NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE XI. — LA SECONDE ÉLECTION DU PRINCE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET SON ÉLÉVATION À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE.

 

 

III

Agitation bonapartiste. — Le mouvement se prononce en faveur du prince. — Journaux napoléoniens, le Petit Caporal, etc. — Bruit d'un soulèvement bonapartiste ; 24 octobre, lettre du prince Napoléon-Jérôme qui le dément ; 25 octobre, déclaration de M. Dufaure à l'Assemblée ; le prince Napoléon ; Clément Thomas ; tumulte. — Clément Thomas remonte à la tribune et accuse le prince Louis d'être un candidat à l'Empire ; nouveau tumulte. — Dépit du National. — Le prince assiste rarement aux séances de l'Assemblée ; réflexions d'Odilon Barrot dans ses Mémoires. — 26 octobre, discours du prince Louis à l'Assemblée. — Grand effet. — La légende de sa nullité s'effondre. — Réponse de Clément Thomas. — Singulière attitude de l'Assemblée. — Presque tous les journaux parisiens combattent la candidature du prince, l'Union, le Constitutionnel, le Bien public (Lamartine), la Révolution démocratique et sociale (Delescluze), le Peuple (Proudhon), la Liberté de penser (Jules Simon), les Débats, le Siècle, qui soutient le général Cavaignac ; le National surtout aussi, qui accuse le prince d'avoir rempli à Londres les fonctions de policeman ; la vérité sur cette légende. — La Presse, par la plume d'Emile de Girardin, apporte un appui considérable au prince, qui a encore pour lui la Gazette de France, la Liberté, l'Assemblée nationale, et enfin le Constitutionnel, qui finit par se rallier sous l'inspiration de M. Thiers. — La presse de province ; un très grand nombre de journaux soutiennent la candidature princière : le Courrier du Havre, le Journal de l'Aisne, le Capitole de Toulouse, le Mémorial des Pyrénées, le Journal du Loiret, l'Écho de l'Oise, l'Hebdomadaire de Béziers, l'Aube de Troyes, le Mémorial bordelais, la Gazette du Languedoc, l'Éclaireur de l'Hérault, le Périgord, l'Opinion du Gers, la Province de la Haute-Vienne, l'Argus soissonnais, l'Union franc-comtoise, le Journal de Rodez, l'Echo de Vésone, l'Indicateur de l'Hérault, le Journal de Maine-et-Loire, le Journal de la Nièvre, etc. ; la combattent : le Messager du Nord, le Moniteur de l'armée, la Gazette du Midi, le Peuple du Puy-de-Dôme, le Breton, le Courrier du Nord, la Démocratie des Hautes-Pyrénées, le Courrier de Nantes, la Fraternité de l'Aude, le Franc-Comtois, le Bien public de la Haute-Marne ; l'Impartial de la Meurthe, l'Écho du Nord, etc. — Les journaux étrangers : le Heraldo, la España, l'Émancipation de Bruxelles, le Morning-Post, le Morning-Herald, le Northen-Star, le Globe, presque tous contraires à la candidature du prince. — Opinion du journal belge l'Observateur. — Les journaux comiques : le Charivari, la Revue comique, l'Assemblée nationale comique. — Chansons, brochures, lettres, affiches et comités électoraux. — Attitude des hommes politiques, de Cormenin, Ferdinand Barrot, Boulay de la Meurthe, Léon Faucher, Thiers, Bugeaud, Changarnier, Molé, Odilon Barrot, Berryer, Falloux, Montalembert, Guizot, duc de Broglie, Victor Hugo, Crémieux, tous pour le prince ; — contre : Etienne Arago, George Sand. — L'évêque d'Orléans, membre de l'Assemblée, et le cardinal de la Tour d'Auvergne, évêque d'Arras, se prononcent pour Cavaignac ; mais l'évêque de Langres et l'abbé Leblanc, députés, se prononcent pour le prince avec la grande majorité du clergé. — Attitude de l'armée ; outre Changarnier, Bugeaud, les généraux Bedeau, Rulhières, Oudinot, Lebreton, Baraguey d'Hilliers prennent parti pour Louis-Napoléon. — Lettre du général Stourm en faveur du prince. — Déclaration du prince aux délégués du congrès des journaux de province ; sa lettre aux ouvriers charpentiers de Troyes ; sa lettre au Constitutionnel sur les affaires de Rome, 2 décembre 1848 ; sa lettre au nonce du Pape, où il se prononce pour le maintien du pouvoir temporel. — Déclaration du cardinal Antonelli sur la résolution du Pape de ne pas chercher un refuge en France, où le chef du gouvernement est le fils d'un régicide. — MM. Thiers, Molé, Berryer veulent rédiger le manifeste du prince ; celui-ci impose le sien. — Circulaire Aristide Ferrère. — Attitude du général Cavaignac ; lettre du banquier Odier ; réponse du ministre de l'intérieur, Dufaure, qui fait l'éloge de Cavaignac ; intervention des autres ministres dans la lutte électorale ; des brochures favorables à Cavaignac, des portraits, des biographies sont répandus à profusion jusque dans les casernes. — Odilon Barrot, dans ses Mémoires, déclare que Cavaignac n'a rien négligé pour assurer le succès de son élection. — Manifestations de la place Vendôme. — Avant la fin de novembre, le prince s'occupe de la formation de son premier ministère. — La question d'argent est un de ses soucis ; vaine préoccupation. — Les anciens militaires sont pour lui de merveilleux agents électoraux qui ne lui coûtent rien. — Les révélations faites, en août 1851, par le journal le Messager de l'Assemblée sur ce qu'aurait fait le prince en novembre 1848 pour se procurer de l'argent. — Élection du 10 décembre. — Le Journal des Débats. — Ce que disent Berryer à la réunion de la rue de Poitiers, Lamartine dans le Bien public, de Girardin dans la Presse ; ce que disait plus tard Félix Pyat. — Les journaux anglais. — Lettre de Léon Faucher à un ami sur la valeur de Louis-Napoléon. — Les journaux rouges parlent de coup d'État. — La Patrie. — Préoccupation du président de l'Assemblée, M. Marrast ; réponse attribuée à Changarnier. — Le peuple avait élu non un président de la République, mais un empereur.

 

Dès que la question du pouvoir exécutif eut été réglée, l'agitation bonapartiste recommença. L'idée d'un pouvoir fort s'était emparée de l'esprit de la nation. Tous les renseignements qui arrivaient des départements annonçaient[1] qu'il se faisait un grand travail dans l'âme des masses, et que le mouvement napoléonien se prononçait de plus en plus.

Les journaux bonapartistes rentraient en scène. Le Petit-Caporal écrivait, dans son numéro du 15 octobre : Qu'est-ce que l'épée d'Austerlitz ? Vous le savez, vous qui utilisiez les loisirs de votre prison en traitant de la constitution de l'artillerie et de l'extinction du paupérisme. Est-ce le glaive envoyé à Clovis par l'empereur Anastase ? Non ! Le fer de Clovis, ébréché par l'assassinat, fut brisé comme un verre à la défaite d'Arles ! L'épée de Charlemagne ? Non ! Elle repose près du grand empereur dans le caveau d'Aix-la-Chapelle. Celle de Philippe-Auguste ? Elle fut brisée à Bouvines. Celle de saint Louis ? Non ! les tronçons en furent enfouis sous les ruines de Carthage. Celle de François Ier ? Non, le roi chevalier la rendit à Pavie. Celle de Henri IV ? Les favoris de la Reine en firent un poignard, dont ils armèrent le bras de Ravaillac. Non ! toutes celles-là furent ensanglantées, et l'épée d'Austerlitz est vierge. L'épée d'Austerlitz... c'est l'intelligence, c'est le génie qui, après trente ans, rayonnent sur la France, c'est le regard paternel jeté par l'Empereur sur les invalides de son armée, sur les souffrances de l'ouvrier ; c'est la vaste intelligence qui comprenait tous les besoins du pays... qui créait le Code... c'est le génie qui se leva sur le chaos révolutionnaire et illumina quinze ans la patrie. Prince, vous êtes l'héritier de l'épée d'Austerlitz ! Dans le numéro daté 16 au 22 octobre 1848, le Petit Caporal s'écrie : ON L'AIME : saluant respectueusement les blessés prussiens, hommage rendu au courage malheureux ; donnant un parterre de rois au génie de Talma ; brûlant les preuves qui devaient envoyer le comte d'Hadzfeld à l'échafaud pour ne pas faire pleurer une femme, une mère ; détachant la croix pour en décorer un brave, oublié par ses officiers ; partageant le modeste repas de ses grenadiers au bivouac d'Austerlitz ; jetant son manteau aux épaules d'une cantinière sous l'âpre vent de la Bérézina ; embrassant son armée sur la joue du général Petit, à l'heure des adieux de Fontainebleau ; relevant le courage de la veuve et assurant le sort de l'orphelin, apparaissant soudainement dans la cabane du pauvre... Prince, vous aussi, vous avez été touché des misères du peuple et, prisonnier, vous avez écrit un livre sur l'extinction du paupérisme...

En novembre, il dit : En descendant au fond de sa conscience, le prince Louis y aura rencontré la mémoire de l'œuvre napoléonienne, et, communiant sous les mêmes espèces, l'oncle et le neveu se seront trouvés face à face dans le sanctuaire des mystères psychologiques. Alors le prince aura courbé la tête et recueilli pieusement les sublimes leçons du grand homme : la République est aujourd'hui le seul gouvernement possible ; aveugle qui le nierait ; opérez cette œuvre de fusion qui sera l'éternelle garantie de l'ordre... amnistie complète... Votre cœur s'est ému déjà au spectacle des souffrances de la classe laborieuse ; étudiez à nouveau cette question... L'association doit sauver le monde... Laissez à la pensée sa liberté... l'aigle ne veut point de chaînes ; plus de guerre ; encouragez l'industrie ; protégez l'agriculture, ces deux mamelles de l'État ; la paix partout, la paix toujours, à moins que... ? Renseignez le peuple..., appelez à vous les capacités les plus hautes, les intelligences les plus nobles, les dévouements les plus désintéressés... L'armée votera tout entière pour Louis-Napoléon ; Louis-Napoléon, c'est l'élu de Marengo, d'Austerlitz, de Wagram, de Champaubert. Au nom de Napoléon l'armée doit toute sa gloire, toute sa popularité ; au général Cavaignac que doit-elle ? Quelques croix d'honneur ramassées sur les barricades !...

La candidature du prince à la présidence de la République se posait d'elle-même. La France entière prononçait le nom de Napoléon.

Le 24 octobre, les journaux publiaient la note suivante, qui leur était envoyée par le prince Jérôme-Napoléon Bonaparte : Des personnes bien informées ayant averti le représentant Louis-Napoléon Bonaparte que des insensés travaillaient dans l'ombre à préparer une émeute en son nom dans le but évident de le compromettre aux yeux des hommes d'ordre et des républicains sincères, il a cru devoir faire part de ces bruits à M. Dufaure, ministre de l'intérieur. Il a ajouté qu'il repoussait énergiquement toute participation à des menées si complètement opposées à ses sentiments politiques et à la conduite qu'il a tenue depuis le 24 février.

Le lendemain, à la Chambre, M. Dufaure disait : J'ai lu avec un profond étonnement cette note... J'ai déclaré immédiatement à notre collègue que les personnes qui se disaient bien informées étaient très mal informées (rires) ; que je pouvais assurer que dans la capitale il y a des éléments de désordre, mais de toute autre couleur (nouveaux rires) ; qu'il ne se préparait aucune émeute en son nom. (Hilarité et approbation.) Je regrette que notre honorable collègue, M. Louis-Napoléon Bonaparte, en faisant imprimer la lettre dont je viens de parler, n'ait pas jugé à propos, pour rassurer un peu l'opinion, d'ajouter aux renseignements que lui avaient donnés des personnes qu'il dit bien informées les i enseignements très positifs que le ministre de l'intérieur lui donnait. (Très bien ! bravo !) Il en est résulté que contre sa volonté, certainement, il a inspiré des inquiétudes qu'il aurait ainsi calmées. (Nouvelle approbation.)

Le prince Jérôme-Napoléon Bonaparte monte alors à la tribune. De toutes parts on crie : Non !... pas vous !... Louis !... Louis !... l'autre !... l'autre !J'ai demandé la parole, commence-t-il... Toute l'Assemblée l'interrompt : L'autre ! Louis ! Louis ! Tous les regards se dirigent vers le banc où siège d'ordinaire le prince Louis, mais il est absent. Le prince Jérôme recommence : C'est moi... Pour la troisième fois, on l'accueille de même : Pas vous ! Louis ! l'autre ! Enfin il parvient à prononcer cette phrase : C'est moi qui ai adressé aux journaux la note dont il s'agit... M. Clément Thomas se lève alors et dit : Ce n'est pas la première fois que je constate l'absence de M. Louis Bonaparte... — Un membre s'écrie : Il n'y est jamais ! — On rit. — D'où vient donc qu'on ait la prétention de se présenter comme candidat... L'Assemblée, irritée de voir l'orateur s'engager sur un terrain comme celui-là, l'interrompt longuement par de vives rumeurs. Mais il continue à foncer, comme le taureau, droit devant lui : ... Vous ne pouvez pas nier qu'il y a des personnes qui vont se présenter comme candidats à des fonctions très élevées ; eh bien ! je dis, moi, que ce n'est pas en ne se présentant pas aux séances, en s'abstenant dans les votes les plus significatifs, ce n'est pas en évitant de se prononcer dans les questions qui intéressent le plus le pays, ce n'est pas en évitant de dire ce qu'on veut, où l'on va, qu'on peut prétendre gagner la confiance d'un pays démocratique comme la France. (Très bien !... — S'adressant alors au prince Jérôme qui l'interrompt :) Je lui demanderai s'il n'est pas vrai que des agents parcourent les départements en proclamant la candidature de son cousin, je lui demanderai si ce fait n'est pas vrai et si on ne s'adresse pas pour cela à la partie la moins éclairée de la population et en appuyant sa candidature des promesses les plus absurdes. (Mouvement.) Si cela est vrai, cette candidature est des plus singulières. (Bruit.) Je demanderai à M. Napoléon Bonaparte à quel titre son cousin peut se présenter comme candidat à la présidence de la République. (Nouveau tumulte.) Je le regarde comme un bon citoyen, mais je dis que pour prétendre à une position si élevée, si importante, il faut s'appuyer sur des titres réels... (Longue interruption.) M. Pierre Bonaparte s'approche de la tribune et interpelle avec violence l'orateur. Des cris : A l'ordre ! se font entendre de toutes parts. Un grand nombre de membres quittent leur place et descendent dans l'hémicycle. Le tumulte est intense durant quelques minutes. Le prince Jérôme-Napoléon Bonaparte remonte à la tribune : Je ne viens pas, dit-il, répondre à M. Clément Thomas, je croirais manquer aux convenances si je le suivais sur le terrain où il s'est placé si malencontreusement. (Rires.) Il n'avait pas le droit de venir poser ici une candidature quelconque. Je demande à l'Assemblée, par un ordre du jour motivé, de déclarer que M. Thomas est sorti de son droit. (Exclamations générales.) Sinon cette tribune ne serait plus qu'une arène de luttes personnelles, ce qui serait indigne d'une grande Assemblée. (Assez ! l'ordre du jour !) M. Clément Thomas veut jouer jusqu'au bout son rôle d'enfant terrible : Le citoyen Jérôme Bonaparte a dit que j'étais venu porter à cette tribune une candidature. Ce n'est pas là ce que j'ai fait. J'ai rempli un devoir, parce que celui dont il est question et qui se porte candidat à la présidence n'est pas un candidat à la présidence, mais un candidat à l'Empire. (Exclamations.)

Le National (26 octobre), rendant compte de cette séance, dit à propos du discours de Dufaure : Nous donnerions difficilement une idée de la gaieté que ces paroles ont fait éclater dans l'Assemblée... C'est une réclame ! criait-on à la fois de tous les côtés. Et les rires recommençaient de plus belle. M. Louis Bonaparte n'assistait pas à la séance, c'est assez son habitude ; en général il ne se prodigue pas, et l'on dirait qu'il se plaît à envelopper dans un nuage mystérieux l'éclat de son nom et la majesté de ses secrètes espérances... L'incident dont il a été l'occasion lui aurait appris que tous les moyens ne sont pas bons pour occuper de soi le public, que la nation française est railleuse de sa nature, et que le charlatanisme a chez nous peu de chance de succès quand il est assez maladroit pour se faire prendre en flagrant délit. M. Jérôme Bonaparte a fait d'inutiles efforts pour relever son cousin de cet état piteux. Il y a des fautes irréparables. Le National sentait déjà monter le flot du bonapartisme ; pourtant il ne se résignait pas à se l'avouer à soi-même, et il prenait son désir pour la réalité. Le prince, en effet, ne venait pas régulièrement à l'Assemblée ; il s'y montrait le moins possible, et, en cela, il faisait preuve d'habileté ; il sentait qu'il était nécessaire de garder sa distance et de ne pas se mêler trop souvent au commun des martyrs. Ceux des représentants, dit Odilon Barrot[2], qui, en admettant Louis-Napoléon comme représentant, avaient espéré qu'une fois assis sur les bancs de l'Assemblée, ils auraient tous les jours l'occasion de l'interpeller, de l'attaquer et de l'amoindrir, furent déjoués dans leurs calculs. Louis-Napoléon n'assistait, en effet, que bien rarement aux séances[3], et lorsque, par accident, il s'y élevait quelque débat à son sujet, ses cousins se chargeaient de parler pour lui. Il savait bien que ce n'était pas là qu'était sa force ; ses chances étaient ailleurs, et il n'en négligea aucune.

Après ce qui s'était passé à la séance du 25 octobre, le prince ne crut pas pouvoir garder le silence, et le lendemain même il venait lire à la tribune de l'Assemblée le discours suivant : Citoyens représentants, l'incident regrettable qui s'est élevé hier à mon sujet ne me permet pas de me taire. Je déplore profondément d'être obligé de parler encore de moi, car il me répugne de voir porter sans cesse devant cette Assemblée des questions personnelles, alors que nous n'avons pas un moment à perdre pour nous occuper des intérêts de la patrie. (Adhésions.) Je ne parlerai pas de mes sentiments et de mes opinions ; je les ai déjà exprimés, et jamais personne n'a pu encore douter de ma parole. Quant à ma conduite parlementaire, de même que je ne me permettrai jamais de demander compte à aucun de mes collègues de celle qu'il entend tenir, de même je ne reconnais à aucun le droit de m'interpeller sur la mienne. Ce compte, je ne le dois qu'à mes commettants. De quoi m'accuse-t-on ? D'accepter du sentiment populaire une candidature que je n'ai pas recherchée et qui m'honore. Eh bien ! oui, je l'accepte, cette candidature, parce que trois élections successives et le décret unanime de l'Assemblée nationale contre la proscription de ma famille m'autorisent à croire que la France regarde mon nom comme pouvant servir à la consolidation de la société ! (Réclamations nombreuses et énergiques.) Ceux qui m'accusent d'ambition connaissent peu mon cœur... (Sourires.) Si un devoir impérieux ne me retenait pas ici, si les sympathies de mes concitoyens ne me consolaient pas de l'animosité de quelques attaques et de l'impétuosité même de quelques défenses, il y a longtemps que j'aurais regretté l'exil... (Interruption.) Il n'est permis qu'à peu de personnes d'apporter ici une parole éloquente au service d'idées saines et justes. N'y a-t-il donc qu'un moyen de servir son pays ? Ce qu'il lui faut surtout, ce sont des actes ; ce qu'il lui faut, c'est un gouvernement ferme, intelligent et sage, qui pense plus à guérir les maux de la société qu'à les venger. Ce gouvernement sera à même de repousser, par sa seule force, mille fois mieux qu'avec les baïonnettes, les théories qui ne sont fondées ni sur l'expérience, ni sur la raison. Je vois qu'on veut semer mon chemin d'écueils et d'embûches. Je n'y tomberai pas. Je suivrai la voie que je me suis tracée sans m'irriter des attaques et montrant toujours le même calme. Rien ne me fera oublier mes devoirs. Je n'aurai qu'un but : celui de mériter l'estime de l'Assemblée, et avec elle la confiance de ce peuple magnanime qu'on a si légèrement traité hier. (Nouvelles réclamations.) Je déclare à ceux qui voudraient organiser contre moi un système de provocation que dorénavant je ne répondrai à aucune interpellation, à aucune espèce d'attaque de la part de ceux qui voudraient me faire parler quand je veux me taire. Je resterai inébranlable contre toutes les attaques, impassible contre toutes les calomnies. La réponse était faite de main de maître. Elle était pleine de crânerie, comme d'habileté politique. Cet homme n'était donc pas le minus habens, le piètre sire[4] qu'on disait. Mais on lui avait fait cette réputation-là, et les grands esprits de la majorité conservatrice de l'Assemblée, par un aveuglement qui confond, l'acceptèrent longtemps comme parole d'Évangile. Ils croyaient sans doute qu'il ne faisait que lire ce qui avait été écrit par son ancien précepteur M. Vieillard.

M. Clément Thomas monte à la tribune : Je voulais savoir, dit-il, si ce qu'on raconte partout de la candidature de M. Louis Bonaparte, des démarches qui sont faites dans les départements pour pousser à cette candidature, n'étaient pas aussi un complot organisé dans le but de le rendre suspect à tous les partisans de la liberté en France. (Rires.) Je lui avais demandé de quels titres il l'appuierait, il nous a dit que c'est sur son nom. Eh bien ! il nous reste à savoir si les Français, après avoir combattu pendant soixante ans pour la liberté, trouveront cette garantie suffisante. — L'orateur descend de la tribune. Pas un mot n'est prononcé. Aucun mouvement ne se produit dans l'Assemblée. Tous ces hommes semblent paralysés et accablés par le sentiment de l'inéluctabilité de l'événement qui se prépare. Le président se lève et déclare que le procès-verbal est adopté.

La presse parisienne presque tout entière attaque le prince et combat passionnément la candidature qu'il vient de poser.

L'Union déclare que Louis Bonaparte n'est qu'un nom et que sa cause est un fétichisme. Néanmoins elle reconnaît qu'il a les plus grandes chances. C'est[5] une honte, c'est une misère, c'est un mystère, c'est une folie, c'est tout ce qu'on voudra ; c'est un fait !... En France, il y a un sentiment qu'on n'avoue pas, et il est pourtant universel, c'est le besoin du pouvoir... Louis-Napoléon[6]... paraît plus propre à recevoir une impulsion dans le sens de la majorité ; pour les uns, il est un but, un terme, un repos ; pour les autres, il n'est qu'un moyen d'échapper à l'exploitation d'un parti installé au pouvoir par surprise et déterminé à s'y maintenir par tous les moyens imaginables, au prix des plus affreux malheurs... Louis-Napoléon n'est pas le vrai Napoléon ;... le grand, l'oncle, celui-là est mort ; n'importe, dès qu'il s'appelle Napoléon, il est bon ! qu'il soit nommé au plus tôt ! Et là-dessus les votes s'apprêtent. — Quelques jours après (28 novembre) : ... Ce n'est pas nous[7] qui avons provoqué ce nom à sortir de son silence ; ce n'est pas nous, c'est la République ! C'est elle qui a ravivé les souvenirs d'impérialisme, identifiés le plus souvent depuis 1815 avec... le libéralisme ; c'est elle qui a eu des ovations pour l'empereur Napoléon ; c'est la République qui a ravivé l'idée bonapartiste, c'est elle qui a fait la candidature de Louis-Napoléon... Le peuple a pris au sérieux l'apparition de ce nom qui résume la force, la grandeur, l'activité et le génie, et ne s'enquérant pas si ces grandes choses s'étaient transmises avec le nom, ni même d'où venait le nom, il l'a pris comme une puissance de salut. Louis Bonaparte n'est pas un candidat de parti ; la preuve, c'est qu'en France il n'y a pas de parti bonapartiste. Le parti bonapartiste de 1815 est devenu tour à tour le parti libéral de la Restauration, le parti orléaniste de 1830 et le parti républicain de 1848. La candidature de Louis-Napoléon est la manifestation par un nom propre d'idées et de tendances diamétralement contraires à la politique qui s'est levée sur la France depuis huit mois... Suivant le Constitutionnel, le prince est un jeune homme encore inconnu qui porte un nom immortel, le plus grand nom de nos annales. Le nom et la descendance suffisent en fait d'hérédité monarchique, mais un président de la République ne doit-il pas être l'une des capacités les plus éprouvées ? Toutefois... il paraît certain qu'il existe... un grand entraînement vers cette candidature... Cette opposition du Constitutionnel, alors inspiré par M. Thiers, devait bientôt cesser, comme nous allons le voir.

Le Bien public, qui soutient la candidature de Lamartine, écrit (28 octobre) : M. Louis Bonaparte offre à la France son nom. Cela veut dire que M. Louis Bonaparte doit être président de la République, parce qu'il est le neveu de son oncle. Cette théorie nous paraît peu républicaine, c'est tout simplement la théorie de l'hérédité monarchique. Pourquoi avons-nous fait trois révolutions en soixante ans ? Précisément parce que nous avons pensé que le gouvernement d'une grande nation ne devait pas être un nom... Le nom que porte M. Louis Bonaparte n'est pas un principe... Le génie n'est pas héréditaire... Ce qu'il faut à la République, ce n'est pas un nom, mais un homme. — Le journal précité ne disait pas assez ; la vie d'une nation ne dépend ni d'un nom, ni d'un homme. — La même feuille ajoutait[8] un peu plus tard : ... Les partis... n'osant pas se montrer eux-mêmes ont construit une machine... composée de toutes les illusions, de toutes les déceptions, de tous les contresens, de tous les faux souvenirs, de toutes les fausses promesses, de tous les charlatanismes dont il soit donné à l'idolâtrie de se forger une idole. Il y a de la gloire pour les soldats, des exemptions d'impôts pour les propriétaires, de l'impérialisme pour les amis d'un pouvoir fort, des 18 brumaire pour les ennemis de la liberté, de l'esprit de conquête pour les ambitieux, de la légende pour la crédulité populaire, de l'audace pour les hommes d'esprit, de la niaiserie pour les imbéciles, et de tous ces métaux de mauvais alliage ils ont pétri cette figure qu'ils appellent Napoléon ressuscité du tombeau, et ils disent au peuple : Prends ! c'est la République... C'est le fantôme de la monarchie, mais ce n'est pas elle ; c'est le fantôme de la liberté, mais ce n'est pas elle ; c'est le fantôme de la gloire, mais ce n'est pas elle ; c'est le fantôme de la concorde, mais ce n'est pas elle ; c'est le fantôme de la République, mais ce n'est pas elle encore. C'est moins que la République, moins que la gloire, moins que la monarchie, moins que la concorde, moins que la liberté, c'est le néant !

La Révolution démocratique et sociale, rédigée par Delescluze, s'écrie[9] : Nous ne comprendrons jamais, pour notre part, qu'après avoir proclamé la République démocratique, une et indivisible, l'Assemblée nationale ait condamné la France à se donner un maître. Pourquoi les bons citoyens ont-ils combattu l'institution de la présidence ? Parce qu'ils y voyaient une cause d'affaiblissement pour la République et une sorte de gage donné au rétablissement de la royauté. Maintenant qu'ontils à faire, si ce n'est de demander au vote une atténuation de l'abus consacré par la constitution en portant leurs suffrages sur le citoyen qui peut leur offrir le plus de garanties ?... Louis-Napoléon[10] est l'indigne héritier d'un grand homme, le continuateur obligé d'une politique antidémocratique, l'allié nécessaire des despotes et des rois... Napoléon est mort tout entier ; il n'avait pas d'ancêtres, il n'a pas laissé de descendants... Qui donc vous donne le droit de parler en son nom ? Il a fait de grandes choses, mais il a tué la liberté, usé le sang de la France au service de son insatiable ambition ; c'est par lui que l'invasion étrangère a deux fois souillé le sol sacré de la patrie ; nous lui devons la honte et les malheurs d'une double restauration... Répondez, Altesse Impériale... où sont vos travaux, vos services ? Vous vous êtes donné la peine de naître... Que vous ayez endossé le harnais de policeman (sic), c'est le passe-temps de princes... Ailleurs, vous avez voulu vous déguiser en puritain, vous avez abjuré votre patrie, comme si la patrie était un vêtement qu'on dépose ou reprenne à volonté. Plus tard... vous vous rappelez l'issue de cette honteuse échauffourée sur la plage de Boulogne, vous n'avez conquis que le ridicule... Vous n'êtes pas plus Français que républicain... A en croire les prôneurs de la candidature impérialiste le peuple tout entier va donner son suffrage à l'imbécile et impuissant restaurateur du régime napoléonien.

