NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME SECOND

 

CHAPITRE XIII. — LE PRÉSIDENT ET L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE JUSQU'AU MESSAGE DU 31 OCTOBRE 1849.

 

 

II

Affaire de Rome. — Lettre à Edgard Ney. — Ingratitude incroyable du gouvernement papal. — La politique qu'on aurait toujours dû suivre à l'égard de l'Italie. — Inconstitutionnalité de la politique personnelle du Président. — Les journaux, sauf le Siècle et les feuilles bonapartistes, opinent dans ce sens. — Les journaux anglais et la Presse de Vienne approuvent la lettre présidentielle. — Il en est de mérite de Dufaure, de Lamartine. — Banquet de l'Exposition ; discours du Président. — Septembre, inauguration du chemin de fer de Paris à Épernay ; le Siècle, la Gazette de France, la Démocratie pacifique. Inauguration du chemin de fer de Paris à Sens ; réponse du Président au curé de la cathédrale de Melun ; allocutions de l'archevêque, du maire de Sens ; réponse du Président. — Les Débats : sur les cris de : Vive l'Empereur ! — Le Crédit, la Gazette de France ne croient pas à un coup d'État ; la majorité des feuilles départementales ne regardent pas comme possible le rétablissement de l'Empire. — Langage provocant du Dix Décembre, qui fait entendre que le peuple a voté l'Empire. — 13 septembre, allocution du Président à la cérémonie de la distribution des récompenses aux artistes. — Fin septembre, la Société du 10 décembre ; ce qu'en dit la Liberté. — Octobre, revue au Champ de Mars ; inspection de la caserne du quai d'Orsay ; visite d'ateliers au faubourg Saint-Antoine. — 1er octobre, l'Assemblée reprend ses travaux ; discussion sur les affaires de Rome ; M. de Tocqueville, M. Mathieu de la Drôme. — MM. Thiers et Bixio. — Lettre du prince à M. Odilon Barrot ; ce que dit celui-ci dans ses Mémoires. — Le prince veut secouer la tutelle des chefs des anciens partis ; le journal la Mode, la Démocratie pacifique. — Réflexions de la Gazette de France sur une correspondance d'un journal belge, l'Europe monarchique, où il est dit qu'on s'attend partout à un coup d'État, qui d'ailleurs s'impose. Revue de Saint-Germain en Laye. — Message du 31 octobre 1849. — Sa portée. — Grand effet. — Chant de victoire des journaux bonapartistes, cri d'alarme des autres. — La presse de province. — Le nouveau ministère, sa déclaration devant l'Assemblée ; le Dix Décembre et le Constitutionnel sont seuls à le soutenir ; sarcasmes des journaux. — La déclaration explicite de la responsabilité du chef de l'État par la Constitution était Une faute, parce qu'elle était inutile et qu'elle prêtait à la manœuvre du parti bonapartiste de soutenir la légalité du gouvernement personnel. — Le prince a le pays pour lui. — La lutte s'engage entre le prince soutenu par la nation, et l'Assemblée soutenue par la presse.

 

De Gaëte le Pape avait, en attendant son retour, envoyé à Rome une commission de gouvernement composée des trois cardinaux Della Genga, Altieri et Vannicelli. Les mesures prises par elle ne comprenant aucune concession au libéralisme, et, dès lors, ne répondant pas aux vues du prince, celui-ci de son propre mouvement adressa[1] au lieutenant-colonel Edgard Ney, son officier d'ordonnance, en mission à Rome, la lettre suivante : Mon cher Ney, la République française n'a pas envoyé une armée à Rome pour y étouffer la liberté italienne, mais au contraire pour la régler... et pour lui donner une base solide en remettant sur le trône pontifical le prince qui le premier s'était placé hardiment à la tête de toutes les réformes utiles. J'apprends avec peine que les intentions bienveillantes du Saint-Père, comme notre propre action, restent stériles, en présence de passions et d'influences hostiles. On voudrait donner comme base à la rentrée du Pape la proscription et la tyrannie. Dites de ma part au général Rostolan qu'il ne doit pas permettre qu'à l'ombre du drapeau tricolore on commette aucun acte qui puisse dénaturer le caractère de notre intervention. Je résume ainsi le rétablissement du pouvoir temporel du Pape : Amnistie générale, sécularisation de l'administration, code Napoléon et gouvernement libéral. J'ai été personnellement blessé, en- lisant la proclamation des trois cardinaux, de voir qu'il n'était même pas fait mention du nom de la France, ni des souffrances de nos braves soldats. Toute insulte faite à notre drapeau ou à notre uniforme me va droit au cœur, et je vous prie de bien faire savoir que, si la France ne vend pas ses services, elle exige au moins qu'on lui sache gré de ses sacrifices et de son abnégation. Lorsque nos armes firent le tourde l'Europe, elles laissèrent partout, comme trace de leur passage, la destruction des abus de la féodalité et les germes de la liberté ; il ne sera pas dit qu'en 1849 une armée française ait pu agir dans un autre sens et amener d'autres résultats...

Le prince ne pouvait contenter tout le monde. À vouloir concilier des choses incompossibles, à vouloir marier l'eau et le feu, on risque d'échouer ou de ne réussir qu'à moitié, et finalement de se nuire grandement à soi-même ; c'est ce qui arriva, c'est ce qui devait arriver encore sous l'Empire avec ces malheureuses affaires d'Italie. Une politique sage, avisée, vraiment française, non sottement inspirée par un don quichottisme humanitaire, n'aurait jamais dû consister vis-à-vis de ce pays que dans une neutralité bienveillante, mais favorable au maintien du fédéralisme... Quoi qu'il en soit, on croyait devoir verser le sang de la France pour la papauté, et la papauté n'avait pas un mot de remerciement pour nous ! Il est vrai que si on rendait au Pape ses États, ce qui était probablement peu de chose, on lui demandait quelques réformes libérales, ce qui était sans doute énorme. De là le silence, de là le mécontentement. Les Italiens nous montraient déjà qu'ils élevaient l'ingratitude à la hauteur d'une vertu nationale. En France, les catholiques ardents faisaient mauvais accueil à cette lettre, et les républicains avancés n'y trouvaient aucune satisfaction. En définitive, dans les deux pays personne n'était vraiment content.

D'un autre côté, cette lettre du prince était l'affirmation d'une politique personnelle, ce qui n'était pas constitutionnel. Cette incorrection flagrante était relevée par la presse. La Gazette de France (9 septembre) disait : La publication dans le Moniteur de la lettre à M. Edgard Ney... engage la France... Les intérêts d'une nation de trente-cinq millions d'âmes ne peuvent pas dépendre d'une action individuelle... La forme impérialiste de cette lettre, la position personnelle qu'elle fait prendre à son auteur, la nature des sympathies et des passions auxquelles elle s'adresse visiblement mettent ce document plutôt en harmonie avec les projets attribués... à une certaine camarilla qu'avec les négociations diplomatiques... C'est une lettre dans laquelle le pouvoir exécutif se pose en pouvoir gouvernemental et quasi en empereur... La publicité (8 septembre) donnée à cette lettre est une faute grave... c'est une usurpation... La Patrie elle-même reconnaît que le Président n'a pas respecté les prescriptions de la Constitution en ne prenant pas l'avis du conseil des ministres. Le National (9 septembre) remarque la prétention déjà affichée par le Président de couvrir de sa personne la figure universelle de la France... On n'a pas oublié, ajoute-t-il, l'émotion que produisit au sein de l'Assemblée et dans le public la lettre adressée au général Oudinot. On la considéra comme une usurpation... M. Barrot affirma que c'était... une lettre privée... (Celle) d'hier... n'engage-t-elle pas la politique du gouvernement ? Certes ! Mais alors qu'on nous dise pourquoi elle a paru sans la signature d'un ministre... La pensée que révèle cette seconde intervention du Président éveille les soupçons, justifie les alarmes... Le pays n'a pas substitué la République à la monarchie pour voir de nouveau ses affaires dirigées par un seul. homme... La République demande si le Président a le droit de prendre seul des mesures qui peuvent conduire à la guerre, et lui reproche de trop se mettre en scène : Il s'étonne ! il est personnellement blessé ! il espère ! il veut ! il fait remercier l'armée en son nom ! Tout cela sent d'une lieue le conquérant, l'autocrate !... L'Univers (8 septembre) abandonne le Président : Depuis le 10 décembre, dit-il, et même depuis le 25 février 1848, M. Louis Bonaparte, donnant à ses antécédents le plus glorieux démenti, n'avait pas commis une faute politique ! Sa conduite excitait l'étonnement du monde et justifiait sa fortune. Un grand acte surtout lui était dû. L'expédition de Rome... le plaçait à la tête des plus énergiques et des plus intelligents défenseurs de l'ordre social. En restaurant le Pape, M. Bonaparte maintenait la clef de voûte de l'édifice européen et s'ouvrait à lui-même un immense avenir de gloire. Cet avenir, il le ferme aujourd'hui. Que ceux qui ont été tentés de croire aux destinées de M. Louis Bonaparte... fassent comme nous, qu'ils renoncent à ce rêve... L'Opinion publique demande : Qu'est-ce donc que cette lettre personnelle du Président de la République à un de ses aides de camp, au lieu d'une démarche régulière de gouvernement à gouvernement ? Pourquoi cette mise en scène napoléonienne ? La Liberté (9 septembre) s'écrie : ... Il était plus simple et moins dangereux de rester ce que vous étiez — du moins dans vos écrits —, un bon et franc démocrate, un socialiste pratique, un patriote courageux, au lieu de vous mettre à la suite de toutes les vieilles coteries royalistes des vieux voltigeurs de Gand et des vieilles dévotes du faubourg Saint-Germain... Pour la Démocratie pacifique (10 et 12 septembre) : La lettre du Président doit apprendre au grand parti de l'ordre combien ses bases étaient fragiles, combien était éphémère cette coalition que le souffle de M. Louis Bonaparte ébranle et qui tombera demain comme un château de cartes... Vous avez habitué le pouvoir présidentiel à s'affranchir du contrôle des assemblées dont il devait être l'instrument docile ; vous l'avez applaudi quand il s'est joué de l'Assemblée constituante, et quand, le lendemain d'un vote de blâme contre l'expédition romaine, il a, dans une lettre fameuse, excité l'armée à poursuivre en lui promettant des renforts. Eh bien ! ce pouvoir individuel absolu que vous avez créé se retourne aujourd'hui contre vous... Vous êtes ridicules d'inconséquence en vous plaignant de cette candidature. Vous avez trouvé charmant que la République s'absorbât dans un homme tant que cet homme a paru servir vos préjugés et vos passions rétrogrades. Aujourd'hui, vous êtes malvenus à vous plaindre de ce gouvernement personnel qui dédaigne votre majorité... La Gazette se plaint !... Quand elle épaulait de tous ses efforts la candidature de M. Louis Bonaparte, elle savait bien qu'il faudrait s'attendre à quelques réminiscences impériales... A voir l'aigreur des journaux religieux... on est obligé de croire que M. de Montalembert ne ferait plus à M. Louis Bonaparte l'honneur de le comparer à un tronc d'arbre arrêtant le char de l'État sur la pente du précipice. C'était une image tracée avant la lettre...  Le parti catholique (19 septembre) est bien ingrat de se tant courroucer pour une lettre qui ne rallie pas au Président un seul républicain sérieux. Le Siècle est un des rares journaux qui approuvent la lettre à Edgard Ney : ... Cet orgueil du drapeau, cette sollicitude hardie pour les intérêts extérieurs et la dignité de la France, répondent aux meilleurs instincts de notre pays[2]... Lamartine[3] qualifie la fameuse lettre de parole franche, nette, impérieuse, (éclatant) au milieu des réticences et des arguties diplomatiques de la petite cour de Gaète... d'amendement, de remords de l'affaire de Rome... (ce qui) relève l'attitude de notre armée, sépare la cause de la France du despotisme clérical, pose au Gouvernement du Pape des conditions fermes et libérales comme une sommation de l'esprit moderne à l'absolutisme.

