étais dit que je ne le laisserais pas mourir sans aller
le voir... Je l'ai dit à M. le Président de la République, je suis allé l'en
informer parce que je connaissais son sentiment délicat des convenances... Je
lui ai dit que je lui apportais mon concours, mais que je lui demandais pour
le prix de ce concours dévoué la liberté de mes affections... Il n'est plus
temps aujourd'hui ; quand le grand jour de cette tribune a donné à ces faits
leur véritable caractère, d'en faire une excuse pour des actes radicalement
inconstitutionnels... Contesterez-vous que dans les revues on ait poussé les
cris de : Vive l'Empereur ? Assurément pas. Eh bien ! messieurs, nous tous,
hommes d'ordre, nous en avons été profondément affligés... indignés...
C'était quelque chose de plus sacré encore que la légalité violée... C'était
l'ère des Césars préparée, celle où les légions proclamaient les empereurs ! (Voix nombreuses : C'est cela ! Très bien !)...
Lorsque sous le roi Charles X et sous Louis-Philippe on criait : Vive le
Roi ! et sous Napoléon : Vive l'Empereur !... c'était un hommage
au pouvoir établi ; (mais ici c'est un
vœu émis par l'armée)... Nous vous demandons
si ce n'est pas le plus redoutable des exemples que de faire émettre un vœu à
l'armée, car que signifie ce cri : Vive l'Empereur ? Il signifie que
l'armée demande le rétablissement de l'Empire. — M. Briffault s'écrie
: Il signifie un glorieux souvenir. — Comment ! le cri de Vive l'Empereur ! signifie : Vive
la gloire de Napoléon ! (Rires.)... Soyons francs... Vive l'Empereur ! c'était un
vœu qu'on voulait faire émettre à l'armée. (C'est vrai ! C'est vrai !) Je m'adresse ici à la bonne foi de tout le monde... Voilà
ce que j'appelle le fait des prétoriens... Il n'y a pas un homme de sens qui
n'ait regardé cela comme un malheur déplorable... Mais, me dit-on, nous ne
les avons pas provoqués. Vous ne les avez pas provoqués ?... C'est vrai, vous
me le dites, et c'est pour cela que je dis : C'est vrai ! (Hilarité générale et prolongée.) Eh bien, je vous adresse cette question : Est-il vrai,
oui ou non, que pour ne les avoir pas encouragés le général Neumayer a perdu
son commandement ? Voilà où est la question, la situation tout entière.
— Le ministre de l'intérieur : Non ! ce n'est pas
pour avoir défendu les cris de : Vive l'Empereur ! — Je supplie messieurs les ministres de ne pas contester mon
assertion. Je les en supplie pour eux, pour le Pouvoir, pour moi... Mon
assertion, je la répète... j'affirme, et la preuve existe. (Mouvement prolongé.) Cela est sans exemple... C'est l'acte le plus
extraordinaire, le plus audacieux... qui se puisse imaginer... Eh bien... cet
acte-là, nous l'avons passé sous silence... Lorsqu'un général a été déplacé
pour les cris de : Vive l'Empereur !... le général Changarnier... a
fait son ordre du jour... Ce jour-là il avait signé sa destitution !... Eh
bien, la question est ici tout entière : pour des cris de Vive l'Empereur !
qu'un Général n'avait pas encouragés, qu'un autre a interdits, deux Généraux,
le Général Neumayer et le général Changarnier, ont été destitués... Voilà ce
qui a brisé la majorité... Ce mot de troisième pouvoir est-il bien
sérieux ? a-t-il désobéi un seul jour ?... Il avait une grande importance,
cela est vrai... l'idée s'étant répandue (qu'avec) le général Changarnier l'Assemblée avait, outre son
inviolabilité de droit, une inviolabilité de fait qui n'est pas à dédaigner. (Rires prolongés.) C'était, dit-on, une anomalie. Une anomalie !... N'y en
a-t-il pas une autre ?... C'est plus qu'une faute, le double acte de
destitution. Ce premier manquement aux engagements réciproques est plus
qu'une faute, beaucoup plus qu'une faute. (Sensation.)... La République... c'est le gouvernement de tous...
contribuons tous à l'expérience... loyalement, franchement, sans
arrière-pensée. (Mouvement.)... Le parti bonapartiste est au pouvoir... c'est là un
fait immense... On dit qu'on veut la légalité... mais enfin... je ne puis pas
effacer de ma mémoire toutes les notions de l'histoire... Malgré les
déclarations qu'on peut faire, les plus loyales, les plus sincères
aujourd'hui... le parti qui est au pouvoir est celui qu'il faut surveiller...
il a la force publique... S'il y a quelque entreprise à craindre... d'où le
serait-elle ? La réponse se fait tacitement dans l'esprit de tous les hommes
de bonne foi... Vous dites qu'on ne rêve rien contre cette Assemblée...
Permettez-moi d'attendre le jour où (elle) vous aura résisté... Vous dites :
On va provoquer un conflit... (comment) l'éviter ?... Il n'y a que deux
pouvoirs aujourd'hui... Si l'Assemblée cède... il n'y en aura plus qu'un, et
quand il n'y en aura plus qu'un, la forme du gouvernement est changée ; le
mot, la forme viendront... quand on voudra... l'Empire est fait ! (C'est vrai, c'est vrai
! Acclamations nombreuses.) Ce discours avait produit une
impression profonde ; le dernier mot avait été d'un effet énorme, et
l'Assemblée se sépara au milieu d'une grande agitation. Le 18 janvier, la discussion continue. M. d'Adelswœrd vient dire que la conclusion de M. Berryer, c'est : Vive Henri V ! que celle de M. Thiers, c'est : Vive je ne sais quoi !... et de préparer l'avenir... Voilà ce qu'on appelle le concours loyal ! Il faut se grouper sincèrement, sans arrière-pensée, sur le terrain de la République. On veut une monarchie. Laquelle ? Aucune ne pourra absorber les autres. La commission dans sa résolution dit trop ou trop peu. Le général Cavaignac demande la parole. Tout gouvernement, dit-il, qui permettra qu'on discute son principe est un gouvernement tué, mort. (Mouvement prolongé.)... La majorité n'a pas foi dans la République... Il n'y a pas de conspirations, il n'y a pas d'entreprises secrètes... Vous faites de la monarchie parce que vous faites de la mauvaise République... mais quelle monarchie ? Assurément vous ne me paraissez pas en humeur de faire de l'Empire. (Oh ! non, non. Rire général.)... Les monarchies... elles n'ont pas vécu !... et pourtant elles n'ont pas été conduites par des incapables, des sourds ou des muets... Ce ne sont, pas les fautes des monarchies qui les ont fait tomber. Ces monarchies sont tombées parce que... cette nation est la plus profondément démocratique des quatre parties du monde... Une restauration nouvelle, quelle qu'elle pût être, ne serait... que la préface d'une révolution... Le parti de l'ordre est une coalition d'opinions contraires... (mais) à mesure que le terme approche, sans conspirations, sans déloyauté, sans trahisons réciproques, l'individualité des partis se réveille, et alors les motifs de dissentiment apparaissent. Voilà le vrai caractère de la situation... Je n'accepterai qu'une chose, c'est l'amendement Sainte-Beuve.... pas une virgule de plus, pas une virgule de moins. (Mouvement.) Cet amendement était ainsi conçu : L'Assemblée déclare qu'elle n'a pas confiance dans le ministère et passe à l'ordre du jour. M. Baroche n'hésite point ; il s'élance à la tribune et
vient sommer l'Assemblée de s'exprimer carrément : L'amendement
Sainte-Beuve... ne donnerait satisfaction à aucun de ceux qui nous ont attaqués
(mouvement)... Ne prête-t-il pas à l'équivoque ?... A l'exclusion de
l'acte même qui a suscité ce débat... je demande ce que (MM. Berryer et Thiers) pourraient blâmer... Si, d'accord avec le général
Cavaignac qui a déclaré loyalement qu'il avait blâmé depuis longtemps... tous
les actes du gouvernement, actes approuvés et votés par la majorité..., ils
se réunissent dans un vote commun, il n'est pas possible que ce vote exprime
tout à la fois et l'opinion du général Cavaignac et l'opinion de la majorité.
(Mouvement
prolongé.) Si le cabinet doit être
blâmé. il faut qu'il sache, il faut que l'opinion publique sache, il faut que
le chef du pouvoir exécutif sache ce que la majorité a blâmé. (Agitation prolongée.) Dufaure déclare que les craintes de l'Assemblée ne sont pas chimériques, qu'il y a eu des actes blâmables dont il faut empêcher le retour, et qu'il y a lieu de donner un avertissement sévère au pouvoir en votant l'amendement Sainte-Beuve. M. Baroche répète que la même formule ne peut rendre la pensée de ceux qui blâment la suppression du double commandement et la pensée de ceux qui ne la blâment pas. M. Thiers ne veut pas d'équivoque, pas plus que le ministre. Ses motifs sont ceux de M. Berryer et du général Cavaignac. Est-il vrai, oui ou non, que pendant la prorogation il s'est passé des scènes déplorables ? Est-il vrai, oui ou non, que ces faits ont alarmé tous ceux... qui ne veulent pas que le gouvernement soit dénaturé, ni brusquement, ni insensiblement (C'est cela !), et que par cette dénaturation ou brusque ou insensible on a poussé l'audace jusqu'à destituer un général, puis un second' ? Voilà ce qui nous alarme (les uns et les autres)... M. Baroche reprend la parole et profite avec habileté de la répugnance invincible de la gauche contre la résolution proposée par la Commission, où un éclatant témoignage de confiance est donné au général Changarnier. Je ne demande qu'une chose à M. Thiers, c'est de dire dans la résolution qu'il votera ce qu'il blâme, et ce n'est pas difficile, car c'est précisément la résolution votée par la Commission... — M. Peupin : Mais avec cela on n'a pas tout le monde ! M. de Grammont : C'est une rouerie parlementaire ! —... Est-il possible de trouver une résolution qui exprime mieux la pensée que l'honorable M. Thiers vient de porter à la tribune ? (Agitation générale.) Est-il possible de trouver une formule qui exprime plus nettement... le blâme contre l'usage qu'on a fait du droit de nommer aux commandements militaires... — M. Jules Favre : Blâme contre l'Empire ! voilà le blâme ! —... à la bonne heure ! (Jules Favre : Vous représentez l'Empire, et l'Assemblée s'oppose à cette tendance, voilà le blâme.) Pourquoi abandonne-t-on la résolution de la Commission ? Apparemment c'est pour recruter... — M. Bavoux : Voilà la vérité vraie —... des votes qui... n'iraient pas à la résolution si nette proposée par la Commission. (Agitation confuse.) Après une réponse de M. Thiers qui déclare que le texte de la Commission ne dit pas assez simplement, assez complètement, assez radicalement qu'on se défie des tendances alarmantes du gouvernement manifestées aux revues de Satory et prouvées par la destitution audacieuse de deux généraux, la proposition Sainte-Beuve est votée par 417 voix contre 278[28]. Cette discussion, une des plus mémorables de nos annales parlementaires, avait duré trois jours. Le lendemain, le ministère était démissionnaire. L'Union (16 janvier),
parlant du discours de M. de Lasteyrie, avait dit : On
verra par quelles séries d'expressions incroyables, de taquineries calculées,
de systématiques défis les hommes qui entourent le pouvoir exécutif ont
préparé la lutte désastreuse engagée aujourd'hui entre ce pouvoir et la
Chambre. Il n'est pas une circonstance dans laquelle l'Assemblée n'ait été
injuriée, provoquée, menacée ; il n'est pas une circonstance dans laquelle
cette Assemblée n'ait répondu par la mansuétude, par l'abnégation et par la
réserve aux systématiques provocations de la coterie impérialiste... Le
surlendemain (18 janvier), elle
ajoutait : Nous venons enfin de l'entendre, le mot
vrai, le mot de l'énigme, le mot sinistre réellement caché au fond de ce
grand débat. M. Thiers l'a jeté aujourd'hui comme un : Qui vive ? Le National
(20 janvier) écrit : Le mot de M. Thiers... est un cri d'alarme que le pays
entendra... Puisque l'Empire menace la République et que nous n'avons pas
besoin de l'Empire, occupons-nous d'en finir une bonne fois avec l'Empire,
aidons M. Thiers à démolir en un jour ce que M. Thiers a pris pendant deux
ans tant de peine à ériger... Ce journal dit encore (20 janvier), sans le croire : Le vote de l'Assemblée a frappé d'un coup mortel la
faction impérialiste. La Patrie (20
janvier) prétend que M. Thiers s'est escrimé contre un fantôme, qu'il
n'y a nulle part, et à l'Élysée moins qu'ailleurs, de parti de l'Empire,
qu'il n'a jamais été qu'un rêve de l'imagination en délire des ennemis du
Président. Quant (au
Président,) on comprend à merveille qu'il
n'ait pas voulu subir la tutelle des mentors éreintés des vieux partis, ni
essuyer les plâtres de la monarchie... Jamais il n'a été placé plus haut
qu'aujourd'hui dans l'estime et dans l'amour des populations... Les derniers
événements parlementaires l'ont considérablement grandi dans l'opinion
publique... Quelques soldats, quelques officiers, plus préoccupés du passé
que de l'avenir, enthousiasmés par de glorieux souvenirs, et faisant de
l'histoire... ont crié : Vive l'Empereur !... Eh bien ! après ?... Le
Président a-t-il provoqué ces cris ? Non... les soldats et les officiers qui
les ont proférés isolément songeaient à l'Empire qui n'est plus, et non à
l'Empire qui ne saurait être... Il n'y a nulle part, à l'Élysée moins
qu'ailleurs, de parti de l'Empire ; l'Empire n'est qu'un fantôme évoqué par
la faction parlementaire... La Presse (20
janvier) s'écrie : ... Le discours de M. de
Lasteyrie a éclaté comme un coup de foudre. Le fantôme impérial est là !...
C'est M. de la Guéronnière qui écrit cela et qui ajoute : Point d'Empire... Là où il apparaît nous voyons un danger,
et quand le danger vient d'un des pouvoirs... nous voyons un crime...
Pour l'Opinion publique (19 janvier
1851), la représentation nationale n'a point
manqué à ses devoirs, elle a frappé d'un vote de défiance le ministère qui
par ses tendances impérialistes avait justement alarmé la société. La Gazette
de France (24 janvier 1851) estime
qu'il n'y aura point un chef militaire qui voudra jouer sa tête pour
introniser le prince aux Tuileries, que l'Empire n'est donc point fait. Les Débats
(14 janvier 1851) ne doutent pas que si
des idées de 18 brumaire ont pu germer dans quelques têtes, elles
s'arrêteront toujours devant la raison, devant les serments du Président et devant
la force des choses... D'ailleurs (26 janvier 1851),
quelque dessein qu'on lui suppose, le Président n'a rien fait jusqu'ici qui
ne soit dans son droit. Le Pays (18
janvier 1851) ne voit d'Empire nulle part, car les intentions du
Président sont trop libérales, trop patriotiques... pour vouloir autre chose
que ce que la France voudrait... La coalition (20
janvier 1851) veut le renverser... parce qu'il enlève aux partis
l'espérance... qu'ils avaient conçue de se servir de lui... (C'est en vain qu'on chercherait) à présenter
les aspirations impérialistes comme réelles et sérieuses. L'Univers (24 janvier) estime que c'était un bien faux calcul de prétendre émouvoir... en
criant :... L'Empire est fait !... Cinq millions de votants ont élu M.
Bonaparte précisément pour qu'il fit l'Empire. Nous avons déjà dit
qu'il y avait là une vérité historique sur laquelle on peut gémir, mais qu'on
ne saurait sérieusement contester. Le journal de Veuillot ajoute : Le Président trouvant dans le général Changarnier un
obstacle à ses projets, craignant peut-être d'y rencontrer l'instrument d'une
ambition aussi peu républicaine et non pas plus constitutionnelle que la
sienne, devait nécessairement l'écarter. Il l'a fait !... Le Constitutionnel
(18 janvier 1851) dit : C'est la France qui a fait... Louis-Napoléon, c'est d'elle
seule qu'il relève, c'est la France qui... lui a dit : Marche ! Et c'est à la
voix de la France, et non à celle de M. Thiers, qu'il est tenu de s'arrêter...
