NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE IX. — LES ŒUVRES DU PRINCE.

 

 

Opinion de Béranger sur le prince comme écrivain. C'est un grand styliste. — 1832 : Rêveries politiques : la vérité gouvernementale, c'est l'union de Napoléon II et de la République ; — la civilisation, la liberté, la République, l'affranchissement des peuples, voilà ce qui sortira du génie de Napoléon ; — une génération ne peut enchaîner les générations futures ; — tout le peuplé doit voter ; il ne doit y avoir d'autre aristocratie que celle du mérite ; — le peuple doit sanctionner l'avènement du souverain ; — au résumé, une monarchie-république. — Chateaubriand sur les Rêveries. — 1833 : Considérations politiques et militaires sur la Suisse. — 1834 : Manuel d'artillerie : opinion d'Armand Carrel ; du National ; de Louis Blanc ; jugement de l'Association française, l'Institut historique. — 1839 : les Idées napoléoniennes : le système napoléonien répond à tout ; — la Fédération européenne ; — Napoléon est l'exécuteur testamentaire de la Révolution ; il a amené le règne de la Liberté en sauvant la France et l'Europe de la contre-révolution ; — critique de la Restauration et du gouvernement de Juillet ; — les guerres de l'Empire ont été des bienfaits pour l'Europe ; — une cour de cassation européenne pour régler les différends internationaux ; — l'Europe napoléonienne ; — aucun gouvernement ne saurait être aussi libéral que celui de Napoléon, qui donnerait la liberté de la tribune et la liberté de la presse ; — en rejetant Napoléon, les peuples ont rejeté tout un avenir d'indépendance. — Lettre du prince à Lamartine : Napoléon fut le roi du peuple. — L'Exilé. — 1841 : Fragments historiques, où il fait le procès du gouvernement de Juillet. — Août 1842 ; Analyse de la question des sucres, où il se montre très protectionniste. — Le prince journaliste : le Progrès du Pas-de-Calais ; il est pour le suffrage universel à deux degrés ; — il est l'adversaire des expéditions lointaines et de l'expansion coloniale ; — réformes parlementaires ; — le principe de la souveraineté du peuple rend un gouvernement indestructible, un électeur devient un homme d'ordre ; — le plébiscite ; — les députés font de mauvais ministres ; — les crises ministérielles répétées sont désastreuses ; — les fonctions de ministre et de député doivent être incompatibles ; — opinion de Bastiat. — Pas de fortifications à Paris. — Le clergé ne doit pas sans restriction avoir le droit d'enseigner. — Il faut un budget des cultes. — L'Université ne doit pas être athée ni le clergé ultramontain. — Il faut régler le fonctionnement des machines et indemniser ceux dont elle fait le travail. — Prescience géniale de la force militaire de la Prusse ; remarquables articles sur l'organisation de l'armée. — La guerre ne doit pas avoir d'autre objet que de repousser une invasion. — Il condamne ainsi par avance toutes les guerres du second Empire. — Brochure sur l'extinction du paupérisme : le budget doit aider les travailleurs ; les caisses d'épargne ne servent qu'à ceux qui peuvent économiser. — Projet d'une vaste association où les terres incultes seront exploitées par les bras inoccupés. — Colonies agricoles : 300 millions avancés par l'Etat. — Les prud'hommes, classe entre les patrons et les ouvriers. — Réponse du prince à des ouvriers. — Conception chimérique. — Sa déclaration au sujet des titres nobiliaires. — Son idée de joindre l'océan Atlantique et l'océan Pacifique.

 

Si mon suffrage littéraire, disait Béranger à M. Lefebvre-Duruflé, peut être agréable à l'Empereur, dites-lui que je le regarde comme le premier écrivain du siècle.

Il faut reconnaître que Louis-Napoléon fut un remarquable prosateur. Son style est plein de grandeur, de poésie, de lyrisme. La phrase coule facile, abondante, harmonieuse, superbe ; elle s'avance et se déroule comme un fleuve imposant et majestueux. Les images y sont souvent d'une magnifique envolée. S'il n'était pas fait pour régner, il l'était, certes, pour écrire et pour compter parmi nos plus illustres écrivains. Presque toutes ses pages sont d'une splendide écriture, mais on y trouve la preuve manifeste que chez cet homme, hors de pair par la hauteur de la pensée comme par le courage personnel, l'imagination était la faculté maîtresse, sinon la faculté unique, la folle du logis, et que c'est bien elle qui, après l'avoir fait monter si haut, l'a fait, hélas ! tomber si bas.