La presse anglaise est presque tout entière favorable au prince. Pour le Morning-Post : ... L'attitude prise par M. Louis Bonaparte est digne... la politique indiquée dans la lettre... est précisément celle qui convient le mieux pour réhabiliter l'honneur de la France et pour assurer le bien-être et la tranquillité de Rome... Pour le Globe : ... La lettre au colonel Ney est sous tous les rapports un document remarquable, mais au point de vue constitutionnel elle peut soulever des objections... Pour le Times : L'effet produit... est bon... les ultra-réactionnaires et les légitimistes seront fort désappointés... Le Daily-News ne pense pas que le prince dans sa position ait tort de rechercher la popularité et le pouvoir. Jusqu'à présent il a flotté entre les libéraux et les conservateurs... il n'a pu se concilier la sympathie... des hommes sérieux d'aucun parti. Il a repris le rôle de Louis-Philippe sans avoir cette puissance qui lui permettait de jouer le Machiavel ; une pareille répétition d'un rôle usé ne saurait réussir, et, d'après la lettre au colonel Edgard Ney, nous croyons que le Président commence à s'en apercevoir... Il a entrepris l'expédition de Rome surtout pour se concilier l'influence des catholiques... et maintenant il est obligé de tourner la force de son armée contre le clergé pour recouvrer sa popularité... Quant au Morning-Herald, il condamne l'expédition romaine qui a rendu odieux le nom de la France. Le Standard dit que tout Français approuvera la lettre au fond, bien qu'il puisse trouver à redire sur le ton impérial du Président. Citons enfin la Presse de Vienne, pour qui la France ne saurait parler autrement, à moins de renier tous ses principes.

Le Président assiste à un banquet donné à l'occasion d'une Exposition de l'industrie, et il en profite pour affirmer dans un toast ses idées de paix : On se console d'être arrivé à une époque à laquelle est réservée une autre gloire que celle des armes... Aujourd'hui, c'est par le perfectionnement de l'industrie, par les conquêtes du commerce qu'il faut lutter avec le Inonde entier... Il ajoute, d'une part pour répondre à l'accusation de socialisme portée contre lui, et d'autre part pour marquer sa sollicitude en faveur des classes laborieuses : ... N'oubliez pas de répandre parmi les ouvriers les saines doctrines de l'économie politique ; en leur faisant une juste part dans la rétribution du travail, prouvez-leur que l'intérêt du riche n'est pas opposé à l'intérêt du pauvre[4]...

Au commencement de septembre, il inaugure le chemin de fer de Paris à Épernay. A toutes les stations les gardes nationaux sont sous les armes, et une foule nombreuse borde les deux côtés de la ligne. Quand le convoi passe en ralentissant sa marche, les tambours battent aux champs, les clairons sonnent, un universel cri de : Vive Napoléon ! se fait entendre. A Lagny, le Président passe en revue dans la cour de la gare la garde nationale et les pompiers ; à la Ferté-sous-Jouarre et à Château-Thierry, où l'évêque de Soissons, Mgr Garsigny, vient le saluer, on entend quelques cris de : Vive l'Empereur ![5] A Meaux, le Président avait été complimenté par l'évêque, Mgr Allou. Nous avons recueilli, disait-il, avec consolation les paroles pleines de foi que vous avez fait entendre en plusieurs occasions, et nous aimons à nous confier dans la sagesse d'un gouvernement qui comprend que la religion est la seule base solide de l'ordre social et la plus sûre garantie du bonheur des peuples[6]. — Plus on avance dans la Champagne, plus l'enthousiasme semble augmenter. Les souvenirs des gloires de l'Empire vivent encore tout entiers dans le cœur des populations. A Épernay, l'évêque de Châlons, Mgr Prilly, dit au prince : ... Soyez béni, vous qui prenez pour nous tant de à  soins et qui faites tous les jours de si grandes choses ! Le souvenir en vivra à jamais dans tous les cœurs, et surtout celui de cette magnifique expédition de Rome dont vous fûtes le premier auteur et qui a comblé de joie la France et le monde chrétien.... — Dans ce dernier voyage, dit le Siècle (11 septembre), M. le Président n'a pas encore prononcé le nom de la République. Nous n'aurions pas la puérilité de le remarquer, si un grand nombre de personnes ne continuaient de s'étonner de ce véritable tour de force ; elles aimeraient mieux avoir à résoudre ce fameux problème d'écrire une longue lettre sans a ou sans quelque autre voyelle. Peine perdue dans les deux cas...

Quelques jours après, le Président inaugure le chemin de fer de Paris à Sens (ligne de Lyon). A Brunoy, il passe la revue des gardes nationaux, au milieu de cris enthousiastes, dans une prairie ornée d'oriflammes, de banderoles tricolores et d'immenses jardinières chargées de fleurs[7]. A Me/un, il répond au curé de la cathédrale : ... C'est avec confiance que je place mon gouvernement sous la protection de Dieu. Ces voyages me fournissent aussi l'occasion de connaitre le clergé et d'apprécier ses vertus. A Fontainebleau, à Montereau, il passe devant le front de plusieurs milliers de gardes nationaux qui l'acclament avec frénésie. A Sens, terme du voyage, l'archevêque, Mgr Mellon de Joly, le salue en ces termes : Bénissez, mon Dieu, celui qui par vous a obtenu six millions de suffrages librement exprimés. Le maire, au banquet, dit en parlant du Président qui l'écoute : ... Voyez ! sa seule présence ici a déjà réveillé dans nos patriotiques populations toutes les idées de gloire, tous les nobles sentiments d'un passé dont l'immortelle tradition doit faire à tout jamais l'orgueil des fiers enfants de la France. Et c'est son nom, son nom seul, qui exerce ce prestige, cette sorte de fascination qui rappelle tous les glorieux souvenirs, qui remue si profondément dans tous les cœurs ces élans d'éternelle reconnaissance pour le grand homme... dont le génie tout-puissant sut faire de la nation française le premier peuple du monde... Il y a des souvenirs qui ne meurent jamais !... Le Président répond : Il y a un an, à pareille époque, j'étais exilé, proscrit... Aujourd'hui, je suis le chef reconnu de la grande nation... Qui a produit ce changement clans ma destinée ?... c'est le département de l'Yonne... Vous vous êtes dit que, étranger à tous les partis, je n'étais hostile à aucun, et qu'en réunissant sous le même drapeau tous les hommes dévoués à notre patrie je pourrais servir de point de ralliement dans un moment où les partis semblaient acharnés les uns contre les autres... Je ne vous remercie pas de m'avoir donné le pouvoir. Le pouvoir est un lourd fardeau. Ce dont je vous remercie, c'est de m'avoir ouvert les portes de ma patrie...

Les Débats (10 septembre), au sujet des cris de : Vive l'Empereur ! font cette réflexion : Après les excès de l'anarchie, le peuple se jette dans les excès contraires, et quand on l'a saturé de désordre, il finit par demander plus que de l'ordre. A qui la faute ?

Dans le discours de Sens, le Président faisait appel à la concorde, à la fusion des partis, à la continuation de la trêve. Il ne pouvait tenir un langage plus sage, plus politique. Dans cette tâche si ingrate et si difficile de concilier des éléments paraissant inconciliables, ne semblait-il pas réussir ? La France a le repos, la sécurité ; elle dort tranquille et sûre du lendemain ; les affaires reprennent. Dès là que le prince a été élu président, pourquoi ce régime bienfaisant se terminerait-il à brève échéance ? Pourquoi ce provisoire ne se perpétuerait-il point ? Pourquoi, tout au moins, un nouveau bail ne serait-il point fait avec le principat de Louis-Napoléon ? Au fond, c'est là ce que l'immense majorité du pays se disait, et c'est là ce que le prince se disait à lui-même.