Proudhon, dans le journal le Peuple (27 octobre 1848), fulmine contre le prince : Quoi ! cet écervelé veut régner sur la France !... Lui qui, en entrant un matin dans Strasbourg en culotte jaune et en petit chapeau... se laissa prendre dans un cul-de-sac..., comme un blaireau dans son terrier ! Lui qui, coupable du même crime que le duc d'Enghien, aurait dû être traité comme le duc d'Enghien... Lui que plus tard nous avons vu revenir en France par Boulogne un aigle sur le poing, comme un valet de fauconnerie !... Lui qui s'évada de prison, déguisé en blouse, une planche sur l'épaule, et cassa sa pipe en passant sur le pont-levis... Lui qui, depuis, fut sergent de ville à Londres ! qui joua la comédie à Eglinton !... Il est drôle le Napoléon avec sa pipe cassée ! avec son aigle ! avec sa culotte de peau !... Je demande à M. Louis Bonaparte s'il renonce aux droits que lui conférait certain sénatus-consulte de 1804, invoqué par lui sous Louis-Philippe... Vous serez tous soldats, soldats à vie, comme Napoléon sera président. Vos femmes seront cantinières, vos garçons tambours, vos filles à douze ans feront l'œil aux tourlourous. — Ah ! vous vous plaigniez des quarante-cinq centimes de la République ! vous payerez quatre-vingt-dix avec l'Empereur. Ah ! vous trouviez que c'était trop lourd un budget de mille huit cent quarante millions ? vous l'aurez de deux milliards, plus la communauté de la gamelle... Viens donc, Napoléon, viens prendre possession... de ce peuple de courtisans... Ils disent de toi que tu n'es qu'un crétin, un aventurier, un fou... Tu as fait la police et joué la comédie... Viens, tu es l'homme qu'il nous faut... Viens... les apostats de tous les régimes sont là qui t'attendent, prêts à te faire litière de leurs consciences comme de leurs femmes !... Viens terminer nos discordes en prenant nos libertés, viens consommer la honte du peuple français ! Viens ! viens ! viens ! la France est en folie, il lui faut UN HOMME !

M. Jules Simon écrit, dans le journal la Liberté de penser (27 octobre) : ... Ces deux tentatives de Strasbourg et de Boulogne, quel en est le sens ? Vous avez voulu, par deux fois, être empereur : c'est un passé peu rassurant pour nous... Si aujourd'hui, ne voulant pas plus de l'Empire que nous n'en voulions alors, nous armons nous-mêmes ce prétendant de Strasbourg et de Boulogne sur ce seul fondement qu'il nous promet de ne plus vouloir, étant puissant, ce qu'il a voulu deux fois étant impuissant, ne serons-nous pas les plus insensés de tous les hommes ?... Du côté de la sincérité, vous n'avez rien à nous donner que votre parole, et nous avons, nous, à vous opposer votre propre histoire. Voilà ce que nous pensons de votre caractère, ce que nous pensons de votre capacité !... Vous ne savez pas parler en public, même médiocrement. Vous n'êtes pas jurisconsulte... Où seriez-vous devenu général ? Vous avez commandé en chef deux armées, dont la plus nombreuse n'avait pas quinze soldats... Ce sont là toutes vos campagnes, à moins que vous ne comptiez aussi celle que vous avez faite à Londres, dans les rangs de la police, un bâton de constable à la main... Seriez-vous donc un homme d'État ?... personne n'en sait rien. Vous avez publié quelques petites brochures : c'est un mince bagage qui vous ouvrirait à peine les portes d'une académie de province. Vous n'oserez pas les donner sérieusement comme une preuve de capacité politique. Si ces brochures, que je n'ai pas lues[11], avaient quelque valeur, on en saurait quelque chose dans le monde ; il faut qu'elles soient bien profondément médiocres. Puisque vous avez passé votre vie à enseigner le maniement du fusil à quarante soldats thurgoviens, à rêver pour la France des guerres civiles impossibles, ou à mener à Londres la vie efféminée de l'aristocratie anglaise, vous n'avez jamais pu donner la mesure de votre capacité comme homme politique... Pour beaucoup d'esprits — et des meilleurs — vos deux ridicules tentatives sont une preuve d'incurable ineptie... Vous êtes votre propre idole, vous ne songez qu'à votre grandeur, vous jouez la France pour votre ambition, vous n'avez que des convoitises, vous n'avez pas une idée... Vous êtes le membre le plus négligent et le plus inepte de l'Assemblée... Comme Français, comme moraliste, je vous demande compte de cette audacieuse exploitation de l'ignorance et des passions hostiles, dont nous donne le spectacle un prétendant deux fois vaincu, un représentant infidèle et incapable !... En deux mois de législature, vous désertez dix-huit fois l'urne du scrutin... On dit aux paysans et aux ouvriers que vous avez des richesses immenses, que vous les emploierez en largesses ; que, grâce à vous, les impôts seront diminués, le commerce relevé, le travail partout repris, la crise financière terminée. Les misérables qui colportent de tels mensonges vous servent-ils à votre insu ?... Si cela est, en vous taisant vous devenez leur complice ; il s'agit là de tout votre honneur... Tout ce qui est à la fois intelligent et honnête est contre vous... Qui est-il ? de quoi est-il capable ? que croit-il ? que veut-il ? Personne, ne le sait ; personne même ne peut le soupçonner... La confiance n'attendait pour renaître que l'élection d'un président dont le caractère est inconnu, la capacité inconnue, la volonté, la croyance, la foi politique inconnues ? Est-ce sérieusement que l'on parle ainsi ?... On croit rêver quand on assiste à de tels spectacles. Car, enfin, remontons jusqu'à Strasbourg, ou seulement jusqu'au mois de mai dernier, je conjure tous les esprits sincères d'avouer que jamais ils n'avaient pris M. Bonaparte au sérieux... Après Strasbourg, quel était, je le demande, le sentiment de la France entière ? Cette conspiration, si ridiculement avortée, ne parut-elle pas d'un enfant ou d'un fou ? Quand il revint à Boulogne avec un aigle apprivoisé, si je ne me trompe, épisode burlesque... on ne daigna pas davantage s'occuper de cette fantaisie obstinée de devenir empereur... Lorsque, tout récemment, nous entendîmes ce nom, tout le monde se disait : Ce prétendant-là est le prétendant ridicule...

Le Journal des Débats (27 octobre 1848) accueille avec dédain la déclaration du prince : ... M. Louis Bonaparte ne se fait pas d'illusions vaniteuses, c'est son nom qu'il offre à la France, son nom seul. Il s'appelle Louis-Napoléon Bonaparte, voilà son titre unique. M. Louis Bonaparte veut bien oublier sa campagne de Strasbourg et son expédition de Boulogne ; il est le neveu de l'Empereur, et on lui doit encore des remerciements pour la modération qu'il montre en bornant son ambition au simple poste de président de la République... Ce nom rappelle d'immenses victoires, mais il rappelle également d'immenses défaites, et l'Europe tout entière conjurée contre la France. Ce nom est un nom d'ordre, mais c'est un nom de despotisme, et Dieu nous garde, pour notre honneur, d'avoir la parodie de l'Empire après avoir eu celle de la Terreur !... Le souvenir que ce nom éveille n'est pas le souvenir de Marengo et d'Austerlitz. N'exagérons rien, ce n'est pas non plus le souvenir du 18 brumaire. Il faudrait une grande puissance d'imagination pour voir les grenadiers de l'oncle derrière le neveu, débitant d'un air embarrassé les phrases qui sont écrites sur son papier. C'est un mélange de prétention et d'impuissance. Trois jours après (30 octobre), il ajoute : Depuis que la France a été amenée, le 24 février, à courir une aventure..., elle est prête à courir toutes les autres... L'Assemblée nationale représente fidèlement ces sentiments du pays ; elle met intrépidement à la loterie... On pouvait faire nommer le président par l'Assemblée, cela eût mis dans le gouvernement une sorte d'unité ; cela n'eût pas tout livré au hasard, mais le hasard est le seul Dieu que la France adore... En faisant nommer le président par le pays, tout est obscur et inconnu. Tant mieux, c'est là ce qui nous plaît et ce qui nous attire. Personne ne peut savoir ce que nous serons demain. Dis ignotis ! le sort s'accomplira ! le dé est jeté !... Nous ne croyons tant au destin que parce que nous ne croyons plus en nous-mêmes. Ne voyant de port nulle part, nous demandons aux vagues de se presser et de se hâter les unes sur les autres, afin qu'elles nous jettent quelque part, à l'est ou au nord, peu importe !... Le président (4 novembre 1848) prêtera serment de fidélité à la République. Faible garantie ! Qui viole les lois ne s'embarrasse guère d'avoir, de plus, un serment à violer... Mais enfin, si le président est un ambitieux qui se mette au-dessus des lois, s'il dissout la Chambre, s'il en appelle à la force ?... Le président sera de plein droit déchu de ses fonctions ; les citoyens seront tenus de lui refuser obéissance ; la Haute Cour se réunira d'elle-même et mettra le président en accusation... Oui, si le président se laisse mettre en accusation. Franchement, n'est-ce pas un peu puéril, et croit-on que l'homme du 18 brumaire, par exemple, après avoir fait sauter par les fenêtres les représentants du peuple, serait venu humblement subir la justice de cinq juges et de douze jurés ?... Qu'est-ce (6 novembre) qu'une constitution pour un homme que l'élection a tiré de pair et qui se voit prêt à retomber dans la foule, s'il ne brise pas les liens que la loi met à son pouvoir ?... La République française (10 décembre), par la voix de son prophète et de son rapsode, a choisi pour son Dieu tutélaire... le hasard. Jacta est alea ; le mot est dans toutes les bouches, comme la pensée dans tous les cœurs... La France joue ; elle veut jouer ; les yeux bandés, elle tire le gâteau des rois. Où est le port ? Où est le pilote ? Où est l'étoile lumineuse qui doit nous guider dans ces ténèbres insondables ?

Le Siècle ne se contente pas, comme les Débats, de combattre la candidature du prince, il patronne celle du général Cavaignac : Si la nation (27 octobre 1848) réfléchit, si elle veut rentrer dans le repos, au lieu de s'exposer à de nouvelles aventures ; si elle tient compte du mérite éprouvé et des droits véritables ; si elle juge, en un mot, au lieu de se livrer à l'engouement, certes, son choix ne sera pas difficile, elle nommera le général Cavaignac. Sur quoi (6 novembre) se fonde la confiance qu'inspire Louis-Napoléon ? Peuvent-ils croire à son habileté ? L'issue des équipées de Strasbourg et de Boulogne les en empêche. Peuvent-ils garantir ses opinions républicaines ? Nous n'entendons pas, quant à nous, les contester ; mais les cris de Vive l'Empereur ! au milieu desquels il a essayé deux fois sous le dernier gouvernement de saisir le pouvoir, laisseront à d'autres quelques doutes. Héritier de l'Empire, on lui en demanderait la gloire ; l'armée ne comprendrait jamais qu'on la forçât de rester l'arme au bras, immobile témoin d'une guerre européenne. Celui-ci devrait à tout risque soutenir le nom qu'il porte. Voter pour lui le 10 décembre, ce serait donc probablement, qu'on le voulût ou non, voter la guerre. Il dit encore (17 novembre) : L'avènement de Louis Bonaparte, c'est l'inconnu, c'est l'inquiétude, c'est peut-être une révolution ; c'est le réveil des passions populaires et de la politique des prétoriens ; c'est l'avènement au pouvoir d'un homme dont on ne connaît ni les vues, ni les engagements, ni la position, ni la portée d'esprit. Lui remettre les destinées de la France, n'est-ce pas les confier au hasard lui-même ? Notre principal motif (18 novembre) pour repousser cette candidature, c'est qu'elle cache toute sorte d'embûches et qu'en soi elle n'est qu'un mensonge. Qui osera soutenir en effet que par lui-même et pour ses propres mérites Louis-Napoléon peut réunir une majorité ? Voyez comment les partis le jugeaient en 1840. Ceux-ci le nommeront parce qu'ils espèrent être déchargés de leurs impôts, ceux-là parce qu'ils regrettent le dernier gouvernement, d'autres parce qu'ils s'imaginent qu'on peut refaire l'Empire sans l'Empereur ; d'autres, enfin, parce qu'ils sont impatients de traverser les épreuves qui doivent les ramener à la légitimité monarchique... Pensez-vous que tous ceux qui se seront unis un moment avec des vues diverses... se mettront aisément d'accord pour maintenir sur le siège de la présidence l'homme dont le nom aura été surtout un mot de ralliement contre la République ?... Ils s'entendront après l'élection pour pousser à un autre résultat. Supposez qu'une insurrection... éclate tout à coup au cri de : Vive l'Empereur ! qui aura mission de la réprimer ? qui ? Celui-là même que la multitude ameutée voudra faire monter à un rang plus haut, qu'elle voudra faire asseoir sur le trône de Napoléon ! Vous figurez-vous l'homme qui sera l'objet de ces désirs, de ces vœux, de cette ovation, contraint d'y résister par la force, luttant contre l'entraînement des masses, qui se prononcera en sa faveur, obligé de combattre à outrance et peut-être à coups de canon ses amis et son parti ! Nous lui supposerons toutes les vertus républicaines que vous voudrez, mais nous n'en aurons pas moins de peine à concevoir qu'il déploie une grande, une formidable énergie pour empêcher la chute de la République, c'est-à-dire sa propre élévation. On va faire à Louis Bonaparte une situation impossible !

Qu'on lise et qu'on retienne toutes ces réflexions pleines de sens et tous ces pronostics qui s'imposent déjà avec tant de force.

Le même journal dit encore (5 décembre 1848) : Tous ceux qui portent M. Louis-Napoléon à la présidence sont, ou républicains, ou impérialistes, ou partisans de quelque restauration. Aux républicains nous demandons si la République sera plus en sûreté entre les mains du prétendant malheureux et impuissant de Strasbourg et de Boulogne qu'entre celles du général Cavaignac. Aux impérialistes, pour ne pas faire de querelle avec eux, nous ferons volontiers cette concession qu'il ne manque à l'Empire qu'un homme : l'Empereur ; à la contre-révolution... nous ne demandons que de nous instruire sur deux points : Où vat-elle ? Par quels moyens se propose-t-elle d'arriver à son but ? Est-ce à la régence qu'elle aspire ?... est-ce à la monarchie de droit divin ?... Maintenant, par où va-t-on à ce but, quel qu'il puisse être ?... On ne peut aller à une contre-révolution qu'à travers la banqueroute et la guerre civile... Il est vrai que les Bonaparte, à ce qu'on assure, sont destinés à essuyer les plâtres de la reconstruction. C'est quelque chose, mais que coûtera au pays leur règne et leur chute ?... — Par un choix (6 décembre) aventureux, téméraire, auquel auront concouru les passions les plus opposées, allons-nous tout remettre au hasard ?... On marche vers l'inconnu, même vers les abîmes ; vous demandez de nous confier à quoi ? à une circulaire ! à un programme !... Et les républicains ? On va les faire disparaître !... Et les royalistes ?... On les satisfera sans peine !... mensonge ou illusion !... Louis Bonaparte le candidat des restaurations (7 décembre) !... On ne le prend pas pour ce qu'il a fait... on ne le prend pas pour ce qu'il fera... on ne le prend que sur la foi de ce qu'il est capable de laisser faire... le renversement de la République, la fin du bonapartisme et une restauration. C'est à une restauration que l'on va. A laquelle ?... Votre moyen, c'est le règne de quelques jours de M. Louis Bonaparte. Vous attendez deux choses de M. Louis Bonaparte : la première, que ne pouvant vivre avec la République, son parti, aidé du vôtre, l'écrasera ; la seconde, que son insuffisance étalée perdra à tout jamais la cause du bonapartisme en France. Le National fait rage[12] : Quelques personnes pensent qu'il est impolitique de s'occuper de M. Louis Bonaparte, attendu, disent-elles, que c'est lui donner une importance qu'il n'a pas. Elles auraient raison... si M. Louis Bonaparte par ses manœuvres ou par celles de ses adhérents, par les fanfares impériales qui retentissent en son honneur, par l'exploitation de souvenirs historiques... par sa tactique de silence au moyen de laquelle il cherche à suppléer à son insuffisance, n'avait pris à la face du pays un rôle à la fois éclatant et sournois, public et mystérieux qu'il ne suffit pas de taire pour l'annuler... Un nom ! voilà donc ce que M. Louis Bonaparte apporte à la France comme solution des grands problèmes du moment. Un nom ! voilà son titre à la plus haute dignité de la République !... Ne parlez pas de mérite personnel, d'une longue expérience acquise dans la pratique des affaires, de ces œuvres éclatantes de la pensée qui immortalisent les grands esprits, de services politiques, administratifs, militaires, de tout ce qui dans une République nous paraissait à nous bonnes gens devoir créer les candidatures légitimes ; M. Louis Bonaparte a changé tout cela. Il répond à tout par cette raison sans réplique : son nom ! c'est le Sans dot de Molière dans toute sa vérité. Oh ! qu'on a bonne grâce à invoquer le nom de son oncle sous une République !... Comment ne souriez-vous pas vous-même à ces ridicules préjugés ?... Vous vous arrangez une gloire postiche ; vous vous placez sous le patronage non de vos actes, mais d'un passé qui ne vous appartient pas... C'est d'ailleurs d'un merveilleux à-propos que d'en appeler dans un pays qui a brisé la monarchie sous toutes ses formes à ces fictions surannées d'hérédité en matière politique... Nous savons comme tout le monde que M. Louis Bonaparte est parfaitement innocent[13], sinon du fond, du moins de la forme de tout ce qu'on lui fait dire ou écrire. Or cette forme nous paraît singulièrement maladroite... La candidature de M. Louis Bonaparte est une insolente contradiction de ce grand mouvement historique qui n'est lui-même que la marche progressive... de la raison humaine : c'est un privilège de race mis à la place du mérite personnel, c'est un imbécile préjugé cherchant à triompher des vérités conquises par tant de luttes douloureuses. Quant à nous, nous avons toujours méprisé, toujours combattu, nous mépriserons, nous combattrons toujours ces inqualifiables préjugés qui s'inclinent sottement devant le prétendu prestige d'un nom, d'une descendance quelconque, qui sont un ridicule outrage à l'égalité, et qui placent la source du droit au pouvoir dans nous ne savons quelle problématique filiation du sang et dans d'équivoques mystères d'alcôve[14]... Le National ne gardait plus aucun ménagement et allait jusqu'au bout... On met en avant son nom ! mais ne voit-on pas que c'est avouer pour lui la plus déplorable indigence de mérite ? Et puis, quel merveilleux topique à appliquer aux maux passagers de la France qu'un nom !... (Dans son factum)... le prince prend en quelque sorte sous sa protection le peuple... Ceci est de l'insolence... Le peuple n'a pas besoin de la protection d'un prince, fût-il cent fois plus Bonaparte que M. Bonaparte lui-même. Et l'Assemblée dans laquelle revit la majesté du peuple tout entier n'a pas besoin qu'un ancien constable anglais[15] vienne à cet égard lui donner des leçons... Il a fait contre Strasbourg une première campagne dont l'univers sait le résultat ; puis il a tenté sur Boulogne une expédition maritime où il a eu la gloire de tuer[16] de sa main un soldat français... Évidemment le citoyen Louis Bonaparte brille à la fois par le conseil et l'exécution, consilio manuque, comme Figaro ! Mais quelque génie administratif et militaire qu'il ait déployé dans ces deux rencontres, et quelques succès qu'il y ait obtenus, il n'a pas encore acquis une assez haute renommée pour bouleverser la France, disperser l'Assemblée nationale et mettre la constitution dans sa poche... Le prince (1er novembre 1848) porte un nom immortel ?... qu'importe ! l'étiquette du sac change-t-elle rien au contenu ?... Battre en retraite, voilà toute sa stratégie (4 novembre) ; se taire, voilà toute son éloquence ; subir, tristement subir sans un seul mouvement de fierté, sans un seul élan du cœur, les attaques les plus poignantes à la fois et les plus méritées, voilà ses Marengo et ses Austerlitz !... Ce qu'il vaut (6 novembre) réfute ce qu'il veut... Il a dit : Je suis un nom, une agrégation de syllabes, quelque chose comme un son, un écho historique, un souvenir ou plutôt un prétexte de souvenir... Il ne nous est pas donné de comprendre à quoi peut travailler un nom. Un nom est-il par hasard capable d'administrer ? de parler à une Assemblée ? de combiner les mouvements d'une armée sur le champ de bataille ?... Que signifie ce nom ? En politique extérieure il signifie conquêtes, coalition de l'Europe, en un mot, la guerre, avec tous ses hasards... On aura beau faire, le nom de M. Louis Bonaparte rappellera l'Empire à l'Europe et semblera indiquer de la part de la France la volonté de recommencer une ère glorieuse, mais funeste ; seulement ce serait l'Empire moins le génie de l'Empire... A l'intérieur... le système impérial est antipathique au génie de la démocratie. L'élection de M. Louis Bonaparte serait un non-sens et un danger. La France ne se laissera pas prendre à cette ridicule piperie d'un nom... M. Bonaparte (16 novembre) est une menace pour la République ; la dernière espérance des partisans secrets des restaurations monarchiques... ses traditions de famille, son propre passé, les conseils intéressés des ambitieux et des flatteurs qui l'entourent, tout l'invite à l'usurpation. Sa nomination serait la honte éternelle et la ruine temporaire de la France... — Il ne s'est rendu célèbre (22 novembre) que par des entreprises extravagantes et des échecs ridicules. Son seul exploit militaire a été de blesser dangereusement un soldat français. La seule fonction publique qu'il ait jamais exercée est celle de limier de la police anglaise. Il n'a jamais donné aucune preuve de capacité. Il ne nous a rendu aucun service... avec lui... la liberté est compromise, l'ordre et la paix sont menacés, la confiance se retire, le travail chôme, l'industrie s'arrête, le commerce est mort... Ce nom retentit aux oreilles de l'Europe comme une fanfare impériale qui sonne une marche en avant sur le Rhin et sur nos frontières des Alpes. — Il a daigné écrire[17] ou... on a écrit pour lui. Qui lui ?... le paladin d'Eglinton, le constable de Londres, l'ex-citoyen de Thurgovie, le puissant orateur parlementaire, le représentant assidu à ses devoirs, l'héritier collatéral de glorieuses syllabes, la personnification de la redingote grise, le petit chapeau fait homme, ce candidat d'une chimère, d'une impossibilité, ce je ne sais quoi, ombre projetée par un passé illustre, énigme vivante, rêve de superstitions posthumes, fantôme évoqué par le souvenir, qu'on appelle le prince Louis Bonaparte... Il y a dans ce manifeste des flatteries à tous les partis... On ne peut imaginer une quête de suffrages plus humblement prosternée, plus mendiante... l'ambitieux besacier adore les saints de toutes les paroisses... C'est fin et c'est naïf, c'est belliqueux et pacifique, c'est démocratique et impérial ; en un mot, c'est ceci et c'est aussi cela... à moins que ce ne soit autre chose encore, c'est tout et rien, tout ce que vous voudrez, rien de ce que vous ne voudrez pas... Le prince commence par mettre sa candidature sous l'invocation de son oncle... Que disaient donc les comédies en parlant de ces coquins de neveux ? Le prince Louis réhabilite cette profession si longtemps calomniée et ouvre une ère nouvelle pour cet intéressant degré de parenté... Son nom, avoue-t-il, est son seul titre... Ce serait donc un nom

qui gouvernerait, un nom qui administrerait, un nom qui ferait les traités.., un nom qui nommerait aux emplois, un nom enfin qui pourvoirait à tout, et non pas une pensée, une expérience, un homme... Il s'appelle Bonaparte ! et ces syllabes magiques lui donnent toute espèce de mérites et de droits... Voulez-vous rétablir l'ordre ?... rien de plus simple... il s'agit tout uniment de ramener la confiance... Mais comment ? Vous êtes bien curieux. Inclinez-vous et croyez ; il n'y a que la foi qui sauve... Vous ne verriez pas sans plaisir protéger la propriété... il y a... une recette infaillible... c'est maintenir l'indépendance et la sécurité de la possession... Cela prouve qu'il n'y a pas de pertes irréparables en ce monde, pas même celle de cet infortuné M. de la Palisse... Savez-vous qu'il est capable d'admettre toutes les économies qui sans désorganiser les pouvoirs publics permettent la diminution des impôts les plus onéreux au peuple ? On n'avait pas... trouvé cela avant M. Louis Bonaparte... Il ne verrait nulle difficulté à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous ; sublime axiome économique trop longtemps ignoré par l'humanité... A la fin le bouquet... Il veut... convier à l'œuvre commune, sans distinction de partis, les hommes que recommandent à l'opinion publique leur haute intelligence et leur probité. Quel admirable appel ! Et comme chacun doit s'y trouver naturellement désigné ! Qui est-ce qui ne se croit pas plus intelligent et plus probe que son voisin ? Ambitieux de tous les étages, de toutes les insuffisances, de toutes les incapacités, non, certes, vous ne sifflerez pas, vous applaudirez... Monarchistes de tous les systèmes et de toutes les dynasties, sectaires des idées les plus antisociales,... déguisent sous le masque de cette candidature leurs regrets, leurs espérances, leurs projets réciproquement hostiles, et réunis pour la bataille n'attendent pour se diviser que la victoire qu'ils espèrent remporter ensemble ; c'est une coalition de rancunes... contre la République... Étrange coalition (4 décembre), qui donc trompe-t-on ?... Eh ! mais, tout le monde !... — Le National (6 décembre) revient sur le manifeste du prince que l'on trouvera ci-après : Après avoir donné seulement... la fine fleur de la mouture princière, nous en donnerons tout aujourd'hui : la farine, le son même, et nous viderons jusqu'au fond du sac... Feuilletons donc un instant la préface du manifeste... Voici la parade carnavalesque d'Eglinton où l'homme des mascarades napoléoniennes chevaucha si agréablement. Tournons cet autre feuillet, nouveau changement de costume, il ne s'agit plus d'uniforme de l'Empire, d'armure du moyen âge, mais simplement du bâton de constable : le descendant de Napoléon est une espèce d'officier de police anglais... Son nom ! il ne sort pas de là ! son nom ! c'est sa force ; son nom ! c'est son mérite ; son nom ! toujours son nom ! c'est son droit... S'il se place ainsi sous le patronage de ces syllabes historiques, c'est parce qu'en faisant oublier sa personne elles évoquent dans les souvenirs du peuple une de ces glorieuses personnalités qui n'ont pas plus d'héritiers que d'aïeux et qui sont les seules de leur race. Par cet artifice il s'absorbe lui-même dans ce magique rayonnement d'une gloire défunte. Candidat d'une illusion d'optique qui fait apparaître aux regards superstitieux des masses le fantôme de l'Empire, il demande que l'on vote en sa personne l'intronisation d'un souvenir, d'une ombre... Cette candidature n'est rien que la conspiration d'un rêve contre les invincibles réalités du temps... Le nom impérial est un symbole d'ordre et de sécurité ? d'ordre par le despotisme... de sécurité par la guerre. Cessez donc de faire mentir ce nom ; il signifie la gloire, qui le nie ? mais la gloire ruineuse ; il signifie une domination jalouse !... il signifie la liberté de la presse confisquée, la tribune esclave, la pensée muette et enchaînée... Le prince ajoute qu'il ne faut pas qu'il y ait d'équivoque entre lui et les électeurs... L'équivoque est entre ses actes et ses paroles, entre son passé et son présent... L'équivoque est dans sa candidature même qui invoque l'Empire et le désavoue... qui considère comme un titre à la présidence d'une démocratie un droit dynastique ; l'équivoque est dans l'adulation à tous les partis, dans cette position ambiguë de créature de toutes les volontés, de tous les espoirs, ce qui ne peut l'amener qu'à être un président d'impuissance, de bascule et de mystification... Ce que le prince ne dit pas, c'est que, quoi qu'il puisse arriver, quel que soit l'avenir, il ne profitera pas d'une défaillance accidentelle de l'esprit public... pour modifier la constitution, pour tenter de transformer son autorité à terme en autorité viagère ou même héréditaire... Que signifient ces banalités sentencieuses, et qui pourrait les prendre au sérieux ? Bonnes gens qui vous payez de mots, saluez !... Promesses à la Bourse, saluez, agioteurs !... Des aphorismes de vaudeville ne sont pas de la politique.