Il commence par publier en 1832 un opuscule intitulé : Rêveries politiques, qui, malgré le titre, est bien loin d'avoir le ton inspiré de celui qui parut quelques années plus tard : Les idées napoléoniennes. Dans les Rêveries, avant d'indiquer les grandes lignes d'une constitution, il critique l'état de choses existant et formule les données de la politique napoléonienne.

Que voit-on partout ? dit-il. Le bien-être de tous sacrifié au caprice d'un petit nombre... Malheur aux souverains dont les intérêts ne sont pas liés à ceux de la nation... Les gouvernements faibles qui sous un masque de liberté marchent à l'arbitraire, qui ne peuvent que corrompre ce qu'ils voudraient abattre, qui sont injustes envers les faibles et humbles envers les forts, ces gouvernements-là conduisent à la dissolution de la société... Oui, le jour viendra, et peut-être n'est-il pas loin, où la vertu triomphera de l'intrigue, où le mérite aura plus de force que les préjugés, où la gloire couronnera la liberté. Pour arriver à ce but, chacun a rêvé des moyens différents ; je crois qu'on ne peut y parvenir qu'en réunissant les deux causes populaires, celle de Napoléon II et celle de la République. Le fils du grand homme est le seul représentant de la plus grande gloire, comme la République celui de la plus grande liberté. Avec le nom de Napoléon on ne craindra plus le retour de la Terreur, avec le nom de la République on ne craindra plus le retour du pouvoir absolu... Si un jour les peuples sont libres, c'est à Napoléon qu'ils le devront. Il habituait le peuple à la vertu, seule base d'une république. Ne lui reprochez pas sa dictature : elle nous menait à la liberté, comme le soc de fer qui creuse les sillons prépare la fertilité des campagnes. C'est lui qui porta la civilisation depuis le Tage jusqu'à la Vistule, c'est lui qui enracina en France les principes de la république. L'égalité devant les lois, la supériorité du mérite, la prospérité du commerce et de l'industrie, l'affranchissement de tous les peuples, voilà où il nous menait au pas de charge... Plus il y a d'intelligences qui se montrent, plus les institutions doivent être républicaines. Les premiers besoins d'un pays sont l'indépendance, la liberté, la stabilité, la suprématie du mérite et l'aisance également répandue... Le meilleur gouvernement sera celui où tout abus du pouvoir pourra être corrigé, où, sans bouleversement social, sans effusion de sang, on pourra changer et les lois et le chef de l'État, car une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures... Pour que l'indépendance soit assurée, il faut que le gouvernement soit fort ; pour qu'il soit fort, il faut qu'il ait la confiance du peuple, qu'il puisse avoir une armée nombreuse. Pour être libre, il faut que tout le peuple, indistinctement, puisse concourir aux élections des représentants de la nation, il faut que la masse qu'on ne peut jamais corrompre soit la source constante d'où émanent tous les pouvoirs... Les trois pouvoirs de l'État seraient : le peuple, le Corps législatif et l'Empereur. Le peuple aurait le pouvoir électif et de sanction ; le Corps législatif aurait le pouvoir délibératif ; l'Empereur, le pouvoir exécutif... Le pouvoir sera toujours obligé de régner d'après les désirs du peuple, puisque les deux Chambres seront immédiatement élues par la masse. Il n'y aura plus de distinction de rang ni de fortune, chaque citoyen concourra également à l'élection des députés. Il n'y aura plus ni aristocratie de naissance ni aristocratie d'argent, il n'y aura plus que celle du mérite. La forme du gouvernement est stable lorsqu'elle est appuyée sur toute la nation. La souveraineté du peuple est garantie parce qu'à l'avènement de chaque nouvel empereur la sanction du peuple sera demandée. Le peuple n'ayant pas le droit d'élection, mais seulement celui d'approbation, cette loi ne présente pas les inconvénients de la royauté élective. Il y a un juge suprême qui est le peuple ; c'est à lui de décider de son sort, c'est à lui à mettre d'accord tous les partis. On parle de combats éternels... et cependant il serait facile aux souverains de consolider la paix pour toujours ; qu'ils consultent les rapports et les mœurs des diverses nations entre elles, qu'ils leur donnent leur nationalité et les institutions qu'elles réclament, et ils auront trouvé la vraie balance politique. Alors tous les peuples seront frères, et ils s'embrasseront à la face de la tyrannie détrônée, de la terre consolée et de l'humanité satisfaite.

