I Jusqu'au 31 octobre l'action napoléonienne n'avait pu s'exercer librement sur le pays. — Changement de préfets ; instructions données par le Président lui-même au corps préfectoral. — Bruits de coup d'État. — Les journaux. 10 novembre, le Moniteur dément les bruits de coup d'État. — Le journal belge l'Émancipation. — 22 novembre, à l'Assemblée, Pierre Bonaparte déclare la République en danger et dénonce de Persigny. — Le journal le Peuple, le National, la Réforme, la Démocratie pacifique annoncent qu'une usurpation se prépare. — Mots de Persigny et de Rachel. — 3 novembre, installation de la magistrature, discours de M Rouher et du Président. — 4 novembre, revue ; enthousiasme des troupes et de la population. — 11 novembre, distribution des récompenses aux exposants de l'industrie ; discours du prince, qu'applaudit le journal l'Assemblée nationale. — Soirées de l'Élysée. — Sixte-Quint. Pétition demandant l'augmentation du traitement du Président. — Le journal le Peuple. — L'Assemblée refuse d'allouer des frais de logement au vice-président de la République. — Ce que dit M. Thiers. — La Presse. — Continuation de la publication de l'Histoire du Consulat et de l'Empire par M. Thiers. — Le National. — La Démocratie pacifique. — La lutte se dessine entre les deux Pouvoirs. — La Presse, la Liberté, la Voix du peuple. — Le parti légitimiste. — 7 décembre, circulaire du ministre de l'intérieur, Ferdinand Barrot, sur les anciens militaires. — Article du Moniteur sur les fonctionnaires ralliés. — Le journal l'Assemblée nationale. — Anniversaire du 10 décembre. — Banquet offert par le président de l'Assemblée au Président, discours du prince. — Banquet à l'Hôtel de ville ; nouveau discours du prince. — La Gazette de France, la Réforme, l'Assemblée nationale, le Dix Décembre. — Circulaire Aristide Ferrère concluant à la révision de la Constitution. — Le 11 juillet, poursuivi pour ses précédentes circulaires, il avait été acquitté par le jury sur une plaidoirie de Me Chaix d'Est-Ange. — 1er. janvier 1850, réception à l'Élysée ; l'Assemblée n'y est pas représentée officiellement. — Le Napoléon. — On attribue ses articles au prince. — L'Union. — Le Pays lui-même blâme ces articles. — Bruits de coup d'État ; la République, l'Ordre, l'Assemblée nationale, la Liberté. — Situation fausse. — L'immense majorité de la nation veut l'Empire. — La Réforme accuse le prince de vouloir un trône. — Le Pays, le Constitutionnel démentent les bruits de coup d'État. — L'Opinion publique discute la question de l'Empire. — Troisième numéro du Napoléon. — La République, l'Assemblée nationale disent que le pouvoir exécutif devrait désavouer les journaux qui attaquent l'Assemblée. — Curieuse et importante déclaration des Débats. — Lamartine, dans le Conseiller du peuple, ne croit pas au coup d'État. — Le Dix Décembre. — M. Belmontet. — L'Assemblée nationale. — Discussion du projet de loi donnant au Président le droit de grâce à l'égard des transportés de Juin ; le général Lamoricière ; le ministre de l'intérieur ; M. Lacaze ; Sainte-Beuve. — Vote de la loi. — Division de la France en trois commandements militaires ; interpellation ; Pascal Duprat dénonce le prince comme l'auteur des articles du Napoléon ; le ministre de la guerre ; le général Fabvier. — Ni le ministre ni Pascal Duprat ne sont dans le vrai. — L'Événement. — Proudhon dans la Voix du peuple. — Son arrestation. — Retour aux modes du premier Empire. — Le Napoléon. — Les journaux. — Brochure Vaucorbeil.Jusqu'au 31 octobre le Président avait été entravé dans ses vues et dans sa politique et par l'Assemblée et par ses ministres. Malgré les revues, malgré les voyages, malgré la lettre à Edgard Ney, l'action napoléonienne, à son gré, ne s'était pas fait suffisamment sentir à l'intérieur par l'intermédiaire des préfets et de tous les agents de l'administration, faute d'une impulsion donnée en ce sens par le ministère. Le sentiment bonapartiste des masses était comprimé. Livré à lui-même, aidé par un personnel de fonctionnaires dévoués au chef de l'État, il devait former un courant qui emporterait toutes les résistances à une modification de la Constitution et ne permettrait pas à un Napoléon, justement. acclamé comme un sauveur et comme un homme providentiel, de quitter le pouvoir et de disparaître de la scène politique ainsi qu'un simple ministre. Aussi un des premiers actes du ministère est de remanier
le personnel de la haute administration. Le Président reçoit les préfets
nouvellement nommés, et. un journal, le Crédit, rendant compte de cette
réception, donnait, quelque temps après, la version suivante de l'allocution
qu'il leur avait adressée[1] : Vous devez dans tout ce qui est du ressort de
l'administration prendre pour règle de conduite le programme du message,
maintenir l'ordre avec la plus grande fermeté, et en même temps employer
toutes les forces, toutes les ressources que met dans vos mains le pouvoir
que je vous confie à l'accroissement du bien-être populaire. Les actes que
vous pourrez accomplir sur les lieux ou provoquer au centre, et dont l'effet
sera d'améliorer la condition des classes ouvrières des villes et des
campagnes, sont ceux auxquels j'attache la plus grande importance. Pour tout
ce qui aura rapport à l'amélioration des masses ne craignez pas de faire
appel à ma sollicitude, je vous demande au contraire expressément de
multiplier les communications, les instances, d'aiguillonner le zèle et
l'activité de l'administration centrale, de fatiguer le ministre de
l'intérieur... Quant à la politique, les entreprises ouvertes on sourdes des
anciens partis, les millions de suffrages qui ont servi de base à l'autorité
que j'exerce et à la responsabilité que j'accepte, les témoignages
d'approbation et les encouragements multipliés que je reçois depuis le
message de toutes les classes de la population et de tous les points du
territoire, me font un devoir de me préoccuper, dès ce moment, des moyens de
garantir le pays des désastres inévitables qu'entraînerait un nouveau
changement de gouvernement. Il ne faut pas qu'il puisse exister à ce sujet
d'incertitude dans vos esprits. En face des partis révolutionnaires et
réactionnaires qui tiennent en réserve, pour le jour où les pouvoirs publics
devront être renouvelés, des solutions de nature à tout remettre en question
et à bouleverser le pays, il faut que les agents de l'autorité à tous les
degrés aient dès à présent une solution à opposer, solution pacifique,
organisatrice, qui soit dans l'opinion du plus grand nombre une garantie
d'ordre et de sécurité. Cette solution, c'est le maintien, la continuation de
ce qui est. Si le pouvoir élu par cinq millions de suffrages hésitait à
intervenir dans l'éventualité la plus menaçante, au nom du salut commun, ce
serait de ma part un acte impardonnable de faiblesse et d'incapacité, une
véritable désertion ; s'il cherchait à y intervenir par d'autres voies que
les voies constitutionnelles, ce serait une odieuse folie. C'est entre ces
deux écueils que vous devez agir en préparant dès ce moment la réélection
future et constitutionnelle du chef du pouvoir exécutif, en l'aidant de tous
vos efforts à mériter par l'affermissement de l'ordre et le progrès positif
du bien-être populaire l'affection et la confiance du pays. Le Moniteur
du soir, d'abord, donne le sens Général de ces déclarations ; puis, en
présence de l'émotion causée par cette publication, il les déclare
apocryphes. Malgré ce démenti, tout le inonde reste convaincu que, sinon le
texte, du moins le fond même de la pensée du Président a été fidèlement
rapporté. Et cela ne fait que donner plus d'essor aux bruits de coup d'État.
Le Peuple disait alors au prince (8
novembre) : ... Entendez cela, citoyen
président, on vous reproche de n'avoir de commun avec les républicains que la
haine pour la dynastie de Bourbon et la dynastie d'Orléans. On dit que hors
cette question de dynasties, vous êtes un vrai réactionnaire, un parfait
absolutiste ; que tout le différend entre la majorité et vous-même provient
de ce que vous sollicitez pour vous-même ce que ceux-ci veulent n'accorder
qu'à Chambord ou que ceux-là réservent à Joinville ; qu'au fond vous n'avez
pas de politique personnelle, mais seulement une ambition personnelle ; bref,
que vous êtes vous-même, ni plus ni moins que les anciens partis, un factieux
! La Réforme (9 novembre)
déclarait que les hommes de l'Élysée annonçaient
hautement le projet d'en finir avec l'ordre établi par la Constitution, que
la présidence à terme ne leur suffit pas et qu'ils veulent mieux, qu'il
s'agit de savoir si... le peuple se laissera prendre une nouvelle fois pour
dupe, s'il livrera ses destinées à la discrétion d'un homme qui ne lui promet
que la liberté napoléonienne, la prospérité napoléonienne, c'est-à-dire d'une
époque où, les générations étant épuisées par la guerre... les femmes étaient
forcées de s'atteler à la charrue faute de bêtes de somme... Le National
(10 novembre), à propos de la
nomination du nouveau préfet de police, dit : L'Élysée
le soupçonnait de général Rebillot) de manquer de la décision nécessaire pour
aller jusqu'au bout. Il fait place à M. Carlier, sur lequel on compte d'une
manière absolue. L'Opinion publique trouve (9 novembre) que le
neveu de l'Empereur qui avait presque entièrement disparu... regagne chez lui
tout le terrain qu'il avait perdu en apparence... C'est une progression
continue vers un idéal dans la direction duquel l'auteur des Idées
napoléoniennes semble presque fatalement poussé... Il avance... sans se
croire jamais arrivé... Jusqu'où ira-t-il ainsi ? Où s'arrêtera-t-il ?...
Toutes les oreilles sont étourdies des fanfares impérialistes... Ne dites pas
: C'est impossible. Nous sommes dans un temps où l'impossible court les rues.
N'ajoutez point : C'est insensé. Est-ce que par hasard la sagesse seule joue
un rôle sur le théâtre des choses humaines... Il importe donc d'être sur ses
gardes... Le principal acteur de ce grand drame (10 novembre) manque
à la pièce... Pour l'Empire où est l'Empereur avec son génie qui s'étendait à
tout, avec sa première campagne d'Italie qui jeta l'Europe dans la stupeur de
l'admiration, avec son expédition fabuleuse d'Égypte... rien de tout cela
n'existe. Il ne suffit pas d'être le neveu de l'empereur Napoléon, il
faudrait être l'empereur Napoléon lui-même. Il ne suffirait pas même d'être
l'empereur Napoléon, il faudrait retrouver toutes les circonstances qui le
favorisèrent. Phaéton était le neveu du Soleil, quand il voulut conduire son
char il mit le feu au monde... Le sobriquet... de Napoléon de la paix est
pris... Ne dites pas qu'on est bien décidé à maintenir la paix... Les hommes
sont les serviteurs des situations et non leurs maîtres... L'Empire, c'est la
guerre... Une bataille (15 novembre) perdue sur la frontière, c'est la France perdue.
Comprenez-vous, maintenant, pourquoi nous sommes opposés à toute combinaison
qui ressemblerait à l'Empire... Nous voyons notre territoire menacé, notre
indépendance nationale compromise, la France perdue... La Liberté
expose[2] qu'aux yeux d'une foule de visionnaires l'élu du 10
décembre n'est pas entré au pouvoir comme un autre, et qu'il n'en sortira pas
comme un autre... On nourrit, dit-elle, à
l'Élysée des espérances et des projets qui cadrent difficilement avec la
constitution. Il semble aux coureurs d'aventures que l'élu du 10 décembre ne
peut pas cesser de gouverner la France quand son temps finira... Cette
opinion soigneusement entretenue... est devenue l'idée fixe qui fausse la
situation. Les signes apparents d'un projet, d'un espoir, d'un rêve, ne
sauraient échapper à personne... On dit que... le dénouement approche... Une
pareille comédie est-elle possible ?... L'Empire (25 novembre 1849) tel qu'on le rêve à l'Élysée ne durerait pas cent
jours... On aurait contre soi les républicains... les légitimistes... les
orléanistes... Le parti naissant ou renaissant, on l'a méconnu, rebuté, abreuvé
de dégoûts et de déceptions... Or on ne fait pas de coups d'État et l'on ne
fonde pas un gouvernement nouveau à soi tout seul avec quelques familiers
dirigés par un favori... (25 novembre).
