NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME SECOND

 

CHAPITRE XII. — LE PRINCE ET L'ASSEMBLÉE NATIONALE

20 DÉCEMBRE - 26 MAI 1849.

 

 

IV

Depuis de longues années les républicains réclamaient l'affranchissement et l'unité de l'Italie. — Louis-Napoléon partage avec le parti républicain la responsabilité de cette unité. — Le manifeste de Lamartine en 1848 déclarait que l'unité italienne devait être faite, même avec le sang de la France. — Soulèvement de l'Italie. — Le Pape, réfugié à Gaëte, réclame l'intervention des puissances catholiques. — 24 février 1849, interpellation de Ledru-Rollin. — 16 avril, vote, par 388 voix contre 161, d'un crédit de 1.200.000 francs pour subvenir aux dépenses du corps expéditionnaire de la Méditerranée. — 26 avril, débarquement à Civita-Vecchia du général Oudinot avec 12.000 hommes. Proclamations d'Oudinot. — Protestation de l'Assemblée romaine. — L'armée française est repoussée. — 7 mai, l'Assemblée vote, par 328 voix contre 241, que l'expédition ne soit pas plus longtemps détournée de son but. — Lettre du Président au général Oudinot. — Ordre du jour du général Changarnier. 9 mai, interpellation Grévy sur la lettre présidentielle ; réponse embarrassée d'Odilon Barrot ; Ledru-Rollin ; proposition Flocon ; 10 mai, Jules Favre ; 11 mai, nouveau discours de Ledru-Rollin ; Odilon Barrot ; Jules Favre ; ordre du jour pur et simple voté par 329 voix contre 292. — Cinquante-neuf représentants déposent une demande de mise en accusation du Président et des ministres, qui est repoussée par 388 voix contre 138 ; dépêche de Léon Faucher ; blâme de l'Assemblée ; démission de Léon Faucher ; le National, le Crédit, la Vraie République ; l'Assemblée nationale, journal de Changarnier, défend le Président ; le Pays, journal bonapartiste, exulte. — La lutte électorale ; circulaires Aristide Ferrère, où se révèle la pensée intime du prince. — Comité central bonapartiste. — Déclaration du comité de la rue de Poitiers. — La Presse.

 

Depuis de longues années l'opposition républicaine réclamait l'affranchissement et l'unité de l'Italie. Louis-Napoléon ne sera pas seul à supporter devant l'histoire la lourde responsabilité de cette politique néfaste qui a eu pour résultat, en portant la plus grave atteinte aux conditions séculaires d'existence de la Papauté, d'attacher à notre flanc une grande puissance, devenue ennemie de la France, ennemie d'autant plus irréconciliable que son unité a été faite par nous et cimentée de notre sang. A la fin de février 1848, Lamartine dans son manifeste aux puissances étrangères s'exprimait ainsi : Si l'heure de la reconstruction de quelques nationalités opprimées en Europe ou ailleurs nous paraît avoir sonné dans les décrets de la Providence... si les États indépendants de l'Italie étaient envahis ; si l'on imposait des limites ou des obstacles à leurs transformations intérieures ; si on leur contestait à main armée le droit de s'allier entre eux pour consolider une patrie italienne, la République française se croirait en droit d'armer elle-même pour protéger ces mouvements légitimes de croissance et de nationalité des peuples.

