NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE X. — LA PREMIÈRE ÉLECTION DU PRINCE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

 

 

La révolution du 24 février prend le prince au dépourvu. — Sa situation. — Il vient à Paris. — 28 février, sa lettre au gouvernement provisoire ; son sentiment intime. — Il reçoit l'ordre de repasser la frontière ; seconde lettre du prince au gouvernement provisoire. — Sentiments de Persigny et de Vaudrey, — Aux élections d'avril, il n'est porté dans aucun collège. — Pourquoi ? — Sa lettre du 11 mai. — Ses partisans. — Comité bonapartiste. — 24 mai, nouvelle missive du prince à l'Assemblée sur le projet de loi de bannissement des familles ayant régné en France. — 26 mai, discussion ; Vignerte, Napoléon Bonaparte, Ducoux, Sarrut, le président. — 2 juin, proposition Pietri abolissant les lois de bannissement contre la famille Bonaparte ; Crémieux, ministre de la justice, déclare qu'elles ont été anéanties par la révolution de 1848. — Valeur de l'exception faite en faveur des Bonaparte seuls. — Observations judicieuses de Clément Thomas. — L'Assemblée abroge explicitement l'article 6 de la loi de 1832. — Silence unanime de la presse sur la candidature du prince aux élections complémentaires de juin 1848 ; affiches ; élection du prince dans quatre départements. — A part la Gazette, silence persistant des journaux, aucune émotion publique. — Le 8 juin, jour de la proclamation du scrutin à Paris, changement à vue ; le nom de Napoléon est dans toutes les bouches ; l'Union ; Lamennais dans le Peuple constituant ; le Bien public, le Constitutionnel ; le Peuple de Proudhon ; la Vraie République, les Débats. — Dès la première heure, le mot Empire est prononcé — La nation a peur du socialisme. — La province. — L'Assemblée constituante est profondément impressionnée par l'élection du prince. — Le Journal des Débats. — Journée du 10 juin. — Le gouvernement prépare une demande d'application de la loi de 1832 contre le prince. — Proclamation du général Piat. — Séance de l'Assemblée ; le prince Napoléon Bonaparte ; le ministre Flocon. — Le général Clément Thomas sur la place de la Concorde ; coups de feu ; Lamartine dépose la proposition relative à la loi de 1832 ; discours de Pierre et de Napoléon Bonaparte ; les Débats, la Vraie République, le Siècle, la Patrie blâment cette proposition. — Quid de leur thèse ? — La proscription ne devait-elle pas être maintenue contre le prince ? — Curieux article du Charivari. — Séance du 13 juin ; le citoyen Degousée ; Jules Favre, rapporteur de l'élection de la Charente-Inférieure, soutient l'admission ; quid de son discours. — Buchez, rapporteur de l'élection de la Seine, conclut à la non-admission. — Desmares, rapporteur de l'élection de l'Yonne, propose l'admission. — Discussion : Vieillard ; Marchal parle en homme politique ; Fresneau ; Clément Thomas ; Repellin ; Louis Blanc est pour l'admission, tout en envisageant le premier l'éventualité de la candidature du prince à la présidence de la République ; Pascal Duprat répond à Louis Blanc ; de Lasteyrie est pour l'admission, combattue par Ledru-Rollin au nom du gouvernement, dans un discours d'une remarquable dialectique. — M. Bonjean donne lecture de la lettre du prince en date du 24 mai. — Jules Favre. — Admission votée par assis et levé à une grande majorité. — Agitation à Paris, rassemblements. — Ledru-Rollin donne sa démission de membre du gouvernement. — Les Débats critiquent et le Siècle approuve la décision de l'Assemblée. — Bruit de l'arrestation des amis du prince. — Contre-ordre relatif à l'arrestation du prince. — Le Charivari, le Représentant du peuple (Proudhon), la Réforme, la Vraie République, la Patrie jettent un cri d'alarme. — La Gazette de l'Yonne. — Le Napoléon républicain, l'Aigle républicaine, etc. — Agitation bonapartiste. — Mémorable article de la Vraie République sur l'élection du prince. — Lettre du prince à l'Assemblée ; effet désastreux ; le général Cavaignac, Baune Antony Thouret, Glais-Bizoin, Raynal, le ministre de la guerre, Jules Favre ; renvoi de la discussion au lendemain. — Le Siècle. — Adresse du prince à ses électeurs. — Séance du 16 juin, démission du prince. —La Patrie. — La Vraie République dénonce le prince comme un futur usurpateur. — Campagne bonapartiste ; l'Unité nationale ; le Bonapartiste pose la candidature du prince à la présidence de la République. — Election de la Corse ; lettre du prince ; son habileté. — Ce que dit le Siècle des électeurs des campagnes. — Le Petit Caporal ; rassemblements sur les boulevards. — La constitution de 1848 et la présidence ; discussion dans les bureaux ; Thiers, de Rémusat, de Cormenin, de Beaumont, Pagnerre tiennent pour l'élection par le peuple ; Léon Faucher, pour l'élection par l'Assemblée. — Dans la commission, M. Marrast est le seul commissaire opposé à l'élection par le peuple. — Les journaux.

 

La révolution du 24 février 1848, éclatant comme un coup de foudre, prit le prince au dépourvu. Il n'était pas prêt. D'ailleurs, il n'était pas riche et ne comptait que quelques rares partisans. Pourtant il n'hésita pas une minute, et le lendemain même de la chute de la monarchie orléaniste il arrivait à Paris et descendait rue du Sentier chez son ancien précepteur, M. Vieillard[1].

Le 28, il écrivait[2] au gouvernement provisoire :

MESSIEURS,

Le peuple de Paris ayant détruit par son héroïsme les derniers vestiges de l'invasion étrangère, j'accours de l'exil pour me ranger sous le drapeau de la République qu'on vient de proclamer.

Sans autre ambition que celle de servir mon pays, je viens annoncer mon arrivée aux membres du gouvernement provisoire et les assurer de mon dévouement à la cause qu'ils représentent, comme de ma sympathie pour leurs personnes.

Agréez, Messieurs, l'assurance de mes sentiments.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

 

Il acceptait la République, oui, avec un dévouement sincère, mais en la fondant sur les idées napoléoniennes, mais à la condition qu'elle vivrait sous sa présidence, ou plutôt sous son consulat, mieux encore sous la forme d'un second Empire dont il serait le chef. Il y avait donc un mot de trop dans cette lettre quand il ajoutait : Sans autre ambition que celle de servir mon pays. Prétendant, il l'était dans l'âme. C'était son honneur de l'être. Un nouveau règne napoléonien, c'était toute sa foi, le cri d'espérance de sa vie entière. Il n'avait lutté, il n'avait souffert, il n'avait joué son existence que pour cela. Lui, un simple soldat de l'armée républicaine ! Sa destinée n'était pas celle-là[3]. Ces protestations républicaines furent faites en pure perte ; le gouvernement provisoire lui intima l'ordre de repasser immédiatement la frontière[4]. Il adressa alors cette seconde lettre aux membres du gouvernement :

Paris, le 29 février 1848.

MESSIEURS,

Après trente-trois années d'exil et de persécutions, je croyais avoir acquis le droit de retrouver un foyer sur le sol de la patrie. Vous pensez que ma présence à Paris est maintenant un sujet d'embarras, je m'éloigne donc momentanément. Vous verrez dans ce sacrifice la pureté de mes intentions et de mon patriotisme.

Recevez, Messieurs, l'assurance de mes sentiments de haute estime et de sympathie.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

 

Aux élections du mois d'avril à l'Assemblée constituante, le prince ne fut porté dans aucun collège. Son expulsion était trop récente, et d'autre part ses amis n'avaient pas encore eu le temps en quelques semaines d'improviser une organisation sérieuse du parti. Il sentait d'ailleurs la nécessité de préparer le terrain à sa réapparition sur la scène politique, et c'est à cette fin que fut communiquée à la presse la lettre suivante :

Londres, le 11 mai 1848.

MON CHER MONSIEUR VIEILLARD,

Je n'ai pas encore répondu à la lettre que vous m'avez adressée à Saint-Lô parce que j'attendais votre retour à Paris et l'occasion de vous expliquer ma conduite.

Je n'ai pas voulu me présenter comme candidat aux élections[5] parce que je suis convaincu que ma position à l'Assemblée eut été extrêmement embarrassante. Mon nom, mes antécédents ont lait de moi, bon gré, mal gré, non un chef de parti, mais un homme sur lequel s'attachent tous les regards des mécontents. Tant que la société française ne sera pas rassise, tant que la Constitution ne sera pas fixée, je sens que ma position en France sera très difficile, très ennuyeuse et même très dangereuse pour moi.

J'ai donc pris la résolution de me tenir à l'écart et de résister à toutes les séductions que peut avoir pour moi le séjour de mon pays.

Si la France avait besoin de moi, si enfin je croyais pouvoir être utile à mon pays, je n'hésiterais pas à passer sur toutes ces considérations secondaires pour remplir un devoir ; mais dans les circonstances actuelles je ne puis être bon à rien ; je ne serais tout au plus qu'un embarras.

D'un autre côté, j'ai des intérêts personnels graves à surveiller en Angleterre. J'attendrai donc encore quelques mois ici que les affaires prennent en France une tournure plus calme et plus dessinée.

J'ignore si vous me blâmerez de cette résolution ; mais si vous saviez combien de propositions ridicules me surviennent, même ici, vous comprendriez combien davantage à Paris je serais en butte à toutes ces intrigues.

Je ne veux me mêler de rien ; je désire voir la République se fortifier en sagesse et en droits, et, en attendant, l'exil volontaire m'est très doux, parce que je sais qu'il est volontaire.

Recevez, etc.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

 

Cette lettre est très curieuse en ce qu'elle indique que le prince, à la date du 11 mai 1848, c'est-à-dire trois semaines avant les élections complémentaires du 4 juin, rendues nécessaires par suite de démissions ou d'élections multiples[6], c'est-à-dire à la veille du scrutin, ne songeait pas à se porter candidat, à devenir membre de l'Assemblée nationale. Il ne voulait que rassurer sur ses intentions et ménager l'avenir. L'heure ne lui paraissait pas encore venue. Il se trompait. Les apôtres de la religion bonapartiste, les fervents de la première heure, les amis quand même, étaient allés de l'avant, plus napoléoniens que le prince, espérant contre toute espérance, et se mettant immédiatement à l'œuvre pour préparer l'avènement du nouveau Messie. Au mois d'avril, un comité bonapartiste avait été formé par Persigny, — la cheville ouvrière, l'âme de cette entrée en campagne, si audacieuse, si aventureuse, — par Laity, par Bataille et quelques autres des échauffourées de Strasbourg et de Boulogne : une poignée d'hommes, toujours les mêmes ! auxquels étaient venues se joindre un très petit nombre de personnes, comme MM. Hyrvoix, Laloue, le journaliste Tremblaire, sous la présidence du général Piat.

Vers le milieu de mai, on discute dans les bureaux de l'Assemblée un projet de décret bannissant la famille d'Orléans, et le bruit se répand qu'on doit y englober la famille Bonaparte, ou tout au moins le prince Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, qui adresse alors à l'Assemblée la lettre suivante :

Londres, le 24 mai 1848.

CITOYENS REPRÉSENTANTS,

J'apprends par les journaux du 22 qu'on a proposé dans les bureaux de l'Assemblée de maintenir contre moi seul la loi d'exil qui frappe ma famille depuis 1816. Je viens demander aux représentants du peuple pourquoi je mériterais une semblable peine. Serait-ce pour avoir toujours publiquement déclaré que dans mes opinions la France n'était l'apanage ni d'un homme, ni d'une famille, ni d'un parti ? Serait-ce parce que, désirant faire triompher le principe de la souveraineté nationale qui seul pouvait mettre un terme à nos dissensions, j'ai deux fois été victime de mon hostilité contre le gouvernement que vous avez renversé[7] ? Serait-ce pour avoir consenti par déférence pour le gouvernement provisoire à retourner à l'étranger, après être accouru à Paris au premier bruit de la Révolution ? Serait-ce enfin pour avoir refusé par désintéressement les candidatures à l'Assemblée, qui m'étaient proposées, résolu de ne retourner en France que lorsque la nouvelle Constitution serait établie et la République affermie[8] ? Les mêmes raisons qui m'ont fait prendre les armes contre le gouvernement de Louis-Philippe me porteraient, si on réclamait mes services, à me dévouer à la défense de l'Assemblée, résultat du suffrage universel. En présence d'un roi élu par deux cents députés, je pouvais me rappeler être l'héritier d'un empire fondé sur l'assentiment de quatre millions de Français ; en présence de la souveraineté nationale, je ne peux et ne veux revendiquer que mes droits de citoyen français ; mais ceux-là, je les réclamerai sans cesse avec l'énergie que donne à un cœur honnête le sentiment de n'avoir jamais démérité de la patrie.

Recevez, etc.

 

Dans la séance du vendredi 26 mai, le décret de bannissement de la famille d'Orléans vient en discussion. Le citoyen Vignerte s'écrie : Quant à la famille Napoléon, nous l'admettons provisoirement parce qu'elle n'est pas dangereuse... Le citoyen Napoléon Bonaparte[9] demande la parole : Il y a, dit-il, un mot contre lequel je réclame avec toute l'énergie de mes sentiments froissés, c'est le mot de situation provisoire. (Voix nombreuses : Très bien !) — Le citoyen Ducoux intervient : Je combats de toutes les forces de mon âme l'assimilation qu'on a voulu établir entre la famille Bonaparte et la famille d'Orléans. La famille Bonaparte n'a plus aujourd'hui que la signification d'une valeur historique, elle n'est plus que la tradition d'une glorieuse époque que nous pouvons admirer sans doute, mais que personne ne peut avoir la folie de tenter de recommencer. — Le citoyen Sarrut propose un amendement tendant à l'abrogation de l'art. 6 de la loi d'avril (10-11) 1832, interdisant à perpétuité le territoire de la France et de ses colonies aux ascendants et descendants de Napoléon, à ses oncles et tantes, à ses neveux et nièces, à ses frères, à leurs femmes et à leurs descendants, à ses sœurs et à leurs maris. Le président fait alors cette observation : Relisez le projet de décret, et vous abandonnerez votre amendement. Et l'Assemblée de rire. En effet, le décret ne mentionnait que le bannissement prononcé contre la famille des Bourbons, sans rappeler celui de la famille Bonaparte, qui rentrait, dès lors, dans le droit commun, par suite de cette abrogation implicite. Il était ainsi conçu : Le territoire de la France et de ses colonies, interdit à perpétuité à la branche aînée des Bourbons par la loi du 10 avril 1832, est interdit également à Louis-Philippe et à sa famille.

Néanmoins, les bonapartistes n'étaient pas tranquilles, et ils désiraient une abrogation explicite des lois de proscription du 16 janvier 1816 et du 10 avril 1832. C'est pour cela que M. Pietri, dans la séance du vendredi 2 juin, vint déposer une proposition dans ce sens : La République, dit-il, ne saurait maintenir la proscription prononcée par la légitimité et la quasi-légitimité contre la famille Bonaparte qui a expié pendant trente-trois années d'exil la gloire et les malheurs de la France. La révolution de Février a donné raison à la prophétie de Napoléon, et tous les membres de sa famille ont salué avec enthousiasme l'ère nouvelle de la République. Pour eux comme pour nous, la grande époque impériale ne rappelle plus un trône, mais la puissance et la grandeur de la France. Aussi n'ont-ils pas hésité à faire acte d'adhésion à la République, et leur présence à Paris dans les moments les plus critiques a prouvé que leur adhésion était toute française, et que la République... peut compter sur leur patriotisme.

Le citoyen Crémieux, ministre de la justice, se lève alors : Il n'est pas, dit-il, besoin de revenir sur la loi de 1832, elle est abolie par le fait et par le droit... La gloire de Napoléon appartient à la France. La renommée de Napoléon reste comme un de ces souvenirs immenses qui s'étendent sur l'histoire d'un peuple et la couvrent d'un éclat immortel. (Très bien !) Tout ce qu'il y a de populaire dans cette gloire, nous l'acceptons avec empressement ; la proscription de sa famille serait pour la France actuelle une honte. (Oui ! oui !) Déclarer que la loi de 1832 a pu survivre une heure au triomphe de nos barricades de février, ce serait presque commettre un crime ; je demande donc qu'on déclare, par un ordre du jour motivé, qu'il n'y a pas lieu d'anéantir la loi de 1832. (Appuyé.)

Ainsi les mêmes hommes qui proscrivaient les Bourbons et les d'Orléans épargnaient les Bonaparte ! Dès l'instant qu'on admet en principe la proscription, les raisons données pour ne pas frapper la famille de Napoléon étaient pitoyables. Et le général Clément Thomas répondait judicieusement au citoyen ministre Crémieux : Parmi les membres de la famille Bonaparte, il s'en trouve un qui a fait des tentatives pour rétablir, non la République, mais l'Empire ; eh bien ! si les portes de la France lui sont ouvertes, qu'il se rappelle que nous l'acceptons comme citoyen, mais qu'il renie un passé que nous n'accepterons jamais.

L'Assemblée prend alors en considération par un vote à peu près unanime la proposition Pietri, ainsi conçue : L'art. 6 de la loi du 10 avril 1832 relatif au bannissement de la famille Bonaparte est abrogé, préférant cette solution à celle qui avait été indiquée par le ministre de la justice.