Mais les cris de Vive l'Empereur ! ravivent cette question toujours brûlante du rétablissement de l'Empire et d'un coup d'État. Pourquoi, dit le journal le Crédit (12 septembre), M. Louis Bonaparte voudrait-il jouer le râle d'un despote ? Pourquoi imaginer que le Napoléon de 1849... va recommencer l'Empire ? Après ce qu'il nous a fait connaître de lui, depuis le 10 décembre, après ses lettres, ses discours, une pareille supposition n'a... aucune vraisemblance... (Nous devons) (29 septembre) rendre justice au bon sens, à la droiture qu'il a montrés... depuis le 10 décembre... Non ! nous ne croyons pas au danger d'une usurpation !... Nous prenons très au sérieux la déclaration spontanée (faite) à Ham... Cette déclaration a été un engagement solennel... Pourquoi... trahirait-il la République ?... Nous croyons (30 septembre) désormais injurieuse et ridicule toute crainte d'entreprise illégale, de coup de main, d'usurpation. Imaginer qu'aujourd'hui... l'armée pourrait abdiquer ses droits, fouler aux pieds ses serments et servir les hallucinations... d'un fou, d'un démoniaque qui, après la déclaration de Ham, mériterait d'être conduit à Charenton, et penser que la France le souffrirait, c'est méconnaître l'esprit du soldat et du travailleur. La Gazette de France (25 septembre) ne redoute pas un coup d'État ; elle estime que cette tentative ne pourrait avoir d'autre résultat que la chute à jamais définitive de la famille Bonaparte, et que le Président ne voudra pas certainement risquer mi pareil enjeu. Elle ajoute que les républicains de toute nuance descendraient dans la rue, et que peut-être ils ne s'y trouveraient pas seuls ! Pour elle, M. Louis Bonaparte est trop honnête homme pour commettre un pareil crime. Le serment qu'il a prêté, ses paroles à Ham, son honneur, sa position même le lui interdisent... La garde nationale n'appuierait pas une pareille folie. L'armée ne s'engagerait pas contre l'Assemblée nationale... A supposer que cette tentative insensée ait réussi... l'heureux révolté de la veille verrait commencer son martyre... Il aurait presque tout le monde contre lui, car il ne lui resterait plus que quelques invalides passés à l'état de momies et quelques orléanistes toujours disposés à accepter les faits accomplis... La présidence décennale pour atteindre la majorité du comte de Paris, voilà le plan de la coalition...

La presse départementale traite aussi d'une façon continue cette question de l'Empire. En grande majorité, reflet de la presse parisienne, elle combat avec acharnement cette idée de voir en Louis Bonaparte un successeur de Napoléon Ier. L'Étoile du Roussillon nous offre un échantillon de cette polémique : Dix armées d'empire ont valu au pays dix années de servage, sept milliards de dépenses publiques et le sacrifice de quatre cent mille héros. A ce cruel tableau ravissez son cadre de gloire... écartez l'image du colosse... et dites si vous acceptez, cédant au seul prestige du nom, l'éventualité d'une pareille somme de revers et de sacrifices. A qui faudrait-il rappeler qu'au jour où Napoléon le Grand prit le diadème de la France, sa tête était déjà parée d'une autre couronne, couronne épaisse de laurier dont chaque feuille portait le nom d'une grande victoire, Montenotte, Castiglione, Millesimo, Arcole, Rivoli, Mondovi, les Pyramides, Aboukir, Montebello, Marengo ? Quel pendant offrir aujourd'hui à une usurpation environnée de tant de splendeurs ?

Il faut dire que le langage des journaux bonapartistes était bien fait pour exciter les défiances, faire naître les soupçons et justifier les colères. Le Dix Décembre (2 septembre) notamment ne disait-il pas : La Vierge représente tous les dévouements, toutes les miséricordes, par la même raison que Napoléon réunit en sa personne le talent démocratique arrivé à son apogée et revêtu du prestige d'une autorité incontestable... L'Opinion publique, dit encore le Dix Décembre (9 septembre), a eu le malheur d'écrire ce matin cette phrase monstrueuse et ridicule : Au moment où on s'efforce de réhabiliter l'Empire... Sérieusement, peut-on répondre quelque chose à ces paroles dictées par une incroyable folie ? Réhabiliter l'Empire ! c'est-à-dire réhabiliter la gloire, la grandeur, la liberté, l'honneur national, le dévouement, le respect des lois et des traités, l'égalité devant les récompenses, l'orgueil abaissé, le génie tiré de l'obscurité, l'anarchie vaincue, et la France placée comme un phare éclatant au-dessus des destinées du monde... La Gazette, continue le Dix Décembre (15 septembre), oublie le vote du 10 octobre. Ce jour-là, la nation fut réellement consultée ; ce jour-là, qui l'empêchait d'écrire sur ses bulletins le nom de Henri de France ?... A qui la faute si, à cette heure grave du vote universel, le même éclair passa tout à coup devant les veux de six millions d'hommes et leur fit revoir dans un rêve soudain Arcole, Iéna, Marengo, Austerlitz, l'empire de Charlemagne fondé pour la seconde fois, la France élevée comme un phare au-dessus du monde ébloui, et enfin Sainte-Hélène, ce calvaire du géant par qui grandirent encore les destinées du Christ des batailles ?... La nation a parlé !... Il est dans l'histoire de ces moments où le vœu de tous et la Destinée visible désignent une tête marquée pour porter l'avenir des peuples ; à ces moments-là tout s'efface, et cette tête prédestinée est alors, en dépit de tous, la seule possible et vraiment légitime. Il dit encore : De même que le oui ou le non d'un juré veut dire quelquefois plus que oui ou non, de même le nom seul qui sort de l'urne électorale a souvent une signification immense en dehors même de la question posée et que le votant n'est pas libre de modifier à son gré. Nous n'avons pas à en dire davantage... Seulement le vote du 10 décembre a prouvé d'une façon péremptoire que tous les souvenirs, toutes les espérances, toutes les sympathies de la patrie se concentraient sur la famille de Napoléon, et que s'il s'agissait de fonder à nouveau un pouvoir stable, ce n'est pas aux descendants des Bourbons qu'elle s'adresserait... Qu'a de commun Napoléon avec Charlemagne ? Demandez-le aux peuples et aux poètes de tous les pays qu'un sublime instinct a poussés à associer ces deux noms que l'avenir ne séparera pas... Les ombres de la gloire de Napoléon... sont comme les taches du soleil : elles n'empêchent pas l'astre-roi d'échauffer, d'éclairer et de féconder le monde[8].

Le 13 septembre, le Président se rend à l'Exposition des beaux-arts et procède à la distribution des récompenses aux artistes. Il prononce une allocution où il déclare qu'il n'a voulu céder à personne le plaisir-et le droit de remettre les récompenses ;... que la plus douce prérogative du pouvoir, c'est d'encourager le mérite partout où il le rencontre ;... qu'il a admiré les chefs-d'œuvre offerts au public qu'il faut encourager, honorer les beaux-arts, car ce sont eux qui adoucissent les mœurs, élèvent l'âme, consolent dans les mauvais jours et embellissent les jours prospères.

À la fin de septembre, on voit se former une association dite de secours mutuels et dénommée Société du Dix Décembre, mais ayant en réalité pour but de soutenir le Président, de faire de la propagande bonapartiste, d'entretenir une agitation en faveur de la prorogation des pouvoirs et de concourir aux manifestations se produisant lors des sorties ou des déplacements du prince. Elle comptait parmi ses membres : MM. Abbatucci, de Padoue, le général Bar, Bataille, Louis-Lucien Bonaparte, Ferdinand Barrot[9], Belmontet, Brisson, Briffault[10], le colonel Bajieux, Bonjean, Conneau, l'abbé Coquereau, Delcro, Dubrac, Delessert, Desasart, le général Exelmans, Guillouet, Gauguier, Gonon, Godeaux, le général Hulot d'Oserv, Hvrvoix, Laity[11], le colonel Laborde, le colonel Langlois, Lucas, Laloue, Lepic[12], le général Montholon, le colonel Ney de la Moskowa, Nogent Saint-Laurens, Ornano, de Persigny[13], le général Piat, Peauger, Pascal[14], Poney, Patornv, le général Perrot, le général Raoul, de Saint-Georges, Sari, le colonel Thérion, le colonel de Tocqueville, le colonel Vaudrey[15], Wolowski.

Pour les pauvres, s'il vous plaît ! dit la Liberté. Le Français, né malin, pourra bien trouver quelque peu extraordinaire qu'on n'admette dans une société de bienfaisance que des bonapartistes notoirement connus ou des personnes attachées au service de la présidence. La curiosité publique pourra bien se demander si ce manteau de charité n'a pas été imaginé pour couvrir un complot impérialiste... Ressusciter l'Empire aujourd'hui... Allons donc !...

Le Président, au commencement d'octobre, passe, au Champ de Mars, une revue de l'infanterie de Paris ; il est acclamé par les troupes. Le 10 octobre, il va inspecter un régiment de dragons à la caserne du quai d'Orsay, où il reçoit un accueil enthousiaste. Le 15, accompagné du commandant Fleury et du capitaine Laity, il visite plusieurs ateliers du faubourg Saint-Antoine, notamment ceux de MM. Buron, opticien ; Durenne, fabricant de machines ; Masson, fabricant de faïences ; Krieger, fabricant d'ébénisterie. Il tient à se mettre en contact avec les ouvriers et à montrer sa sollicitude pour les intérêts du commerce et de l'industrie. Le 19, il visite, dans le He arrondissement, une cité ouvrière organisée sous son patronage.

L'Assemblée législative avait repris ses séances le 1er octobre. Dans la séance du 13, M. Thiers donne lecture de son rapport sur une demande de crédits supplémentaires destinés à l'expédition de Rome. Dans la séance du 18, M. de Tocqueville, au sujet de la discussion de ces 'crédits, est amené à s'expliquer sur la lettre du Président au colonel Edgard Ney : On nous a demandé, dit-il, si la politique exprimée par cette lettre était la nôtre... Je suis bien aise de répondre publiquement ici... que cette politique était exactement celle de nos dépêches... (Cette) lettre... nous ne l'avons jamais désavouée et nous ne la désavouerons jamais[16]...