L'Italie tout entière répondit à cet appel. Du nord au midi les peuples se soulevèrent contre leurs souverains. Le Piémont, ambitieux, venait au secours de la Lombardie insurgée, mais il était écrasé à Novare par les Autrichiens. A Florence, à Naples et dans les autres États, la Révolution était triomphante. A Rome enfin, le pape Pie IX, quelques jours après l'assassinat de Rossi, était obligé de prendre la fuite en se cachant dans une voiture de bagages et de se réfugier à Gaëte. La République romaine était proclamée. Le Pape réclame l'intervention des puissances catholiques. Le 9.0 février, le ministère, par l'organe de M. Drouyn de Lhuys répondant à une interpellation de Ledru-Rollin, déclare que la France ne peut rester indifférente à ce qui se passe dans les États romains, d'autant moins que l'Autriche, l'Espagne, Naples, sont près d'intervenir. Ledru-Rollin s'indigne de voirie ministère faire la guerre non dans l'intérêt de la liberté des peuples, mais, chose inouïe, contre cette sainte liberté, et qui plus est, une guerre de religion ! Le Pape serait le premier à dire : Pas de sang répandu pour rétablir le pouvoir temporel. — MM. Coquerel et Poujoulat soutiennent le gouvernement. M. Bac déclare qu'une République n'a pas à se faire juge de la politique intérieure des autres nations. M. Aylies répond que l'indépendance du Pape relève de la catholicité tout entière. — Le 16 avril, par 388 voix contre 161, l'Assemblée nationale vote un projet de loi qui ouvre au ministre de la guerre un crédit de 1.200.000 francs pour subvenir aux dépenses du corps expéditionnaire de la Méditerranée. Le but de l'intervention, avait dit au cours de la séance le général Lamoricière, était : 1° de sauver les institutions libérales ; 2° de ne pas laisser l'Autriche prendre une situation prépondérante en Italie auprès du Pape. — Le gouvernement envoie à MM. d'Harcourt et de Rayneval, nos ambassadeurs à Rome et à Naples, alors à Gaëte, les instructions suivantes[1] : Renverser cette base (la souveraineté temporelle), c'est porter une atteinte sérieuse à une institution dont toutes les nations catholiques ont le droit de revendiquer l'intégrité parce qu'elle est la clef de voûte de la religion... Il faut que le Pape soit rétabli dans l'indépendance... (nécessaire)... pour le libre accomplissement de ses devoirs spirituels ; il faut en même temps que les populations de l'Église soient mises à l'abri du retour du détestable régime qui a été la cause première de toutes les calamités de ces derniers temps... Le 26 avril (1849), le général Oudinot de Reggio débarque à Civita-Vecchia avec un corps d'armée de 12.000 hommes. Le 30, il arrive sous les murs de Rome. Dans sa marche l'armée française rencontre de distance en distance des écriteaux portant le texte de l'article 5 de la Constitution : La République française respecte les nationalités étrangères et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple[2]. Le général Oudinot[3], dans une proclamation aux habitants de Rome, déclare que la France a vu seulement que par sa position elle était particulièrement appelée à intervenir pour faciliter l'établissement d'un régime également éloigné des abus à jamais détruits par la générosité de l'illustre Pie IX et de l'anarchie de ces derniers temps ; que le drapeau (français) est celui de l'ordre, de la conciliation, de la vraie liberté ! L'Assemblée romaine proteste au nom de Dieu et du peuple contre la violation de son territoire sans aucune déclaration préalable, contre l'atteinte portée au droit des gens, aux engagements pris par la nation française dans sa Constitution, et aux liens de fraternité qui auraient dû naturellement unir les deux républiques. Le général Oudinot lance une nouvelle proclamation : ... A peine élevé sur le trône pontifical, le généreux Pie IX avait conquis l'amour de ses peuples en prenant l'initiative des réformes libérales ; niais.. un parti factieux, qui a porté le malheur dans toute l'Italie, s'armait dans Rome à l'ombre de la liberté. Le fantôme de gouvernement qui siège à Rome répond par des bravades à mes paroles de conciliation. Soldats, acceptons le défi ! Marchons sur Rome ! Les Romains répliquent par deux coups de canon. L'armée française reçoit l'ordre d'attaquer et monte à l'assaut. Elle est repoussée sur toute la ligne et éprouve des pertes considérables[4].

Dans sa séance du 7 mai, l'Assemblée nationale par 328 voix contre 241 invite le gouvernement à prendre, sans délai, les mesures nécessaires pour que l'expédition d'Italie ne soit pas plus longtemps détournée du but qui lui était assigné. Le même jour, le Président de la République écrit au général Oudinot : La nouvelle télégraphique qui annonce la résistance imprévue que vous avez rencontrée sous les murs de Rome m'a vivement peiné. J'espérais, vous le savez, que les habitants de Rome, ouvrant les yeux à l'évidence, recevraient avec empressement une armée qui venait accomplir chez eux une mission bienveillante et désintéressée. Il en a été autrement ; nos soldats ont été reçus en ennemis ; notre honneur militaire est engagé ; je ne souffrirai pas qu'il, reçoive aucune atteinte. Les renforts ne vous manqueront pas. Dites à vos soldats que j'apprécie leur bravoure, que je partage leurs peines, et qu'ils pourront toujours compter sur mon appui et sur ma reconnaissance. Le général Changarnier adressait alors à la garnison de Paris l'ordre du jour suivant, qui fait singulièrement disparate avec les sentiments qu'il devait manifester bientôt à l'égard du Président ; mais à ce moment il croyait être le mentor du chef de l'État et le maitre de l'avenir : Faites que cette lettre du Président au général Oudinot soit connue de tous les rangs de la hiérarchie militaire. Elle doit fortifier l'attachement de l'armée au chef de l'État, et elle contraste heureusement avec le langage de ces hommes qui à des soldats français placés sous le feu de l'ennemi voudraient envoyer pour tout encouragement un désaveu[5].

Le lendemain 9 mai, M. Grévy interpelle le ministère sur cette lettre. M. Odilon Barrot répond : (C'est) une lettre de sympathie, d'encouragement, de reconnaissance envers les soldats... Je n'y aperçois rien qui engage la politique, qui établisse et qui ait même l'intention d'établir un conflit entre la résolution de l'Assemblée et l'exécution que doit donner le gouvernement à cette résolution. Cependant cette lettre n'est point un acte de cabinet et de conseil... Ledru-Rollin n'a pas de peine à faire justice de ces explications embarrassées : Quand il y a, dit-il, un premier magistrat responsable... dire qu'un pareil document, en semblable circonstance, n'est pas de la plus haute gravité quand ce document est... placé à l'ordre du jour de l'armée, c'est dire une chose qui n'est pas raisonnable. Oui, la lettre est officielle, car la lettre engage la politique malgré vous... On dit : Des renforts vous seront envoyés... (On prétendait) que la République romaine n'était plus soutenue que par une poignée de factieux... que l'armée autrichienne était à deux jours de marche de Rome... on ne voulait pas qu'on restaurât le pouvoir papal sans que l'influence française pesât dans la balance. Voilà bien les deux conditions. Eh bien, le lendemain d'un vote qui exigeait au moins que l'armée française n'entrât point à Rome, qu'elle n'étouffât pas la République, vous président, vous avez la témérité d'écrire officiellement : Persévérez ! vous aurez des renforts ! Citoyens, agir ainsi, c'est déchirer votre décision, c'est trahir la République ! Ce qui est une honte dans l'histoire d'un peuple libre, c'est une bataille livrée pour étouffer la liberté et anéantir une République !... M. Flocon dépose la proposition suivante : Vu l'article 67 de la Constitution, ainsi conçu : Les actes du Président de la République autres que ceux par lesquels il nomme et révoque les ministres n'ont d'effet que s'ils sont contresignés par les ministres, l'Assemblée nationale déclare la lettre du citoyen Louis-Napoléon, président de la République, adressée à M. le général Oudinot, en date du 8 mai 1849, nulle et de nul effet. (Exclamations et rires à droite, longue interruption.) ... Je ne pense pas qu'il puisse se présenter de circonstance plus grave et plus périlleuse dans une République que celle où le chef du pouvoir exécutif s'adresse directement à l'armée sans le contreseing et la responsabilité d'un ministre... C'est une protestation contre le vote que vous avez rendu... Il est temps... que l'armée sache bien que c'est l'Assemblée qui... décide la paix ou la guerre.