Si le prince est ainsi injurié par les uns et attaqué violemment par d'autres, son étoile lui amène un puissant et merveilleux auxiliaire en la personne d'un journaliste hors de pair, Emile de Girardin, qui épouse avec passion la cause bonapartiste. Dans la Presse du 27 octobre il écrit : Un seul candidat a la certitude d'obtenir plus de la moitié des suffrages exprimés, et au moins deux millions de voix, c'est M. Louis-Napoléon Bonaparte, nommé quatre fois en juin dernier... et cinq fois en septembre. M. Louis-Napoléon Bonaparte aura l'immense majorité dans les campagnes et dans beaucoup d'ateliers, où le nombre des années écoulées, les revers de 1814 et de 1815 et la captivité de Sainte-Hélène semblent avoir plutôt grandi que diminué l'ombre, le prestige, le souvenir de l'Empire ! Il aura les votes de beaucoup de légitimistes qui, ne croyant pas à la durée de la République, disent que, comme il faudra inévitablement passer sur la planche napoléonienne pour en revenir à une troisième restauration, le plus court est d'y passer tout de suite... Il aura la voix de tout ce qui, dans le commerce et l'industrie, n'aperçoit pas une autre issue pacifique pour sortir du provisoire... Il aura enfin la voix de tous les hommes sensés et prévoyants qui raisonnent ainsi... il détend la situation trop fortement tendue ; il aplanit les difficultés, il n'en crée pas ; il facilite les solutions dans l'avenir, il n'en complique aucune ; il n'a pas eu de commandement militaire qui doive inspirer la crainte d'un ascendant sur l'armée dont il serait tenté d'abuser. Plus la majorité qui l'élira sera considérable, et plus elle lui rendra la tâche facile, en lui donnant la force de résister à toutes les exigences... Ainsi, plus la pyramide est large dans sa base, et moins elle est aisée à ébranler et à renverser. Il ne saurait donc y avoir d'hésitation. Toutes les classes, toutes les opinions doivent se réunir pour n'avoir qu'un seul candidat, afin que l'épreuve qu'il nous reste à traverser soit décisive. Or, s'il est un candidat dont le nom se prête MIRACULEUSEMENT, il faut le dire, à cet accord de toutes les opinions et de toutes les classes, c'est le candidat qui s'appelle Louis-Napoléon Bonaparte... C'est l'avenir... Il simplifie tout et n'exclut rien !

Il n'exclut rien : c'était bien, comme nous le verrons, la pensée, la conviction des principaux hommes politiques du grand parti conservateur, qui se montraient dès le commencement de novembre favorables à la candidature du prince.

Aussi la Presse (1er novembre 1848) dit-elle bientôt : Elle a trouvé, tout à coup, des concours inattendus... Les hommes politiques dont le nom a le plus d'autorité s'y rallient ; ils comprennent que l'élection de M. Louis Bonaparte est la seule voie de salut... que s'il reste à la France un moyen de conjurer les périls suspendus au-dessus d'elle, c'est en faisant servir au rétablissement de l'ordre, du crédit et du travail, à la pacification des esprits le sentiment populaire qui porte les masses vers l'héritier de Napoléon. Il n'y a plus en France ni pouvoir, ni liberté... Qui nous les rendra ?... Napoléon est le poète du peuple ; les noms des batailles qu'ils ont gagnées et perdues ensemble sont dans la mémoire de tous les vieillards et dans l'imagination de tous les enfants... Que signifie (7 novembre) ce nom (de Cavaignac) ?... c'est l'état de siège. L'état de siège, c'est la banqueroute. La banqueroute, c'est la misère. La misère, c'est une révolution nouvelle. Une révolution nouvelle, c'est le retour à la guillotine. Elle répond au National (23 novembre) : Est-ce que M. Louis-Napoléon puise dans la caisse des fonds secrets ? Est-ce qu'il a des croix de la Légion d'honneur à jeter par centaines ? Est-ce qu'il a quatre-vingt-six préfets à ses ordres, et une légion de sous-préfets et de fonctionnaires de toutes classes ? Est-ce qu'il a neuf ministres occupés tous d'assurer le succès de sa candidature ? Est-ce qu'il a dans les mains ce ressort plus puissant encore que la séduction des promesses, la crainte des destitutions ? De quelles ressources dispose-t-il ? Parlez, vous qui accusez !... Elle s'adresse (1er décembre 1848) aux débris de la vieille armée (sic) : ... Généraux, colonels, officiers, soldats de l'Empire, dans chaque département, comptez-vous ! prenez vos dispositions ; arrêtez votre plan ; adressez à tous vos anciens compagnons d'armes un fraternel appel ; distribuez-vous les rôles dans chaque canton ; n'épargnez aucun effort, et que tous ceux qui ont la croix sur laquelle sont inscrits ces mots : Honneur et patrie, lui demandent le 10 décembre de les inspirer et de les soutenir... Le peuple criera (4 décembre) : Vive Napoléon ! avec les transports que la multitude éprouve à faire entendre un cri longtemps étouffé.

La Presse dit enfin[18] : Nous nous sommes attachés à la candidature de Louis Bonaparte, comme on s'attache à la branche, dernier espoir de salut de l'homme qui se noie, comme on s'attache au mât brisé quand le vaisseau va sombrer, comme on s'attache à la pierre qui vous arrête dans la chute au fond de l'abîme, comme on s'attache à la plus légère trace qui sert à vous guider dans l'immensité du désert, comme on s'attache enfin à la plus faible lueur dans l'obscurité profonde ...

La Gazette de France soutient aussi la candidature du prince. Déjà, à la suite de la séance du 26 octobre, elle s'était fait honneur par son sang-froid et son impartialité. Elle disait alors (27 octobre 1848) : Nous ne pouvons nous empêcher de blâmer l’inconvenance de ces hostilités systématiquement organisées contre un collègue. La dignité de l'Assemblée est singulièrement compromise par de tels écarts d'inconvenance et d'impolitesse... (Il a parlé) avec une dignité et une convenance qu'il est impossible de ne pas reconnaître. Nous ne sommes pas suspects de partialité pour lui, mais nous pouvons dire qu'il a pris... le premier rang parmi les hommes qui aspirent à la présidence élective. Puis elle prend parti pour lui : Louis-Napoléon (24 novembre) n'est pas un nom, c'est une situation. Sa nomination nous arrache à un pouvoir exécutif né de l'insurrection... Il n'est pour nous qu'un chef... qui veut sincèrement l'appel à la nation... Nous sommes impérialistes, oui, comme le peuple qui va nommer Napoléon (contre) Cavaignac (parce que celui-ci) ne veut pas de l'appel au peuple... Elle accuse le général Cavaignac (3 décembre) de mettre abusivement au service de sa candidature tous les rouages gouvernementaux. .. Pour se cramponner au pouvoir qu'il sent échapper à ses mains inhabiles, devant quels moyens recule-t-il ? Despotisme, intimidation, corruption, flatteries, tout est employé pour forcer le vote en sa faveur. Les journaux qui soutiennent et prônent sa candidature descendent à l'injure la plus grossière contre son compétiteur. Tout ce que la haine peut inventer de plus perfide et de plus odieux est mis en œuvre pour flétrir et repousser un concurrent redoutable ; sa vie privée est attaquée ; à défaut d'actes, on incrimine les intentions qu'on lui prête ; la caricature officielle le poursuit de ses crayons mercenaires, déverse la risée sur sa personne. A entendre les salariés du pouvoir, Louis-Napoléon est un idiot, un dissipateur, un aventurier auquel les fous et les imbéciles seuls peuvent accorder leurs suffrages... Contraints... (d'abandonner) la légitimité, unissons-nous en faveur d'un candidat dont le nom est... une protestation vivante contre les tendances de l'anarchie et du désordre ; cédons à l'entraînement populaire... Elle dit encore (9 décembre) : Entre M. Cavaignac et Louis-Napoléon, nous n'hésitons pas... M. Cavaignac représente l'insurrection... M. Louis-Napoléon, c'est le vote universel... Nous marchons à un but comme au milieu de flots de lumières. La France va reprendre la direction de ses destinées...

A la fin de novembre, elle estime qu'en votant pour Louis-Napoléon on vote contre la prolongation de l'Assemblée, qu'on amène sa dissolution ; qu'en amenant cette dissolution, on fait naître l'appel au peuple qui, par ses choix libres, composera une nouvelle Assemblée conforme au sentiment du pays.

Le journal la Liberté dit : Cavaignac, c'est la dictature et l'état de siège ; Lamartine, c'est la faiblesse et l'indécision ; Ledru-Rollin, c'est la violence et l'illusion ; Raspail, c'est la présomption et le charlatanisme ; Louis-Napoléon, c'est l'ordre et l'avenir.

Le Constitutionnel, vers le milieu de novembre, se prononce pour le prince. A la date du 15, il publie un article émanant de M. Thiers[19] : ... Nous pensons que les suffrages modérés se concentreront sur le nom de M. Louis-Napoléon Bonaparte, nous approuvons nettement cette disposition du parti modéré. Si le choix à faire eût dépendu de nous seuls, nous aurions, il est vrai, préféré pour candidat un des hommes éminents... dont les talents ont pu rendre d'éclatants services[20] !... Mais il était facile de se rendre compte qu'au moment où se posait la question des candidatures, une partie considérable de la population était déjà décidée en faveur de M. Louis-Napoléon. Parmi ceux qui cultivent les campagnes ou qui travaillent dans les ateliers, un très grand nombre avait fait choix d'avance de M. Louis-Napoléon, sous l'influence de deux sentiments presque instinctifs : le souvenir d'un grand nom, le désir d'ôter le gouvernement de la république des mains de la minorité qui le possède depuis huit mois... Essayer de détourner vers un troisième candidat les votes nombreux acquis à M. Louis Bonaparte, c'est tenter une chose impossible... Il n'y avait de politique et de sage qu'une seule résolution : accepter le candidat déjà porté par beaucoup d'électeurs et concentrer sur cette candidature toutes les voix de la population amie de l'ordre... Le général Cavaignac est aux yeux du pays le représentant de cette minorité dont les doctrines produisent alternativement l'anarchie et la dictature. Nous avons opté pour M. Louis Bonaparte, que les républicains du socialisme, ceux de la Montagne, ceux de l'anarchie, ceux de la dictature attaquent avec un ensemble et une ardeur qui justifient tout à fait la préférence des modérés...

Le Constitutionnel dit encore[21] : ... On peut être républicain en votant pour M. Louis Bonaparte. Dire que sa présidence serait une restauration impériale... le manifeste parfaitement clair du prince et le bon sens protestent contre cette supposition... On choisit[22] ce candidat pour un nom, dites-vous ? Est-ce qu'il n'était pas banni pour un nom ? Le peuple dit à un citoyen dont le nom immortel est resté cher à son cœur : A cause de ton nom, les monarchies t'ont mis hors la loi ; à cause de ton nom, je te confie pour quatre ans l'exécution de la loi. Il y a là un noble exemple de la piété du peuple. C'est un acte qui sort du cœur et de l'âme de la France... Ce nom de Napoléon signifie l'ordre !... M. Louis Bonaparte[23] n'est pas un homme de génie, c'est vrai ; c'est un homme droit, sensé, instruit, modeste, parfaitement calme ; il n'a pas gagné les batailles de Marengo et de Rivoli ; il n'a pas fait le Code civil, c'est encore vrai..., mais avec lui c'est la République sage...

Le journal l'Assemblée nationale écrit à la date du 8 décembre : ... Il est impossible de méconnaître dans tout cela le doigt de la Providence. En effet, comment expliquer ce qui se passe par le raisonnement humain ? Une candidature a surgi tout à coup. D'abord regardée comme impossible, elle agrandi peu à peu, sans efforts, sans secours ; tous les obstacles se sont aplanis, toutes les oppositions indépendantes l'ont acceptée ou bien ont cessé de lui être hostiles... Les populations des campagnes sont devenues enthousiastes, la plupart des hommes modérés se sont rattachés à cette candidature... La présidence de Louis-Napoléon, d'abord considérée par beaucoup comme un inconnu plein de périls, est devenue une espérance chargée de promesses. Oui, la Providence le conduit par la main. Tout lui réussit, tout tourne à son avantage, pendant que chaque pas de son adversaire devient une chute.

Quelle était l'attitude des journaux de la province ? Un très grand nombre soutient la candidature du prince. C'est le Courrier du Havre : Au moins avec l'inconnu avons-nous l'espérance. Hélas ! avec le connu la boîte de Pandore s'est vidée sur la France de tous les maux qu'elle a pu contenir... Le déluge a fondu sur nous ; pourquoi ne verrait-on pas dans le nom de Napoléon providentiellement revenu aux conseils de la nation un arc-en-ciel qui annonce à notre pays que les eaux dont il a été couvert vont se retirer pour ne plus revenir ?... C'est le Journal de l'Aisne : Ce qui nous a fait nous prononcer pour M. Louis Bonaparte, c'est que le nom qu'il porte, c'est que tout le passé et l'histoire de sa famille le lient invinciblement à la cause de l'ordre, des vrais intérêts de la société. Un nom comme le sien est une garantie d'ordre... Les généraux ne peuvent supporter l'idée de cet avancement frauduleux d'un officier[24] qui n'a gagné ses grades sous la monarchie que par des alternatives de bouderies républicaines et de servilisme monarchique ; d'un général qui n'a pas remporté une victoire, si ce n'est celle qu'ont gagnée pour lui les braves généraux Négrier, Duvivier, Bedeau, Lafontaine, Bourgouin, Bréa, aux dépens de leur vie... L'armée est fatiguée de ce régime honteux qui nous donne toutes les charges de la guerre sans nous en donner les gloires... C'est le Capitole de Toulouse, pour qui le prince est le seul homme possible dans le présent et dans l'avenir. C'est le Mémorial des Pyrénées : Les uns nommeront Louis Bonaparte parce qu'il s'appelle Napoléon, les autres parce que son nom est synonyme d'ordre et de force ; ceux-ci parce qu'il n'a point de passé politique et peut accepter tous les concours... ceux-là pour bien d'autres raisons encore. C'est le Journal du Loiret : Ce vœu populaire, on le sent partout, il nous pénètre de toutes parts ; il est dans l'air que nous respirons ; il sera irrésistible. Louis-Napoléon n'est pas l'homme d'un parti, il sera l'homme du pays... Avec un président qui appuiera son autorité sur de glorieux souvenirs et sur l'amour des masses, l'action des partis n'est plus dangereuse... Dans de telles conditions le président n'aura pas besoin d'armée à l'intérieur ; il sera libre soit de la licencier s'il est en paix avec l'étranger, soit de l'employer au dehors si l'étranger nous attaque. Parmi les candidats, Louis-Napoléon seul peut rallier en une masse compacte toutes les fractions du grand parti patriote, rétablir le crédit et prévenir la banqueroute... Avec lui la République s'assied dans son calme et dans sa force ; la France est sauvée ! C'est l'Écho de l'Oise, qui déclare que Louis-Napoléon ne pactisera jamais avec l'anarchie et défendra toujours et avant tout la religion, la famille et la propriété. C'est le Courrier du Havre, qui revient à la charge : Aujourd'hui, ce candidat est un crétin, un idiot ; demain, ce même candidat, s'il est élu, menace la France d'un 18 brumaire... Un 18 brumaire pourtant ne se fait guère par des imbéciles... On l'accuse d'être un symbole de guerre ?... Que devient l'article de la Constitution qui... réserve à l'Assemblée le droit de déclarer la guerre ?... Le président ne respectera pas la volonté de l'Assemblée nationale ? Pourquoi cela ? Parce que son oncle n'a pas respecté celle du Conseil des Cinq-Cents ? C'est donc le nom qui vous fait peur ? Alors pourquoi user votre encre et votre papier à dire sur tous les tons qu'un nom n'est rien ?... C'est encore le Capitole de Toulouse : M. Louis-Napoléon serait-il à la tribune tel qu'on nous le présente, ne serait-il rien autre chose que le neveu de son oncle... que nous le préférerions à tous ces aventuriers politiques... Derrière le nom historique de Napoléon il y a pour nous des idées. La démocratie d'abord... le pouvoir ensuite, c'est-à-dire précisément ce qui nous manque... Ses titres ? Eh ! mon Dieu ! il n'en a pas de meilleurs que cet assentiment général et populaire... il les tient du hasard et de la naissance tout autant que de son mérite personnel ; mais enfin ces titres n'en sont pas moins des titres réels, évidents, irrécusables, imposants, puisqu'il les doit aussi aux sentiments les plus intimes et les plus généreux de la France. Il n'a pour lui que son nom ; mais ce nom, c'est celui de Napoléon, le nom cher à la France. Un peu plus tard, il dit : Est-il vrai ou faux que les recettes diminuent, tandis que les dépenses s'accroissent ; que les valeurs ont subi une dépréciation de vingt milliards ; que la propriété étouffe sous le poids de l'impôt ; que le riche s'est appauvri et que le pauvre est sans asile ; que nous touchons enfin d'une part à la misère et de l'autre à la banqueroute ? Est-il vrai ou faux que nous avons essayé de tous les systèmes depuis la licence jusqu'au despotisme, que nous sommes descendus de chute en chute, de M. de Lamartine au général Cavaignac... Que conclure ?... Qu'il faut en finir avec tous ces vieillards cacochymes du gouvernement provisoire... Qu'il faut surtout réhabiliter le pouvoir... Être ou ne pas être, toute la question est là... M. Louis Bonaparte est la seule issue naturelle, la seule issue possible. Voilà tout le mystère de sa popularité. C'est l'Hebdomadaire de Béziers : Qui sera le président de la République ? Toute la France a répondu sans hésiter : Louis-Napoléon Bonaparte ! Lui seul simplifie la question et laisse entrevoir un terme à toutes les agitations qui depuis Février ruinent notre malheureux pays. Les révolutionnaires ont fait leur temps... leur incapacité, leur hypocrisie, leur ambition... n'inspirent plus que le dégoût... Le peuple... a sifflé les acteurs de Février ; il est temps enfin que le rideau tombe sur leur ignoble parade, il est temps qu'une ère nouvelle se lève, que la confiance renaisse, que l'agriculture écoule ses produits, que le commerce et l'industrie reprennent leur activité ; il est temps enfin d'avoir un gouvernement fort et puissant ! C'est l'Indépendant de l'Ouest : L'élection de cet homme (Cavaignac) serait une honte et une calamité pour la patrie... Accusé d'avoir cherché à se faire de la plus horrible des insurrections un marchepied à la dictature, il n'a rien répondu... il a mis sous ses pieds tous principes et toute légalité... il a renié ses déclarations les plus formelles... il n'a eu ni une conviction, ni une opinion raisonnable, ni une idée... il n'a rien fait pour relever le crédit, pour rassurer les esprits... Sa politique au dehors a été déplorable et misérable... Ce n'est qu'un ambitieux peu scrupuleux sur les moyens à employer... Nous redoutons qu'il ne livre la France en curée à cette nuée de vautours rouges qui ne veut que sang et destruction. Accusations injustes qui montrent à quel ton la polémique était montée. Au sujet de la cérémonie de la promulgation de la Constitution, on va jusqu'à reprocher à Cavaignac d'avoir caché son uniforme sous un caban d'Afrique ! d'avoir eu peur de s'enrhumer, alors que les généraux Lamoricière et Changarnier ne prenaient pas tant de précautions ; et on rappelle que le 15 décembre 1840 le prince de Joinville, depuis Courbevoie jusqu'aux Invalides, suivait le corbillard impérial, tête nue et en simple uniforme, par un froid de plus de 15 degrés. La Presse renchérit encore en ajoutant qu'à la cérémonie des victimes de Juin, Cavaignac avait une tenue d'écurie. — C'est l'Aube de Troyes : Il est l'inconnu ?... mais où allez-vous donc avec les éléments dont se compose aujourd'hui le gouvernement ? à là banqueroute et peut-être à l'anarchie... C'est le Mémorial bordelais : Les services publics sont désorganisas, nos finances épuisées, la source de l'impôt est tarie, l'emprunt impossible, le travail arrêté, la confiance perdue, le commerce anéanti, l'industrie éteinte, les propriétés ont perdu une grande partie de leur valeur, la guerre sociale est imminente... Le milieu qui entoure le général Cavaignac, les souvenirs de famille, ses propres entraînements le portent vers les hommes les plus avancés... Le prince Louis-Napoléon, au contraire, par ses traditions de famille, est naturellement enclin à servir la cause de l'ordre et de l'autorité, dont le nom qu'il porte est le plus glorieux symbole ; sa candidature est le signal d'un retour vers ces principes salutaires, bases éternelles des sociétés ; ceux qui les premiers l'ont proclamée, ce sont les travailleurs des campagnes... dont il est dit : La voix du peuple, c'est la voix de Dieu !... La confiance ne peut renaître, le crédit revenir, le commerce reprendre, l'industrie rouvrir ses ateliers, la société se rasseoir... que par la constitution d'un pouvoir fort et durable. Louis-Napoléon, élevé au pouvoir suprême par un acte de RELIGION POPULAIRE, PREND UN CARACTÈRE SACRÉ... C'est la Gazette du Languedoc[25] : ... Les nouvelles des départements sont unanimes pour annoncer qu'un torrent irrésistible se forme en faveur de Louis-Napoléon. C'est l'Éclaireur de l'Hérault : M. Louis Bonaparte... réunira l'immense majorité des suffrages... Dans les populations urbaines... certains voteront pour s'affranchir de la République rouge, d'autres pour s'accrocher à une idée monarchique, d'autres pour s'allier à un candidat dont les antécédents ne blessent ni les susceptibilités dynastiques ni les traditions reçues de la centralisation. Quant à nos populations rurales, le nom seul de NAPOLÉON a réveillé en sursaut toutes les gloires de l'Empire, et les sympathies les plus vives, les plus chaudes, les plus ardentes sont déjà acquises à l'héritier du nom de l'Empereur. Le 10 décembre... sera un véritable jour de fête pour nos cultivateurs. La noble figure apparaîtra comme aux grands jours de sa puissance ; elle dominera le scrutin comme elle dominerait sur tous les champs de bataille, e\\e sera là comme sur le plateau d'Austerlitz ; grands et petits, jeunes et vieux viendront déposer dans l'urne l'expression de leur pensée intime. Un immense hourra d'acclamation retentira sur les avenues de chaque canton, et l'élection de Louis-Napoléon est inévitable ! Et encore : La présidence de la République sera dévolue à Louis-Napoléon, et ce sera le grand flot populaire qui va se charger du scrutin. C'est encore l'Hebdomadaire de Béziers : C'est aujourd'hui une véritable candidature d'enthousiasme... Le peuple a un admirable instinct qui le trompe rarement... il comprend ceux qui sont ses véritables amis, et il se jette dans leurs bras au moment du danger. La Providence semble avoir fait surgir tout à coup le nom de Napoléon pour nous sauver. C'est le Périgord : ... Les paysans en masse proclament à l'avance Louis-Napoléon Bonaparte président de la République... Les hommes d'ordre... essayeraient-ils de s'opposer à ce MOUVEMENT IRRÉSISTIBLE ET PROVIDENTIEL, qu'ils s'y briseraient impuissants et confondus. Quand on ne peut pas arrêter un grand mouvement populaire, il est de première règle politique de tâcher au moins de le diriger... Ce n'est point la bannière du prince Louis Bonaparte que nous prenons en main, c'est la volonté de la population agricole que nous acceptons !... C'est l'Opinion du Gers : L'élection de Louis-Napoléon n'est pas seulement pour la France un gage de bonheur et d'espérance, elle assure la paix européenne, elle fonde au dehors la prépondérance pacifique de notre pays... Les traités de 1815 seront refaits à l'avantage de la France ; il est dans les destinées du nom de Napoléon d'assurer la grandeur de la patrie dans la paix comme dans la guerre. C'est la Province de la Haute-Vienne : Louis-Napoléon est adopté par le pays comme un symbole d'ordre, de paix, de conciliation ; on voit en lui ce principe d'autorité que les hommes de Février se sont efforcés de renverser, et en dehors duquel cependant aucun gouvernement n'est possible... Son nom, en sortant de l'urne, sera une grande protestation contre les principes révolutionnaires. Louis-Napoléon résume l'autorité forte, la liberté bien ordonnée... C'est l'Argus soissonnais, qui fait remarquer que sur 380 journaux départementaux il en est 100 au plus pour le général Cavaignac. C'est l'Union franc-comtoise : ... Avec Louis Bonaparte le peuple possédera deux forces qui ont manqué aux précédents gouvernements : le peuple et l'armée... L'exil l'a rendu forcément étranger à nos divisions et à nos luttes : il n'appartient à aucun parti, seul il se trouve donc libre pour choisir les hommes de gouvernement à droite, à gauche, au centre... Avant tous les partis ; en dehors de tous les partis, malgré tous les partis, le peuple a prononcé en faveur de Louis Bonaparte. C'est le Journal de Rodez : Il est impossible de méconnaître que soit par un besoin instinctif d'ordre et d'autorité qui se personnifient dans de glorieux souvenirs, soit pour écarter définitivement des affaires la minorité violente et ultra-révolutionnaire qui depuis huit mois a si gravement compromis les destinées du pays, une fraction de plus en plus considérable des hommes qui représentent l'opinion modérée tend à porter ses suffrages pour la présidence de la République sur la personne de Louis-Napoléon Bonaparte. C'est l'Écho de Vésone (Dordogne) : La candidature de Louis Bonaparte... est dans l'air ; elle naît sans effort dans nos campagnes par son élan spontané sans qu'on se soit concerté, de telle sorte que ses partisans ont pu dire que c'était une INSPIRATION CÉLESTE, une RÉVÉLATION SURNATURELLE, un ENSEIGNEMENT D'EN HAUT. C'est l'Indicateur de l'Hérault : Le nom de Louis-Napoléon se propage de proche en proche, de bouche en bouche... C'est le Journal de Maine-et-Loire : Le nom de Louis Bonaparte est pour tous l'ancre de salut qui doit les sauver du naufrage... C'est le journal le Loiret, qui dit encore : Louis-Napoléon ne veut pas jeter aveuglément son pays dans les horreurs d'une guerre qui serait inutile... Si les puissances étrangères veulent nous déclarer la guerre, elles nous la déclareront tout aussi bien... avec tout autre... Louis-Napoléon moins que personne serait une cause de troubles et de désordres, parce que personne n'est entouré d'une aussi grande popularité. Nous avons plus de confiance dans ce merveilleux instinct de la nation que dans la raison des hommes d'État du jour. Et quelques jours après : Quand nous voyons du milieu de nos tempêtes révolutionnaires s'élever la candidature d'un homme qui n'a pris part à aucun de ces événements sinistres, que la captivité ou l'exil ont tenu à l'écart des rancunes et des dissensions ; un homme qui, s'il est prince par le hasard de la naissance, est démocrate et républicain par le cœur ; un homme enfin qui a souffert, qui a étudié, qui a écrit pour le peuple, qui a l'amour des classes souffrantes au fond du cœur, et dont le nom majestueux et populaire rayonne au-dessus de nos troubles civils comme un symbole de concorde et de prospérité, n'êtes-vous pas des aveugles de le repousser ?... C'est le Journal de la Nièvre : ... C'est parce que le nom de Napoléon est pour les masses le symbole de la force, de l'autorité et de l'ordre, le symbole de l'éclat et de la dignité dans le pouvoir qu'on les voit s'attacher à ce nom avec une confiance inébranlable... Oui, peuple, c'est toi qui dans ta sagesse instinctive, providentielle... dictes aujourd'hui à la France le seul nom qui puisse la sauver de l'abîme. Ce nom... immortel, qui depuis un demi-siècle a constamment grandi dans les souvenirs et que grandiront encore les siècles à venir, ce nom qu'un trait de lumière divine t'a montré pour le salut du pays... tu sauras le faire triompher... parce qu'il est à toi, parce qu'il t'appartient... C'est encore la Gazette du Languedoc : Les paysans comptent bien qu'une fois président, M. Louis Bonaparte cassera les reins à la République.