Il est probable qu'elle n'ignorait point alors que le prince était, de par sa volonté ou celle de ses fanatiques amis, candidat à la députation au moins dans le département de la Seine. Elle pensait sans doute que cette candidature, qui n'était point posée par le prince lui-même, ne pouvait être sérieuse ; mais il peut parfaitement se faire qu'elle n'en ait pas eu vraiment connaissance. Si l'élection à la présidence de la République fut prodigieuse, celle du 4 juin 1848 fut plus extraordinaire encore, attendu que pas un journal[10] non seulement ne soutient, mais ne mentionne même la candidature du prince. Le silence unanime de la presse devait la tuer dans l'œuf. Les faits et gestes du comité bonapartiste dont les membres faisaient de la propagande auprès des amis, des connaissances, des domestiques et des fournisseurs, restaient inconnus. Il a suffi de quelques mauvaises affiches d'un format bien modeste[11], et sans doute aussi d'une distribution de bulletins faite intelligemment, par des agents dévoués, aux abords des scrutins, pour que le nom de Napoléon, à la stupeur générale, sortît triomphant des urnes. Nous donnerons ici trois de ces affiches curieuses :

1er juin 1848.

Nommer Napoléon-Louis Bonaparte novembre de l'Assemblée nationale,

C'est protester contre les traités de 1814 et de 1815, et c'est faire acte de protestation contre l'étranger qui a proscrit Napoléon et sa famille.

En nommant Napoléon-Louis Bonaparte, les ouvriers témoigneront de leur reconnaissance d'avoir pensé à eux alors qu'il était dans les cachots de Ham s'occupant de l'amélioration du sort de la classe ouvrière, en faisant publier son ouvrage sur le paupérisme, ouvrage saisi par la police de Louis-Philippe.

Citoyens ! nommons donc à l'Assemblée nationale Napoléon-Louis Bonaparte, enfant de Paris.

Vive la République !

Pour une réunion d'ouvriers,

REY,

rue Sainte-Hyacinthe, n° 8.

MAULDE et RENOU, imprimeurs.

 

On remarquait encore cette autre affiche :

CANDIDATURE DE NAPOLÉON-LOUIS BONAPARTE

AUX ÉLECTEURS DE PARIS.

CITOYENS,

La réaction ne se cache plus ; elle vous propose de nommer à l'Assemblée nationale le prince de Joinville, le fils de Louis-Philippe, chassé par vous, il y a trois mois.

Deux fois ramenés par les baïonnettes étrangères, les Bourbons ont été quatre fois expulsés de France. La nation n'en veut plus.

Il est un autre nom qui fut toujours associé à nos triomphes et à nos malheurs. Quand nos drapeaux victorieux flottaient à Vienne, à Berlin, à Moscou, l'Empereur était à notre tête, les Bourbons maudissaient nos victoires. Quand les hordes étrangères inondaient notre territoire, les Bourbons triomphaient, l'Empereur allait mourir à Sainte-Hélène.

PRONONCEZ ET JUGEZ

Nous vous proposons de nommer à l'Assemblée notre concitoyen Napoléon-Louis Bonaparte, enfant de Paris. Il s'est formé à la rude école de l'exil et de la captivité. Soldat de l'indépendance italienne en 1831, il voulut plus tard, à Strasbourg et à Boulogne, arracher la France au joug de la honte en proclamant la souveraineté du peuple. Il a payé de sept ans de captivité l'honneur d'avoir précédé l'héroïque population de Paris.

On l'a rangé parmi les prétendants. Il repousse loin de lui cette qualification, car il sait que le général Bonaparte était le plus grand citoyen de la France avant d'en être le premier magistrat, et qu'aujourd'hui, comme alors, le pouvoir doit être au plus digne.

Envoyez Napoléon-Louis Bonaparte à l'Assemblée. C'est un des nobles enfants de la France. Nous vous en répondons.

Vive la République !

Signé : Un vieux républicain de 92, soldat de Zurich et de Waterloo[12]. — Un ouvrier combattant des barricades de Février.

 

Puis celle-ci :

CANDIDATURE DE NAPOLÉON-LOUIS BONAPARTE

AUX ÉLECTEURS DE LA SEINE.

CITOYENS,

Nous avons encore un membre de la famille Napoléon, éloigné de la France. Souvenez-vous, citoyens, que ce ne sont pas les Français qui ont exilé le glorieux martyr de Sainte-Hélène, mais les baïonnettes étrangères qui sont venues imposer une famille odieuse qui a constamment travaillé à la ruine de notre patrie.

Rappelons-nous tous les bienfaits de Napoléon et de sa grandeur infinie.

Rappelons-nous aussi les bienfaits et la grandeur d'âme de Joséphine, la bien-aimée de la France.

Nommons tous Napoléon-Louis Bonaparte, petit-fils de Joséphine, neveu du grand Napoléon ; il est digne de son oncle par son courage et par ses idées démocratiques.

Lisez l'Extinction du paupérisme qu'il a écrite à la prison de Ham. Je suis sûr que vous saurez apprécier son cœur, ses talents et son amour du peuple.

Vive la République !

Salut et fraternité !

DAMERVAL,

Ancien militaire,

aujourd'hui ouvrier vannier.

17, à la Halle aux blés.

Paris, imprimerie d'AUBUSSON, passage des Panoramas, 16.

 

Le dimanche 4 juin, le prince était élu par 84.420 voix. Il arrivait le cinquième et avant-dernier. Avec lui étaient nommés Caussidière, par 157.000 voix ; Changarnier, par 105.539 ; Thiers, par 97.394 ; Victor Hugo, par 86.960, et Pierre Leroux, par 67.000.

On apprenait bientôt qu'il avait été élu aussi par l'Yonne, par la Charente-Inférieure et par la Corse. En outre, dans plusieurs départements, il avait réuni un certain nombre de suffrages[13].

La presse enregistre ces élections sans faire de réflexions. Avant le scrutin, elle ne parlait pas du prince ; après, elle n'en parle pas davantage, du moins dans les premiers jours qui suivirent. En cherchant bien dans les journaux de l'époque, on trouve pourtant ceci dans la Gazette de France du 5 juin : Et maintenant, M. Louis Bonaparte se présente et vous dit : Je suis héritier selon les constitutions de l'Empire ; j'apporte les trois millions de votes que feu mon oncle Napoléon le Grand a recueillis, puisqu'on ne compte plus les six millions de votes donnés à Louis XVI et à sa dynastie en 1789. Que quelqu'un en montre autant que moi, et je lui cède la place. Et le journal d'ajouter : Va donc pour M. Louis-Napoléon. En fait de prétendants, il en vaut un autre. Mais, en définitive, l'élection du prince ne cause aucune émotion ; tout d'abord on n'y fait pas attention ; ce n'est qu'un Bonaparte de plus qui vient se joindre aux trois Bonaparte, déjà membres de l'Assemblée nationale. Tout d'un coup la situation change complètement. Le 8 juin, on procède à l'Hôtel de ville à la proclamation du nom des élus parisiens. Les acclamations les plus vives[14] accueillent celui de Louis Bonaparte ; les chapeaux s'agitent, et un grand nombre de gardes nationaux lèvent la crosse en l'air en témoignage de leur sympathie. Alors c'est comme une traînée de poudre dans Paris et dans la France entière, cette élection dont on ne disait rien devient le sujet de toutes les conversations. Le nom de Napoléon vole de bouche en bouche. Désormais il remplit la presse. Cette situation extraordinaire, cette situation prépondérante acquise par le prince, on peut dire, en quelques heures, cette importance énorme, éclose d'une façon foudroyante, est un des phénomènes les plus curieux, les plus saisissants et les plus invraisemblables de notre histoire.

Lamennais écrit dans le Peuple constituant : Le nom de Louis Bonaparte est le drapeau d'une conspiration. Depuis longtemps des rêves d'ambition remplissaient la tête de ce jeune homme qui nous apportait d'Angleterre, il y a quelques années, l'aigle de l'Empire dans une cage. L'Empire est mort avec l'Empereur, il était l'Empire tout entier ; mais l'ombre même de cette grande gloire peut réveiller au fond de certaines âmes souffrantes de nos hontes passées et de nos hontes présentes, des sentiments dont la générosité même serait en ce moment dangereuse pour la République.

Ainsi, dès la première heure, le mot d'empire est prononcé.

Le Bien public s'écrie : M. Louis Bonaparte est l'homme des surprises. Il arrive on ne sait pas par quelle porte ni à quel moment... ; à la stupéfaction générale il sort trois fois du scrutin. Par quelle alchimie électorale, par quelles objurgations occultes trois départements se sont-ils entendus pour jeter ce défi à la République ? Est-ce pour récompenser les parades en petit chapeau et en redingote grise, qu'un jeune écervelé est venu jouer deux fois devant l'Europe ?... Est-ce sa captivité ? Est-ce la gloire de son oncle ? C'est bien assez pour cela de la colonne Vendôme, de l'Arc de triomphe et du mausolée des Invalides. Est-ce la politique impériale ? Nous devons la démentir. Est-ce la puissance militaire ? Nous ne saurions trop la repousser. Est-ce la restauration d'une dictature ? Alors caveant consules... Ce nom de Louis Bonaparte vient à surnager sur la houle des partis... Paris fermente ; on entend crier : Vive Napoléon !... Quel est le mystère de toute cette intrigue ? Est-ce que par hasard la famille Bonaparte se croirait appelée deux fois en un siècle à escamoter la République ?... Nous n'avons à ce sujet aucune inquiétude.

On voit avec quelle netteté la question est posée tout de suite, avant que le prince ait paru.

Louis-Napoléon, dit l'Union du 10 juin, reste ce qu'il est, un prétendant à l'Empire... Lorsqu'on a proclamé le nom de Louis-Napoléon à l'Hôtel de ville, il y a eu un hourra qui a ému les voûtes et est allé se perdre en échos retentissants dans la place publique. Peuple et soldats jetaient en l'air leurs chapeaux ; les tambours ont battu aux champs... M. Bonaparte jeté comme une espérance dans la République ! Quoi ! M. Bonaparte ! ce nom de despotisme armé, que de 1812 à 1814 toutes les mères de France sans exception avaient maudit ! Justement. On ne sait pas de quoi est capable un peuple qui a peur de l'anarchie. Et Bonaparte est nommé par quatre départements. L'Union donne le mot de l'énigme. Le pays avait peur. Le prince se présentait avec son nom prestigieux. C'était le sauveur !

Tout le monde, ajoute l'Union, en présence de l'élection du citoyen Louis-Napoléon, se fait aujourd'hui cette question : Le nouveau Directoire évitera-t-il un nouveau 18 brumaire ?[15]

Napoléon, coup d'État, Empire, tout cela ne fait qu'un forcément, fatalement. Voilà la thèse.

Le Constitutionnel se contente de faire cette déclaration : On s'explique peu le succès inattendu du citoyen Bonaparte.

Il y a huit jours, le citoyen Bonaparte, dit le Peuple de Proudhon, n'était qu'un point noir dans un ciel en feu ; avant-hier, ce n'était qu'un ballon gonflé de fumée ; aujourd'hui, c'est un nuage qui porte dans ses flancs la foudre et la tempête.

La Vraie République[16] fait remarquer que les républicains ont été tout à fait surpris par cette élection, dont le secret sera sans doute connu avec le temps.

Les Débats (9 juin 1848) déclarent qu'une nomination qui a produit une vive sensation est celle de M. Louis Bonaparte. Quelle portée faut-il y voir ? Est-ce une manifestation impérialiste ? On parle de sourdes intrigues... de conspirations napoléoniennes.

En province, l'effet produit n'est pas moins grand. A la date du 9 juin, le Propagateur des Ardennes écrit : On a trouvé cette nuit, placardées sur les murs de Charleville, un grand nombre de proclamations excitant à la révolte. Nous nous sommes procuré une de ces affiches : Français, après avoir de nouveau chassé la tyrannie qui nous avait trompés en juillet, nous nous sommes encore laissé tromper par une tyrannie plus hypocrite et plus infâme en ce qu'elle se cache sous le voile de la démocratie ; au lieu d'un roi qui nous dépouillait, nous en avons plusieurs qui s'engraissent à nos dépens. Ardennais, courons donc aux armes, brisons nos fers, montrons un exemple que la France se hâtera de suivre, et plaçons à notre tête le seul homme qui en soit digne. Plaçons-y Louis-Napoléon.

Vive l'Empereur !

Déjà !

Le journal ajoute[17] : Vous vous pressez trop, messieurs les réactionnaires, l'heure d'un 18 brumaire n'a pas encore sonné, et Louis-Napoléon n'est pas de taille à jeter les représentants du peuple par la fenêtre. Les menées des ennemis de la République nous étaient depuis longtemps connues, nous savions qu'on travaillait dans notre département en faveur de Louis-Napoléon ; nous savions qu'on exploitait les souvenirs glorieux de l'Empire... Toutes ces tentatives échoueront devant le bon sens public.

L'Indépendant de Saintes, du 8 juin, dit : ... Les élections qui viennent d'avoir lieu ont fourni un bien petit nombre de votants... mais nous sommes persuadés que sans la candidature de Louis-Napoléon qui s'est produite au dernier moment, il y aurait eu moins de votants encore. Ce nom, lancé nous ne savons par qui et dans quelle intention, a trouvé aussitôt de vives sympathies parmi les habitants des campagnes... On nous assure que des communes entières, munies de bulletins portant Paillet, ancien député, les ont déchirés et remplacés par ceux de Louis-Napoléon. Plusieurs, dit-on, portaient : Vive l'Empereur ! A bas la République ! Vainement, on s'est efforcé de faire comprendre aux électeurs que Louis-Napoléon était banni du territoire français, et qu'il ne pouvait être nommé représentant, ils répondaient : Est-ce que le peuple n'est pas souverain ? Est-ce que la volonté du peuple qui le fera représentant n'est pas plus forte que celle des hommes qui l'ont banni ?Mais, leur disait-on, l'Assemblée nationale cassera l'élection. — Eh bien ! nous le renommerons une seconde fois, et il faudra bien à la fin qu'on l'accepte !

L'accueil enthousiaste fait à la proclamation du scrutin de Paris, à l'Hôtel de ville, impressionna profondément l'Assemblée nationale. A la séance du lendemain, 9 juin, une émotion extraordinaire[18] régnait sur tous les bancs ; on était indigné des cris qui avaient été proférés, et le Journal des Débats, pour traduire le sentiment des représentants du peuple, s'écriait : Tous ceux qui pourraient s'être abandonnés à des rêves insensés ont pu recueillir, dès le premier jour, dès la première heure, l'expression de la volonté du pays.

Le 10 juin, une foule nombreuse se presse aux abords de l'Assemblée, à l'heure de l'ouverture de la séance. Elle veut voir Louis-Napoléon. Jusqu'à quatre heures de l'après-midi elle attend le prince pour l'acclamer. Dans la crainte que l'ordre ne fût troublé, le gouvernement avait massé des troupes de ligne et des bataillons de garde mobile sur le pont de la Concorde et devant le palais de l'Assemblée.

Le soir[19], la commission exécutive et les ministres se réunissent au palais du Luxembourg en séance extraordinaire et décident que, le lundi 12, il serait présenté à l'Assemblée nationale des mesures d'urgence contre l'élection de Louis-Napoléon.

Le lundi matin, une proclamation du général Piat est affichée sur les murs de la capitale. Elle invite les ouvriers à ne pas écouter les factieux qui se servent du nom de Napoléon pour les engager dans une insurrection[20]. Néanmoins, des groupes se forment sur les boulevards, sur la place de la Concorde et devant le péristyle du palais de l'Assemblée. On crie surtout : Vive Napoléon ![21]

A la Chambre, le citoyen Napoléon Bonaparte[22] demande la parole : Louis-Napoléon Bonaparte, dit-il, a été nommé représentant du peuple dans plusieurs départements ; il a été nommé dans le département de la Seine. Son élection fait l'objet de toutes les préoccupations... Je suis son parent, son ami, je ne viens pas me faire l'apologiste de son passé politique ; ce passé m'est complètement étranger, citoyens, et je ne comprendrais pas que vous lui en fissiez un crime. Il est des lois de justice, de loyauté, d'opportunité politique que vous devez observer envers lui comme envers tout citoyen qui, n'a jamais rien entrepris contre la République. Quoi de plus naturel que des gens qui veulent attaquer la République s'arment contre elle de ce nom sous lequel ils cachent leurs coupables, intrigues ? Est-ce une raison pour vous, citoyens, de rendre Louis Bonaparte responsable des agitations que son nom soulève ? Le citoyen Bonaparte est parti... il est retourné à Londres, où il est resté parfaitement étranger à toutes les menées qui se font en son nom depuis quelques jours... Il a refusé positivement, nettement, plusieurs candidatures... Son élection a été inopinée ; personne ne s'y attendait ; elle a étonné tout le monde et moi tout le premier ; elle a surpris Louis Bonaparte lui-même.

C'était vrai ; mais il y avait eu le nom magique de Napoléon ! Mais si le prince n'avait rien fait par lui-même, quelques amis, prodigieux d'activité, de résolution et de foi, avaient agi suffisamment pour que la candidature de Louis Bonaparte, héritier de l'Empereur et passionnément dévoué aux intérêts démocratiques, frappât et retînt l'attention des électeurs.

Le citoyen Flocon, ministre du commerce, répond à Napoléon Bonaparte que le gouvernement, comprenant toute la gravité qui peut s'attacher à la situation présente, prend et prendra toutes les mesures nécessaires pour que la sécurité de la République, pour que l'indépendance et la liberté de la nation ne puissent pas être à un moment compromises.

L'incident clos, M. de Lamartine prend la parole pour faire un discours sur la politique intérieure.

A l'extérieur, la foule était grande aux abords de l'Assemblée, toujours dans L'espérance de voir passer le prince. On crie : Vive Napoléon ! A deux heures, on bat le rappel ; de nombreux pelotons de la garde nationale arrivent place de la Concorde ; en outre, deux régiments de cavalerie et un régiment de ligne entourent et protègent le palais de l'Assemblée. Toute la police est sur pied. Le bruit du tambour ne cesse de se faire entendre et retentit jusque dans la Chambre, qui ne prête qu'une oreille distraite au discours du grand orateur. Le ministre de la guerre et les membres de l'Assemblée qui sont militaires ou officiers dans la garde nationale ont revêtu leur uniforme.