— Le lendemain 10 mai, la discussion continue...Tous les voiles sont déchirés, dit Jules Favre... nous marchons sous la bannière du Pape... Vous oubliez qu'il y a une Constitution qui vous défend de vous immiscer dans les affaires d'un peuple libre ; vous oubliez qu'il a été solennellement entendu à cette tribune que vous n'alliez pas rétablir le Pape... Nous avons été trompés !... Vous allez chez un peuple ami sans y être appelés... vous allez sur un territoire ami, vous dites à un gouvernement constitué, sorti comme le nôtre du suffrage universel : Vous n'êtes qu'un ramas de factieux et de brigands ; quittez ce siège que vous avez usurpé !... Le défi vient de vous qui, au mépris de la volonté de l'Assemblée, contrairement à votre parole, avez déchaîné la guerre...

Le 11 mai, c'est Ledru-Rollin qui remonte à la tribune : Vous vouliez qu'on n'entrât à Rome que pour le cas où on y serait appelé, ou bien si une intervention napolitaine ou autrichienne menaçait le gouvernement romain... Ou les lois de la logique sont changées, ou il faut conclure que l'on a déversé sur votre résolution le plus profond mépris. Si vous ne savez pas vous donner satisfaction, non, vous n'existez plus, le Président de la République est tout ! (Agitation prolongée.) La lettre est officielle ; clone elle est un acte politique, et cette téméraire politique du Président contredit, efface, détruit la vôtre. Ministres, si vous avez ignoré cette lettre outrageante pour la majesté de l'Assemblée, donnez votre démission, autrement vous êtes des complices !... Êtes-vous des hommes ?... La main sur le cœur, avez-vous le sentiment de votre dignité ? Si vous l'avez, répondez à cet insolent défi par un acte d'accusation, ou... disparaissez, car vous avez l'opprobre au front... Comment, on vous montre comme les ennemis de l'armée ! on vous désigne à ses baïonnettes au profit de qui ? Au profit d'un prétendu chef d'État, c'est-à-dire d'un simulacre impérial ou royal. Odilon Barrot déclare à nouveau que la lettre du Président n'enchaîne pas la politique même du ministère, qu'elle n'est que l'expression sympathique du chef de l'État pour les soldats, que l'armée française n'est pas en Italie pour y constituer un gouvernement, mais pour exercer une médiation d'humanité et de liberté. Jules Favre rappelle que lors du vote de l'expédition il a été solennellement promis qu'on ne porterait pas atteinte au gouvernement romain ! Il est certain, dit-il, qu'on a attaqué Rome à main armée, qu'on l'a attaquée contre la volonté de l'Assemblée nationale... A la lecture d'un pareil document (la lettre du Président), quelques-uns ont pu se demander... si l'Assemblée s'était véritablement donné un maitre, car on y parle dans cette lettre un langage qui n'est pas celui d'un État républicain ; on y dispose de la force publique ; on y prend des résolutions !.... Le cabinet vous a dit... que la lettre avait été publiée sans qu'il la connût... Comment ! c'est ainsi que vous sauvegardez la dignité du pouvoir dont vous êtes les dépositaires ?... Nous ne pouvons pas souffrir... qu'en dehors du cabinet le Président puisse avoir une politique... Ce n'est pas tout... un ordre du jour a paru, ordre du jour coupable, ordre du jour insurrectionnel, ordre du jour qui est une véritable provocation... Le cabinet... a pris l'engagement de ne pas attaquer la République romaine, et il l'a attaquée... En vertu de quel droit avez-vous fait la guerre ?... Qu'avez-vous fait de l'article 5 de la Constitution (respect de nationalités étrangères) ? Vous en avez fait la bourre de vos canons !... Le gouvernement romain eût été composé de misérables lâches... s'il avait répondu à vos sommations armées. Il a résisté, il était dans son droit, droit éternel, droit saint, droit protégé de Dieu, celui de la créature intelligente résistant contre la force. Eh bien, ce droit, vous l'avez foulé aux pieds, et cette violation du droit, vous l'avez scellée du sang de nos soldats !... L'ordre du jour pur et simple était voté par 329 voix contre 292.

Dans cette même séance du 11 mai, 59 représentants déposent une proposition tendant à décréter d'accusation le président de la République et ses ministres pour violation de l'article 5 de la Constitution. Elle réunit 138 suffrages et est repoussée par 388.