La moitié environ des journaux de province[26] soutient ainsi avec la même ardeur, avec le même lyrisme la candidature princière. Ceux qui tiennent pour Cavaignac, ou pour un autre, comme Lamartine, ou Ledru-Rollin, ou Raspail, ne la combattent pas avec moins de passion. C'est, par exemple, le Messager du Nord : Ouvriers français, vous dont le prince sollicite les suffrages avec tant d'acharnement, voterez-vous pour celui qui de ses royales mains bâtonnait dans les rues de Londres les ouvriers anglais demandant de justes réformes ? C'est le Moniteur de l'armée : C'est à la France à juger si elle peut compter sur les sentiments patriotiques d'un Bonaparte qui a servi tantôt la Suisse comme capitaine, tantôt l'Angleterre comme constable, et dont tous les exploits consistent dans un coup de pistolet tiré à Boulogne, au pied de la colonne[27], sur un soldat français, et le gourdin de police mis dans ses mains pour assommer les démocrates de Londres. C'est la Gazette du Midi : Louis Bonaparte, c'est-à-dire le candidat de l'ignorance, des affections aveugles, ce mannequin traîné à l'Assemblée par M. Vieillard, épelant assez mal ses leçons écrites, se sauvant comme un écolier et qu'on ne retrouve jamais quand il faudrait répondre...[28] C'est le Peuple du Puy-de-Dôme : ... Il y a de par le monde un aventurier sans esprit, sans talent, sans mérite d'aucune sorte, tour à tour soldat obscur en Suisse, constable volontaire à Londres, inepte conspirateur honteusement pris et plus honteusement relâché, si étranger à la France qu'il en peut à peine bégayer la langue. Le hasard de la naissance a fait l'injure au plus grand capitaine du siècle d'égarer son nom glorieux sur la tète de ce ridicule personnage, et voilà que les intrigants de tous les régimes, les plus vils histrions s'assemblent autour de ce nigaud comme l'a justement qualifié la spirituelle princesse Clémentine, et après l'avoir coiffé du tricorne impérial et hissé sur un brancard de foire, ils s'en vont promenant ce trompe-l'œil à travers les carrefours des villes et des campagnes. C'est le Breton : Sait-elle, la bourgeoisie, ce que cache ce nom ? un ambitieux ou un incapable. Dans le premier cas nous sommes menacés du despotisme, dans l'autre cas de l'anarchie... N'est-il pas à craindre qu'il ne prenne cette manifestation de la faveur populaire pour un désir de retour vers une époque de gloire militaire et de despotisme ? D'ailleurs, qu'il veuille ou non la guerre contre l'Europe, il la fera, ne fût-ce que pour échapper aux agitations intérieures et parce que le nom qu'il porte est une menace pour toutes les nationalités. C'est le Courrier du Nord, dont le rédacteur en chef écrit à Odilon Barrot : Le pays voudrait d'un mannequin richement vêtu, d'un comédien habillé en empereur, et il faudrait le lui donner sans même lui crier qu'il se trompe... Ne nous résignons que lorsque sa guérison sera devenue impossible. Dans le camp où vous allez fourvoyer votre haute probité... c'est un mélange peu édifiant de passions et d'intérêts inconciliables ; de partisans de Henri V et du comte de Paris, de l'Empire et de la présidence héréditaire ; des hommes sans affection et sans confiance pour le candidat qu'ils patronnent, disposés à exploiter son incapacité ou son inexpérience, les uns au profit de leur ambition personnelle, les autres au profit d'un prétendant dont cette incapacité doit préparer la venue. C'est la Démocratie des Hautes-Pyrénées : ... A tous ceux qui s'aveugleraient au point de croire... au républicanisme de l'incurable prétendant, de cet empereur de parade, de cet Arlequin qui n'a pas même réussi à singer le geste du grand homme, nous crierons : ... On veut vous faire voter pour un ridicule pasquin que tous les partis feront mouvoir à leur gré... C'est le Courrier de Nantes : ... A peine peut-il lire à l'Assemblée les médiocres discours que lui composent ses amis politiques ; ses services envers la France sont nuls ; il est plus connu comme Anglais ou comme Suisse que comme Français. Loin d'avoir rendu des services à la mère patrie, il a deux fois apporté sur notre sol la guerre civile... C'est la Fraternité de l'Aude : Louis-Napoléon est le candidat des nobles, des usuriers, des ambitieux... C'est le Franc-Comtois : Avec M. Louis Bonaparte... il y aura une cour, une meute toujours affamée, une presse subventionnée, choses qui coûtent beaucoup d'argent. C'est le Bien public de la Haute-Marne : M. Louis Bonaparte, pendant une vie de quarante ans, n'a fait preuve que de légèreté, d'incapacité et de sottise... C'est l'Impartial de la Meurthe : Je ne veux pas voter pour cet homme (L.-N.)... parce que je ne veux pas voter pour un Suisse ni pour un dandy anglais, ni pour un parjure, ni pour un assassin d'un soldat français, ni pour le Don Quichotte de Boulogne et de Strasbourg, ni pour un mannequin ou l'héritier d'une redingote grise, ni pour un cosmopolite qui sur quarante ans de vie n'a passé que peu de temps en France, ni pour un orateur qui en est réduit à lire des discours composés par son conseil de tutelle. C'est l'Écho du Nord : Il y a en ce moment un homme qui peut vous rappeler les services, la gloire de Napoléon ; cet homme, ce n'est pas le neveu de l'Empereur, c'est le général Cavaignac... Lui aussi s'est illustré en Afrique... Comme Napoléon... il a triomphé dans Paris... d'une révolte tout autrement formidable que celle de Vendémiaire... Cavaignac a un avantage que n'avait pas Napoléon... il ne songe qu'au bien de la France[29]...

Dans la presse étrangère nous relevons cette déclaration du journal espagnol le Heraldo : Louis-Napoléon a posé sa candidature en termes modestes, pleins de dignité, sans orgueil, sans fanfaronnade, sans bassesse, sans hypocrisie... Un nom est une garantie et un programme... Son nom est synonyme de gloire, de prospérité... Un autre journal du même pays, la España (9 novembre 1848) de Madrid, écrit : Louis-Napoléon a un nom qui produit toujours un effet électrique sur les Français, et il est impossible, que tous ceux qui ont pleuré l'héroïque victime de Sainte-Hélène ne votent pas pour lui, ne serait-ce que comme protestation en faveur d'une grande infortune nationale... La nation n'a pas oublié l'homme qui a succombé avec elle à Waterloo, et... il y aurait une étrange injustice à reprocher à Louis-Napoléon de n'avoir pas d'antécédent dans sa patrie... Il n'a pas passé son exil dans une inaction coupable... il a publié un Manuel d'artillerie, et les six années... de Ham... ont été consacrées à son livre sur l'Extinction du paupérisme et à plusieurs travaux de politique et d'administration qui lui ont valu les éloges de tous les hommes impartiaux. L'objection la plus grave contre (sa) candidature, c'est qu'elle peut amener la restauration du régime impérial... Si les institutions républicaines sont les seules que la France veuille accepter, si c'est là le vœu national et universel, peut-on craindre sérieusement qu'un homme se mette en opposition avec cette force imposante devant laquelle l'Empereur lui-même échouerait aujourd'hui, s'il voulait recommencer le 18 brumaire... La France est fatiguée de l'état où elle vit depuis Février, elle veut en sortir le plus tôt possible. En votant pour Louis-Napoléon, les commerçants, les manufacturiers, les propriétaires et les agriculteurs croiront voter le rétablissement de la confiance... Louis-Napoléon offre de grands avantages ; il a d'abord un nom qui jouit d'une immense et incontestable popularité. Ensuite il est naturellement placé dans une situation qui ne peut éveiller dans l'esprit de personne ces petits sentiments d'envie et de jalousie qu'il est si difficile d'étouffer dans le cœur d'un ancien camarade et d'un supérieur. C'est maintenant à la France de comprendre... qu'il faut aujourd'hui pour consolider les institutions républicaines naissantes choisir un homme... qui soit la vérité de la situation, la transition rationnelle et indispensable du régime monarchique... à une constitution républicaine... — L'Émancipation de Bruxelles raille les adversaires du prince qui ressassent l'éternel refrain qu'il n'a pour lui que son nom : Le prince Napoléon a le droit de demander à son tour si M. Emmanuel Arago est à Berlin par droit de conquête ou par droit de naissance. M. Emmanuel Arago est fils de son père, il n'a pas d'autre titre. M. Garnier-Pagès n'est devenu un personnage que parce qu'il a usurpé le nom de son frère, ce qui est terriblement féodal... Voilà de singuliers démocrates ! C'est-à-dire que les primitifs de l'Église républicaine font commerce du nom de leur père ou du nom de leur frère, ou du premier nom venu, pour s'élever aux plus hautes fonctions, et le seul nom auquel ils prétendent barrer le passage, c'est le nom de Napoléon.

En revanche, la presse anglaise presque tout entière lui est défavorable. C'est ainsi qu'on lit dans le Morning-Post (6 décembre 1848) : La bibliothèque de Louis-Napoléon a été vendue aux enchères. Parmi ses livres était une belle édition, reliée en maroquin, du poème de Jocelyn de Lamartine. Il y a sur cette édition ces mots écrits de la main du prince en français : Entrepris la lecture de ce livre à Florence, le dimanche 5 mai 1837. — Abandonné cette lecture, l'ouvrage étant trop sublime pour moi. — Recommencé la lecture une deuxième fois, le lundi 6, sans être plus heureux. — Recommencé par un nouvel effort le 9 et abandonné définitivement. Dans un moment où l'auteur et le critique sont en présence comme candidats rivaux à la présidence de la République, l'anecdote n'est pas sans intérêt. Voici maintenant le Morning Herald : ... Sans vouloir rien dire de trop sévère à cet Adonis de quarante ans, nous pouvons bien insinuer que ses antécédents, pour nous servir d'un mot français, sont particulièrement désastreux... ; pour montrer à quel point ce fardeau (du poids d'un empire) était peu mesuré à ses forces, il se laissa... aller à toutes sortes de folies et d'escapades. Soit comme officier badois, soit comme compilateur d'un manuel d'artillerie, comme sujet suisse, comme aventurier au service de la Pologne, comme conspirateur et fauteur d'insurrections à Strasbourg, comme conspirateur et fauteur d'insurrections à Boulogne, avec son aigle apprivoisé[30], son cortège de maîtresses, sa légion de cuisiniers, il a toujours été... également ridicule... Le Northern Star le couvre d'injures : Il y a quelques chances pour l'élection de Louis-Napoléon, le plus méprisable... de tous les candidats. La seule marchandise que cet aventurier jette sur le marché, c'est un nom, le nom d'un despote qui étrangla la première République, effaça les derniers vestiges de la liberté et mit la France à la veille de sa ruine. En dépit de tous ses crimes, Napoléon impose encore à la France ; son nom continue à être un talisman pour la multitude des campagnards ignorants. Son neveu ne se présente ni avec la renommée d'un guerrier, ni avec l'éloquence d'un orateur, ni avec les qualités intellectuelles d'un homme d'État. Un garçon de charrue ferait un meilleur président que lui... Il est dans sa quarante et unième année, et il est passé en proverbe qu'un fou à quarante ans reste fou... Le Globe fait remarquer que Louis-Napoléon conserve le titre de prince, et qu'il n'en serait pas ainsi s'il n'avait pas des vues ultérieures...

Citons enfin l'Observateur belge, qui déclare qu'il a contre lui... lui-même et le bon sens. Parlant d'une entrevue que le prince a eue avec les membres du congrès de la presse départementale, le même journal dit encore : Les explications du prince étaient tellement vagues, données en termes si confus, si embarrassés, que les personnes présentes sont sorties... bien convaincues de sa complète nullité... Cette nullité est peut-être à leurs yeux le mérite le plus réel du prince...

A Paris, ce n'est pas seulement la plupart des journaux politiques qui le combattent ; les feuilles comiques et satiriques l'attaquent sans relâche. Le Charivari s'acharne après lui. Il narre, par exemple, la Journée du prince : le matin, M. Vieillard lui donne des leçons de prononciation française ; on laisse l'orthographe de côté, le prince n'en ayant pas besoin... On lui fait ensuite répéter les mots charmants et les reparties heureuses qu'il doit prononcer le jour de son avènement : Rien n'est changé en France, il n'y a qu'un Suisse de plus... Il s'obstine à dire : Rien n'est chanché en Suisse, il n'y arre qu'un Vranzais de blus... A onze heures arrive le professeur d'histoire. Quel est le fondateur de la monarchie française ? — Napoléon. — Comment s'appelait le roi qui gagna la bataille d'Arbelles ? — Napoléon. — Qui est-ce qui fit les fortifications de Paris ? — Napoléon. — Par qui Pompée fut-il défait ? — Par Napoléon... Le Charivari raconte une visite du prince aux Invalides : Prince, lui disait Vieillard, voilà le moment de dire à ces vieux braves... les quelques mots que je vous fais apprendre depuis huit jours. Commencez, je vous soufflerai... — Bas engore, bas engore... Che attends d'afoir vu la grande marmite où on fait le pouillon des invalides. — Demandez à goûter le bouillon, lui disait Vieillard, cela flattera beaucoup les glorieux débris. — Che ne brends jamais rien entre mes repas et je n'aime pas le pouillon... — Il faut que nous partions... — Bas engore, bas engore... — Que vous reste-t-il encore à voir ? — L'infalite à la tête de pois... — Il publie[31] une gravure représentant le petit chapeau sur un fût de colonne, flanqué à droite et à gauche d'un grenadier et d'un paysan qui saluent les yeux bandés, avec ce titre : Le chapeau d'un capitaine suisse, hommage renouvelé de Gessler. Il écrit (29 novembre 1848) : Nous trouvons le manifeste napoléonien très bien rédigé, et tous les rédacteurs du Charivari prennent l'engagement solennel de voter pour le prince Louis, s'il parvient à apprendre ce morceau par cœur d'ici au 10 décembre et à le réciter d'une façon à peu près convenable à la tribune... C'est là un travail difficile, mais les cinq voix du Charivari valent bien cela... — Les chevaliers d'industrie (30 novembre) les plus compromis, les agents d'affaires les plus mal famés se vantent, faussement sans doute, quoiqu'il n'y ait pas lieu de s'en vanter, d'être les agents électoraux de Louis-Napoléon...

Le Journal pour rire fait paraître une suite de charges : C'est un aveugle tendant la main et guidé par un aigle qu'il tient avec une chaîne. — C'est le prince — avec le petit chapeau enfoncé jusqu'au cou et portant cette inscription : Avis IMPORTANT (18 novembre), il y a quelque chose là-dessous — qui dit un : Petit Empire, s'il vous plaît ! Au bas de la gravure : Ne le croyez pas, il n'y a rien sous ce chapeau-là. (Note de l'éditeur.) — C'est Napoléon Scapin marchant à grandes enjambées au trône de France. — C'est un invalide qui, dans un jardin devant la statue de Napoléon Ier, dit à un jeune tourlourou : Ne te laisse pas emberlificoter, cadet, ces plantes-là ne laissent jamais de graines. — C'est (25 novembre) Louis-Napoléon dans un soleil, coiffé du petit chapeau sur des oreilles d'âne, que des badauds regardent, avec cette légende : Voilà donc le peuple qui s'intitule le plus spirituel de la terre. — C'est le prince affichant lui-même ses proclamations, avec cette exclamation de Napoléon Ier : Allons ! le voilà encore qui fait des siennes. — C'est le prince sur un baudet avec le costume de son oncle, sous le titre : Ce que nous verrons l'an prochain si Louis-Napoléon est nommé président. — C'est notamment un groupe de paysans qui, croyant à la suppression des impôts, reçoivent le percepteur à coups de fusil. — Ce sont des voltigeurs de la vieille garde qui se jettent sur les bureaux de tabac et sur les bureaux de poste... — C'est un char entrant à l'hôtel de la Présidence et traîné par des gens qui ont les yeux bandés. Dedans se trouvent : Louis-Napoléon à cheval sur les épaules de Napoléon Ier, avec une cage contenant un aigle ; Emile de Girardin jouant de la grosse caisse, Thiers soufflant dans un cornet à piston, etc. Des légitimistes et des orléanistes, ayant aussi un bandeau sur les yeux, poussent les roues. Le titre est le suivant : L'un portant l'autre. L'un prônant l'autre. L'un traînant l'autre. L'un poussant l'autre. — C'est Louis-Napoléon porté sur le pavois par des paysans poussés par des légitimistes, avec cette légende : Pauvres niais, voyez donc qui vous pousse. — C'est un paysan qui s'écrie : Pisqu'il y aura pus ni conscription, ni impositions, ni rien du tout à payer quand la République aura Napoléion pour roi, je votons pour Napoléion. Vive Napoléion ! — Sous le titre : Deux vrais farceurs, c'est le prince assis, les mains derrière le dos ; Thiers, à moitié dissimulé, tient une plume et écrit, faisant croire que c'est Louis-Napoléon. Légende : Monseigneur improvisant un petit discours manifeste, pas si bête que de coutume. — C'est Thiers, Odilon Barrot, Montalembert, jetant sur un précipice une planche représentant Louis-Napoléon, avec cette légende : Ils jettent une planche sur la mer Rouge... les imprudents ! Sur l'autre bord, les armées étrangères protestent. — C'est une procès-cession, — le jubilé des culottes de peau. — Thiers en évêque, Girardin portant en bannière la redingote grise et le petit chapeau, bénissent, l'un et l'autre, la foule agenouillée.

La Revue comique publie les caricatures suivantes[32] : Le prince est coiffé du petit chapeau. Un costumier lui montre le masque de Napoléon Ier et lui dit : Il ne vous manque plus que le masque, mais ne prononcez pas un mot. — Béranger présente un bonnet de coton au prince qui vient de se coiffer du petit chapeau : Viens, mon petit, en voilà un qui t'ira mieux, il est moins lourd. — Un portemanteau est habillé des habits de Napoléon Ier, avec cette légende : L'habit ne fait pas le moine ; dans le fond, la République accourt, tenant un martinet. — Louis-Napoléon, avec un corps d'aigle, le chapeau de Napoléon Ier, un faux nez, est monté sur une roulette que traîne un vieillard. — Sur une locomotive se trouvent un aigle à la tête du prince et un gamin au bonnet phrygien armé d'un fouet, avec cette légende : Roule de Londres ; l'oiseau reconduit par un gamin de Paris. — La statue de Napoléon Ier, avec ces mots : Austerlitz, Marengo ; en face celle du prince, avec cette inscription : Strasbourg, Boulogne ; comme titre : L'homme de bronze et l'homme de plâtre. — Napoléon Ier, grandeur nature, est assis ; à ses pieds le prince, tout petit, en grenouille. — Louis-Napoléon en panier percé dont les anses sont tenues par des cocottes. — En oie avec le petit chapeau et le grand cordon de la Légion d'honneur, sur la colonne Vendôme, qui porte cette inscription : L'effet que ça ferait ! — L'expédition de Strasbourg : Il offre un verre de vin à une sentinelle : Mon pon ami, che souis le fils de l'Empereur et che fou nomme maréchal de France. Pufez cette fer de rhoum, être bien pon ! — Encore l'expédition de Boulogne. États de service : Il tue un soldat d'un coup de pistolet. — Il emporte le chapeau, les bottes, l'épée de Napoléon Ier, qui, soulevant la pierre de son tombeau, crie : Au voleur ! au voleur ! — Un renard coiffé du petit chapeau essaye en vain d'atteindre des raisins portant : Austerlitz, Marengo, etc. — Un âne est coiffé du petit chapeau au-dessus de ces vers :

On prétend que Caligula

Fit son cheval consul de Rome.

Quoi d'étonnant à cela ?

En France, on va bien au delà.

Puisque d'aucuns veulent qu'on nomme,

Se basant sur ce précédent

D'une autorité fort antique,

Un âne comme président

De notre jeune République.

Thiers est représenté coiffé du petit chapeau ; et on lit ces vers :

Ce petit foutriquet, dont la France se moque,

A du bonapartisme arboré le drapeau.

Des brillants souvenirs qu'avec bruit il évoque,

Aux campagnards séduits il présente l'appeau ;

Et pour mieux soutenir son candidat baroque,

Astucieux serpent, il a changé de peau.

Du vainqueur d'Austerlitz il a pris la défroque,

La redingote grise et le petit chapeau.

Ce pygmée, affublé d'un harnais de bataille,

Espère en vain grandir sa misérable taille :

Mais ce n'est que le tiers d'un faux Napoléon !

Un aigle mord le prince. — Pour préparer le prince à ses hautes destinées et lui apprendre tout ce qui concerne son état, on lui enseigne à apprivoiser un aigle ; mais l'aigle n'aime pas ces gens-là, le mord, et crânement. — La Revue comique fait suivre cette caricature des réflexions suivantes : Quand quelque héros de hasard, à la tête d'une bande de valets et d'intrigants, s'en viendra dire en arborant un drapeau quelconque : Citoyens ! reconnaissez en moi le fils ou le neveu du grand prince un tel ; aux armes ! marchons sur les Tuileries ! — les citoyens lui répondront tout simplement : Vous êtes avant tout notre ennemi ; vous venez nous voler notre liberté et notre repos, et votre appel aux armes devant amener l'effusion du sang à votre profit, c'est une tentative d'assassinat que vous faites sur chacun de nous. Or on prend les assassins et les voleurs, et on les traduit en cour d'assises. Il n'y a aucune différence entre vous et Rinaldo-Rinaldini, Mandrin, Cartouche, Schinderanes et les autres héros de grands chemins. — Le prince empaille un aigle, avec cette légende : Le parti crétin et ce commentaire : Il y a un grand nombre d'individus en France qu'un motif singulier rend partisans décidés de Louis-Napoléon. — Pourquoi votez-vous pour lui ?— Parce qu'il est un homme nul. — Et vous ? — Parce que c'est un niais. — Et vous ? — Parce que c'est un imbécile. Ces gens-là sont convaincus que le salut de la République exige impérieusement qu'on place un crétin à sa tête... Un Barrot vous dira lui-même que le jeu des institutions constitutionnelles exige un homme parfaitement nul. Nous votons, dites-vous, pour le soliveau, vous vous trompez, c'est pour une autre fable. — Laquelle, s'il vous plaît ? — Pour le chat et le singe ; rappelez-vous les marrons du feu.

La Revue comique publie, en outre, des historiettes, facéties, chansons. En voici quelques-unes : Ce que dit M. Thiers quand il dort : D. Pourquoi appuyez-vous le prince Louis ? — R. Parce que son incapacité est notoire ; parce qu'il est impossible ; parce que c'est la révolution à refaire ; avec le prince Louis, c'est la lutte qui recommence, et avec la lutte toutes les incertitudes, mais aussi toutes les espérances de l'avenir. — Conversation d'un bourgeois et d'un garde national : En 1848, nous avions Louis-Philippe ; si Louis Bonaparte nous arrivait en 1849... 1849 serait l'an pire... Hi ! hi ! hi !

LE NEVEU DE LA COLONNE

Chanson. — AIR : J' suis né paillasse.

 

Quoique je sois votre Empereur

Par le droit de naissance,

Je veux bien de chaque électeur

Tenir la présidence.

Dam ! cela durera

Tant que ça pourra !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Si vous n'avez plus le héros,

Vous aurez sa défroque.

Dans mon portemanteau

J'ai son petit chapeau,

Sa culotte collante...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je connais très bien Marengo

Par les poulets d'auberge,

Austerlitz, Iéna,

J'ai bien mieux que cela

Dans ma vie éclatante...

A Strasbourg, portant mon drapeau,

Je singe le grand homme,

Grandes bottes, petit chapeau,

Lorgnettes, habit vert-pomme.

A Boulogne plus tard,

Je plonge comme un canard,

Avec l'aigle expirante...

L'Empire étant tombé dans l'eau

Et l'aigle hors de service.

À Londres, je mets le manteau

D'un agent de police.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Après ces glorieux hauts faits,

France, je conjecture

Que tu vas faire le succès

De ma candidature.

Six cent mille francs de plus,

Ça n'est pas de refus,

Quand la bourse est en souffrance.

 

BOUTADE D'UN RÉPUBLICAIN

Air : Allez-vous-en, gens de la noce.

 

Pour trôner à la présidence,

Napoléon est désigné ;

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Bien qu'un César de bas étage

Ne vaille pas un Laridon,

Nommez-le donc !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'Empire n'est point à sa taille,

Et pourtant, rouvrant les tombeaux,

Il va sur les champs de bataille

Jeter vos enfants les plus beaux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vive la guerre universelle !

Bons paysans, nommez-le donc !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pages, menins, dames d'atour,

Ou chambellans à large panse,

S'étaleront sur l'édredon.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le peuple paiera la dépense,

Bons paysans, nommez-le donc !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il va de titres et de grades

Affubler plus d'un favori ;

A la cabale qui le prône

Il répartira maint cordon,

Et vous saurez ce qu'en vaut l'aune.

Bons paysans, nommez-le donc !

 

VOTONS POUR. BONAPARTE

AIR : Gai, gai, marions-nous.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

A la France, on peut dire

Quel sera son bonheur,

Car elle aura l'Empire

Complet... moins l'Empereur,

La guerre sans la victoire,

Le nom sans le héros.

Nous n'aurons pas la gloire,

Nous aurons les impôts.

 

Avènement :

Désigné par le choix d'une foule égarée,

Sur un char triomphant, en costume éclatant,

L'héritier d'un grand nom va faire son entrée ;

Vous le verrez, le char l'attend !

 

Un autre journal, l'Assemblée nationale comique[33], publie des plaisanteries et des charges du même genre. En voici un échantillon. Un représentant s'écrie : Je suis certain d'avoir vu tantôt notre collègue le prince Louis dans la salle des conférences ; allez le chercher, il ne nous manque que lui pour être en nombre. Le vénérable Duponceau, chef des huissiers, s'élance lui-même et rencontre effectivement le prince qui regardait les mouches voler. Monsieur le prince Louis, lui dit-il, pourquoi n'entrez-vous pas ? — Che beux pas, che beux pas... on m'affre oublié dans cette local debuis ce matin... Terteifle ! che suis empêté, mais che beux pas entrer toute seule... — Qui donc vous en empêche, monsieur le prince ?... les chemins sont ouverts. — Ya... che les gonnais... mais ch'attends le brudente Fieillard... On m'affre voulu décha faire endrer dedans, mais c'être un pièche bour me faire barler. — Prince, vous avez le droit de garder le silence. — Ya. — M. le président ne souffrira pas qu'on vous force de parler. — Ya. — Le scrutin vous attend. — Che le gonnais bas... — Je veux dire qu'on vous prie de voter. — Che vote jamais tute seule. — Eh bien, c'est de la part de M. Vieillard que je viens vous chercher. — Ya !... oh !... terteifle !... alors che volais bien endrer dedans... pour mettre la betite garte dans le boîte.

Une foule de chansons paraissent encore ; toutes ou presque toutes tournent le prince en ridicule.

Les trois chapeaux[34] :

Je viens savoir si son chapeau

Pourrait convenir à ma tête.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais, mon prince, ce chapeau-là

Est un peu grand pour votre tête.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je ne puis combler votre vœu

Soit pour le fond, soit pour la forme,

Tellement de l'oncle au neveu

La différence est énorme...

 

Histoire de M. Louis Bonaparte, racontée par Athanase Piedford, sergent à la 2e du 3e du 1er, à Jérôme Gauvin, conscrit du Calvados :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

A prosailler, v'là qui s'livre,

Ambitionnant l'titr' d'auteur.

Il accoucha d'un p'tit livre

Qui cherche encore un lecteur.

 

Histoire du prince racontée par l'aigle de Boulogne avant qu'il fût empaillé :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J'expie, hélas ! au fond d'une armoire,

Le triste honneur de l'avoir escorté.

Ô destinée Infortunée !

Aigle oublié,

Faut-il vivre empaillé !

 

Le neveu de mon oncle[35] :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

D'un nom fameux, vomi par la tempête,

Tu veux en vain te parer aujourd'hui.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Fuis, faible aiglon, la sainte humanité

Ne veut s'unir qu'avec la Liberté !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Reflet d'un grand soleil, tu n'es point le Messie

Qui doit sauver l'humanité.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Descendant d'un grand capitaine,

Pourquoi viens-tu salir son nom ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

N'espère jamais que la France

Raccommode un sceptre brisé ;

On pourrait te croire en démence ;

Le règne des rois est passé,

Qui le nie est un insensé.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dis-nous les actions de gloire

Qu'il faut graver sur ton blason.

J'ai beau consulter ma mémoire,

Strasbourg, Boulogne et ta prison

S'offrent toujours à ma raison.

Du grand homme aimé de la foule,

Partout l'aigle fut respecté :

Ton aigle à toi n'est qu'une poule !

Ah ! respecte la liberté !