M. Mathieu de la Drôme monte à la tribune pour appuyer le ministère et pour donner toute son approbation à la lettre du Président. Il était de ceux que révoltait la politique suivie par M. Thiers à l'égard du Président, qu'on avait la prétention de diriger et de tenir en tutelle, et auquel on ne pouvait permettre aucun acte d'indépendance. A un moment, il s'écrie : Ce n'est pas nous qui serons suspects de partialité en défendant le Président de la République, ce n'est pas nous qui lui avons prodigué tour à tour l'outrage et la louange. Ce n'est pas nous qui avons dit, à une certaine époque, que l'élection de M. Bonaparte serait une honte pour la France... Plusieurs membres à droite demandent : Qui a dit cela ? On répond à gauche : M. Thiers ! M. Thiers ! M. Mathieu de la Drôme continue : J'ai entendu attribuer ces paroles à l'honorable M. Thiers. — S'il les dément, il n'en sera plus question. — Et le Moniteur porte : M. Thiers : Je les démens ! — M. Bixio : Je l'ai entendu ! (Sensation marquée.) — M. Mathieu de la Drôme poursuit : Je dis : Ce n'est pas nous qui ensuite avons embouché les trompettes de la renommée en faveur de la candidature de M. Bonaparte, et cependant nous sommes prêts à défendre cette lettre... Elle est inconstitutionnelle, dit-on, parce qu'elle n'est pas revêtue du contreseing ministériel... Vous vous en êtes aperçus un peu tard. II fallait dire cela quand vous avez vu nos soldats marcher sur Rome ; vous avez trouvé bon que le pouvoir exécutif fit de sa propre autorité la guerre à Rome, trouvez bon qu'il règle aussi de sa propre autorité les conditions de la paix... Ah ! je comprends maintenant pourquoi certains hommes votèrent le 10 décembre en faveur de Napoléon Bonaparte, pour le neveu de celui qu'ils appelaient autrefois l'usurpateur, l'ogre de Corse. Ces hommes voulaient, et ils veulent encore, faire du neveu la victime expiatoire de la gloire de l'oncle... En supposant que le Président voulût reculer, le pourrait-il en face des insinuations calomnieuses des journaux soi-disant religieux ? Ils ont dit que M. Bonaparte avait écrit sa lettre pour se mettre bien dans l'esprit de l'armée ; ils ont dit que M. Bonaparte avait voulu conquérir un peu de popularité auprès des démagogues ; ils ont dit que la lettre était une réclame ! Et vous voudriez que le Président de la République acceptât ces odieuses accusations de charlatanisme, ces arrogantes leçons ? Mais alors, je vous en conjure, défendez-lui de s'appeler Napoléon Bonaparte.

Dans son rapport, M. Thiers ne disait rien de la lettre à Edgard Ney. Ce procédé avait irrité le Président, qui écrivit alors[17] à Odilon Barrot : Monsieur le ministre... jamais, vous le savez, il n'est entré dans ma pensée de profiter de la présence de nos troupes à Rome pour imposer violemment nos volontés au Saint-Père. Ma lettre au lieutenant-colonel Edgard Ney n'était que le résumé des intentions généreuses manifestées par Pie IX lui-même à nos ambassadeurs. Nous avons donc le droit de demander la réalisation des espérances qu'on nous a données. Deux grands intérêts, d'ailleurs, sont à sauvegarder à Rome : l'un, c'est d'affermir par notre appui et d'attacher à la France par les liens de la reconnaissance le chef vénérable de notre religion ; l'autre, c'est de ne pas laisser affaiblir la puissance de notre drapeau. Pour obtenir ce double avantage, il est nécessaire que nos troupes restent à Rome aussi longtemps que nos intérêts l'exigeront. Vous n'avez pas oublié, Monsieur le ministre, avec quelle persévérance j'ai secondé l'expédition romaine, alors qu'un premier échec sous les murs de Rome et une opposition formidable à l'intérieur menaçaient de compromettre notre honneur militaire. Je mettrai la même constance à soutenir contre des résistances d'une autre nature ce que je considère comme l'honneur politique de l'expédition. Et Odilon Barrot dans ses Mémoires, après avoir donné cette lettre, accuse le Président d'avoir cherché plutôt l'opposition que le concours de l'Assemblée. Ce n'était pas son sentiment alors qu'il était au pouvoir, sinon il ne serait pas resté ministre ; du moins il faut le croire pour son honneur. Non, le prince n'avait pas comme objectif une lutte avec l'Assemblée. Il espérait, au contraire, s'entendre avec elle, mais il avait, avant tout, les yeux fixés sur le pays et voulait suivre une politique qui aurait l'approbation de la grande majorité des électeurs. Il pensait donner satisfaction et aux conservateurs catholiques et aux libéraux.

La lettre à Edgard Ney, les voyages triomphants, les revues acclamées, tout cela avait peu à peu refroidi considérablement les sympathies de la majorité de l'Assemblée pour le prince, qui, de son côté, était impatient de secouer le joug d'un ministère composé d'hommes trop éloignés du bonapartisme par leurs antécédents politiques et surtout de se dégager de la tutelle des Thiers, des Molé, des Changarnier, et voulait enfin suivre sa ligne politique, avoir des collaborateurs dévoués, se sentir et être libre. Un journal légitimiste, la Mode, disait alors : ... On va jusqu'à affirmer le propos du Président : Je commence à voir que l'on ne m'a fait venir que pour tirer les marrons du feu, mais qu'on y prenne garde !... La Démocratie pacifique (27 octobre 1849) écrivait : M. Louis Bonaparte commence à s'apercevoir enfin qu'il a été dupe des monarchiens, il se révolte contre le rôle passif et ridicule que prétendent lui imposer MM. Thiers et Cie. Il ne consent pas à servir d'instrument bénévole à la restauration rêvée par les chevaliers de Frohsdorf. De leur côté, les légitimistes ne se font aucun scrupule d'annoncer tout haut leur rupture avec l'Élysée. Ils déclarent sans détour que l'élu du 10 décembre ne leur inspire plus de confiance. Ils ne craignent pas d'avouer qu'ils comptent sur un coup de tête analogue à ceux de Strasbourg et de Boulogne... On nous hait, disent-ils, mais on nous craint ; on voudrait renverser Changarnier, mais on n'ose pas ; on est furieux contre le ministère, mais on ne sait comment s'y prendre pour le changer. Un beau jour, on se mettra en fureur, on cassera les vitres ; alors... nous sommes prêts. En vérité, on dirait qu'il n'y a plus qu'à se baisser pour ramasser le drapeau blanc et le hisser au balcon des Tuileries. Ce vieux parti légitimiste est bien toujours le même, pétri d'orgueil, de folie, d'insolence et de présomption. Ces hommes sont bien les fils de ces émigrés qui quittaient gaiement la France en recommandant à leurs intendants de tenir leurs appartements disposés pour leur retour après la campagne. Quant à M. Louis Bonaparte, la position embarrassée, inextricable peut-être, dans laquelle il se trouve aujourd'hui est le juste prix de ses fautes. Il s'est jeté dans les bras de ces hommes qui ne l'appelaient sur leur poitrine que pour mieux l'étouffer. Toute la meute perfide se tourne contre lui et lui montre les dents. Élu du 10 décembre, c'est vous qui avez fortifié, caressé, servi cette coalition... On vous u averti... Eh bien ! tirez-vous maintenant des griffes des amis de l'ordre !

Ce n'est pas seulement en France, c'est encore à l'étranger qu'on a le pressentiment d'une rupture entre le Président et l'Assemblée. Le journal belge l'Europe monarchique écrit : ... Un coup d'État peut donc seul sauver encore la société ; mais trois choses sont nécessaires au succès de cette mesure extraordinaire : c'est que le coup d'État ne soit pas trop tardif, qu'il se propose l'Empire pour but, et que le prince s'élève à toute la hauteur de ce but suprême... Un très grand nombre d'esprits éminents s'attachent à l'idée du coup d'État, malgré toutes les difficultés, comme à la dernière espérance de salut qui nous reste, et je ne doute pas que le coup d'État ne soit accueilli par l'immense majorité du pays avec les mêmes acclamations enthousiastes qui saluèrent jadis le 18 brumaire. L'Empire seul pourrait tout sauver... Le nom de Napoléon possède cet heureux privilège d'être à lui seul toute une charte...

On le voit, cette question d'un coup d'État, de l'Empire, revient sur le tapis à toute occasion. On l'agite sans cesse. La Gazette de France[18] apprécie ainsi l'article ci-dessus : Tout cela n'est que le rêve des ombres. Il manque à l'Empire un élément indispensable, c'est un empereur. On ne supplée pas à un homme tel que Napoléon par un nom. Il ne se trouverait pas dix hommes de valeur qui voulussent s'associer à un pareil régime par crainte des sifflets du monde entier. La gloire, qui couvrait d'un grand prestige tout l'édifice de despotisme que Bonaparte avait fondé, manquerait aujourd'hui à ses successeurs ; ses imitateurs ne seraient que des parodistes. L'Empire ne serait que la carcasse d'un feu d'artifice vue en plein soleil le lendemain de la fête. On ne refait pas un gouvernement avec des souvenirs...

Le 28 octobre, le Président passe à Saint-Germain en Laye la revue de plusieurs bataillons de la garde nationale de Seine-et-Oise et du 1er régiment de cuirassiers. Le Moniteur[19] annonce a qu'il a été reçu avec le plus vif enthousiasme par la garde nationale, par les troupes et par une nombreuse population accourue de Paris et des environs, et qu'il a parcouru successivement le front de chaque ligne au milieu des cris unanimes de : Vive Napoléon !