La Démocratie pacifique déclare qu'un empire
ne pourrait vivre sans dévorer des millions ; qu'aucune assemblée ne
ratifierait jamais la fondation d'un empire ; qu'on ne pourrait comprendre de
nos jours la confiscation des libertés publiques opérée par une main qui ne
serait pas celle du grand, du vrai Napoléon ; que la France ne voudrait pas
recommencer une pareille épreuve avec la certitude de ne pas trouver dans le
génie de l'usurpateur des compensations à la servitude nationale ! L'Union
(10 novembre) dit : Gare au coup d'État, c'est depuis quelques jours le mot terrible,
le mot sinistre !... Nous ne partageons pas ces inquiétudes ; on ne se jette
dans les hasards d'un coup d'État qu'avec l'assentiment et le concours des
hommes qui dominent l'opinion. Bonaparte avait pour lui au 18 fructidor une
Chambre sur deux et trois directeurs sur cinq, il avait les chefs de la
glorieuse armée qui venait de conquérir avec lui l'Italie, il avait les plus
habiles et les plus renommés acteurs du grand drame révolutionnaire, il avait
Sieyès, Fouché, Talleyrand. Encore à quoi a-t-il tenu qu'il n'ait pas réussi
? La Presse (11 novembre)
s'indigne : Élevez à l'Empire l'élu du 10 décembre,
et cet Empire ne durera pas cent jours !... A peine l'aurait-on fait empereur
qu'il faudrait le faire Dieu, car de toutes parts ceux qui souffrent et ceux
qui mendient, riches et pauvres... s'adresseraient à lui et le rendraient
responsable de tout ce qu'il serait impuissant à leur accorder... Le flux
impétueux des illusions insensées ne tarderait pas à se retirer pour faire
place à la vague furieuse des illusions déçues, au flot écumant (les
malédictions populaires... L'Événement raconte que les bruits
les plus étranges ont circulé, que l'on parle d'un coup d'État, qu'un certain
nombre de représentants ont pris l'alarme, que M. Dupin aurait été mis en demeure
de réunir une force de 40.000 hommes sous les ordres d'un des généraux
membres de l'Assemblée... L'Empire est dans l'air,
dit la Gazette de France (10 novembre)...
ce serait l'Empire moins l'Empereur... Or, nous le
demandons, un pareil gouvernement serait-il possible ? L'Empire n'est pas...
réalisable aujourd'hui ; c'est la chimère des chimères... D'importants organes de la presse départementale approuvent la politique présidentielle. Pour le Courrier de Nantes l'allocution attribuée au Président dans son entrevue avec les préfets est une preuve de la loyauté de son caractère et de sa spontanéité. Le Courrier de la Gironde dit : Que penseraient nos démocrates s'ils étaient soumis à une constitution qui défendrait de boire, de manger, de dormir, de marcher, de parler et d'agir ? Consentiraient-ils à périr d'inanition ou de faim par amour pour cette constitution ?... Une nation qui sentirait que sa constitution la dévore et la ruine... aurait-elle le droit, en un mot, sinon de violer, du moins de réformer sa constitution ? L'Opinion d'Auch demande s'il faut attendre que le trésor soit à son dernier sou... et si une constitution est faite pour les morts ou bien pour les vivants... Pour la Tribune de la Côte-d'Or, la constitution une fois modifiée, le peuple qui a montré tant de sagacité au 10 décembre... continuera... dans les mains de son élu un pouvoir dont il n'a usé que pour le bien public. Pour le Journal de Saône-et-Loire, la France n'est pas une nation ingrate ; elle pourra se montrer reconnaissante en renouvelant le vote acclamatoire du 10 décembre, et elle le fera, car cette date vivra dans le cœur de la génération actuelle et dans les fastes de notre histoire comme celle de l'aurore d'une ère de salut. Le Moniteur, dès le 10 novembre, avait formellement démenti les bruits de coup d'État[3]. La note officielle par lui publiée n'avait produit aucun effet, comme on vient de le voir ; elle était ainsi conçue : Le Président a dit dans son dernier message : Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la constitution que j'ai jurée. Ces paroles sont nettes, précises, à l'abri de l'interprétation et du doute. C'est presque la formule de son premier serment. Eh bien ! dans certains journaux, dans les salons, à l'Assemblée, partout enfin, on accrédite le bruit d'un prétendu coup d'État. On suspend comme à plaisir cette menace sur la tête des personnes les plus faciles à alarmer, on trouble méchamment la sécurité publique. Nous sommes autorisés à déclarer qu'il y a là intentions perfides, calomnie odieuse, insulte à la loyauté de celui qui ne viola jamais sa parole. Vaine protestation ! Les journaux publient, en effet, une
correspondance adressée de Paris à une feuille belge, l'Émancipation, où on
lit : ... Que le Président le veuille ou ne le veuille
pas, se dit-on partout, il faut sortir de la République... Je vous garantis
que la déclaration insérée au Moniteur ne change rien aux
dispositions. On est invinciblement poussé au coup d'État. J'étais à la
dernière réunion de M. Thiers, c'était l'opinion de tout le monde. Le
commerce de Paris ne s'étonne que d'une chose, c'est de la lenteur avec
laquelle on procède... La preuve la plus manifeste de la puissance de
Louis-Napoléon est dans la conduite de la majorité. Elle connaît tous les
projets qui se trament à l'Élysée, et cependant elle reste sur la défensive
et s'abstient de toute démonstration...[4] Le texte même de
l'allocution du Président aux préfets, publié par le Crédit du 26 novembre,
malgré sa correction au point de vue constitutionnel, ne fait qu'enraciner
davantage dans la presse l'invincible appréhension d'un coup d'État. Le Peuple
(28 novembre) dit : L'élu du 10 décembre... poursuit dans un but tout
personnel la violation flagrante de la constitution en ordonnant aux préfets
de préparer dès ce moment sa réélection future, au mépris de l'art. 45 qui
interdit formellement cette réélection. Il essaye dans ce but d'amener, au
mépris des art. 101 et 103 de la constitution, la dissolution de la garde
nationale, afin que le pays tout entier se trouve désarmé devant l'usurpation
qu'on prépare. Il s'efforce de substituer partout son influence à celle de
l'Assemblée et de discréditer celle-ci au profit de sa propre popularité...
Aujourd'hui qu'il s'agit... d'étrangler la constitution au lacet d'un piège
et de préparer avec un leurre tendu aux travailleurs une restauration
monarchique sous forme de présidence à vie, nous ne saurions crier trop haut
à nos amis : Défiance ! défiance !... car on l'avoue tout haut, on se prépare
à confisquer au profit d'un homme la souveraineté de tout un peuple ! Le
langage de la Réforme est le même (29
novembre). Le National (26
novembre) rappelle avoir toujours soutenu que l'intérêt personnel
était le véritable mobile de la politique présidentielle. Il ajoute : Nous n'avions que trop de preuves à l'appui de notre
assertion... Il s'agit tout simplement de transformer l'administration
entière en un servile instrument de candidature au profit d'une ambition que
le pays jugera. Le but ? le but vaut les moyens ; on part de la corruption
pour arriver à une inconstitutionnalité... La réalisation du plan qu'avait
projeté le Président serait un défi à la constitution, une provocation à la
guerre civile !... Il n'y a pas (1er
décembre 1849) un seul solliciteur de
préfecture, voire de sous-préfecture, qui ne doive signer un engagement de
dévouement personnel à M. Louis Bonaparte. C'est là une pièce indispensable
du dossier. On n'a pas besoin, en effet, de savoir à l'Élysée si les
fonctionnaires serviront le pays et défendront la République. L'important,
c'est qu'ils servent l'ambition d'un homme et qu'ils préparent une violation
de la loi constitutionnelle. La Démocratie pacifique (27 novembre) déclare que toute tentative pour prolonger dans les mains du même
individu les pouvoirs présidentiels... est une usurpation, un crime de haute
trahison...[5] Le 3 novembre, le Président avait présidé la cérémonie
d'installation de la magistrature au Palais de justice. Salué à son arrivée
par de nombreuses acclamations, il avait été reçu par le nouveau garde des
sceaux, M. Rouher, jeune député du Puy-de-Dôme[6], qui lui avait
adressé un discours où l'on remarque ce passage : ... Vous avez recommencé de concert avec le pouvoir législatif ce qu'avait
fait, il y a quarante ans, le grand génie dont les généreuses pensées vous
inspirent, dont le nom est votre étoile et dont la gloire vous protège. La
magistrature avance vers vous, non pour prêter un serment personnel que sa
reconnaissance rend inutile, mais pour jurer de maintenir intact le dépôt des
lois... Le Président lui répondait : ... Aux
époques agitées, dans les temps où les notions du juste et de l'injuste
semblent confondues, il est utile de relever le prestige des grandes
institutions et de prouver que certains principes renferment en eux une force
indestructible. On aime à pouvoir dire : Les lois fondamentales du pays ont
été renouvelées, tous les pouvoirs de l'État sont passés en d'autres mains,
et cependant, au milieu de ces bouleversements et de ces naufrages, le
principe de l'inamovibilité de la magistrature est resté debout... Malgré les
tempêtes politiques survenues depuis 1815, nous ne vivons encore que grâce
aux larges institutions fondées par le Consulat et l'Empire ; les dynasties
et les chartes ont passé, mais ce qui a survécu et ce qui nous sauve, c'est
la religion, c'est l'organisation de la justice, de l'armée, de
l'administration Il est consolant de
songer qu'en dehors des passions politiques et des agitations de la société
il existe un corps d'hommes n'ayant d'autre guide que leur conscience,
d'autre passion que le bien, d'autre but que de faire régner la justice...
Appliquez avec fermeté, mais aussi avec l'impartialité la plus grande, les
dispositions tutélaires de nos codes ; qu'il n'y ait jamais de coupables
impunis ni d'innocents persécutés. Il est temps, comme je l'ai dit naguère,
que ceux qui veulent le bien se rassurent, et que ceux-là se résignent qui
tentent de mettre leurs opinions et leurs passions à la place de la volonté
nationale. En appliquant la justice dans la plus noble et la plus large
acception de ce grand mot, vous aurez beaucoup fait pour la consolidation de
la République, car vous aurez fortifié dans le pays le respect de la loi, cc
premier devoir, cette première qualité d'un peuple libre... L'Assemblée nationale (4 novembre 1849), le journal du général Changarnier, approuve cette allocution, qui est empreinte d'une Grande volonté de faire le bien et d'un respect élevé pour les institutions sacrées qui sont la force de la société et l'un de ses éléments les plus puissants de salut. Le 4 novembre, le Président assistait à Versailles à de grandes manœuvres de cavalerie ; et le Moniteur de dire : L'arrivée du Président a été saluée par les plus vives acclamations ; officiers et soldats ont été unanimes dans l'expression enthousiaste de leurs sentiments. Une foule immense mêlait ses acclamations à celles des troupes[7]. Le 11 novembre, il distribue des récompenses aux exposants de l'industrie dans la salle des Pas perdus du Palais de justice. Il y prononce un discours où il dit notamment : Elle n'a pas perdu le sentiment de l'honneur, cette nation
où une simple distinction devient pour tous les mérites une ample récompense
; elle n'est pas dégénérée, cette nation qui... est venue, faire luire à nos
veux les merveilles de ses produits... Plus nous avançons, plus... les
métiers deviennent des arts, et plus le luxe devient un objet d'utilité, une
condition première de notre existence. Mais le luxe, qui... attire le
superflu du riche pour rémunérer le travail du pauvre, ne prospère que si
l'agriculture... augmente les richesses premières du pays... Aussi le soin
principal d'une administration éclairée... est de diminuer le plus possible
les charges qui pèsent sur la terre... Il est un principe incontestable...
c'est d'affranchir la production et de n'imposer que la consommation. La
richesse d'un pays est comme un fleuve ; si l'on prend les eaux à sa source,
on le tarit ; si on les prend, au contraire, lorsque le fleuve a grandi, on
peut en détourner une large masse sans altérer son cours. Au gouvernement
appartient d'établir et de propager les bons principes d'économie politique,
d'encourager, de protéger, d’honorer le travail national. Il doit être
l'instigateur de tout ce qui tend à élever la condition de l'homme ; mais le
plus grand bienfait qu'il puisse donner... c'est d'établir une bonne administration
qui crée la confiance et assure un lendemain. Le plus grand danger peut-être
des temps modernes vient de cette fausse opinion que le gouvernement peut
tout... Ne faisons donc pas naître de vaines espérances, mais tâchons
d'accomplir toutes celles qu'il est raisonnable d'accepter ; manifestons par
nos actes une constante sollicitude pour les intérêts du peuple ; réalisons
au profit de ceux qui travaillent ce vœu philanthropique d'une part meilleure
dans les bénéfices et d'un avenir plus assuré. Lorsque... vous serez au
milieu de vos ouvriers... dites-leur que le pouvoir est animé de deux
passions également vives, l'amour du bien et la volonté de combattre l'erreur
et le mensonge. Pendant que vous ferez ainsi votre devoir de citoyen, moi,
n'en doutez pas, je ferai mon devoir de premier magistrat de la République.