 

Désistement de M. Louis Bonaparte[36] :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

A grands pas vers le Louvre

J'avançais triomphant.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Alors, une voix crie :

Holà ! mon cher neveu,

Approchez, je vous prie,

Que je vous parle un peu :

Foi de Napoléon,

Tu n'es qu'un polisson.

 

LES GRANDES AVENTURES DU PRINCE.

(Complainte.)

 

A Strasbourg il se présente

Et dit à la garnison :

Che être Naboléon,

Pas groire que che biaisante.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C'est un faux Napoléon

Qu'on met en circulation.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Prendrait-il pour un serin

Le grand peuple souverain...

 

Les faits et gestes du très haut et très puissant et très glorieux prince Louis Bonaparte, mis en lumière par Fenelus, magister de Maricelle :

PAUVRE GARÇON ! RENONCE A TES PROJETS.

Pauvre garçon ! renonce à tes projets !

Déjà, par un triste caprice,

Tu quittas le nom de Français

Pour te faire enfant de la Suisse ;

Pousse plus loin... Du Nord prends le chemin,

Et puisqu'encore ton cerveau se détraque,

Fais-toi bannir du sol républicain

Et nationaliser Cosaque.

 

Grande complainte sur Louis Bonaparte :

Alors des gamins par bandes

Accourent de tous côtés,

Montrant d'un air hébété

L'Empereur de contrebande,

Qui, par quelques hommes soûs,

Leur faisait jeter des sous.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je suis le neveu de l'autre.

Si je vous mens, nom d'un chien !

Traitez-moi de galopin !

 

Le prétendant :

Vous voulez être président ?

Vous avez bien du talent ?

Je parle sans malice...

Eh bien ?

Le français comme un Suisse,

Vous m'entendez bien.

 

Victoires et conquêtes de M. Louis Bonaparte, racontées par l'aigle de Boulogne à l'aigle impériale. (Charles GILLE.)

Le gâteau des prétendants (de MIMA MERCIER) :

A peine admis dans notre France,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Fanfan, mon mignon, mon chéri,

Tu viens briguer la présidence,

Toi, le rejeton rabougri

D'un bel arbre aujourd'hui pourri ;

Tu fais, prétendant de la veille,

Le républicain ; c'est merveille !

Va, Fanfan, va donc et va bien ;

On voit le bout de ton oreille.

Va, Fanfan, va donc et va bien,

On n'est pas héritier pour rien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

L'héritier d'un grand homme :

Défunt mon oncle l'Empereur,

Ne pouvant m' laisser son grand cœur,

Me laissa chapeaux, redingotes,

Gilets et culottes,

Trois grand's pair's de bottes...

N' suis-je pas un gaillard bien doté ?

V' là c' que c'est qu' l'hérédité !

 

L'amoureux de la République :

Il a le physique... d'un policeman de Londres... Qu'on ne l'oublie pas, les héritiers et les successeurs des grands hommes ont presque toujours été des crétins.

 

Simple histoire du prince Louis Bonaparte fait Napoléon :

Ce qui le recommande ?... Toute une existence d'aventures romanesques et grotesques, de contradictions et de niaiseries... Son attitude est celle d'un chat qui guette une souris ; il guette la République et attend l'occasion de se jeter sur elle et de la croquer, ni plus ni moins.

 

Comme quoi Louis Bonaparte n'existe pas à l'état de grand homme :

L'oncle avait une figure noble et expressive. Le neveu a une face comme on désire ne pas en rencontrer. Le premier était brun ; le second est blond ardent (comme Jocrisse)... Remarquez les oreilles de Napoléon Ier, elles sont petites, fines, délicates, gracieuses ; elles ne ressemblent pas aux oreilles du dernier des Napoléons. — Napoléon Ier avait une faiblesse, il prisait, mais il était prisé. L'autre, qu'on prise très peu, chique, dit-on.

 

Louis Bonaparte chez M. Gibus :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Enfin, voici le dernier,

C'est le chapeau de l'Empire :

Oserez-vous l'essayer

Et vous regarder sans rire ?

 

Le neveu de Napoléon :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Moi, je dis d'un ton convaincu

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mon père fut cocu.

Mon oncle était un fier luron,

Nom d'un nom.

J' suis le neveu de Napoléon,

V' là qu' est bon !

 

Manifeste de Louis-Caméléon Bonaparte :

Ainsi je me fais prétendant

Pour enfoncer la République,

Si vous me nommez président.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mon cher oncle, que j'idolâtre,

Vingt fois en bronze fut moulé ;

Moi qui ne suis pas mal en plâtre,

Avant peu je serai coulé.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Enfin l'an qui bientôt expire

Fut fort triste, mais cependant

Par moi vous aurez un an pire

Si vous me nommez président.

 

Dans une gravure, le prince embrasse la République et, par derrière, lui enfonce un poignard dans le dos, en disant : Je jure fidélité à la République ! Dans une autre, il est représenté à Londres dans les coulisses d'un cirque, tenant une femme sur chaque genou et buvant du Champagne. — On voyait aussi paraître nombre de brochures, de lettres, d'affiches[37]. Quelques-unes étaient favorables au prince. Un sieur Resuchet, ancien officier de l'Empire, faisait imprimer à ses frais et distribuer quarante mille exemplaires d'une circulaire ainsi conçue :

Trois cent mille suffrages, en rappelant de l'exil notre concitoyen Louis-Napoléon Bonaparte, ont tracé la route qu'il devait suivre et désigné la place qu'il pouvait ambitionner... La France entière, s'associant au vote spontané de cinq départements, a salué son entrée à l'Assemblée comme présage de la fin prochaine de l'interminable provisoire qui pèse sur nous. Louis-Napoléon vient d'accepter une candidature que de toutes parts lui offraient les vrais patriotes, les hommes d'ordre, de progrès et de liberté ; son programme a retenti dans le cœur de tous les Français. Le moment est venu de manifester hautement nos sympathies pour celui qui sera bientôt l'élu de la nation... Recueillons-nous dans notre conscience et voyons si nous avons un nom plus glorieux, plus sympathique à la France que celui de Napoléon, si nous avons un homme qui mieux que le neveu du grand Empereur, le petit-fils de la bonne Joséphine, l'écrivain qui s'est tant occupé du peuple, puisse se présenter comme le symbole d'union, d'ordre, de clémence et de fraternité. Élevé à l'école du malheur, éprouvé par l'exil, le prince Louis n'est plus au milieu de nous qu'un citoyen animé du plus ardent patriotisme. Pur de toute intrigue politique, étranger à nos discordes dont son cœur a gémi, sa mission sera de réparer, et non de venger ; il n'aura d'autre ambition que celle de contribuer au bonheur de tous... L'Empereur, son oncle, a voulu le bonheur de la France par la gloire ; il voudra, lui, la gloire de la France par le bonheur...

 

Dans une brochure intitulée : Louis-Napoléon et ses concurrents. Dernier examen des candidatures pour la présidence de la République, par M. S... — (éditeur, Fleury), on lit : Le pouvoir que par deux fois Louis Bonaparte essaya de détruire, n'était-il pas depuis longtemps l'objet d'une réprobation puissante ? Sur tous les tons, presque à chaque heure, les prophètes du journalisme ne tonnaient-ils pas contre lui ? Ne pleuraient-ils pas sur la France dégradée ? Est-il donc bien surprenant qu'un homme, porteur d'un nom qui s'enchâssait le mieux dans l'auréole de nos gloires, d'un nom dont deux arrêts d'exil proclamaient l'incontestable force, ait cru que ce nom seul... suffirait pour briser un sceptre déclaré fatal à la France ?...

Dans une autre : Suppression de l'impôt du sel. Candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République, il est dit : Il a vécu dans l'étude des arts, des sciences et de l'agriculture. Il a écrit que le problème du paupérisme aurait sa solution dans le défrichement et dans la fécondation du sol. Qu'il soit appelé à la présidence de la République, et, nous l'affirmons, une des premières lois qu'il proposera à l'Assemblée nationale sera un pas décisif vers la suppression de l'impôt du sel... — J'ai connu[38] et fréquenté sa famille en exil. J'ai été en relation avec Louis-Napoléon Bonaparte lorsqu'il était dans l'adversité. Je puis vous dire que s'il a souffert pour l'erreur de son courage, il a fait respecter son infortune par le noble emploi de son temps. Il s'est instruit à l'école du malheur... Tout homme qui a fait tourner son infortune à son instruction est... un homme d'élite qui s'épure par l'adversité. Louis-Napoléon Bonaparte est un de ces hommes.

C'est un MANIFESTE DES OUVRIERS LYONNAIS :

Nous adoptons la candidature du citoyen Louis-Napoléon Bonaparte : 1° parce qu'il nous a été affirmé et prouvé d'une manière irrécusable que Louis-Napoléon Bonaparte, à qui la République a ouvert les portes de la France, veut la conservation de cette République, qu'il la veut démocratique et sagement progressive, avec le respect de la famille et de la propriété ; 2° parce qu'attribuer au citoyen Louis-Napoléon le projet insensé de rêver une restauration impérialiste est aussi faux qu'absurde, et que d'ailleurs ce projet, s'il pouvait exister, serait irréalisable ; 3° parce qu'enfin le nom de Bonaparte rappelle le génie, le patriotisme et la gloire, et que nous croyons fermement que la France sera aussi heureuse que fière de prospérer à l'abri de ce nom immortel... Ce manifeste est revêtu de milliers de signatures. (Sic.)

Lyon, 27 novembre 1848.

Les membres du Comité de l'Union républicaine démocratique, chefs électoraux, des Ier, IIe, IIIe et Ve arrondissements.

Signé : Le général HERPET DE SALIENNES, DELCRO, propriétaire ; BOREL D'HAUTERIVE, Alexandre DE SAILLET.

Le comité du XIVe arrondissement de la Seine déclare accepter et approuver ledit manifeste.

Paris, le 8 décembre 1848.

Signé : Le vice-président, BERTRAND.

Le secrétaire, C. CHALAND.

 

Le même groupe politique parisien fait apposer partout dans la capitale une affiche ainsi libellée :

ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Nommons :

Louis-Napoléon Bonaparte.

C'est l'enfant de Paris.

C'est l'élu du département de la Seine.

C'est l'élu du peuple français.

 

Le Comité des quatorze arrondissements du département de la Seine. — Union républicaine et démocratique pour l'élection du citoyen Louis-Napoléon Bonaparte.

Signé : Le président : MOUTONNET. Les vice-présidents : DE SALIENNES, général de brigade, commandeur de la Légion d'honneur ; DELCRO père, propriétaire. Les secrétaires : BERTRAND, capitaine en retraite, officier de la Légion d'honneur ; CHALAND, architecte ; LESÈBLE DE SAILLET, ingénieur civil. Les délégués : DELAMARE, ingénieur géographe ; J. DE FAGES DE VAUMALE, propriétaire ; CARDON, sous-inspecteur général de la Poste aux commissions ; LACROIX, ancien militaire.

 

Une société des vrais amis du peuple signe l'affiche suivante :

ÉLECTEURS !

La misère nous gagne chaque jour davantage... Le malheureux meurt de faim... L'ouvrier est sans ouvrage ; le cultivateur ne trouve plus l'écoulement de ses produits ; le commerçant ne vend rien ; le propriétaire ne reçoit plus ses revenus ; le capitaliste n'ose plus mettre ses fonds dehors, faute de sécurité. La France qui était si riche, dans quel état est-elle ? La banqueroute du gouvernement est à craindre et nous menace. Pour que la confiance, source de la prospérité de la nation, se rétablisse, il nous faut à la tête du pouvoir un homme qui ait les sympathies du pays. Napoléon sauva la France de l'anarchie à la première révolution. Le neveu du grand homme avec son nom magique, avec sa fortune personnelle, nous donnera la sécurité et nous sauvera de la misère. C'est ainsi que l'a compris une partie considérable de la nation... Qu'on appelle ce peuple laborieux et honnête dont il est dit : LA VOIX DU PEUPLE EST LA VOIX DE DIEU... NOUS faisons appel aux commerçants qui désirent voir reprendre les affaires ; aux cultivateurs qui ont besoin de vendre leurs récoltes à un prix raisonnable ; aux ouvriers qui ne peuvent vivre sans travail ; aux pères de famille qui veulent assurer le présent et l'avenir de leurs femmes et de leurs enfants ; à l'armée qui ne sera jamais sourde au nom de Napoléon, aux électeurs de toutes les opinions qui veulent le salut de la patrie...

 

C'est une lettre écrite à la Presse[39] par quatre ouvriers : Jamais la naissance de M. Bonaparte ne sera une faute à nos yeux. Sa parenté avec l'Empereur est son premier titre à notre douce amitié et à l'espérance que nous mettons en lui. Il en est de même de son nom, ce nom sera toujours le plus aimé, le plus connu, le plus respecté du peuple. Il sera toujours le plus lumineux, le plus pur, le plus glorieux de notre histoire ; c'est le nom dont s'enorgueillira l'humanité dans son magnifique avenir. C'est le nom écrit dans le cœur de la France ; nom universel et vénéré de tous les peuples... Nous voterons pour M. Bonaparte, parce que nous le croyons grand et digne, parce que nous le savons bon, patient et simple, parce que nous avons lu son beau livre de l'extinction du paupérisme, livre daté du fort de Ham, labeur du noble prisonnier, suite des grandes idées de l'Empereur, dont la plus belle, la plus constante et la plus sainte fut la destruction de la pauvreté. Nous savons que lorsqu'on évoque la vie de M. Bonaparte pour la retourner contre lui, on oublie toujours ces bonnes pages écrites en faveur du peuple souffrant ; mais nous autres qui pleurons et qui avons eu faim, nous ne les oublierons jamais... Nous voterons pour M. Bonaparte, parce que nous aimons plus Austerlitz que la guerre civile, parce que nous préférons les campagnes d'Egypte, d'Italie, d'Allemagne, de Russie et d'Espagne aux campagnes de Juin, et que les beaux souvenirs à rappeler et à mettre en avant sont, selon nous, les victoires, les capitales conquises, les rois vaincus, les forfaits pardonnes, les églises ouvertes, les blessures cicatrisées, les aigles couvertes de poudre, mais pas de souillures, et non les massacres, les ignominies, les fusillades, les spoliations et les vengeances. Nous voterons pour M. Louis Bonaparte, parce que M. Bonaparte est non seulement un homme, mais est encore un principe, et que ce principe est pour la France la gloire dans le passé, la concorde pour les jours qui viennent. Nous voterons pour M. Louis Bonaparte, parce que nous appartenons à la génération qui naît, et que tout ce qui est jeune doit aimer ce qui est franc... Nous voterons pour lui, la pensée pleine de cette France formidable qu'avait rêvée son oncle, et si son nom sort de l'urne, nous sentirons en nous la joie la plus patriotique, la plus haute. Nous serons prêts à donner notre vie pour M. Bonaparte..., certains d'avance que cette vie servira à la grandeur du pays !... — C'est une brochure intitulée : Paroles impériales prononcées par l'Empereur à Sainte-Hélène et réunies par un croyant, où l'on trouve notamment les citations suivantes[40] : L'opinion publique est une puissance invisible, mystérieuse, à laquelle rien ne résiste... Avant mon arrivée (retour de l'île d'Elbe), toute la France était déjà pleine d'un même sentiment... La France était mécontente, j'étais sa ressource, voilà toute la clef de ce mouvement électrique... Il n'y eut pas de conspiration, et tout le monde s'entendit... Je ne suis pas seulement l'Empereur des soldats, je suis celui des plébéiens... Aussi, malgré tout le passé, vous voyez le peuple revenir à moi... Des élections libres, des discussions publiques ? La liberté ? Je veux tout cela ; la liberté de la presse, surtout ; l'étouffer est absurde... Je suis l'homme du peuple ; si le peuple veut réellement la liberté, je la lui dois, j'ai reconnu sa souveraineté...

Les publications en sens contraire étaient plus abondantes encore et d'une violence extrême. Voici la Lettre d'un républicain du lendemain, électeur des départements, à ses concitoyens sur la candidature de Louis Bonaparte à la présidence de la République[41] : Est-elle donc sérieuse, cette candidature ? Veut-on se moquer de nous ?... Est-il possible qu'il faille relever cette bouffonnerie ? Si Louis Bonaparte est élu, le second terme de la prophétie de Sainte-Hélène s'accomplira, nous serons Cosaques !... Où sont-elles, les belles choses qu'il a faites ? Quelque grande pensée le recommande-t-elle à notre admiration ? Il a plus de quarante ans ; à cet âge, on a fait ses preuves ; où sont les siennes ? A-t-il un passé qui nous garantisse son avenir ?... A-t-il vécu parmi nous ? Parle-t-il français seulement ? Connaît-il nos besoins, nos vœux, nos espérances ?... A-t-il dans ses mains notre salut ? Son nom ! son nom !... Mais il n'a donc que cela ?... Et encore l'a-t-il su porter ?... Vous dites qu'il est du sang de l'Empereur ?... S'il ressemble à quelqu'un, ce n'est sûrement à personne de la famille de Napoléon... Je n'entends bourdonner autour de son hypothétique fortune que de suspects courtisans... des intrigants... des hommes de tapage et de forfanterie, sans conviction, sans moralité... des hommes à expédients, perdus de plaisirs et de dettes, des compagnons de table, des oisifs et des besogneux, des aventuriers... Supposons Louis-Bonaparte président. Où est l'homme de cœur, l'homme d'esprit, l'homme de raison, qui se fera sa caution devant l'Europe qui le connaît mieux que nous ?... Président ou empereur, Louis-Napoléon fera la guerre... A l'en croire, il est homme d'ordre !... Se persuade-t-il que nous avons oublié ses tentatives de Strasbourg et de Boulogne ? Son aigle... son petit chapeau, ses domestiques déguisés en soldats, ses mascarades, ses proclamations, son échec au milieu d'un immense éclat de rire, voilà le côté ridicule..... Le titre d'empereur usurpé, un coup de pistolet tiré à bout portant sur un brave capitaine, un brave grenadier blessé de sa main, quelques hommes entraînés, jugés et condamnés, une grâce humblement acceptée pour lui-même et si mal reconnue, sa parole donnée et violée : voilà le côté odieux de sa double aventure... Le voyez-vous, ce conquérant inconnu... ? Est-ce bien ce même gentleman dont les danseuses de Londres se disputaient les bonnes grâces, qui, le casque en tête, la lance au poing, les couleurs de sa dame à la boutonnière, chevauchait au tournoi d'Eglington... un fier apprentissage de l'Empire !... Souffrirez-vous qu'une intrigue vous impose ce bourgeois suisse, ce constable anglais ?... — Voici Les candidats à la Présidence, par Ernest Bersot, professeur de philosophie au lycée de Versailles[42] : Deux candidats sont en présence. Qui l'emportera ? C'est une question, et cette question est notre honte. Le succès de M. Louis Bonaparte !... Nous serons la fable de l'Europe et le scandale de l'histoire... Pourquoi M. Louis plutôt que M. Jérôme ou M. Lucien ?... M. Jérôme est l'orateur de la famille à la place de ce pauvre M. Louis, à qui il manque encore pour parler quelques idées et quelques leçons de français. Mais ni M. Lucien, ni M. Jérôme n'ont fait les équipées de Strasbourg et de Boulogne ; ils n'ont point apporté d'Angleterre un aigle vivant !... ils n'ont pas été reçus par des douaniers comme des empereurs de contrebande... ; ils n'ont point demandé pardon à Louis-Philippe ; aussi ils ne seront jamais que de simples représentants... M. Louis... à la bonne heure !... En 1840, à Boulogne,... (il)... perce la gorge d'un malheureux soldat, d'un soldat français, d'un de vos frères ou de vos enfants... voilà ses titres à votre amour ! Des agents parcourent les campagnes, annonçant que le prince possède des millions, qu'il remboursera l'impôt des 45 centimes et payera les dettes de la nation... voilà les simples pour M. Louis Bonaparte ! Voici les doubles maintenant, et leur calcul :... L'homme étant nul, à peine élevé on le ruine, on substitue au fantôme un personnage réel, et nous voilà revenus au 22 février 1848 ou au 26 juillet 1830 Un manifeste, signé : Louis Bonaparte, a paru. L'auteur promet de tout concilier : la paix et la guerre, l'ordre et la liberté, la franchise du commerce et le monopole, la centralisation et la décentralisation ; il promet aux loups qu'ils vivront dans l'abondance, et aux agneaux que les loups ne les mangeront plus... Détournons les yeux de ces honteuses misères !... — Dans une affiche signée F. C. de Damery, et intitulée : Abdication du parti légitimiste en faveur de Louis-Napoléon Bonaparte, il est dit : L'Empire, moins le bras et le génie de Napoléon, c'est chose impossible, parce que l'Empire, ce n'est pas un principe, mais un homme, et qu'il n'est donné à personne de recommencer avec des décors passés, des costumes fripés et vieillis, des figurants éclopés et des acteurs cacochymes, ce drame dont le héros du 18 brumaire avait seul le secret. L'Empire, d'ailleurs, c'est la tyrannie se substituant au double principe de l'hérédité monarchique et de la souveraineté populaire. Ce n'est ni la royauté, ni la démocratie, c'est le régime du sabre et la dictature militaire. C'est la guerre commençant par la conquête et finissant par l'invasion... Pousser Bonaparte au pouvoir pour le renverser plus tard..., compter sur son insuffisance et lui tendre la main pour le trahir... voilà ce que je ne saurais approuver, et le parti des traditions chevaleresques a bien dû se faire quelque violence pour se résigner à un pareil rôle... — Dans une brochure qui a pour titre : Louis-Napoléon traité comme il le mérite[43], on lit : Tout ce que M. Louis parut avoir tiré de ses études fut un goût prononcé pour les occupations frivoles, pour le doux farniente qu'il emprunta à l'Italie... Nous croyons qu'il eût été bien plus facile de trouver dans la bibliothèque du prince l'Art de bien mettre sa cravate et le Manuel du parfait sportsman, que l'Histoire de l'Empire et le Code Napoléon ; se lever à midi, après avoir pris son chocolat dans son lit, avoir un nègre pour groom, se faire habiller par Staub, porter des bottes de Sakoski et des gants de Jouvin, étudier les poses du comte d'Orsay, crever des chevaux de louage à New-Market, boire beaucoup et avoir une loge à l'Opéra, souper en tête-à-tête avec les faciles bayadères de Drury-Lane et ouvrir le premier quadrille aux soirées du duc de Wellington, voilà le bulletin officiel de la jeunesse du prince !... (De retour à Londres,) il fut bien et dûment enrôlé constable de la ville de Londres, c'est-à-dire, proh pudor ! qu'il fut chargé de veiller à la sûreté des bourgeois dont les familles avaient jadis soudoyé les bourreaux de l'Empereur, et à l'entretien des monuments qui perpétuent le souvenir du glorieux désastre de Waterloo !!! ... Il ne lui reste plus qu'un vœu à faire accomplir, un seul... le sera-t-il ? Oui, si la France, comme une prostituée, dénoue sa ceinture de vertu et foule à ses pieds dix siècles d'immortalité. Non, si la France songe encore à se découvrir quand elle passe devant la colonne...

Que résulte-t-il de cette longue revue par nous faite des principales productions de la plume ou du crayon ? C'est que le procès du prince a été instruit aussi complètement qu'il était possible devant le tribunal populaire, et que le peuple-roi n'a pas été pris en traître, qu'il a voté en parfaite connaissance de cause, qu'il a su pertinemment quel était l'homme qui lui demandait le pouvoir suprême, et qu'il a, — malgré tout, malgré un passé qui dénotait un caractère aventureux, une imagination d'une envolée audacieuse, une foi aveugle dans son étoile, et qui révélait un catéchisme politique et social aussi hardi que dangereux, — désiré quand même, voulu quand même, acclamé quand même ce nom prestigieux de Napoléon, qu'il aimait, qu'il adorait, et que, peut-être aussi dans un sentiment de fierté patriotique, il entendait laver et venger de toute la boue dont on venait de le couvrir, de toutes les ignobles injures dont on avait osé l'accabler !

II s'était formé plusieurs comités pour soutenir la candidature du prince. Nous citerons le Comité napoléonien[44], composé du général Piat, Persigny, Laity, Pietri, etc., qui tenait ses séances au manège Fitte, rue de la Chaussée d'Antin. Le 24 novembre, un de ses membres, M. Jules Bertin, prononça le discours suivant : Si mon ardent désir est de voir le citoyen Louis-Napoléon le premier citoyen de France..., c'est parce qu'il est bon, d'un caractère noble et généreux ; c'est parce qu'en fils reconnaissant il chérit sa mère patrie et ne voit en nous que des frères, c'est parce que chaque instant de sa vie a été consacré au progrès, à combattre les coutumes qui s'opposent au bonheur des masses, que, malheureux lui-même, le malheur a toujours été l'objet de sa plus tendre sollicitude, et qu'enfin il est aimé de tous, et que tous ne verront bientôt en lui que la seule main qui peut nous tirer de l'espèce de chaos dans lequel des ambitieux et des incapables nous ont plongés. Louis-Napoléon a vécu comme le plus modeste des hommes ; ses nuits n'ont point été interrompues par l'archet joyeux et le fracas des plaisirs ; le travail et toujours le travail a été son unique loisir... Républicain et dans la forme et dans le fond de son cœur, la République (une République honnête) a toujours été ses plus beaux rêves ! Du fond de sa prison ou plongé dans l'exil, il la voyait descendre resplendissante des cieux... Citoyens ! rendons à ce beau pays et sa splendeur et sa gaieté, si nous ne voulons pas la voir périr. Que nous faut-il pour cela ? un homme autour duquel nous puissions nous rallier... Cet homme, vous l'avez déjà nommé... Louis-Napoléon Bonaparte !... — Il y avait aussi le Comité du faubourg Montmartre, qui fusionne avec le Comité napoléonien pour former le Comité central électoral [45], qui était dirigé surtout par un sieur Patorni et qui siégeait soit boulevard Montmartre, n° 10, soit au manège Fitte, soit salle Valentino, rue Saint-Honoré, n° 359[46]. A une des séances, le sieur Patorni s'exprimait ainsi : ... Pourquoi cet exil ? Parce qu'il était du sang de Napoléon, de Napoléon l'élu de la France, de Napoléon tombé victime de l'étranger... Dès qu'il put penser, dès qu'il put aimer, il pensa à sa patrie, il aima la France... Cet exil... devait peser au cœur du jeune Louis-Napoléon, lui qui aurait voulu servir la France, ne fût-ce que comme simple soldat... (En Romagne,) il se mit à la tête de l'insurrection... les forces autrichiennes eurent raison de cette poignée de braves... Louis-Napoléon n'en paya pas moins sa dette à la sainte cause des peuples opprimés... (Il aurait voulu aller combattre en Pologne.) Encore une dette payée à la cause des peuples aux prises avec leurs tyrans. (Applaudissements prolongés.)... Les Bonaparte, sortis comme nous tous des rangs du peuple, n'ont jamais oublié leur origine. Chez eux règne la bonté la plus exquise : nulle morgue, nul orgueil, toujours affable, toujours compatissant avec l'infortune. Malheureux, on apprend à plaindre le malheur. (Quand Marie-Louise revendiqua l'épée d'Austerlitz :) Jamais l'épée de mon oncle, s'écria Louis-Napoléon, ne sortira de nos mains ! Jamais l'Autriche ne pourra se vanter de posséder ce joyau de notre gloire, cet instrument de ses défaites ! (Cris d'enthousiasme.) Un procès sur l'épée de Napoléon ? Eh bien, nous le soutiendrons, et la France tout entière le soutiendra avec nous, comme une question d'honneur national ! — Et l'on a osé dire que Louis-Napoléon s'était fait Suisse ? Savez-vous ce qu'il a fait pour rester Français ? Il a refusé la main de dona Maria, reine de Portugal... la main de la princesse Olga, la seconde fille de l'empereur de Russie... Louis-Philippe a rétabli Napoléon sur la colonne et ramené les cendres... par calcul, au profit de sa popularité évanouie ; on faisait de l'hypocrisie, on rendait hommage à un mort et on laissait dans l'exil les vivants. Or, de cette hypocrisie sortirent légitimement les tentatives de Strasbourg et de Boulogne. Gloire à l'homme de cœur qui les tenta... Honneur au courage malheureux !... S'est-il présenté comme empereur ? Erreur... (Lisez) ses proclamations. Est-ce là le langage d'un prétendant ?... N'est-ce pas celui d'un franc démocrate ? (Oui ! oui !) Le suffrage universel a été proclamé par lui dès 1836 et 1840. Les hommes de 1848 n'ont été que des imitateurs. (C'est vrai ! c'est vrai ! Acclamations.) Il est condamné à un emprisonnement perpétuel. Que répond-il ? J'aime mieux la prison en France que la liberté sur la terre étrangère. Et voilà l'homme à qui l'on conteste sa qualité de Français ! (Applaudissements.) Prisonnier, il emploie les longues heures de la captivité à l'étude... il épuise toutes les matières ;... et voilà l'homme que le National... veut faire passer pour un ignorant et un incapable. (Rire général.) Louis-Napoléon aime-t-il le peuple ? Le peuple sait bien que oui, car c'était de ses souffrances et de ses misères qu'il s'occupait à Ham dans cet admirable petit livre, intitulé : l'Extinction du paupérisme... Douterez-vous encore, citoyens, des sentiments et des sympathies de notre candidat en faveur du peuple ? (Non ! non ! Vive Louis-Napoléon !)... En nommant Louis-Napoléon, nous appelons à la tête du pouvoir le plus honnête homme de la République...