Le ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher, ayant envoyé aux préfets une dépêche pour annoncer la décision de l'As, semblée dans les affaires d'Italie, où il disait, en signalant les votes des députés du département, que les agitateurs n'attendaient qu'un vote hostile au ministère pour courir aux barricades, 519 voix contre 5 considèrent cette dépêche comme une manœuvre électorale et infligent un blâme au ministre de l'intérieur, que le citoyen Flocon fait suivre de cette réflexion qui excite une hilarité générale et prolongée : Nous invitons M. le ministre de l'intérieur à envoyer cette nouvelle dans les départements par le télégraphe.

M. Léon Faucher donne sa démission. Les journaux opposants condamnent avec indignation la lettre du Président ; les plus avancés demandent la mise en accusation dans les termes les plus outrageants. Nous blâmons, dit le Siècle (10 mai 1849), les passages de cette lettre, où, disposant à son gré des forces et des trésors de la France, il semble oublier que la Constitution à laquelle il a prêté serment ne met pas ces forces et ces trésors à sa disposition exclusive. — Voilà, dit le National (9 mai 1849), comment il tient compte de la volonté de la représentation nationale, c'est ainsi qu'il prouve son respect pour la Constitution. Nous avons peine à en croire nos yeux. En ce moment même le défi provocateur, jeté par le premier fonctionnaire de la République au pouvoir souverain, nous parait inexplicable. L'intervention directe, personnelle, de M. Louis Bonaparte dans une question qui se débattrait entre son cabinet et l'Assemblée serait déjà un fait grave ; mais que penser lorsque cette intervention se manifeste après un vote décisif, formel, qui a tranché constitutionnellement le débat ?... Il ignore donc qu'il n'a pas le droit d'ordonner seul à une compagnie de prendre les armes, de faire un pas en avant ? Mais s'il n'a pas lu la Constitution qu'il a jurée, il n'a donc personne à côté de lui qui lui rappelle la portée de son serment ? Qu'est-ce à dire ? Que l'en se passerait au besoin de l'assentiment de ses ministres comme on semble vouloir se passer de l'autorisation de l'Assemblée ? Tout cela a besoin d'explications, et ces explications ne sauraient être trop promptes... Nous imposons silence à l'indignation de notre cœur... Nous tairons les soupçons que font naitre dans notre esprit les faits dont nous sommes témoins depuis quelque temps... Quant aux ministres, s'il leur reste quelque respect d'eux-mêmes, s'ils ne sont pas, tous, les complaisants serviteurs d'un maitre impérieux, leur démission accompagnera l'insertion au Moniteur de la lettre de M. Bonaparte... ce document d'un style impérial. D'après le journal le Crédit (10 mai 1849), la lettre est un audacieux et imprudent défi jeté à l'opinion publique. La Vraie République (10 mai 1849) estime que... l'Assemblée a esquivé un 18 brumaire. La lettre impériale qui viole... la Constitution et qui insulte à la puissance supérieure de l'Assemblée n'était qu'une provocation ambitieuse pour en finir avec la République... avant que des élections nouvelles vinssent flétrir la politique désastreuse et perfide de l'Élysée... Pourquoi donc tant d'audace de ce magistrat éphémère contre son premier maître le peuple souverain, contre son second maître la représentation nationale ?... Il est facile de deviner que le prétendant à l'Empire est pressé ! Il veut utiliser les trois jours qui lui restent... Et en effet, où en serait ce bouche-trône s'il avait des élections franchement royalistes et des élections franchement républicaines ? Et il n'y a de possible que l'un ou l'autre résultat, si l'on veut, les deux ensemble. Le parti bonapartiste, impérialiste, présidentiel va disparaître à la proclamation du scrutin... L'étranger (11 mai 1849) qui gouverne la France a certainement eu la volonté d'un coup d'État... Justement menacé d'accusation, de suspension, de déchéance, le héros de Strasbourg aurait fait son coup séance tenante... Il s'agissait d'arrêter les représentants de la Montagne au milieu de l'Assemblée s'ils eussent... proclamé l'accusation et la déchéance du président étranger... La conspiration est flagrante. L'inquiétude est générale... S'il n'est pas maintenant décrété d'accusation, quand le serait-il donc ?... Légalement (9 mai 1849) et moralement le prince étranger qui au 10 décembre a surpris à la République un vote de fatigue et de désespoir, comme il avait déjà voulu escamoter la France à Boulogne et à Strasbourg, le président Bonaparte est déchu de la présidence !