Impassible devant les calomnies comme devant les séductions, sans faiblesse
comme sans jactance, je veillerai à vos intérêts qui sont les miens, je
maintiendrai mes droits qui sont les vôtres. Chaque discours du Président, dit l'Assemblée nationale (11 novembre 1849), se fait remarquer par un caractère de sagesse et de modération... La France entière applaudit à ce langage de conservation et de progrès. Tout se rassure à ces paroles. Quelques jours après le message, une soirée[8] avait lieu à l'Élysée. Les bonapartistes y vantaient le coup de maître du prince. Quant à lui, il allait de groupe en groupe, justifiant sa conduite et disant sans cesse : Du reste, le pays jugera. Les discussions y étaient très vives entre les représentants de la droite et les partisans du prince[9]. Le Dix Décembre raconte qu'une des personnes présentes, à qui le prince avait posé cette question : Que dit-on ? aurait répondu :On dit que Sixte-Quint vient de jeter sa béquille, et qu'il s'apprête à devenir un grand pape. — Les journaux publient[10] une pétition destinée à être envoyée à l'Assemblée pour demander que le traitement du Président de la République soit porté à 5.400.000. Le Peuple écrit alors (14 novembre) : Propriétaires, ouvriers, laboureurs, contribuables de tous les degrés, épuisez jusqu'à votre dernière obole pour paver le faste princier, mourez à la tâche sous le faix accablant de l'impôt ; qu'importent vos cris de détresse ? il faut trouver trois millions de plus qu'on vous rendra sous forme de luxe et de fêtes... A ce compte, nous ne voyons pas pourquoi les voleurs ne seraient pas mis au nombre des fonctionnaires le plus utiles de l'État... L'Assemblée rejette une proposition de MM. de la Moskova,
Gavini, de Flavigny et autres députés bonapartistes, tendant à allouer des
frais de logement au vice-président de la République. La majorité saisit cette
occasion d'exprimer le mécontentement que lui a causé le message. M. Thiers[11], allant de banc
en banc, avait encouragé les députés de la droite dans leur opposition en
leur criant de sa petite voix aigrelette : Refusez !
refusez ! cela frappe plus haut. La Presse dit que l'Assemblée
se venge de l'humiliation du message. Cette blessure
sera sans doute vivement ressentie à l'Élysée... C'est un vote de rancune,
c'est une chiquenaude donnée à M. le Président de la République sur la joue
de M. Boulay de la Meurthe... La majorité n'oubliera pas et n'amnistiera pas
le message ; le divorce est désormais accompli... Le conflit continuera et
deviendra chaque jour plus aigre, plus envenimé, jusqu'à ce qu'il aboutisse à
un 18 brumaire ou à un 27 juillet 1830. D'après le National, ce vote est un avertissement à certains gros appétits de
liste civile qui commencent à se manifester, et... c'est un projectile qui
tombera au beau milieu des salons de l'Élysée. A propos de ces
questions d'argent qui longtemps encore vont agiter le pays, la Démocratie
pacifique (22 novembre 1849) affirme
que le Président n'a pas payé les 50.000 francs qu'il avait promis de donner
pour l'édification d'une cité ouvrière rue Rochechouart. L'assertion était
fausse, le versement avait été effectué[12]. La lutte, comme on le voit, se dessinait entre le pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif ; aussi la Presse (1er décembre) pouvait-elle écrire : On peut dire que le conflit n'a pas cessé d'exister depuis
le 10 décembre... c'est le pouvoir exécutif qui a évidemment l'avantage dans
cette lutte... c'est cette force qui explique, dans le passé comme dans le
présent, la hardiesse de l'un des deux pouvoirs, croissant en proportion de
la faiblesse de l'autre. L'Assemblée.., sortie d'élections faussées par des
transactions hypocrites, s'est trouvée sans volonté, sans direction, sans
politique et sans idées. Son vaisseau guidé par M. Thiers, ce pilote de tous
les naufrages, a échoué... à l'heure où l'ennemi entrait majestueusement dans
le port de la politique personnelle... non, la résistance n'est pas possible...
La majorité... a conscience de son impopularité, elle entend la voix du
dehors qui s'élève contre elle... La Liberté (9 décembre) prétend d'ailleurs que cette
majorité se résigne : L'Empire est une étape par
laquelle il faut passer pour arriver à la Restauration. C'est la marche déjà
suivie une fois... On peut espérer avoir plus facilement raison d'un empire
d'occasion taillé sur le patron de MM. F. Barrot et Fialin dit Persigny...
Quand ils auraient affublé le pouvoir nouveau de pourpre et de ridicule, alors
ils opposeraient à ce tableau burlesque l'attitude calme et digne de
l'héritier de saint Louis... Voilà le piège qu'on tend... sous les pas du
trop confiant insurgé de Strasbourg et de Boulogne. Ces appréciations
n'étaient pas exactes. Si un grand nombre de membres de la majorité étaient
déjà décidés en leur for intérieur à accorder au Président mie prolongation
de ses pouvoirs, ils n'allaient certainement pas jusqu'à admettre le
rétablissement de l'Empire[13] ; mais le
Président avait une situation énorme avec laquelle il était sage de composer,
et voilà pourquoi, quand l'émotion profonde soulevée par le message se fut
apaisée, les représentants de la droite, et notamment les légitimistes,
reprirent le chemin de l'Élysée, voulant tenter encore une fois de vivre en
bonne intelligence avec le chef de l'État. C'est ce qui explique comment la Liberté
(15 décembre) pouvait dire : A voir à l'Élysée les La Rochejacquelein, les Grammont,
les Castelbajac rivaliser d'ardeur et de courtoisie autour de l'élu du 10 décembre,
on se serait cru transporté à Belgrave Square, ou aux eaux d'Ems. Décidément
l'Élysée n'est plus qu'une succursale de Frobsdorff... La fusion de l'Élysée
(17 décembre),
c'est une réunion de peureux ; si par impossible Bonaparte réussissait, il
faudrait l'appeler le Napoléon de la peur. Pour la Voix du peuple
(3 décembre), le
système actuel est le fantôme et souvent la caricature du régime
constitutionnel et de l'épopée impériale ; (on poursuit) la popularité ; la
vieille courtisane s'est prostituée tant de fois qu'on espère la séduire à
peu de frais. Quelques phrases puisées dans les souvenirs de l'Empire...
criées partout à grands renforts de cymbales et de grosses caisses...
Espère-t-on amuser longtemps les badauds avec cette parade ridicule ? En ce qui concerne les hommes, le prince avait une double pensée, honorer et récompenser tous les anciens soldats de l'Empire, et d'autre part rallier à lui tous ceux qui avaient servi les gouvernements précédents. Pour atteindre le premier but, le Moniteur du 7 décembre insérait une circulaire du ministre de l'intérieur, F. Barrot, aux préfets, où il était dit : Beaucoup d'anciens militaires ont été privés des récompenses dues à leurs services ; ils ont longuement expié leur dévouement à l'Empereur et leur fidélité à sa mémoire. Si dans votre département il existe quelques-uns de ces vieux défenseurs de la patrie... faites dresser un état que vous me transmettrez. C'est pour le gouvernement un devoir de provoquer une mesure réparatrice, venue trop tard pour le plus grand nombre, bien tard pour ceux qui restent. Il donnera ainsi satisfaction à une pensée inspirée au neveu de l'Empereur par la piété des souvenirs et la reconnaissance qu'il doit, au nom dla patrie, à ceux qui l'ont glorieusement servie. Puis l'organe officiel (15 décembre) répondait aux attaques de la presse contre les ralliés : Franchement, après trois révolutions en moins de quarante années, quel est l'homme dont les antécédents ne puissent donner prise à la passion des détracteurs ? Comme si le fait seul d'avoir servi son pays sous les pouvoirs précédents était un crime. Le neveu de l'Empereur demeurera inébranlable. Il a pris pour règle de conduite les paroles de son oncle immortel s'écriant un jour au conseil d'État : Gouverner par un parti, c'est se mettre tôt ou tard dans sa dépendance. On ne m'y prendra pas ;je suis national. Je me sers de tous ceux qui ont de la capacité et la volonté de marcher avec moi. Voilà pourquoi j'ai composé mon conseil d'État de constituants qu'on appelait modérés ou feuillants, comme Dufermon, Rœderer, Régnier, Regnault ; de royalistes comme Devaisnes et Dufresnes, enfin de jacobins comme Brune, Réal et Berthier. J'aime les honnêtes gens de tous les partis. — En lisant ces quelques lignes, dit l'Assemblée nationale (12 décembre), il n'est pas difficile de reconnaître la main qui les a tracées... Comment n'approuverions-nous pas l'article du Moniteur ? A l'occasion de l'anniversaire du 10 décembre, le président de l'Assemblée législative offre un banquet au Président de la République et porte un toast auquel celui-ci répond : Entre l'Assemblée et moi il y a communauté d'origine, communauté d'intérêts. Issus tous du suffrage populaire, nous aspirons tous au même but, le raffermissement de la société et la prospérité du pays. Permettez-moi donc de répéter le toast de votre président : A l'union des pouvoirs publics ? J'ajoute : A l'Assemblée ! à son honorable président ! Le lendemain, banquet commémoratif à l'Hôtel de ville, où le Président de la République, en réponse au toast du préfet, prononce un important discours : L'année qui commence sera, je l'espère, fertile encore en heureux résultats, surtout si, comme l'a dit M. le préfet de la Seine, tous les grands pouvoirs restent intimement unis. J'appelle grands pouvoirs ceux élus par le peuple : l'Assemblée et le Président. Oui, j'ai foi dans leur union féconde ; nous marcherons au lieu de rester immobiles ; car ce qui donne une - force irrésistible même au mortel le plus humble, c'est d'avoir devant lui un grand but à atteindre et derrière une grande cause à défendre. Pour nous cette cause, c'est celle de la civilisation tout entière. C'est la cause de cette sage et sainte liberté qui tous les jours se trouve de plus en plus menacée par les excès qui la profanent. C'est la cause des classes laborieuses dont le bien-être est sans cesse compromis par ces théories insensées qui, soulevant les passions les plus brutales et les craintes les plus légitimes, feraient haïr jusqu'à la pensée même des améliorations. C'est la cause du gouvernement représentatif qui perd son prestige sanitaire par l'acrimonie du langage et les lenteurs apportées à l'adoption des mesures les plus utiles. C'est la cause de la grandeur et de l'indépendance de la France, car si les idées qui nous combattent pouvaient triompher, elles détruiraient nos finances, notre armée, notre crédit, notre prépondérance, tout en nous forçant à déclarer la guerre à l'Europe entière. Aussi jamais cause n'a été plus juste, plus patriotique, plus sacrée que la nôtre. Quant au but que nous avons à atteindre, il est aussi noble que la cause. Ce n'est pas la copie mesquine d'un passé quelconque qu'il s'agit de refaire, mais il s'agit de convier tous les hommes de cœur et d'intelligence à consolider quelque chose de plus grand qu'une charte, de plus durable qu'une dynastie : les principes éternels de religion et de morale, en même temps que les règles nouvelles d'une saine politique... Que désirer de mieux ? Pouvait-on entendre un langage plus raisonnable, plus rassurant, plus politique ? Ce discours, comme les notes insérées au Moniteur, ne révélaient-ils pas une fois de plus une intelligence dégagée de petitesses, pleine d'élévation, de sérénité, de calme, de force, et, par cela, une nature remplie de séduction ? Mais il avait son idée fixe, il avait sa foi napoléonienne, il se croyait prédestiné, il voyait son étoile, il se sentait porté en avant par des millions de partisans fanatiques, voulu, désiré, sacré déjà, par un pays tout entier ! On peut voir, dit la Gazette
de France (12 décembre), par le discours de M. Louis Bonaparte au banquet de
l'Hôtel de ville que nous marchons à ciel ouvert à une prolongation de la
présidence... Les rails (8 décembre) conduisent-ils à l'Empire ?... Ceux qu'on nomme les
orléanistes, ne voulant pas reconnaître le droit national, sont placés sur la
pente de l'usurpation impérialiste... Ce qu'on nomme le parti catholique va
également à l'usurpation impérialiste. N'avons-nous pas entendu M. de
Montalembert déclarer qu'il serait heureux d'avoir dix ans de repos,
c'est-à-dire de pouvoir prolonger de dix ans la phase actuelle ?... Les rails
vont au delà de cette phase révolutionnaire, et le convoi ne s'arrêtera pas
plus à l'Empire qu'il ne s'y est arrêté en 1804. Après cette station, nous
trouvons la guerre universelle... Après la guerre universelle, nous trouvons
les invasions[14]. La Réforme
(7 décembre) constate que l'approche de
chaque anniversaire (10 décembre) est
un nouveau sujet d'alarme. Chaque fois le pays
s'inquiète, les plus sombres rumeurs circulent, on se met en garde, et l'on
cherche dans la constitution un point de résistance à de nouvelles tentatives
de coup d'État... (mais) nous sommes tranquilles (22 décembre) au milieu des
conspirations qui nous enveloppent... le peuple veille !... Délivré (24 décembre) enfin
de l'Assemblée dont il se plaignait, l'Élysée continue de se plaindre. Il ne
se trouve pas assez libre encore sous la Législative. Que veut-il et à quoi
aspire-t-il ? Est-cc que toute Assemblée est pour lui une gène ?...