Quelle était l'attitude des hommes politiques les plus marquants ? M. de Cormenin écrivait dans une brochure : Louis-Napoléon Bonaparte est un nom qui est un souvenir et une espérance. Il a vu deux fois quatre départements et Paris le prendre à l'exil pour le rendre à l'Assemblée. Louis-Napoléon Bonaparte sera élu président, parce que, libre du passé, dégagé du présent, il tient l'avenir ; parce que son nom, c'est la confiance ; parce que son nom, c'est la démocratie organisée ; parce que son nom, c'est le peuple... Le peuple a l'instinct plus sûr, la vue plus nette et le cœur plus grand que les sophistes et les journaux... En nommant Louis-Napoléon, il reconquiert le suffrage universel, la seule et vraie conquête, il assoit sa souveraineté. La nation prend sa robe virile. La campagne le portera parce que, aux yeux des paysans, la France qui s'est appelée Austerlitz se nomme encore Waterloo. Avec Louis-Napoléon il ne craint plus les assignats et les Cosaques : les deux terreurs... M. Ferdinand Barrot[47] écrit à M. Chambolle, rédacteur en chef du Siècle : ... (Vous dites) qu'aucun homme de bon sens et de bonne foi ne peut adopter et soutenir la candidature de M. Louis Bonaparte... (qu')il n'y a pas une bonne raison à produire en faveur de cette candidature ridicule, (que) son succès serait la honte et la ruine de la France... Le premier mouvement auquel j'ai obéi en adoptant Louis-Napoléon Bonaparte pour mon candidat, a été, je l'avoue, décidé par les sympathies toutes personnelles qu'il m'inspire... Tous ceux qui le connaissent un peu l'aiment beaucoup ; c'est qu'en effet il n'y a pas d'homme plus naturellement bon, plus fidèle dans ses amitiés, plus oublieux des injures personnelles[48]... Un mot d'abord pour repousser toutes les allégations d'incapacité. L'exil et la prison lui ont conseillé l'étude ; depuis vingt ans il sent leur rude conseil, et, appliqué aux recherches les plus approfondies, aux méditations les plus sérieuses, il y a peu de questions agitées dans la presse et à nos tribunes, dont il n'ait attentivement cherché les solutions... Qu'on demande aux hommes spéciaux, qu'on demande à M. François Arago ce qu'il pense, ce qu'il disait de l'Histoire de l'artillerie... J'en suis encore à cette vieillerie politique : La voix du peuple est la voix de Dieu. On me dit qu'il y a une majorité acquise dès aujourd'hui à la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte, dès lors j'incline de ce côté... Le peuple n'a pas de ces engouements irréfléchis et subtils ; ses instincts sont sûrs ; ceux qui le gouvernent peuvent quelquefois le tromper ; livré à lui-même, il ne se trompe jamais[49]... J'ai eu peur du suffrage universel... combien j'avais tort !... Au lieu de chercher uniquement dans la séduction des souvenirs la raison de cette propension Générale vers Louis-Napoléon, il serait raisonnable de la chercher et on la trouverait dans la situation même des choses. Ce sont les fautes accumulées, ce sont les désastres et les menaces, qui préoccupent l'opinion, ce sont les doutes que chaque jour accroît et dont s'assombrit l'avenir qui ont fait la fortune de la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte... Un nom ! dit-on ; faire d'un nom un titre au suffrage du pays ; n'invoquer qu'un pareil titre, quelle insolence !... Pourquoi méconnaître l'influence des noms, et comment guérir l'esprit humain de cette faiblesse ? Le nom n'est pas une illusion, c'est une présomption de nature ; le nom, ce sont les traditions de famille, les exemples et les préceptes du foyer... Que promet donc le nom que l'on évoque et que l'on salue ? Le despotisme ? Qui donc aujourd'hui croit au despotisme après cette révolution de Février... Le besoin le plus pressant, c'est la liberté... Ce nom, dit-on, veut avant tout dire guerres et conquêtes ? Il veut dire la gloire et ses douloureux sacrifices... En ce temps où nous vivons, la guerre de peuple à peuple est-elle possible ?... Le nom de Napoléon signifie un gouvernement national, une organisation féconde, une puissante administration. Il signifie les capacités appelées sans esprit d'exclusion, les talents glorifiés, les coteries impuissantes. Il signifie la propriété défendue, la société régulière, l'industrie et le commerce ravivés, encouragés et récompensés... Oui, il arrivera... salué par l'enthousiasme qu'inspirent de grands souvenirs ; oui, il aura cette puissance qu'on appelle la popularité... Les hommes d'ordre et d'intelligence discerneront le moyen de salut en faisant céder, au besoin, leurs affections particulières ; ils s'engageront au milieu du courant populaire pour le régler... Ce qui, à mes yeux, est une raison puissante de décider en faveur de Louis-Napoléon Bonaparte, c'est qu'il n'a d'engagement avec aucun parti, qu'il n'a épousé aucune de nos querelles ; qu'en arrivant au pouvoir il n'y amène aucune coterie ; c'est enfin que personne ne peut aussi bien que lui fonder un gouvernement national... un gouvernement qui appelle également au service des grands intérêts de la France les hommes les plus éminents de tous les partis... Enfin... la présidence de Louis-Napoléon serait la plus sûre défense de notre société républicaine, non seulement contre les attaques de la démagogie, mais contre les tendances rétrogrades et monarchiques. Les nécessités mêmes de sa situation et le soin de sa propre gloire l'éloignent autant d'un 18 brumaire que d'un 3 juin. Le grand Napoléon lui-même vivrait de nos jours, qu'entre toutes les œuvres qu'il pourrait entreprendre, il y en aurait une qui, plus qu'aucune autre, tenterait son génie, ce serait de fonder la République française, de la fonder malgré toutes les résistances... Relier à cette époque impériale, où tant d'efforts ont été faits pour la gloire de la France, notre époque républicaine, où une si large carrière s'offre aux efforts pacifiques, ne serait-ce pas... écrire dans l'histoire la plus belle page des temps modernes ?... S'il est donné à Louis-Napoléon Bonaparte de mener à fin une telle œuvre, n'aura-t-il pas largement payé sa dette de reconnaissance à la République qui lui a rendu sa patrie et le titre de citoyen français ?... — M. H. Boulay de la Meurthe[50] écrit par la voie des journaux la lettre suivante à l'un de ses commettants : ... Je voterai pour Louis-Napoléon Bonaparte... parce qu'il est incontestablement le candidat de cette immense majorité qui, n'ayant hâté ni de ses efforts, ni même de ses vœux, l'avènement de la République, l'a néanmoins loyalement accueillie, à la condition qu'elle serait honnête et modérée ; parce que, étant resté étranger à nos divisions antérieures, il est plus qu'aucun autre en mesure de faire appel à tout ce qu'il y a d'élevé et de pur dans les partis pour en composer un grand et glorieux parti national ; parce que lui seul aujourd'hui peut ramener à la République tant de cœurs que les républicains exclusifs lui ont aliénés ; parce qu'il est le seul dont la nomination ne doive humilier personne ; parce que nul n'offre autant que lui de garanties à la réconciliation, à la paix, à l'ordre, à la sécurité ; parce que ses ouvrages attestent les études les plus sérieuses et les plus variées ; parce que sa longue captivité témoigne d'une grande force d'âme, et que sa conduite, depuis la révolution de Février, ne respire que sagesse, dignité et patriotisme... ; ...parce qu'il porte honorablement le nom le plus glorieux de France ; parce que, héritier de ce nom, il comprend que le seul moyen d'y ajouter un nouveau lustre, ce n'est pas la guerre, ce n'est pas l'Empire, c'est le salut de la République ; parce que dans son héritage il trouve aussi cette prédiction qui a déjà plus de trente ans de date et qui assigne ses destinées à l'Europe : ... dans trente ans cosaque ou républicaine... ; parce que sa candidature plaît au peuple ; parce qu'il y a là quelque chose de providentiel, et que cette acclamation populaire du grand nom de Napoléon, qui se perpétue depuis un demi-siècle, semble vraiment la voix de Dieu... — M. Léon Faucher ne cachait pas ses sympathies pour le prince. Il écrivait à ses amis[51] : On s'oppose inutilement au succès ; Louis-Napoléon sera nommé. Le parti modéré l'adopte, comme il adopterait M. de Joinville si cela était possible, pour balayer la faction qui exploite le pays... Nous voulons l'ordre et la paix ; en adoptant cette candidature, nous lui donnons le sens qu'elle doit avoir et qu'elle gardera... Louis-Napoléon[52] sera infailliblement élu... (C'est une) candidature que tous les hommes éminents du pays appuient... — (Il) est[53] fermement et loyalement résolu à maintenir la République... — Il est très probable[54] que je voterai pour Louis-Napoléon... Cela dit que je vois de ce côté le salut du pays... M. Louis-Napoléon n'est nullement l'être ridicule que se plaisent à peindre les calomniateurs officiels... Le hasard ou son choix l'ont placé derrière moi dans l'enceinte législative ; nous causons souvent, et il ne fait voir qu'un jugement très sain, une instruction étendue et les sentiments les plus nobles. Pas plus que M. Cavaignac, il n'est un homme ordinaire ; tout l'avantage que l'un obtient à la tribune, l'autre le regagne dans la conversation et dans les méditations du cabinet... Louis-Napoléon connaît bien l'Europe, ce qui est un grand avantage en France quand on est appelé à prendre part au gouvernement... Tous les hommes éminents du pays, à quelque nuance d'opinions qu'ils appartiennent, s'accordent à penser que la candidature de Louis-Napoléon est une planche de salut que la Providence nous envoie dans le naufrage. Oui, MM. Berryer, Montalembert, Molé, Thiers, Odilon Barrot font cause commune avec les paysans et avec l'armée. Les uns font par réflexion ce que les autres font par instinct. C'est sagesse des deux côtés. M. Louis-Napoléon ne donnera là aucun prétexte à la guerre civile, car il ne porte pas ses vues au delà du poste que la Constitution, s'il est nommé, lui assigne[55].

M. Thiers se posa d'abord en adversaire du prince ; c'est quand il espérait qu'on penserait à lui pour la présidence de la République. Il disait alors[56] : La présidence de M. Louis Bonaparte serait humiliante pour la France. Mais il changea bientôt, et, dès la première quinzaine de novembre, à la réunion conservatrice de la rue de Poitiers, il déclarait[57] qu'il ne connaissait ni le général Cavaignac, ni le prince Louis Bonaparte ; qu'il n'était animé à leur égard d'aucun sentiment de haine ou d'affection ; qu'il cherchait seulement à discerner lequel, dans l'avenir, pourrait faire le bien ou le mal du pays. Il ajoutait : Le général Cavaignac paraît avoir une politique indécise qui peut verser... d'un côté autre que le parti modéré... En ce moment, le pays est entraîné vers le prince Louis Bonaparte... Pour l'arrêter, il faudrait faire un effort qui ne serait pas motivé, car on n'a pas assez de confiance dans le général Cavaignac pour se dévouer à sa candidature..... — Une troisième candidature diviserait les voix du parti modéré, dont une portion resterait inévitablement au prince. — Alors, aucun des candidats n'ayant la majorité absolue, l'élection serait... déférée à l'Assemblée nationale, qui nommerait incontestablement le général Cavaignac... Si c'est la nomination du général Cavaignac qu'on veut, il faut le dire. Alors, on traitera avec lui... Pas de candidature au nom des modérés, car c'est l'élection du général Cavaignac par l'Assemblée, et sans conditions ... Il faut laisser le pays suivre son penchant !... On se plaint de l'entraînement du pays, on dit que nous devrions y résister ; et pourquoi ?... Est-ce nous qui l'avons créé ?... La France blessée, alarmée, appauvrie, cherche le nom qui lui paraît être le plus grand démenti opposé à tout ce que nous voyons, et c'est parce motif qu'elle adopte Louis Bonaparte. La faute n'est pas à nous, mais à ceux qui ont gouverné la France pendant huit mois. Quant à nous, nous n'y pouvons rien. Pour moi, je ne connais pas le prince Louis, je n'ai rien de commun avec lui, je ne travaille pas pour lui ; mais lui opposer un concurrent, ce serait, je le répète, mener le triomphe du général Cavaignac, sans avoir obtenu de lui aucune garantie rassurante. Je conclus à ce que nous n'ayons aucun candidat qui nous soit propre, et que chacun de nous recommande celui qu'il croira devoir préférer.

Le maréchal Bugeaud, dont il avait été question pour la présidence, et qui s'était désisté par une lettre du 6 novembre, afin de ne pas diviser les suffrages des modérés, écrit, le 3 décembre, au rédacteur en chef du Constitutionnel, qu'il se rallie à l'opinion de la masse des hommes d'ordre, et déclare qu'il votera pour Louis-Napoléon Bonaparte. Mais, en même temps, dans une lettre adressée au colonel Lheureux[58], il estimait que choisir Louis-Napoléon Bonaparte était bien aventureux ; que cependant il préférait encore cette solution à la domination de cet infâme National. Le Constitutionnel, à la date du 27 novembre, déclare que le général Changarnier votera pour Louis-Napoléon[59]. Le Courrier de la Somme[60] annonce que M. Molé fera de même. M. Odilon Barrot écrit[61] : J'aurais préféré toute autre candidature, mais, après bien des hésitations, je me prononcerai pour Louis-Napoléon, par la raison que n'étant engagé avec aucun des partis politiques qui ont fait la révolution, il lui sera plus facile de prendre partout les hommes capables, sans acception d'origine, et de faire ainsi de la vraie conciliation... L'avènement de Louis-Napoléon... fera probablement cesser ces antagonismes si dangereux entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise...

Berryer avait d'abord été hostile à la candidature du prince, car il écrivait dans le courant de novembre à la Gazette du Midi : Quant à M. Louis Bonaparte, pour l'avenir, pour la conduite, pour le système, pour le caractère et les tendances des hommes qui seraient appelés autour de lui s'il devenait président, il n'y a qu'un immense inconnu. Tout est vague et confus dans l'assemblage des idées populaires qui semblent assurer le succès de cette candidature... J'ai réuni un grand nombre de mes amis politiques ; d'accord avec la majorité d'entre eux, j'ai exprimé l'opinion qu'il était nécessaire d'indiquer aux hommes honnêtes... un candidat qui ne fût ni M. Cavaignac avec son républicanisme exclusif, ni M. Bonaparte avec sa grande insuffisance et l'inconnu de sa situation. Quelques jours après, les dispositions du grand orateur étaient changées ; il fallait céder, il fallait s'incliner devant la popularité de plus en plus grande du prince. M. de Falloux, M. de Montalembert, M. Guizot[62], le duc de Broglie[63], faisaient de même. Ainsi les hommes considérables de l'époque, les chefs du parti[64] de l'ordre, les légitimistes et les orléanistes les plus influents et les plus éminents portaient le prince à la présidence, mais évidemment ils faisaient contre fortune bon cœur. La situation de celui-ci allait grandissant chaque jour ; un vent de popularité s'était levé en sa faveur, si puissant et si impétueux qu'il devait renverser tous les obstacles et balayer toutes les résistances. Les Thiers, les Berryer, les Molé sentaient le flot populaire monter, monter encore, monter toujours, prêt à les culbuter et à les pulvériser sans effort. Ne valait-il pas mieux suivre le courant ou plutôt le diriger ? D'ailleurs, on n'avait pas le choix. C'était la carte forcée. On avait de l'expérience, on était rompu aux habiletés de la politique, on finirait bien par gagner la partie. Comment, au surplus, la perdrait-on avec un aussi piètre adversaire que Louis-Napoléon ? Il n'était pas de taille à lutter avec tous ces burgraves, avec M. Thiers en particulier ; on en ferait ce qu'on voudrait, on s'en débarrasserait quand il ne serait plus nécessaire ; on manœuvrerait de façon à lui faire faire le jeu des légitimistes ou des orléanistes. M. Thiers répondait du succès ! Il connaissait à fond l'héritier de Napoléon ! C'était un honnête homme enclin aux illusions, plus près des rêves que de la réalité. Elevé dans l'exil, étranger aux mœurs, au tempérament du pays, il n'avait aucune des conditions qui permettent de prendre de l'autorité. La science du gouvernement lui faisait défaut, il serait contraint de recourir aux lumières des hommes expérimentés. Il paraissait accessible aux conseils, et l'influence pouvait ainsi s'acquérir facilement sur son esprit. En résumé, il semblait plutôt fait pour la subordination que pour la résistance ; on en pouvait faire un instrument ; on n'avait point à redouter sa prépondérance[65]. Tel était le plan de campagne. En vérité, on reste atterré devant tant de naïveté, tant de candeur, tant d'aveuglement. On ne parvient pas à comprendre comment des hommes d'État aient pu se faire de pareilles illusions et se tromper aussi lourdement. Les écrits du prince ne révélaient-ils donc pas une intelligence peu commune et surtout une grande envolée d'imagination ? Le passé ne dénotait-il point d'une façon lumineuse qu'on avait devant soi, non un fantoche, un misérable mannequin, mais un être bien vivant, mais un homme résolu, audacieux, plein de courage et de sang-froid, fort d'une idée fixe, animé d'une foi irréductible dans le nom de Napoléon, croyant à sa mission providentielle ? Comment pouvait-on supposer que celui qui n'avait pas craint, à deux reprises, de jouer sa tête pour renverser le gouvernement et pour faire reconnaître ses droits d'héritier de Napoléon, consentirait bénévolement, après avoir été sacré par le suffrage populaire, à descendre du pouvoir, alors surtout que la volonté du peuple pourrait être contraire à cette abdication ? Dès l'instant qu'on n'avait pas maintenu la proscription de la famille Bonaparte, il fallait, bon gré, mal gré, accepter franchement la situation, telle que les circonstances l'avaient faite, avec toutes les conséquences qui pouvaient logiquement se produire.

Ces hommes politiques avaient depuis quelque temps des rapports assez suivis avec le prince, s'appliquant à l'étudier et cherchant à pénétrer ses idées et ses vues. Mais plus ils le pratiquaient, plus leurs illusions augmentaient. Très simple d'allures, très modeste, il accueillait affablement tous les interlocuteurs et écoutait avec une infatigable patience et une bienveillance extrême toutes les communications qu'on venait lui faire. Sa politesse, sa parfaite urbanité ne se démentaient jamais. Il paraissait timide, craintif, embarrassé. Il parlait fort peu, se tenant aux généralités ; mais les autres péroraient, croyant tout lui apprendre et produire une impression durable. Cette attitude encourageait, et on en abusait ; on commençait par lui donner des conseils, puis on allait jusqu'à lui faire la leçon, on daignait le protéger. Il poussait la bonté jusqu'à ne pas avoir l'air de s'en apercevoir et même jusqu'à paraître reconnaissant de tant de dévouement et de tant de sollicitude. Quand on le serrait de trop près, il répondait d'une façon évasive, déclarait qu'il entendait accueillir tous les bons vouloirs et avoir comme objectif une conciliation générale. Somme toute, il était impénétrable et montrait une douceur telle que l'insistance était impossible[66].

Quelle était l'attitude du clergé ? Un représentant du peuple, l'abbé Fayet, ancien curé de Saint-Roch, évêque d'Orléans, adressait le 11 novembre 1848 à tous les évêques et archevêques de France la lettre suivante[67] : Monseigneur, peut-être serez-vous bien aise de connaître la pensée unanime des évêques et des ecclésiastiques de l'Assemblée nationale dans la grave circonstance où se trouve l'Église de France. Après les plus mûres réflexions, il nous a semblé que le choix du général Cavaignac, pour la présidence de la République, offrait à la religion plus de garanties et au pays plus de calme et de stabilité que toute autre candidature... Dès que cette missive parut dans les journaux, Mgr Parisis, évêque de Langres, écrivit au journal le Bien public : Je crois devoir, en mon nom et au nom de ceux de mes collègues ecclésiastiques avec lesquels j'ai pu en conférer, déclarer qu'un mandat de cette nature n'a été et n'a pu être confié à personne, les ecclésiastiques ne pouvant agir en semblables circonstances qu'à titre de simples citoyens... De son côté, un autre ecclésiastique de l'Assemblée, l'abbé le Blanc, adressait à l'Univers une protestation contre la lettre de Mgr Fayet. Le clergé était donc divisé[68], mais pour la grande majorité Louis-Napoléon était le candidat sympathique[69].

Dans l'armée, le nom de Napoléon remuait l'âme du soldat, et, s'il y avait beaucoup d'officiers républicains, le nombre de ceux qui étaient tout prêts à acclamer le prince était plus considérable encore. Outre le maréchal Bugeaud et le général Changarnier, les généraux Bedeau, Rulhières, Oudinot, Lebreton, Baraguay d'Hilliers se déclaraient pour lui. Les journaux publiaient le document suivant :

Un grand nombre d'officiers généraux et d'officiers de tous grades se sont réunis et ont arrêté cette résolution... : Vu les glorieux souvenirs de l'Empire, la mémoire du génie qui vivra éternellement, la grandeur de son époque ; vu le sacrifice que l'Empereur fit deux fois de sa couronne, de sa famille, de sa fortune et de sa personne à la France qu'il a tant aimée ; vu les malheurs, la probité, l'exil, le courage, les vastes connaissances dans les codes, les lois, les sciences et l'art militaire, l'administration, les mœurs de la France, les intentions pures et honnêtes, le manifeste si éminemment français, les nobles engagements de Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l'Empereur, envers le peuple et l'armée... sont d'avis, devant Dieu et devant les hommes, que l'armée... doit repousser la candidature d'Eugène Cavaignac... et voter pour Louis-Napoléon Bonaparte.

Pour et au nom des officiers réunis :

Le général baron STOURM,

26, rue de Rivoli.

 

La Gazette de France du 2 décembre publiait, de son côté, la lettre suivante, adressée à un ancien colonel de l'Empire :

Berne, 24 novembre 1848.

..... J'ai rencontré en lui (le prince) un grand et noble caractère, des sentiments élevés dignes du nom qu'il porte, une rare loyauté, un désintéressement peu commun, un patriotisme ardent et sincère ; en un mot, toutes les qualités qui commandent l'estime... Ouvrez ses ouvrages, et jugez ; ils sont nombreux et variés. Vous y reconnaîtrez le penseur profond et l'écrivain distingué. Il a écrit sur les sciences militaires, sur la politique, sur l'histoire, sur les questions économiques et industrielles, etc., etc., toujours avec une supériorité marquée, et si une chose peut me surprendre, c est que tout cela soit si peu connu en France... Un temps viendra où on lui rendra justice... Je pourrais... parler de ses qualités militaires, de son courage, de sa fermeté, d'actions dont bien d'autres s'honoreraient et qu'il veut laisser dans l'ombre... J'en ai assez dit... pour montrer que Louis-Napoléon Bonaparte est plus qu'un homme ordinaire.

Le général G. H. DUFOUR[70].

 

Dans la lutte électorale qui est engagée, le prince commence à donner de sa personne. Aux délégués du congrès des journaux de province qui soutiennent sa candidature, il fait cette déclaration[71] : On me fait les reproches les plus bizarres et les plus contradictoires ; tantôt on m'accuse d'être communiste et de vouloir le renversement de l'ordre social, moi le neveu de Napoléon qui compte parmi ses plus beaux titres de gloire celui d'avoir rétabli la société sur ses bases ! tantôt on m'accuse de vouloir renouveler le despotisme impérial, de rêver des guerres sans fin, des envahissements de territoires : ces deux calomnies se détruisent l'une par l'autre. Je suis de mon époque et de mon pays ; la guerre n'est plus une nécessité de la société moderne, et l'ordre social doit être fermement maintenu et fortifié. Je voulais rester dans la retraite, mais, honoré des suffrages de cinq départements, je n'ai pas cru devoir refuser plus longtemps la mission qui m'était confiée. Maintenant que le vœu populaire veut me déférer un honneur bien plus grand, je tâcherai de m'en rendre digne, et je ne prendrai jamais mon appui que parmi les gens d'ordre et les amis d'une sage liberté. En réponse à une lettre des ouvriers charpentiers de Troyes, il écrit (16 novembre) : ... Répondez à ceux qui vous parlent de mon ambition que j'en ai une grande, en effet, celle d'arracher la France au chaos et à l'anarchie, et de la rétablir dans sa grandeur morale en même temps que dans sa liberté. Les ouvriers de Troyes, dont vous êtes les interprètes, doivent savoir que dans l'exil et dans la prison j'ai médité sur les grandes questions du travail qui préoccupent les sociétés modernes. Ils doivent croire que de telles études ont laissé en moi d'ineffaçables traces, et que d'aussi sérieux intérêts me seront toujours chers...

A Rome, la Révolution faisait son œuvre, et, le 15 novembre, le chef du gouvernement pontifical, le ministre Rossi, était assassiné. Le gouvernement français, qu'approuve l'Assemblée nationale, ordonne l'envoi de trois frégates à Civita-Vecchia et charge notre ambassadeur, M. de Corcelles, d'assurer la liberté de Pie IX et de lui offrir un asile en France. Le prince s'était abstenu de voter, comme il s'abstenait presque toujours, ayant pris, dès le principe, la résolution de ne s'engager sur aucune question. Vivement attaqué à cause de cette abstention, il écrit alors au Constitutionnel : Paris, 2 décembre 1848. — Monsieur le rédacteur, apprenant qu'on a remarqué mon abstention dans le vote relatif à l'expédition de Civita-Vecchia, je crois devoir déclarer que, tout en étant décidé à appuyer toutes les mesures propres à garantir efficacement la liberté et l'autorité du Souverain Pontife, je n'ai pu approuver par mon vote une démonstration militaire qui me semblait dangereuse, même pour les intérêts sacrés qu'on voulait protéger, et de nature à compromettre la paix de l'Europe. Recevez, etc. Louis-Napoléon BONAPARTE. — Puis, comme un de ses cousins, le prince de Canino, pactisait avec les révolutionnaires romains, il écrivait en même temps au nonce du Pape : Monseigneur, je ne veux pas laisser accréditer auprès de vous les bruits qui tendent à me rendre complice de la conduite que tient à Rome le prince de Canino. Depuis longtemps je n'ai aucune espèce de relations avec le fils aîné de Lucien Bonaparte, et je déplore de toute mon âme qu'il n'ait point senti que le maintien de la souveraineté temporelle du chef vénérable de l'Église était intimement lié à l'éclat du catholicisme, comme à la liberté et à l'indépendance de l'Italie. Recevez, etc. Louis-Napoléon BONAPARTE. — Quelques jours après, la Presse publiait cette déclaration, qui aurait été faite par le cardinal Antonelli[72], à savoir que, si Sa Sainteté devait quitter l'Italie, ce ne serait pas pour aller dans un pays plein de révolutions et où le chef du gouvernement était le fils d'un régicide.