Le 31 octobre, coup de théâtre. Le Moniteur annonce la démission du ministère, la constitution d'un nouveau cabinet, et insère un message du Président à l'Assemblée législative : Dans les circonstances graves où nous nous trouvons, l'accord qui doit régner entre les différents pouvoirs de l'État ne peut se maintenir que si, animés d'une confiance mutuelle, ils s'expliquent franchement l'un vis-à-vis de l'autre. Afin de donner l'exemple de cette sincérité, je viens faire. connaître à l'Assemblée quelles sont les raisons qui m'ont déterminé à changer le ministère et à me séparer d'hommes dont je me plais à proclamer les services éminents et auxquels j'ai voué amitié et reconnaissance. Pour raffermir la République menacée de tant de côtés par l'anarchie, pour assurer l'ordre plus efficacement qu'il ne l'a été jusqu'à ce jour, pour maintenir à l'extérieur le nom de la France à la hauteur de sa renommée, il faut des hommes qui, animés d'un dévouement patriotique, comprennent la nécessité d'une direction unique et ferme et d'une politique nettement formulée, qui ne compromettent le pouvoir par aucune irrésolution, qui soient aussi préoccupés de ma propre responsabilité que de la leur et de l'action que de la parole. Depuis bientôt un an, j'ai donné assez de preuves d'abnégation pour qu'on ne se méprenne pas sur mes véritables intentions ; sans rancune contre aucune individualité comme contre aucun parti, j'ai laissé arriver aux affaires les hommes d'opinions les plus diverses, mais sans obtenir les heureux résultats que j'attendais de ce rapprochement. Au lieu d'opérer une fusion de nuances, je n'ai obtenu qu'une neutralisation de forces. L'unité de vues et d'intentions a été entravée, l'esprit de conciliation pris pour de la faiblesse ; à peine les dangers de la rue étaient-ils passés qu'on a vu les anciens partis relever leurs drapeaux, réveiller leurs rivalités et alarmer le pays en semant l'inquiétude. Au milieu de cette confusion, la France, inquiète parce qu'elle ne voit pas de direction, cherche la main, la volonté de l'élu du 10 décembre. Or cette volonté ne peut être sentie que s'il y a communauté entière d'idées, de vues, de convictions entre le Président et ses ministres, et si l'Assemblée nationale elle-même s'associe à la pensée nationale dont l'élection du pouvoir exécutif a été l'expression. Tout un système a triomphé le 10 décembre. Car le nom de Napoléon est à lui seul tout un programme. Il veut dire : l'intérieur, ordre, autorité, religion, bien-être du peuple ; à l'extérieur, dignité nationale. C'est cette politique inaugurée par mon élection que je veux faire triompher avec l'appui de l'Assemblée et celui du peuple. Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la constitution que j'ai jurée. Je veux inspirer au pays par ma loyauté, ma persévérance et ma fermeté, une confiance telle que les affaires reprennent et qu'on ait foi dans l'avenir... Relevons donc l'autorité sans inquiéter la vraie liberté, calmons les craintes en domptant hardiment les mauvaises passions et eu donnant à tous les nobles instincts une direction utile. Affermissons le principe religieux sans rien abandonner des conquêtes de la révolution, et nous sauverons le pays, malgré les partis, les ambitions et même les imperfections que nos institutions pourraient renfermer.

Ce message avait une portée considérable. Le prince signifiait aux représentants des anciens partis que le temps des équivoques devait cesser[20], que l'élu de six millions de suffrages voulait remplir son rôle, être réellement le chef de l'État, en un mot, non pas régner, mais gouverner, qu'il fallait en finir avec les protections hautaines, qu'il n'était pas là, lui Napoléon, pour faire le jeu du comte de Chambord ou du comte de Paris. Il montrait à M. Thiers qu'il n'entendait être régenté par personne ; à M. Odilon Barrot, qu'il n'était pas homme à borner son rôle au port d'un pantalon à bandes rouges ; à M. Changarnier, qu'il ne pouvait se contenter de faire des cocottes en papier à la table du conseil des ministres, et que le perroquet mélancolique avait des serres d'aigle ; à tous les trois, surtout à ce dernier, que l'imbécile, le niais, ce n'était pas lui.

Les journaux, sans distinction de nuances, sont profondément impressionnés par le document présidentiel. Les quelques feuilles bonapartistes chantent victoire, les autres poussent un cri d'alarme. Le Dix Décembre estime qu'il vient de se produire un événement d'une portée immense. La vraie politique du Président, dit-il, a pris un nouvel essor..., l'heure est passée des intrigues politiques, des coteries parlementaires... Le mal empirait chaque jour, la France tiraillée, inquiète, se tournait vers l'élu du 10 décembre, lui demandait son salut. Son message respire à la fois l'intelligence la plus complète des besoins de la situation et le dévouement le plus sincère aux intérêts nationaux et populaires. Jamais le mal n'a été sondé avec plus de sagacité, signalé avec plus de vigueur ; c'est dire que le remède est prêt et que les plaies sociales recevront leur guérison... L'effet des paroles du Président a été profond, les cœurs ont tressailli... Cette pensée qui tombait de si haut éveillait sur les bancs de la Chambre des échos de grandeur. Un frémissement approbateur, avant-coureur de l'enthousiasme du pays, parcourait et agitait les représentants du peuple, courbait les tribunes, et tenait l'Assemblée. dans un silence attentif. Le message du Président est gros d'avenir... Pour le Crédit, il n'y aurait rien de surprenant à ce que lassé, découragé par les intrigues des ambitieux, par les prétentions démasquées des factions monarchiques, par la mollesse, le vide et l'impuissance des travaux de l'Assemblée, et justement inquiété des progrès du socialisme, il- entreprit d'agir en dehors de la majorité actuelle dût-il lutter contre elle, comme il a su lutter contre la majorité de l'Assemblée constituante.

Mais la presse presque tout entière condamne le message. Prince, dit l'Assemblée nationale (31 octobre.), le mot de coup d'État se trouve dans toutes les bouches. Il est prononcé partout, de l'atelier au salon, de la place publique à l'Assemblée ; il se murmure jusque dans les salons de l'Élysée. Votre seule force est dans la majorité... ; en voulant vous séparer d'elle, on vous trahit. La forme du message (1er novembre) rappelle trop une confidence faite à un aide de camp, et les récriminations comme les avertissements menaçants s'adressent sans doute aux factions de la rue, et non pas aux diverses nuances de l'Assemblée. Ce ne peut être devant le drapeau de la majorité que l'on prétend dresser le drapeau du 10 décembre ; ce ne peut être la volonté de l'Assemblée que l'on veut faire ployer sous la main, sous la volonté, sous le drapeau de l'élu du 10 décembre. L'Assemblée nationale est l'expression, la' délégation de la volonté du peuple. Il n'est point nécessaire de demander séparément l'appui de l'Assemblée et l'appui du peuple. Tout cela n'est sans doute qu'un malentendu... La lecture du message, écoutée au milieu du plus religieux silence, a jeté l'Assemblée dans une stupeur profonde. Le Pays lui-même est loin d'être satisfait. Il voit dans le message l'affirmation du gouvernement personnel, et il estime que le Président s'engage dans une voie pleine de périls... Un nom, dit-il, que signifie un nom au milieu des populations qui s'agitent, des misères qui s'aggravent ? Un nom ! mais c'est moins qu'une digue ! Un nom ! mais c'est pour celui qui le porte un mirage perfide. Un nom ne calme pas une souffrance, ne remplit pas une bourse, ne satisfait pas une conscience. Un nom disparaît, et l'histoire l'inscrit avec blâme ou avec éloge, puis tout est dit ; un nom, mais ce n'est qu'un danger, un nom trouve des flatteurs qui l'encensent, des courtisans qui l'exploitent, des niais qui l'applaudissent ; il s'enivre, il s'élance, il atteint peut-être les nuages dorés des rêves, mais ce n'est que pour retomber de plus haut. Il n'est point de nom qui puisse résister à l'épreuve du gouvernement personnel... Le Constitutionnel reconnait qu'il respire dans le message, comme dans tous les actes du Président, un vif désir de répondre à l'élection du 10 décembre ; mais si d'assez grands services n'ont pas encore été rendus au pays, il estime qu'il ne serait pas juste d'en faire tomber la responsabilité sur le ministère et la majorité. La Gazette de France n'admet pas que le Président invoque le nom de Napoléon comme le type du régime qu'on vent réaliser, ni qu'il fasse des allusions à la durée de son pouvoir, allusions étranges de la part d'un magistrat qui n'a plus que deux années à rester en fonction. Ce que, dit-elle, il reproche aux anciens partis, il le fait lui-même... Son manifeste n'a pas d'autre objet que d'arborer le drapeau napoléonien. Comment le Président a-t-il brisé si nettement avec la droite quand il ne pouvait aller à gauche ? Voilà l'énigme dont tout le monde cherche le mot. Pour faire un coup d'État, il faut s'appuyer sur quelque chose. Sur quoi donc s'appuie le Président ? On nous répond : Sur le vote du 10 décembre. Mais qui oserait dire que ce terrain n'est pas fondu aux trois quarts ?...

La Presse (3 et 4 novembre) déclare que le Président n'a pas le droit d'avoir une politique personnelle ; qu'il ne s'arrêtera pas à son message ; que tout pas fait en arrière par lui le sera afin de prendre plus d'élan et de franchir plus sûrement tout obstacle à son but, et que la situation est infiniment grave. Pour la République (2 et 4 novembre), le message est un fait considérable. L'alliance avec la droite est rompue. Le Président a vu qu'il n'était qu'une transition pour les coryphées de l'intrigue royaliste. Louis Bonaparte a franchi le Rubicon. Vous vous sentez menacé, prince, — dit-elle, par la plume de Pierre Leroux, — voilà pourquoi vous sortez aujourd'hui de votre silence. Voyant que les partis réactionnaires se sont joués de vous qui prétendiez vous jouer d'eux, c'est ce qui vous force à dépouiller enfin ce que vous appeliez votre abnégation... Est-cc un coup de tête pour arriver à un coup d'État ?... Est-ce une aspiration au pouvoir absolu ? Est-ce de la bonne foi ? Est-ce de la ruse ? Nous demandons comme dans la Folle Journée : Qui diable trompe-t-on ici ? Le National (1er novembre) continue sa guerre sans merci : Le but qu'il poursuit, le résultat qu'il veut atteindre se trahissent à chaque ligne du message. Jamais, depuis les fameuses proclamations de Strasbourg et de Boulogne, la pensée impériale n'a été plus hautement, plus nettement affichée par un prétendant. Tout est menace pour la République dans cette déclaration superbe. S'il fallait mesurer l'énergie de l'action à la hardiesse de la parole, demain, de ce manifeste sortirait un despote. La France est avertie... Est-ce donc un 18 brumaire que l'on prépare ? Des éventualités dont nous éloignions de notre esprit la pensée même prennent à dater d'aujourd'hui un caractère de probabilité que l'on ne saurait nier. Inconséquence[21] inexplicable ou dessein secret qu'on n'ose encore avouer, telles sont les deux seules interprétations que l'on puisse donner au message du Président. Quant à l'organe d'Odilon Barrot, l'Ordre, il ne peut en croire ses oreilles. Il revient de loin ! La majorité, dit-il (2 novembre), a témoigné sa stupéfaction par un silence significatif. La Montagne a salué par des éclats de rire les déclarations du Président, c'est un acte extraordinaire... Il a la prétention de gouverner, et il entend que cette prétention soit notoire. C'est son droit ; mais s'il a le mérite du succès, il portera le poids de ses fautes. Qu'il agisse donc puisqu'il le veut, mais la France désormais (3 novembre) est inquiète et l'Assemblée veillera !... Nous craignons qu'il n'y ait plus d'impatience et d'humeur aventureuse que de hauteur de vues dans le brusque revirement dont le spectacle a été donné... Nous espérons qu'il n'y a jusqu'ici aucun plan prémédité de désaccord et d'agression. Toutefois les indices sont graves... Nous croyons (7 novembre 1849) que les bruits de coup d'État sont erronés, parce qu'il n'est pas un homme de valeur, ni dans le ministère, ni dans l'Assemblée, ni parmi les chefs de l'armée, qui veuille prêter son concours à un coup d'État, parce que Louis-Napoléon à diverses reprises et récemment encore a promis solennellement de rester fidèle à la constitution, et que, sur la foi de tous ceux qui l'ont approché, nous le regardons comme un honnête homme... Le Président (15 novembre) a voulu tout à coup élever aux regards de la France et de- l'Europe son gouvernement personnel, ce gouvernement que la France n'a point toléré dans ses rois, et qu'elle croyait assurément avoir anéanti (avec) une constitution républicaine... (Il) se pose en face de la nation comme ayant seul la volonté et les moyens d'assurer son repos, son salut, sa grandeur. C'était vraiment bien la peine que cette grande et noble nation française consacrât tant d'efforts, tant d'années à la conquête et à l'affermissement du gouvernement représentatif[22]. La Démocratie pacifique s'exprime ainsi :