Le Peuple dit (10 mai 1849) : Louis Bonaparte ne peut plus être président de la République ; il a trompé l'Assemblée nationale, il a violé la Constitution ; il a trahi la République !... Combien (14 mai) de temps encore la République souffrira-t-elle cet aventurier qui a nom Louis Bonaparte ?... Il (19, 29 avril, 9 mai) n'y a plus à en douter, Louis Bonaparte est le vassal de Pie IX et de Nicolas ; Louis Bonaparte est un cadavre galvanisé par les Jésuites et les Cosaques. Qui nous délivrera de cet aventurier ?Est-ce, dit la Reforme, pour cette iniquité, cette honte, est-ce pour ce guet-apens contre l'Italie que vous avez élu le neveu de Bonaparte ?... Voilà qu'un gouvernement, violateur effronté de la Constitution..., loin de prêter à la République romaine les secours promis, arme contre elle, et par une indigne et lâche trahison dévoue les soldats de Marengo, transformés en soldats du Pape, à la honte de la renverser. En leur nom, au nom de la France, nous protestons contre ce crime infâme... La violation de la Constitution est formelle ; elle s'est accomplie avec la duplicité et le manque de foi qui semblent familiers à M. Bonaparte... Ainsi parce qu'un pouvoir de trahison lancera notre armée dans un guet-apens contre un peuple, il faudra pour notre honneur militaire que l'assassinat arrive à bonne fin : il faudra pour que l'honneur reste au drapeau qu'un peuple qui se défend chez lui soit égorgé par nos armes... — Dites-nous donc (10 mai) (ô Odilon), ô Dreux-Brézé des grandes manchettes et des petites raisons, dites-nous si la lettre de votre illustre président n'est pas une insolente condamnation du dernier vote de l'Assemblée... La République s'écrie (10 mai) : ... De quel droit... s'adresse-t-il à l'armée... que la Constitution lui interdit de commander... de quel droit ce fonctionnaire essentiellement responsable et révocable se permet-il d'infirmer les décisions de l'autorité souveraine du Parlement ? De quel droit, lui qui ne peut disposer ni d'un homme, ni d'un écu de la France, se permet-il de continuer une guerre impie, inconstitutionnelle ? Est-ce que le jouteur de la passe d'armes d'Eglington sous le costume du chevalier des miroirs, est-ce que le parodiste du Petit Caporal se laissant prendre derrière une grille comme un jeune écervelé, est-ce que le héros de Boulogne, le special constable de Mary-le-Bone... croit compter assez de... hauts faits pour revêtir la pourpre impériale ?... Jamais notre France ne déchirera sa constitution pour se laisser gouverner par les chambellans de ce fétiche fatal qui n'a jamais manié d'autre arme que la lance à fer émoussé d'un tournoi de carnaval ou le bâton de police !... Il est temps de mettre un terme à ces velléités dictatoriales qu'affecte l'élu du 10 décembre. Si l'on a pu souffrir des puérilités, comme le port illégal d'un uniforme de général, comme la création d'aides de camp pour un fonctionnaire civil... il n'est plus permis de tolérer une usurpation de pouvoirs... Ce que le citoyen Louis-Napoléon n'a pas le droit de faire, c'est d'engager la politique et les forces de la France, c'est de tenir, lui, le héros de Strasbourg et de Boulogne, un langage qui ne pourrait convenir qu'au vainqueur de Montenotte, de Lodi, d'Arcole et de Rivoli... La Démocratie pacifique n'est pas moins violente (8 et 10 mai 1849) : La France est mise au ban de l'Europe ; elle a changé ses soldats en Cosaques... elle sème le meurtre et la désolation sur son passage... Le ministère a déchiré la Constitution, traîné le drapeau de la France dans le sang et dans la boue... Après (8 mai 1849) les deux folies de Strasbourg et de Boulogne, Louis-Napoléon trouve le moyen de se surpasser encore, et il exécute en personne cette troisième folie qui a paru hier soir dans la Patrie (lettre au général Oudinot). Oui, c'est une folie bien caractérisée, c'est une monomanie d'impérialisme aussi impuissante que ridicule... Le Président de la République a rendu lui-même nécessaire, urgente, sa mise en accusation. Au crime d'avoir autorisé une guerre contre un peuple libre sans l'assentiment de l'Assemblée nationale... vient s'ajouter celui de se révolter contre une décision formelle de l'Assemblée souveraine... Notre (10 mai 1849) honneur militaire, notre honneur national, vous les avez prostitués, avilis, au service d'une cause infâme... et vous vous appelez Bonaparte !... Nous sommes à la veille de la guerre civile... Les Français ont assailli traitreusement une république, violé un territoire ami, répandu le sang de ces hommes dont le seul crime était d'être républicains comme nous. Le cabinet a joué l'Assemblée, trahi la France, déshonoré nos drapeaux, compromis l'influence de notre nom par une scélératesse sans exemple ; rien ne peut mettre Louis Bonaparte à l'abri des mêmes accusations ; on le peut d'autant moins qu'il a revendiqué sa part de responsabilité par une lettre qui est à la fois le plus audacieux des coups d'État et le plus ridicule. Que l'Assemblée nationale ait le courage de décréter d'accusation Louis Bonaparte... La Révolution démocratique et sociale (19 avril) s'écrie : La France assassine la République romaine... la forfaiture de M. Bonaparte (est) une infamie... (C'est) une politique de honte. Jamais sous Louis-Philippe, de détestable mémoire, le drapeau tricolore n'avait subi la honte que lui prépare aujourd'hui M. Napoléon. La France permet au neveu de Napoléon de trahir la cause des peuples opprimés... En voulant tuer la République italienne, vous n'avez tué que vos ridicules prétentions à l'Empire... M. Bonaparte et ses ministres (9 mai) devraient être à -Vincennes. Ils ont trahi la République, violé la Constitution...