(D'ailleurs,) il (20 janvier
1851) l'a dit à tout venant et à tout propos
: Seul j'ai fait un serment et je le tiendrai. Vous n'avez pas le
droit (M. Thiers) de venir en public douter de la loyauté et de l'honneur
du chef de l'État... On ne crie pas sous les armes (21 janvier 1851) ?
On a crié sous tous les régimes... On a crié : Vive l'Empereur ! au 10
décembre, à la revue de 1849, lors des voyages à Amiens, à Épernay, à Sens, à
Tonnerre, à Saint-Quentin. A-t-il cédé à cette séduction ? jamais... Ainsi,
il n'y a rien de nouveau dans ce cri... Le général Neumayer a été non pas
révoqué, mais appelé à un autre commandement parce qu'il a donné un ordre sur
l'injonction d'un pouvoir incompétent. Voilà la vérité. Le Président n'a pas
voulu conserver à Paris un général qui prenait les ordres d'une Commission de
permanence empiétant sur les droits du pouvoir exécutif. Il n'y a pas là de
tendance impériale... (il y a) tout simplement la volonté de faire respecter par tous la
séparation des pouvoirs... La presse anglaise est favorable au prince. D'après le Morning Advertiser (20 janvier 1851), il n'a jamais été si populaire ; tout le monde a l'intime conviction qu'il a agi constamment au milieu des périls en ami de l'ordre, la cause de l'ordre a été sa devise, la France demandait (lu repos, il le lui a donné ; aussi il a pour lui la population française et l'armée. Les habiles ont. perdu la partie ; qu'adviendrait-il (si le Président disparaissait) ? Ont-ils un instant réfléchi à toutes les conséquences d'un tel événement ? Se sont-ils demandé entre les mains de qui le succès de la coalition remettrait le pouvoir ?... Le socialisme et le républicanisme rouge s'empareraient du pouvoir... Paris serait inondé de sang. — Le Times (22 janvier 1851) blâme M. Thiers d'attaquer le seul homme qui puisse faire durer en France un gouvernement... La résurrection de l'Empire ?... Une pareille tentative serait certes plus courte et plus ridicule que toute autre. Cependant si quelque chose paraissait suffisant pour encourager un semblable projet et lui donner même un certain air de nécessité, ce serait à coup sûr les divisions qui existent dans l'Assemblée. — Le Morning Post (22 janvier 1851) s'écrie : Que venons-nous de voir ? Une armée française suspectée... de noyer dans le vin... la discipline et l'honneur, et de vendre ses sympathies pour un potage ! Un général qui parle de laisser reposer son épée, comme si cette épée n'était pas aux ordres du pouvoir ! un chef de parti proclamant un droit héréditaire supérieur à la volonté de la nation !... puis... des convulsions parlementaires... et debout un pouvoir exécutif constitutionnel, calme, impassible, devant un mal qu'il ne peut pas prévenir, devant un avenir qu'il ne peut pas fixer. — Le Globe ne croit pas que le prince aspire à l'Empire et invoque une lettre écrite en ce sens par un des secrétaires de la présidence. — Le 24 janvier, le prince adressait à l'Assemblée un
message... La France, disait-il, commence à souffrir d'un désaccord qu'elle déplore. Mon
devoir est de faire ce qui dépendra de moi pour en prévenir les résultats
fâcheux. L'union des deux pouvoirs est indispensable au repos du pays ; mais
comme la Constitution les a rendus indépendants, la seule condition de cette
union est une confiance réciproque. Pénétré de ce sentiment, je respecterai
toujours les droits de l'Assemblée en maintenant intactes les prérogatives
que je tiens du peuple. Pour ne point prolonger une dissidence pénible, j'ai
accepté la démission d'un ministère qui avait donné au pays et à la cause de
l'ordre des gages éclatants de son dévouement. Voulant toutefois reformer un
cabinet avec des chances de durée, je ne pouvais prendre ses éléments dans
une majorité née de circonstances exceptionnelles, et je me suis vu à regret
dans l'impossibilité de trouver une combinaison parmi les membres de la
minorité malgré, son importance. Dans cette conjoncture, et après de vaines
tentatives, je me suis résolu à former un ministère de transition composé
d'hommes spéciaux n'appartenant à aucune fraction de l'Assemblée...
L'administration continuera donc comme par le passé. Les préventions se
dissiperont au souvenir des déclarations solennelles du message du 12
novembre. La majorité réelle se reconstituera ; l'harmonie sera rétablie sans
que les deux pouvoirs aient rien sacrifié de la dignité qui fait leur force.
La France veut avant tout le repos, et elle attend de ceux qu'elle a investis
de sa confiance une conciliation sans faiblesse, une fermeté calme,
l'impassibilité dans le droit. La Presse (25
janvier 1851) déclare que la pensée du message qui n'est pas douteuse
est d'humilier et d'amoindrir l'Assemblée. Pour le National (25 janvier), le message est tout ensemble
une sorte d'acte d'accusation de l'Assemblée citée devant le pays comme
coupable de rendre tout gouvernement impossible, une intimation à cette même
Assemblée de reconnaître implicitement sa subalternité et de venir humblement
ù résipiscence. Le désaccord, qui en est l'auteur ? Est-ce l'Assemblée qui a
provoqué les manifestations inconstitutionnelles de Satory ? Est-ce
l'Assemblée qui a toléré si longtemps (la)
Société du Dix-Décembre ? Est-ce l'Assemblée qui a destitué le général
Changarnier pour avoir désapprouvé les cris de : Vive l'Empereur ?... Même
cédant ou en paraissant céder à l'Assemblée, on se met en hostilité avec
elle... Et puis que signifie cette affectation à toujours rappeler qu'on
tient sa prérogative du peuple, comme si les droits de l'Assemblée n'avaient
pas la même origine ?... Le message est à la fois une atteinte à la légitime
suprématie de l'Assemblée... et un défi aux anciens chefs de la majorité... —
L'Assemblée nationale (25 janvier),
l'organe du général Changarnier, s'exprime d'abord avec- une modération de
langage et une justesse de vues qu'on ne saurait trop louer : Il faut rappeler dans quelle atmosphère vit le Président
de la République, il faut rappeler quelles sont les excitations, les
flatteries, les efforts[29] persévérants que l'on déploie pour l'entraîner dans la
voie des complots. Cet entourage, avide d'apanages et de dignités impériales,
montre à ses regards d'un côté la chute, la misère, l'abandon, et de l'autre
la puissance, la liste civile, la gloire peut-être. A les entendre, il suffit
de vouloir... Pense-t-on qu'il ne faut pas une grande prudence, une véritable
sagesse pour résister comme l'a fait le Président jusqu'à ce jour... ? Mais
les plus fermes... ne peuvent échapper à l'action permanente de conseillers
fanatiques... Que l'on rapproche le message des violences et des menaces qui
bourdonnent autour du pouvoir exécutif, et l'on ne pourra s'empêcher d'avoir
de l'admiration, de l'étonnement tout au moins, pour la modération du
message... (qui pourtant est) l'aveu le plus écrasant de l'impuissance ou la reconnaissance
la plus complète des exigences de la politique personnelle... (En tout cas,) le
plus sûr moyen de rétablir l'union... est de cesser d'être prétendant.
Bientôt (27 janvier 1851), le langage
de ce journal est plus sévère : On s'efforce de
déconsidérer le Parlement... N'a-t-on pas la prétention d'arriver bientôt à
ce point qu'il n'y ait plus entre le Parlement et le coup d'État que la
distance d'un geste, que l'épaisseur d'une parole d'honneur ?... La France ne
doit-elle pas s'alarmer ?... — Le Pays (25 janvier 1851) fait entendre un langage bien différent : Louis-Napoléon ne cherche que les moyens de conjurer par
le patriotisme et par l'intelligence les dangers de la situation. Une
coalition monstrueuse s'est dressée récemment contre lui, contre la France,
contre le respect dû à la souveraineté nationale... Placé par le mauvais
vouloir des partis dans cette alternative de ne pas faire respecter (ses)
prérogatives... ou de laisser souffrir les affaires, Louis-Napoléon a déjoué
tous les calculs. Il a répondu avec dignité à l'audacieux défi jeté à la
France par M. Thiers... Impassible dans le droit parce qu'il n'a rien à
craindre ni à cacher, parce qu'il dédaigne les partis et ne relève que du
pays, il a ajouté à ses actes politiques une belle page, aux services qu'il a
rendus à la France un service nouveau, à ses titres à la reconnaissance
publique un titre de plus... Il nous semble impossible (26 janvier 1851) de
pousser plus loin le sentiment du devoir, celui de l'abnégation et l'amour de
la conciliation. Le 25 janvier, le Moniteur publiait la liste des nouveaux ministres[30]. Étaient nommés à la Justice, M. de Rayer, procureur général à Paris ; aux Affaires étrangères, M. Brenier, directeur à ce ministère ; à la Guerre, le général Randon ; à la Marine, l'amiral Vaillant ; à l'Intérieur, M. Vaisse, préfet du Nord ; aux Travaux publics, M. Magne ; à l'Agriculture, M. Schneider, ancien député ; à l'Instruction publique, M. Giraud, inspecteur général de l'Université ; aux Finances, M. de Germiny, receveur général des finances. Ministère sans nom !
s'écrie la Presse[31]. Serions-nous destinés à descendre tous les degrés du
régime parlementaire jusqu'à sa décadence la plus misérable ?... Nous ne
voulons pas le dégrader par quelque chose de honteux et de ridicule. Si ce
n'est par égard pour les vivants, que ce soit au moins par respect pour les
morts... Nous demandons grâce au moins pour l'ombre de Mirabeau, de Barnave,
de Vergniaud, de Royer-Collard, de Chateaubriand, de Casimir Périer... M. le
Président de la République vient de se placer dans une situation déplorable
qui peut se résumer ainsi : politique sans issue, ministère sans nom !
L'Évènement[32] dit aussi : Cabinet sans nom ; après les provocations, le dédain... Ce
choix d'un ministère infime veut dire évidemment que l'Assemblée ne mérite
pas mieux, et que des commis sont assez bons pour elle... Pour l'Opinion
publique (25 janvier 1851), c'est un ministère qui ne représente aucune pensée
politique commune, qui n'est rien, qui ne peut rien, qui ne répond à rien ;
c'est un ministère de docilité bureaucratique... Jamais (28 janvier 1851)
péril plus grand ne menaça (le pays) que cette impuissante contrefaçon de l'Empire avec lequel
on cherche à familiariser notre esprit... il est dans la fatalité de M.
Louis-Napoléon de commettre au dehors une faute dont les conséquences
seraient incalculables. Son prestige lui vient de la gloire napoléonienne ;
une fois maître, il tournera autour de la gloire comme les papillons autour
de la bougie, à la flamme de laquelle ils finissent par se brûler. Cela est
inévitable, d'autant plus inévitable qu'un régime napoléonien sans gloire
périrait par l'intérieur. Louis-Napoléon a l'instinct de cette vérité... Il
voudra faire un coup de gloire du côté du Rhin... Le césarisme, c'est
donc la guerre... Par la brèche que le césarisme ouvrirait le socialisme
passera... N'était-ce pas là un langage vraiment prophétique ? — La Gazette
de France (25 janvier 1851) reconnaît
que le Président est dans son droit en choisissant
pour ministres qui bon lui semble. Mais c'est une pensée qui marche contre
l'esprit de la Constitution en se tenant à couvert dans la lettre... Ce sont
deux pouvoirs qui se séparent... Si le message avait été l'expression des
faits, voici ce qu'il aurait dit : Vous aviez un général en chef qui vous
donnait toute garantie ! je vous l'ôte ; vous avez une police spéciale, j'en
destitue le chef ; vous avez un ministère pris dans votre sein... je le
remplace par des hommes dévoués à ma personne. Maintenant j'attends ce que
vous ferez. J'ai l'épée, et vous ne l'avez pas ; j'ai la police, et vous ne
l'avez pas ; j'ai la force exécutive, et vous ne l'avez pas. — Le Siècle
(27 janvier 1851) dit que la légitimité
et l'orléanisme reprochent à l'impérialisme d'avoir rompu la trêve, d'avoir
pris le pas sur eux, et ne lui pardonnent point cette impatience ; que là est
le vrai, le seul motif de tout ce qui se passe ; que M. Thiers et M. Berryer
n'ont qu'une crainte, c'est d'être distancés par l'impérialisme ; que la
France (28 janvier 1851) ne fera pas la
sottise de rétablir l'Empire ; qu'elle n'est ni abrutie, ni avilie[33]. — L'Union
(25 janvier 1851) traite le nouveau
ministère d'escouade de commis ramassés çà et là...
Le Bas-Empire (26 janvier) a fait ses plans, il reste à trouver un centurion pour venir
à bout du Sénat... Il y a des bravaches (27
janvier) qui vont disant de l'Assemblée : On
lui fermera les portes de son palais, ou bien on la fera fuir par les
fenêtres... Belle initiation de l'Empire ! Et après ?... L'effet produit (26 janvier) par l'enfantement
de ce cabinet a été déplorable. Il n'y a qu'une voix dans la population...
pour caractériser l'étrange sans-façon avec lequel on vient de traiter le
plus susceptible, le plus jaloux, le plus chatouilleux des peuples de
l'Europe... Veut-on (26 janvier) que cette Assemblée abdique ?... Mais elle prononcerait
elle-même sa dégradation... — Pour l'Ordre (25, 26, 27 janvier 1851), c'est un ministère
de commis ; le Président a rompu avec le pouvoir législatif de dessein
préconçu et sans nécessité ; on dit de patienter, d'attendre ; faut-il
attendre que l'Empire soit fait ? — Lamartine, dans le Conseiller du
peuple (janvier 1851), est la seule
voix indépendante qui défend alors le Président. ... Ce
ministère est composé d'hommes capables, pris parmi les hommes d'élite des
diverses administrations. Ces hommes de mérite et de modestie se sont dévoués
à ce rôle ingrat, mais nécessaire... Où voulez-vous que le Président prenne
un ministère ? Vous avez créé... l'impossibilité de gouverner, et vous
accusez le pouvoir exécutif de l'impossibilité que vous avez faite !... Aussi
l'opinion, qui a une conscience, ne s'y trompe pas, et elle vous blâme ! Que
résulte-t-il de cette triste campagne ?... Le pouvoir exécutif menacé,
outragé et grandi hors de proportion !... Il démentira vos accusations par sa
probité... Dans la séance du 27 janvier, M. Howyn-Tranchere
interpelle le ministère sur la formation du nouveau cabinet. Êtes-vous un incident ? Êtes-vous un système ? Quelle est
votre origine ? Quelle est votre politique ? Ministère de transition ou
ministère définitif ? D'où venez-vous ? où allez-vous ? M. de Royer
répond : La mission du ministère est
temporaire, transitoire... Nous vous conduisons à un cabinet définitif...
nous ne sommes point un cabinet politique... nous ferons exécuter les lois,
nous maintiendrons le bon ordre, nous pratiquerons la politique du message du
12 novembre. M. Mathieu de la Drôme obtient la parole : On vous disait il y a quelques jours que la République
était un terrain neutre, un port libre où chaque parti pouvait se
ravitailler, recruter ses équipages, radouber ses vaisseaux pour une
expédition fixée au mois de mai 1852. S'il en est ainsi, voici la question
que je vous pose : Pourquoi M. Bonaparte ne ferait-il pas comme vous ? (Hilarité prolongée.) Si la République doit bientôt périr, pourquoi M.
Bonaparte... ne s'apprêterait-il pas... à (en) disputer les dépouilles à M. le comte de Paris et à M. le
comte de Chambord ? Pourquoi l'opinion publique serait-elle plus sévère
envers lui qu'envers vous ? Ah ! vous êtes bien imprudents ! En exaltant la
monarchie, en répétant chaque jour que la monarchie peut seule sauver la
France, savez-vous ce que vous faites ? Vous plaidez la cause de l'Empire...