Le flot populaire grossissant toujours[23], M. Clément Thomas, commandant en chef de la garde nationale, monte à cheval, accompagné par les questeurs de la Chambre, les généraux de division Cavaignac et Négrier, et donne à la garde nationale l'ordre de faire évacuer la place. Comme le refoulement ne s'effectue que très lentement et très péniblement, le général Clément Thomas perd patience et s'écrie, en s'adressant aux troupes : Chargez-moi toute cette canaille ! A ce moment, plusieurs coups de feu sont tirés, et un capitaine de la garde nationale est blessé.

Ces nouvelles se répandent dans l'Assemblée. Lamartine interrompt son discours. Pendant que je parlais, dit-il, un coup de feu, plusieurs coups de fusil, assure-t-on, étaient tirés, l'un près le commandant de la garde nationale de Paris, l'autre sur un des braves officiers de l'armée, un troisième enfin sur la poitrine d'un officier de la garde nationale. (Sensation.) Ces coups de fusil étaient tirés aux cris de : Vive l'Empereur ! Messieurs, c'est la première goutte de sang qui ait taché la révolution, éternellement pure et glorieuse, du 24 février. Gloire à la députation, gloire aux différents partis de la République. Du moins ce sang n'a pas été versé par leurs mains ; il a coulé non pas au nom de la liberté, mais au nom du fanatisme des souvenirs militaires et d'une opinion naturellement, quoique involontairement peut-être ennemie invétérée de toute république. (Bravo ! bravo !) ... Lorsque l'audace des factions est prise en flagrant délit et prise la main dans le sang français, la loi doit être appliquée d'acclamation. (Oui... oui !) Voici la déclaration que le gouvernement...

Le citoyen Larabit : Je proteste contre le vote par acclamation. (Longue agitation).

Considérant que Charles-Louis Bonaparte est compris dans la loi de 1832 qui exile du territoire français les membres de la famille Bonaparte ;

Considérant que s'il a été dérogé de fait à cette loi par le vote de l'Assemblée nationale, qui a admis trois membres de cette famille à faire partie de l'Assemblée, ces dérogations tout individuelles ne s'étendent ni de droit ni de fait aux autres membres de la même famille[24] ;

Considérant que la France veut fonder en paix et en ordre le gouvernement républicain et populaire sans être troublée dans son œuvre par les prétentions ou les ambitions dynastiques de nature à former des partis ou des factions dans l'État et, par suite, à fomenter même involontairement des guerres civiles ;

Considérant que Charles-Louis Bonaparte a fait deux fois acte de prétendant en revendiquant une république avec un empereur, c'est-à-dire une république dérisoire au nom du sénatus-consulte de l'an XIII ;

Considérant que des agitations attentatoires à la république populaire que nous voulons fonder, compromettantes pour la sûreté des institutions et pour la paix publique, se sont déjà révélées au nom de Charles-Louis-Napoléon Bonaparte (et nous parlions avant le fatal incident) ;

Considérant que ces agitations, symptômes de manœuvres coupables, pourraient créer une difficulté dangereuse à l'établissement pacifique de la République, si elles étaient autorisées par la négligence ou la faiblesse du gouvernement ;

Considérant que le gouvernement ne peut accepter la responsabilité des dangers que courraient la forme républicaine des institutions et la paix publique s'il manquait au premier de ses devoirs en n'exécutant pas une loi existante justifiée plus que jamais pendant un temps indéterminé par la raison d'État et le salut public,

Déclare qu'il fera exécuter, en ce qui concerne Louis Bonaparte, la loi de 1832 jusqu'au jour où l'Assemblée nationale en aura autrement décidé. — Bravo ! bravo ! Applaudissements redoublés. Toute l'Assemblée se lève comme un seul homme en agitant les mains et en criant : Vive la République ![25]

 

Après une pareille manifestation, le prince semble irrémédiablement perdu.

Le citoyen Bonaparte[26] monte à la tribune au milieu d'un profond silence : Représentants du peuple, tous ceux qui portent mon nom flétrissent et flétriront l'attentat qui vient de se commettre. Il est possible que ceux qui l'ont commis crient : Vive l'Empereur ! mais ils sont bien coupables, en versant le sang français, d'avoir profané le nom de l'homme qui avait tant d'horreur de la guerre civile, de l'homme qui, pour l'éviter, en 1815, a sacrifié sa couronne et sa famille. (Marques d'assentiment.) Les vieux soldats de la Loire le savent, la France le sait. Pour ma part, je ne comprends pas des soupçons que je ne mérite pas... A la première nouvelle de notre heureuse révolution, je suis accouru de l'exil, j'ai prêté spontanément, entre les mains du gouvernement provisoire, mon serment de fidélité à la République ; je n'en prêterai jamais d'autre. (Bravo ! bravo !) La main sur la conscience, je puis dire que je suis républicain de père en fils. (Très bien ! très bien !) Si la République était attaquée par des réactionnaires ou des anarchistes, je suis également prêt à quitter ces bancs pour me porter au premier rang de ses défenseurs. (Marques unanimes d'assentiment.) La République, je la veux inviolable, elle est mon idole ; je ne veux qu'elle, et j'aimerais mieux mourir que de voir autre chose. (Bravo ! bravo ! Applaudissements prolongés.)

Le fils du roi Jérôme, le citoyen Napoléon Bonaparte, vient dire à son tour : ... L'Empire est un souvenir que la grande majorité des Français respecte comme une grande époque, mais que personne de nous, sachez-le bien, n'entend invoquer ici pour le présent ni pour l'avenir ; c'est une chimère que l'Empire ; aujourd'hui c'est une grande époque dans l'histoire... Il termine en protestant contre toute corrélation entre les troubles qui sont commis et le nom contre lequel on demande un décret de proscription[27].

Nous n'entendons pas, dit le Journal des Débats, porter un jugement contre M. Louis-Napoléon. Qu'il soit étranger à ces intrigues, comme l'ont affirmé avec énergie M. Napoléon Bonaparte et M. Pierre Bonaparte, c'est possible. Il est possible que le parti démagogique cherche à s'emparer d'un nom glorieux... La mesure prise... contre M. Louis Bonaparte est une mesure de prudence et de nécessité peut-être. La France veut décider elle-même de son sort. Elle n'acceptera un gouvernement que de l'Assemblée qu'elle a nommée... La France ne reconnaît pas de prétendants. Elle a des droits, et personne n'en a qu'elle. Nous n'avons pas de rois ou d'empereurs à faire !

Au milieu de la foule, dit la Vraie République (13 juin), on a crié : Vive l'empereur Napoléon !... L'agitation a pour drapeau le nom d'un prince... Donc elle est faite contre la République...

Le Siècle (12 et 13 juin) est d'avis que le gouvernement fait fausse route. Nous doutons que la réflexion soit favorable à l'expédient dont la commission a voulu faire un bouclier pour la République. La République nous paraît assez forte pour n'avoir pas besoin de s'abriter derrière une loi de proscription que l'Assemblée nationale avait déchirée de ses propres mains en proclamant l'abolition des traités de 1815 et en admettant dans son sein trois membres de la famille de Napoléon. Est-il prudent, est-il sage de vouloir aujourd'hui exhumer cette loi de bannissement ? Et lorsque, sur la foi de cette abrogation, proclamée par les votes de l'Assemblée elle-même, trois ou quatre départements ont porté leurs libres suffrages sur un quatrième membre de cette famille, prétendre lui fermer par cette invocation posthume d'une loi d'exil les portes de la représentation nationale, n'est-ce pas aller contre le but qu'on veut atteindre, et grandir soi-même le péril contre lequel on s'efforce de se prémunir ? Ne s'expose-t-on pas à voir les populations relever l'espèce de défi qu'elles peuvent croire ainsi porté à leur libre suffrage ? Et ne serait-il pas possible que d'ici à un mois on se trouvât en présence des mêmes difficultés accrues et compliquées par la persistance des citoyens à réélire le candidat repoussé ? . . . . . . . . . . Ne vaudrait-il pas mieux laisser Louis-Napoléon venir s'asseoir au sein de la représentation nationale ? De deux choses l'une : ou il est innocent des desseins qu'on lui prête, et alors sa conduite déconcertera les machinations auxquelles il prête à son insu le concours de son nom ; ou ce nom est pour lui le principe secret d'une ambition coupable, et alors l'inviolabilité du mandat populaire ne le protégera pas contre la responsabilité des complots que la loi atteint partout. On peut même ajouter qu'un prétendant vu de près deviendrait beaucoup moins dangereux ; le public serait bien plus vivement frappé de la disproportion qui peut exister entre l'homme et le rôle.

La Patrie (13 juin 1848) condamne aussi la déclaration faite à l'Assemblée par le gouvernement : La commission exécutive a tort... Boulogne et Strasbourg sont là pour nous édifier sur ce qu'on doit attendre du prince Louis. Que la commission exécutive et que l'Assemblée nationale surtout y prennent garde. Le prince Louis peut avoir d'excellentes intentions, et nous voulons le croire ; mais permettez-lui... d'entrer à la Chambre, et de lui-même il donnera la mesure de sa véritable valeur. La tribune laissée libre au prince Louis ne montrera, nous le croyons, qu'un obscur représentant du peuple ; défendez-lui cette même tribune, elle deviendra pour lui le marchepied d'un prétendant.

Ce raisonnement était faux à l'égard d'un homme qui s'appelait Napoléon et qui, par le fait de son entrée au Parlement, de sa présence à Paris, allait se trouver en contact intime et journalier avec la population si inflammable de la grande ville, où il devait, à cette époque si troublée et si désorientée de notre histoire, enfanter un irrésistible courant napoléonien. Louis Blanc se trompe donc aussi quand, dans ses Révélations historiques, après avoir écrit qu'au mois de juin[28] personne en France ne connaissait M. Louis Bonaparte autrement que comme le neveu de son oncle et l'auteur de deux folies fameuses..., il ajoute : La commission exécutive le fit vivre à force de le craindre. Les discussions soulevées par son élection au sein de l'Assemblée nationale le mirent en vue. Par cela seul qu'il avait été élu et plusieurs fois élu, il devenait tout-puissant, d'autant plus que cette toute-puissance se révélait dans un coup de foudre.

Le prince Louis, dit le Charivari (12 et 13 juin), a poussé de terre en quarante-huit heures ; il se montre aux yeux étonnés comme un phénomène de végétation. — Demandez le portrait du prince Louis, un sou ! Demandez le Napoléon républicain, un sou ! l'Aigle républicaine, un sou, toujours un sou ! Il y a encore le Napoléonien[29]... Refusez le portrait, on vous le met de force dans la main ; rejetez le Napoléon républicain, on vous le glisse dans la poche. L'aigle napoléonienne vole sur la foule, de chapeau en chapeau, ne pouvant comme autrefois voler de clocher en clocher. Hier, on distribuait de petits drapeaux tricolores avec cette inscription : Vive le prince Louis ! Les passants n'en voulaient pas, on les leur mettait de force à la boutonnière. On se demande quelle rosée bienfaisante a tout à coup fait éclore ces fleurs du bonapartisme. D'où vient cet amour subit... pour un inconnu ?... Le prince Louis ne fait rien comme tout le monde, il ne lui arrive que du surnaturel. Le prince Louis a complètement négligé d'édifier les hommes sérieux sur ses mérites réels. Qu'a-t-il fait ? Qu'a-t-il pensé ? Qu'a-t-il écrit ? Quand a-t-il donné la mesure de sa personne ? A quoi a-t-il employé les heures oisives de son exil ?... Le prince Louis (n'est pas) autre chose pour les gens raisonnables qu'un capitaine suisse...

Sottise ! — Mais c'était bien là la note de la classe dirigeante, la note des hommes politiques, qui, à la première heure, à l'heure décisive, ignorant ce qu'ils auraient du connaître, à savoir les écrits du prince et par conséquent la grande valeur de l'héritier de Napoléon, parlaient comme le Charivari et allaient, dans leur profonde habileté, le faire ou du moins le laisser monter au fauteuil de la présidence de la République, croyant innocemment n'y mettre qu'un chapeau !

Dans la séance du mardi 13 juin, l'Assemblée nationale allait statuer sur l'élection du prince. Le citoyen Degousée, convaincu que la cause de celui-ci, à la suite de ce qui s'était passé la veille, était perdue, voulut faire la part du feu et prit les devants. Citoyens, dit-il, le 2 de ce mois nous avons déposé une proposition demandant l'abrogation de l'article 6 de la loi du 10 janvier 1832, relative au bannissement de la famille Bonaparte... Les circonstances graves qui ont surgi me font un devoir de présenter un amendement ainsi motivé :

Néanmoins ces dispositions sont provisoirement maintenues en ce qui concerne le citoyen Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, à raison des deux tentatives faites par lui pour établir en France un gouvernement dynastique, tentatives qui se renouvellent aujourd'hui en son nom, — et je crois sans sa participation ; mais enfin, dans les circonstances graves où nous sommes, quand hier soir encore, pour rendre libres les abords de ce palais, nous avons été obligés, à neuf heures du soir[30], de faire faire par le commissaire de police des sommations réitérées et de les faire suivre par des charges de cavalerie, et quand à la vue du palais national, au milieu des représentants, nous entendions le cri de : A bas la République ! Vive l'Empereur ! nous croyons que ce n'est pas le cas d'admettre le citoyen Louis-Napoléon ; et nous le croyons assez bon citoyen lui-même pour s'abstenir provisoirement. Je me suis servi du mot provisoirement parce que j'espère que sous peu, dans quinze jours ou un mois, l'abrogation complète de l'article 6 de la loi de 1832 aura lieu.

 

Les dernières paroles de l'orateur se perdirent dans le bruit, la conclusion si bienveillante de celui-ci ne cadrant pas avec la sévérité de ses observations.

C'est alors que le citoyen Jules Favre monta à la tribune pour rendre compte au nom du 7e bureau des opérations électorales du département de la Charente-Inférieure, où le prince avait été élu par 23.022 voix. La loi de 1832, dit-il, aux yeux du pays tout entier, vous l'avez déclarée abrogée par votre ministre de la justice. Le citoyen Bonaparte n'est plus un simple citoyen, ce n'est plus un prétendant, c'est un élu du peuple. Dès lors cette consécration souveraine change sa situation ; si elle lui impose de grands et solennels devoirs, elle lui crée aussi des droits qui, je pense, trouveront ici autant de défenseurs que de représentants... Vous demandez contre lui une mesure exceptionnelle ; au nom de quel fait ? Le citoyen Louis Bonaparte s'est-il montré mêlé à ces agitations ? Avez-vous lu sa correspondance ? Avez-vous surpris sa main semant l'or dans ces groupes organisés qui menacent la tranquillité publique ? Oh ! alors l'Assemblée tout entière se joindra à vous... pour faire triompher la liberté contre l'étendard dérisoire d'un empire impossible... (Très bien !) La position du citoyen Louis Bonaparte est celle d'un simple citoyen qui a été élu par le peuple ; s'il a commis un crime, qu'on le poursuive ; mais si on ne prend pas sa main dans le complot, on n'a pas le droit de porter atteinte à son inviolabilité. Voilà ma pensée clairement résumée. Maintenant vous venez au nom de la raison d'État... prétendre que le fait seul de la présence du citoyen Louis Bonaparte, même innocent, même étranger à ces manifestations coupables qui ont amené hier un déplorable attentat, que sa présence, dis-je, peut être une cause de trouble inquiétante pour la paix publique. Eh bien ! messieurs, je dis que quand bien même cette éventualité serait certaine, comme c'est nous qui l'avons faite, comme c'est nous qui avons, pour ainsi dire, provoqué, toléré, encouragé la souveraineté nationale, nous devons la subir et nous ne devons pas laisser écrire dans une déclaration que la République que nous avons fondée est tellement chancelante que la présence d'un seul homme peut la mettre en danger. (Très bien ! très bien !) Quant à moi, j'ai la conviction profonde du contraire ; j'ai la conviction profonde que dans un zèle excessif et mal entendu la commission exécutive a mal à propos grandi la personnalité du citoyen Louis Bonaparte, et qu'elle a laissé croire que l'État populaire français pouvait être renversé par le souffle d'un pygmée ! (Mouvement...) Le lieu de son combat, ce sera la tribune, et... ce qu'il y avait de plus politique et de plus sage, c'était de l'y convier. (C'est vrai...) Est-ce que vous ne comprenez pas... que si le citoyen Louis Bonaparte était assez fou, assez insensé pour rêver à l'heure qu'il est une sorte de parodie de ce qu'il a fait en 1840, il serait couvert par le mépris de ses concitoyens et celui de la postérité ? (Agitation en sens divers.) Cependant cet homme... irait changer la position que lui a faite le suffrage populaire contre le misérable rôle d'un factieux qui serait mis hors la loi et traîné au bout de vingt-quatre heures sur la claie ; non, cela n'est pas possible... Croyez-vous qu'il soit dangereux de le voir paraître à cette tribune ?... Ne le redoutez pas plus que je ne le redoute moi-même !... Il n'y peut paraître qu'à la condition de mettre à l'instant même sous ses pieds toutes ses folies... de se grandir... en dépouillant cette misérable parodie du manteau impérial qui ne va pas à sa taille... Le citoyen Louis Bonaparte paraissant à cette tribune et y faisant entendre les paroles généreuses qui ont été prononcées par l'un des membres de sa famille, paroles qui, quant à moi, m'ont ému jusqu'aux larmes (chuchotements et bruits divers), tuerait d'un seul coup ce qu'on appelle le parti bonapartiste... (Mouvements prolongés.) Le citoyen Louis Bonaparte, en France, n'y sera rien qu'un citoyen ; le citoyen Louis Bonaparte, repoussé, au contraire, par votre vote, sera rejeté dans sa qualité de prétendant, et il repassera la mer avec quelques centaines de mille de suffrages des électeurs, qui jusqu'à un certain point lui donneront une sorte de légitimité. (Réclamations nombreuses.) Voilà le danger que je veux éviter, voilà la politique à laquelle je ne veux pas m'associer. Cette pensée, messieurs, a été celle de la majorité de votre bureau ; en conséquence, j'ai l'honneur de vous proposer l'admission du citoyen Louis Bonaparte.