M. Bonaparte après s'être quelque temps compromis pour ces amis perfides des royalistes), a senti le besoin de les quitter le premier pour n'être pas quitté par eux... Répugnant à l'idée de n'être qu'un écolier sous les mains habiles de MM. Thiers, Molé et Berryer, il essaye de s'en affranchir par un coup d'audace. Y réussira-t-il ? Nous ne le pensons pas. Ses maîtres sont hommes à reconquérir tous les droits de la ruse sur la confiance de la présomption. Par son message il a tout à coup acquis un immense ascendant sur la majorité, et en même temps il a dissipé tous les brouillards, toutes les illusions dans lesquelles s'enveloppaient à plaisir les partis royalistes. Déjà ils chantaient victoire, déjà ils accordaient à Bonaparte déchu je ne sais quelle fiche de consolation (un bureau de tabac, a dit plaisamment le Charivari, comme neveu d'un ancien militaire), déjà Henri V était aux portes de Paris. M. Bonaparte a dissipé ce rêve d'un seul mot en se montrant prêt à résister aux velléités factieuses des royalistes, et à en appeler à la France ; M. Bonaparte s'est rendu maître de l'Assemblée... Nous n'avons pas à examiner si lui-même n'a pas d'arrière-pensée, mais son avantage sur un grand nombre de royalistes est au moins d'avoir caché son secret en lui-même... Le Peuple (3 novembre 1849) dit : Ou nous sommes dupes d'une illusion profonde, ou il n'y a dans cet acte qu'une seule chose, il y a un engagement pris devant le pays de respecter dans son entier le pacte constitutionnel et d'abandonner tout projet de coup d'État... Quoi ! il aurait condamné le parti légitimiste comme factieux, le parti orléaniste comme factieux, le parti ultramontain comme factieux, le parti doctrinaire comme factieux, le parti jacobin comme factieux ! Et lui-même songerait à devenir à son tour factieux ! Nous ne pouvons le croire. Tant de folie ne serait jamais entrée dans la tête d'un homme !

Pour l'Union (1er novembre), il aurait mieux valu que ce message n'eût pas vu le jour ; c'est une faute grave que de venir ainsi inopinément jeter tout un programme de politique personnelle... Nous ne disons rien (4 novembre) de bien hardi en prononçant le mot d'Empire après tous ceux qui en rêvent la réalité. L'Empire !... que les entrepreneurs d'usurpation daignent y songer : la France peut se prêter à tout, excepté au ridicule. C'est bien assez de l'empereur Soulouque pour fournir aux épigrammes, et la Révolution française doit finir autrement que par des persiflages et des quolibets. La Réforme dit[23] : On réveille les souvenirs du Consulat et de l'Empire, et l'on invoque le nom de Napoléon qui à lui seul est, dit-on, tout un programme. Ce programme, les républicains le connaissent depuis longtemps. Ils n'ont pas oublié que ce nom, c'est la servitude... c'est la négation de la République... au profit d'une famille et de la vanité d'un homme... Par tous les moyens possibles on veut arriver à la consécration du fait impérial. — On continue à l'Élysée à se jouer de la France. A quand la fin ? L'Opinion publique (1er novembre) estime que la forme du message est insolite, moins insolite encore que le fond. Il existe, dit ce journal (4 novembre), une tendance chez M. Louis Bonaparte à marcher seul, à tout rapporter à lui, à se croire une mission exceptionnelle en dehors de laquelle resterait l'Assemblée. Il y a là un danger grave... l'esprit de la Constitution est violé !... Il faut être vigilants et attentifs... Nous ne dénonçons rien, nous ne soupçonnons rien, mais... le Président de la République est sous l'empire d'une tendance fâcheuse qui peut le conduire plus loin qu'il ne le veut. Que les amis du pays se tiennent donc pour avertis. Pour la Revue des Deux Mondes, le 31 octobre est une tentative de gouvernement personnel, ce qui assurément n'est pas une illégalité, car la Constitution de 1848 veut le gouvernement personnel, et même elle l'impose.

La presse de province est bien plus favorable au prince que celle de Paris. Un certain nombre de feuilles départementales, et non des moindres, approuvent la politique inaugurée par le message. Le Courrier de la Gironde : Dans la crise où se trouvent la France et la société, tout bon citoyen a l'obligation de donner aide et appui à l'autorité ; or l'autorité se montre nettement dans le message du Président. Le Mémorial bordelais : Votre rôle, hommes d'ordre, consiste à soutenir très énergiquement l'élu du 10 décembre... Nous le félicitons de vouloir gouverner la France. Partout, avec l'admirable bon sens dont elles ont fait preuve lors de l'élection du 10 décembre, les populations rurales ont témoigné la vive satisfaction que leur faisait éprouver le langage si net, si explicite, si digne, en un mot, du premier magistrat d'une grande nation, sérieusement préoccupé des devoirs que lui impose la mission qu'il doit accomplir dans l'intérêt général. Le Courrier de Lyon : L'opinion publique, celle du peuple proprement dit, est généralement favorable au changement qui vient de s'opérer dans les hautes sphères de la politique. Le peuple sent, en effet, que la première de toutes les conditions pour le gouvernement, c'est d'être fort, c'est de protéger efficacement les intérêts qui se placent naturellement sous son égide et de réprimer énergiquement lès attaques dirigées contre son existence. L'Alsace : Le gouvernement n'a qu'à persévérer dans la voie qu'il s'est ouverte ; qu'il s'entoure de toutes parts d'hommes dévoués et énergiques, non seulement il restera maître de la situation, mais il conquerra bientôt toutes les sympathies des populations. La Voix du peuple de Colmar : Le message a produit dans les départements un effet généralement favorable. Le Courrier de Nantes : En manifestant la volonté de prendre part personnellement au gouvernement de la France, le Président de la République a commencé à conquérir la confiance des hommes qui mettent le bonheur de la France bien au-dessus des satisfactions et des intrigues des partis. Le langage du Mémorial de Rouen, du Journal de Verdun est le même.

Quel est le sentiment de la presse étrangère ? L'Opinione dit : Cette pièce est écrite avec la morgue d'un empereur et la présomption d'un homme qui croit être sûr de son avenir. L'encens de ses flatteurs enivre Louis-Napoléon, et l'audace rajeunie de ses partisans le pousse sans cesse vers des tentatives non moins hasardeuses que celles de Strasbourg et de Boulogne. La Legge : De tous les mots, de tontes les syllabes de ce manifeste il résulte que le Président songe à inaugurer un système politique tout personnel et à se soustraire à la tutelle de conseillers impérieux. Le Resorgimento : Louis-Napoléon, en se séparant de la majorité royaliste et de la minorité républicaine, a reconquis sa liberté, et maintenant, entouré d'un seul parti, il va marcher vers le but auquel il a toujours tendu. S'il sait agir à propos, il se conciliera certainement la partie indifférente, le caput mortuum de la nation, et comme la République n'a pas de racines dans les !nasses, son parti, dans un avenir plus ou moins éloigné, sera assez puissant pour réduire au silence royalistes et républicains, et le suffrage universel pourrait fort bien porter le président actuel sur le trône de saint Louis. La Gazette des Postes de Francfort : Si le Président peut compter sur l'armée, le moment n'est pas éloigné où il portera la main sur la couronne impériale. Le Times : Le Président a jeté le gant... La Constitution, qui a créé deux pouvoirs suprêmes et indépendants, les a institués pour leur destruction mutuelle, et, dès que leur naturelle opposition en vient à une hostilité ouverte, il n'y a d'issue que dans un changement peut-être violent des bases fondamentales de l'État. La question reposerait alors éventuellement sur les dispositions de l'armée... Louis Bonaparte s'est placé entre un succès complet couronné par le pouvoir absolu et sa destruction. Un homme comme l'oncle atteindrait le premier but, un homme médiocre comme le neveu n'est certes pas éloigné du second. Son message est impolitique, mais il est hardi[24]. Le Daily News : Le message aurait très bien pu sortir de la bouche de Louis XIV lorsqu'il entra au Parlement le fouet à la main... Si les chefs du club monarchique de la rue de Poitiers ont fait de Louis-Napoléon un instrument, ce dernier ne devait-il pas tâcher de sortir de cette ignoble position ?... S'il veut s'émanciper, ce désir est bien naturel, mais son moyen est insensé, mal conçu, impossible à réaliser ; ce sera une seconde édition de la farce espagnole dans laquelle la reine Isabelle a essayé de renverser Narvaëz sans avoir la force de faire prévaloir sa volonté. Le résultat tournera certainement au détriment du Président et par des voies légales ou illégales préparera sa chute. Le Standard apprécie tout différemment la situation : Le renvoi du ministère est une mesure que l'on devait attendre du courage et de la fermeté montrés jusqu'à ce jour par Louis-Napoléon. C'est la meilleure chose qu'il pouvait faire pour sauver son pouvoir et la France des malheurs que leur préparaient les intrigues d'une coterie. Le Globe : Il est certain que Louis-Napoléon fera tous ses efforts avant l'expiration de ses pouvoirs pour maintenir son autorité. Il a souvent déclaré dans l'intimité qu'il resterait à la tête de la nation française tant qu'il vivrait, n'importe sous quel titre. Il a grand besoin de voir augmenter ses émoluments, il a des dettes considérables, près de deux millions, et ses amis travaillent vainement à escompter pour 60.000 francs de traites signées par lui. Le Morning Herald : La tâche de l'élu du 10 décembre était terriblement difficile, et, en considérant les circonstances dans lesquelles il a vécu, c'est-à-dire l'exil et les conspirations permanentes, en considérant l'entourage d'aventuriers, de clercs d'huissier et de maréchaux de logis qui le circonviennent, on peut s'étonner de ce qu'il n'a pas commis plus de fautes. Le Morning Chronicle : Le message est conçu en termes qui sont rarement sortis de la bouche d'un roi constitutionnel... Il signifie que M. Louis Bonaparte veut prendre en main le gouvernement de la France... On a fait rarement à la législature d'un pays libre une communication plus imprudente, soit en la forme, soit au fond... La France a fait un grand pas vers une prochaine révolution. Pour le Sun, le manifeste est un coup hardi.