Prétend-il que la représentation nationale vienne seulement comme la Chambre
muette de l'Empereur apposer une sorte de sanction dérisoire à ses
commandements absolus... L'Empire sert à la fois les deux branches
bourboniennes qui servent l'Empire et se servent l'une l'autre, triple
alliance dans laquelle la défiance, la haine, les perfidies mutuelles, les
secrètes trahisons qui engendrent fatalement des intérêts inconciliables
s'unissent pour composer un système politique commun... Quant au parti
impérialiste (29 décembre), il ne dissimule pas ses folles prétentions toujours
ajournées et toujours menaçantes. L'Élysée dit à qui veut l'entendre ses
projets futurs et ses espérances. L'Assemblée nationale (12 décembre), au contraire, accueille avec une satisfaction véritable le discours
prononcé par le président au banquet de l'Hôtel de ville. Le chef de l'État comprend sa mission, voyez aussi avec
quel sentiment élevé il convie tous les partis au grand œuvre de l'ordre...
Il n'impose à aucun le sacrifice de ses convictions, il dit à tous : Soyez
Français. Tant qu'il restera dans cette ligne droite et loyale, le chef de
l'État sera soutenu par tous les honnêtes gens... Qui pourrait ne pas
seconder le prince dans une œuvre commune à tous les bons Français ?...
Il en est de même du Dix Décembre (14
décembre). Qui oserait nier que la
politique... du Président n'ait déjà porté d'heureux fruits ? N'est-ce donc
rien que de voir les transactions et les affaires se ranimer de toutes parts
? N'est-ce donc rien que tant de larmes séchées, de blessures guéries ou en
voie de guérison ? N'est-ce donc rien que de voir la France renaître à une
sécurité dont elle jouit avec délices après de si violentes commotions ?...
L'an dernier (15 décembre), la France à pareille époque... voyait sa vie s'écouler
et tarir agonisante... elle pouvait prévoir l'heure où elle disparaîtrait
pour faire place à je ne sais quel chaos monstrueux. Les hommes d'ordre,
pâles de l'avenir en contemplant leur famille, s'interrogeaient anxieusement
; c'est alors que comme vers un suprême espoir la France se tourna vers
Louis-Napoléon. Le pays s'attache à lui comme le naufragé au câble sauveur,
et d'un bout de la France à l'autre une immense acclamation... le salua comma
un libérateur... La France réconciliée avec l'avenir voit se rouvrir devant
elle les sources de la prospérité... Guidée par la main qui la gouverne, la
France saura désormais se garder des convulsions de l'anarchie et des folies
des entrepreneurs de félicité publique... On voit alors paraître une nouvelle circulaire d'Aristide Ferrère (20 décembre) aux électeurs des campagnes et aux ouvriers : La République existe depuis près de deux ans ; a-t-elle tenu les promesses faites en son nom ? La misère n'est-elle pas tous les jours plus profonde et plus générale ? Le métayer, comme le propriétaire, n'est-il pas écrasé par les impôts et les emprunts usuraires qu'il est obligé de contracter ?... La confiance est détruite, le crédit n'existe pour personne, le malaise est partout et les plaintes s'élèvent de tous côtés. On pressent que cet état de choses ne. peut durer, on désire un changement, on l'indique, mais aucun représentant n'ose prendre l'initiative... Quelque amélioration qu'on s'efforce d'apporter à la situation, loin de s'améliorer, je crains que les embarras ne deviennent plus Grands à mesure qu'on approchera de 1852, année fixée pour la révision de la constitution. Aujourd'hui tout le monde semble d'accord sur la nécessité de cette révision, seulement les uns la veulent de suite, les autres dans deux ans. Les commerçants, les banquiers, les armateurs, les industriels, les ouvriers, les propriétaires sont pour la révision immédiate[15]... Il disait encore, à la même date, sous la rubrique : Empire électif et décennal, suffrage universel : Républicains, reconnaissez ce fait que, le vœu bien prononcé de la nation étant de jouir enfin d'un gouvernement fort et stable, elle n'a le choix qu'entre : LA RÉPUBLIQUE AVEC LOUIS-NAPOLÉON POUR EMPEREUR OU LA ROYAUTÉ AVEC LA DYNASTIE DES BOURBONS. — C'est seulement à la fin de décembre 1849 qu'on achève le tombeau de l'Empereur. Il fallait que le culte pour le nom de Napoléon fût alors bien profond et bien général pour qu'un journal comme l'Événement[16] déclarât qu'une sépulture aux Invalides n'était pas digne du grand homme et écrivit les lignes suivantes : On avait cette bonne fortune, qui ne se retrouvera pas peut-être en mille ans, d'une gloire universelle, magnifique prétexte d'architecture. Qui n'aurait pas été heureux de contribuer à la tombe du demi-dieu en qui la France s'est personnifiée pendant quinze ans, et sous la figure de qui le monde la connaît ? Comprend-on ce qu'aurait dû être le tombeau de Napoléon ? Un énorme entassement de pierres et de gloire, l'œuvre collective de tous les sculpteurs et de tous les peintres, la somme de l'art de notre temps, la cime souveraine de Paris, la Mecque où l'adoration unanime serait venue s'agenouiller de tous les coins du monde et de l'avenir ! — L'Assemblée profite de l'occasion du 1er janvier pour marquer qu'elle n'est plus en communauté de vues et de sentiments avec le chef de l'État, en ne se faisant pas représenter officiellement à la cérémonie de la réception présidentielle. Mais le Président n'est pas arrêté pour si peu, et, après le message, après le renvoi du ministère Odilon Barrot, il n'hésite point à faire un nouveau pas en avant, et le journal le Napoléon paraît. Son premier numéro, qui est du G janvier 1850, fait sensation : Ce n'est pas un parti qui a triomphé au 10 décembre, c'est une cause. Elle avait pour elle tout le peuple, contre elle tous les partis. Louis-Napoléon a marché, il marchera !... il sauvera la société !... il accomplira sa mission ! parce qu'il aura toujours pour lui la masse du peuple et qu'il se sent doué de la foi qui inspire et de la volonté qui exécute... Dans un autre article on lisait : Tant que les ministres ont la confiance du Président, ils n'éprouvent pas d'échec ; une fois pour toutes nous avertissons les défenseurs obstinés de la vieille routine constitutionnelle que le chef de l'État gardera son ministère en dépit de jalouses attaques, et que le fait déplorable de l'instabilité ministérielle ne se reproduira plus au gré des ambitions parlementaires... Le 13 janvier, le Napoléon déclare que si le peuple a élu Louis Bonaparte président, c'est qu'il a foi dans son nom, dans sa personne, dans ses principes... Eh bien, ajoute-t-il, que penserait-on d'un système qui forcerait le Président à suivre une politique contraire à celle qu'il représente et pour laquelle il a été élu ? Il est donc essentiel et raisonnable que le Président soit entièrement libre du choix et du maintien de ses ministres, car si un simple vote de l'Assemblée pouvait les renverser, le Président se trouverait responsable d'une politique qu'il ne serait pas maître de diriger[17]... L'émotion causée par ces articles qui n'étaient ni plus
agressifs ni plus inconstitutionnels que ceux de certains journaux, et
notamment du Dix Décembre, ne peut s'expliquer que parce qu'ils étaient
attribués au prince lui-même, et que depuis le message la surexcitation était
grande dans une partie de la Représentation nationale. L'Ordre (9 janvier 1850), qui était une feuille bien
informée, affirme que le principal rédacteur du journal le Napoléon est le Président de la République, que c'est lui qui a
écrit le premier article, que les autres ont été lus et revus par lui avec un
soin tout particulier, et il ajoute : cr Quel que soit le caractère
définitif qu'il convienne d'attribuer au journal Napoléon,
nous croyons que cette publication est à regretter, car bien loin de chercher
à calmer ou à effacer les dissentiments qui se sont malheureusement produits
depuis le message du 31 octobre entre les deux pouvoirs, elle semble
s'étudier à les irriter et à les aigrir... L'Union (10 janvier 1850) constate que la signification de cette apparition un peu sympathique
n'a échappé à personne... Un journal (ne
saurait avoir) le poids de vingt batailles
rangées... c'est pourquoi le Napoléon ne nous a point émus. On a beaucoup
parlé de décadence dans ces derniers temps, ce n'est pas de décadence qu'il
faudrait parler si un journal hebdomadaire pouvait disposer de la République.
Autant vaudrait revenir aux temps où un forgeron des Gaules était fait
empereur parce que de deux doigts il arrêtait un char traîné par quatre
chevaux. Cependant il parait que quelques-uns ont imaginé que le Napoléon de
Napoléon ! songez donc ! ; était appelé à jouer un haut rôle dans les
événements du présent et de l'avenir... D'après le Pays (14 janvier 1850), rien
n'est plus dangereux que le zèle, et le zèle du Napoléon est de la pire
espèce. Il crée l'antagonisme là où l'accord est plus que jamais nécessaire. Il
sème la division... Nous ne pouvons que déplorer une publication aussi
compromettante. Il est donc vrai, le mot que M. Odilon Barrot laissait tomber
de la tribune au printemps dernier : De détestables passions s'agitent autour
du chef de l'État. Alors on dit partout que l'apparition du Napoléon est
l'annonce du coup d'État qui est fatal, que ça ne peut pas finir autrement.