L'Assemblée nationale (10 mai) défend le Président de la République ; sa lettre, dit-elle, si sympathique, si française, n'avait pas besoin de l'attaque des radicaux pour accroitre sa popularité. Le journal du général Changarnier applaudit, quoique le prince soit sorti de son rôle constitutionnel. Bientôt il n'applaudira plus, il n'aura plus des trésors d'indulgence, il ne poussera plus à la roue du char bonapartiste, quand il faudra reconnaitre que le Président est tout le contraire de l'imbécile qu'on croyait et n'entend pas tirer les marrons du feu pour d'autres. Le Pays (12 mai 1849) exulte... La France entière doit une vive reconnaissance au président. Dans la crise affreuse qui nous menace de nouveau, on se demandait s'il aurait l'énergie nécessaire pour protéger la société ; il a répondu au défi de la Montagne par sa lettre au général Oudinot ; il a brûlé ses vaisseaux avec les implacables adversaires de l'ordre social ; il nous a donné par là une preuve irrécusable de son courage et de ses sentiments. C'est comme s'il eût dit à la France : Vous voyez que vous pouvez compter sur moi, je suis à vous à la vie, à la mort... Nous avons (18 mai 1849) à notre tête un homme courageux qui porte sur sou front un signe providentiel. Oui, il a été suscité par la Providence pour nous sauver. Le doigt de Dieu est là. Que serions-nous devenus si le gouvernement n'avait pas été remis en des mains aussi généreuses ?... Le nom de Napoléon a seul la force de combattre ce qu'il y a de plus puissant au monde : l'envie du pauvre contre le riche. Napoléon et le socialisme, voilà les deux adversaires en présence ; dans l'un se personnifient la société, la religion, la famille, l'ordre, la propriété, tous les trésors de la civilisation, la gloire de notre passé, le salut de notre avenir... Napoléon, c'est notre espoir, notre honneur, notre ancre, notre épée, notre drapeau...

— Dès le mois de février la lutte électorale avait commencé en vue des élections du 13 mai. Sous la signature d'Aristide Ferrer, le 19 février, la circulaire suivante[6] était adressée aux électeurs des campagnes et aux ouvriers : Mes bons amis... (je suis) à même d'apprécier au juste la profondeur du mal que la conduite des affaires de la République a fait dans toutes les classes, principalement dans le peuple... Je ne vois de soulagement à tant de malheurs que dans une Assemblée législative napoléonienne... Les candidats doivent être choisis dans l'ordre suivant : 1° les amis de Louis-Napoléon ; 2° les jeunes gens de vingt-cinq à trente-cinq ans qui n'ont pas encore figuré dans les Assemblées législatives et qui, aux dernières élections, ont montré le plus de dévouement à notre cause ; 3° les anciens magistrats, militaires ou administrateurs, restés fidèles à la mémoire de l'Empereur ; 4° les propriétaires qui, sortis des affaires publiques depuis le gouvernement de Juillet, voudraient consacrer leur intelligence et leur influence au bien général du pays ; 5° les membres de l'opposition sous le ministère Guizot ; 6° les républicains modérés... Vous demanderez aux candidats portés sur la liste définitive une déclaration de dévouement à la famille de Napoléon, qui, seule, est compatible avec le principe de la démocratie de 1789, et, seule, peut fonder aujourd'hui un gouvernement durable en France. Le 4 mars, nouvelle circulaire : n... Rappelez-vous, campagnards, que depuis 1815, les députés n'ont pas pensé à vous ; ils vous ont considérés comme si vous n'existiez pas... Vous devez hardiment choisir des hommes nouveaux pour faire de nouvelles choses... Par le choix de Louis-Napoléon Bonaparte vous avez inauguré l'ère des hommes nouveaux... étrangers aux partis qui se sont disputé le pouvoir depuis dix-huit ans... Votre préférence doit donc se porter sur les hommes qui n'ont pas encore paru dans nos Assemblées... Que votre drapeau électoral porte : NOUVELLE GÉNÉRATION, SUFFRAGE UNIVERSEL, EMPIRE ÉLECTIF ET DÉCENNAL. On voit, par ces derniers mots, se révéler la pensée du prince, et qui est celle-ci : Il faut que le pays, que la nouvelle Assemblée le délie de son serment, il faut qu'à une présidence de quatre années, sans reconduction possible, succède sinon un. Empire héréditaire, du moins un principat de dix années. Le 5 avril, autre circulaire : Électeurs des campagnes et ouvriers... Mes espérances sont dans les sentiments d'amour que les populations entières des campagnes conservent pour le neveu de l'Empereur ; elles savent les entraves qu'en haine et. en prévision de sa nomination on a mises à son pouvoir, et elles tiendront à lui donner la puissance de faire le bien qu'il médite pour le peuple, en envoyant à l'Assemblée législative des représentants napoléoniens, ayant la foi et l'énergie nécessaires pour élargir le cercle de ses attributions en lui conférant un pouvoir qui, en respectant le suffrage universel, offre aux transactions une sécurité qu'une durée éphémère de quatre années ne peut inspirer... On comprend parfaitement les espérances du prince et de son entourage. L'élection du 10 décembre ne devait-elle pas avoir une immense influence sur les élections législatives postérieures et en quelque sorte les commander ? Comment ne pas penser que les millions d'électeurs qui avaient voté pour le Président ne tiendraient point à être représentés par des bonapartistes ? Et cependant, comme nous le verrons, les choses très généralement se passèrent autrement. Les candidats bonapartistes ne se trouvèrent pas ; surtout les candidats légitimistes ou orléanistes étaient de si gros personnages dans leurs départements respectifs qu'ils empêchèrent toutes autres candidatures conservatrices de se produire avec quelque chance de succès. L'on vit ce spectacle surprenant d'électeurs qui, après avoir acclamé un Bonaparte, choisissaient pour députés des adversaires du bonapartisme.