Discours d'avocat et de rhéteur, ce n'était pas là le langage d'un homme d'État qui connaît le tempérament national et l'histoire de son pays.

Le citoyen Bûchez, rapporteur de l'élection de la Seine au nom du 10e bureau, vient présenter des conclusions diamétralement opposées : ..... Par le fait des circonstances... l'élection de Louis Bonaparte amène chez nous un nouveau prétendant. Que s'est-il passé depuis l'élection ? Ce ne sont pas de simples cris de : Vive Bonaparte ! qui ont été seulement prononcés ; il en a été prononcé d'autres qui étaient autre chose qu'un appel à des souvenirs, qui étaient plus que cela... L'Assemblée nationale doit suivre la ligne politique qui est indiquée, qui est déterminée, qui est décidée par les circonstances... Pouvez-vous douter qu'il s'agisse ici d'un prétendant lorsqu'il s'est présenté deux fois, non pas pour renverser un gouvernement qui pesait sur la France, mais pour réclamer l'Empire en son nom, en vertu d'un sénatus-consulte ancien, comme étant l'héritier direct du trône impérial ? (C'est cela !)... N'a-t-on pas crié : Vive l'Empereur !... C'est un prétendant... Vous dites que vous pouvez le recevoir ici. Oui, mais il sera accompagné de l'acclamation populaire, qui le grandira tous les jours ! (Rumeurs confuses.) C'était la vérité même, et le citoyen Buchez parlait en homme politique, n'écoutant que la froide raison.

Le citoyen Desmares, rapporteur, au nom du 6e bureau de l'élection de l'Yonne, déclare, sans autre discours, que celui-ci a conclu à l'admission du citoyen Louis Bonaparte.

Le citoyen Vieillard vient défendre la cause du prince : On a dit que sa triple élection était le résultat d'un complot, et que, transportant la conspiration du collège électoral dans la rue, c'était lui qui soudoyait avec je ne sais quel trésor emprunté à je ne sais quelles puissances, tous ces attroupements, toutes ces manifestations criminelles dont vous avez été témoins depuis deux jours. Je donne à ces assertions le plus formel démenti ; je le donne en son nom parce que je le connais ; son élection a été le résultat tout simple, tout naturel du nom qu'il porte.

Les Persigny, Laity et Cie durent déployer une activité prodigieuse avant les opérations électorales, mais seulement au point de vue des moyens matériels de faire aboutir cette élection : affiches, bulletins, etc. Le silence universel de la presse est la preuve de la vérité de la déclaration de M. Vieillard, à savoir que le nom seul a tout fait, dans les conditions psychologiques où se trouvait le corps électoral. M. Vieillard donne ensuite lecture de la lettre du prince en date du 11 mai 1848, déjà citée, et il ajoute : Le citoyen Louis Bonaparte ne prétend à rien qu'à être citoyen français, membre de l'Assemblée nationale, et à venir ici jouir de toutes les immunités que le suffrage universel lui a conférées.

Le citoyen Marchal répond : Celui qui frappe à notre porte est un prétendant. S'il ne l'est pas aujourd'hui, il l'a été ; par deux fois il a fait acte de prétendant ; rappelez-vous Strasbourg ; rappelez-vous Boulogne... Me fît-il maintenant les déclarations les plus formelles, les protestations républicaines les plus énergiques, je n'en persisterais pas moins à lui refuser l'entrée de cette salle et le territoire de la République... S'il ne porte plus le drapeau de prétendant, des factieux voudront encore l'en couvrir, et il ne dépendra pas de lui que des ennemis de la République ne se servent de son nom et de sa personne pour fomenter des troubles... Rappelez-vous enfin que c'est à Louis Bonaparte que d'anciennes constitutions rattachent les éventualités de l'héritage impérial.

Le citoyen Fresneau ne veut pas que des subtilités puissent prévaloir contre le sentiment populaire qui vient de se faire entendre dans quatre départements... Y a-t-il une raison d'État suffisante, une conspiration assez sérieuse pour que le langage des électeurs dans quatre départements ne soit pas entendu ?... Il vous a envoyé un descendant de l'Empereur, parce qu'il aime l'Empereur (agitation) ; le pays vous l'a envoyé en toute confiance, parce qu'il a foi dans sa souveraineté.

Le citoyen Clément Thomas, qui commandait la garde nationale, déclare que le prince ne saurait être rendu responsable du coup de fusil qui a été tiré.

Le citoyen Repellin s'écrie : Si les mouvements tumultueux qui s'accomplissent dans la rue au nom de : Vive l'Empereur ! prennent de la consistance, un jour viennent à acclamer Louis Bonaparte dictateur ou empereur... (Allons donc !) y a-t-il un de vous qui puisse dire qu'il ne se rencontrera pas ici et partout enfin bien des gens pour excuser ce 18 brumaire et pour le colorer d'un prétexte de bien public ? Cela s'est fait toujours, et cela peut se faire encore.

Le citoyen Vieillard se lève pour protester.

Louis Blanc apporte l'appui de l'extrême gauche au prince : L'embarras pour la République existerait si, par le décret qu'on vous propose, vous en veniez à irriter les sympathies que peut avoir excitées celui que vous appelez un prétendant, à donner une importance néfaste à des agitations factices peut-être, soldées peut-être, dont le mépris public fera justice. Ne grandissez pas les prétendants par l'éloignement ; il nous convient de les voir de près, parce que, alors, nous les mesurerons mieux. (Très bien !) L'oncle de Louis-Napoléon, que disait-il ? Il disait : La République est comme le soleil. Laissez le neveu de l'Empereur s'approcher du soleil de notre République, je suis sûr qu'il disparaîtra dans ses rayons (Mouvement.) Je ne crains pas, quant à moi, les prétendants, je ne les crains pas. Et quelles seraient donc les prétentions du neveu de l'Empereur ? J'ignore ce qu'il veut, ce à quoi il aspire ; mais il serait vraiment peu digne du bruit qu'on fait autour de son nom, s'il s'imaginait qu'aujourd'hui l'Empire est à refaire... Non ! L'Empire ne sera pas refait, parce que le temps des empereurs et des rois est à jamais passé... Il viendrait faire concurrence avec un nom à une République qui est précisément la grande victoire de la raison humaine et de l'égalité sur le prestige des noms, sur le respect imbécile des majestés de convention. Qu'il vienne donc faire concurrence à l'égalité ! Il n'y a pas à la République que nous avons fondée, qui s'appuie sur des millions de suffrages... de concurrence sérieuse... Ne faites pas dire que la République a peur d'un homme... Si la candidature du citoyen Louis Bonaparte (à la présidence de la République) pouvait être posée, elle le serait précisément par nos débats et par nos terreurs. (C'est vrai !) Voulez-vous empêcher Louis Bonaparte d'arriver à jamais comme président de votre République ? Écrivez dans la Constitution l'article que voici :

Dans la République fondée le 24 février 1848, il n'y a pas de président.

Faites cet article-là, vous tuez la candidature du citoyen Louis-Napoléon. (Rires et bruit.)

Le citoyen Pascal Duprat répond à Louis Blanc : ... Ce n'est pas le nom que je viens accuser ici. On vous a dit qu'il ne fallait pas craindre un nom ; ce nom, vous ne l'avez pas craint..., vous l'avez introduit ici, parce que ce nom, alors, n'était pas une faction, parce que ce nom, alors, n'était pas menaçant pour la République, parce que, autour de ce nom, quand vous l'avez admis, il n'y avait ni complot, ni sédition, ni rumeurs publiques. Ainsi donc, en admettant ce nom, vous avez rendu un hommage juste et légitime au passé ; si ce nom eût été repoussé, j'aurais réclamé moi-même pour qu'on l'admît, quoiqu'il y eût peut-être une certaine justice à ce que ce nom qui a tué la liberté subît une expiation. (Rumeurs.) Mais ici ce n'est pas le nom que vous repoussez. Voyez ce qui se passe autour de vous. Est-ce que vous n'avez pas partout sur vos places publiques, dans la foule qui vous environne, la physionomie de la guerre civile ?... Je ne dis pas que le citoyen Louis Bonaparte ait mis sa main dans ce complot, je ne dis pas qu'il soit le chef et l'âme de cette sédition qui se prépare, ou qui plutôt éclate autour de vous ; mais enfin c'est peut-être le malheur de son passé. Pouvez-vous le dégager du passé qui, hier encore, dominait vos esprits et vos consciences ? Pouvez-vous oublier qu'il a été deux fois le prétendant à un Empire impossible, je le veux, mais enfin le prétendant à l'Empire ?... En repoussant Louis Bonaparte, ce n'est pas le nom que vous proscrivez, c'est la République que vous défendez !

L'Assemblée venait d'entendre le langage de la raison même.

Le citoyen Ferdinand de Lasteyrie monte alors à la tribune pour exposer les idées d'une partie de la droite : Citoyens, je ne suis pas bonapartiste ; les souvenirs de l'Empire devant lesquels je m'incline ne m'inspirent aucune sympathie... Si je viens soutenir les conclusions de votre commission, c'est au nom de la souveraineté nationale... Je croirais manquer à mon devoir si je ne venais protester au nom de ce grand principe... Il y a quelque chose de plus haut que la loi... les principes... ils sont au-dessus de nous... (Marques d'assentiment.) C'est au nom de la République de 1848 qu'on rappelle les lois que deux dynasties de Bourbons avaient forgées dans le sentiment de leur impopularité pour se défendre contre la dynastie de Bonaparte... Dans les tentatives du citoyen Bonaparte il n'y avait rien de républicain, j'en conviens. Il avait pu rêver, en présence d'une dynastie qui n'était pas du goût de la France — elle l'a bien prouvé depuis —, il avait pu rêver que sa propre dynastie avait quelque chance. Insensé, si de pareils rêves se renouvelaient aujourd'hui. Parle-t-on des faits plus récents... faits déplorables... criminels ?... Trop de doutes planent encore... Qu'il vienne ici, et alors s'il est reconnu coupable, ne craignez pas de demander l'autorisation de le poursuivre. Mais s'il est innocent, vous auriez fait un abus de pouvoir inqualifiable en frappant par avance un innocent...Si Louis Bonaparte se présente ici en bon citoyen, il a droit à ce que chacun de nous lui tende fraternellement la main...

Le gouvernement intervient alors en la personne de Ledru-Rollin : Une loi existe..... Il n'y a pas d'argument, si développé qu'il soit, qui puisse prévaloir contre un fait... On vient dire : Vous violez la souveraineté du peuple... Comment ! vous reconnaîtriez que un, deux, trois départements constituent la souveraineté du peuple ?... (Très bien ! très bien ! Réclamations.) Les auteurs de la Déclaration des droits de 1793... déclarent que la souveraineté du peuple existe dans l'ensemble et ne peut exister dans un individu seulement... Autrement, c'est du protestantisme ; ce n'est pas la foi dans la souveraineté du peuple. La souveraineté du peuple existe dans l'universalité, dans l'absolu. Autrement... il peut convenir à un département de nommer un prétendant... II peut convenir à un département de nommer le comte de Paris ou Henri V. Quel est celui d'entre vous qui viendrait soutenir qu'un département ainsi égaré et protestant pèse lui seul dans la balance autant que l'ensemble de la nation ?... (Mouvement prolongé.) En droit et en fait, quand la souveraineté du peuple, qui est l'universalité que vous représentez, décide que le département s'est mépris, vous ne pouvez pas dire qu'on attente à la souveraineté, car la majorité de la nation constitue, dans son essence, la souveraineté entière, absolue, indivisible du peuple... Ce qu'il faut respecter, c'est l'ensemble de la nation, et non pas le vœu isolé d'un département. Voilà les principes. On a laissé entrer dans cette enceinte des membres de la famille Napoléon... Je considère cela comme un acte de magnanimité... mais ces membres n'avaient pas dans leurs précédents de conspirations... A Paris, des embauchages ont eu lieu pour former une nouvelle garde impériale... il y a eu de l'argent distribué, il y a eu sur la place publique du vin versé à profusion... à tout le monde, au nom de l'empereur Napoléon ; un attentat a été commis près de nous au cri de : Vive Napoléon empereur ! Hier, vous avez tous entendu, comme moi, entre la porte Saint-Denis et la porte Saint-Martin, des cris de Vive Napoléon ! vive l'Empereur[31] ! Il y a plus, trois journaux ont été fondés en quatre jours... déclarant qu'il faut élire un président à l'instant même et nommer Louis Bonaparte... annonçant qu'une grande partie de la banlieue allait se rendre au-devant de lui pour lui former un immense cortège, une entrée triomphale ! N'est-ce rien que cela ?... Nous avons fait notre devoir, faites le vôtre !... (Mouvement prolongé.) Prévenir pour conjurer des malheurs probables, telle est notre pensée. (Très bien ! très bien !) Avant tout nous sommes des hommes d'État ; nous ne pouvons pas nous laisser guider seulement par des sentiments, nous avons à maintenir l'ordre... L'émeute sévit ; on s'est battu hier ; on peut se battre ce soir, cette nuit ; une loi existe ; pourquoi ne l'exécuterions-nous pas ?... On avait proscrit à jamais, et nous venons demander l'exécution provisoire !... Deux fois il a été prétendant, deux fois il a parlé au nom des droits héréditaires de l'Empire. Eh bien ! depuis qu'il est nommé, est-il venu dire : Je m'incline devant la République... Je mourrai simple citoyen de la République que ce peuple a glorieusement fondée. (Applaudissements.) A-t-il dit cela ? Qu'il le dise, et alors votre loi... pourra être modifiée !

De toutes parts on crie : Vive la République ! L'Assemblée est profondément agitée par ce discours d'une si puissante dialectique. Le sort du prince paraît compromis. C'est alors que le citoyen Bonjean s'élance à la tribune : Il n'est pas exact de dire, s'écrie-t-il, que le prince Louis n'a pas fait acte d'adhésion à la République. Et il donne lecture de la lettre du 24 mai 1848 que nous avons reproduite[32].

Jules Favre revient à la charge en faveur du prince : Je demande si la loi peut avoir ses préférences, ses exclusions, si admettre un pareil principe, ce ne serait pas pervertir la morale publique et faire descendre de cette tribune une doctrine funeste qui pourrait engendrer mille périls. Lorsque trois membres de la famille Bonaparte ont été admis au milieu de vous, la loi de 1832 a été formellement abrogée. (Non ! non !) Le citoyen Louis Bonaparte a par deux fois troublé la tranquillité publique... Ces laits existaient lors de la discussion de la prise en considération de la proposition du citoyen Pietri, ils étaient acquis à l'histoire... Cependant vous n'avez pas élevé la moindre objection contre l'abrogation de la loi de 1832 en ce qui touche le citoyen Louis Bonaparte... Les affiches apposées dans Paris, annonçant la candidature du citoyen Louis Bonaparte... vous les avez respectées... Ce que vous demandez à l'Assemblée, c'est l'arbitraire dans l'exécution de la loi. (C'est vrai !) Que reste-t-il ? Un seul fait... c'est celui qui s'est produit hier... Pouvez-vous insinuer que de près ou de loin le citoyen Louis Bonaparte soit coupable de pensées pareilles ? (Mouvement en sens divers.) Dès l'instant que le citoyen Louis Napoléon a été élu représentant du peuple, il ne pourrait, sans être taxé d'infamie, conserver les souvenirs en vertu desquels il ferait revivre des droits qui, grâce à Dieu, sont éteints. Il est impossible sur une simple fiction, sur une insinuation, lorsque rien n'est prouvé, de décréter, par une mesure de suspicion, qu'un représentant du peuple ne sera pas admis. (Mouvements en sens divers. Aux voix !)

L'Assemblée vote l'admission du prince, à une grande majorité[33].

Paris ce jour-là était agité ; il y avait foule sur la place de la Concorde et sur les terrasses des Tuileries. Un certain nombre de curieux portaient à leur chapeau une petite plaque figurant un aigle[34]. Des forces considérables avaient été mises sur pied et occupaient tous les abords de l'Assemblée. On dégagea la place de la Concorde et on fit évacuer les Tuileries. C'est alors qu'une tentative de barricade fut faite rue du Mont-Thabor, au coin de la rue Castiglione ; des arrestations eurent lieu, mais les personnes arrêtées furent délivrées par la foule. Au coin de la rue de Rivoli, un sieur Savary, gardien de la paix, fut assailli et blessé aux cris de : Vive Louis-Napoléon ! Vive l'Empereur !

Les murs se couvrent de placards en faveur du prince, contenant, par exemple, une constitution de l'Empire napoléonien. A la porte des Tuileries on vend une médaille à l'effigie de Louis-Napoléon avec la date de sa naissance et celle de son élection ; des hommes promènent dans les rues son portrait gravé, collé sur une planche portée au bout d'un bâton[35].

La Patrie annonce qu'après le vote d'admission Ledru-Rollin a donné sa démission de membre de la Commission exécutive.

Quel est au fond, disent les Débats (14 juin), le sens de ce vote ? C'est que la souveraineté réside dans une fraction autant que dans l'ensemble, qu'elle est aussi entière dans une partie que dans le tout. M. Louis-Napoléon, exclu du territoire de France par une loi qui subsiste encore, devient l'élu d'un département, et cette élection a le pouvoir d'abroger, d'oblitérer et d'abolir la loi. La question a été très nettement posée en ces termes... L'interprétation donnée... par l'Assemblée à la doctrine de la souveraineté nationale nous paraît être le renversement de tous les principes connus et possibles. On ne pouvait mieux dire.