Pour la République (14 janvier 1850),
quand on veut faire honnêtement et simplement son
métier de président, on ne fait pas ou on ne laisse pas courir tous les jours
des bruits de coup d'État... L'Ordre estime qu'un coup d'État
se ferait uniquement au profit de l'anarchie, et qu'en supposant contre toute
raison la tentative d'un 18 brumaire, elle ne s'accomplirait pas sans
résistance... M. Louis-Napoléon qui témoignait il y
a quelques mois en termes pleins d'élévation son regret d'avoir osé deux
fois, lui alors exilé, attenter aux lois de la France et qui s'effrayait à
l'idée de l'effroyable perturbation que le succès passager de semblables
tentatives eût pu jeter dans le pays, comment pourrait-il jamais s'arrêter à
la pensée de donner le signal de ce désordre, de ces malheurs, lorsqu'il est
le premier magistrat de la République ?... Pour l'Assemblée
nationale (14 janvier 1850), un 18 brumaire ne se fait qu'une seule fois quand on a
gagné vingt batailles rangées et traité avec l'Europe asservie... Pour
la Liberté (13 janvier 1850), tout dénonce un attentat contre la République. Quel
sera-t-il ? Notre pays est surtout le pays de l'imprévu, de l'improbable, de
l'impossible. C'est ce qui nous ferait croire à la réalité d'un complot
impérialiste. Nous entendons si souvent répéter depuis quelque temps : C'est
absurde, c'est impossible, ce serait une folie, que nous commençons sérieusement
à nous en préoccuper. Et l’Assemblée, que fait-elle ? Se laissera-t-elle
arracher sa souveraineté nationale par quelques conspirateurs de Strasbourg
et de Boulogne ?... Attendra-t-elle pour s'apercevoir de ce que tout le
inonde voit que l'ère des Césars soit commencée ? Le 17 brumaire les
Cinq-Cents votaient en paix, le lendemain ils étaient chassés par les
fenêtres... C'est (14 janvier 1850)
pour l'ambition d'un homme que tous ces flatteurs se
démènent comme des maniaques ou comme des damnés ; ainsi la France, ce grand
et noble pays, ne saura pas deux ans de suite tenir le sceptre de sa propre
souveraineté, il faudra que, désespérant d'elle-même, elle aille ramper aux
pieds du premier ambitieux venu pour lui offrir humblement le droit de la
soumettre et de la bâillonner. En présence du despotisme qui s'avance et de
l'Empire qui se prépare, nous protestons hautement contre toute révision qui
servirait de masque aux complots d'un Octave... On dit (16 janvier 1850) que
le Président de la République a mandé à l'Élysée les officiers généraux de la
troupe de Paris pour les interroger sur la disposition de l'armée à le
proclamer empereur... L'appréhension d'un coup d'État est générale. Nous
savons bien que les rêves insensés, les projets les plus coupables
travaillent certaines tètes romanesques, amoureuses des aventures et
infatuées de chimères... Si en effet un de ces jours les conspirateurs
mettaient flamberge au vent... ce n'est pas aux Tuileries qu'ils iraient
coucher, pas même à Vincennes, ils iraient coucher au violon... Les
préparateurs de 18 brumaires, les épousseteurs du chapeau à trois cornes et
de la redingote grise... peuvent être convaincus que... nous ferions notre
devoir et verserions volontiers notre sang pour la République et la liberté. La situation était tellement fausse, tellement contraire à ce qu'elle aurait dû être, depuis le premier jour, depuis cette fabuleuse élection du 10 décembre ; le fait d'avoir nommé chef de l'État un Bonaparte impliquait de la part de la nation[18] une telle volonté de transformer la République en Empire que chaque jour on se demandait comment ce n'était pas encore fait. Avec cela, les Persigny, les Laity, etc., les vieux de la vieille bande de Strasbourg, ne se cachaient pas pour déclarer que le Président resterait légalement ou illégalement, parce que (ce qui était absolument vrai, et ce qu'il ne faut jamais oublier, et ce qu'on ne devra pas se lasser de redire tant que la contradiction se produira) la majorité, l'immense majorité du pays voulait l'Empire, et le voulait impatiemment, et le voulait à tout prix. De misérables ambitions, dit la Réforme[19], s'agitent autour de l'Élysée. La présidence avec un pouvoir éphémère et une liste civile de 100.000 francs par mois ne peut satisfaire ni rassurer les appétits besogneux qui l'assiègent, et vous craignez une nouvelle édition du 18 brumaire. Déjà en effet M. Bonaparte a cassé aux gages, comme des valets infidèles, les ministres que vous lui aviez imposés et les a remplacés par des hommes d'État empruntés à la domesticité de l'Élysée. Depuis... si les murs du Palais-Bourbon ne sont pas menteurs, il s'est agi plus d'une fois depuis lors de défendre la constitution contre un coup d'État impérialiste. Les coups d'État ne sont plus de mise aujourd'hui, et qui porterait la main sur la République trouverait assurément la roche Tarpéienne au lieu du Capitole... Dieu nous garde de l'idée napoléonienne ! Piperie que tout cela ! Ce qu'on veut, c'est un trône ! Le Pays (15 janvier 1850) dit : La folie de la camarilla, la faiblesse du ministère qui lui prête son nom, prennent plaisir à entretenir l'inquiétude publique. Jamais les bruits de message, de coup d'État, n'ont été plus accrédités... Le Constitutionnel publie un long article pour démentir les bruits de coup d'État : Depuis le 10 décembre le Président a victorieusement répondu à ces calomnies par l'invariable loyauté de sa conduite. Les calomnies ont persisté, le pouvoir y a répondu par les démentis les plus péremptoires et les plus catégoriques. Peine perdue ! Elles recommencent le lendemain. Jamais le génie de l'interprétation perfide n'a été poussé si loin... Quand le Président présente un projet de loi favorable aux classes ouvrières, c'est pour faire un coup d'État avec les ouvriers ; quand il présente une loi juste en faveur des sous-officiers, c'est pour faire un coup d'État avec l'armée. L'Opinion publique[20] constate que le Constitutionnel est... de ceux qui inclineraient à donner au prince le pouvoir à vie. Ce serait, dit-elle, la seconde édition de la comédie jouée pour l'oncle, le consulat à temps, puis à vie ; seulement il manquerait au neveu Austerlitz et Iéna en avant, Marengo et les Pyramides en arrière. Il faut être juste : le Constitutionnel ne parle pas encore d'empire et ne demande pas encore pour M. Louis-Napoléon la main d'une archiduchesse d'Autriche ou d'une Grande- duchesse de Russie ; cela viendra plus tard...[21] On attendait avec impatience, et même avec anxiété, le troisième
numéro du Napoléon. Il était de nature à calmer les esprits. Nous en appelons à tous les cœurs honnêtes et à tous les
esprits droits, est-il un homme qui, se trouvant dans la même position que
Louis-Napoléon, eût agi avec plus de prudence et de modestie ? Est-il un chef
politique auquel les hommages, les ovations et le pouvoir aient aussi peu
monté la tête ? Pense-t-on que le Président. n'ait pas su ce que disait le
peuple des campagnes qui l'avait élu, et qui l'encourageait de ses cris à se
déclarer le maitre et à renverser l'ordre de choses existant ? Croit-on qu'il
ait ignoré davantage le vœu de l'armée ? Qu'on se rappelle les ovations dont
il fut l'objet dans ses excursions. Henri IV venant de pacifier la France,
Napoléon après Austerlitz et Iéna, ne furent pas accueillis avec des
acclamations plus vives, plus enthousiastes que Louis-Napoléon à Amiens, à
Noyon, à Rouen, à Tours, à Épernay, à Sens, à Troyes... Peu de caractères
eussent été assez forts et assez bien trempés pour ne pas être enivrés. Si
les coups d'État eussent été dans la pensée du Président, quelles occasions
plus favorables que le 10 décembre, le 29 janvier et le 13 juin ? Le
Président a résisté à l'entraînement de ses partisans. L'exemple qu'il a
donné depuis un an vaut mieux que toutes les protestations et que tous les
serments. Qu'on cesse donc d'incriminer ses intentions !... Sur cet
article la République (24 janvier 1850)
fait les réflexions suivantes : Pourquoi tous ces
grands airs pour aboutir à des désaveux et à des explications si parfaitement
orthodoxes ? Le Napoléon procède jusqu'ici précisément comme a procédé le
Président dans sa lettre à Edgard Ney et dans son message du 31 octobre.
C'est une velléité qui s'épuise tout entière dans une page d'écriture, un
grand élan qui ne se soutient pas, une courbe rentrante qui revient
obstinément à son point de départ, une préface trop souvent répétée pour un
ouvrage destiné à rester inédit, c'est enfin beaucoup de bruit pour rien.
L'Assemblée nationale (29 janvier 1850)
n'accepte pas sans réserves les dernières déclarations du Napoléon : L'opinion publique est justement alarmée de cette
persistance que mettent les journaux élyséens à attaquer sans cesse le
pouvoir législatif. Si le pouvoir exécutif n'inspire point ces attaques, il doit
les désavouer, car son silence autorise de fâcheuses accusations. Il est
temps que l'on sache s'il faut attribuer les assauts contre l'Assemblée à des
espérances personnelles, ou bien à de coupables et maladroits excès de
zèle... L'Assemblée ne peut et ne doit pas toujours être attaquée par ceux
qui se disent les organes de la présidence... Les Débats (21 janvier 1850) estiment que si les bruits
de coup d'État se sont calmés, ils se renouvelleront infailliblement, et que
la faute en est non-seulement à la Constitution, mais aussi (déclaration qui doit être retenue) au public
QUI S'OBSTINE À NE PAS CROIRE QUE LA
RÉPUBLIQUE soit le gouvernement naturel de la France. Pour notre part, nous ne croyons pas aux coups d'État. Le
gouvernement représentatif a jeté trop de racines en France. Notre
imagination ne nous représente pas ce que pourrait être la France privée de
ses libertés en face d'un pouvoir qui n'aurait pas à lui donner en échange la
guerre et la gloire ; la France occupée, pour toute récréation, de la pluie
ou du beau temps. Le 18 brumaire avait été précédé de Rivoli et d'Arcole, il
fut suivi de Marengo et d'Austerlitz. Le Président n'a donné à personne le
droit de mettre en doute sa loyauté et son bon sens. Lamartine, dans le Conseiller du peuple, ne croit
pas au coup d'État, il ne croit même pas à l'existence d'un parti
bonapartiste. Il y a dit-on, un parti
bonapartiste... Je ne le crois pas... Un parti impérial bonapartiste en ce
temps-ci, à quoi cela répond-il ? Est-ce à la Révolution ? Napoléon l'a
refoulée jusque dans le despotisme. Est-ce à la liberté ? Il l'a tuée. Est-ce
à la démocratie ? Il l'a masquée en courtisans. Est-ce à la conquête ? Il n'a
pas su en conserver une. Est-ce à la monarchie tempérée et constitutionnelle
? Mais il n'a tenté que la monarchie militaire. Est-ce à la tradition ? Mais
il était un homme nouveau. Est-ce à l'avenir ? Mais il n'avait pour manie que
d'exhumer le passé et de ressusciter Charlemagne. Je ne vois rien, excepté la
gloire ; mais s'il y a quelque chose de personnel, c'est la gloire ; pour
retrouver la gloire il faudrait ressusciter Napoléon et lui vouer de nouveau
le sang de trois millions d'hommes, pour reconquérir quoi ? L'INVASION.
Il n'y a donc pas de parti proprement nommé parti bonapartiste. Voici ce qu'il
y a : un long et glorieux éblouissement du nom de Napoléon dans du peuple,
une puissante popularité posthume... (si
bien) qu'au moment où on a dit au peuple :
Choisissez un président, le peuple n'a eu qu'un mot dans la bouche pour
désigner non un empereur, mais un citoyen d'un nom européen. Voilà le vrai.
Que quelques hommes arriérés affectent de s'y tromper et qu'ils disent : Le
peuple s'est voté un maître, je le comprends, mais c'est l'illusion de
leur mémoire pour l'empire qui les trompe. Non, le peuple s'est voté une
gloire... Supposez que le parti bonapartiste (s'il existe) marche à une usurpation
impériale et tente un symptôme seulement de coup d'État, (tous les autres partis) s'uniront (contre
lui). Tous les trois mois on recommence à
parler de ces complots, de ces usurpations, de ces dix-huit brumaire, de ces
tentatives méditées de consulat et d'empire par l'homme même et par l'honnête
homme, je le crois, que le peuple a chargé de veiller sur ses institutions.