Si vous voulez être forts, placez-vous sur le terrain de la Constitution, de
la République... Quoi ! vous dites que ce gouvernement est précaire,
transitoire... et qui donc, s'il est attaqué, voudra le défendre, ce
gouvernement précaire ? qui donc voudra défendre un principe qui renie son
origine ? Non ! non ! la République n'est pas une expérience, la République
est le terme, la fin des expériences que la France fait depuis cinquante ans
!... L'Empire est tombé malgré la gloire, malgré l'Empereur ; mauvais présage
pour ceux qui rêveraient l'Empire sans la gloire, sans l'Empereur !... La
France a ensuite expérimenté votre gouvernement constitutionnel, d'abord avec
la royauté légitime, ensuite avec la royauté quasi légitime. Ces deux
épreuves ont eu le même résultat que la première... Pourquoi ne croiriez-vous
pas à la République ?... Le royalisme a fait les affaires du bonapartisme..
Serez-vous assez imprudents pour vous laisser devancer par le pouvoir
exécutif dans le rappel de la loi du 31 mai ? S'il en était ainsi, il
faudrait désespérer de cette Assemblée et de l'avenir du gouvernement
parlementaire. Si vous voulez que le peuple soit avec vous, mettez-vous donc
avec lui, rendez-lui ses droits si vous voulez qu'il vous soutienne... En
votant la dotation, vous avez dénaturé l'institution de la présidence... Je
vous avais dit que si vous votiez les trois millions, vous faisiez passer des
munitions à l'ennemi. M'étais-je trompé ?... Si vous voulez résister aux
empiétements de l'impérialisme, résistez au nom de la Constitution, au nom de
la République, au nom de la souveraineté nationale, du suffrage universel !
Il avait du bon, Mathieu de la Drôme. — M. Léo de Laborde lui répond que l'on
n'aurait le droit de dire que les tentatives des légitimistes enhardissent
l'Élysée que si l'on complotait dans le parti du comte de Chambord, mais
qu'au contraire on veut attendre les résultats d'une loyale expérience ;
seulement qu'au jour de la révision les légitimistes viendront proposer de
modifier ainsi l'article 1 et de la Constitution : La France revient à la
monarchie héréditaire. (Hilarité bruyante
et prolongée.) — M. Bouhier de l'Écluse fait cette observation qui
ne manque pas de valeur, à savoir que le Président seul n'a pas le droit de
se faire prétendant, puisque seul il a prêté serment à la République.
L'Assemblée vote l'ordre du jour pur et simple. Lorsque le président eut
proclamé le résultat du scrutin, un député, M. Bourzat, s'écrie : Et
maintenant, quand il voudra, il peut venir avec une
cravache et vous chasser comme des laquais ![34] (Agitation générale. Bruit confus.) M. de la Guéronnière écrit alors dans la Presse (29 janvier 1851) : Cette majorité si hostile à la République n'existe plus... Elle croyait tenir la France dans sa main ; elle parlait tout haut de fusion et de restauration ; elle considérait l'élu du Dix-Décembre comme un chapeau... ; elle caressait et grandissait un Monk... Toutes ces démences se sont évanouies... Louis-Napoléon a vaincu cette coalition... La République n'a plus qu'à se défendre contre les fantômes d'impérialisme... Le Président est affranchi définitivement de la tutelle de la majorité. Ces maires du palais qui le tenaient captif... ont perdu tout à coup leur autorité... Aujourd'hui le mineur est émancipé... A la place d'un roi fainéant il y a une volonté sans obstacles... Dans ce conflit... le pouvoir législatif est vaincu... Ce qui a fait la force du pouvoir exécutif, c'est son droit ; on l'a attaqué parce qu'il avait destitué le général Changarnier ; on l'a attaqué parce qu'il avait déconcerté les espérances monarchiques ; on l'a attaqué parce qu'il entrait sur le terrain de la République... Ces attaques n'ont servi qu'à l'affranchir et à le grandir. Mais s'il entendait triompher de même des droits, de la dignité et de la souveraineté du pays, alors en face de l'Empire se dresseraient le peuple, la République ! — L'émotion causée par l'affaire Changarnier et le changement ministériel n'était pas encore calmée que le gouvernement présentait un projet de loi tendant à allouer au Président un supplément de 1.800.000 francs au chapitre de ses frais de représentation. Comment le Président pouvait-il espérer que l'Assemblée, après ce qui venait de se passer, accueillerait favorablement une pareille demande ? Sa pensée secrète était donc de créer un nouveau conflit et de pousser les choses à bout ? Mais la question de la révision restait ouverte, et tout espoir au sujet de la prolongation des pouvoirs présidentiels n'était pas perdu. On comprend le National déclarant (5 février 1851) que la présentation d'un tel projet de loi est invraisemblable au lendemain de l'ordre du jour du 18 janvier, et qu'on a peine à comprendre la tactique du gouvernement. L'Opinion publique (5 février 1851) estime que le Président n'a qu'à mettre ses dépenses en harmonie avec ses revenus. L'Assemblée ne saurait donner ni encouragement ni moyens d'action aux prétentions extra-constitutionnelles... Il n'a pas de motif, et on serait sans excuse... La dotation votée... c'est l'Empire... Le temps de tout dire est venu ; c'est avec l'argent qu'on fait la propagande... Insensée serait l'Assemblée si elle payait les frais de la guerre qu'on va diriger contre elle !... Derrière le Président constitutionnel nous apercevons le candidat inconstitutionnel... Quant aux pauvres... nous leur voterons des fonds ; il n'est pas besoin de les faire passer par les mains d'un magistrat non rééligible et qui veut être réélu. La demande (6 février 1851), d'une dotation, c'est la demande de la prorogation des pouvoirs et des moyens de l'obtenir, tranchons le mot, c'est l'Empire caché au fond d'un sac d'écus. L'Union (4 février 1851) soutient que la question de la dotation n'est point une affaire d'argent, qu'aucun homme sérieux ne la considère à ce point de vue, que ce n'est pas non plus une affaire de puritanisme démocratique... L'Empire n'est pas fait, mais il aspire à se faire. Que faut-il de plus ?... L'Assemblée plutôt que de céder ferait mieux de se dissoudre. L'Assemblée nationale (5, 7 février 1851) s'écrie : Allons, représentants, votre temps est fini..., hâtez-vous de préparer la liste civile impériale, votez les trois millions, le denier à Dieu de l'Empire !... Faut-il donc s'étonner que la Chambre hésite à voter les frais électoraux de l'avenir d'un prétendant ? C'est au milieu des plus vifs sujets de mécontentement qu'on vient réclamer (un accroissement de la liste civile !...) La Constitution de l'an VIII donnait au premier Consul un traitement de 500.000 francs. Après le refus des 1.800.000 francs, vous aurez encore... 2.364.000 francs. Avec un pareil chiffre n'est-il pas facile de tenir une maison princière et de faire un peu de bien ?... — L'Événement (4 février 1851) espère que le parti orléaniste et le parti légitimiste penseront qu'il serait malhabile de fournir des munitions au parti impérialiste, et se souviendront à temps des rasades de Satory et des assommades de la rue du Havre. La statue (7 février) de la Gloire se voile la face lorsque sur le passage des idées l'Empire aveugle demande l'aumône dans le petit chapeau de l'Empereur et lorsque le lion se fait caniche... — L'Ordre (5, 8 février 1851) déclare que la demande de crédit est inconstitutionnelle, qu'elle est une cause d'alarme, qu'il ne faut pas dénaturer l'institution de la présidence, que la France n'a pas d'argent pour solder le mépris des lois, pour soudoyer leur renversement. ... Frappez l'arbre élyséen de stérilité, beaucoup en le quittant lui jetteront des pierres... (Il faut) refuser toute prime d'encouragement aux ambitions turbulentes du césarisme... Dans le vote de la dotation on ne verrait qu'une preuve de faiblesse... Les premières libéralités de l'Assemblée ont-elles prévenu les cris de : Vive l'Empereur ! les insultes des journaux décembristes, les destitutions des généraux trop fidèles à leur devoir, les nouvelles demandes d'argent ?... — Le Siècle (3 février 1851) estime qu'en votant la dotation l'Assemblée semblerait dire au prince : Tu n'as ni le génie ni la gloire, mais tu veux ; que ta volonté soit faite I Je ne te sacre pas, cela n'est pas en mon pouvoir, mais je te dote. Avec cet argent, continue tes voyages, tes publications, tes revues. Fais le reste ! L'argent n'est ici que le prélude de la prorogation, comme la prorogation est le prélude de l'Empire... La majorité (5 février 1851) manquerait de sens politique et presque de sens moral si elle recommençait la même faute. La fatalité du prince, c'est d'agir en prétendant... Il est grand temps (6 février 1851) de mettre une digue à ce flot élyséen qui, gonflé à l'origine par les souffles royalistes, menace d'apporter... toutes les agitations d'un Empire ridicule. — Pour la Gazette de France (6 février 1851), voter la dotation, c'est marcher à. la prorogation, c'est faire un Empereur... Ce grand nom, vous ne craignez pas de le compromettre dans une question d'argent !... Prétendre que le Président ne peut remplir honorablement son poste avec douze ou quatorze cent mille francs, c'est en vérité se moquer du pays... L'Empire n'a-t-il pas pris à la France jusqu'à son dernier enfant et son dernier écu ? N'a-t-il pas sacrifié des millions d'hommes ?... N'a-t-il pas laissé la France ruinée, humiliée, et deux fois par son fait envahie par les armées étrangères ? — Dans la Presse, M. de la Guéronnière dit : Une république faussée, une monarchie bâtarde et dégénérée, une sorte de royauté de Monaco dégradant le suffrage universel par une ridicule parodie du luxe et des habitudes des cours, voilà les résultats de la dotation si l'Assemblée l'accordait. Le Journal des Débats (5
février 1851) pense au contraire qu'en choisissant pour terrain de
représailles une question d'argent on ferait une faute de conduite. Il ne
faut point rapetisser l'opposition ; la lutte doit se maintenir dans des
régions plus nobles. Cependant, si nous sommes en république, ce n'est point
pour faire ce que nous faisions en monarchie. Pourquoi un président qui fait
des voyages, qui passe des revues, qui donne des bals, qui a des chevaux et (sic) autres fantaisies royales ? Il est vrai que des millions d'électeurs ont choisi le
prince précisément parce que de tous les candidats il était celui qui
s'éloignait le plus de l'idéal d'un vrai président, d'une vraie république.
Et M. John Lemoinne ajoute : ... Dans le refus de la
dotation le pays ne verrait qu'une mesquinerie et une très petite vengeance
indigne de ses représentants. Quant à l'usage ou, si l'on veut, à l'abus qui
pourrait être fait de cet argent, il ne faut pas faire à notre pays et à
notre temps l'injure d'en exagérer les dangers. ON N'ACHÈTE POINT UN PEUPLE. Il faudrait avoir une bien triste idée d'un pays pour
croire qu'il pût être corrompu avec quelques millions, et une forme
quelconque de gouvernement qui serait à la merci de 1.800.000 francs ne
mériterait même pas d'être défendue. Rien de plus topique ni de plus
judicieux que ces réflexions. — La Patrie (5
février 1851) dit que trois millions, ce n'est que le douzième de la
somme qui composait la liste civile de la branche aînée et le septième de
celle de la branche cadette ; elle demande si le baptême forcé de
républicanisme, reçu par la France le 24 février, a suffi pour anéantir son
passé, changer ses mœurs ; elle ignore si par la grâce des républicains un
jour viendra où le chef de l'État pourra... se promener dans les rues... les
pieds dans la boue et un parapluie sous le bras, servir à sa table... du vin
de Suresnes, le brouet noir des Spartiates et du fromage de Brie, refuser
enfin des secours à tous les malheureux et des encouragements à tous les
talents... 3 millions ne sont ni 36 millions ni 21 millions ; il semble que
la proportion soit largement gardée. — Le Pays[35] déclare qu'il y
a là une question d'honneur national. La France, plus que tout autre pays du
monde, aime la représentation... Le commerce de Paris, ce boute-en-train du
commerce national, a ressenti les effets de la suppression des réceptions de
l'Élysée... Et que deviendraient les malheureux (sans)
la main du Président, cette seconde providence ? Ce rôle pécuniaire a été
dévolu de tout temps au chef de l'État. Si la dotation est repoussée, sur qui
le vieux soldat mutilé, la mère de famille indigente, le pauvre souffrant de
la faim ou du froid... devront-ils en faire peser la responsabilité ? — Le Constitutionnel[36] demande si pour
faire un bon emploi de ses frais de représentation le Président aurait dû
paver le voyage des gens sans fortune disposés à pèleriner à Wiesbaden ou à
Claremont. Le projet de loi des 1.800.000 francs est l'objet d'une
discussion approfondie dans les bureaux de l'Assemblée. Il y est défendu par
MM. de Montalembert, Gasc, Lebœuf, de Greslau, de Ladoucette, Godelle,
Migeon, Chadenet, Heurtier, Mathieu Bodet, Moustier, général Fabvier, F.
Barrot, Taschereau, Giraud, Beugnot, Lestiboudois, Ch. Dupin, Dufour, Daru,
d'Hompierre-Dormoy, Denjoy, de Mortemart, Lefebvre-Duruflé, Mimerel,
Casabianca, Léon Faucher, Dumas, Ducos, Lacrosse, Fremy, Dabeaux, Quentin-Bauchart,
Lemercier, Wolowski. Leurs principales raisons sont celles-ci : La nation n'a
pas entendu faire un simple président. D'ailleurs, il faut que le prince
représente dignement et qu'il encourage le commerce. Les voyages
présidentiels ont raffermi le principe d'autorité. Les manifestations de
Satory n'ont été que des réponses à d'autres manifestations. On aurait l'air
de se venger mesquinement. Le prince a fait un noble usage de ses fonds. Sa
popularité serait grandie par un refus. L'Assemblée a la puissance d'empêcher
toute atteinte au droit. Le pays veut la paix. Refuser, ce serait provoquer
une rupture. Le message du 12 novembre ne doit pas être oublié. La forme du
gouvernement a-t-elle si peu de racines qu'on puisse la transformer avec 1.800.000
francs ? M. Mimerel dit : L'Empire ? c'est une
impossibilité ; l'Empire, si un insensé pouvait le rêver, ne durerait pas
trois mois... Pour supposer une telle pensée au chef de l'État, il faut lui
refuser tout tact, tout esprit de conduite. M. de Casablanca estime
que le changement de cabinet a fait droit aux griefs de la majorité... Le pouvoir ne dépend plus aujourd'hui de quelques milliers
d'électeurs que l'on puisse capter par de petits moyens ; il n'y a plus
d'autre séduction possible que celle qui s'attache à une grande mission
accomplie avec sagesse... Cette séduction, nul ne peut l'empêcher On a parlé d'Empire...
Ils le connaissent bien peu, ceux qui pensent qu'après un serment prêté à la
tribune nationale, renouvelé dans tant d'occasions solennelles, il ira...
démentir... le titre dont il est le plus fier, celui d'honnête homme !...