Le Siècle (14 juin), au contraire, estime que M. Jules Favre a établi jusqu'à la dernière évidence que, dans l'opinion de la Chambre tout entière, il ne restait plus rien de la loi de 1816... Le 2 juin, le langage du ministre de la justice — déclarant que la loi de 1832 n'avait pu survivre une heure aux barricades de Février — était ratifié par des acclamations unanimes ; non seulement il ne provoquait aucun désaveu de la part de la commission exécutive, mais le gouvernement par sa conduite en acceptait la solidarité. Est-on bien venu aujourd'hui à opposer cette loi de 1832 comme une fin de non-recevoir à la volonté souveraine des électeurs qui, sur la foi des actes de l'Assemblée nationale et du pouvoir exécutif lui-même, ont cru cette loi néfaste ensevelie sous les barricades de Février ? — M. J. Favre n'a pas traité avec moins de vérité et de talent le côté politique de la question ; il ne lui a pas été difficile de prouver que la générosité avait la valeur d'un bon calcul ; le moyen de grandir un prétendant, c'est d'afficher la crainte qu'il inspire, c'est de lui donner le double prestige de l'éloignement et de la persécution, c'est surtout de personnifier en lui la violation d'un principe aussi imposant que celui de la souveraineté nationale. Ce que la politique conseille bien plutôt, c'est de convier le citoyen dont le nom pourrait avoir une influence dangereuse à venir s'asseoir au foyer de la représentation nationale et se soumettre au niveau de la loi commune. La tribune est un mauvais terrain pour les prétendants ; les regards du public les mesurent à leur taille réelle..... L'effet du vote d'admission a été immense. Si nos secrètes pensées, si nos vœux intimes se rattachaient à l'absurde chimère d'une parodie de l'Empire, au lieu de nous réjouir de la résolution de l'Assemblée, nous nous associerions aux regrets et au dépit que semblaient éprouver un certain nombre de républicains de la veille. Car nous sommes convaincu profondément qu'un prétendant ne saurait vivre et respirer longtemps dans l'atmosphère de la représentation nationale et en face de la tribune. Selon nous, l'Assemblée a fait acte de sagesse et de déférence bien avisée pour la souveraineté nationale... Selon l'expression de M. de Lamartine, elle a conspiré avec le prétendant, comme le paratonnerre conspire avec les nuages pour en dégager la foudre. Le gouvernement s'égarait, l'Assemblée l'a contenu, elle l'a redressé, elle a mieux aimé se montrer généreuse, confiante, que de rendre force à un vieux décret de proscription qu'elle a implicitement aboli il y a un mois. Il faut la féliciter sans réserve de cet acte de raison et de courage. Les acclamations de la garde nationale l'ont déjà accueillie au sortir de la séance ; à ces acclamations vont répondre, nous en sommes sûr, celles de la France entière, car la France se souvient que les lois d'exception, que les lois de salut ne l'ont jamais préservée d'aucun péril.

Dans son numéro du 15 juin le Siècle développe la même thèse : ... Pourquoi les Bonaparte ont-ils été exclus du territoire français par les Bourbons ? Évidemment parce que sous les principes monarchiques on admettait que les Bonaparte pouvaient croire tenir de leur naissance un droit au trône, et que la France ne voulait pas, à ses risques et périls, ouvrir un conflit entre deux dynasties. Cette exclusion avait-elle encore un sens quelconque contre les Bonaparte après la proclamation de la République et l'abolition explicite et formelle de tout privilège de naissance ? Certainement non. Les Bonaparte sont de simples citoyens français, et nous ne sachions pas qu'ils réclament d'autres titres et d'autres droits. Mais, dit-on, Louis Bonaparte en qualité de prince français a tenté deux fois de se faire proclamer empereur... Notre opinion sur ces deux tentatives est aujourd'hui ce qu'elle était lorsque nous avons eu à les qualifier, mais nous ne comprenons pas que la République puisse se dire ou se voir blessée par un effort tenté pour interroger le peuple sur la validité de l'élection de la dynastie d'Orléans. Les organes de la République, avant et après le 24 février, n'ont-ils pas toujours soutenu que cette élection a été surprise au peuple, qui ne l'a jamais formellement ratifiée ? Par la proclamation du principe républicain la loi du bannissement contre les Bonaparte a été virtuellement abrogée... Est-il une abrogation plus formelle, une désuétude mieux constatée que celles qui ont frappé la loi de bannissement contre les Bonaparte, le jour où l'Assemblée souveraine a dit : Il n'y a plus de rois, plus de princes, plus de monarchie... Il n'y a aucune similitude entre la position d'un Bourbon et celle de Louis Bonaparte. La loi qui bannit la famille des Bourbons a été rendue par la République... par une Assemblée sortie du suffrage le plus universel, le plus direct qui ait jamais été pratiqué chez aucun peuple.

Puis, par une contradiction inexplicable avec la thèse à notre sens erronée qu'il vient de soutenir, le Siècle ajoute sans réflexions :

Un journal a pensé que la citation suivante des Mémoires de l'empereur Napoléon ne manquerait pas aujourd'hui d'opportunité : Lorsqu'une déplorable faiblesse et une versatilité sans fin se manifestent dans les conseils du pouvoir, lorsque, cédant tour à tour à l'influence des partis contraires et vivant au jour le jour sans plan fixe, sans marche assurée, il a donné la mesure de son insuffisance, et que les citoyens les plus modérés sont forcés de convenir que l'Etat n'est plus gouverné, lorsqu'enfin à sa nullité au dedans l'administration joint le tort le plus grave qu'elle puisse avoir aux yeux d'un peuple fier, je veux dire l'avilissement au dehors, alors une inquiétude se répand dans la société, le besoin de conservation l'agite, et promenant sur elle-même ses regards, elle semble chercher UN HOMME qui puisse la sauver. Ce génie tutélaire, une nation nombreuse le renferme toujours dans son sein... Que le sauveur impatiemment attendu donne tout à coup un signe d'existence, l'instinct national le désire et l'appelle, les obstacles s'aplanissent devant lui, et tout un grand peuple volant sur son passage semble dire : Le voilà ! (Mémoires de Napoléon Ier, 6e volume, 18 brumaire, pages 49 et 50).

 

Les journaux annoncent l'arrestation de M. de Persigny, cet incomparable agent du prince qui avait si merveilleusement fait réussir l'élection du 4 juin, et celles de Mme Éléonore Gordon, de M. Tremblaire, journaliste dévoué à la cause bonapartiste, de M. Thomassin, l'imprimeur de la brochure, de Laity, etc. ; mais, en admettant qu'elles aient eu lieu, il n'apparaît point qu'aucune d'elles ait été suivie de poursuites, sans doute, à cause de l'admission du prince ; ce qui amena aussi le ministre de la justice à expédier un contre-ordre à la résolution qui avait été prise de rechercher et d'arrêter celui-ci. Le 12 juin, à une heure du soir, le ministre de l'intérieur avait, en effet, envoyé aux préfets et sous-préfets la dépêche suivante :

Par ordre de la Commission du pouvoir exécutif faites arrêter Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, s'il est signalé dans votre département. Transmettez partout les ordres nécessaires. — Signalement : âge de 40 ans, taille 1 mètre 70, cheveux et sourcils châtains, yeux petits et gris, nez grand, bouche moyenne, lèvres épaisses, barbe brune, moustaches blondes, menton pointu, visage ovale, teint pâle. Marques particulières : tête enfoncée dans les épaules, épaules larges, dos voûté[36].

 

La presse n'est occupée que du prince. Que trois mois après la révolution républicaine de février, lit-on dans le Charivari (14 juin), il se présente un homme pour vous dire : Je suis le fils de mon père ou le neveu de mon oncle, ainsi ouvrez-moi les Tuileries, portez-moi sur le pavois dans la salle du trône... et criez : ... Vive l'Empereur ! voilà de quoi confondre les imaginations les plus accessibles au merveilleux. Et pourtant le fait arrive. Ô prodige des prodiges ! Il s'est trouvé parmi les oisifs, les badauds, les tragiques refusés au théâtre de l'Odéon..., de quoi former un parti bonapartiste... Vive le prince Louis !... Voilà un homme. Quarante ans, une campagne dans l'Helvétie, rien que le grade de capitaine suisse et pas la croix. On lui a fait des injustices, il a droit à l'avancement. Vive l'Empereur ! — Mais on la dit un peu négligée, l'éducation politique de votre empereur... Le prince Louis entend l'éducation de l'aigle et du canard de Barbarie ; c'est royal, mais c'est insuffisant. Parlez-lui d'économie politique, d'administration, d'alinéas, de l'air des Lampions, de la première chose venue qui ne se rattache pas à l'éducation de l'aigle et du canard, et vous le collerez immédiatement.

A cet homme d'une intelligence exceptionnelle on fait tout d'abord la réputation d'un imbécile, et le Charivari n'est que l'écho des propos qui courent dans le monde politique. Comme aussi, dès la première heure, on prononce le mot d'Empire. En faisant subir, dit la Gazette de France (15 juin), à son acte de naissance une modification, en prenant le nom de Napoléon au lieu de celui de Louis, apparemment pour ne pas devenir Louis XIX, ne semble-t-il pas s'appuyer sur la constitution impériale ?Le citoyen Louis Bonaparte, dit le Représentant du peuple[37], a été admis malgré ses antécédents impérialistes, malgré sa qualité officielle de prétendant, malgré la conspiration flagrante et les aveux formels de ses partisans ; il a été admis comme il avait été élu... parce que prince, parce que neveu de l'Empereur, parce qu'il porte en lui l'espoir d'une présidence dynastique, d'une monarchie constitutionnelle... Il y a huit jours, le citoyen Bonaparte n'était qu'un point noir dans un ciel en feu ; avant-hier, ce n'était qu'un ballon gonflé de fumée ; aujourd'hui, c'est un nuage qui porte dans ses flancs la foudre et la tempête... La Réforme[38] s'écrie en parlant de l'Assemblée : Son vote la tuera tôt ou tard. — Les prévisions de la Vraie République[39] sont les mêmes : Quelles que soient les protestations qui ont été faites dans l'intérêt du prince Louis Bonaparte pour limiter son rôle à celui de représentant du peuple, il est très évident que telle n'est pas sa pensée. Il a d'autres projets. S'il aimait sincèrement la République... il se serait abstenu d'intervenir pour s'exposer aux funestes conseils des fauteurs de tyrannie, qui ne manqueront pas de l'entourer de leurs flatteries. Qu'on lise les journaux établis tout exprès dans l'intérêt de sa personne, on y verra qu'il est offert au peuple comme l'homme de la situation[40], le seul qui puisse tirer l'État du péril où l'ont mis trois mois de révolution... Les espérances de ses partisans sont hautement avouées ; il sera placé à la tête de la République. La Patrie (15 juin 1848) n'est pas moins nette : La candidature de Louis-Napoléon a excité de vives sympathies parmi les ouvriers et les cultivateurs. La popularité du neveu de l'Empereur est grande, surtout dans la banlieue de Paris !... Nous ferons tous nos efforts pour que cette popularité n'aille pas au delà du respect qu'on doit à un grand souvenir... Les populations des campagnes se sont vivement émues à ce nom magique de Napoléon. Dans la chaumière et dans l'atelier l'image du vainqueur d'Austerlitz est religieusement conservée avec la redingote grise de rigueur et le petit chapeau traditionnel. Les enfants entourent la vieille qui file sa quenouille et lui disent : Parlez-nous de lui, grand'mère ! Conservez toujours cette pieuse adoration pour le martyr de Sainte-Hélène, braves travailleurs de Paris et de la banlieue. Mais n'oubliez pas que sous la redingote grise se cachait le manteau de César et sous le petit chapeau la couronne de l'Empereur... L'Empire est un grand poème. Il n'est pas de voix assez puissante pour entonner de nouveau ce chant grandiose dont le bruit sut étouffer jusqu'à la liberté...

En province la note est la même qu'à Paris : Une inspiration soudaine, dit la Gazette de l'Yonne, et comme instinctive, a propagé de commune en commune et de canton en canton le nom de Louis Bonaparte, et sans aucun concert antérieur, sans affiches, sans bulletins imprimés et par un vote silencieux, 14,600 voix environ ont élu le candidat impérial... Cette élection est l'œuvre unique des habitants de la campagne et des ouvriers... Il faut l'expliquer comme exprimant le besoin d'un gouvernement homogène et fort. Le vote s'adresse plutôt à une idée qu'à un homme...

Quelques jours après l'élection du prince, des journaux bonapartistes apparaissent. Ils sont de petit format, contiennent le portrait de l'Empereur ou celui du prince, et chantent les gloires de l'Empire. Il y a le Napoléon républicain, dont le premier numéro ainsi daté : Dimanche 11 au mercredi 14 juin 1848, porte comme épigraphes : Le peuple est le seul souverain, Abolition de la peine de mort, et contient sous la rubrique : Républicaine ou Cosaque, l'article suivant :

Français (c'est l'Empereur qui parle), j'avais désiré que mon corps reposât au bord de la Seine, au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé. Dieu a exaucé le plus cher de mes vœux. Mon âme est toujours avec vous. Je reviens après un quart de siècle, mûri par le malheur, la retraite et la méditation... Je l'ai dit du rocher de l'exil : la démocratie, comme la corruption, coule à pleins bords ; avant 1850 la France, l'Europe entière, sera républicaine ou cosaque ! — Démocratie ou monarchie ! Vertu ou vice ! République ou esclavage ! Régénération ou dégradation ! Vie ou mort ! Peuple français, et vous Italiens, Prussiens, Autrichiens... voilà ce qui vous est offert ! — Ennemis des peuples, despotes encroûtés, aristocraties corrompues, vous avez élevé contre moi toutes les puissances de la fourberie... afin de m'absorber dans l'œuvre militaire, de faire diversion, de m'ôter le temps d'organiser la démocratie révolutionnaire... Je n'étais pas né pour la guerre : mon expédition d'Egypte l'a bien prouvé. J'avais de fortes vocations scientifiques ; je voulais que la science, l'art pénétrât partout ;... JE VOULAIS QUE L'OUVRIER FUT HEUREUX ET GAGNAT SES SIX FRANCS PAR JOUR[41] ;... je voulais organiser la Commune, ce grand problème, cette question de vie ou de mort des sociétés modernes. Les despotes, les parasites, les fainéants, les repus, les cochons à l'engrais (mot de Bonaparte consul), aperçurent vite que... le mérite, la vertu, le progrès, la démocratie... allaient être à l'ordre du jour ;... que l'intrigue, le vice, la corruption qui forment la base des vieilles sociétés européennes allaient être forcés dans leurs derniers retranchements ; que par la force des choses le peuple révolutionnaire allait conquérir le monde... Alors ils déchaînèrent contre moi toutes les puissances de la calomnie... ils me forcèrent d'accepter la guerre que je ne voulais pas... parce qu'un pouvoir démocratique... ne peut vouloir LA PAIX À TOUT PRIX[42]. Dès lors la coalition des despotes forma le vœu impie d'anéantir l'Empire français, de faire une guerre acharnée, incessante, au pouvoir qui était le produit de l'élection tacite des masses, à l'homme qui était l'incarnation du principe révolutionnaire, qui représentait et réalisait autour de lui le triomphe du mérite personnel sur la naissance ou l'intrigue, de l'égalité relative sur le privilège, de l'élément populaire sur l'aristocratie. — Alors, j'ajournai mes plans de régénération intérieure, je m'absorbai dans l'étude de la guerre, j'entrepris de conserver intacte cette grande nationalité française. Il me fallut... faire marcher le peuple français à la conquête de la paix par la destruction des dynasties féodales.

 

Dans un autre article intitulé : la République bourgeoise, c'est encore Napoléon Ier qui parle : La coalition a refait la monarchie... principe usé. Elle ne réussit qu'à introniser l'aristocratie bourgeoise, ce régime des médiocrités, qui avait prétendu confisquer les conséquences de la grande révolution de 89. La Restauration coûta un milliard à la France. Louis le Gros, mon successeur, passa son règne à traduire les auteurs latins, à puiser dans Horace des billets obscènes pour ses maîtresses. La moralité de son règne fut la découverte de mets perfectionnés auxquels il donna son nom (les côtelettes à la Louis XVIII, etc., etc.). Charles X..., homme stupide et bigot... Louis-Philippe..., homme corrupteur, s'entoura de corrompus. Toutes les formes hideuses de la spéculation et du trafic des consciences se résumèrent dans ce règne... Pas une idée, pas un élan généreux... dans ces dix-huit années de corruption...

Un troisième article a pour titre : Aux hommes purs qui gouvernent la France. La république que vous voulez, c'est la courtisane usée qui donne de l'or pour des caresses à ses nombreux amants... Le peuple, votre maître, vous chassera... Et toi, peuple, lorsque tes commis violent le mandat que tu leur as donné, souviens-toi du drapeau rouge du Champ de Mars et du courage de tes pères en 1793...

Vient ensuite une proclamation :

A L'ARMÉE DE LIGNE. — AUX OUVRIERS. — AUX GOUVERNANTS DÉMISSIONNAIRES.

Citoyens soldats, nous sommes tous égaux, libres et FRÈRES... Vous ne devez à vos chefs l'obéissance aveugle et passive que lorsque vous êtes en face de l'ennemi ; mais... dans nos rues... en face de vos frères... vous ne voudrez pas agir comme des machines... La République... seule peut vous donner... l'avancement légitime dû à vos services et à votre dévouement. Ils ont encore un grand intérêt à rétablir la monarchie qui les maintiendra à vos dépens dans les privilèges, grades supérieurs et autres avantages dont la royauté vous a toujours frustrés. On va donc tendre des pièges aux soldats qui sont sortis du peuple... afin de les exciter à frapper leurs frères... Si les représentants... osent faire des lois... contre les réunions paisibles... refusez d'obéir aux ordres de chefs criminels qui oseraient vous commander de violer le DROIT DE RÉUNION... Le véritable ennemi du peuple, c'est le chef militaire ou aristocrate qui commande aux soldats de tirer sur les citoyens qui veulent jouir du droit de réunion...