Je répète pour la millième fois que je n'ai pas la moindre foi dans ces
calomnies de la peur... Je vous conseillerai jusqu'à la fin d'avoir
confiance, confiance jusqu'à la témérité, confiance dans le Président de la
République que vous avez choisi et nommé à la presque unanimité, et malgré moi
qui redoutais le nom de Bonaparte au sommet de la République ; quelles
qu'aient pu être autrefois les pensées trop impériales d'un jeune exilé né à
l'ombre d'un trône, je crois à la loyauté d'un homme reconnaissant qu'un
peuple a fait plus que roi, car un roi n'est que l'héritier d'un trône, et un
président est l'élu personnel d'une nation... Non, je ne croirai jamais qu'on
descende d'une élévation légale pareille au rôle coupable et misérable de
conspirateur contre la nation qui s'est confiée en vous ! Il n'y aura au
monde qu'un plus beau rôle, après celui d'être monté là, ce sera le rôle d'en
descendre et de dire au peuple français : Voyez, je réponds à votre confiance
en vous remettant votre constitution ; je réponds à la calomnie en redevenant
à mon tour citoyen. Qu'il y ait quelques pensées moins pures dans quelques
têtes pleines de parodies impériales, c'est possible. De la superstition et
de l'encens, voilà tout... L'orléanisme chauffe l'impérialisme afin de faire
faire quelque étourderie au parti du consulat et de l'empire, pour essayer de
passer derrière. Nous avons déjà vu ce jeu. Pendant les quinze ans de la
Restauration les journaux ennemis du gouvernement ont caressé, flatté,
grandi, déifié l'Empire... Pourquoi ? Pour faire passer la branche cadette
des Bourbons aux Tuileries sous l'ombre et la face-de l'Empereur ![22]... Le lendemain du jour où une conspiration soi-disant
impériale aurait renversé la République, ce n'est pas le consulat qui
passerait, ce seraient deux dynasties qui se battraient à la porte pour en
chasser l'Empire... (A l'Assemblée) il y a une douzaine d'impérialistes, ou
réputés tels, hommes historiques et rétrospectifs qui croient que les hasards
se répètent et que l'histoire de la seconde République doit finir comme celle
de la première par un 18 brumaire et un empire de seconde édition. Ces hommes
ne peuvent représenter qu'une exception et un contresens. Le Fève est si
absurde qu'il est innocent. C'est du prodige de père en fils, cela n'est pas
dans la nature, l'histoire n'écrit jamais la même chose à des pages
différentes. La République de 1848 n'a commis ni les anarchies ni les crimes
de 1793. D'ailleurs, pour un empire il faut un empereur. Je ne vois à sa
place qu'un bon citoyen, dévoué à son devoir. Si les bonapartistes se lèvent,
légitimistes, orléanistes, clergé, tiers parti, centre gauche, montagne, se
lèvent contre une usurpation qui les absorbe tous à la fois. Les
bonapartistes sont-ils gênés dans leur superstition ? Non... La République a
donné sa première magistrature au nom de Napoléon ; elle salue ses arcs de
triomphe et ses statues ; elle achève son tombeau à ses frais ; elle place
ses frères à la tête des débris de ses victoires aux Invalides ; elle envoie
ses neveux à l'Assemblée nationale !... Mais si le Napoléon baisse le ton, le Dix Décembre le
hausse et fait le jeu. L'idée napoléonienne (29 janvier 1850) tient
à la légitimité par l'autorité et au socialisme par le progrès dans hi
liberté. C'est le seul principe réalisable en ce moment, le seul qui puisse
être compris des masses, partant, qui soit appelé à sauver la société de la
destruction... M. Belmontet termine ainsi un article où il fait dans
ce journal l'éloge du premier Empire : Il n'est donc
pas vrai, l'histoire repousse un tel mensonge, que l'empereur Napoléon est
tombé deux fois pour avoir abusé du pouvoir. Ce sont nos ennemis qui ont
assassiné l'Empire. Il avait dit auparavant que l'Empire avait été
deux fois l'œuvre du peuple et que la Restauration avait été deux fois
l'œuvre de l'étranger. L'Assemblée nationale (30 janvier 1850) trouve que le Moniteur élyséen (le Dix Décembre) prêche assez
ouvertement pour l'établissement de l'Empire. C'est
la dynastie des Napoléons qui, d'après l'opinion de l'Élysée, peut seule
sauver la France. Comprend-on maintenant les attaques incessantes contre
l'Assemblée, le seul pouvoir qui entrave la réalisation de tous les rêves de
prospérité et de grandeur ? En vérité, espère-t-on relever un trône impérial
avec de telles attaques ? Espère-t-on fonder une dynastie avec de semblables
petits articles de journaux ? — L'Assemblée législative était sur le qui-vive. Toute proposition gouvernementale qui pouvait concourir à augmenter la popularité du prince était repoussée ou ne passait qu'après une discussion plus ou moins orageuse. C'est ainsi qu'au sujet du projet de loi[23] donnant au Président le droit de faire grâce aux transportés de Juin par décisions individuelles et après avoir pris l'avis du conseil d'État, le général Lamoricière demande que ce droit soit dévolu non au Président de la République, mais à l'Assemblée législative. Le Ministre de l'intérieur fait remarquer avec juste raison que le droit de grâce a toujours appartenu au chef de l'État ; on lui répond qu'il ne s'agit pas dans l'espèce de l'exercice du droit de grâce, attendu qu'il n'y a point eu de décision de justice, de condamnation prononcée. A gauche on crie : Le projet est scandaleux ; des juges ! des juges ! M. Lacaze soutient que toutes les traditions de notre droit, toutes les analogies constitutionnelles concourent pour faire un devoir politique et de haute convenance d'attribuer l'exercice du droit de grâce en cette matière au Président de la République ; qu'il n'y a pas de raisons sérieuses pour le confier à une collectivité de 750 personnes qui ne pourraient accomplir une pareille besogne avec discernement. Puis il ajoute : La raison de l'opposition, on a eu la franchise de l'indiquer : on a dit qu'on craignait que le Président ne fit de l'exercice du droit de grâce un instrument de popularité en laissant à l'Assemblée la défaveur des mesures rigoureuses. Au moment où l'accord des deux pouvoirs est plus que jamais nécessaire, je ne sais rien de triste comme de les voir se préoccuper de se gagner mutuellement de vitesse dans une course folle à la popularité ; mais enfin si vous étiez disposés à le faire, je comprendrais le conseil qu'on vous a donné de vous réserver le droit de grâce, mais vous n'y êtes pas disposés... Que vous restera-t-il alors ? la défaveur du refus de grâce. M. Sainte-Beuve repousse la loi : c'est l'Assemblée qui seule a pris sur elle la rigueur de la mesure de la transportation et qui, à présent, veut seulement, si le jour de la clémence arrive, être associée dans une juste proportion, à la popularité de la clémence. — Malgré cette opposition, la loi est votée[24]. — Le gouvernement venait de diviser les forces militaires
de la France en trois commandements au lieu de huit. Dans la séance du 16
février M. Pascal Duprat, un très éloquent orateur de la gauche, interpelle
le ministère sur cette mesure. Il qualifie de formidables ces trois unités
militaires qui embrassent le pays tout entier. Où
sont donc les dangers qui nous menacent ? (Agitation.) Je suppose, dit-il, un pays quelconque, je suis en dehors
de la France (hilarité), je suis dans le domaine des idées pures, dans
l'abstraction, dans la théorie ; je fais de la métaphysique, si vous voulez.
Eh bien, je suppose qu'il y a quelque part en Europe un gouvernement qui ne
professe pas l'amour le plus vif et le plus ardent pour les institutions du
pays qu'il est appelé à gouverner pendant quelques années ; je suppose que ce
gouvernement croit... qu'il n'a pas assez de pouvoir, qu'il n'a pas assez
d'autorité... que (l'assemblée du pays)... l'empêche d'arriver à cette grandeur qu'il convoite et
qui est peut-être (il le croit du
moins) dans le secret de sa destinée. Eh
bien, je continue l'hypothèse. Que fera le chef d'un pareil gouvernement ? Il
cherchera... à se créer dans le pays... des forces et des influences
considérables, il s'adressera, par exemple,... (au) clergé, il cherchera à le gagner
; s'il y a une armée, une armée considérable... il cherchera à gagner cette
armée, il cherchera à lui plaire ; s'il y a sur la surface du pays des
pouvoirs locaux... qui sont la racine première de toute liberté dans un pays,
il cherchera à étouffer ces autorités... ; si c'est un pays civilisé dans
lequel on écrive beaucoup comme dans le nôtre... il se servira de ce
magnifique et puissant instrument pour attaquer certaines institutions, pour
attaquer surtout cette Assemblée nationale investie de la toute-puissance
populaire, expression vivante de la volonté du pays. Voilà mon hypothèse...
J'oubliais un trait... Après avoir ainsi miné par leur base les pouvoirs
constitutionnels, tous les pouvoirs locaux, concentré dans ses mains autant
de puissance qu'il aura pu, il cherchera à organiser un état militaire
destiné à faire justice de ces pensées rebelles qui voudraient s'opposer à
ses instincts ou à ses projets de grandeur. Voilà l'hypothèse. (Rumeurs diverses.)
Eh bien, citoyens, quelles que soient les passions qui nous divisent, quelle
que soit la distance qui existe entre ces bancs... il me semble que dans
l'esprit même de la majorité ce que j'appelle une hypothèse n'est pas regardé
comme un fruit de mon imagination, comme une spéculation complètement idéale.
Cette hypothèse, malheureusement dans une certaine mesure, je le crois du
moins, car je n'apporte ici que des convictions profondes, est une réalité,
une réalité vivante qui nous presse et nous entoure, citoyens, et qui menace
peut-être de nous étouffer... (Exclamations
sur les bancs de la majorité.) Le pouvoir
exécutif... n'a-t-il pas témoigné plus d'une fois d'un dissentiment assez vif
et assez profond avec l'Assemblée... ? n'a-t-il pas cherché... à créer autour
de lui les influences dont je parlais tout à l'heure ? Les classes ouvrières
ont une importance immense... il a cherché, c'était son droit dans une
certaine mesure, leurs sympathies. Vous n'oubliez pas ces promesses qui ont
paru plus qu'exagérées à certains membres de la majorité elle-même... il ne
s'agissait[25] de rien moins, sous prétexte de caisses de retraites, que
d'assurer aux ouvriers un avenir presque magnifique... D'un autre côté, le
Président de la République a tenu à peu près la même conduite envers ce corps
puissant... je veux parler du clergé. Le projet sur l'instruction publique[26] a été une concession à ce corps puissant dont il voulait
conquérir les sympathies... je serai cru encore davantage si je dis que
l'expédition de Rome a été un don, don funeste fait au même corps. (Rires et mouvements divers.) Ce n'est pas tout, il y a dans notre pays un sentiment
vivant, un sentiment profond que rien ne peut altérer, qu'aucune révolution
ne peut ni diminuer ni affaiblir, c'est le sentiment militaire. Voici ce
qu'on a fait pour les soldats... On a été chercher tous ces soldats de
l'Empire épars sur le territoire de la République. Le Président de la
République leur a dit, sans avoir demandé un crédit quelconque à l'Assemblée,
qu'il voulait venir au secours de leur misère et de leur détresse. M. le
ministre de l'intérieur a jeté les circulaires clans toutes les préfectures.
On a répondu naturellement à cet. appel du chef de l'État et on y a si bien répondu
que M. le ministre de l'intérieur s'est trouvé effrayé pendant quelques instants
de l'encombrement de ces Bélisaires de l'époque impériale et qu'il a été
obligé de leur fermer à peu près la porte. (Bruit prolongé.) Après avoir
ainsi parlé aux soldats de la vieille armée, on a voulu parler aux soldats de
la nouvelle. Vous n'avez pas oublié[27] ce projet de loi qui a causé une émotion aussi vive à
droite qu'à gauche ; qui a été signalé par un mot qui évidemment est une
calomnie... mais qui est sorti de la conscience populaire avec sa rudesse
peut-être, mais avec un côté pittoresque pour lequel je demande la permission
de le reproduire, on a appelé cette loi l'EMPIRE DES QUATRE SOUS. M. Béclard : L'empire à 4 sous ! (Hilarité bruyante.) M. de Ségur d'Aguesseau : C'est
un véritable acte d'accusation ! (Agitation
prolongée.) Et M. Pascal Duprat de répondre : M. de Ségur d'Aguesseau m'interrompt pour me dire que
c'est un acte d'accusation. Il est libre dans ses appréciations. Je raconte
ici les faits qui appartiennent à l'histoire. Je les raconte avec modération.
Je les soumets aux réflexions de l'Assemblée... Après s'être adressé à ces
grands corps, à ces grandes influences, le pouvoir exécutif a fait usage
d'une autre arme : le pouvoir exécutif s'est fait journaliste. (Mouvement.)