M. Ducos affirme que dans le cours de ses relations avec le Président il n'a
ni entrevu, ni soupçonné la moindre intention de violer son serment, de
tenter un coup d'État. M. Dumas déclare qu'il a eu l'honneur d'accompagner le
Président à Saint-Quentin et à Lyon, qu'il assistait à la revue de Satory, et
que personne n'a vu autre chose qu'un souvenir dans le cri de : Vive
l'Empereur ! Il nie formellement que le général Neumayer ait été privé de son
commandement pour avoir défendu de crier : Vive l'Empereur ! Quant au général
Changarnier, tous les ministres depuis le 31 octobre étaient d'avis qu'un
commandement aussi exorbitant devait disparaître. M. Quentin-Bauchart dit qu'il
faut renoncer à croire à quoi que ce. soit et à qui que ce soit, ou bien on
doit... s'en rapporter à une parole donnée de si haut, tant de fois et sous
tant de formes. Quelle figure ferait devant le pays, devant tous les honnêtes
gens du monde civilisé le Président s'il violait des engagements pris envers
la France d'une manière si sacramentelle, non pas une fois, mais dix ! Léon
Faucher fait observer qu'en fixant son choix sur l'héritier d'un grand nom le
pays a entendu ne pas rompre complètement avec le passé. L'immense majorité
de la nation l'a élu parce qu'il portait le nom de Napoléon et parce qu'il
était prince. Par cela seul le pays a indiqué que le pouvoir exécutif
s'élevait dans sa pensée et que les obligations qui allaient peser sur lui
seraient à la fois plus étendues et plus grandes... L'Empire, s'il a été
possible un jour, c'est quand il était ministre. Alors on a pris avec... le
concours personnel du Président plus de précautions pour l'empêcher que des
conspirateurs n'en auraient pris pour le faire. Pour rassurer contre l'Empire
on a le serment du Président, sa conduite depuis deux ans, et les engagements
spontanés noblement reproduits dans le message du 12 novembre. Non, l'Empire
n'est pas fait et n'est pas à faire. En sens contraire les bureaux entendirent : MM. Piscatory, Sage, des Rotours, de Chaulieu, de Broglie, colonel l'Espinasse, Baze, Dufougerais, Victor Hugo, Salvat, Mouflet, Thuriot de la Rozière, de Laborde, Grévy, Bruet-Desvaux, Creton, Lagarde, de Lasteyrie, Charras, Chambolle, Delessert, Favreau, Bac, Savœe, Dupont, Pascal Duprat, Labordère, de Mornay, Combarel de Leyval, Desmars, général Laidet, Howyn de la Tranch ère, Bathélemy Saint-Hilaire, Antony Thouret, Pidoux, Crémieux, Cunin-Gridaine, Detours, Jusserand, Remy. Victor Hugo disait : C'est la dotation qui a fait tout le mal. Si vous n'aviez pas voté la dotation, vous n'auriez pas eu les voyages, les harangues, les revues, les banquets, Satory, la place du Havre, la Société du Dix-Décembre, les cris de : Vive l'Empereur !... Pas d'argent, pas d'Empire ! Pascal Duprat s'écriait : Il ne s'agit plus de soupçons ; on se rappelle les voyages... les discours... les revues... les repas de prétoriens, reproduisant aux portes de Paris le triste spectacle que donnèrent quelquefois les Césars aux portes de Rome. Voilà l'usage qui a été fait de la dotation ; veut-on que de pareilles scènes se renouvellent ? Le passé nous répond de l'avenir... Qu'on demande ainsi des armes et des munitions de guerre, à la bonne heure, mais ce n'est pas de cette manière qu'on réclame le bonheur et la gloire d'être une seconde providence. La commission de quinze membres élue par les bureaux comprenait treize commissaires défavorables au projet. M. Piscatory était nommé rapporteur et déposait, à la séance du 8 février, un rapport où il concluait au rejet. Il établissait que le Président recevait déjà[37] une somme de 1.625.000 francs — traitement : 600.000 francs ; frais de représentation : 600.000 francs ; frais de régie de l'Élysée : 240.000 francs ; location d'un hôtel voisin de l'Élysée : 35.000 francs ; part sur le fonds de secours du ministère de l'intérieur : 150.000 francs —, et qu'en y ajoutant encore 1.800.000 francs, il toucherait au total : 3.425.000 francs. D'après l'avis de la majorité, le budget de la présidence n'était pas au-dessous de ce qu'exigeaient la convenance et la dignité d'un grand pouvoir. La présidence n'est pas une royauté. Le Président n'est pas le chef de l'État, il est le chef du pouvoir exécutif. Déjà les crédits ont été augmentés ; on espérait alors que l'Assemblée trouverait dans le pouvoir exécutif tout le concours qu'elle était en droit (l'en attendre. Cette confiance n'a pas été comprise. La situation actuelle impose une conduite et un langage sur lesquels personne ne peut se méprendre. Le 10 février, la discussion commençait. Le ministre de la justice, M. de loyer, disait : Depuis le moment on une élection de plus de 5 millions de suffrages a constaté l'influence d'un grand nom, l'influence du Président de la République ne s'est manifestée... que par de sages et loyales paroles, que par des actes utiles et patriotiques. (Réclamations et rumeurs à gauche.) Les paroles ! il n'est pas un message, il n'est pas un discours qui n'ait renouvelé devant vous et devant le pays le serment prêté à la Constitution... Le Président répondant au maire de Lyon protestait dans les termes les plus énergiques et les moins équivoques contre certains bruits de coup d'État, et remerciait la population lyonnaise de n'y avoir point cru. On oubliait qu'il avait dit à Strasbourg : Le titre que j'ambitionne le plus est celui d'honnête homme, je ne connais rien au-dessus du devoir. — Les actes politiques ! L'Assemblée s'y est associée... Les voyages ont répondu aux vœux des populations (rires ironiques à gauche), des administrations municipales, des conseils généraux... ils ont été l'occasion de ces discours qui ont porté le calme, la paix, l'espérance dans les contrées agitées ; d'engagements plus solennels encore, ils ont lié le Président plus étroitement à ses devoirs et à des serments qu'il n'a jamais eu un seul instant la pensée de méconnaître... L'avenir n'appartient à personne, réservons tous l'action de Celui qui conduit les hommes. (Rumeurs, rires, chuchotements.) Admettez, rejetez le crédit, c'est votre droit ; mais il est chez Mie Président de la République une situation qu'il n'appartient à personne de modifier... c'est son respect pour ses serments... Après un discours de M. Dufougerais contre le projet, M.
de Montalembert commence par constater la rupture de la majorité avec le
pouvoir exécutif et celle de la majorité avec elle-même. Une interruption
prolongée se produit à ces paroles. Il regrette ces demandes répétées de
dotation supplémentaire. Ce sont de ces choses que l'un des pouvoirs ne doit pas
demander, mais que l'autre ne doit pas refuser quand on les lui demande. Un
pouvoir législatif, mieux doté qu'aucun autre ne l'a jamais été, aurait
peut-être mauvaise grâce à lésiner sur une demande de dotation pour le
pouvoir exécutif le plus mal doté qu'il y ait jamais eu en France. L'orateur
ajoute : Les habitants des campagnes m'ont toujours
paru beaucoup plus préoccupés des 25 francs par jour que nous touchons (exclamations bruyantes à droite, vives dénégations
à gauche) que des 3 millions demandés
pour le Président... Une portion de l'ancienne majorité est entrée dans une
hostilité systématique (vives réclamations sur un grand nombre de bancs), au
moins d'une manière permanente et suivie (une
voix : Le correctif est joli !)... Je viens entreprendre cette défense sans confiance
illimitée en qui que ce soit, je n'en ai pour personne ni pour rien. (Rire général, longue interruption...) Je ne suis ni le garant, ni
l'ami, ni le conseiller, ni l'avocat du Président, je suis simplement son
témoin et je viens lui rendre ce témoignage devant la justice du pays qu'il
n'a démérité en rien de cette grande cause de
l'ordre... Vous souvenez-vous de tous ces cratères qui éclataient partout à
la fois, de tous ces droits méconnus, de tous ces trônes ébranlés, de tous
ces esprits bouleversés, de tous ces pavés remués d'un bout de l'Europe à
l'autre ? Eh bien, par qui et par quoi ce mouvement a-t-il été arrêté ? Où,
quand, comment a-t-il été dit à ce flot d'anarchie : Tu n'iras pas plus loin
? C'est à l'élection du 10 décembre. Oui, c'est quand on a vu dans l'élection
la plus libre et la plus sincère qui fut jamais cinq millions de Français
revenir par un élan unanime et irrésistible aux idées d'ordre et les
personnifier dans le fils d'un roi et le neveu d'un empereur !... Eh bien
!... quand il a été nommé, non pas quoique prince, mais parce que prince, que
lui demandaient ces cinq millions et demi de suffrages ? Et d'abord il faut
le dire, car c'est de l'histoire, ON LUI DEMANDAIT L'EMPIRE, LES PAYSANS CROYAIENT VOTER POUR
L'EMPIRE. (Dénégations
à gauche.) Je dis que dans la pensée
d'une foule de ceux qui l'ont nommé ON NOMMAIT UN EMPEREUR ; on leur
avait dit de votre côté, Messieurs de la gauche, précisément ce que M. Thiers
disait l'autre jour : L'EMPIRE
EST FAIT, Si vous le nommez. Eh bien, ils
répondaient : SOIT ! (Rires à
droite.) A-t-il répondu à cette attente ?
A-t-il fait mine d'obéir à ces sympathies impériales que je vous signale
comme un FAIT HISTORIQUE ? (Mouvement.) Non ! il est venu loyalement, immédiatement, à cette
tribune prêter un serment qu'il n'a jamais violé. (Sourires ironiques à gauche.) On lui demandait de mettre un terme au gouvernement des
républicains de la veille. L'a-t-il fait ? Oui ! On lui demandait enfin
d'offrir un terrain neutre aux honnêtes gens de tous les partis. L'a-t-il
fait ? Oui ! N'a-t-il pas en cela rendu un grand service ? Oui ! Un autre que
lui pouvait-il rendre ce service ? Non ! (Interruption prolongée...) Il a tenu beaucoup plus qu'il n'avait promis, à la
différence des princes et des pouvoirs de ce monde qui promettent en général
beaucoup plus qu'ils ne tiennent... Quand on a vu que la victoire avait été
si facile, on a cru qu'on pouvait se disputer la peau de l'ours qui n'était
pas tué et qui était tout au plus muselé (hilarité
prolongée) ; à partir de ce moment vous
avez vu frapper sur le pouvoir exécutif à coups redoublés... tous les jours,
jusqu'à ce dernier jour où vous avez refusé un pauvre délai de vingt-quatre
heures à un vieux soldat qui vous le demandait pour préparer sa réponse. (Mouvement, agitation...) Le remplacement du général Changarnier, on sait assez
combien je l'ai blâmé, (mais) me sera-t-il permis de dire que, depuis lors, le langage
de l'illustre général, les conseils qu'il a donnés, ceux qu'il a suivis peut-être,
ont fait comprendre... que cet acte était plus explicable que je ne l'avais
cru d'abord, et qu'il n'y avait de tout à fait blâmable que l'opportunité ? (Murmures prolongés à droite.) Le Président a sacrifié son ministère, et on vient, sans
tenir compte de ce sacrifice, faire remonter jusqu'au Président la défiance
qu'on avait témoignée contre le dernier ministère. Eh bien, c'est là le
comble du système d'hostilité que je dénonçais... Le Président pourra me
faire regretter un jour d'avoir cru en lui, mais jamais il ne pourra gâter le
plaisir que j'éprouve et l'honneur que je me fais en venant lui rendre ce
public témoignage, et protester contre une des ingratitudes les plus aveugles
et les moins justifiables de cette longue série d'ingratitudes qu'on appelle
l'histoire de France !... Le Président représente l'autorité, la seule
possible quant à présent et par conséquent la seule légitime, car je ne
reconnais de légitime que ce qui est possible... (Réclamations bruyantes, interruption prolongée.) La Restauration, puis la monarchie constitutionnelle, (sont) tombées...
parce qu'on s'était habitué à ne pas respecter l'autorité... (Vous allez recommencer)... On a des gouvernements tels quels, il faut les
défendre lorsqu'ils ne sont pas radicalement mauvais. (Oh ! oh ! Agitation.)... Du moment où ce peuple a choisi un prince et le neveu
de l'Empereur... les conséquences ont éclaté... Comment ! les grands docteurs
qui ont fait la Constitution n'ont donc pas songé qu'en faisant élire
directement par 5 millions et demi de Français un seul homme ils lui
attribuaient d'abord un pouvoir démesuré... plus grand que la royauté, et
qu'en outre par cela même ils dépouillaient la Chambre de ce prestige unique
sous la monarchie en vertu duquel elle représentait seule les passions, les
volontés, les affections, les souvenirs du peuple !... A côté de vous il y a
un seul homme qui représente également, mais tout seul, la volonté
nationale... Demandez au premier paysan venu quel est son représentant par
excellence !... L'orateur constate donc que le Parlement n'a plus la
situation qu'il avait sous la monarchie, et, seconde différence, que le
système parlementaire n'est plus en faveur. Il ajoute : Cela n'amuse plus le pays, ces jeux-là ne sont ni sérieux
ni sincères et tournent trop souvent au tragique. (Oh ! oh ! A l'ordre ! à
l'ordre ! C'est avilir le pouvoir législatif !) Si vous voulez défendre le pouvoir parlementaire,
préservez-le de ses amis trop ardents... Le pays était tranquille, il n'avait
pas été à Wiesbaden, à Claremont, ni même à Satory... Qui l'a agité,
inquiété, qui l'alarme en ce moment ? Je ne réponds pas, je vous laisse à
vous-mêmes le soin de répondre. (Murmures...) J'admets qu'il y ait des torts de part et d'autre. Eh
bien, cessez cette guerre impie, grâce pour le pays, (sinon) ce qui
triomphera, ce ne sera pas l'Empire, ce sera le socialisme !... Le rapporteur, M. Piscatory, répond : Au fond, dans ces derniers temps, aux yeux de tout le monde, (Dieu veuille que ce ne soit pas l'intention) les faits, les paroles, tout a été un défi jeté contre l'Assemblée... N'est-ce pas une question grave, celle qui peut jusqu'à un certain point changer les conditions vraies de la situation du premier magistrat de la République ? L'Assemblée n'a pas approfondi les divisions... Le Président est-il infaillible ? Pourquoi... cette Assemblée (ne viendrait-elle pas) l'avertir (d'une) méprise ? Y a-t-il là affaiblissement pour le pouvoir exécutif ? Si l'Assemblée accorde pécuniairement une situation nouvelle à la présidence... cette situation sera dénaturée. (Approbation sur un grand nombre de bancs à droite et même à gauche.)... Croyez-vous que nous ayons voulu affaiblir le pouvoir exécutif ? même rien ôter à l'éclat et à la puissance de son nom ? Non, non, rien de semblable... Par le fait, il est dans l'esprit des populations quelque chose de plus que ce qu'a voulu la Constitution... S'il poursuivait la voie dans laquelle... des amis sont disposés à le pousser, il échangerait une des plus grandes... situations... contre une (les chimères les plus dangereuses... Ce que nous avons voulu, c'est avertir respectueusement M. le Président de la République. (Vive approbation.) — Par 396 voix contre 294, l'Assemblée refuse l'augmentation de dotation. L'Union (9 février 1851) s'écrie : Quelle leçon ! quel enseignement ! quel acte de louable et salutaire énergie ! Vive l'Empereur ! avaient crié les comparses de Satory. Échec à l'Empereur ! a répondu à son tour l'Assemblée souveraine. La Gazette (10 février) dit que le rejet de la dotation arrêtera pour un moment la pensée élyséenne allant de la République à l'Empire. Puis elle prétend que le Président dispose en réalité de 13.123.400 francs, somme globale allouée aux différents ministres à titre de secours, gratifications, etc., puisque le ministère, c'est lui. Le National (16 février 1851) constate que la protection d'un grand souvenir plutôt audacieusement usurpé que directement hérité ne constitue pas un privilège d'impunité en faveur de certains rêves et de certains projets... Le bonapartisme est solennellement repoussé par la majorité de l'Assemblée. Le Siècle (13 février) soutient la Chambre : La majorité a refusé en quelque sorte le cordon qu'un sultan présomptif lui envoyait pour qu'elle s'exécutât elle-même. La majorité n'a pas voulu mourir. Voilà tout... Il n'y a dans ce refus (10 février) ni hostilité systématique, ni conflit ; l'Assemblée blâme l'usage du crédit de 1850 et rappelle au pouvoir exécutif qu'elle est placée auprès de lui afin de le contenir dans les limites que la Constitution lui a tracées. L'Assemblée nationale (10 février 1851) affirme que la patience était à bout : Le pays se lasse de n'entendre parler que de vos prétentions d'indépendance, que de vos demandes d'argent, que de vos espérances de prorogation ou d'Empire. Il se lasse surtout de voir sans cesse son repos et sa prospérité sacrifiés aux préoccupations que vos courtisans appellent votre destinée. Les électeurs ne vous ont pas choisi, l'Assemblée ne vous a pas choisi, l'Assemblée ne vous a point doté magnifiquement pour détruire la discipline de l'armée, pour provoquer ses délibérations sous les armes, pour patronner des sociétés de conspirateurs et encourager les feuilles qui demandent de modifier la Constitution afin de vous perpétuer au pouvoir... Le blâme (11 février) et la défiance ont été votés... L'Assemblée nationale (12 février 1851) estime que pour la présidence c'est assez d'un personnel de 171 personnes, de 40 chevaux, de 20 grands dîners, de 12 grands bals, de 330.000 francs pour la table, de 135.000 francs pour les écuries, de 24.000 francs pour la toilette, de 46.000 francs pour les aides de camp, de 116.000 francs pour le secrétariat, de 152.000 francs pour la domesticité, de 127.000 francs pour les dépenses accidentelles ; qu'il reste encore 450.000 francs pour les aumônes... ; que le refus du Parlement ne saurait être impopulaire, vu qu'il n'atteint que la munificence satorienne, la bienfaisance décembriste, les prétentions césariennes. L'Ordre (12 février 1851) s'indigne : Dites, si vous voulez, qu'incessamment harcelé, défié en paroles et en actions par une coterie funeste, le pouvoir législatif devait continuer à dévorer en silence les outrages dont on l'abreuvait depuis quinze mois ; faites mieux, soutenez que l'Assemblée devait subventionner la faction qui passe sa vie à déverser sur elle et sur les lois l'injure et le mépris, mais ne dites pas que la lutte est l'œuvre du pouvoir législatif... La dotation insuffisante ? Est-ce pour ce qu'on en doit faire ou pour ce qu'on en voudrait faire ? Eh bien, oui ! la Chambre a craint et la France a dû craindre avec elle qu'une dotation excessive ne reçût un emploi qui pourrait n'être pas toujours conforme à ses vues... A qui la faute si cette pensée lui est venue ? Les Débats (12 février), par la plume de M. de Sacy, regrettent le vote de l'Assemblée. Ce rejet ne diminuera ni sa popularité ni son autorité. L'Empire n'a ni plus ni moins de chances qu'il n'en avait. L'Empire n'a jamais eu de chances et n'en aura pas ; mais si quelque chose était capable de grandir le Président, c'est le vote de l'Assemblée qui ressemble à la plus mesquine des vengeances. Le Président n'a donc rien perdu, il a plutôt gagné. L'Univers (12
février 1851) fait l'éloge du discours de M. de Montalembert[38] : L'intelligence de l'homme politique n'a jamais vu plus
clair ; il a traité le sentiment révolutionnaire avec un courage dont la
France lui saura gré. Seul, de tous les hommes politiques, il a honoré,
respecté, servi l'autorité, sans acception d'intérêt ni de parti. L'élection
du 10 décembre n'a pas été seulement le choix d'un homme. La nation a obéi
instinctivement à la grande loi d'hérédité qui domine le monde. Toute la
force de Louis-Napoléon est là. Le Président ne s'est-il pas renfermé dans la
limite de ses attributions ? Nous le croyons. L'allocation de 1.800.000
francs répond au sentiment qui a présidé à l'élection du 10 décembre. Le
peuple a nommé plus qu'un président. Le Pays (11 février 1851) écrit : Les 40.000 communes de France (il s'agit de M. de Montalembert) couvriront de leurs sympathies et de leurs applaudissements' cette parole napoléonienne par sa franchise, par son audace, par son impartialité. L'élection du 10 décembre nous a sauvés. L'élu du 10 décembre n'a pas cessé de tenir haut et ferme le drapeau de réconciliation sociale. — Après l'avoir cajolé au moment de la peur, on l'abandonne cyniquement. — Contre une telle ingratitude, contre une déloyauté aussi criante M. de Montalembert a eu un de ces mouvements d'éloquence qui trouvera de l'écho dans tous les cœurs français. Le bruit avait couru, immédiatement après le vote de
l'Assemblée, qu'une souscription allait être ouverte pour compléter la
dotation présidentielle. Le prince avait demandé qu'aucune suite ne fût
donnée à ce projet. Néanmoins le Pays passe outre et offre ses colonnes aux
souscripteurs. Alors, le chef du cabinet du Président écrit (11 février) à M. de Bouville[39] : Monsieur le rédacteur en chef, vous venez d'ouvrir une
souscription... malgré la déclaration du Président de n'en accepter aucune.