Le 1er mai 1849 paraissait encore une circulaire électorale :

Habitants des campagnes, cultivateurs et vignerons. Garde à vous !... Louis-Napoléon se rappelle des (sic) moindres marques de dévouement, et les personnes qui disent le contraire calomnient un des plus beaux caractères de l'époque... Depuis 1789 tous les gouvernements, sauf l'Empire qui des enfants du laboureur faisait des colonels ou des maréchaux, des ducs ou des princes, se sont appliqués à vous mettre en oubli ; aux villes étaient les faveurs, aux campagnes étaient les charges... Il est plus que temps que vous choisissiez de véritables et sérieux défenseurs de vos intérêts...

 

En outre, un Comité central bonapartiste se formait sous la présidence du général Bachelu. Il tenait ses séances 20, rue Bergère. Il se composait des généraux Hulot d'Osery, Rémond, Sourd, Lamarre, Petiet ; des colonels Langlois, de Pontécoulant, de MM. Desazars, de Saint-Hilaire, Fayot, de Zecavo, Barrillon, Lambert, Lançon, Mouillant, Darius, de Néron, Rapetti, Abrial, Lemarrois, de Forbin-Janson, de Talvande, Paul de Vigny, de Bilmare, de Franchessin, Mithivier,, de Wats, Fresnel, Gauguier, Conessin de La Fosse, Pellegrini, Migueron, Sancier, Lepoitevin Sainte-Anne. Il envoyait en province aux électeurs voulant soutenir l'élu du 10 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte, une circulaire où on lisait :

Choisissons pour prendre nos intérêts des hommes nouveaux, ne nous faisons pas illusion sur la fusion des partis... Déjà notre bon sens nous a portés vers le neveu de Napoléon parce que ce nom populaire, cher à la France, est un symbole d'ordre, d'honneur, de gloire, de dévouement, de désintéressement et d'avenir. Depuis qu'il est au pouvoir, Louis-Napoléon attend dans une douloureuse impatience que nous achevions notre œuvre en lui envoyant des députés réellement bonapartistes...

 

Mais le principal comité électoral napoléonien était celui qui, sous la présidence du général Piat, était formé par les compagnons de Strasbourg et de Boulogne, les fanatiques, qui à eux seuls valaient des armées. A la date du 8 avril, ce comité faisait paraître l'adresse suivante aux électeurs :

... Formé et organisé il y a dix mois[7], avec l'agrément de Louis-Napoléon... notre comité a eu l'honneur de poser le premier la candidature du neveu de l'Empereur, d'abord comme représentant du peuple, puis comme président de la République... Permettez-nous de vous rappeler les principes qui doivent vous servir de guides. Ces principes sont ceux qu'adopta l'empereur Napoléon quand, parvenu au pouvoir au milieu d'une société bouleversée par des partis acharnés les uns contre les autres, il entreprit de les réconcilier, de les fondre dans un grand parti national, en appelant à lui tous les hommes de mérite, tous les honnêtes gens, à quelque drapeau qu'ils eussent appartenu. Ces principes, ce sont les mêmes que professe aujourd'hui le neveu de l'Empereur... La France accepte tous les hommes honorables, sages, intelligents des anciens partis, mais elle a le droit de leur demander comment ils comprennent le sentiment national et ce qu'ils feront pour le satisfaire. Le pays a donc à choisir entre ceux qui désirent le renversement de l'œuvre du 10 décembre et ceux qui en veulent l'affermissement.

Signé : Général PIAT, FIALIN DE PERSIGNY, Armand LAITY, comte MÉSONAN, colonel THIÉRION, PIÉTRI, Eugène BATAILLE, BÉSUCHET DE SAUNOIS.

 

Le Comité de la rue de Poitiers, qui est formé des députés légitimistes, orléanistes, bonapartistes, écrit (29 avril 1849) à ses correspondants :

Aux approches du 10 décembre, la candidature qui devait triompher est née spontanément du sein du peuple. Cette élection a été opérée par une majorité sans exemple dans l'histoire... Le prince a su démêler la politique de paix intérieure qui pouvait seule promettre à son administration constitutionnelle une bonne et durable part dans la mémoire du pays. Sa fidélité, sa fermeté, sa persévérance, déjà manifestées par des épreuves décisives, sont devenues des garanties publiques d'ordre et de confiance...

Signé : Ferdinand BARROT, BERRYER, DE BROGLIE, CHAMBOLLE, DUVERGIER DE HAURANNE, Achille FOULD, SAUVAIRE-BARTHÉLEMY, DE MALLEVILLE, MOLÉ, MONTALEMBERT, général PIAT, DE NOAILLES, DE PÉRIGORD, DE RÉMUSAT, THIERS.

 

La Presse (18 mars) apprécie sévèrement ce manifeste : Vous voulez, dit-elle, imposer vos noms à un grand nombre de collèges afin de parvenir plus sûrement à votre but qui est de mettre en tutelle le Président de la République et de l'empêcher ainsi de donner cours à ses idées et à ses instincts... Vous voulez par l'élection du 13 mai ôter à l'élection du 10 décembre sa signification populaire, vous voulez enfin effacer le nom de Bonaparte sous le nom de Thiers. La France est avertie[8].

 

 

 



[1] Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 207.