 

Dans un second numéro, daté du mercredi 14 au vendredi 16 juin 1848, Napoléon Ier prend encore la parole :

... Je désirerais pour le peuple français l'admiration de l'Europe et du monde... Français, veillez... Le czar de toutes les Russies que Dieu nous a infligé dans son courroux est prêt, nouvel Attila, à se ruer sur nous avec ses hordes barbares... Quand la rouille de l'or ou du vil intérêt vous aura gangrenés, le vautour du Nord fondra sur nous, le nom français périra, et alors se réalisera, si vous le permettez, ma prophétie de Sainte-Hélène : Avant 1850, l'Europe entière sera républicaine ou cosaque !

Puis on lit une nouvelle proclamation :

Français !... Le vieux système est à bout, le nouveau n'est point assis. La révolution de Février... a pour mission de prévenir la lutte entre le pouvoir et le peuple, en organisant la Commune, en associant le capital au travail, en augmentant le bien-être de tous, en réalisant l'harmonie des intérêts. La véritable égalité est dans l'association du maître et du salarié... il n'y a pas de fraternité possible sous l'esclavage du salaire...

A la garde bourgeoise. Braves gens ! vous jouez aux vieux soldats d'une manière étonnante. En voyant votre discipline, votre belle tenue, votre propreté, vous le dirai-je ? vous me rappelez ma vieille garde... Je ne comprends pas ce garde bourgeois qui voit dans un frère revêtu d'une blouse un factieux, un anarchiste, un ennemi, une bête fauve bonne à traquer.....

Dans un troisième numéro[43], Napoléon Ier s'écrie :

Français ! essayez donc et sans hésitation d'accorder entre eux le libre et fréquent exercice du suffrage universel avec la mise en lumière d'un homme qui soit tout à vous, comme je le fus... Quelle réponse fis-je à David, votre peintre républicain, lorsqu'il me consulta pour avoir à me peindre d'une manière caractéristique : David, lui dis-je, représentez-moi calme sur un cheval fougueux ! L'histoire a soulevé la pierre de mon tombeau, l'Europe ne m'y refoulera pas.

NAPOLÉON.

 

Suivent des aphorismes comme ceux-ci : Entre le peuple et son élu pas d'intermédiaires qui s'arrogent le droit de les remplacer l'un et l'autre. — C'est au profit de l'unité d'action que la souveraineté populaire engendre son chef. — Les assemblées ne doivent être que des moyens de simple consulte au milieu des jours d'embarras. — Amasse les charbons ardents de la confiance sur le front de la responsabilité. — Peuple, ne fais pas le pouvoir petit, de peur qu'il ne te le rende. — La souveraineté populaire et son alter ego ont à se contre-balancer dans un perpétuel tête-à-tête.

Le dernier numéro [cette publication bonapartiste fut supprimée le 27 juin par le gouvernement[44]] est du dimanche 18 au mercredi 21 juin et contient une allocution prononcée par Napoléon Ier du fond de son tombeau... Plus d'une fois, la nuit, la main sur le front, le panorama du pays s'est développé dans ma tête... Comme le père de famille, je ne pensais qu'à vous...

On peut mentionner l'Aigle républicaine, qui parut deux fois avec cette épigraphe :

Jamais je n'ai cru, jamais je ne croirai que la France soit l'apanage d'un seul homme ou d'une seule famille ; jamais je n'ai invoqué d'autres droits que ceux de citoyen français.

NAPOLÉON-LOUIS.

 

Républicains de la veille, s'écrie-t-elle, républicains du lendemain et du surlendemain, s'il en existe, rassurez-vous tous, le prince Louis-Napoléon ne doit vous donner aucun ombrage. Républicains de toutes les couleurs, de toutes les nuances, depuis le bleu douteux jusqu'au rouge foncé, soyez sans aucune crainte, le neveu du grand homme ne veut point jeter le bâton impérial dans les roues de votre char démocratique. Lisez plutôt... ces lignes... (citées comme épigraphe)... Voilà qui est clair, je pense, d'une clarté à interdire toute équivoque ; douter maintenant des intentions du prince Louis, ce serait lui faire injure, ce serait douter de sa bonne foi... En arrivant sa première parole a été, dit-on, celle-ci : Rien n'est changé en France, il n'y a qu'un républicain de plus. Voilà certes une profession de foi des plus satisfaisantes..... Quel doit être l'avenir du prince Louis-Napoléon au milieu de la République française ? A cette question nous n'avons rien autre chose à répondre, sinon qu'il est des secrets que Dieu seul connaît.

 

On trouve aussi dans ce numéro une chanson qui aurait été composée lors de l'évasion de Ham :

Fermez la cage, l'aigle est parti.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Te voilà libre ! aigle, poursuis ta route,

Dans ton beau ciel voyage à prompts relais ;

Et cependant prête l'oreille... écoute,

Et tu pourras entendre nos souhaits !

 

Puis on trouve un article où il est dit : Que manque-t-il à sa renommée ? Ne nous revient-il pas portant au front la double auréole d'un double martyre ?... Aux victimes les plus obscures on s'intéresse, comment ne pas s'intéressera l'homme qui a pour titre : Neveu du grand Napoléon ?

Un second numéro publie le portrait du prince et l'article suivant :

PAROLES D'UN REVENANT, OU LETTRE DE L'EMPEREUR À SON NEVEU LOUIS-NAPOLÉON.

19 juin 1848.

De mon nouveau palais des Invalides.

Les morts vont vite ! vous le savez... Paris républicain mérite d'être observé. Ma belle colonne de bronze, voilà mon observatoire : cet observatoire-là m'appartient, c'est mon œuvre, et je ne pense pas qu'on songe encore à m'en déshériter. C'est là que chaque nuit j'aime à établir mon quartier général. Bertrand et Duroc m'accompagnent ; à eux deux ils forment mon état-major ; quant à mon armée, elle est là autour de moi. Vous devinez maintenant pourquoi je ne veux pas quitter Paris : l'amant craint de s'éloigner de sa maîtresse, et ma maîtresse à moi, c'est la France ; elle le sait bien ; je ne lui ai jamais donné d'autre rivale que la gloire !... La France dans ce moment cherche ; elle tâtonne, elle ressemble quelque peu à Diogène cherchant un homme à l'aide de sa lanterne allumée en plein midi. L'histoire ne dit pas si Diogène trouva ce qu'il cherchait... Quant à la France, elle trouvera, soyez sûr... D'ici là, je vous approuve de lui souhaiter une république sage, grande et intelligente... Tout vient à point à qui sait attendre[45].

 

Ces publications bonapartistes, l'affluence ininterrompue de curieux sur la place de la Concorde pour voir passer le prince qui ne paraît pas et qui se fait ainsi d'autant plus désirer, entretiennent une grande agitation qui absorbe toute l'attention du public comme celle des hommes politiques. Louis-Napoléon prend une importance considérable. Nous ne croyons pas, disent les Débats (16 juin 1848), que tant d'efforts n'aboutissent qu'à faire retomber la France sous la dictature d'un souvenir ! La France n'a pas aboli les privilèges, la noblesse, la royauté héréditaire elle-même pour se courber devant un nom, quelque glorieux qu'il soit... L'Empereur est couché dans sa tombe, il n'a légué son génie à personne, et ce génie, d'ailleurs, ne l'oublions pas, était le génie du despotisme...

Les ambitions rivales, dit la Vraie République (16 juin), s'émeuvent du singulier succès, si imprévu, que le prince Louis Bona parte, le prétendant au trône de France, vient d'obtenir... par une conspiration inexplicable... Que signifie cette apparition subite et ce triomphe improvisé... quand le prince avait été expulsé de France il y a deux mois, quand personne n'avait pensé à lui aux premières élections ? Et comment donc, tout à coup, cette candidature occulte que ne recommandaient ni la publicité des journaux, ni la connivence ouverte d'aucun parti, ni les antécédents personnels, a-t-elle réussi avec tant d'éclat ? Il y a certainement là-dessous une intrigue très secrète, mais très étendue par de puissantes ramifications. Il faut éclaircir ce mystère devant la France étonnée, car il semblerait que le prince a dû avoir le concours de certaines influences très prépondérantes pour remuer ainsi à la fois et sans paraître, ni lui ni ses agents, des populations entières... Qui donc avait donné le mot d'ordre à huis clos et l'avait fait circuler jusque dans les villages ? Qui donc a enrégimenté les paysans de l'Yonne, de la Mayenne, de la Sarthe, de la Charente, et même les électeurs de Paris ? Cela ne s'est pas fait en un jour, et personne n'a aperçu la main mystérieuse qui écrivait sur 200,000 bulletins le nom impérial... De quel côté vient le complot ? Ce n'est pas quelque ministre pour conserver son portefeuille sous la présidence du futur empereur ! Serait-ce M. Thiers... (qui)... n'est peut-être pas très éloigné de l'Empire ?... Napoléon est le seul homme du dix-neuvième siècle qui l'ait empêché de dormir. N'y aurait-il pas moyen de refaire l'Empire et d'être le Richelieu impérial d'un Louis XIII sans valeur politique ?... Sitôt la Constitution bâclée, on ferait passer le prince président de la République, toutes conditions réglées à l'avance, M. Thiers grand vizir et ses amis ministres... Nous espérons que ce secret sera découvert un jour. Le triomphe momentané du prince Bonaparte est une menace pour la République... Assurément si la République doit avoir un président nommé... par une élection directe et universelle, il se pourrait que le nom éclatant de Bonaparte réunît la majorité des voix...

Cet article constitue un document précieux, car il précise et confirme trois points historiques du plus haut intérêt : le premier, c'est que l'élection du prince fut bien pour tout le monde une surprise profonde ; le second, c'est que le nom seul de Napoléon fit tout ; le troisième, c'est que l'Empire[46] apparut immédiatement aux yeux de tous comme un événement possible et même probable.

C'est alors que le prince, pour calmer l'émotion produite par l'agitation bonapartiste, crut devoir adresser à l'Assemblée nationale la lettre suivante, qui fut lue par le président dans la séance du 15 juin :

Londres, 14 juin 1848.

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

Je partais pour me rendre à mon poste, lorsque j'apprends que mon élection sert de prétexte à des troubles déplorables et à des erreurs funestes. Je n'ai pas recherché l'honneur d'être représentant du peuple, parce que je savais les soupçons injustes dont j'étais l'objet ; je rechercherais encore moins le pouvoir. Si le peuple m'impose des devoirs, je saurai les remplir ; mais je désavoue tous ceux qui me prêteraient des intentions ambitieuses que je n'ai pas. Mon nom est un symbole d'ordre, de nationalité et de gloire, et ce serait avec la plus vive douleur que je le verrais servir à augmenter les troubles et les déchirements de la patrie. Pour éviter un tel malheur, je resterais plutôt en exil ; je suis prêt à tous les sacrifices pour le bonheur de la France. Ayez la bonté, Monsieur le président, de donner connaissance de cette lettre à mes collègues. Je vous envoie une copie de mes remerciements aux électeurs.

Recevez l'assurance de mes sentiments distingués.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

 

L'effet produit par cette lettre fut désastreux. Elle contenait en effet une phrase malheureuse, qui, quoique précédée et suivie des déclarations les plus sages et les plus élevées, souleva dans l'Assemblée un toile général. Quand le président lut ces mots : Si le peuple m'impose des devoirs, je saurai les remplir, ce ne fut sur tous les bancs qu'un cri de colère et d'indignation. Le général Cavaignac, ministre de la guerre, s'élance à la tribune : ... L'émotion, dit-il, qui m'agite ne me permet pas d'exprimer, comme je le désirerais, toute ma pensée. Mais ce que je remarque, c'est que dans cette pièce qui devient historique, le mot de République n'est pas prononcé. (Mouvements d'indignation.)

(De toutes parts : Vive la République ! Vive la République !)

Je me borne à signaler cette pièce à l'attention de l'Assemblée nationale, à l'attention et au souvenir de la nation entière. (Applaudissements.)

(De toutes parts : Vive la République !)

Le citoyen Baune succède au général Cavaignac : Citoyens représentants, je viens à mon tour, au nom de la République, protester contre la déclaration de guerre d'un prétendant. (Très bien ! très bien !) Nous ne craignons pas un 18 brumaire ! (Non ! non ! Voix nombreuses : Qu'il essaye ! qu'il vienne !) — Le citoyen Antony Thouret s'écrie : ...Toutes les prétentions, de quelque prétendant que ce soit, disparaîtront devant vos mépris !  (Acclamations générales. Oui ! oui ! Très bien !) — Le citoyen Glais-Bizoin : Qu'il vienne ici ! il faut qu'il vienne ! — Le citoyen Raynal : Il faut qu'il vienne ! — Le citoyen Antony Thouret continue : ... Je demande à vous signaler une phrase décisive dans la lettre de Louis Bonaparte... Si le peuple m'impose des devoirs, je saurai les remplir... Je considère cette phrase comme un appel à la révolte (Oui ! oui !) contre la République française. En conséquence, je demande qu'il soit décrété à l'instant que Louis Bonaparte est traître à la patrie ! (Oui ! oui ! Non ! non !) — Le citoyen ministre de la guerre demande à l'Assemblée de remettre au lendemain la suite à donner à cet incident. — Le citoyen Jules Favre déclare qu'il n'y a dans l'Assemblée qu'un sentiment, c'est l'indignation exprimée par le citoyen ministre de la guerre... S'il arrivait, ajoute-t-il, que, par une inconcevable folie, il vînt le lendemain du jour où son admission a été prononcée, non pas pour lui, — grand Dieu ! — mais par respect pour le principe de la souveraineté électorale et de l'égalité de tous devant la loi, qu'il vînt porter à la souveraineté populaire, représentée par l'Assemblée nationale, un insolent défi (Très bien !), soyez sûrs que c'est dans le fond de nos cœurs que nous devons puiser les moyens d'y répondre. Je ne crois pas que l'Assemblée doive se séparer sans avoir pris une résolution (mouvement)... qui indique au pays qu'unanimement, sans aucune espèce de division, si elle respecte le droit, elle est aussi le défenseur vigilant de l'ordre public, qu'elle est unanime à condamner, à réprouver, à s'armer contre les prétentions insensées d'un homme qui ne la respecterait pas... Dès l'instant qu'un soupçon, un indice, quelque chose de plus grave, se révèle, nous devons au pays, nous nous devons à nous-mêmes, par une résolution unanime, d'ordonner que la lettre et la pièce qui l'accompagne, seront déposées entre les mains du ministre de la justice pour qu'il y donne telle suite qu'il avisera. — Malgré ce discours, l'Assemblée se rangea à l'avis du gouvernement et renvoya la discussion au lendemain.

Le Siècle rendant compte de la séance dit : Sur l'annonce d'une lettre adressée au président par Louis Bonaparte, tous les représentants, sur le point de quitter leurs places, ont été tout à coup frappés d'immobilité. Ceci montre bien quel événement considérable avait été l'élection du prince. — Et le journal ajoute : Il serait difficile de décrire l'émotion qui a éclaté de toutes parts lorsqu'à retenti cette phrase : Si le peuple... Les exclamations se croisaient de tous côtés. C'est un prétendant ! C'est un prétendant !

Une adresse aux électeurs, jointe à la lettre au président, était ainsi conçue : Citoyens, vos suffrages me pénètrent de reconnaissance. Cette marque de sympathie, d'autant plus flatteuse que je ne l'avais point sollicitée, vint me trouver au moment où je regrettais de rester inactif alors que la patrie a besoin du concours de tous ses enfants pour sortir des circonstances difficiles où elle se trouve placée. Votre confiance m'impose des devoirs que je saurai remplir ; nos intérêts, nos sentiments, nos vœux sont les mêmes. Enfant de Paris, aujourd'hui représentant du peuple, je joindrai mes efforts à ceux de mes collègues pour rétablir l'ordre, le crédit, le travail, pour assurer la paix extérieure, pour consolider les institutions démocratiques et concilier entre eux les intérêts qui semblent hostiles aujourd'hui parce qu'ils se soupçonnent et se heurtent au lieu de marcher ensemble vers un but unique : la prospérité et la grandeur du pays. Le peuple est libre depuis le 24 février, il peut tout obtenir sans avoir recours à la force brutale. Rallions-nous donc autour de l'autel de la patrie, sous le drapeau de la République, et donnons au monde le grand spectacle d'un peuple qui se régénère sans violence, sans guerre civile, sans anarchie. — Recevez, mes chers concitoyens, l'assurance de ma sympathie et de mon dévouement...