M. Chambolle a déclaré dans son journal que non seule-nient le Président de
la République dirigeait la rédaction du journal le Napoléon, mais encore
qu'une grande partie du premier numéro, le plus grand, le plus important de
tous, celui qui vous a le plus saisis, avait été écrite de sa main... Ce numéro
et les numéros qui l'ont suivi ont été tout autre chose que respectueux
envers nos institutions républicaines et notre Assemblée... On a dit à la
face du pays et clans des écrits répandus à profusion jusque dans les
casernes... que la majorité gênait par une résistance systématique l'action
féconde du pouvoir exécutif... On me dit que le bon sens public a fait
justice de ces absurdités ridicules. C'est un mot que je n'aurais pas osé
prononcer, après avoir dit surtout que le Président de la République n'était
pas étranger à la rédaction de ce journal. (Rires à gauche.) C'est dans
le même journal que j'accuse à cause de la pensée qui l'inspire qu'on a osé
dire un jour qu'il dépendait des républicains de faire que M. Louis Bonaparte
choisît entre le rôle de son oncle... A gauche : De Soulouque ! (Tumulte.) Pascal Duprat, continuant : et celui de Washington... Après toutes ces influences, après toutes cette action qu'on cherche à exercer au dehors, nous nous trouvons — on ne me dira pas sans doute que je suis dans une hypothèse... — en face de cette formidable organisation militaire qui pèse sur nous... qui enveloppe, qui embrasse, qui enserre une grande partie de la France... Voilà la réalité... C'est à vous, membres de la majorité, à vous la loi vivante de notre pays, c'est à vous qu'il appartient de défendre nos institutions... contre toutes les espèces de dangers qu'on peut imaginer... C'est à votre conscience que je m'adresse et je vous dis : Usez de la toute-puissance que vous avez reçue du peuple pour conjurer des desseins aussi criminels... (Vives exclamations à droite... Tumulte. Longue agitation.) Le ministre de la guerre, le général d'Hautpoul, répond que les faits allégués ne constituent qu'une fantasmagorie, que le pouvoir du Président étant issu du suffrage universel, il ne peut appartenir à un représentant d'incriminer tous ses actes vrais ou supposés... On ne raisonne pas sur des fictions, sur des hypothèses... Quant au fond, le gouvernement actuel n'a fait que suivre les précédents. La démagogie s'agite... les sociétés secrètes conspirent. En investissant trois généraux d'un commandement supérieur à celui des divisions militaires (nous avons voulu assurer la sécurité du pays)... Nous serons prêts à toute heure, vous pouvez commencer si cela vous convient !... (Tumulte. Explosion de murmures à gauche. Longue agitation.) — Le général Fabvier ne partage pas du tout les craintes manifestées par M. Duprat. Quelles que soient les apparences, il connaît le serment du président de la République qui engage son honneur, cela lui suffit. Et, d'ailleurs, il sait et chacun sait que le parjure ne peut pas être un degré au trône. (Mouvement prolongé.) Malgré les déclarations ministérielles, le discours de M. Pascal Duprat n'en avait pas moins fait une impression considérable. Il mérite, en effet, de rester dans nos annales parlementaires comme un monument d'éloquence. Mais dans ce mémorable débat personne n'était absolument dans le vrai, le ministre et le général Fabvier en niant l'évidence, Pascal Duprat en accusant le Président de préparer lentement et froidement un crime. C'est à la fatalité de la situation que l'orateur aurait dû s'en prendre, c'est le pays qu'il fallait incriminer, le pays qui, par son attitude, par son élan, par sa folie si l'on veut, déliait en quelque sorte le Président d'un serment qui sans doute n'avait été prêté — suivant lui — que sous cette condition que la volonté du peuple ne serait pas manifestement contraire au maintien de la République, cette volonté devant être respectée avant tout, devant tout faire fléchir, et étant plus sacrée qu'un serment. Telle était vraisemblablement la théorie du prince que nous exposons sans la défendre. Le journal l'Événement (2 février 1850) dit que l'opinion publique est vivement et profondément émue de la création de trois divisions militaires, et que des esprits trop facilement alarmés ont aussitôt vu dans cette mesure la première étape du fameux coup d'État, but supposé du Président. Quant à lui, il est convaincu que le Président, engagé par ses serments, ne peut songer à les violer, et qu'il a compris tout le premier l'impossibilité comme la félonie d'un coup d'État. Quelques jours auparavant, Proudhon adressait (5 février 1850) au Président dans la Voix du
peuple la lettre suivante : Au Président de la
République le socialisme reconnaissant. — Citoyen président, c'était il y a
trois jours le 29 janvier, on parlait de coup d'État, car depuis que vous
êtes président on en parle, et tant que vous serez président on en parlera...
Où en est aujourd'hui le thermomètre bonapartiste ? Quel progrès a fait
depuis un an l'idée impériale ?... Le Président a tué le prétendant... Que
les badauds sifflent les velléités de Consulat et d'Empire... Que les
chauvins de la démocratie maudissent la lâcheté et l'hypocrisie qui forment
le fond de votre système : les bons révolutionnaires savent apprécier vos
services... sous n'aurons point d'Empereur ; l'occasion est échappée ; Louis
Bonaparte ne la rattrapera pas... Merci, citoyen président, merci !
Persévérez dans votre guerre liberticide. Le peuple maudira votre mémoire...
Sans vous, le pouvoir tombé aux mains de quelque empereur populaire eût
obscurci longtemps encore la pure notion de la liberté... Louis Bonaparte,
grâce à vous, méprisé, coulé, ruiné, n'est plus à craindre pour la
démocratie... ! Bientôt il dit (13
février 1850) : C'est maintenant chose
assurée, nous aurons un coup d'État... sous aurons un Empereur... plus
d'hypocrisie... faites votre coup d'État ; paraissez seulement au balcon des
Tuileries en costume impérial, et la société... broyée sous nos mains
frémissantes commencera sa palingénésie par le chaos. Proudhon est
arrêté à la suite de cet article écrit sous le coup de l'indignation produite
par la nouvelle organisation militaire. La Voix du peuple (14 février 1850) dit de son côté : M. Louis Bonaparte a agi... tout comme s'il avait déjà sur
la tête le diadème de Charlemagne... L'Empire naguère avait été précédé du
consulat, il sera cette fois précédé du proconsulat, digne préface d'un
régime qui n'a jusqu'ici d'autres titres à la recommandation publique que des
orgies d'antichambre et des expéditions de police... Le danger aujourd'hui
n'est pas en bas, il est en haut... en bas le respect de la loi, en haut la
conspiration... Patience ! ce n'est pas en un jour qu'on taille un
déguisement d'Empereur ! ceux qui prétendent (15 février 1850) que l'Empire ne
marche pas, il ne nous reste plus qu'une chose à affirmer, c'est que la terre
tourne. En sera-t-il de nous comme de Galilée ? Peut-être. Il n'en sera pas
moins vrai que, comme lui, nous aurons raison... — Certains journaux (12 février 1850) signalent de la part des élégantes de l'Élysée un retour vers les modes du temps de l'Empire ; les robes, disent-ils, deviennent chaque jour plus courtes de taille et de jupe ; les ceintures remontent sous les aisselles, et le bas des jambes se laisse voir. Pour se mettre à l'unisson de ces modes féminines ressuscitées de 1812, les courtisans de l'Élysée reprendront incessamment les bottes à revers et le spencer sur l'habit pour toilette de promenade. L'imitation de cette époque est la manie du jour et de l'endroit. On annonce très positivement que la gavotte sera dansée au prochain bal. Ces menus faits qui provoquent le sourire avaient alors une importance considérable dont les feuilles publiques les plus graves s'occupaient en première page. Le Napoléon continue sa campagne et fait naître les mêmes
inquiétudes. Le sixième numéro, d'après l'Ordre (12 février 1850), cause une pénible
surprise. Chacun se demande à quelle fin on espère arriver par la persistance
des insinuations ou des attaques contre l'Assemblée... Autour du Président il
y a des conseillers anonymes qui poussent aux éclatantes ruptures afin
d'arriver plus sûrement à un coup d'État ; mais ces conseillers, dit le
journal d'Odilon Barrot, sont de ceux qui ont toujours perdu les
gouvernements. L'Union (11 février
1850) remarque que chaque semaine le Napoléon, au nom de l'Élysée,
vient inquiéter les esprits, prêcher l'antagonisme et compliquer une
situation déjà si tendue et si difficile. Et elle demande (25 février 1850) : Quel
pouvoir dans le monde a été plus despotique et plus arbitraire que celui de
l'Empereur ? Quel homme a voulu enchaîner l'Europe entière avec plus d'audace
et de persévérance que le soldat de Marengo ?... Le Napoléon est heureux
chaque fois qu'il peut entretenir ses lecteurs du nom et de la cause du
Président. La cause du Président n'a pas besoin de tant de phrases. Elle est
claire, nette, catégorique. La Constitution s'est chargée de lui tracer ses
règles et ses bornes. Et ce journal ajoute (5 mars 1850) que si le Président songeait sérieusement à un
coup d'État, il serait peu habile de le proclamer d'avance. Faisant allusion à un voyage de M. de Persigny à l'étranger, le Siècle (15 février 1850) dit que les Cours du Nord ont répondu par un refus aux ouvertures qui leur ont été faites touchant la nécessité d'assurer pour le repos de l'Europe la durée du pouvoir présidentiel... Puis il continue : Les Anglais parlent avec un dédain à peine dissimulé des projets du Président... L'exemple qu'on voudrait tirer du dévouement de l'armée à Napoléon est faux. Ce que l'armée adorait dans l'Empereur, c'était l'incomparable capitaine, c'était l'organisateur puissant de la démocratie ; ce qu'elle servait, ce n'était pas l'ambition d'un prince, c'était le principe de la souveraineté nationale... Ajoutons que l'armée n'est pas exposée en ce moment. à subir cet éblouissement causé par l'éclat d'une gloire sans pareille... Nous ne voulons (17 février 1850), nous ne pouvons pas croire à un plan machiavélique dirigé contre la République... en vue de nous ne savons quelle parodie du 18 brumaire, non que la pensée n'en soit éclose dans plus d'une des fortes têtes de ce temps-ci, mais parce que pour accomplir de tels attentats... il faut être plus grand, et plus fort, et plus hardi qu'on ne l'est généralement dans le petit cercle où s'agitent ces petits projets... Louis-Napoléon a prêté un serment solennel à la face du peuple, nous avons été témoins de l'émotion avec laquelle il prononça ce serment... Il nous répugne de croire légèrement qu'un homme se déshonore de gaieté de cœur. Le Times déclare que parmi les officiers généraux il n'en est pas un qui risquerait quoi que ce soit pour le Président qui est entouré d'une armée qu'il n'a pas créée et qu'il ne commande pas... et qu'il dépend de la circonstance la plus obscure que les troupes l'élèvent sur le pavois impérial, ou le conduisent à Vincennes. La Liberté[28] est condamnée à 2.000 francs d'amende pour ses articles sur le coup d'État. Si, dit-elle, par impossible ce coup d'État s'accomplissait un jour, aurait-on la loyauté de nous rendre notre argent ? La République (21 février 1850) donne la note vraie en disant que l'Élysée a un but qui lui est propre et que la majorité en a deux ; que les trois politiques en présence visent toutes quelque chose qui se trouve en dehors et au delà de la Constitution ; que l'Élysée est plus pressé, plus impatient ; que les deux fractions de la majorité, au contraire, ajourneraient volontiers la réalisation de leurs espérances ; mais qu'au fond personne dans cet étrange gouvernement ne se soucie beaucoup de la République ni de la Constitution. A ces réflexions il faut ajouter celle-ci pour que la situation soit exposée dans toute sa réalité, c'est que le prince avait le pays pour lui ; — tandis que les deux autres partis ne l'avaient pas, — le pays qui lui tendait les bras, qui l'appelait son sauveur, et qui n'entendait point se priver de ses services. — Au commencement du mois de mars paraît une brochure qui
fait beaucoup de bruit. Elle a pour titre : Révision légale de la
Constitution et est signée : F. N. Vaucorbeil. Celui-ci est le
bibliothécaire de l'Élysée, et l'on comprend alors facilement l'émotion causée
par cette publication. La Constitution de 1848,
y lisait-on, a multiplié autant qu'elle a pu les
prérogatives du pouvoir législatif, et cela nécessairement aux dépens du
pouvoir exécutif qu'elle semble dans sa sagesse avoir voulu rendre
impossible... Aujourd'hui, au milieu des périls et des embarras qui nous
pressent, si la majorité refuse son concours au pouvoir exécutif pour réviser
la Constitution, celui-ci a le droit de se mettre au-dessus du refus et d'en
appeler au pays... On s'abuse étrangement si l'on croit que sous un régime
démocratique le pouvoir législatif doit avoir le pas sur le pouvoir exécutif.