Cette déclaration néanmoins ne pouvait donner lieu ni au doute ni à
l'exception. C'est un sacrifice sans réserve au repos du pays. Sous quelque
forme donc que soient recueillis des fonds, quelque destination qu'on leur
assigne, le Président ne saurait les accepter. Il me charge de le répéter
d'une manière formelle. Ce refus était plein de dignité et profondément habile.
Dans la partie engagée avec l'Assemblée, le prince marquait tous les points.
La France bonapartiste — c'est-à-dire la France presque tout entière — était
touchée jusqu'au fond du cœur par cette attitude noble et résignée de la
victime. Aussi c'est en toute vérité que le Pays
(12 février 1851) pouvait dire que l'effet produit par cette déclaration avait été immense.
Et il ajoutait : C'en est fait, les masques sont
tombés à la fin ! La lutte est engagée... Ce qu'ils veulent ?... ils veulent
renverser Louis-Napoléon parce que son grand nom et son immense popularité
(sont) un insurmontable obstacle à la réalisation de leurs folies (13 février). Ceux
qui veulent aujourd'hui le renverser ne sont-ils pas les mêmes qui ont fait
la révolution du 24 février ? Dans les Débats (12 février 1851), M. John Lemoinne se
déclare obligé de reconnaître qu'en cette affaire le Président garde le double avantage de la dignité et de l'habileté.
Dans le Constitutionnel (13 février
1851), M. Granier de Cassagnac cravache l'Assemblée et exalte le
prince : Une poignée de légitimistes fanatiques,
d'orléanistes brouillons, de républicains ambitieux, de socialistes avides,
voyant que le gouvernement leur échappe... font un effort suprême, désespéré,
pour briser la clef de voûte du nouvel édifice et pour écarter à tout prix,
n'importe comment, le Président, avant que le vœu du pays, déjà appréciable,
lui confère un nouveau mandat. Ainsi d'un côté la France entière avec sa
souveraineté et sa force, de l'autre une poignée d'ambitieux... au milieu un
cœur loyal, un esprit droit, un homme éminent enfin, que ces ambitieux
coalisés veulent précipiter du pouvoir et que la France veut y maintenir. Qui
l'emportera ? Il faudrait douter du bon sens, de la justice et de la
Providence pour désespérer un seul instant. La Patrie (14 février) n'est pas moins agressive contre
l'Assemblée : Quand les hommes de la coalition
seront parvenus à rendre impossible le renouvellement des pouvoirs
présidentiels... la France sera-t-elle davantage avec eux ? Ils auront
préparé le triomphe du socialisme... ; ils auront dressé le piédestal de sang
et de boue sur lequel les démagogues de 1852 relèveront l'échafaud ; (ils feront) de la
France un monceau de cadavres et de ruines... Songez à vos familles que la
faux de la Révolution viendra décimer ! Songez à ces masses d'ouvriers dont
la misère enfantera le désespoir ! Songez à cette malheureuse France qui a
déjà versé tant de larmes, qui a déjà perdu tant de richesses ! Ne soyez pas
assez insensés pour briser de vos propres mains l'unique instrument de votre
salut. Avant de vous disputer le pouvoir, sauvez-nous d'abord ! Sauvez-vous
vous-mêmes en nous sauvant ! Sauvez la société et la civilisation ! Sauvez la
France ! Il parait alors une brochure[40] intitulée : Qu'est-ce que le retour à l'Empire ? où l'éventualité d'une restauration impériale est présentée comme devant être un bienfait. Elle occupe toute la presse. Le National (21 février) par la plume de M. Charras fait le procès de l'Empire : Jusqu'ici il avait été admis que les institutions politiques de l'Empire avaient servi et n'avaient pu servir qu'à constituer le despotisme le plus absolu. C'était une erreur ! La France a joui d'une liberté réelle sous l'Empire ! C'est plus que de la présomption, plus que de la folie.. De quelle liberté parle-t-on ? De la liberté individuelle ? Un décret du 10 mars 1810 rétablissait sous un nouveau nom les lettres de cachet. La liberté de la presse ? Dès le lendemain du 18 brumaire elle n'existait plus. La liberté de la tribune ? La tribune était muette. Un seul homme avait la parole, c'était l'Empereur. Le suffrage était inscrit sur un registre public avec en regard le nom du votant. Le sénat de l'Empire est resté et restera dans l'histoire comme le type achevé du servilisme et de la dégradation. A la chute de l'Empereur, la France s'est trouvée réduite à un territoire moindre qu'en 1789. Les institutions politiques de l'Empire, c'était donc la négation absolue de la liberté individuelle, la négation absolue du suffrage universel et de la République ; c'est le silence absolu de la tribune ; c'est l'abêtissement de la nation. La Gazette de France (18 février) n'est pas moins sévère : Un retour à l'Empire ? Ce serait l'Empire moins l'Empereur. Ce serait le despotisme moins le génie ; l'obéissance moins la gloire ; l'ignoble livrée du laquais substituée au noble uniforme du soldat ; l'intrigue en haut, l'envie en bas ; la servitude et l'anarchie à tous les degrés. Quelque chose, en un mot, comme le règne de Claude et les premiers jours du règne de Tibère. Comment se fait-il qu'il y ait des hommes qui, ayant eu le malheur de rêver de telles destinées à notre pays, n'aient pas la pudeur de taire leur rêve ? La France, Dieu merci, n'est pas encore tellement déchue de son antique grandeur qu'il ne lui reste qu'à se réfugier dans le Bas-Empire. Les Débats (24 février 1851) disent : Les institutions civiles de l'Empire, nous les avons... Il n'y a que trop de gens aujourd'hui qui se figurent que notre malheureux pays ne trouvera de repos que dans les bras du despotisme. (Quant à) retourner aux institutions politiques de l'Empire, c'est retourner... à quoi ?... A la volonté absolue d'un homme. Et puis-(est-ce que) personne a jamais pu prendre au sérieux ces prétendues institutions ?... (Est-ce que) les partisans les plus passionnés de l'Empire n'avaient pas toujours excepté de leur enthousiasme... précisément ces prétendues institutions politiques, cette comédie du suffrage universel, ce Corps législatif muet, ce Sénat instrument aveugle du maitre ?... La mort sans phrases, disait-on à la tribune de la Convention ; la dictature sans comédie, devraient dire au moins les impérialistes de 1851. — Pour le Siècle (18 février 1851), le retour à l'Empire, c'est le despotisme moins la gloire, une chasse aux fantômes, un rêve, une décoration sans personnages, quelque chose de fantastique, d'absurde et d'impossible. Cette brochure disait : Le cri de : Vive l'Empereur ! n'est pas seulement l'expression des regrets pour ce que cette époque avait de grand et de glorieux, c'est bien plus encore un retour vers les institutions qui avaient reconstitué la société, vers la forme énergique du gouvernement impérial. Les institutions de l'Empire sont tout à fait indépendantes de sa gloire. Créées par Napoléon, elles peuvent vivre sans lui. Pendant quatorze ans quelle profonde tranquillité dans le pays ! Comme tout est en progrès ! Pas l'ombre d'insurrection ! Partout soumission, ordre, calme. Le mot émeute était inconnu dans le vocabulaire français. L'Empereur n'est plus là, mais ces institutions ne peuvent-elles pas sauver encore le pays ? C'était en définitive la question de la prorogation qui
commençait à se poser d'une façon continue : Que
demande l'opinion publique ? disait le Constitutionnel (18 février). Un peu
plus de durée dans un pouvoir dont elle est loin d'avoir à se plaindre. Tant
que cc pouvoir n'aura pas démérité, il v aura un intérêt immense à le
maintenir. Les partis ne veulent chacun que le gouvernement de son parti. Le
gouvernement de Louis-Napoléon est le gouvernement le plus compréhensif que
la France puisse avoir. Nommé par tout le monde, il administre avec tout le
monde. L'opinion publique est donc bien sage quand elle veut maintenir ce qui
est, et quand elle se demande : Pourquoi changer ? — L'Opinion
publique (20 février 1851) répond
au Constitutionnel : (Il ne croit pas) aux tendances
impérialistes ! Il v a des incrédulités de position. Mais, il croit, par
exemple, aux tendances prorogatrices. Voilà qui est admirable, et la
distinction est sublime ! Qu'est-ce que la prorogation ? C'est le chemin, et
l'Empire le but. Le raisonnement du Constitutionnel revient à ceci :
Nous prenons le chemin, donc on nous calomnie en disant que nous allons au
but. Nous relayons à Sèvres, donc il est clair que nous n'allons pas à
Versailles. On renvoie les généraux qui empêchent de crier : Vive l'Empereur
! c'est pour faire vivre la République ; la Société du Dix-Décembre
s'organise pour la République. On demande des dotations princières pour la
République ! Le Constitutionnel deviendrait chambellan du nouvel
Empire, sans cesser pour cela d'être républicain ! Les journaux signalent ce qu'ils appellent les manifestations de l'avenue de Marigny ; toutes les fois que le Président sort, nombre de gens qui ont longtemps attendu l'acclament et le saluent du cri de : Vive l'Empereur ! C'est toujours, d'après eux (22 février 1851), le même personnel et le même mot d'ordre. La Société du Dix-Décembre, disent-ils, est remplacée par les Sociétés du Petit Chapeau, de l'Aigle, de la Redingote grise, de la Vraie Planche, de l'Hortensia, de Saint-Cyprien, de l'Union du commerce et de l'industrie. Revenant sur l'affaire de la dotation, ils annoncent[41] que le Président, obligé de restreindre ses dépenses, a vendu 21 chevaux pour la somme de 54.235 francs. Il est alors question d'une pétition que des milliers
d'hommes porteraient à l'Assemblée pour lui demander de revenir sur son vote.