Le prince devait, comme candidat, faire une profession de foi. MM. Thiers, Molé, Berryer, etc., depuis qu'ils avaient pris parti pour le prince, le voyaient fréquemment, et, dans ces entrevues, s'appliquaient à lui indiquer le langage qu'il avait à tenir ; bientôt ils firent mieux, ils précisèrent les termes dans lesquels il devrait s'adresser à la nation ; enfin, abusant de la patience angélique de leur interlocuteur et abusés sur son caractère, sa valeur et son ambition, ils allèrent jusqu'au bout, et, un beau matin, ils arrivèrent avec un projet de manifeste, rédigé par M. Thiers. Le prince le prit et promit de l'examiner. Le lendemain, il se rendait rue d'Alger, chez son oncle le roi Jérôme, où il avait l'habitude de rencontrer Conti, Abattucci, Casablanca, Vieillard, Chabrier et quelques autres amis, et il donnait lecture de deux projets de manifeste. Le premier, très développé, soigné de style, redondant, un peu pompeux, eut un grand succès ; le second était plus simple, plus net, plus court, écrit d'un style moins orné ; il eut un succès encore plus grand que le premier, et à l'unanimité on lui donna la préférence. Le premier manifeste était de M. Thiers ; le second était l'œuvre du prince[73]. Quand MM. Thiers, Molé, Berryer revinrent[74], le prince se contenta de prendre dans le tiroir de son bureau son propre manifeste, et, de sa voix lente, grave et calme, il le lut à ces messieurs. L'impression fut profonde. Les yeux commençaient à se dessiller. On avait devant soi un penseur, un politique, un homme. La forme du document fut unanimement louée. Quelques légères observations furent présentées sur le fond. Le mot d'ailleurs, placé en tête de la dernière phrase, fut seul l'objet d'une critique sérieuse. Le prince maintint son mot, et, allant remettre son manuscrit dans le tiroir, il indiqua ainsi que la discussion était close. Ce manifeste était ainsi conçu : Pour me rappeler de l'exil, vous m'avez nommé représentant du peuple. A la veille d'élire le premier magistrat de la République, mon nom se présente à vous comme un symbole d'ordre et de sécurité. Ces témoignages d'une confiance si honorable s'adressent, je le sais, bien plus à ce nom qu'à moi-même, qui n'ai rien fait encore pour mon pays. Mais plus la mémoire de l'Empereur me protège et inspire vos suffrages, plus je me sens obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes... Je ne suis pas un ambitieux qui rêve tantôt l'Empire et la guerre, tantôt l'application de théories subversives. Élevé dans des pays libres, à l'école du malheur, je resterai toujours fidèle aux devoirs que m'imposeront vos suffrages et les volontés de l'Assemblée. Si j'étais nommé président, je ne reculerais devant aucun danger, devant aucun sacrifice, pour défendre la société si audacieusement attaquée ; je me dévouerais tout entier, sans arrière-pensée, à l'affermissement d'une république sage par ses lois, honnête par ses intentions, grande et forte par ses actes. Je mettrais mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, ce pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli[75]. Quel que soit le résultat de l'élection, je m'inclinerai devant la volonté du peuple, et mon concours est acquis d'avance à tout gouvernement juste et ferme qui rétablisse l'ordre dans les esprits comme dans les choses, qui protège efficacement la religion, la famille, la propriété, bases éternelles de tout ordre social, qui provoque les réformes possibles, calme les haines, réconcilie les partis, et permette ainsi à la patrie inquiète de compter sur un lendemain. Rétablir l'ordre, c'est ramener la confiance, pourvoir par le crédit à l'insuffisance passagère des ressources, restaurer les finances. Protéger la religion et la famille, c'est assurer la liberté des cultes et la liberté de l'enseignement. Protéger la propriété, c'est maintenir l'inviolabilité des produits de tous les travaux, c'est garantir l'indépendance et la sécurité de la possession, fondements indispensables de la liberté civile. Quant aux réformes possibles, voici celles qui me paraissent les plus urgentes : admettre toutes les économies qui, sans désorganiser les services publics, permettent la diminution des impôts les plus onéreux au peuple ; encourager les entreprises qui, en développant les richesses de l'agriculture, peuvent en France et en Algérie donner du travail aux bras inoccupés ; pourvoir à la vieillesse des travailleurs par les institutions de prévoyance ; introduire dans nos lois industrielles les améliorations qui tendent non à ruiner le riche au profit du pauvre, mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous ; restreindre dans de justes limites le nombre des emplois qui dépendent du pouvoir et qui souvent font d'un peuple libre un peuple de solliciteurs ; éviter cette tendance funeste qui entraîne l'État à exécuter lui-même ce que les particuliers peuvent faire aussi bien et mieux que lui ; la centralisation des intérêts et des entreprises est dans la nature du despotisme ; la nature de la République repousse le monopole ; enfin préserver la liberté de la presse des deux excès qui la compromettent toujours : l'arbitraire et sa propre licence. Avec la guerre point de soulagement à nos maux ; la paix serait donc le plus cher de mes désirs. La France, lors de sa première révolution, a été guerrière parce qu'on l'avait forcée de l'être. A l'invasion elle répondit par la conquête. Aujourd'hui qu'elle n'est pas provoquée, elle peut consacrer ses ressources aux améliorations pacifiques, sans renoncer à une politique loyale et résolue. Une grande nation doit se taire ou ne doit jamais parler en vain. — Songer à la dignité nationale, c'est songer à l'armée dont le patriotisme si noble et si désintéressé a été souvent méconnu. Il faut, tout en maintenant les lois fondamentales de notre organisation militaire, alléger et non aggraver le fardeau de la conscription. Il faut veiller au présent et à l'avenir non seulement des officiers, mais aussi des sous-officiers et des soldats, et préparer aux hommes qui ont servi longtemps sous les drapeaux une existence assurée. La République doit être généreuse et avoir foi dans son avenir ; aussi, moi qui ai connu l'exil et la captivité, j'appelle de tous mes vœux le jour où la patrie pourra sans danger faire cesser toutes les proscriptions et effacer les dernières traces de nos discordes civiles. — Telles sont, mes chers concitoyens, les idées que j'apporterais dans l'exercice du pouvoir, si vous m'appelez à la présidence de la République. La tâche est difficile, la mission immense, je le sais ; mais je ne désespérerais pas de l'accomplir en conviant à l'œuvre, sans distinction de partis, les hommes que recommandent à l'opinion publique leur haute intelligence et leur probité. D'ailleurs, quand on a l'honneur d'être à la tête du peuple français, il y a un moyen infaillible de faire le bien, c'est de le vouloir[76].

Ce manifeste était très remarquable ; habile, politique, heureusement présenté, il produisit un grand effet.

Auparavant (12 novembre), la circulaire suivante avait été adressée dans tous les départements par les amis du prince aux personnes connues pour être à même par leur situation d'exercer une influence dans l'élection présidentielle : Messieurs, en présence de tant de souffrances causées par neuf mois de provisoire et qui n'espèrent un soulagement que dans l'élection d'un pouvoir exécutif fort et puissant, vous voudrez bien excuser la liberté que je prends de m'adresser aux personnes qui, comme vous, jouissent d'une si légitime influence dans le pays pour les engager à augmenter la majorité qui est acquise aujourd'hui à Louis-Napoléon. Sa position est exceptionnelle et des plus favorables. Étranger à tous les partis, il peut les concilier tous... Son intention est d'appeler à lui toutes les capacités, sans distinction de leur passé... Son nom est pour tous un symbole d'ordre et de stabilité ; il a une influence immense et incontestable sur les masses, ce qui lui donnera les moyens de protéger efficacement la société contre les attaques dont elle est menacée. Plus la majorité que nous lui donnerons sera grande, plus il aura de force... C'est donc guidé par le sentiment le plus désintéressé que je sollicite votre concours pour la nomination de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République... A. F., 134, faubourg Saint-Honoré.

De son côté, le général Cavaignac ne restait pas inactif, et le gouvernement travaillait en sa faveur[77]. Le 17 novembre 1848, M. Dufaure, ministre de l'intérieur, se faisait écrire par un grand banquier d'alors, M. James Odier, une lettre dans laquelle celui-ci lui demandait si, une fois nommé président de la République, le général Cavaignac pratiquerait une politique d'ordre et de progrès, antipathique à tout mouvement brusque dans le sens des partis extrêmes. M. Dufaure lui répondait à la date du 22 novembre : ... J'ai pu voir de près, j'ai observé à loisir depuis quatorze ans tous les hommes d'État de ce temps-ci ; je n'en ai pas connu qui eût la parole plus sincère, le cœur plus droit et plus désintéressé, l'esprit plus juste et plus net que M. le général Cavaignac. Je le tiens pour le vrai républicain de nos jours, républicain sage, ferme et convaincu. Le général Cavaignac sait aussi bien que vous et moi que le gouvernement républicain, comme tout autre, serait impossible en France s'il ne se faisait pas un devoir absolu de respecter religieusement tous les droits, de protéger toutes les libertés, de maintenir énergiquement l'ordre public. Je m'étonne vraiment que ses intentions puissent être douteuses pour qui voit comment depuis cinq mois il a su maintenir l'ordre dans les circonstances les plus difficiles... Je ne concevrais pas l'ombre d'un doute chez ceux qui peuvent lire au fond de son cœur. Dès le 2 novembre, M. Dufaure avait adressé à tous les préfets une circulaire qui n'était en définitive, sous prétexte d'affirmer la neutralité du gouvernement, qu'un acte, sans franchise, d'intervention officielle et énergique en faveur du chef du pouvoir, le général Cavaignac. Le rôle du gouvernement, disait-il, se réduit à assurer La liberté, la pureté de l'élection... le gouvernement doit laisser chaque citoyen apprécier dans la parfaite indépendance de sa réflexion le mérite des candidats. Ce n'est pas que je songe à vous interdire des rapports volontaires avec vos administrés. Je désire, au contraire, que vous entreteniez chacun des vrais intérêts de la République. On comprendra sans peine... que la nation doit... se confier à un passé sans reproche, à un patriotisme incontestable, à une résolution mâle, énergique, déjà éprouvée au service de la République, plutôt qu'à de vaines et trompeuses promesses... Les autres ministres agissaient chacun dans la sphère de ses attributions. M. Freslon, ministre de l'instruction publique[78], le recommandait discrètement aux instituteurs. M. Vivien, ministre des travaux publics, rappelait aux ouvriers toute la sollicitude du gouvernement pour la classe des travailleurs. M. Trouvé-Chauvel, ministre des finances, déposait un projet de loi réduisant des deux tiers l'impôt sur le sel. Des brochures en faveur de Cavaignac, des biographies ainsi que des portraits du général sont répandus en grande quantité dans la France entière[79]. A la quatrième page de tous les journaux, même de ceux qui sont le plus hostiles à cette candidature, on lit cette annonce-réclame en gros caractères[80] : Le général Cavaignac devant l'Assemblée nationale. Edition, avec portrait, 5 francs le 100. Librairie du Commerce, rue Dauphine, 24. En ajoutant 6 francs de plus, on recevra 120 exemplaires assortis de 30 publications nouvelles qui concernent l'élection. Le général Cavaignac, tout en ayant une attitude absolument correcte et digne, paye de sa personne et ne néglige rien pour se rendre sympathique. Il assiste à un grand banquet à l'Hôtel de ville ; il passe en revue la garde mobile ; il visite les prisons et les établissements publics ; il assiste au départ de colons pour l'Algérie ; il use largement de son droit de grâce en faveur des insurgés de Juin et des condamnés ordinaires ; enfin il donne un gage d'importance au parti de l'ordre en dînant à l'archevêché. Odilon Barrot dit[81] : Le général Cavaignac ne négligea aucun des avantages qu'il pouvait tirer de la possession du pouvoir et de l'action dévouée du monde officiel. Il aurait pu, peut-être, s'en servir avec plus d'habileté, mais on ne peut pas lui reprocher de n'en avoir pas usé.

Bien avant le 10 décembre, l'enthousiasme était si général[82], le courant bonapartiste était si prononcé que l'élection du prince ne faisait de doute pour personne. En province, dans plusieurs villes, la promulgation de la Constitution est saluée des cris de : Vive Napoléon ! et même de : Vive l'Empereur ![83] A Paris, des manifestations bonapartistes se produisent quotidiennement place Vendôme, devant l'hôtel du Rhin[84] où habite alors le prince ; du matin au soir, des groupes nombreux stationnent sous ses fenêtres ; à certaines heures, la foule est telle qu'elle déborde de la place, étendant ses ailes[85] jusque dans les rues de la Paix, Castiglione et Saint-Honoré. Il en est de même place de la Concorde et devant le palais de l'Assemblée nationale, où on l'acclame chaque fois qu'on l'aperçoit. L'entraînement est si grand qu'on se trompe parfois et qu'on fait une ovation à des gens qui lui ressemblent. On imprime des bulletins de vote en caractères qui imitent l'écriture de Napoléon empereur. Dans leurs annonces les journaux[86] disent qu'ils sont autographiés sur des actes signés de lui... Bonaparte, calqué sur la signature d'une proclamation datée de Milan le 20 mai 1796 ; Napoléon, sur la minute de la lettre du régent d'Angleterre du 14 juillet 1815 ; Louis, sur une dépêche de l'Empereur à Masséna du 18 septembre 1805[87].

Dès la seconde quinzaine de novembre[88], le prince se rendait si bien compte de la situation qu'il s'occupait déjà de la formation de son premier ministère. L'Univers annonçait qu'il avait offert à M. de Falloux le ministère de l'instruction publique. En même temps il proposait à M. Léon Faucher le ministère des travaux publics[89], mais alors la question d'argent le préoccupait beaucoup. Les frais d'une élection dans la France entière allaient forcément être considérables, et il était bien loin[90] d'avoir personnellement les ressources nécessaires pour faire face à d'aussi grosses dépenses. Si, à ce moment, des fidèles vinrent à son secours[91], ce ne fut certainement que dans une mesure restreinte, partant insuffisante, et la plus grande partie des déboursés ne dut être réglée qu'après le 10 décembre. Du jour où sa candidature fut posée, le prince avait songé à se procurer l'argent dont il croyait avoir besoin, et il semble qu'il ait cherché[92], à ce moment, à en trouver au moyen d'une cession des droits qu'il aurait pu avoir au payement d'une créance considérable sur l'État français, en vertu du traité de Fontainebleau d'avril 1814. Mais ce projet, à supposer qu'il ait été bien sérieux, n'eut pas de suites, et on le comprend, car une réclamation de cette nature, dont le succès d'ailleurs était bien problématique, aurait pu porter un coup mortel à la candidature du prince.

Ses préoccupations étaient vaines, le nom de Napoléon suffisait à tout et devait amener à ses pieds la nation entière, enivrée par les souvenirs, avide de paix, et redoutant le retour de la Terreur. Une propagande électorale puissamment organisée eût été bien inutile[93]. D'ailleurs, les anciens militaires, encore nombreux, étaient pour lui de merveilleux agents électoraux, car on avait tout oublié : le despotisme impérial, les flots de sang français répandus à travers toute l'Europe, les folies d'un génie désordonné, les douleurs elles humiliations de deux invasions, l'entrée des armées étrangères à Paris ; on ne se souvenait que des victoires, de la gloire immense de nos armes, de l'épopée surhumaine, de la légende incomparable. Aussi ce ne fut pas une élection, mais une acclamation. Jamais homme, dans aucun pays ni dans aucun temps, ne remporta un pareil triomphe. Le scrutin, ouvert les 10 et 11 décembre 1848, donna les résultats suivants :

Votants (France et Algérie)

7.517.811

Louis-Napoléon

5.572.834

Cavaignac

1.469.156

Ledru-Rollin

376.834

Raspail

37.106

Lamartine

20.938

Changarnier

4.687

Divers, inconstitutionnels (Joinville), blancs, etc.

36.256[94]

 

On votait, disent les Débats du 23 décembre, avec cet entraînement qui est l'un des traits du caractère national ; la furie française semblait être transportée des champs de bataille dans les salles d'élection... Ce qui a fait le merveilleux succès de M. Bonaparte, c'est le besoin d'ordre et de calme dont la France est aujourd'hui affamée... c'est l'effroi de la France épouvantée par les hommes du 24 février... Elle a si cruellement souffert depuis tantôt dix mois ! Quelle famille n'a pas vu l'inquiétude et la crainte venir prendre place au foyer domestique ? Riche ou pauvre, lequel d'entre nous, depuis le mois de février, n'a pas eu le cœur déchiré chaque jour par les angoisses de son père... par les terreurs de sa femme et de ses enfants ?

Le 27 décembre, à la Réunion de la rue de Poitiers, M. Berryer dit : La France vient de manifester solennellement son besoin d'ordre, de repos, sa répulsion pour les doctrines monstrueuses qui nous ont épouvantés depuis dix mois ; une immense majorité a été donnée à un nom, drapeau commun autour duquel se sont groupés dans une même pensée de salut public tous les partis, tous les honnêtes gens, toute la partie saine du pays.

Ce n'était pas seulement la masse conservatrice, si considérable alors, qui avait voté pour le prince, c'était aussi la grande majorité des démocrates socialistes dont le mot d'ordre était : Tout plutôt que Cavaignac, et qui, pour assurer le succès du candidat ayant le plus de chances, abandonnèrent Raspail et Ledru-Rollin.

Lamartine, malgré l'effondrement de sa popularité qui la veille était sans rivale, malgré le poignant échec qui venait de lui être infligé, montre alors autant de grandeur d'âme que peu de sens politique en s'écriant dans le Bien public : Nous ne croyons pas que la République soit exposée à périr parce qu'elle sera couronnée de souvenirs et de poésie impériale ; si le peuple l'aime mieux sous ce costume, nous ne disputerons pas ses goûts. La République a sa force en elle-même. On peut la décorer à son sommet d'un nom, d'une tradition, d'une popularité ; elle reste inébranlable sur la base de la souveraineté nationale... Que la République ne s'alarme donc pas... Si Napoléon est un grand et glorieux nom, la République est un principe qui a ses racines dans le peuple et son origine en Dieu.

Ce n'est pas une élection, dit M. de Girardin[95], c'est une acclamation. Partout on a voté avec une espèce d'enthousiasme calme et consciencieux qui avait quelque chose d'irrésistible et de solennel... Jamais le cœur de la France n'avait au même degré battu de la même pulsation.

Voilà des déclarations faites sous l'aveuglante clarté des événements et qu'il ne faudra jamais oublier[96].

Trois ans après, en 1851, un homme qui n'est pas suspect disait[97] de cette élection, en s'adressant au prince : Succès immense, inouï, unique dans les fastes de l'histoire... élection profondément démocratique ; le peuple en le nommant a obéi à une idée républicaine, à un sentiment révolutionnaire. L'Empereur était un parvenu, chacun pouvait à l'exemple du chef s'affirmer suivant sa valeur. L'Empire répondait ainsi plus ou moins au besoin de justice et d'élévation des masses... un lieutenant passé empereur, un clerc d'huissier roi de Suède, un palefrenier roi de Naples ; vingt-quatre simples soldats maréchaux d'empire ; le peuple devenant souverain, voilà le mot de l'énigme, voilà le secret, Monsieur, de la puissance impériale ; voilà ce qui a fait la force et la gloire de l'empire ; voilà ce qui a fait encore son prestige aux yeux des masses ; ce qui a fait votre élection !... Sous le régime blanc, en dix siècles, le peuple n'avait compté que deux des siens devenus généraux[98], Fabert et Chevert ; sous l'Empire, en dix ans, il ne comptait pas deux nobles devenus maréchaux. L'Empire exaltant le peuple, bouleversant le vieux monde, déplaçant nobles et rois, mettant l'Europe et la France sens dessus dessous pour introniser les plus braves, c'était la révolution, la révolution personnifiée, couronnée si vous voulez, mais enfin la révolution. L'Empereur était un agent révolutionnaire promu par le peuple... Le peuple en nommant le neveu de l'Empereur voulait donc la révolution... Le nom de Bonaparte, deux insurrections, un livre communiste, n'étaient pas des titres chez les conservateurs. Ils sont trop amis de la paix pour aimer l'héritier de l'Empire, trop amis de la propriété pour aimer l'auteur des Idées napoléoniennes, trop amis de l'ordre pour aimer l'insurgé de Strasbourg. Naturellement, Monsieur, vous n'étiez pas leur homme. Pourquoi donc vous ont-ils choisi ? Dans quel but ? Qu'ont-ils voulu ? Qu'ont-ils fait ? Ils ont subi le fait !... Chevaux de Darius, ils ont salué le soleil levant. Ils se sont tournés comme toujours du côté du plus fort, ils ont voté avec le gros scrutin, ils vous ont élu malgré eux, contraints et forcés par la volonté de la masse, entraînés par le courant populaire, et dans l'intention de la dominer. Un parti n'abdique pas. Aussi perfides que souples, ils se sont approchés de vous pour mieux vous tenir, ils vous ont embrassé pour vous étouffer... Regardant la présidence comme un sabot pour enrayer la République, le président comme un chapeau pour marquer la place du roi, ils ont voulu... faire enfin du prétendant un pont, une planche à passer de la République à la régence et à la royauté.

Le Times écrit : L'aspect de Paris et de la France a changé avec une rapidité extraordinaire. En peu de jours les fonds ont monté de 8 pour 100, la ville a repris un air de joie inaccoutumé ; les théâtres se sont remplis de nouveau. Les projets des anarchistes ont été bouleversés par l'irrésistible mouvement qui a entraîné la multitude à rendre hommage à l'idole du jour... Ce qui ne l'empêche pas d'ajouter bientôt : Si quelque chose peut plus tard amener la défaite du parti modéré, ce sera d'avoir identifié ses principes avec les intrigues d'une famille méprisable et d'une faction sans scrupule... Et encore (13 décembre) : Le peuple français a fait pour ainsi dire un grand acte de foi en se rappelant un ancien attachement à un nom... La confiance de la nation dans cette épreuve hasardeuse dépasse cependant de beaucoup celle que pourraient inspirer les qualités personnelles du candidat... Le journal anglais fait en outre cette observation pleine de sens politique : La famille Bonaparte sera au milieu de deux factions probablement exposée à une lutte ouverte avec le parti monarchique et le parti républicain. On reconnaîtra d'ici à peu de temps qu'elle n'appartient ni à l'un, ni à l'autre.

Le Morning Advertiser (15 décembre) estime que l'élection de Louis-Napoléon est le comble de la folie.

Louis Blanc affirme que l'Angleterre accueillit avec un étonnement mêlé de dédain la nouvelle de l'élection du prince[99].

Ce qui semble établir la vérité de cette assertion, c'est ce qu’écrit alors Léon Faucher à un Anglais[100] de ses amis. Il est vrai qu'il venait de recevoir l'offre d'un portefeuille. Vous avez mal jugé le prince Louis, en Angleterre ; les conspirations qui avortent sont toujours ridicules, mais l'insuccès prouve peu contre les conspirateurs. D'ailleurs, le prince était mal entouré. Ce que je puis assurer, c'est qu'il veut le bien, comprend les nécessités politiques et apprécie les sages conseils. Il m'a donné une grande idée de l'élévation de son âme... Louis-Napoléon présentait la seule chance de retour de l'ordre. Je l'ai saisie avec le pays...

Le Peuple, de Proudhon, fait les réflexions suivantes (14 décembre) : Partout on semblait étourdi de la majorité de M. Louis-Napoléon Bonaparte... La voix du peuple, dit-on (18 décembre), est la voix de Dieu... ; il faut convenir que le peuple a parlé cette fois comme un homme ivre ; mais, dit le proverbe, il est un Dieu pour les ivrognes.

La Révolution démocratique et sociale, dès le 17 décembre, parle de coup d'Etat et d'Empire[101] : Partout, pourquoi le cacher ? les familiers du prince annoncent qu'il se laissera faire violence et consentira à passer empereur. Tout est prévu déjà. C'est jeudi prochain que se jouera la comédie. Deux régiments de la garnison sont gagnés, trois légions de la garde nationale les suivront aux cris de : Vive l'Empereur !... Porté sur les bras du peuple... il ira déclarer à l'Assemblée qu'en présence du vœu de Paris et de l'armée, il ne saurait reculer devant les devoirs que la France lui impose, mais qu'il ne consentira jamais à être Empereur de la République, s'il n'y est autorisé par le suffrage universel. N'est-il pas étrange que dès la première heure l'avenir ait été prédit avec cette précision ? Chez les partisans comme chez les adversaires du prince, du moins dans le peuple, on avait ce sentiment qu'en le nommant on ne nommait pas un président ordinaire, et qu'un Napoléon, dès l'instant qu'il était le chef de l'État, devait, inévitablement, par la force des choses, devenir empereur. Le même journal dit encore : Tous les privilégiés sont avec M. Bonaparte et le poussent aux coups d'État..., les journaux bonapartistes n'ont pas démenti les projets de conspiration impérialiste..., il importe que tous les bons citoyens se tiennent sur leurs gardes... La Patrie[102] annonce qu'on a parlé dans les couloirs de l'Assemblée d'une manifestation pour le jour de la proclamation de Louis-Napoléon comme empereur. M. Marrast, le président de l'Assemblée nationale, était alors si préoccupé par l'agitation impérialiste, qu'il demandait au général Changarnier si l'on pouvait compter sur lui pour la défense de la République. On le peut, aurait répondu celui-ci ; mais il me serait aussi facile de faire un empereur qu'un cornet de dragées[103]. Et c'était absolument vrai. Le peuple avait élu non un président de la République, mais un empereur. C'est ce que les hommes politiques dirigeants ne voulurent pas avouer, ni jamais reconnaître.

 

FIN DU TOME PREMIER

 

 

 



[1] Odilon BARROT, Mémoires, t. II, p. 465.

[2] Mémoires, t. III, p. 18.

[3] Il s'était fait inscrire au Comité de l'instruction publique. (Voir la Presse du 20 octobre 1848.)

[4] C'était pour ces profonds politiques de l'Assemblée, qui devaient se faire rouler par lui, non seulement un incapable, mais un homme taré. Un député d'alors, un de ceux, — et non des moindres, — qui devaient plus tard être ministres de l'Empire, disait à ma mère, Mme Thirria, qui lui demandait ce qu'il pensait du prince Louis : J'en pense que c'est une arsouille. C'était aussi injuste qu'inepte, mais nous devons à la vérité historique de ne rien omettre pour bien marquer l'opinion des hommes dirigeants de cette époque sur la valeur de celui qui allait jouer un si grand rôle.

[5] Numéro du 6 novembre 1848. (Rédacteur en chef : Laurentie.)

[6] Numéro du 16 novembre.

[7] Légitimistes.

[8] Article de Lamartine sans doute.

[9] Numéro du 8 novembre. — Elle soutient Ledru-Rollin.

[10] Numéros des 11 et 12 novembre 1848.

[11] Il juge un homme sans avoir pris la moindre connaissance de ses œuvres ! De ce que des écrits sont peu connus (comment ceux-là ne l'étaient-ils pas !) s'ensuit-il pour un esprit sensé qu'un écrivain est sans valeur ? S'il avait lu, il aurait pu traiter le prince de rêveur, d'utopiste, d'illuminé ; mais il aurait appris (ce qu'il n'aurait pas dû ignorer) qu'en tout cas il n'avait certes pas en face de lui un homme ordinaire.

[12] 27, 28, 29 octobre. — Organe de Cavaignac. — Rédacteur en chef : Léopold Duras.

[13] Toujours le même aveuglement ou la même mauvaise foi !

[14] Allusion à l'opinion généralement répandue que le prince était le fils de l'amiral Verhuel.

[15] Encore une légende ! On n'a cessé pendant longtemps de jeter à la tête du prince qu'il avait fait partie de la police anglaise. C'était un mensonge ; mais, ainsi que dans l'histoire de l'aigle, il y avait un fait vrai que la passion politique s'acharna à exploiter calomnieusement contre lui. En Angleterre, il est admis qu'un citoyen peut, sous certaines conditions, prêter aide à l'autorité pour contribuer au maintien de l'ordre public, et les hommes les plus distingués s'honorent d'accomplir ce devoir civique comme s'ils n'étaient que de simples mortels. Il y a dans ces mœurs quelque chose de très démocratique, de très égalitaire et de très républicain. Et au lieu d'en faire un grief, voire un crime, au prince, il n'eût été que juste de l'honorer grandement d'avoir daigné, dans sa situation, accomplir à l'occasion le métier de constable. A cet égard, il y a lieu de citer le document suivant : Londres, paroisse de Saint-James. — Au bureau de police de Marlborough-Street, le 6 avril 1848, le prince Louis-Napoléon, demeurant n° 3, King-Street, Saint-James, a prêté serment comme constable spécial pour deux mois, entre les mains de S. P. Bingham, esquire, et a commencé ses fonctions le 10 avril comme constable pour la paroisse de Saint-James, pendant les meetings chartistes, sous les ordres du comte de Grez. (Extrait des registres de la police de Marlborough-Court.) On remarquera les mots que nous avons soulignés. — La Liberté (novembre 1848) répond à ce sujet au National, à la Réforme, à la République, que les gentlemen et les hommes d'État les plus éminents de l'Angleterre se font inscrire sur les listes des constables volontaires ; que l'Angleterre n'ayant pas de garde nationale, tout homme du monde croit s'honorer (ainsi)... Que dirait-on, ajoute le journal, de lord Russell ou de Palmerston, s'ils se fussent trouvés à Paris pendant les journées de Juin et si, accusés de fomenter des troubles, ils se fussent offerts pour marcher dans les rangs de la garde nationale ?