Le nouveau ministère était composé de M. le général d'Hautpoul, à la guerre ; de M. de Rayneval[25], aux affaires étrangères ; de M. Ferdinand Barrot, à l'intérieur ; de M. Roulier, à la justice ; de M. Bineau, aux travaux publics ; de M. de Parieu, à l'instruction publique ; de M. Dumas, à l'agriculture et au commerce ; de M. Achille Fould, aux finances ; du contre-amiral Romain Desfossés, à la marine.

L'ancien ministère ne revenait pas de sa surprise[26]. Rien n'avait pu lui faire supposer qu'il avait cessé de plaire au prince, ni qu'il serait remercié si brusquement. Odilon Barrot, si pénétré de son importance, de sa qualité d'homme nécessaire, indispensable, était anéanti[27]. Il avait reçu du Président de la République une lettre où se trouvait notamment ce passage[28] : Dans les circonstances actuelles, je crois qu'il faut absolument que je domine tous les partis en prenant des ministres qui n'en représentent aucun. Odilon Barrot dans ses Mémoires (p. 481, 482) nous dit que ses collègues étaient furieux ; il ne l'était pas moins lui-même, à en juger par ses récriminations contre le prince qui, d'après lui, se montrait bien ingrat envers un ministère lui ayant rendu les plus grands services. Il avait eu, d'ailleurs, la dignité de refuser le grand cordon de la Légion d'honneur que le colonel Edgard Ney lui avait apporté avec la lettre de renvoi. Le 2 novembre, le général d'Hautpoul[29] faisait à l'Assemblée, au nom du ministère, la communication suivante : Le programme contenu dans le message... est assez nettement formulé pour marquer hors de toute équivoque la politique qu'il (le prince) nous a appelés à suivre. Lorsqu'il a bien voulu nous demander notre concours, il avait déjà cru devoir user de son initiative constitutionnelle. Le nouveau cabinet n'est pas formé contre la majorité de cette Assemblée (légères rumeurs) ; au contraire, il développera avec énergie ses principes avoués ; elle n'en a et ne peut en avoir d'autres. Il faut maintenir l'union de toutes les nuances dans un seul parti, celui de la France à sauver. On y parviendra par l'unité dé vues, par la confiance en la force du pouvoir élu au 10 décembre, appuyé sur la majorité de l'Assemblée... (Mouvements divers. — Rires sur quelques bancs de l'extrême gauche.)

— Les journaux accablent de leurs sarcasmes le ministère : Louis-Napoléon, dit la Presse (3 novembre), a congédié les chefs de parti ; il a pris des commis.., au lieu d'être couvert par la responsabilité de son cabinet, il a entendu couvrir son cabinet de sa responsabilité ! Voilà le sens du message... La fierté du message avait irrité l'Assemblée. L'humilité du programme ministériel ne l'a pas désarmée... Dieu seul sait où va la France !... La Démocratie pacifique (2 et 3 novembre) déclare : Que hors le Dix Décembre il n'y a pas un seul parti, une seule fraction parlementaire, un seul organe politique qui revendique l'honneur de défendre cette combinaison ministérielle et qui ajoute foi à sa vitalité... Ministère d'antichambre, dit M. Dupin... Ministère de commis, dit le National... La formation de ce ministère n'est qu'un coup de tête, mais ce coup de tête n'est pas plus illégitime, plus irrationnel ni plus dangereux que les Coups de partis de la majorité !... L'antagonisme franc et sincère dans les positions fausses nous paraît de beaucoup préférable à d'hypocrites efforts d'union et de conciliation... Après un tel coup de tête... nous défions bien qu'on n'en arrive pas à une éclatante rupture... Pour la Liberté (1er novembre), il n'y a là qu'une liste de commis chargés d'obéir à la volonté présidentielle. Un peu plus tard (3 novembre) elle dit : Il fallait qu'un neveu de l'Empereur vînt gouverner la France pour que des hommes, impossibles sous Louis-Philippe et même sous Charles X, fussent appelés à l'étrange honneur de servir la République... Les dix mois que nous venons de traverser auront plus contribué à pervertir l'esprit public que les dix-huit années du règne de Louis-Philippe. Quand l'apostasie est érigée en système, quand les renégats seuls ont part aux faveurs ; quand la fidélité au drapeau est honnie et repoussée, quand le chef du pouvoir est le premier à renier ses écrits... quand il donne tout aux ennemis à qui il ne doit rien, quand il laisse persécuter tous ceux qui ont travaillé à son élection... comment croire encore au bien ?... Louis-Napoléon a livré le pouvoir aux blancs !... La République (20 novembre) apprécie ainsi le programme ministériel : Un silence d'étonnement, suivi d'assez nombreux éclats de rire, a fait justice de cet incroyable non-sens. Évidemment le Président est encore une fois mystifié... Évidemment le citoyen d'Hautpoul s'est moqué, ou du Président qui l'a nommé, ou de l'Assemblée dont il réclame le concours, et, dans tous les cas, du pays qui prête l'oreille avec un mélange d'indignation et de mépris à ces parades indécentes, à cette politique de carnaval. M. d'Hautpoul est venu enterrer le message... On ne se moque pas des gens plus lourdement, et, si le Moniteur de demain ne donne pas congé au cabinet d'Hautpoul, M. Louis Bonaparte est couvert d'un ridicule ineffaçable... Pourquoi changer d'hommes si on ne change pas de système ? Pourquoi annoncer un changement de système lorsque ceux qui doivent l'inaugurer viennent en votre nom vous démentir à la tribune et promettre à vos adversaires de marcher sur les traces des ministres que vous venez de renvoyer ? Vit-on jamais plus de légèreté mêlée à plus de mauvaise foi ?... Nous rougissons de voir le mensonge officiel et la parade politique installés comme à poste fixe à la tribune nationale, nous gémissons de cette honteuse prostitution de la parole humaine et du pitoyable spectacle qui fait passer sous nos yeux le gouvernement des eunuques et des prétoriens ; triste réminiscence du Bas-Empire !... Le National (1er novembre 1849) dit que, pour exécuter ses volontés, il fallait à M. Bonaparte des instruments... des commis, et que ceux choisis sont tels qu'il a le droit de compter sur leur docilité. Pour le Temps, le ministère n'a aucune force, aucune signification, et ne peut avoir aucune durée. Suivant les Débats, le prince a renvoyé son 'ministère parce qu'il n'avait pas su conserver son indépendance vis-à-vis de la majorité de l'Assemblée, et parce que des changements nécessaires n'auraient pas été faits dans le personnel administratif et diplomatique. La Tribune des peuples qualifie le cabinet de ministère domestique. L'Ordre, le journal d'Odilon Barrot, déclare que le message est une œuvre de caprice et de désordre, et qu'il a renversé toutes les idées, toutes les traditions de la vie constitutionnelle ; que d'après cette politique nouvelle les ministres doivent être de simples commis, que décidément Louis XIV était un pauvre sire de s'être entouré de ministres comme Louvois et Colbert, qu'il ne faut à l'autocratie du Président que des instruments dociles, en quelque sorte impersonnels, manœuvrant à volonté, sans que jamais leurs propres convictions, leurs engagements, leur honneur soient un obstacle !... Parlant dans ses Mémoires (t. III, p. 483) des nouveaux ministres, Odilon Barrot dit : C'est à raison même de leur parfaite insignifiance que Louis-Napoléon les a choisis. Le Morning Herald les traite ainsi : hommes d'épée sans influence, hommes de paroles sans talent, journalistes de cinquième rang, avocats de douzième ordre... comme M. Ferdinand Barrot, financiers comme M. Achille Fould qui ont tout juste le mérite d'un commis de banque ou d'un agent de change.

Le Constitutionnel et le Dix Décembre sont presque les seuls journaux qui soutiennent le prince. Le Président de la République, dit le premier (16 et 17 novembre 1849), est responsable. Son droit d'intervention directe se fonde... sur sa responsabilité... Il désire que la France qui a compté sur lui voie son nom et sa main. C'est, selon nous, un dessein très louable... une dictature, c'est bien là le danger qui nous menace ! Ce que le pays craint, ce n'est pas que le pouvoir puisse aujourd'hui pécher par un excès de force... Le gouvernement personnel de Louis-Napoléon, c'est le gouvernement de la personne élue non pas par l'Assemblée, mais par cinq millions et demi de Français. Le gouvernement personnel du Président est le gouvernement électif... L'impulsion part de lui parce que du haut de son nom et de son élection colossale il a pour faire accepter les transactions une autorité, une popularité que personne n'a au même degré que lui... La Constitution l'a fait responsable. Il tire les conséquences de cette responsabilité. Cette résolution l'expose à des chances, mais en quoi intéresse-t-elle la dignité de l'Assemblée ? Il ne s'agit après tout que de la puissance exécutive, et elle lui appartient ; mais elle rencontre des limites dans le droit de contrôle et dans les votes de la puissance législative. Ces limites légales, personne ne songe à les déplacer... Ce serait une chose profondément impopulaire, une chose qui soulèverait le cri de la France entière que de recommencer contre le gouvernement personnel et légal du Président de la République cette lutte parlementaire dirigée contre le gouvernement personnel irresponsable d'une royauté héréditaire qu'on regardait comme indestructible. La Constitution, le parti modéré, la presque totalité de la France a... voulu que le Président... fùt quelque chose de très considérable dans le gouvernement du pays, et on voudrait maintenant qu'il ne fût rien... Louis XIV disait : L'État, c'est moi. Aujourd'hui, c'est l'immense majorité de la France qui dit : Le Président de la République, c'est nous !