[2] Mazzini, l'un des triumvirs, dit aux membres de la légation française : La menace d'une intervention autrichienne est sans fondement : d'ailleurs, intervenir soi-même à l'improviste pour empêcher l'intervention d'autrui, c'est apporter un mal immédiat sous prétexte de conjurer un mal éloigné. La protection qu'on nous accorde ressemble fort à une servitude qu'on nous impose.

[3] Dans un ordre du jour, au moment du départ, il disait : Le gouvernement n'a pas voulu que les destinées du peuple romain pussent être à la merci d'un parti en minorité ou d'une puissance étrangère. Il nous confie le drapeau de la France pour le planter sur le territoire romain comme un éclatant témoignage de sympathie....

[4] 200 morts, 300 blessés, 305 prisonniers.

[5] Il était impossible, dit Odilon BARROT dans ses Mémoires (t. III, p. 226), de signaler avec plus d'audace le triple but de la lettre du Président, qui était de capter la faveur de l'année, de l'irriter contre l'Assemblée et d'afficher le plus profond mépris pour les résolutions parlementaires. Comment concilier cette déclaration avec son langage devant l'Assemblée ? Il n'était donc pas sincère alors ? Et pourquoi ? pour garder son portefeuille ? La vérité, c'est que les sentiments avaient changé, et que ces Mémoires ont été écrits après coup, sous l'impression de la rancune et d'une ambition déçue. En ce qui concerne l'ordre du jour du général Changarnier, Odilon Barrot, interpellé, déclarait à l'Assemblée qu'il avait demandé des explications au général, qui avait répondu n'avoir fait que porter à la connaissance de l'armée l'expression de la sympathie du Président pour nos soldats et ne pas comprendre qu'on eût pu voir dans cet ordre du jour une offense à l'Assemblée dont il respectait les droits et les prérogatives.

[6] Faubourg Saint-Honoré, 134.

[7] Donc pour l'élection de juin 1848.

[8] Il parait alors un certain nombre d'affiches. Nous en mentionnerons une intitulée : la Famille Bonaparte devant le tribunal du peuple. Louis-Napoléon est censé répondre aux juges qui lui demandent : Comment as-tu répondu à la confiance du peuple ? — En marchant d'un pas ferme dans la véritable voie du progrès ; en sacrifiant au bonheur du pays la brillante auréole de gloire dont j'aurais pu m'environner... J'aurais pu lancer la France entière sur les champs de bataille... vaincre et imposer des lois à l'Europe ; j'ai mieux aimé travailler à diminuer les souffrances du peuple ; je me suis efforcé... de ramener la confiance... sans sortir jamais des limites assignées à mon pouvoir, afin de répondre à ceux qui m'avaient accusé de tendre à la dictature, que je n'ai d'autre ambition que celle de servir mon pays. Par mon ordre les cités s'élèvent où les travailleurs trouveront des logements sains et toutes les commodités de la vie ; naguère encore je disais à mes ministres : N'oubliez jamais que je ne goûterai pas de satisfaction véritable tant que les travailleurs, nos frères et nos meilleurs amis, ne seront pas entièrement affranchis des souffrances qui les accablent... ; que nos plus grands efforts aient pour but l'anéantissement de la misère... Brûlons peu de lampions et doublons les secours à distribuer aux malheureux... L'amélioration du sort des ouvriers est une idée éminemment napoléonienne... A la suite des funestes journées de Juin un grand nombre de citoyens avaient été transportés, j'ai fait rendre à la liberté ceux qui avaient paru plus égarés que coupables... aujourd'hui je viens d'ordonner la mise en liberté de 1.228 de ces malheureux.... Le Président de la République se tait ; un murmure favorable se fait entendre parmi les juges... (Les autres Bonaparte paraissent et s'expliquent sur leur conduite. Alors...) la grande voix du peuple souverain prononce ce jugement solennel : Enfants de la France ! neveux de Napoléon ! honneur à vous ! Vous avez résisté aux mauvaises passions, vous avez puissamment contribué à soulager les travailleurs, vous voulez que la France soit grande et prospère... Le peuple souverain vous approuve et déclare que vous avez bien mérité de la patrie. Signé : H. CHABAUD. (Imprimerie Blondeau, 32, rue du Petit-Carreau.)

Voici encore une affiche intitulée : Passe-temps du Président. Trait de générosité de Louis-Napoléon Bonaparte, avec une gravure le représentant à cheval et recevant le placet d'une pauvre femme, et cette légende : C'est pour un secours, mon mari est malade ! Le Président remet 20 francs à la pétitionnaire qui lui couvre la main de baisers. Ce jour-là la promenade fut bien plus courte qu'à l'ordinaire. Le neveu de l'Empereur semblait préoccupé. Au retour, il monte rapidement à son cabinet, prend un billet de 100 francs et dit à son officier d'ordonnance de le suivre. Ils sortent à pied. Le Président se dirige vers l'échoppe de l'ouvrier malade, il arrive auprès du lit où la femme le suit en pleurant de joie : Tenez, brave homme, voilà de quoi vous aider un peu ; je ne suis pas riche ; c'est égal, j'ai bien du bonheur à vous apporter du soulagement. — Ce qui me guérira, dit l'ouvrier, c'est votre visite... quel bonheur pour moi ! C'est comme ça que faisait notre Empereur. Aussi mon père a eu le bonheur de mourir pour lui à Waterloo.