[16] Blesser seulement.

[17] 30 novembre. — Au sujet du manifeste du prince que nous allons reproduire.

[18] Elle fait flèche de tout bois. Dans le numéro du 15 novembre, elle insère une Lettre d'un octogénaire, où il est dit : (Cavaignac) républicain de naissance ! Leur première jeunesse (des enfants Cavaignac) se passa dans l'antichambre du roi Murat, derrière la voilure duquel je les ai vus grimper, auquel je les ai vus donner des assiettes pendant son dîner, duquel ils portaient la livrée (?)...

[19] Voir la déclaration du Constitutionnel en date du 31 juillet 1851, signée du docteur L Véron. — Voir aussi le Constitutionnel du 24 septembre 1850 : Tous les articles qui appuyèrent la candidature du prince ne furent insérés qu'après avoir été lus et approuvés par M. Thiers. (L. Véron.)

[20] Par exemple, M. Thiers !

[21] 1er décembre 1848, par la plume de M. Thiers.

[22] 2 décembre 1848, toujours par la plume de M. Thiers.

[23] 5 décembre 1848. (M. Thiers.)

[24] Le général Cavaignac.

[25] Le même journal dit encore : La candidature de Louis-Napoléon est née des entrailles du peuple...

[26] Notamment encore : l'Assemblée nationale de Dijon, l'Océan de Brest, l'Impartial de la Bretagne, le Journal de Toulouse, le Mémorial agenais, la France centrale, le Journal de Rennes, la Gazette d'Auvergne, l'Ami de l'ordre d'Amiens, l'Echo du Midi, la Foi bretonne, la Bretagne, le Journal de Coutances, le Journal d'Avranches, l'Abbevillois, la Bourgogne, l'Etoile du peuple de Rennes, le Courrier de la Gironde, l'Indépendant de Toulouse, la Revue du Havre, le Courrier de la Somme, le Réformiste de Douai, le Courrier du Pas-de-Calais, l'Étoile du peuple de Nantes, l'Opinion d'Auch, le Mémorial de Rouen, l'Union dauphinoise, la Gazette de Cambrai, l'Ordre de Limoges, l'Écho de l'Aveyron, l'Hermine de Nantes, le Charentais, l'Intérêt public de Caen, le Courrier de l'Eure, la Province de Limoges, le Journal d'Épernay, l'Impartial de Rouen, le Mémorial des Pyrénées, le Républicain de Tarbes, l'International des Basses-Pyrénées, le Journal de Lot-et-Garonne, le Journal d'Indre-et-Loire, le Journal de la Marne, l'Indicateur des Côtes-du-Nord, le Phare de la Manche, l'Union du Mans, le Journal de Nevers, le Mémorial de Moulins, la Vérité des Ardennes, le Conciliateur de Limoges, la Liberté du Morbihan, la Sentinelle de Saint-Etienne, le Courrier du Gard, l'Abeille de Chartres, le Journal du peuple de Bayonne, l'Émancipateur de Cambrai, l'Indépendant de la Charente-Inférieure, le Commerce de Dunkerque, la Gazette de Flandre, la Liberté de Lille, l'International de Bayonne.

[27] Erreur ; tiré dans la caserne.

[28] J'écarte ce nom que j'admire, dit un peu plus tard M. Poujoulat dans ce journal ; ... il n'est qu'une illusion pour les uns, une machine de guerre pour les autres... Aux yeux de tout penseur prévoyant, ce nom est un orage de plus et non pas une solution...

[29] Les principaux journaux de province qui combattent la candidature du prince et appuient celles de Cavaignac ou de Ledru-Rollin, quelquefois celles de Lamartine ou de Raspail, sont encore les suivants : le Citoyen de Dijon, le Loing de Montargis, le Franc Républicain d'Auch, la Voix du peuple de Marseille, le Républicain de Vaucluse, le Travailleur de Nancy, l'Echo de la République de l'Ain, l'Indépendant du Loiret, le Haro de Caen, le Libéral du Nord, la Démocratie salinoise, le Journal de la Meuse, le National de l'Ouest, le Républicain de la Dordogne, le Constituant de Toulouse, le Peuple du Puy-de-Dôme, le Patriote de la Meurthe, le Progrès d'Indre-et-Loire, qui dit : Lorsqu'il se rend au milieu de ses amis, M. Louis Bonaparte se fait précéder d'un chasseur en grande livrée qui annonce son entrée par ces mots solennels : Le prince ! Aussitôt les daines se lèvent et forment la haie. Le prince, une main derrière le dos et l'autre dans son gilet, par imitation de son oncle, s'avance en distribuant les saluts et les sourires à la cour, touchants préludes aux graves fonctions de président de la République et qui montrent combien le candidat de la Presse est pénétré de l'esprit de son siècle et des mœurs de notre pays.

[30] Le Morning-Chronicle répond à son confrère anglais de façon à détruire cette légende (mais les légendes peuvent-elles jamais disparaître ?) : L'aigle avait été trouvé par l'un de NOS officiers QUI l'emporta à bord, comme un oiseau de bon augure... Ou le trouva donc... quand le vaisseau fut pris, mais il n est nullement exact de prétendre que le prince ait abordé avec lui.

[31] Ch. Philippon, fondateur, 23 novembre 1848.

[32] Caricatures extraites du Puppet-Show de Londres.

[33] Auguste Lireux, rédacteur en chef.

[34] De Charles Gille.

[35] Par Louis Voitelain, ouvrier imprimeur, et Eugène Petit.

[36] Par Little Jestir.

[37] Et aussi des pièces de vers et même des poèmes. (Voir notamment Napoléon, ou les Derniers Jouis de l'Empire, poème en quatre chants, par Charles DE MASSAS. Brière, édit., 29, rue Lamartine.)

[38] Lettre sur l'élection du président de la République, par le docteur BUREAU-RIOFFREY.

[39] C'est l'assertion de ce journal (numéro du 19 novembre 1848). La lettre est signée : Pierre Cauvet, Auguste Mettra, Théophile Defourmeaux, Charles Sauty ; mais elle doit être d'Emile de Girardin.

[40] Pages 17, 28, 44.

[41] Chez Martinon, rue du Coq-Héron, 5.

[42] 24 novembre. Imprimerie de Beau jeune, rue de Satory, 28, à Versailles.

[43] Par Rafaël PELEZ. 1848. Chez Ledoyen, galerie d'Orléans.

[44] Le premier en date, remontant au mois d'avril 1848, est composé des intimes du prince, Persigny, Laity, Bataille, Tremblaire, Hirvoix, Laloue, Piat.

[45] Plus tard Société du 10 décembre.

[46] Il y avait aussi des réunions bonapartistes, présidées par un colonel Zenowitz, qui se tenaient au manège Duphot. (Voir la Presse du 12 novembre 1848.)

[47] Frère d'Odilon Barrot, représentant du peuple. (Voir la Presse du 20 novembre 1848.)

[48] Rien de plus juste que ces deux lignes, qui peignent admirablement le prince.

[49] N'est-ce pas là, en effet, ce qu'il faut dire dès lors qu'on a pour tout principe politique, pour tout mécanisme gouvernemental le suffrage universel direct ? Reste à savoir si l'organisme gouvernemental ne doit dériver que de l'élection populaire qui n'incarne que les intérêts et les volontés du moment, et s'il ne devrait pas y avoir à côté, en contrepoids, d'autres sources du pouvoir qui répondraient aux volontés et aux intérêts permanents.

[50] Député des Vosges. Lettre du 1er décembre 1848.

[51] Lettre à M. Henri Reeve, esquire, 8 novembre 1848.

[52] Lettre à M. le docteur Malveau, 18 novembre 1848.

[53] Biographie et correspondance, t. I.

[54] Biographie et correspondance, t. I.

[55] Biographie et correspondance, t. I.

[56] Déclaration de MM. Ancel, maire du Havre ; Ed. Reydellet ; Louis Vidal, maire de Graville. (Voir le National du 6 décembre 1851.)

[57] Voir le Journal des Débats du 7 novembre 1848.

[58] Citée par M. D'IDEVILLE dans sa Vie du maréchal Bugeaud, t. III, p. 388.

[59] La Démocratie (mai 1849) dit : Avant l'élection présidentielle, Changarnier aurait dit à un parent : Dans quinze jours Napoléon, dans six mois Henri V.

[60] Voir la Presse du 29 novembre 1848. — Quelques semaines auparavant, d'après le Siècle du 4 décembre, M. Molé aurait dit : Si la France nommait Louis-Napoléon, elle serait la risée do l'Europe.

[61] Voir la Presse du 25 novembre 1848. Lettre a M. Eugène d'Arras, rue de Grenelle-Saint-Honoré, n° 53. — Cependant nous devons noter qu'Odilon Barrot dans ses Mémoires, t. III, p. 27, dit ceci : Des efforts furent faits pour me faire prononcer en faveur de l'un des deux candidats... Je m'y refusai obstinément...

[62] Voir lettre de Léon Faucher à M. Henri Reeve, esquire, 17 décembre 1848. (Correspondance de L. Faucher.)

[63] Voir l'avant-propos des Mémoires d'Odilon BARROT, signé : DUVERGIER DE HAURANNE, où il est dit : Odilon Barrot fut de ceux qui adoptèrent et soutinrent la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte ; c'était un mouvement général dans ce qu'on appelait les vieux partis, et bien peu d'entre nous surent y résister. Je m'honore d'avoir été de ceux-là avec mon ami M. de Rémusat...

[64] Quelques hommes politiques de la gauche acceptaient la candidature napoléonienne, comme Victor Hugo, comme Crémieux qui le déclarait dans une lettre adressée au Siècle. La masse des représentants républicains la repoussaient. Dupont (de l'Eure) écrivait à un ami : Je préfère mille fois le général Cavaignac à Louis-Napoléon, qui, bien qu'il soit le neveu de l'Empereur, n'en est pas moins sans aucune valeur personnelle. Sa nomination pourrait être... une véritable calamité pour la France. Le journal la Réforme (numéro du 27 octobre 1848) rapportait la conversation suivante entre Etienne Arago et le prince : Si nous vous repoussons, c'est que, voulussiez-vous rester dans le giron républicain, vous seriez forcé par tout ce qui fait cohue derrière vous de marcher vers une monarchie, car ce qui vous pousse en avant, c'est l'ignorance des campagnes... et le fétichisme impérial... Et, comme Louis Bonaparte lui répond qu'il faudra bien s'incliner devant la volonté de la majorité, son interlocuteur ajoute : Et c'est pour cela que je voudrais retarder l'élection du président, afin qu'on pût dire à la nation que vous n'avez aucun titre, ni personnel, ni emprunté, à la présidence de la République ; que le reflet de l'astre éteint dont vous cherchez à vous éclairer ne serait qu'un reflet monarchique. Enfin il oppose à cette observation du prince : Il est possible de puiser dans le passé de mon oncle des souvenirs républicains, que le consul se transforma bien vite et que les monarchies n'avaient laissé survivre que la mémoire de l'Empereur. — George Sand écrivait de Nohant, le 1er décembre 1848, au rédacteur en chef de la Révolution démocratique et sociale : M. Louis Bonaparte, ennemi par système et par conviction de la forme républicaine, n'a point le droit de se porter candidat à la présidence. Qu'il ait la franchise de s'avouer prétendant... qu'il ne se serve pas d'une institution républicaine pour travailler au renversement de la République. Or, jusqu'ici, son silence comme représentant du peuple, son abstention dans les votes les plus significatifs pour le peuple, les réticences de son manifeste, les promesses insensées dans les campagnes... voilà de quoi éclairer sur ses intentions et sur l'avenir que cette candidature nous réserve...

[65] Voir DE MAUPAS, Mémoires sur le second Empire, p. 30.

[66] Voir DE MAUPAS, Mémoires sur le second Empire, et le comte DE FALLOUX, le Parti catholique, ce qu'il a été, ce qu'il est devenu. (Paris, Ambroise Bray, libraire-éditeur, 1856.)

[67] Voir le National du 16 novembre.

[68] La Presse cite, à l'adresse du clergé favorable au général Cavaignac, le fait que voici : Dartigoyte, député à la Convention, fit brûler à Auch un plein tombereau d'images et de reliques en dansant la carmagnole autour de ce brasier patriotique. Le père de Cavaignac, qui l'accompagnait, écrivait alors qu'il secondait l'apostolat philosophique de Dartigoyte en brûlant dans un tombereau deux Vierges à miracles et une foule de saints et de reliques.

[69] Dans une lettre aux curés de son diocèse, l'archevêque de Paris garde la neutralité et déclare que les prêtres doivent consulter leur conscience et choisir celui qui leur paraîtra le plus digne. — Au contraire, le cardinal de la Tour d'Auvergne, évêque d'Arras, soutient la candidature du général Cavaignac. (Il n'oubliera jamais la délivrance de l'insurrection de juin, et il votera pour un sabre.)

[70] Général en chef de l'armée suisse.

[71] Voir la Presse du 15 novembre, qui cite le journal l'Aube.

[72] Voir Souvenirs du second Empire, p. 53, par GRANIER DE CASSAGNAC, qui tenait ces détails du prince lui-même.

[73] Souvenirs du second Empire, p. 53, par GRANIER DE CASSAGNAC.

[74] Non seulement MM. Thiers et Molé voulaient que le prince acceptât un manifeste tout rédigé, mais ils avaient la prétention de régenter Louis-Napoléon jusqu'à lui imposer le sacrifice de ses moustaches. Dînant un jour chez M. Molé avec le prince, M. Thiers dit à celui-ci : Vous allez très certainement être élevé à la présidence de la République. Eh bien ! pour répondre à l'état et aux tendances de la société actuelle, Molé et moi nous estimons que vous devez couper vos moustaches. Si lui ou moi nous étions nommés présidents, nous n'en porterions pas (!). (Voir les Souvenirs de GRANIER DE CASSAGNAC (p. 51), qui tenait ce récit de la bouche même du prince.)

[75] A ces mots, M. Thiers l'interrompit : Qu'allez-vous faire ? Biffez, biffez cette phrase imprudente. Gardez-vous bien d'engagements de cette sorte. N'engagez rien, réservez tout ! Le prince consulta ensuite M. de Girardin, qui lui répondit : Voulez-vous, en effet, mettre votre honneur à laisser, au bout de quatre ans, à votre successeur, le pouvoir affermi... conservez la phrase ; ne le voulez-vous pas, oh ! alors, biffez-la bien vite. Il ne biffa pas la phrase. Il était convaincu qu'il ne serait jamais acculé à une usurpation du pouvoir ; il ne doutait pas qu'un coup d'Etat fût inutile pour faire aboutir ce qui était, après tout, la volonté certaine de la France, le retour à l'Empire. (Voir Portraits politiques contemporains : Louis-Napoléon Bonaparte, par A. DE LA GUÉRONNIÈRE, 1851. — Voir aussi le journal la Presse, numéro du 10 avril 1851.)

[76] 27 novembre 1848.

[77] La Presse (18 mars 1849) peint ainsi l'intervention du gouvernement : Action de quatre-vingt-six préfets et de deux cent quatorze sous-préfets et d'une nuée de fonctionnaires battant les campagnes en tous sens pour discréditer la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte... débordement d'épopées impudentes, de caricatures odieuses, d'affiches officielles payées sur les fonds secrets du ministère ; action de deux cents représentants partis à tire-d'aile pour rendre plus imposante la majorité du chef du pouvoir exécutif...

[78] Voir Histoire de la seconde République française, par M. Pierre DE LA GORCE, t. I, 1887. Plon, éditeur.

[79] On lui reproche d'expédier sa biographie à chaque régiment et de la faire lire dans les chambrées.

[80] Voir les Débats du 10 décembre.

[81] Mémoires. — Il avait précédemment (le 12 novembre) invité à dîner les ecclésiastiques membres de l'Assemblée.

[82] On ne se rappelait déjà plus ce qu'avaient coûté de larmes et de sang ces victoires qui ne sont plus que des souvenirs immortels... La malédiction des mères pleurant leurs fils ensevelis dans les neiges de Moscou, la tristesse des campagnes privées des bras qui fécondent le sol ; le poids toujours si lourd à porter de la dictature militaire, même quand cette dictature s'appelle Napoléon, tout cela s'était effacé de la mémoire du peuple. Il ne restait plus que le grand empereur, le héros de cent batailles... Louis-Napoléon a été cette légende vivante, et son élection si unanime s'est faite plutôt par entraînement que par réflexion... (Portraits politiques contemporains, par A. DE LA GUÉRONNIÈRE.)

[83] Voir la Patrie du 24 octobre 1848.

[84] Auparavant, le prince demeurait 36, rue d'Anjou, chez son ami M. Clary. (Voir Changarnier, par le comte D'ANTIOGHE, p. 229.)

[85] Voir la Patrie du 4 décembre 1848.

[86] Voir les Débats du 2 décembre 1848.

[87] Les journaux donnent ces anagrammes : Général Eugène Cavaignac : le carnage aigu, vengeance ; Louis-Napoléon Bonaparte : bon élu proposé à la nation.

[88] A la date du 27 octobre, l'Union s'exprimait ainsi : Des députés des clubs ultra-démocratiques se sont rendus... chez M. Louis Bonaparte et lui ont proposé un programme que le FUTUR PRÉSIDENT devait accepter. M. Louis Bonaparte a éludé de répondre.

[89] Lorsque le prince Louis m'offrit, il y a déjà prés d'un mois, le ministère des travaux publics, je mis dans ma réponse la plus grande réserve... (Lettre du 17 décembre 1848 à M. Henry Reeve, esquire.)

[90] Avant d'être l'élu du 10 décembre, M. Louis Bonaparte n'avait qu'une fortune extrêmement restreinte et notoirement embarrassée C'est à peine si tous les objets qu'il avait laissés à Londres et qui y furent vendus à l'encan lui rapportèrent de 1.000 à 1.500 livres sterling. (Voir la Presse du 12 juin 1850.)

[91] Il avait connu intimement à Londres une riche Anglaise, miss Howard, faite plus tard comtesse de Beauregard, qui, en 1848, lui vendit à crédit un domaine dans les Etats romains, près de Civita-Vecchia, et sur ces terres il emprunta immédiatement 60.000 écus romains, soit 324.000 francs, au marquis E.-L. Pallavicmo. (Voir Papiers et correspondance de la famille impériale trouvés aux Tuileries. 1871, édit. Garnier.) Cette femme, dit-on, lui aurait déjà donné ou prêté de l'argent pour l'expédition de Boulogne, et, après l'élection du 10 décembre, serait venue s'installer rue du Cirque, près de l'Elysée. — Rapallo, celui qui loua le bateau pour l'expédition de Boulogne, lui aurait prêté 250.000 francs. (Papiers et correspondance de la famille impériale, etc.)

[92] Au mois d'août 1851, le Messager de l'Assemblée, sous la signature de M. Eugène Fortade, publiait les documents suivants :

Circulaire (15 novembre 1848) écrite en anglais et lancée sur la place de Londres.

La feue duchesse de Saint-Leu, ex-reine Hortense, à l'époque de sa mort, avait des répétitions à exercer sur le gouvernement français qui montaient à la somme de 28.887.000 francs... Ces répétitions étaient fondées sur le traité de Fontainebleau... La légitimité de ces répétitions n'a jamais été mise en question (questioned)... Son Altesse Impériale le prince Louis..., comme seul héritier de sa mère..., est le seul ayant droit à poursuivre le recouvrement de cette créance... Ce qui se passe maintenant eu France et d'autres circonstances plus favorables donnent la certitude que ces réclamations... recevront bientôt la considération et la satisfaction qu'elles méritent... De ces réclamations, 10 millions ont été, pour le but mentionné dans un acte sous seing privé du 15 novembre... assignés au profit de M X..., banquier à Paris, en ce moment à Londres, par Son Altesse Impériale. Cet acte a été... déposé chez le notaire public de Londres ci-dessous désigné et a été de plus sanctionné par Son Altesse Impériale et par M X..., par un autre acte passé devant le même notaire. Son Altesse Impériale s'engage par cet acte à ce que le premier payement qu'il recevra du gouvernement français soit à la portion des répétitions ainsi aliénée. M. X..., ayant divisé cette somme de 10 millions en cent parts ou actions, a proposé cent certificats représentant 100.000 francs chaque, et il a proposé de les céder à ceux qui voudraient les payer... 10.000 francs chaque... Ceux qui voudraient des certificats devront s'adresser à M. A. de Pinga, notaire public, étranger et anglais, en son cabinet, n° 3, Bartholomew Iane, royal exchange, London.

24 juin 1851. — Je, Rupert Rains, notaire public à Londres... certifie et atteste... Je me me suis présenté... chez M. Abraham de Pinga... je lui ai montré la circulaire (printed paper)... et, après qu'il l'eut prise en main et examinée, sur ma demande, il me déclara que cette circulaire avait été émise par lui-même, et que tout ce qui est énoncé était parfaitement exact... ; que cette circulaire a été émise par lui il y a près de trois ans, et enfin qu'il préférait ne pas dire pourquoi l'affaire n'avait pas eu de suite à Londres, à cette époque, ni combien de certificats d'actions avaient été placés. — En foi de quoi j'ai délivré les présentes sous ma signature et mon sceau, pour servir et valoir ce que de droit.

Londres, ce vingt-rjuatre juin mil huit cent cinquante et un.

In testimonium veritatis.

Signé : RDPERT RAINS, notaire.

N° 2173. Vu au consulat général de France en Angleterre pour légalisation de la signature d'autre part de M. Rupert Rains, notaire public en cette ville.

Londres, le 24 juin 1851.

N° 4756, art 58, le droit, 12 fr. 50.

Pour M. le consul général,

Par autorisation, le chancelier,

Signé : ROUSSELIN.

Le chancelier, signé : LAURENT.

Ces pièces étaient publiées dans un article du Messager intitulé : Une conséquence financière de la prorogation des pouvoirs. Il importe de savoir, disait M. E. Forcade, si le lendemain de la réélection ou de la prorogation on ne viendra pas présenter impérieusement à la France, au nom de Son Altesse Impériale, comme on dit en anglais, une rente à payer de 100 millions. — D'après les articles 3 et 6 du traité de Fontainebleau (avril 1814), entre l'Empereur et les souverains alliés, articles qui n'auraient jamais été exécutés, Napoléon Ier devait être inscrit sur le grand livre de la rente française pour un revenu annuel de 2 millions, et il devait être réservé, dans les pays auxquels l'Empereur renonçait, pour lui et sa famille, des domaines, ou donné des rentes pour un revenu annuel de 2.500.000 francs, dont 200.000 francs pour le roi Louis et 400.000 francs pour la reine Hortense et ses enfants.

[93] Le courant, formé des opinions les plus contraires, était devenu irrésistible... Qu'on ne dise pas que tel ou tel personnage qui a appuyé cette élection en est politiquement responsable. Le résultat était hors de la portée de toute influence privée. MM. Molé et Thiers, par exemple, qui crurent devoir patronner hautement la candidature de Louis-Napoléon... n'ont mérité pour cela ni reproche ni remerciement, car s'ils se fussent abstenus... le dénouement eût été absolument le même. (Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 26.)

N'oubliez jamais que vous êtes l'instrument dont s'est servi la Providence (votre élection miraculeuse en fait foi) pour rétablir l'ordre... (Adresse du tribunal de commerce de Rouen, 24 décembre 1848.)

[94] A Paris, les résultats du scrutin furent ceux-ci :

Inscrits

433.632

Votants

341.829

Louis Bonaparte

198.484

Cavaignac

95.567

Ledru-Rollin

26.648

Raspail

15.871

Lamartine

3.838

Le Consulat avait été voté par 3.011.007 suffrages (1.562 contre) ; le Consulat à vie, par 3.577.259 (8.374 contre) ; l'Empire, par 3.521.244 (2.579 contre).

[95] Décembre 1848. (Voir la Presse.)

[96] A peine son nom est-il jeté sur la place publique, qu'il est murmuré sur toutes les lèvres comme un souvenir et une espérance ; le murmure court la rue, il franchit la barrière, il s'étend aux campagnes, il retentit jusque dans les plus humbles villages, il monte comme la vague de l'Océan, jusqu'à ce qu'il se transforme en un grand mouvement d'opinion et qu'il se traduise par six millions de suffrages jetés dans l'urne sans motif, sans raison, et comme par un élan irrésistible de la nation .. Strasbourg et Boulogne, deux folies, deux fautes, deux crimes... ont fait l'élection du 10 décembre... (Portraits politiques contemporains, par A. DE LA GUÉRONNIÈRE, 1851.) — En octobre 1849, Louis Blanc disait à un rédacteur de la Voix du peuple : C'est le nom de Louis Bonaparte, son nom seul, qui l'a fait président de la République ; et si vous voulez trouver un coupable, vous avez devant vous... le suffrage universel. (Le Peuple, 29 octobre 1849.)

[97] Lettre de Félix Pyat à Louis-Napoléon Bonaparte, 1851, p. 9, Bouvet, libraire.

[98] Parce que, presque toujours, l'officier était anobli avant d'arriver au généralat. Tout ce qui s'élevait devenait noble. Aujourd'hui, la bourgeoisie, qui a concouru pour une grande part à faire la révolution de 1789, continue à être dédaignée par l'aristocratie, qui lui permet seulement de fumer ses terres. Elle s'est fermé les portes de la noblesse, et elle n'est pas moins menacée par la démagogie.

[99] Voir le Nouveau Monde de Louis BLANC, p. 324, du n° 15, juillet 1849. Dans le même article, il dit : Un seul nom parle à leur souvenir..., un seul nom ouvre à leur pensée des horizons lointains et a puissance sur leur âme... Une méchante gravure suspendue aux murs de leurs chaumières est pour eux toute la politique, toute la poésie, toute l'histoire...

[100] Lettre du 17 décembre 1848 à M. Henry Reeve, esquire.

[101] Le 13, elle disait : Pouvions-nous supposer que la population la plus intelligente du monde irait se passionner pour un homme qu'elle ne connaît que par ses fautes, et dont le seul titre consiste dans sa parenté avec Napoléon ?

[102] On avait déjà fort remarqué un entrefilet où la Presse du 16 décembre avait relaté que le prince était allé aux Invalides, et qu'il était resté une heure auprès du tombeau de l'Empereur.

[103] Voir la Révolution démocratique et sociale du 25 décembre 1848. — D'après la version du Siècle, ce propos aurait été tenu quelques jours après le 25, avant la revue, dans les termes suivants : Il me serait aussi facile de faire aujourd'hui un empereur que d'acheter un paquet de pralines. Et le journal ajoute : Le général Changarnier, interrogé, n'a pas nié le propos. Le comte d'Antioche rapporte, dans sa brochure sur Changarnier (p. 264), que celui-ci a écrit en marge d'un volume de l'Histoire de la chute de Louis-Philippe et du rétablissement de l'Empire, par GRANIER DE CASSAGNAC, qui racontait le fait : Je n'ai jamais prononcé cette parole de confiseur. — M. GRANIER DE CASSAGNAC, dans ses Souvenirs du second Empire (t. II, p. 118), dit à ce sujet : (Le prince m'a dit :) Oui, le général Changarnier m'a offert de me conduire aux Tuileries et de m'aider à me faire moi-même empereur... Je refusai... Le général fut désolé... Il disait le lendemain aux officiers et aux généraux, dans son salon, que j'avais manqué une belle occasion, et que peut-être je n'en retrouverais pas une pareille. Il ajoutait, paraît-il, qu'il lui était aussi facile de rétablir l'Empire que de faire un cornet de bonbons. Granier de Cassagnac place cette déclaration après le 29 janvier 1849. Pour ce dire, il s'appuie sur la lettre suivante, écrite huit ans après : ... Je n'hésite pas à rapporter les paroles que j'ai entendu prononcer aux Tuileries quelques jours après le 29 janvier 1849, par le général Changarnier : — Le prince a manqué une belle occasion pour aller aux Tuileries. Telle est l'exacte vérité. Signé : Vicomte J. CLARY. Ce 12 juillet 1857. Si l'on peut hésiter sur les termes mêmes et la date précise de cette boutade, le fond est vrai et ne saurait être contesté.