Dès que le prince eut connaissance du désastre causé par sa lettre, il n'hésita pas, et pour prévenir la proscription, sacrifiant le présent afin de sauvegarder l'avenir qu'il ne croyait pas si proche, il écrivit au président de l'Assemblée une nouvelle lettre ainsi conçue, qui fut communiquée aux représentants dans la séance du 16 juin[47] : Monsieur le président, j'étais fier d'avoir été élu représentant du peuple à Paris et dans trois autres départements. C'était à mes yeux une ample réparation pour trente années d'exil et six ans de captivité. Mais les soupçons injurieux qu'a fait naître mon élection, mais les troubles dont elle a été le prétexte, mais l'hostilité du pouvoir exécutif m'imposent le devoir de refuser un honneur qu'on croit avoir été obtenu par l'intrigue. Je désire l'ordre et le maintien d'une république sage, grande et intelligente, et puisque involontairement je favorise le désordre, je dépose, non sans de vifs regrets, ma démission entre vos mains. Bientôt, j'espère, le calme renaîtra et me permettra de rentrer en France comme le plus simple des citoyens, mais aussi comme un des plus dévoués au repos et à la prospérité de son pays[48]. Et le Moniteur ajoute simplement qu'après la lecture de ce document l'Assemblée passa à l'ordre du jour. Cette lettre si simple et si touchante, et dans laquelle, pour répondre au général Cavaignac, il faisait explicitement acte d'adhésion à la République, c'était un coup de maître. Elle est, dit la Patrie du 17 juin, conçue en termes convenables, et la vérité nous force à dire qu'elle respire même une certaine dignité. Comment juger cette retraite soudaine ? Est-ce désintéressement ?... Est-ce calcul ? Bien faible et bien misérable serait la République si... elle avait encore peur de l'ombre d'un despote et de la présidence d'un enfant sans génie et sans consistance. Pauvres grands hommes qui nous gouvernent ! Il n'en a pas fallu plus pourtant pour faire pâlir leur astre qui décline. Le souvenir du 18 brumaire, le souvenir de Napoléon, une chimère, un fantôme, voilà ce qui les destitue... Vous avez grandi celui que vous vouliez fouler aux pieds. Quatre départements envoyaient à l'Assemblée l'héritier d'un grand nom populaire, vous deviez vous incliner devant cet arrêt de la souveraineté électorale... Les exils ne tuent pas les prétendants, ils les ennoblissent, ils les désignent... Sous une forme ou sous une autre, soit pour la représentation nationale, soit pour la présidence (car toute autre prétention serait par trop audacieuse et par trop folle), nous risquons de voir prochainement cette candidature renaître de ses cendres. — Le même jour, la Patrie dit encore : ... Le pays inquiet... cherche un homme... N'a-t-il pas été sur le point... devant Louis-Napoléon... de s'écrier, comme Archimède : Je l'ai trouvé ! Par bonheur, l'aigle vivant de Boulogne n'a pu retenir un cri de joie, le pays s'est retourné à ce cri et n'a plus vu qu'un enfant déguisé en Napoléon et laissant traîner à terre les pans de sa redingote grise beaucoup trop grande pour sa taille... — Le 18 juin, la Patrie ajoutait : La lettre que M. Louis Bonaparte a adressée hier à l'Assemblée pour donner sa démission ne manque pas d'une certaine dignité... Tout porte à croire qu'à l'occasion M. Louis Bonaparte peut trouver un secrétaire précieux... La démission... est un acte d'une grande habileté... Mais que les populations ne s'y laissent pas tromper... Dans les élections nouvelles qui vont avoir lieu plus tard, lorsqu'il s'agira de nommer un président de la République, le parti de M. Louis Bonaparte ne manquera pas de mettre tout en œuvre pour agir sur les populations des campagnes que nous ne cesserons de prémunir contre un fâcheux entraînement... Le langage de Louis Bonaparte est celui que fous les prétendants passés, présents et futurs ont tenu et tiendront en exil... Le citoyen Louis Bonaparte, qu'on ne l'oublie pas, cachera toujours le prince Louis-Napoléon.

Le Siècle regrette la tournure que les événements ont prise : Nous aurions beaucoup mieux aimé voir (le prince)... venir prendre possession d'un mandat non contesté et choisir à côté des trois membres de sa famille une place où... il aurait exercé sa neuf centième part de souveraineté... La démission... contribue à rehausser la position de celui dans lequel on a maladroitement affecté de voir un prétendant redoutable : il conserve le prestige de l'éloignement et il y ajoute le mérite du sacrifice ; afin de ne pas fournir un aliment aux soupçons et un prétexte aux désordres, il décline un honneur dans lequel il voyait la compensation de trente années d'exil... (ensuite il fait) des vœux pour le maintien d'une république sage, grande et intelligente, ce qui n'est peut-être pas exempt d'habileté. N'avions-nous pas raison de soutenir que le plus sage était d'ouvrir à deux battants, pour Louis-Napoléon, les portes de l'enceinte législative ? Nous ne voyons dans l'histoire d'aucun peuple que l'usurpation ait jamais germé sur ce terrain : ce n'est ni dans le sénat romain, ni dans le parlement britannique, ni dans le conseil des Cinq-cents que César, Cromwell et Bonaparte ont gagné les éperons de leurs dictatures.

La Vraie République (17 juin 1848) insère une lettre signée Savary, ouvrier cordonnier et employé au gaz, où il est dit : ... Il n'est plus permis d'en douter, Louis Bonaparte nourrit la pensée d'une usurpation de la souveraineté du peuple qui dans son ingénuité a cru qu'un prince pouvait se contenter d'être son représentant. Les antécédents de Louis-Napoléon, ses deux tentatives, ses maximes de gouvernement contenues dans sa brochure les Idées napoléoniennes, la réserve qu'il garde clans ses déclarations... tout le prouve jusqu'à l'évidence. A l'heure qu'il est, tout ce qui ne peut vouloir d'une république sociale et populaire se groupe autour d'un nom déjà si fatal à la liberté et aux droits du peuple, et ne pouvant faire de la monarchie avec Henri V ou avec d'Orléans, ils rêvent d'en faire avec un Bonaparte.

Malgré la démission du prince, la campagne bonapartiste continue. Le journal l'Unité nationale[49] soutient qu'avec la République il faut de la gloire, qu'il faut un nom réveillant d'anciens souvenirs. Certes, nous ne voulons pas un empereur, tout le monde s'y opposerait. La France entière est républicaine, mais elle doit désirer avant tout à la tête de son gouvernement un homme qui représente un principe. Le grand Napoléon est tombé parce qu'il a organisé le despotisme, son neveu a une belle tâche à remplir, qu'il inscrive sur la bannière de la France le mot Fraternité, et tous nos maux cesseront... Le suffrage qui honore le neveu de l'Empereur est une belle et noble pensée nationale... Cette élection est pour tous les Français une première revanche de la Sainte-Alliance de 1815.

Le journal le Bonapartiste (17 juin 1848) donne cet extrait de la Liberté : ... Le peuple français ne veut ni de roi, ni d'empereur, mais encore une fois il lui faut à la tête du gouvernement un citoyen ayant une immense popularité. A nos yeux, Louis Bonaparte est le seul homme qui puisse sauver le pays de l'anarchie. L'empereur Napoléon a comblé le pays de gloire et de puissance. Ses prospérités et ses infortunes furent des prospérités et des infortunes nationales. Tout ce qu'il y a de bon et de grand en France : administration, armée, codes, routes, monuments, canaux, Légion d'honneur, etc., se ressent encore de l'influence du plus beau génie des temps modernes. Personne plus que l'empereur Napoléon n'eut ce qu'il appelait la fibre populaire ; Henri IV fut son seul rival... Napoléon, poursuivi par des rois imbéciles et abandonné par des amis ingrats, tomba grand et mourut pauvre... Le souvenir de Napoléon se trouvant par tout sur nos monnaies, sur nos places, au coin de nos rues, dans les produits des arts et de la littérature, dans les palais du riche, dans les chaumières du pauvre... comment a-t-on pu se montrer étonné de ce que ce même souvenir, glorieux et impérissable, ait protégé son plus proche parent, l'héritier le plus direct de son nom ?... L'Assemblée nationale a compris Napoléon ; elle a communié avec le peuple dans ce pur sentiment de nationalité reconnaissante, elle s'est montrée impériale et juste... Ce Louis-Napoléon si ridiculement attaqué, persécuté, si follement grandi, se trouve en ce moment l'un des candidats à la présidence de la République de par la grâce de ses ennemis...

Le prince est hors de France, le prince a dû résigner son mandat de député : cela ne fait rien ! il est marqué providentiellement au front pour être le chef de l'État !

L'élection de la Corse ne fut connue qu'après la démission. Le prince adressa alors la lettre suivante au président de l'Assemblée nationale :

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

Je viens d'apprendre que les électeurs de la Corse m'ont nommé leur représentant à l'Assemblée nationale malgré la démission que j'avais déposée entre les mains de votre prédécesseur. Je suis profondément reconnaissant de ce témoignage d'estime et de confiance, mais les raisons qui m'ont forcé à refuser les mandats de la Seine, de l'Yonne et de la Charente-Inférieure subsistent encore ; elles m'imposent un autre sacrifice. Sans renoncer à l'honneur d'être un jour représentant du peuple, je crois devoir attendre pour rentrer dans le sein de ma patrie que ma présence en France ne puisse, en aucune manière, servir de prétexte aux ennemis de la République. Je veux que mon désintéressement prouve la sincérité de mon patriotisme, je veux que ceux qui m'accusent d'ambition soient convaincus de leur erreur. Veuillez, Monsieur le Président, faire agréer à l'Assemblée nationale ma démission, mes regrets de ne point encore participer à ses travaux et mes vœux ardents pour le bonheur de la République, etc.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

 

Cette nouvelle lettre de démission venait confirmer la première de la façon la plus heureuse ; il était impossible de se tirer d'un mauvais pas avec plus de décision, plus de tact, plus d'habileté, plus de sens politique. Il marquait nettement aux électeurs son désir de se voir à nouveau élu à l'Assemblée nationale, et en même temps il adhérait chaleureusement à la République.

Répondant à la Gazette de France, le Siècle (20 juin 1848) dit : Malheureusement ou heureusement pour la Gazette, son président héréditaire, ce n'est pas du tout à celui-ci qu'on paraît songer. Dans les campagnes le nom de Napoléon continue à produire son effet comme s'il s'agissait d'une résurrection du grand empereur. Un voyageur nous contait aujourd'hui que dans une réunion très nombreuse de paysans de la Vienne l'opinion que le véritable Napoléon de Rivoli, de Marengo, d'Austerlitz, venait de reparaître, avait trouvé presque tous les esprits crédules. Ces hommes-là ne meurent pas, disaient les paysans, ou bien : Ils reviennent toujours à propos. A Paris, un ouvrier à qui son interlocuteur disait que Louis Bonaparte serait un mauvais président de la République, répondit l'autre jour, sans se déconcerter : S'il est bon, je veux l'avoir ; s'il est mauvais, je veux le savoir.

Non ! s'écriait le Petit Caporal[50], dans son quatrième numéro daté du 22 au 25 juin 1848, le p'tit Caporal n'est pas mort ; c'est le Christ de la gloire... Qu'avez-vous à lui reprocher ? d'avoir, enfant parricide, égorgé la République sa mère ; mais la République elle-même lui avait dit : Feri ventrem, frappe le ventre ! tant elle rougissait de sa dégradation. Ce n'était plus la forte femme aux puissantes mamelles, au bras courageux, au cœur vaillant, mais une sorte de Messaline qui, vêtue d'un tissu... se vautrait dans le boudoir de Barras. Non, le p'tit Caporal ne mourra pas ! Comme le Christ est présent dans l'hostie, il est présent, lui, dans toute idée de gloire et de grandeur, et le peuple communie avec lui !

Dans les premiers jours de la seconde quinzaine de juin il y avait, tous les soirs, des rassemblements assez considérables sur les boulevards et surtout sur la place de l'Hôtel de ville ; on criait : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! et on forçait les passants à proférer les mêmes cris.

On ne se sentait pas gouverné, on avait peur ; Louis-Napoléon apparaissait tout à coup comme une planche de salut, la seule.

A l'Assemblée, la commission[51] chargée d'élaborer un projet de Constitution procédait à son travail. Plusieurs points étaient d'une extrême importance. Le pouvoir exécutif serait-il nommé par le suffrage universel direct ou par l'Assemblée nationale, ou encore par le suffrage universel sur des candidatures limitativement désignées par l'Assemblée ? Le président serait-il rééligible ? Aurait-il le droit de dissolution ? Les princes des anciennes maisons régnantes seraient-ils éligibles ? On se tromperait fort si l'on pensait que ces graves problèmes furent longuement examinés et discutés. On aura peine à croire, dit M. de Tocqueville[52], qu'un sujet si immense, si difficile, si nouveau, n'y fournit la matière d'aucun débat général ni même d'aucune discussion fort approfondie. On était unanime pour confier le pouvoir exécutif à un seul homme. Le système de l'élection par le peuple avait été soutenu dans les bureaux par MM. Thiers, de Rémusat, Berryer, de Cormenin. Ce dernier disait[53] : Autant donc qu'il sera possible de faire appel à la souveraineté du peuple, on sera plus à fond et à flot dans le principe... Le peuple français s'est réservé le droit de se choisir un chef de son propre choix... Où le peuple peut faire nous n'avons point à faire. Or le peuple peut faire un président tout aussi facilement qu'un député... Ne dites pas que vous savez mieux que le peuple souverain ce qui convient au souverain... vous seriez des insolents... Si vous nommiez... le président, vous fouleriez aux pieds le suffrage universel... Vous pourriez ne nommer qu'un personnage de coterie, une illustration de couloir, un barbouilleur de tribune ; le peuple choisira l'homme de la situation, son homme à lui qui pourrait très bien n'être pas le vôtre... M. Gustave de Beaumont disait : Le chef du pouvoir exécutif ne sera fort en présence de l'Assemblée unique qu'à la condition d'avoir une même origine, c'est-à-dire de procéder comme elle du suffrage universel et direct... Quelques membres paraissent craindre que le pouvoir exécutif ne soit trop puissant ; j'aurais bien plutôt une crainte opposée. Quant à l'antagonisme que l'on croit devoir se produire entre l'Assemblée et le président, issus tous les deux d'une source commune, c'est une chimère dont il est puéril de s'effrayer. Cette lutte ne saurait s'établir naturellement entre l'Assemblée qui a seul tout le pouvoir législatif et le président qui n'a absolument que le pouvoir exécutif...

M. Pagnerre était du même avis : On craint trop de fortifier le pouvoir exécutif ; pour moi, je crains de le trop affaiblir... je ne voudrais pas que, par son origine même, il se trouvât placé sous la dépendance du pouvoir législatif... Il est bien vrai que le président réunira plus de suffrages que chacun des membres de l'Assemblée pris à part, mais il en aura beaucoup moins que l'Assemblée tout entière. Il n'est que l'expression de la majorité, tandis que l'Assemblée dans son ensemble est l'expression de l'universalité des citoyens... On craint encore, si on donne une origine identique au président et à l'Assemblée, de produire un antagonisme... ce danger est beaucoup moins grave qu'on ne le pense. Il ne faut pas se laisser tromper par les réminiscences du passé... La Constitution actuelle proclame la séparation des pouvoirs... L'antagonisme ne pourrait naître entre des pouvoirs si nettement définis que par l'usurpation. Or, si je ne vois pas que le président soit bien défendu contre les usurpations de l'Assemblée, je vois, au contraire, que l'Assemblée est puissamment armée contre les usurpations du président.

Léon Faucher soutient très judicieusement la thèse contraire : Aux États-Unis... la nomination du premier magistrat... émane du suffrage indirect de l'élection à deux degrés... Le suffrage direct et universel appliqué à l'élection du président me paraît constituer le danger le plus sérieux. En effet, vous mettrez en présence deux pouvoirs qui auront la même origine, qui croiront avoir les mêmes droits, mais contre lesquels la force résultant de cette origine et de ces droits ne se distribuera pas dans une mesure égale. Le pouvoir exécutif, qui a l'avantage de l'unité, qui délibère seul et qui ne compte qu'avec lui-même, l'emportera bientôt sur l'Assemblée qui se partage nécessairement en majorité et en minorité. Tout conflit (et les occasions de conflit ne manqueront pas) aboutira donc à l'abaissement de l'Assemblée, et le président de la République obtiendra quand il le voudra la dictature... Le peuple français sort à peine du moule de la monarchie. Nos mœurs sont monarchiques et militaires... Si vous appelez le peuple entier à choisir le président de la République, il choisira, sous le nom de président, l'équivalent d'un roi ; il fondera peut-être une nouvelle dynastie. Il se laissera séduire par la puissance du sabre ou par l'éclat d'un nom historique. Il fera ce qu'il a fait sous le Consulat et sous l'Empire, il choisira, non pas entre les illustrations parlementaires, mais entre les prétendants... Si vous voulez fonder une république, confiez à l'Assemblée le choix du président. Si vous invoquez l'intervention du suffrage universel, sachez-le bien, vous allez établir un gouvernement qui ne sera pas la République. Ces déclarations font le plus grand honneur à Léon Faucher, qui, au milieu de l'aveuglement général, montra supérieurement de la clairvoyance et de l'esprit politique. Il tint là le langage d'un homme d'État, un langage vraiment prophétique[54].

Dans le sein de la Commission M. de Cormenin apporta un petit article tout rédigé par lequel le président devait être élu directement par le peuple. Marrast seul s'y opposa. Ledit petit article fut adopté sans difficultés[55]. Avoir — surtout en France — un chef d'État élu par le peuple, c'est un monarque à brève échéance ou c'est un dictateur. On reste confondu quand on voit que ces vérités ne furent point exposées[56], que même elles furent à peine entrevues dans le sein de la Commission[57]. Le fameux petit article fut voté par elle quelques jours avant l'élection du prince. Au lendemain du 4 juin, un esprit avisé remit la question sur le tapis, mais c'était voté, et l'on passa outre. On tremblait[58], on redoutait une révolution sociale ; on ne se trompait guère, puisqu'on était à la veille des journées de Juin, et on n'avait alors qu'une idée : arriver rapidement à placer un chef puissant à la tête de la République[59], et on ne rendit point inéligibles les membres des anciennes familles régnantes, parce que, pour beaucoup, ce chef puissant ne pouvait être qu'un prince. En revanche, la Commission n'accorda pas au chef de l'État le droit de dissolution. On trouvait que l'élection populaire lui donnait une toute-puissance suffisante ; c'était une grande faute, car en cas de conflit il n'y avait plus de solution. En outre, la Commission se prononça pour la non-rééligibilité du président. Grande erreur, dit Alexis de Tocqueville dans ses Souvenirs (pages 279 et 280), qui ajoute : Du moment où il avait été décidé que ce seraient les citoyens eux-mêmes qui choisiraient directement le président, le mal était irréparable, et... c'était l'accroître que d'entreprendre témérairement de gêner le peuple dans son choix[60].