La Gazette de France (22 février 1851)
dit à cette occasion : Les Tuileries ne sont pas
loin. Cette pétition serait ainsi conçue : La
nation est émue... En nommant le neveu de l'Empereur... les six millions de
citoyens français ont entendu... que la majesté de la nation résidât en lui ;
là où la volonté nationale s'est expliquée, il est du devoir des mandataires
du pays de le comprendre. Le dernier vote de l'Assemblée refusant une
misérable somme d'argent est... un acte d'hostilité envers les sentiments du
peuple... Le neveu de l'Empereur est méconnu... le pays souffre... le peuple
n'est pas compris dans ses vœux... la majesté de la volonté nationale est
outragée dans son plus auguste représentant, l'élection du 10 décembre est
oubliée dans son principe vivifiant... Nous venons forts de notre droit qui
domine votre mandat... La France et Louis-Napoléon se donnent la main parce
que le cœur y est dedans... Revenez sur votre dernier vote. Prouvez, en
acceptant le chiffre de la dotation, que vous n'êtes pas des ennemis
personnels du Président. Cet argent revient dans la niasse en pluie de
bienfaits... — Malgré le vote d'un crédit de 3.218.501 francs pour les dépenses du corps d'occupation de Rome et le rejet d'une proposition de M. Creton tendant à l'abolition des lois d'exil édictées contre les Bourbons et les d'Orléans, la guerre continuait incessante entre l'Assemblée et le Président. Les messages du chef de l'État n'étant signés que par lui-même, M. Desmousseaux de Givré, s'appuyant sur l'article 67[42] de la Constitution, proposait d'interdire la communication à l'Assemblée de tout document présidentiel qui ne porterait pas le contreseing d'un ministre. La commission n'écartait cette proposition que parce que l'obligation imposée au chef de l'État ne pouvait faire le moindre doute. Le bruit ayant couru que dans la pensée gouvernementale l'élection présidentielle était régie, non par la loi du 31 mai 1850, mais par celle du 15 mars 1849, il. Desmars avait déposé une proposition tendant à fixer ce point de la législation. La commission d'initiative, par la plume de M. Audren de Kerdrel, avait déclaré, elle aussi, que c'était bien inutile, attendu qu'il ne pouvait y avoir aucun doute, qu'il n'y avait rien de plus évident ni de plus incontestable que l'application de la loi du 31 mai 1850 à l'élection du Président de la République. Et dans la séance du 28 mars, sur une déclaration conforme du ministre de l'intérieur, M. Vaisse, l'Assemblée passait à l'ordre du jour[43]. Enfin, un autre député, M. d'Adelswœrd, ayant déposé une proposition tendant à préciser l'étendue des attributions légales du président de l'Assemblée en ce qui concerne le droit de réquisition de la force armée, M. Denjoy avait, au nom de la commission, fait un rapport où il était déclaré que le droit[44] du président de l'Assemblée était absolu, qu'il pouvait non seulement fixer l'importance des troupes dont il jugeait le concours nécessaire, mais encore s'adresser directement à tous chefs et soldats, sans avoir à passer par la filière d'une hiérarchie militaire. — En revanche, la propagande bonapartiste suivait son
cours. Lors de sa promenade habituelle, le Président continue à être
accueilli par les cris de : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! Comédie
quotidienne, dit le Siècle. Le 15 mars avait lieu une revue aux
Champs-Élysées et au Cours la Reine, où l'on entendait les cris[45] de : Vive l'Empereur ! Vive le Désiré ! Les feuilles
républicaines ne peuvent contenir leur colère. Bientôt,
raconte le Siècle[46], le cortège — et quel cortège ! — débouchait par l'avenue
de Marigny où se tenaient les philanthropes habituels, chargés de
l'enthousiasme napoléonien. Jamais... dans les plus beaux jours de gala la
monarchie ne visa à l'effet, à la pompe, plus que ne le fait M. Louis
Bonaparte ; jamais Louis-Philippe ne se fit précéder et suivre d'une escorte
militaire aussi imposante. Des lanciers ouvraient la marche ; ils portaient
la pointe de leurs lances en avant, comme si les Champs-Élysées eussent été
peuplés de Cosaques !... Une nuée de généraux !... des valets à la livrée
vert et or !... plusieurs escadrons de guides, de dragons, de lanciers,
la pointe en avant, comme s'ils allaient charger l'ennemi !... C'est
peut-être une tradition impériale, ce n'est dans tous les cas qu'un travers
ridicule ; mais interrompre la circulation ! en plein jour ! dans le quartier
le plus fréquenté de la capitale ! faire arrêter les voitures !... et
occasionner ainsi des encombrements, des accidents qui peuvent être funestes,
et cela pour se donner à soi seul la grande avenue des Champs-Élysées, c'est
plus que de la puérilité, c'est plus que du ridicule, c'est de
l'inintelligence au premier chef !... Est-ce en croisant le fer contre des
femmes et des enfants, en gênant leur circulation, que l'on compte acquérir
une grande popularité ? Cet article, que nous citons entre d'autres du
même genre, montre à quel degré d'exaspération les adversaires du prince
étaient arrivés. La Gazette de France (2 avril) relève avec aigreur que tout (sic) le clergé de Paris dine à l'Élysée. Bientôt elle (2 mai) signale le banquet donné par le Président au 7e d'artillerie. Ce n'est que le recommencement. Tous les régiments y passeront. Un journal parodie à ce sujet le mot de Cambronne : L'armée française di ne et ne se rend pas. Enfin la campagne révisionniste était reprise avec vigueur
par les organes dévoués au prince. La mine chargée
par la coalition de 1851, dit la Patrie[47], éclatera en 1852 avec une violence qu'on ne soupçonne
pas... et en éclatant elle entraînera le pays dans une chute dont il ne se
relèvera plus, peut-être. Ce n'est pas seulement la France, c'est l'Europe
entière qui sera ébranlée par cette épouvantable secousse... C'est partout
qu'on se heurtera sans cesse à des cadavres, partout qu'on versera des larmes
sur des ruines et des cendres, partout que régneront la misère et la faim,
partout enfin que la révolution installera le communisme triomphant sur un
trône de sang et de boue. Et la fuite même sera impossible, car il n'y aura
pas un coin (de l'Europe) où un homme de bien pourra poser le pied sans y
rencontrer des assassins et des bourreaux... Des hommes (19 mars) qui ont
béni la Providence lorsqu'elle a suscité Louis-Napoléon pour sauver la
France... font contester... (ses) titres à la reconnaissance du parti de l'ordre.
Aujourd'hui qu'il s ont cessé de (trembler), ils disent... qu'un autre eût rendu (les mêmes services)
au pays... Poltrons ! qui ne se souviennent plus des peurs qu'ils ont eues !
ingrats qui insultent le bienfaiteur !... fanfarons qui bravent le
péril... parce qu'il est éloigné !... Si demain la voix de la France
pouvait... décerner... à Louis-Napoléon la présidence décennale, on verrait
bien si le grand nom qu'il porte... qui est un symbole d'ordre et de progrès,
de gloire et de stabilité, n'est pas toujours le nom qui a réalisé au 10
décembre 1848 le miracle de la fusion de tous les gens de bien sans
distinction d'opinion et de drapeau... Il ne s'agit plus (31 mars) désormais
ni de bonapartisme, ni d'orléanisme, ni de légitimisme ; il s'agit de sauver
la société de la conquête (les barbares du socialisme. Le Moniteur
du soir (7 avril) dit de son côté :
Si l'Assemblée ne tient pas compte du vœu national
qui réclame la révision... l'armée souterraine de la révolution fourbira ses
couteaux et goudronnera ses torches... Révision ! voilà l'unique solution
pacifique du nœud gordien qui étouffe notre malheureuse patrie. Révision !
voilà l'arme des hommes qui reconnaissent l'impasse où la révolution cherche
à les enfermer. Révision ! c'est la devise des honnêtes gens... M. Véron,
dans le Constitutionnel[48], veut aussi la
rééligibilité du Président : Tout ne semble-t-il pas
providentiel dans l'élection du prince ? Il n'a autour de lui (personne) qui
puisse... lui succéder... Par son haut bon sens, par son calme, par sa
sagesse, (il) nous répond du présent ; il assurerait certainement pour
plusieurs années (le) repos et la prospérité du pays, et il laisse l'avenir à
tout le monde... Vous tous (26 mars
1851) qui nous gouvernez, rapprochez-vous,
entendez-vous et sauvez-nous ! Voilà le cri de la France. Qu'un pouvoir... de
quelques années soit établi avant 1852. Le Président ne trompera aucune des
espérances qu'il nous a données. Il honore la religion, il honore la justice,
la magistrature ; il comprend, à force d'études spéciales, tous les grands
intérêts du pays... il se préoccupe activement du bien-être des classes
pauvres... il veut le repos, il veut la prospérité, il veut l'honneur
respecté de la France, et le nom qu'il porte suffirait à le rendre cher à
l'armée. L'Assemblée, en demandant... longtemps avant 1852 la rééligibilité
et la réélection du Président, peut seule sauver le pays. Le Pays (11 et 13 mars 1851) déclare qu'il n'y a pas
à discuter, que tout le monde est d'accord pour reconnaître qu'il n'y a pas
de nécessité plus urgente pour les destinées de la France que la révision.
Louis-Napoléon et la France ne font qu'un. Louis-Napoléon est tout à la fois
l'expression de l'autorité et de la démocratie. L'appui de la nation ne
saurait donc lui faire défaut au jour de la révision... La question (23 mars) est restée ce qu'elle était en
1848, une question à débattre entre la société et la civilisation d'une part,
et entre le socialisme et la barbarie d'autre part. Le Journal des Débats, l'Univers sont pour la révision.
Une feuille publique, le Bulletin de Paris[49], s'adresse à
tous ses correspondants et leur dit : Le moment est
venu pour la France de manifester pacifiquement et légalement sa volonté
souveraine. Il faut qu'avant la fin de mai toutes les villes, toutes les
communes, tous les hameaux aient adressé à l'Assemblée une pétition pour
demander la révision. Afin de faciliter ce pétitionnement... nous publierons
demain une formule rédigée d'après les conseils des hommes les plus
importants de l'opinion véritablement conservatrice. Que les journaux des
départements insèrent ce modèle de pétition en tête de leurs colonnes, qu'ils
ouvrent dans leurs bureaux des souscriptions pour la répandre, que dans tous
les cantons, dans toutes les fabriques, dans toutes les usines, il soit
distribué... et signé par l'ouvrier comme par le paysan. Il se produit alors un vaste pétitionnement en faveur de la révision. Durant le mois de mai chaque séance de l'Assemblée débute par un interminable défilé de députés qui se succèdent à la tribune pour déposer des pétitions révisionnistes, et un certain nombre de pétitions demandant le rappel de la loi du 31 mai 1850. M. de Cormenin, dans une brochure, s'adressant au prince,
s'efforce de lui démontrer que la révision ne saurait être faite pour lui : Ne vous laissez pas dire qu'un pouvoir à temps traîne avec
soi l'anarchie, car Rome a commandé à l'univers sous des consuls annuels ;
les États-Unis fleurissent sous un président quadriennal... Oui, vous êtes
tellement lié — je parle à un honnête homme, — que de tous les Français vous
l'êtes seul, puisque vous êtes le seul de tous les Français qui ne puisse
demander ni accepter la prorogation ; vous êtes tellement lié que la révision
même de la Constitution, qui abolirait la non rééligibilité, ne vous
relèverait pas de votre serment au fond de votre conscience. Personne avant
vous n'a été, ni en aucun temps, ni en aucun pays de l'Europe, le chef
incontestable d'une grande nation. Qu'avez-vous encore à désirer, et où votre
ambition pourrait-elle monter plus haut ? Être ou avoir été président de la
République française, ce n'est pas être ou avoir été moins qu'un roi, et
quant à ce qui est d'une couronne, il n'y a pas de couronne sur la terre qui
ne soit, vous le savez bien, au-dessous de votre nom ! Mais ce qui est
incomparablement au-dessus d'une couronne et même au-dessus de votre nom,
c'est de garder la foi promise, c'est d'être citoyen lorsque vous pourriez
être roi !... Il y a une place nouvelle à prendre dans l'histoire, la place
du pouvoir suprême légitimement reçue et fidèlement quittée. Ce sera la vôtre
!... Dans la révision l'opposition voit non-seulement la
prorogation, mais l'Empire. Le National dénonce les agents du
bonapartisme, (qui) recommencent les
manèges... de l'élection du 10 décembre. Ils disent
: Mais la prorogation... c'est encore la République. Mensonge ! Continuer...
le Président dans son mandat, c'est donner une prime à son ambition. Les
mêmes raisons qui font demander aujourd'hui la présidence décennale feraient
demander demain la présidence à vie, puis l'Empire héréditaire... La prorogation
n'est que le premier pas vers une restauration impériale. — L'Événement
(4 mai) dit que les Élyséens ne veulent
pas quatre ans, mais toujours ; que la prorogation serait un premier pas
après lequel les autres seraient faciles. Quant à faire un 18 brumaire[50], les aides de camp de l'Élysée n'auraient pas devant eux
l'orangerie de Saint-Cloud ; ils se heurteraient contre la Convention ; ils
n'auraient pas devant eux des courages amollis et des consciences d'enchère
comme Talleyrand, Fouché et Cambacérès, mais des dévouements sublimes et des
caractères indomptables comme Danton, Vergniaud, Robespierre... Renverser la
République, mais l'Angleterre, mais l'Espagne, mais l'Autriche, mais la
Hollande, mais la Prusse, mais la Sardaigne, mais l'Allemagne, mais la Russie
ne l'ont pas pu ! Mais Lescure, mais Charette, mais La Rochejaquelein ne
l'ont pas pu ! Mais l'Europe coalisée contre la France ne l'a pas pu ! Mais
les provinces coalisées contre Paris ne l'ont pas pu ! Qu'ils essayent donc
maintenant ! Le surlendemain[51], le même journal
ajoute : Ce n'est pas assez de tant de chartes
déchirées en soixante ans, il faut encore une fois violer la constitution. Et
pourquoi ? pour un homme que la France ne connaît que par les expéditions de
Strasbourg, de Boulogne et de Rome ! Pour M. Bonaparte ! C'est pour M.