La Constitution n'eût pas déclaré le Président responsable que les droits du pouvoir exécutif eussent été les mêmes. Cette déclaration de responsabilité était inutile et ne pouvait être que dangereuse, ainsi que le prouvent cette polémique et surtout l'attitude du prince. Le Président, comme tout fonctionnaire grand ou petit, par cela même qu'il y a exercice d'une fonction, se trouvait, ipso facto, encourir une certaine responsabilité. Qu'était-il besoin de le dire ? l'Assemblée constituante, en faisant nommer le chef du pouvoir exécutif par le suffrage universel direct, n'avait voulu qu'une chose, c'était lui donner la plus grande force morale possible pour maintenir l'ordre et tenir en respect la démagogie. Quoi qu'il en soit, cette thèse du Constitutionnel et du parti bonapartiste était détestable à tous les points de vue.

Le Dix Décembre disait (2 et 3 novembre 1849) : Le président en changeant son ministère et en écrivant son message n'a pas fait autre chose qu'un acte d'autorité... L'autorité... qui doit sauver la liberté ! Il est temps que le Pouvoir marche en avant, il est temps qu'au lieu d'incertitudes, de tergiversations et d'escarmouches, de coteries, le Pouvoir se mette au travail... Le pays (8 novembre), fatigué des luttes stériles et des discours des avocats, en était à désespérer de la solution du problème social ; Louis-Napoléon, rencontrant une fois encore le sentiment national, a su prononcer ce mot qui était dans la pensée de tous... Le pays est-il, oui ou non, tout à fait las du régime parlementaire ? La France, par l'accueil qu'elle a fait au message du Président, a déjà suffisamment su répondre à cet égard. Cette observation était vraie. Si le Président avait et allait avoir de plus en plus contre lui et la presse et l'Assemblée, il avait pour lui le pays dans ses masses profondes ; ses six millions d'électeurs lui restaient fidèles, décidés à le suivre aveuglément jusqu'au bout. Le Dix Décembre ajoutait encore (10 novembre 1840)... Nous ne saurions... trop louer le Président de l'initiative Glorieuse qu'il a prise en forçant les ministres à délaisser les luttes parlementaires pour se consacrer entièrement aux travaux de l'administration... Le vœu (27 novembre) de la France appelle au gouvernement un nom illustre, un grand penseur, dont la jeunesse s'est passée à poursuivre la solution des problèmes les plus chers au peuple, et l'on tente encore d'émousser d'aussi heureuses qualités en le frappant d'impuissance... Le Président pour faire tomber les misérables calomnies... ne veut répondre à ses détracteurs que par des travaux importants qui fassent connaitre en même temps son haut savoir et la bonne foi qu'il désire apporter dans la direction des affaires.

Au résumé, après le message du 31 octobre, l'avenir de la France se trouvait être l'enjeu d'une lutte acharnée qui s'engageait entre l'Assemblée législative soutenue par la presse presque tout entière et le Prince soutenu par la Nation.

 

 

 



[1] 18 août. (Insérée au Moniteur du 7 septembre.)

[2] L'Assemblée nationale dit (8 septembre) : M. Dufaure fait écrire dans son Moniteur du soir qu'il est impossible d'exprimer dans un plus simple et fier langage les libérales intentions de la France... et que cette lettre honorera éternellement celui qui l'a signée...

[3] Le Conseiller du peuple (septembre), p. 345, 346.

[4] M. Biétry, président du Comité de l'Exposition, lui avait porté un toast : A l'élu de la nation ! Puisse-t-il par son, patriotisme donner à la France autant de bonheur et de prospérité que son cœur le désire, que l'auteur de son nom, dont la mémoire est chère aux Français et respectée du monde entier, lui a donné de gloire et d'honneur.

[5] En historiens fidèles, dit la Gazette de France du 4 septembre, nous devons ajouter que sur son passage, le cortège a été accueilli par des cris de : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur !

[6] .... Nous avons été surpris... du titre de Monseigneur donné par le Président à tous les prélats... Nous ne croyons pas qu'aux premiers siècles de l'Église on eût l'habitude de dire : Monseigneur saint Pierre. Le représentant de la légalité républicaine aurait peut-être bien fait de se rappeler que la loi organique du culte catholique (art. 13, loi du 26 messidor an IX) défend aux évêques et archevêques d'ajouter à leur nom toutes qualifications autres que celles de citoyen ou de monsieur. L'obéissance à cette disposition eût été d'autant plus naturelle que le Concordat est une idée napoléonienne. (Voir la Démocratie pacifique, septembre 1849.)

[7] Moniteur du 12 septembre.

[8] Dans sa campagne enflammée de propagande impérialiste, le Dix Décembre n'oublie pas l'anecdote :... Louis Napoléon se promène, en compagnie de M. Lacrosse, dans le jardin de l'Élysée. Un ouvrier terrassier vient à lui, ancien soldat de l'Empire, à la main mutilée. Il a la croix, mais il n'a pas de pension, et il remet une pétition au prince pour en obtenir une. Donnez-moi votre demande, mon vieil ami, dit Louis-Napoléon en serrant la main rude et vénérable du terrassier, je m'en charge, et en attendant, buvez à ma santé. Et il lui glisse trois louis... Ces détails.., peignent l'admirable bonté du Président et témoignent de l'intérêt constant et presque religieux qu'il porte aux vieux soldats de son oncle. Mais aussi comme ils l'aiment, et comme leurs yeux se mouillent en parlant de lui !...

[9] Secrétaire général de la présidence.

[10] Chef du secrétariat de la présidence.

[11] Officier d'ordonnance du Président.

[12] Officier d'ordonnance du Président.

[13] Officier d'ordonnance du Président.

[14] Attaché au cabinet du Président.

[15] Aide de camp du Président.

[16] M. de Tocqueville ne dit pas un seul mot qui puisse être considéré même comme une simple réserve sur la correction constitutionnelle de la lettre du Président.

[17] Odilon BARROT, Mémoires, t. III.

[18] Voir la Gazette du 26 octobre 1849.

[19] Le Moniteur (29 octobre) ajoute : Au moment où la voiture du Président entrait dans la cour de l'Élysée, une malheureuse femme s'est précipitée au-devant des chevaux en poussant des cris déchirants. On l'arrête. Le Président donne l'ordre de l'introduire près de lui. Elle venait implorer la grâce de son fils détenu sur les pontons de Belle-Isle. Le Président accorde sa grâce immédiatement. La malheureuse mère s'est retirée en versant des larmes de joie et en bénissant le Président de la République. Je savais bien, disait-elle en sortant aux nombreux témoins de cette scène, que le Président aurait pitié de "uses larmes, et qu'il me. rendrait mon enfant.

[20] Le parti conservateur... dissimulait mal ses tendances vers une restauration monarchique, sans toutefois pouvoir s'entendre... De la défense il était passé il l'agression... sans but déterminé... (Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 2.)

[21] Numéro du 1er novembre — Il rapporte que Louis-Philippe, après un juste hommage aux services rendus à la cause de l'ordre par Louis-Napoléon, aurait ajouté en souriant : On m'a beaucoup reproché, à moi, de trop parler ; il devrait, ce me semble, lui, prendre garde de trop écrire.

[22] Le National (8 novembre) fait impitoyablement observer à Odilon Barrot qu'il avait bien changé en quelques heures. Si l'Ordre ne partageait pas aujourd'hui les craintes qu'il raillait et au besoin injuriait il y a quelques jours à peine, chercherait-il à démontrer à l'homme (qu'il ne permettait pas même de soupçonner) les difficultés et les périls de toute tentative contre la Constitution ? Surtout l'accablerait-il de cette comparaison écrasante entre son oncle et lui qu'il lui jette avec autant de vérité que d'ironie pour lui prouver que ce que la gloire et le génie ont pu faire, la médiocrité et l'obscurité ne le pourraient ?... Quant au coup d'État que l'Ordre commence à craindre, nous ne pourrions nous en préoccuper qu'au point de vue de la tranquillité publique et de la reprise du travail, car nous savons assez quelle serait l'issue d'une aussi criminelle tentative... La démocratie veille, et Vincennes serait prêt !

[23] 6 novembre 1849. — Depuis la fin de septembre, Ribeyrolles, rédacteur en chef, avait été remplacé par Lamennais.

[24] Le Times dit encore : On ne peut nier que Louis-Napoléon était arrivé à un point qui exigeait de sa part un mouvement vigoureux pour lui éviter une humiliante annihilation politique.

[25] Puis, M. de Rayneval n'acceptant pas, de M. de Lahitte. La Liberté dit, au sujet de cette nomination : M. de Lahitte, ancien aide de camp du duc d'Angoulême, vient d'être appelé an ministère par un Napoléon oublieux de l'histoire comme du sentiment national. Cette préférence injustifiable, accordée sur tous les anciens militaires de l'Empire à l'un des déserteurs du drapeau tricolore, excitera dans toute la France une juste indignation ; c'est un nouveau défi jeté par le neveu du grand homme aux patriotes qui ont si bien servi son oncle, c'est une rupture éclatante... avec les anciens bonapartistes...

[26] Quelque temps auparavant, devant le prince, Odilon Barrot avait offert des portefeuilles à MM. Thiers et Molé. Ceux-ci refusèrent. Quand ils furent partis, le Président dit à Odilon Barrot : Croyez-vous, monsieur Barrot, que si M. Thiers vous eût pris au mot et avait consenti à devenir ministre, j'aurais consenti, moi, à lui confier un portefeuille ? Si vous l'avez cru, vous vous seriez étrangement trompé. (Odilon BARROT, Mémoires.)

[27] Le journal la Presse est sans pitié. Il raconte qu'Odilon Barrot a appris son renvoi au moment où il essayait la simarre neuve qu'il s'était fait faire pour la cérémonie de l'institution de la magistrature, et où il recevait le menu définitif du grand dîner qu'il devait donner ce jour-là.

[28] Mémoires, t. III, p. 476.

[29] Il n'avait pas la qualité de président du conseil des ministres, qui, à l'Officiel, n'avait été attribuée à aucun des nouveaux ministres.