Le journal la Vraie République (18 juin 1848) attaque vivement le travail de la Commission : La présidence a passé d'emblée... Pour qui est-elle ?... Ce que vous craignez du prince Bonaparte, héritier de Napoléon... c'est le prétendant à la présidence. Mais pourquoi faites-vous exprès cette présidence ?... Il n'y a qu'un pas de la présidence à l'Empire. Comment s'est donc appelé Napoléon avant d'être Empereur ? Directeur, Consul, premier Consul, Consul à vie... Vous voyez bien que les noms ne font rien à la chose... Un 18 brumaire est bientôt fait, et ce n'est pas l'héritier de Bonaparte qui s'en gênerait. La belle puissance qu'une assemblée de parleurs, nommés isolément par quelques milliers de provinciaux, tandis que le président est nommé par toute la France, et qu'il tient dans sa main le sabre... la bourse... tous les fonctionnaires... Le président le plus incapable ou le plus faible sera toujours le maître de la France, et forcément il trouvera bien vite que cette fiction de la séparation des pouvoirs est absurde et impraticable ; en réalité, que la lutte instituée par la Charte (sic) paralyse l'action gouvernementale, et qu'il faut de l'unité dans la vie d'un peuple ; et cette unité, il l'établira à son profit, parce qu'il sera plus fort que l'Assemblée...

Le National (21 juin) voit aussi le danger et le signale avec un grand sens politique : Il serait plus raisonnable et plus efficace (au lieu de faire nommer le président pour la première fois — système mixte — par l'Assemblée) de décréter que pendant un laps de temps qui pourrait être fixé de quinze à vingt ans et même plus, aucun des membres des dynasties qui ont régné sur la France ne pourrait être élu président. Qu'on ne vienne pas crier à la proscription, on n'interdit pas à ceux des membres des anciennes dynasties... le droit de servir leur pays... Il leur sera permis de se rendre utiles, mais non pas au premier rang... D'ailleurs, ils crient si fort et si haut qu'ils ne demandent qu'une chose : d'être simples citoyens français, qu'il faut bien satisfaire à leurs plus chers désirs et leur donner cette occasion éclatante d'être uniquement ce qu'ils paraissent vouloir être...

Le Siècle (22 juin) blâme le National : On voudrait exciter l'imagination du peuple sur cette candidature et en augmenter les chances, qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Si le prince Louis Bonaparte conspire, et qu’on ait saisi des preuves, il faut les produire au grand jour... Si, au contraire, il demeure étranger à toutes les agitations... ne doit-on pas craindre que l'apparence d'une proscription... ne l'entoure d'un nouveau prestige ? Et si, malgré le vote d'un décret d'exclusion, la France réalisait vos craintes, quelle autorité alors pourrait infirmer la puissance du suffrage universel ?

Le Journal pour rire (24 juin) publie une caricature qui obtient un grand succès sur les candidats à la présidence, le prince de Joinville et Louis-Napoléon. Tous les deux, la main sur le cœur, l'un tenant un coq, l'autre tenant un aigle, s'écrient, le premier : Je suis l'oncle de mon neveu ; le second : Je suis le neveu de mon oncle.

Puis, tout disparaît devant les terribles journées de Juin ; l'agitation bonapartiste cesse, et le silence se fait sur le prince. Il faut aller jusqu'au 15 août 1848 pour trouver dans les journaux la mention du service célébré en l'Hôtel des Invalides en l'honneur de la mémoire de Napoléon, et la manifestation d'un certain nombre de vieux soldats en uniforme venant place Vendôme déposer au pied de la colonne des couronnes d'immortelles, dont l'une portait l'inscription suivante : Veille sur nous du haut des deux !

A cette occasion, le Petit Caporal s'écrie : Lundi soir, le 15 août, Paris célébrait à la fois l'anniversaire de la naissance du Petit Caporal et de l'Assomption de la Vierge. Marie et Napoléon, rapprochement providentiel... Le peuple n'oublie pas Napoléon... il a pardonné à l'Empereur ses fautes pour ne se rappeler que les bienfaits du Petit Caporal...

Le prince va bientôt faire parler de lui[61].

 

 

 



[1] ... Lorsque la révolution de 48 éclata, il n'y eut ni un cri, ni une manifestation quelconque en faveur des Bonaparte... (Odilon BARROT, Mémoires, t. I, p. 216.)

A la fin de mars, il (Louis-Napoléon) n'avait aucun plan nettement arrêté.. Un seul club, l'Avenir, cour des Miracles, annonçait une tendance napoléonienne. (Histoire de la révolution de 1848, par GARNIER-PAGÈS, t IV, p 102.)

[2] Lettre qui aurait été apportée à l'Hôtel de ville par M. de Persigny. (Taxile DELORD, Histoire du second Empire.)

[3] C'est pourtant ce sentiment exclusivement républicain qui animait alors Persigny et Vaudrey, et qui leur inspirait les professions de foi suivantes : Aux électeurs de la Loire, 18 mars 1848... Hier, je croyais sincèrement que, entre des habitudes monarchiques de huit siècles et la forme républicaine, but naturel de tous les perfectionnements politiques, il fallait encore une phase intermédiaire, et je pensais que le sang de Napoléon, inoculé aux veines de la France, pouvait, mieux que tout autre, la préparer au régime complet des libertés publiques ; mais après les grands événements qui viennent de s'accomplir, je déclare que la république régulièrement constituée pourra compter sur mon dévouement le plus absolu. Signé : FIALIN-PERSIGNY (sic). — Aux électeurs de la Côte-d'Or. Dijon, 22 mars 1848... Vous connaissez mes convictions démocratiques ; un gouvernement républicain pour la France a été le rêve et l'espérance de toute ma vie ( ?). Aujourd'hui nous avons ce gouvernement, mais il vient de naître... Il faut, pour affermir à jamais son établissement, n'envoyer à l'Assemblée que des hommes aux convictions républicaines déjà éprouvées.. Si votre confiance m'est acquise, honorez-moi de vos suffrages Vive la République ! Signé : VAUDREY.

[4] Le journal Express de Londres annonce, le 2 mars, que le steamer Lord Warden a ramené Louis-Napoléon à Folkestone

[5] La vérité est que le prince avait eu la pensée de se présenter. Le 12 mars 1848, Odilon Barrot reçoit la visite de M. de Persigny, qui vient, au nom du prince, lui demander ce qu'il faut faire. (Voir Odilon BARROT, Mémoires, t. III, p. 500.)

[6] À Paris, douze élections nouvelles, par suite de l'annulation de l'élection de M. Schmitz, de la démission de MM. Béranger, Caussidière, et de l'option pour un autre département de MM. Bastide, Pagnerre, Marrast, Dupont de l'Eure, Cavaignac, Crémieux, Lasteyrie, Bethmont, Recurt.

[7] Cette lettre fut lue par M. Bonjean dans la séance du 13 juin à l'Assemblée, séance dont nous allons rendre compte. A ce passage, le Moniteur porte cette mention : On rit.

[8] Le Moniteur : Ah ! ah ! Interruption prolongée.

[9] Fils de Jérôme.

[10] Pour s'en convaincre, on n'a qu'à parcourir les feuilles de l'époque dans les jours qui précèdent celui de l'élection.

[11] Affiches de 30, 40 centimètres. Papier rose. — C'est le général Montholon notamment qui s'occupa des affiches et des bulletins. Pour solder les dépenses, il fit de nombreux billets. (Voir Papiers et correspondance de la famille impériale, 1871.)

[12] C'était Armand Laity.

[13] Dans l'Eure, notamment, il réunit 4.760 suffrages ; dans la Sarthe, 19.390.

[14] Voir la Patrie du 9 juin 1848.

[15] Union du 10 juin 1848.

[16] Numéro du 12 juin 1848. — Thoré, rédacteur en chef (George Sand, Barbès, Pierre Leroux).

[17] Journal des Débats, 11 juin 1848.

[18] Journal des Débats du 11 juin.

[19] Voir la Patrie du 11 juin.

[20] Voir la Gazette de France des 12 et 13 juin.

[21] Des cris de : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! sont partis de quelques détachements de la garde nationale et de la ligne. Les placards, les biographies en faveur de Louis Bonaparte sont répandus avec profusion. Des hommes à cheval et en voiture parcourent les principales rues en répandant des imprimés et en criant : Vive Napoléon ! (Gazette de France des 12 et 13 juin. — Voir la Patrie du 13 juin.)

[22] Moniteur des 12 et 13 juin. — Fils de Jérôme.

[23] Journal l'Assemblée nationale : A trois heures, une colonne de trois à quatre mille personnes se dirige sur la Chambre, au cri de : Vive Napoléon II ! A quatre heures, la place est couverte de groupes nombreux criant : Vive Napoléon ! (Numéro du 13 juin.)

[24] Napoléon Bonaparte, fils de Jérôme ; Lucien Bonaparte, Pierre Bonaparte.

[25] Mention du Moniteur.

[26] Pierre-Napoléon, fils de Lucien.

[27] Fait singulier, dans cette séance du lundi 12 juin, l'Assemblée ne statue pas sur la proposition du gouvernement.

[28] Tome II, p 179. Leipzig, Durr, 1859.

[29] Journaux dont il va être question.

[30] Ainsi toute la journée du 12, jusqu'à une heure avancée de la nuit, la place de la Concorde et les abords de l'Assemblée furent envahis par la foule

[31] Si les journaux relatent très sommairement l'incident du boulevard, on n'y parle ni d'argent distribué, ni de vin versé.

[32] Voir plus dans ce chapitre. Dans cette circonstance, l'orage qui s'était for né sur sa tête et qui semblait devoir le foudroyer s'évanouit comme par enchantement devant cette simple lettre ; de tout le bruit que l'Assemblée avait fait, de toutes les colères du parti républicain il ne restait que le retentissement du nom de Napoléon, l'exaltation de sa puissance supposée, son antagonisme ouvert avec une république maudite par une grande partie de la nation ; tous ces vains et inutiles éclats du gouvernement n'avaient servi que d'échos et de truchements à l'ambition du prétendant... Le premier pas venait d'être fait vers l'Empire... (Odilon BARROT, Mémoires, t. I, p. 231.)

[33] La masse des conservateurs était fort peu touchée des périls de la République, et, de plus, les républicains mécontents, comme MM. Louis Blanc, Jules Favre, Crémieux et beaucoup d'autres, se faisaient du bonapartisme une arme contre la Commission exécutive ; ajoutez les partisans de la famille Bonaparte, ceux qui lui étaient liés par les intérêts ou même les simples souvenirs, ou ceux qui se ralliaient à elle par les espérances de l'avenir, et on ne s'étonnera pas que la Chambre ait voté par assis et levé, à une assez forte majorité, l'admission de Louis Bonaparte. (Odilon BARROT, Mémoires, t. I, p. 226, 227.)

[34] Débats du 14 juin.

[35] Débats du 14 juin. — Des ouvriers de la manufacture de tabac tentent d'entraîner leurs camarades au cri de : Vive Napoléon ! On annonce l'arrestation de Laity. (Siècle, 14 juin.)

[36] Voir la Gazette de France et la Patrie de juin. Tous les préfets lancent des proclamations. Comme échantillon, voici celle de M. Marc Dufraisse, préfet de l'Indre : Citoyens, deux fois, à Strasbourg et à Boulogne, la folle ambition d'un prétendant a tenté de précipiter dans la guerre civile la France qui le repoussait justement de son sein. Deux fois ses complots odieux ont échoué... La royauté déchue... se rendit complice des attentats du prétendant impérial. L'impunité d'abord, puis la mollesse de la répression ont enhardi le cœur vulgaire de ce conspirateur insensé. L'honneur insigne, mais immérité, que viennent de lui décerner quelques hommes égarés, coupables peut-être, a ranimé ses pensées d'usurpation et ravivé ses espérances criminelles effrontées. Votre indignation légitime, éclatante, apprendra à Charles-Louis-Napoléon Bonaparte que le peuple français, magnanime jusqu'au pardon, jusqu'à l'oubli des forfaits dignes du châtiment le plus sévère, ne se résignera jamais à laisser relever un trône, quel que soit le nom de l'audacieux, de l'imprudent qui aspire à y monter, et que la République naissante ne craint pas le 18 brumaire de l’an VI ; que si le fugitif tombait entre vos mains patriotes, amenez-le devant vos magistrats républicains et livrez-le sans pitié à la justice de la révolution Salut et fraternité. — Le préfet du Gard, de son côté, dit aux habitants de Nimes : Les ennemis de la République répandent le bruit que Louis-Napoléon a été proclamé empereur. Rien n'est plus faux...

[37] Proudhon, rédacteur en chef.

[38] Ribeyrolles, rédacteur en chef.

[39] Thoré, rédacteur en chef, 15 juin 1848.

[40] Souligné dans le texte.

[41] Sic. Souligné en grosses lettres dans le texte.

[42] Sic. Souligné en grosses lettres dans le texte.

[43] Numéro du vendredi 16 au dimanche 18 juin.

[44] Ainsi que les autres.

[45] On peut citer encore la République napoléonienne, etc.

[46] Le prince Louis !... qu'il soit député, puisqu'un nombre suffisant d'électeurs lui a donné ses suffrages.. mais qu'on en ait peur ; qu'on lui suppose les chances de faire un 18 brumaire et de prendre la place de son oncle !... Allons donc ! L'Empire est dans notre histoire une glorieuse parenthèse, mais elle est fermée ! Le prince Louis sera redoutable si vous l'écartez de la Chambre... Laissez-le venir... Lui-même se chargera de vous débarrasser de lui. Il a donné sa mesure ; laissez-le la donner encore. (Alphonse KARR, les Guêpes, 1848.)

[47] Comment le prince, s'il était à Londres, a-t-il pu faire parvenir à la séance du 16 juin une lettre déterminée par la séance du 15 ? On prétendit alors, non sans vraisemblance, qu'il était à Paris, et on précisa même en disant qu'il avait logé d'abord rue Basse-du-Rempart, puis rue de Varennes. C'est, remarque dans son numéro du 18 juin la Vraie République, la seule explication possible de l'à-propos inexplicable de cette seconde lettre. — D'après la légende, quand il arriva à Paris, on défaisait les barricades, et, comme il était à pied, une femme lui dit : Allons, jeune homme, remettez un pavé en place, et le prince de répondre en s'exécutant de bonne grâce : Mais, ma brave femme, je ne suis venu à Paris que pour cela ! (J. RICHARD, Comment on a restauré l'Empire, p. 27.)

[48] Elle fut remise le 16 à midi et demi au président Sénart par M. Frédéric Briffault, homme de lettres, domicilié à Londres depuis plusieurs années et descendu à Paris, Hôtel de Hollande, rue de la Paix, qui venait d'arriver deux heures auparavant de Londres, d'où il était parti la veille dans la soirée. Elle était écrite sur papier bleuâtre, commun, sans armoiries (dit, page 92, l'Assemblée nationale comique, par A. LIREUX) ; il n'y avait pas de ponctuation ; des mots étaient raturés ; l'écriture était celle d'une femme, tremblée, mais lisible ; le cachet de cire portait un soleil, et au-dessous cette devise : Je crois et j'espère. Voilà le signalement de la pièce curieuse.

[49] Voir le Bonapartiste du 17 juin 1848.

[50] Journal de la jeune et vieille garde. Justice, Liberté, Clémence, Égalité, Union, Fraternité. Rédacteurs : Emile Marco-Saint-Hilaire, Wolowski, d'Abrantès, Thierry, Eugène Woestyn, Galvani, Charles Deslys, Élie Berthet, etc.

[51] Nommée le 19 mai 1848. (Cormenin, Marrast, de Tocqueville, Lamennais, Vivien, Dufaure, Martin, Woirhaye, Coquerel, Dupin, Corbon, Tourret, Odilon Barrot, de Beaumont, Considérant, Pages, Dornès, Vaulabelle.)

[52] Mémoires, p. 273 à 279.

[53] Voir les Débats du 16 juillet 1848.

[54] Quelques bureaux adoptèrent un amendement excluant de la présidence tous les princes appartenant à des familles ayant régné sur la France ; d'autres, un amendement imposant trois ans ou même dix ans de domicile aux candidats à la présidence. Ils ne devaient pas aboutir ; l'opinion publique ne leur était pas favorable, et dans l'Assemblée nationale les démocrates ne voulaient pas mettre d'entraves à la liberté du suffrage, tandis que les conservateurs avaient, tous, des arrière-pensées de restauration monarchique.

[55] Souvenirs de M. de Tocqueville.

[56] Souvenirs de M. de Tocqueville.

[57] Souvenirs de M. de Tocqueville.

[58] Quand il pleut, dit le journal la Liberté, on ne s'informe pas à qui peut appartenir le parapluie qui vous est offert.

[59] Le gouvernement est tombé dans le mépris. La popularité de Louis-Napoléon n'a pas d'autre cause. S'il y avait un gouvernement en France, il n'y aurait pas de prétendant... (Lettre du 18 juin de Léon Faucher à M. Nathalis Briavoine.)

[60] Dans le comité de constitution (voir Odilon BARROT, Mémoires), M. de Cormenin proposait que le président fût rééligible une fois. M. Voirhaye appuyait. Il importe, disait-il, de ne pas se priver des services d'un ho urne aimé par la nation ; il est nécessaire de rendre la Constitution assez élastique pour ne pas l'exposer à être brisée par les impossibilités qu'elle impose. M. de Beaumont et M. de Tocqueville opposèrent à cette proposition le danger de trop intéresser le président à employer tous les moyens dont il disposerait pour s'assurer une réélection... Le seul palliatif, ajoute Odilon Barrot, que la commission crut devoir apporter au danger de cette élection directe fut d'exiger que l'élu réunit au moins deux millions de suffrages ; mais le remède aggravait plus qu'il n'atténuait le mal, car c'était précisément le trop grand nombre de suffrages et les prétentions qui en devaient naturellement dériver qui créaient le danger si justement redouté pour la République.

[61] Louis BLANC, dans ses Révélations historiques, t. II, donne la lettre suivante, qui aurait été tenue et lue par les généraux Cavaignac. Lamoricière, Bedeau, le colonel Charras. etc.. et qui semble prouver que le prince aurait vu tout de suite l'avenir à lui réservé :

Au général Rapatel.

Londres, 22 juin 1848.

Général, je connais vos sentiments pour ma famille. Si les événements qui se préparent tournent dans le sens qui lui soit favorable, vous êtes ministre de la guerre.