Bonaparte qu'il faut que la France s'arrête, que le monde attende, que
l'avenir se proroge !... Dans la propagande révisionniste l'opposition voit encore la volonté d'arriver quand même, et dès lors, en cas de besoin, la menace d'un coup d'État. Jamais, dit l'Ordre (14 avril 1851), on n'a annoncé d'avance les coups d'État avec tant d'effronterie... Les bonapartistes (15 avril) sont au pouvoir... notre rôle est de leur demander : Violerez-vous les lois si elles contrarient vos désirs ?... Comme (8 mai) s'il y avait aujourd'hui un homme qui pût dire : C'est dans mon sein que bat le cœur de la France, c'est moi qui porte son épée, c'est avec moi que doit s'anéantir ou se relever sa fortune ! Tout cela n'est que puérilité, vanité, mensonge ; la France n'a point de sauveur prédestiné, elle n'a rien de miraculeux à attendre des Messies qu'on lui promet. On lit dans le National (9, 12 mai) : Il y a un mot qui résume toute la politique du temps. Cc mot est prorogation. Il retentit partout, sans cesse, à propos de tout... C'est l'expédient suprême, le topique universel, la panacée par excellence ! Faute de prorogation, on périt ; par la prorogation on vivra ! 0 prodige de la prorogation ! Les maires, les adjoints, les curés, les gendarmes, les fonctionnaires de tout rang et de tous grades ont été mis en réquisition ; les moyens d'intimidation de toute espèce ont été employés dans les campagnes. Le Pays, qui depuis le 7 avril a cessé d'être un organe bonapartiste (24 avril) pour être dirigé par M. de Lamartine, dit par la plume de M. de la Guéronnière : Il y a une chose qui rendra à jamais l'impérialisme impossible, chimérique et ridicule, c'est l'Empire ! Ce qui est si grand dans l'histoire ne se copie pas et ne s'imite pas... Tout homme est utile, écrit il. de Lamartine, aucun n'est nécessaire qu'à sa place ; il n'y a de nécessaire que le devoir à accomplir, que la conscience, que la fidélité à sou mandat. Toute heure est un crime au delà de l'heure sonnée d'avance par le contrat qui vous a confié le pouvoir... Vous sortirez le front haut d'une première et courte magistrature pour entrer dans celle qui n'a pas d'échéance, clans l'estime de l'avenir, et dans la mémoire de la République... La Presse (23 avril 1851) demande où on trouvera le bataillon de grenadiers qui forcera l'enceinte de l'Assemblée nationale. Où trouvera-t-on le général ? Nous ne sommes plus à l'orangerie de Saint-Cloud, il n'y a pas de fenêtres pour s'enfuir, et y en eùt-il, il se trouvera sur les bancs de la minorité des représentants pour les murer de leurs poitrines... Il faudrait verser le sang des mandataires du peuple dans l'enceinte même où réside sa souveraineté... Et cette fois ce ne serait plus comme au 18 brumaire un général victorieux, jouant seul, et à son profit, la partie de son ambition, jetant sa tète pour enjeu, mais bien des délégués secondaires, des hommes ayant à se consulter entre eux, à tout risquer, fortune, famille, considération, honneur... Tout cela n'est-il pas chimérique ? N'est-ce pas le lugubre cauchemar d'une terreur enfantine ?... L'Assemblée nationale (30 avril) estime que cette contrefaçon d'Empire dont on s'amuse à croire le pays menacé, il faut la prendre pour ce qu'elle vaut, pour un ridicule anachronisme, une parade de despotisme... Le Siècle (4 mai) s'écrie : Non, malgré les revues de Satory, malgré les paroles imprudentes de M. de Persigny[52] à M. Changarnier, nous ne saurions suspecter les intentions du Président, le parjure serait trop odieux, trop éclatant, trop pyramidal... Quelques jours après (23 mai), il ajoute : Les amis de l'Élysée ne veulent point rompre avec des rêves splendides, se résigner à quitter le pouvoir. Les préfets, les sous-préfets et les autres agents de l'autorité transmettent de ville en ville, de bourg en bourg, de village en village, de hameau en hameau, des pétitions imprimées pour la révision... La Patrie (24 avril) répond aux journaux de l'opposition : Le pays ne croit pas aux coups d'État parce qu'il croit aux serments du Président. Vos folles suppositions ne sont que de criminelles chimères... Mettez donc (27 avril) le pays à même de trancher le différend ; si vous vous y opposez, c'est que vous tenez en réservé quelque solution que vous n'osez avouer. Dans l'Univers (23 avril), Veuillot continue à défendre le prince : Louis Napoléon peut très légitimement croire qu'il est tenu à la persévérance plutôt qu'à l'abnégation. Où sont donc en. effet les garanties de la cause de l'ordre pour la crise de 1852 ? Quel est le principe ou quel est l'homme qui puisse rallier les diverses fractions du parti modéré ? (30 mai) Le Constitutionnel dit : La manifestation est spontanée... immense ; universelle... Le mouvement de la révision a pour drapeau un nom, celui de Louis-Napoléon Bonaparte, et c'est là ce qui produit un élan comparable à la quasi-unanimité du 10 décembre. — L'Assemblée avait fait un tel accueil au ministère de Royer, et les différentes propositions émanant de la majorité indiquaient un tel mécontentement[53] que le prince, voulant assurer le succès de la révision à laquelle il savait résignés nombre de représentants, et non des moindres, n'hésite pas à rappeler aux affaires un ministère parlementaire. Il mande d'abord M. Odilon Barrot et le charge de former un cabinet. Celui-ci accepte malgré de grandes hésitations[54]. N'est-il pas toujours le ministre nécessaire ? Ne faut-il pas se sacrifier pour son pays ? Il se dévoue donc, mais à une condition, c'est que M. de Malleville entrera dans le ministère. A sa grande stupéfaction, le prince, qui a pardonné l'injure, y consent. Mais c'est M. de Malleville, décidé à n'accorder au prince ni un jour ni un écu de plus, qui refuse ! et Odilon Barrot est obligé de décliner la mission qui lui avait été confiée. Le Président alors, — s'il n'abandonnait pas M. Baroche ni M. Roulier, qui étaient des orateurs, des avocats de grand talent, mais dont les convictions politiques, n'apparaissant pas clairement, n'étaient pas de nature à inspirer à l'Assemblée une confiance illimitée, — faisait appel à des représentants, ceux-là vraiment hommes politiques, comme M. Léon Faucher et M. Buffet, dont la nomination devait être considérée par l'Assemblée comme une part qui lui était faite dans le gouvernement, comme un hommage au régime parlementaire. Il n'en fut rien. La présence de M. Baroche et de M. Routier dans la nouvelle combinaison parut inadmissible à la majorité. Aussi, le 11 avril, après une courte déclaration de M. Léon Faucher, elle n'hésitait pas à manifester sa défiance par l'organe de M. Sainte-Beuve. Voilà, disait-il, que reparaissent sur les bancs du gouvernement les hommes que vous ayez jugés[55], rapportant la politique que vous avez improuvée, les tendances que vous avez condamnées... Je ne trouve pas d'exemple d'un défi aussi audacieux jeté à une grande Assemblée. (Voix nombreuses : C'est vrai !) Les hommes qui composent le cabinet actuel, ce sont les hommes que vous aviez devant vous le 18 janvier dernier. Leur politique est la même ; leurs opinions, elles sont les mêmes ; leurs tendances, elles sont les mêmes. La question se pose donc devant vous comme elle se posait au 18 janvier. (M. Denjoy : Recommençons ! — Mouvement prolongé.) Je crois que tout le monde rendra à l'Assemblée le témoignage qu'elle a été patiente... Mais il arrive un jour où la patience devient de la faiblesse... Quoi que l'avenir nous réserve, quoique des prophètes ram liants, et je l'espère, menteurs, nous annoncent tous les jours une ère politique où le régime absolu remplacera la liberté, je crois qu'il ne faut pas permettre que la vérité des choses se cache sous le mensonge des formes. (Légères rumeurs.) Si l'on croit, comme on le dit audacieusement au dehors, que les Assemblées délibérantes ont fait leur temps, je le dis hardiment : Que l'on ferme les portes de cette enceinte, qu'on jette aux flammes les débris de cette Assemblée et qu'on en disperse les cendres au vent. (Interruption bruyante.) Mais si, au contraire, le pouvoir parlementaire est la forme par laquelle s'exprimera la liberté politique... je demande de pouvoir continuer à m'asseoir dans cette enceinte avec dignité et avec honneur. Je ne le puis pas lorsque je vois adresser à l'Assemblée un pareil défi, une pareille provocation... Nous n'avons qu'une conduite à tenir... persévérer. En conséquence, j'ai l'honneur de proposer la résolution suivante : L'Assemblée nationale persiste dans sa résolution du 18 janvier 1851 qui est ainsi conçue : L'Assemblée déclare qu'elle n'a pas confiance dans le ministère et passe à l'ordre du jour. L'attaque était rude. M. Léon Faucher, ministre de
l'intérieur, s'élance à la tribune :... Nous n'avons, dit-il, donné le droit à personne de croire que nous apportions
ici une pensée qui n'est pas la nôtre... On vous a parlé de je ne sais quelle
fantasmagorie de coup d'État, et on a fait entrevoir ici, ou peu s'en faut,
les approches de je ne sais quel 18 brumaire... Dans le temps où nous vivons
et clans le lieu où nous sommes, de pareils rapprochements n'ont rien de
sérieux... S'il pouvait entrer dans notre pensée de porter la moindre
atteinte à cette puissance parlementaire dont. nous sommes une humble
émanation, cette tribune s'écroulerait plutôt pour nous ensevelir sous ses
ruines. (Bruit. — Rires ironiques à
gauche. — Approbation sur plusieurs bancs.) Les principes que de cabinet) vient d'exposer, la ligne de conduite à
laquelle il déclare se rattacher, est le plus grand hommage que l'on ait
jamais rendu à la puissance de la majorité. Et c'est le moment que l'on
choisirait pour le présenter comme étant en état d'antagonisme avec cette
majorité dont il désire, dont il appelle le concours... Je le déclare : avant
d'avoir attendu les actes du cabinet, le condamner sur des principes qui sont
ceux de la majorité, et prétendre le faire condamner par cette méme majorité,
ce serait un contresens parlementaire. L'Assemblée ne suit pas M. Sainte-Beuve, et, se rendant aux objurgations ministérielles, vote l'ordre du jour pur et simple par 327 voix contre 275. Les feuilles de l'opposition[56] qualifient le
nouveau cabinet de Ministère de la provocation. L'Événement dit : Pour M. Louis Bonaparte le vote est non avenu, la majorité
n'est rien, le pouvoir législatif n'existe pas... La représentation nationale
est souffletée. Le National (12
avril 1851) est exaspéré : C'est le même
cabinet ! le cabinet des revues de Satory, le cabinet des manifestations
inconstitutionnelles, le cabinet des cris de : Vive l'Empereur ! le cabinet
sous lequel les assommades de la place du Navre n'ont été ni prévenues ni
punies, le cabinet qui destituait les généraux coupables de faire respecter
la discipline militaire, enfin le cabinet tombé sous la réprobation et le
mépris de la majorité elle-même... Nous avions ri d'abord (13 avril 1851)... Mais...
la servilité des préfets luttant d'humilité et de bassesse pour recevoir M.
Louis Bonaparte, les attaques prodiguées à la Constitution dans les harangues
officielles, l'impudeur des journaux élyséens, et, plus que tout cela, les
scandales à jamais déplorables dont notre brave armée était à la fois le
témoin et la victime, toutes ces folies, toutes ces fautes... nous firent
voir qu'il ne suffisait pas de mépriser de tels adversaires, et que le moment
allait venir d'aviser au salut de la République. C'est ce même ministère
flétri par un vote de l'Assemblée qui vient s'asseoir insolemment en face de
ses juges... L'Assemblée va-t-elle céder ?... Ce serait bien lâche ! C'est
vous, majorité, qui avez proclamé, il y a deux mois, qu'il fallait se défier.
Avez-vous menti alors ? Avez-vous joué une comédie infâme ? En acceptant pour
ministres des hommes que vous avez chassés, condamnés, flétris... il ne vous
restera plus qu'à entrer dans l'armée des six mille coquins qui selon M.
Thiers doivent nous rendre l'Empire. A cet égard, l'Événement (17 avril 1851) déclare que la fameuse Société du Dix-Décembre est entièrement
reformée. Il en donne l'organisation : seize organisateurs généraux à
4 francs de cotisation par mois ; 164 commissaires organisateurs à 3 francs ;
512 commissaires généraux à 1 franc ; 3.072 commissaires adjoints à 1 franc ;
18.000 chefs de section à 0 fr. 50 ; 78.000 sociétaires à 0 fr. 50. Puis il
ajoute : Voilà comment le ministère se conforme aux
volontés de l'Assemblée souveraine ; aux réclamations de l'Assemblée contre
l'armée de six mille coquins il répond par la réorganisation de la Société du
Dix-Décembre... Le pétitionnement révisionniste continue. Le parti républicain est exaspéré. Le gouvernement, accusé de le favoriser, fait insérer au Moniteur du 17 mai la note suivante : Le ministre de l'intérieur a refusé à plusieurs conseils municipaux... l'autorisation de se réunir en session extraordinaire pour délibérer sur la question de la révision ; quelques autres conseils municipaux, il est vrai, oubliant les prescriptions formelles de la loi... ont rendu... des délibérations favorables à la révision... Mais M. le ministre de l'intérieur a donné ordre aux préfets d'annuler celles de ces délibérations que les conseils municipaux... ne consentiraient pas à supprimer eux-mêmes. M. Léon Faucher a donc le mérité bien rare de pousser le respect de la légalité jusqu'à frapper les amis du gouvernement (sic) qui, pour le servir, s'écartent des prescriptions de la loi. Et, le 21 mai, le ministre renouvelle cette déclaration en réponse à une question de M. Noël Parfait. Le lendemain, dans une discussion sur la prise en considération d'une proposition de M. Moulin, tendant à faire renvoyer à une commission spéciale des propositions relatives à la révision de la Constitution, M. Vieillard s'écrie : Personne neveux de l'Empire ! En présence du mouvement révisionniste, un grand nombre de représentants (233) se décident à déposer une proposition de révision de la Constitution[57]. Mais, en même temps, on se préoccupe de l'éventualité d'un premier échec, les trois quarts des voix devant être réunis, et par suite de la nécessité de réformer l'article 78 du règlement de l'Assemblée qui ne permet de reproduire les propositions repoussées qu'après un délai de six mois ; M. Morin demande que ce délai soit réduit à un mois ; et dans la discussion qui intervient à cette même séance du 22 M. Laclaudure dit : ... Les manœuvres qui s'opèrent aujourd'hui dans les départements, dans les arrondissements, dans les communes, jusque dans les plus petits villages... ont lieu dans l'intérêt de M. Louis Bonaparte qui veut perpétuer son pouvoir. C'est un fait. Tous les fonctionnaires ont reçu à cet effet des ordres formels, tous les fonctionnaires, dans quelque rang, à quelque ordre qu'ils appartiennent, sont aujourd'hui en campagne... campagne (qui) se produit avec une ardeur et une hardiesse inouïes... Partout des pétitions !... Il y a donc ici... une conspiration qui ne date pas d'hier, mais qui a commencé le 10 décembre, le jour de la nomination de M. Bonaparte... — M. Ch. Abbatucci : Alors il y a eu six millions de conspirateurs ! —... Il y a eu six millions de gens plus ou moins trompés... (Rires ironiques. — Exclamations...) Est-il vrai, oui ou non, que tous les préfets ont reçu des ordres formels qui ont été transmis aux maires... non seulement par le télégraphe, mais par les gendarmes, mais par les gardes champêtres, mais par tous les moyens qu'une administration qui conspire tient à sa disposition ?... — M. Émile de Girardin repousse aussi la proposition Morin parce que, suivant lui, elle cache une batterie... un péril. En représentant tous les mois une proposition, on veut créer l'agitation... Comment est-on parvenu à engager l'Assemblée constituante à se dissoudre ? C'est par de pareilles manœuvres... Il y a un mouvement organisé... Il n'y a qu'un seul moyen de changer (l'article qui exige les trois quarts des votants en faveur de la révision), c'est de faire un 18 fructidor. Qui l'osera ? — M. Godelle répond qu'il ne faut pas qu'une grande question qui intéresse au plus haut degré le présent et l'avenir du pays soit tranchée définitivement par un premier vote. La majorité, impressionnée par le mouvement révisionniste[58], vote la prise en considération. — Le cri[59] de réélection et de prorogation des pouvoirs de Louis-Napoléon était poussé partout ; il l'était dans les conseils généraux, il l'était dans les campagnes, il l'était dans l'armée ; le même courant d'opinion qui en 1848 avait emporté les masses vers Napoléon, — lequel n'était alors connu que par les plus détestables antécédents, — existait bien autrement énergique en 1851, car il avait pour mobile la peur et la nécessité... Ce courant eût tout emporté... (Et puis)... la majorité se divisait... en deux fractions, déclarant qu'elle préférait TOUT, la République et MÊME L’EMPIRE, au triomphe de sa rivale. |
[1] 13 novembre. — Article signé de M. Boilay, nommé conseiller d'État sous l'Empire, qui fut remplacé par M. Jolibois ; celui-ci de nos jours a marqué à la Chambre comme un éloquent orateur du parti bonapartiste.
[2] 15 novembre. (Article de Granier de Cassagnac.)
[3] 14 novembre. (Belmontet.)
[4] 13 novembre. (De la Guéronnière.)
[5] Pendant ce temps-là, les feuilles bonapartistes affirmaient que les affaires étaient dans le marasme et que le pays marchait à sa ruine.
[6] Bedeau, Benoit d'Azy, Leflô, de Planat, Peupin, Chabot, etc., qui venaient individuellement.
[7] On racontait que la Commission de permanence avait décidé M. Dupin (et le prince ne l'aurait pas ignoré) à signer un ordre permettant au général Changarnier d'arrêter le Président, le cas échéant, mais que M. Dupin ne se serait pas résolu à remettre cet ordre au général. (Voir l'Union du 13 janvier 1851.) M. GRAN1ER DE CASSAGNAC raconte, dans ses Souvenirs du second Empire (p.129), que M. Dupin lui aurait dit avoir refusé d'abord au général Changarnier, puis plus tard au duc de Broglie, un blanc-seing destiné à l'arrestation du prince.
[8] Le Constitutionnel du 12 janvier raconte que, pour ôter tout prétexte à des interprétations malveillantes, le Président a refusé le toast suivant, que M. Boulay de la Meurthe voulait lui porter en le recevant à diner : ... L'ombre de mon père m'applaudit quand je rends hommage à cette loyauté, à cette modération, à cette fidélité au serment, à ce dévouement à la patrie dont je suis chaque jour témoin et que justifient de plus en plus auprès de la nation la popularité et la gloire du nom que vous portez. Je m'arrête parce que vous êtes présent. Je me contente de dire avec votre dernier message : Dieu fera le reste !
[9] Ces instructions étaient du 16 août 1848.
[10] Ce qui amène la démission du ministre de la guerre le général Schramm, suivi dans sa retraite par le ministre de la marine l'amiral Romain-Desfossés, le ministre du commerce M. Dumas, et le ministre des affaires étrangères le général Laffitte.
[11] 5 janvier. (Signé Boileau.)
[12] Mémoires, t, IV, p. 73.
[13] Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, Pièces justificatives. — Dans le tome IV, p. 72, il prétend que Changarnier avait refusé de s'associer aux projets du prince qui lui aurait promis le béton de maréchal ou même l'épée de connétable. La chose ainsi présentée ne parait pas très vraisemblable, mais il est possible que, d'une façon détournée, non en ces termes crus, le prince ait fait entrevoir au général une grande situation s'il obtenait la prorogation de ses pouvoirs ou même davantage. — Le comte D'ANTIOCHE, dans son livre sur Changarnier, met dans la bouche du général les paroles suivantes : Pour me déterminer à servir son ambition, il m'a souvent, bien souvent, offert et fait offrir non seulement la dignité de maréchal..., mais une autre dignité militaire qui depuis la chute de l'Empire a cessé de dominer notre hiérarchie. Il y voulait attacher des avantages pécuniaires énormes. S'apercevant bien tard que l'intérêt personnel n'avait aucune influence sur ma conduite, il a essayé d'agir sur moi en se disant résolu à préparer le triomphe de la cause monarchique, à laquelle il supposait nies prédilections acquises... (p. 343.) Comment, dans ce dernier cas, le général aurait-il servi l'ambition du prince ? Comment admettre que celui-ci ait cherché à le séduire pour rétablir la monarchie ? Quel intérêt avait-il alors à agir sur lui ? En tout cela l'imagination du général Changarnier a joué un rôle.
[14] 8 janvier 1831. (A. Nettement.)