C'est là précisément le contraire. Sans doute le peuple fait preuve de
confiance envers ses représentants.., mais il en donne une bien autre marque
au pouvoir exécutif ; il le revêt de sa force et de sa volonté ! Il remet
volontairement dans ses mains tout ce qui constitue matériellement la
puissance. Il est si absolu dans sa foi qu'il lui donne ce qui peut
l'asservir et l'écraser... Si, nommé pour agir, on veut le tenir immobile dans
un cercle de difficultés et de contradictions, son droit est de rompre et de
franchir ces barrières... Donc il faut que le pouvoir exécutif soit prêt à
tout événement et en mesure de se transformer d'un jour à l'autre... Si l'un
des deux pouvoirs manque de résolution, il faut que l'autre en ait. Que cc
pouvoir dont notre salut dépend ait donc la force de nous sauver ; s'il le
peut, il le doit ! Le National (9 mars)
juge ainsi ce travail : ... M. Vaucorbeil demande
tout simplement la constitution de l'Empire, à cela près qu'il ne parle pas
de l'Empereur. Il réserve ce point pour une autre occasion... Qu'avons-nous
vu autre chose depuis une année que des tentatives de ce genre, inopinément
hasardées, afin de tâter l'opinion, puis hypocritement désavouées devant
l'indignation publique, pour être bientôt renouvelées sous une autre forme ?
La République (10 mars) s'écrie
: Va-t-on nous refaire l'Empire sans l'Empereur, le
despotisme moins la gloire ? Adorerons-nous l'ambition sans le génie et les
bottes du grand hommes coiffées de son petit chapeau ? Ah ! la France n'est
pas encore réduite à subir une dictature de carnaval !... L'Union
(9 mars) n'est pas moins irritée : Un nouveau cri de guerre, un appel insensé à la violence
et aux coups d'État vient encore une fois d'éclater au milieu de nous. Il
s'agit d'une sorte d'audacieux pamphlet qui met depuis deux jours le monde
politique en émoi. Si les hommes de l'Élysée sont étrangers au livre de M.
Vaucorbeil, qu'ils le déclarent avec franchise ; si au contraire ils l'ont
autorisé,... qu'ils cessent de crier à la défiance ou au mauvais vouloir des
partis modérés. Cette défiance devient naturelle ; cette défiance n'est que
trop justifiée. Pour le Siècle (9
mars), il ne peut y avoir un homme qui refuse
de comprendre. Légitimistes, voulez-vous une parodie de l'Empire ?
Orléanistes, voulez-vous un despotisme ridicule ? Hommes d'ordre, voulez-vous
le chaos ? En présence de pareilles publications qui ne font que reproduire
plus insolemment des velléités déjà indiscrètes, vous avez un grand devoir à
remplir... L'opinion (10 mars) est aujourd'hui que l'Élysée se regarde comme supérieur à
l'Assemblée législative, à toute l'administration, à la presse, aux anciens
et aux nouveaux partis. Cette supériorité qui n'existe aujourd'hui que dans
une suffisance toute personnelle voudra passer dans la Constitution... Tout
le monde sait que l'Elysée a rayé d'avance le -mot monarchie et qu'il y a
substitué celui d'Empire... Que restera-t-il donc debout ? Un homme et une
étoile ! L'insuffisance et la superstition... ! Le pape Pie VII (11 mars) disait au
grand Napoléon : Comediente ! Que dit le pape Pie IX de l'Élysée ? La Gazette
de France estime qu'un coup d'État n'est pas à craindre ; que,
d'ailleurs, il n'aurait aucune base pour s'établir ; que, le lendemain, la
guerre civile éclaterait dans les quatre parties de la France, et que ce
n'est pas l'Empire qui en sortirait finalement. Pour répondre à la brochure Vaucorbeil l'Événement publie le tableau suivant :
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[1] Voir le numéro de 26 novembre 1849.
[2] 24 novembre. — Ce journal disait déjà quelques jours auparavant : De sourdes rumeurs de coups d'État commencent de nouveau à se répandre dans les faubourgs... On parait compter sur le concours d'une des plus hautes sommités militaires qui se déciderait enfin à tenir des engagements pris antérieurement...
[3] Le Président ne songe pas à un coup d'État. Il ne parle pas de cet empire dont toutes les trompettes de l'Élysée annoncent l'avènement autour de lui. Mais le coup d'État résultera de la force des choses... (Léon Faucher à M. Henry Reeve, esquire, 13 novembre 1849.)
[4] Pierre Bonaparte, étant revenu d'Algérie sans permission, est révoqué du grade militaire à lui conféré par le gouvernement provisoire. Dans la séance du 22 novembre il interpelle à ce sujet le ministère et dit qu'il est rentré en France pour exercer son mandat de député, puis il ajoute : L'exercice du droit imprescriptible que je viens de dire m'a paru d'autant plus opportun que dans ma conviction nos institutions républicaines auxquelles je suis voué corps et âme sont sur le point de courir des dangers. (Mouvements.) ... C'est... de ses familiers surtout que je me défie... Et si vous exigez que je vous nomme celui à qui l'on doit principalement attribuer tout ce que le Président fait de déplorable, je le nommerai ; c'est Fialin, dit de Persigny.
[5] On colporte un mot attribué à M. de Persigny qui vient d'être chargé d'une mission à Berlin : Je l'ai fait représentant et président malgré lui, il n'est pas prudent que je quitte Paris avant de l'avoir fait empereur malgré lui, et celui-ci de Rachel, l'illustre tragédienne, à qui l'on demandait si elle n'allait pas s'épanouir aux rayons de l'empire de Russie : L'Empire ? j'aime mieux l'attendre à Paris !
[6] Né à Riom, le 30 novembre 1814, fils d'un avoué ; avocat à Riom, candidat à la députation en 1846 sous les auspices de M. Guizot ; élu en 1848.
[7] La Gazette (7 novembre 1849) dit : Les revues militaires, les parades et les grandes manœuvres se succèdent... On voit où cela va...
[8] A cette soirée on remarquait une Anglaise, miss Burdett Coutts, passant pour avoir une fortune de 50 millions et pour avoir facilité l'évasion de Ham. (Voir la Démocratie pacifique du 5 novembre.) Que cette personne eût aidé le prince de sa bourse en diverses circonstances, c'est possible ; mais son concours dans l'évasion de Ham ne parait établi aucunement. On prétend que le prince avait voulu l'épouser. C'était la petite-fille du richissime banquier Thomas Coutts, née à Londres le 25 avril 1814 ; elle vivait encore en 1878, après avoir consacré sa fortune à des œuvres de bienfaisance, reçu le droit de bourgeoisie de Londres et d'Édimbourg, ainsi que le grand cordon du Medjidié.
[9] Les légitimistes y étaient fort peu nombreux. (Journal le Temps.)
[10] Voir la Presse du 15 novembre 1849.
[11] Voir le Corsaire. — L'opposition de M. Thiers s'affirme. Il devient un adversaire irréconciliable, il va remuer ciel et terre pour empêcher l'Empire ; niais... en même temps, à la quatrième page des journaux (voir notamment la Gazette de France du 3 décembre), on lit en gros caractères l'annonce suivante : HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE, par M. A. THIERS (nouvelle livraison).
[12] Voir la Presse.
[13] Les meneurs du parti légitimiste ont prétendu... que c'était par tactique qu'ils avaient fait élire M. Louis Bonaparte, pour lui faire essuyer les plâtres de la Restauration. (L'Ordre, 4. décembre 1849.) — L'Académie française, au sujet de l'élection du duc de Noailles, discute longuement et finit par résoudre affirmativement la question de savoir si le nouveau récipiendaire ferait au Président la visite d'usage.
[14] Langage prophétique.
[15] Le 11 juillet précédent, Aristide Ferrère avait été poursuivi devant le jury pour attentat contre la Constitution, etc., commis par l'envoi de ses cinquième et sixième circulaires. Il est défendu par Me Chais d'Est-Ange qui plaide que l'inculpé a fait la chose la plus simple, la plus naturelle, la plus légitime du monde. Il a dit au prince : Votre titre ne nous plait pas ; vous vous appelez président, c'est mauvais ; nous avions un président de l'Assemblée, des présidents de cours et une foule d'autres présidents ; nous voulons un nom qui frappe l'imagination et réagisse sur l'esprit des masses ; vous vous appellerez Empereur. Et je n'aurais pas le droit de dire cela, de le discuter, de l'écrire et de le publier ! Aristide Ferrer fut acquitté è l'unanimité.
[16] Journal de Victor Hugo, Vacquerie, Meurice.
[17] On trouve dans le Napoléon des choses comme celles-ci : ... Au cirque, on joue Bonaparte, ou Les premières pages d'une grande histoire (Taillade fait Bonaparte ; auteurs : Fabrice, Labrousse, Albert)... C'est un succès de cent cinquante représentations ! Les grands et les petits s'amusent, et tous les partis applaudissent. Décidément le nom est magique... — Une pièce de vers qui se termine ainsi :
Haletante, éperdue, au versant de l'abîme,
On la (la France) voit s'arrêter dans un élan sublime
Pour vous tendre les bras !
O vous qu'elle appela sans sceptre, sans couronne,
N'ayant de force en vous que celle que Dieu donne,
Vous, entre tous choisi,
Guidez-nous, simple et fort, vers la terre promise ;
Vous nous y conduirez comme un nouveau Moise,
Si Dieu le veut ainsi.
Mélanie WALDOR.
Rédacteurs du Napoléon : Léon Laya, Lherminier, Romieus, d'Alaux, Grégoire, Bruguet, Monclar, Reybaud, Lafont, Damery, Briffault.
[18] Il disait alors : En me portant au pouvoir, les populations ont voulu faire prévaloir les idées que représente mon nom. Le peuple, qui se préoccupe peu de la Constitution, a entendu faire un président plus grand que la présidence, et ce qui me revient de divers côtés me prouve même que beaucoup ont cru me nommer empereur, s'imaginent que je le suis, et se demandent pourquoi je n'en prends pas le titre... Pénétré de la force de mon principe et de l'étendue de ma mission... certain d'arriver... je ne suis pas pressé de partir. (GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, p. 39.)
[19] La Réforme est saisie le 12 janvier 1850. Elle venait de fusionner avec la Révolution démocratique et sociale.
[20] L'Opinion se moque de l'Indépendance belge qui passait pour recevoir des informations directes du cabinet du Président, parce qu'elle avait annoncé que celui-ci avait assisté à une première à la Porte-Saint-Martin et qu'une foule nombreuse l'avait acclamé, alors que la représentation n'avait pas eu lieu.
[21] Voir l'Ordre du 21 janvier.
[22] V. le chapitre du 1er vol. : Le bonapartisme sous le gouvernement de Juillet.
[23] L'article 55 de la Constitution ne lui donnait le droit de faire grâce qu'à des condamnés et non à des transportés.
[24] Dans cette discussion se produisit l'incident suivant : Ferdinand Barrot, ministre de l'intérieur, disait : Il faut que les insurgés sachent qu'ils auront pour compagnons des forçats. Et Jules Favre de s'écrier : Il y avait donc des forçats à Strasbourg ? Le ministre continue : C'est là le malheur, l'inévitable malheur, l'inévitable déshonneur des révoltes publiques. Et un membre de dire : C'est bien maladroit. Grévy d'ajouter : Les insurgés que vous avez défendus étaient donc des forçats ? Et la gauche de crier encore : Et Boulogne ! et Strasbourg !
[25] Voir le message de juin 1849. — Voir en novembre 1849 projet sur les caisses de retraites. — Voir aussi projet Lestiboudois.
[26] Fondant la liberté d'enseignement et permettant, dès lors, aux membres du clergé et même aux congrégations religieuses d'ouvrir des établissements ; admettant en outre des ecclésiastiques dans les différents conseils de l'administration de l'instruction publique.
[27] Au sujet de cette augmentation de solde, M. Mathieu de la Drôme disait : On procède comme on procédait à une autre époque pour asseoir une grande puissance ; on commence par concentrer tous les droits, tous les pouvoirs, et en même temps on donne des gages à l'armée. C'est par ces moyens qu'on arriva, à une autre époque, à se débarrasser des pouvoirs constitutionnels.
[28] 16 février 1850. Saisie le lendemain ; elle cesse alors son opposition ardente et devient un organe légitimiste prêchant la fusion.