[15] En même temps le ministère était complété par la nomination de M. Drouyn de Lhuys aux affaires étrangères, du général Regnaud de Saint-Jean d'Angély à la guerre, de M. Ducos à la marine, de M. Bonjean au commerce.
[16] Le général Baraguey d'Hilliers était nommé commandant de l'armée de Paris.
[17] Dans le 10e bureau, M. Pascal Duprat s'adresse à M. Thiers et lui dit : Vous vous plaignez du Président ? Nous aussi. Si vous voulez, nous le mettrons en accusation pour avoir violé la Constitution par la loi du 31 mai. Sous n'avons pas une grande confiance dans le dévouement du Président, mais nous en avons encore moins dans le vôtre et dans celui du général Changarnier. Nous n'avons pas vu sans ombrage les revues de Satory ; mais pendant ce temps-là, était-ce pour défendre la République... que vous alliez les uns à Claremont, les autres à Wiesbaden ? (A Claremont, séjour de Louis-Philippe ; à Wiesbaden, séjour de Henri V).
[18] L'Assemblée (11 janvier) vote la publication des procès-verbaux de la Commission de permanence.
[19] 15 janvier 1851. — Elle dépeint spirituellement la situation politique dans un article intitulé : Anecdote â méditer. Un surveillant de nuit rencontre un homme portant une échelle. Que voulez-vous faire ? — Cela ne vous regarde pas ; cette échelle est à moi, j'ai le droit de la porter. L'homme applique son échelle contre le mur d'une maison. Je vais vous arrêter. — Moi, pourquoi cela ? je suis fatigué, j'use de mon droit en me reposant ; aucune loi ne défend à un citoyen d'appuyer son échelle sur un mur. Bientôt l'homme monte les degrés de l'échelle aboutissant à une fenêtre. Cette fois, je vous prends en flagrant délit. — Vous êtes fou ! j'ai le droit de posséder une échelle, j'ai le droit de la porter dans la rue, j'ai le droit de l'appuyer contre un mur, j'ai le droit de monter tous les degrés de mon échelle, la loi est pour moi ; où donc est le délit ? — Mais enfin votre intention est manifeste ; vous voulez pratiquer une effraction à cette fenêtre pour vous introduire dans la maison. — Je déclare le contraire. — Dans quel but agissez-vous donc ? — Je n'ai point à vous répondre, puisque je suis dans mon droit. — Du moins, descendez. — Je n'en ferai rien, il me plait de rester là, et j'ai le droit d'y être. Le gardien ne trouve rien à objecter et dit : J'ai fait ce que je devais et ce que je pouvais sans sortir de la légalité.
[20] Ce journal dit encore : Le Président ne peut manquer à la fin de triompher des coalisés, car ils ne sauraient s'entendre sur le gouvernement qu'ils mettraient à la place du sien.
[21] 15 janvier 1851. (Léopold Duras.) L'Univers (16 janvier) dit de son côté : Il est établi maintenant qu'à la revue de mai 1849 le général Changarnier a lui-même exhorté à crier : Vive Napoléon ! — Entre Vive Napoléon ! et Vive l'Empereur ! on conçoit qu'un soldat ne fasse pas grande différence.
[22] 1849. — La Presse traite le rapport de grosse pièce d'artillerie chargée à poudre et ajoute : Il fallait dire : Le message ne contient que de vaines paroles. Les paroles sont respectueuses pour la constitution... les actes sont menaçants... Ce respect n'est que de l'hypocrisie ; n'y croyez pas plus qu'aux protestations de Bonaparte qui repoussait avec mépris le soupçon de jouer le rôle d'un César ou d'un Cromwell quelques heures avant d'entrer dans l'orangerie de Saint-Cloud... Que cet exemple vous serve de leçon ! (15 janvier 1851. A. DE LA GUÉRONNIÉRE.)
[23] Votre avis, dit le Constitutionnel au général Changarnier, n'a pas toujours été le même. Si c'est une infraction grave, nous ne comprenons plus que vous l'ayez autorisée et ordonnée en 1849, et nous comprenons encore moins que, l'ayant blâmée en 1850, vous ayez souffert qu'elle eût lieu en votre présence et sous votre commandement en chef... Le parti à prendre était de donner votre démission.
Dans la discussion des bureaux, M. Bixio disait (1er bureau) : Ce que nous n'oublions pas, c'est que le général Changarnier, qu'on nous représente aujourd'hui comme la sauvegarde des prérogatives parlementaires, avait une tout autre attitude sous la Constituante ; c'est que, le 10 mai 1849, le général Forey, requis par deux questeurs, M. Bureau de Pusy et le général Lebreton, qui m'entend et que j'adjure d'en témoigner, a déclaré qu'il avait ordre de son général en chef de ne pas obéir au président (de l'Assemblée). Voilà ce que nous ne pouvons oublier !
Dans le 13e bureau, M. Dumas, ministre sortant, déclare que depuis les quatorze mois qu'il a passés dans les conseils, dans l'intimité du Président, pas un mot, pas un geste, pas un acte n'ont pu l'autoriser à porter contre lui les accusations calomnieuses dont il est si cruellement poursuivi......Permettez, ajoute-t-il, qu'en invoquant trente années d'une vie d'honneur, j'atteste ici, la main sur le cœur, que (les insinuations) doivent tomber aux pieds de M. le Président. Pendant quatorze mois, comme ministre au conseil, ou dans son cabinet comme homme dans les relations les plus familières... je n'ai jamais saisi une parole, une pensée qui ne pussent s'avouer hautement à la tribune, à la face du pays, et qui n'eussent pour but le bonheur de la France. C'est un témoignage que je lui devais et que je lui rends publiquement du plus profond de mon âme.
[24] Dans ses Souvenirs du second Empire (p. 131), M. GRANIER DE CASSAGNAC raconte qu'au pied de la tribune M. Rouher aurait dit à M. Thiers : Le général Changarnier a été destitué parce que, réuni à M. de Lasteyrie, au général de Lamoricière et à vous, il a conspiré aux Tuileries contre le pouvoir et contre la personne du Président de la République ; et que M. Thiers alors se serait écrié : Ah ! c'est ce polisson de Molé qui vous l'a dit !
[25] M. de Montalembert.
[26] Résidence du comte de Chambord.
[27] Résidence de Louis-Philippe.
[28] Votèrent contre : de Broglie, Buffet, Léon Faucher, de Girardin, Lamartine, de Montalembert, de Parieu, etc.
[29] Le Courrier de la Gironde écrit alors : Les courtisans de Louis-Napoléon veulent le faire empereur.
[30] Le Président avait d'abord essayé de former un ministère avec Odilon Barrot. Celui-ci prétend lui avoir dit alors : Que voulez-vous ? la prorogation de vos pouvoirs par suite d'une réélection rendue possible au moyen d'une révision de la constitution vous suffit-elle ? A quoi il aurait répondu : Oui, cela me suffit ; mes désirs ne vont pas au delà.. (Odilon BARROT, Mémoires, t. IV.)
[31] 26 janvier 1831. (Signé : De la Guéronnière.)
[32] 26 janvier 1831. (Signé : De la Guéronnière.)
[33] Paraissent alors : un Almanach de Napoléon pour l'année 1851 ; une lithographie représentant les trois Napoléon, le père, le fils, le neveu ; une chanson illustrée sur une immense affiche, publiée chez Colmon, quai Malaquais, 15, et ayant pour titre : la République dans les carrosses du Roi, où l'on voit l'aigle impériale en vignette, étreignant dans ses serres une couronne et s'élançant des débris d'un trône renversé, avec cette inscription : Phénix.
[34] ... L'opinion publique, lasse de discussions et d'agitations, se prononce en sa faveur de manière à l'enivrer. (29 janvier 1851, lettre de Léon Faucher à M. Henry Reeve.)
[35] 4 février 1851. — Quelque temps auparavant, le Pays (8 janvier), sans doute pour montrer le poids des charges qui pesaient sur le Président, donnait le relevé des consommations d'une soirée de l'Élysée : 300 litres d'orgeat, orangeade, etc. ; 150 litres de punch, 300 tasses de café, 200 tasses de thé, 180 tasses de chocolat à la crème, 60 grosses pièces, volailles ; 260 bouteilles de champagne et de bordeaux, 800 petits pains, 1.200 glaces, 500 biscuits, etc.
[36] Comme en 1815, corniste en 1S30, la France demande un sauveur ; supprimez Louis-Napoléon, c'est le chaos. (5 février 1851.)
[37] Pour l'exercice précédent, l'Assemblée, comme on l'a vu ci-dessus, avait voté un supplément de 2.160.000 francs. Cette fois, le gouvernement ne demandait qu'un supplément de 1.800.000 francs.
[38]
La Gazette de France, au contraire, se plaît à raconter le mot suivant :
Que voulez-vous, disait
un député parlant de M. de Montalembert, quand
on met les pieds à l'Élysée, on n'est plus que l'ombre de soi-même. Elle
annonce aussi qu'il est allé à Rome pour proposer au Pape de venir en France
sacrer Louis-Napoléon.
[39] Rédacteur en chef de ce journal.
[40] Attribuée à M. de Persigny, aussi à M. Clément Reyre, secrétaire Général de la préfecture de police. D'après la Patrie du 23 février 1851, elle aurait été imprimée à Lyon pour la première fois chez l'éditeur Nigon, un an auparavant.
[41] Voir notamment la Gazette de France du 27 février.
[42] Voir séance du 15 février 1851, rapport de M. Lancastel.
[43] Le ministre de l’Intérieur avait déjà déclaré à la commission d'initiative que la loi du 31 mai 1850 régissait l'élection présidentielle, que c'était la pensée des ministres et du Président lui-même. (Constitutionnel du 9 février 1851.)
[44] Article 32 de la Constitution : L'Assemblée fixe l'importance des forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose.
Décret du 11 mai 1848. Article 6 : Le président est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l'Assemblée nationale. A cet effet, il a le droit de requérir la force armée et toutes les autorités dont il juge le concours nécessaire. Les réquisitions peuvent être adressées directement à tous les officiers, commandants ou fonctionnaires, qui sont tenus d'y obtempérer immédiatement. Article 7 : Le président peut déléguer son droit de réquisition aux questeurs ou à l'un d'eux.
Ces dispositions avaient été en outre reproduites dans le règlement de l'Assemblée législative (art. 83, 84, 112).
[45] L'Événement et la Gazette de France, 15 mars 1851. — Malgré l'énergique défense faite le matin même par son colonel, le 62e de ligne a crié ! (La Patrie du 15 mars 1851.)
[46] 15 mars 1851. (Louis Jourdan.)
[47] 19 mars 1851. — Une brochure qui fit alors beaucoup de bruit fut le Spectre rouge, qui semble être l'œuvre d'un halluciné. Le Siècle l'apprécie justement : Tout cela est exécuté d'un style moitié apocalyptique, moitié ivre... C'est quelque chose de fantastiquement odieux, de puérilement terrible et parfois de stupide.
[48] 20 mars 1851. — M. de La Rochefoucauld, duc de Doudeauville, écrit alors (voir la Gazette de France de février 1851) : Toutes les passions sont éveillées par l'incertitude du présent, par celle plus grande encore de l'avenir. Les arts, la littérature sont en pleine décadence. La religion est en oubli ; la morale devient une dérision, et des crimes de tout genre épouvantent la société... On marche à tâtons dans les ténèbres ; en aveugle au milieu du chaos.
[49] 26 avril 1851. (Journal de M. Latour-Dumoulin.)
[50] 2 avril 1851. (François-Victor Hugo.) — Ce journal (20 avril) fait observer que ce serait une bien grande naïveté de la part des légitimistes de croire que Louis Napoléon. les aiderait dans quatre ans à ramener Henri V. — A propos du mouvement révisionniste, il cite cette circulaire d'un juge de paix de Lot-et-Garonne : Voulez-vous conserver le champ que vous ont laissé vos parents ou que vous avez gagné au prix de tant de sueurs et de privations ? Vénérez-vous votre père et votre mère ? Chérissez-vous votre épouse, vos enfants ? Croyez-vous à la religion du Christ ? Eh bien ! vous êtes avec nous, signez !
[51] L'Événement, 4 avril 1851.
[52] M. de Persigny, en revenant de Prusse, où il avait été envoyé comme ambassadeur extraordinaire, aurait dit que le fameux message du 31 octobre avait été fait en vue d'un coup d'État, et qu'on aurait reculé, contre son avis formel, ce qui avait été une grande faute. (Voir l'Ordre du 1er mai 1851.)
[53] Nous en avons déjà cité. Mentionnons encore celle-ci de M. Pradié : Il y aura haute trahison de la part du Président de la République et des ministres, Fils ne fout pas dissoudre les comités et réunions qui auraient ostensiblement pour but de faire nommer président de la République un candidat qui ne pourrait pas être appelé constitutionnellement à cette magistrature.
[54] Il faut lire dans les Mémoires d'Odilon BARROT (t. IV, p. 107) le récit épique de ce qui se passa alors à son foyer :... Ma femme, ma BELLE-MÈRE me suppliaient avec LARMES de ne pas m'exposer à une épreuve dont le succès était impossible et où mon honneur lui-même pouvait être compromis. Ces nobles et courageuses femmes, auxquelles la ruse et le mensonge étaient si profondément antipathiques, me voyaient avec effroi embarqué de nouveau avec un homme, qui, disaient-elles, ne pouvait manquer de se servir de moi pour couvrir ses projets ambitieux. SI L'ÉCHAFAUD ÉTAIT DRESSÉ DEVANT NOUS, me disaient-elles, AVEC L'ACCENT DU DÉSESPOIR, et QU'IL FALLUT Y MONTER pour VOUS épargner le déshonneur dont vous êtes menacé, NOUS N'HÉSITERIONS PAS EN INSTANT. — Cette scène était digne de l'antiquité, mais elle n'empêcha pas Odilon Barrot de se rendre à l'Élysée. Aussi M. Chambolle, inspiré par M. de Rémusat ; disait-il alors dans l'Ordre même : Il faut que M. Odilon Barrot, après avoir bu une fois à la coupe du pouvoir, en ait une soif bien ardente pour consentir à former un ministère dont la mission est de faciliter la réélection du Président.
[55] Le ministère était composé ainsi : M. Léon Faucher à l'intérieur, M. Buffet au commerce, M. Magne aux travaux publics, M. Crouseilhes à l'instruction publique, M. Boulier à la justice, M. parodie aux affaires étrangères, M. Randon à la guerre, M. Chasseloup-Laubat à la marine.
[56] L'Événement, 12 avril 1851. — Le National, id. — L'Opinion publique du 17 avril dit : L'entrée du ministère a été triste, et cette installation avait quelque chose de morne, comme s'il s'agissait de funérailles. L'accueil de l'Assemblée a été sévère et glacial.
[57] Déposée le 31 mai 1851 et signée, notamment, par MM. de Broglie, Beugnot, de Montalembert, de Girardin, Daru, de Goulard, Passy, Wolowski, de Tracy, Mathieu-Bodet, Martel, Coquerel, Fortoul, Abbatucci, de Talhouët, général Regnaud-Saint-Jean-d'Angély, Bineau, Gasc, de Mérode, de Moustier, général d'Hautpoul, de Persigny, d'Albufera, Mortimer-Ternaux, Le Verrier, Cunin-Gridaine, Drouyn de Lhuys, Ségur d'Aguesseau, Lacrosse, de Grouchy, de Mouchy, Baraguey d'Hilliers, Eschassériaux, Edgard Ney, Vieillard, de Padoue, Hébert, Gavini, général Montholon, colonel Vaudrey, Quentin-Bauchart, général Tartas, Lucien Murat, de la Moskova, Frémy, Boinvilliers, général d'Ornano, général Pelet, général Durrieu, général Rulhières, général de Grammont, Plichon, Cambacérès, de Luynes, Clary, etc.
[58] Le 24 mai, alors qu'un représentant dépose les pétitions de onze communes de la Marne portant douze mille signatures, une voix à gauche crie : Ce sont les gardes champêtres qui ont signé cela ! Une voix à droite répond : Douze mille dardes champêtres, c'est trop fort !
[59] Odilon BARROT, t. IV, p. 116, 117 des Mémoires, qui sont loin d'être empreints de bienveillance pour le prince.