 

Ainsi, ni la monarchie ni la république, mais une monarchie républicaine ou une république monarchique, c'est-à-dire l'empire, un gouvernement héréditaire qui ne l'est pas en droit, mais qui l'est en fait, tel est le système, avec le peuple, souverain suprême, approuvant l'avènement de chaque nouvel empereur, sans admettre, même par hypothèse, que cet empereur puisse jamais être un autre qu'un Napoléon. N'est-ce pas ainsi qu'avait débuté l'ère napoléonienne : République française ; Napoléon empereur, ainsi qu'il était dit dans les pièces officielles et gravé sur les pièces de monnaie ?

Chateaubriand, auquel il envoie ses Rêveries politiques, lui répond de Lucerne, le 7 septembre 1832 :

Prince, j'ai lu avec attention la petite brochure que vous avez bien voulu me confier ; j'ai mis par écrit, comme vous l'avez désiré, quelques réflexions naturellement nées des vôtres et que j'avais déjà soumises à votre jugement. Vous savez, Prince, que mon jeune roi est en Ecosse ; que tant qu'il vivra il ne peut y avoir pour moi d'autre roi de France que lui. Mais si Dieu, dans ses impénétrables desseins, avait rejeté la race de saint Louis, si notre patrie devait revenir sur une élection qu'elle n'a pas sanctionnée[1], et si les mœurs ne lui rendaient pas l'état républicain possible, alors, Prince, il n'y a pas de nom qui aille mieux à la gloire de la France que le vôtre...

 

En 1833, il publie une brochure intitulée : Considérations politiques et militaires sur la Suisse, et en 1834 un Manuel d'artillerie qu'il envoie au célèbre journaliste Carrel, dont on rapporte, à ce sujet, les paroles suivantes : Les ouvrages politiques et militaires de Napoléon-Louis Bonaparte annoncent une forte tête et un noble caractère ; le nom qu'il porte est le plus grand des temps modernes ; c'est le seul qui puisse exciter fortement les sympathies du peuple français. Si ce jeune homme sait comprendre les nouveaux intérêts de la France, s'il sait oublier ses droits de légitimité impériale pour ne se rappeler que la souveraineté du peuple, il peut être appelé à jouer un grand rôle[2]. Quelle était la valeur de cette œuvre technique ? Nous pensons, lit-on dans le journal de l'Institut historique[3], que le Manuel d'artillerie[4] publié par notre collègue le prince Napoléon-Louis Bonaparte mérite d'occuper une place distinguée dans la bibliothèque des officiers français, et qu'il doit être un ouvrage précieux pour MM. les officiers de la République helvétique... En se rendant utile aux jeunes officiers de son arme, le prince Napoléon a dignement payé la dette de l'hospitalité, et il a montré, pour me servir de ses expressions, que les neveux du capitaine d'artillerie de Toulon n'ont point dégénéré[5].

Les Idées napoléoniennes parurent en 1839. Elles ne constituent autre chose qu'un acte d'adoration. C'est du sentiment, c'est de l'enthousiasme, c'est de l'ivresse. La doctrine napoléonienne, c'est la vérité révélée, c'est la sagesse descendue sur la terre ; Napoléon, cela dit tout, cela résume tout, cela résout tout ; Napoléon, c'est comme un Dieu. De ces idées napoléoniennes on parvient cependant à dégager cette formule que le système napoléonien est un système complet et parfait, parce qu'au lieu de ne donner satisfaction qu'à l'aristocratie comme l'ancien régime et la monarchie restaurée, qu'à la bourgeoisie comme le gouvernement de Juillet, qu'à la démocratie comme la République, l'Empire repose au contraire sur cette trinité qu'il vivifie à son tour dans une admirable synthèse. Dans le passé il n'y a jamais eu d'édifice politique qui puisse lui être comparé, et dans F avenir il n'y aura jamais rien qui puisse le surpasser. Écoutez !

Le régime établi en 1800, guidé par un génie supérieur, avait fondé partout des institutions progressives sur des principes d'ordre et d'autorité ; mais l'ancien régime se présenta en 1814 et 1815 sous le masque d'idées libérales. Ce cadavre s'enveloppa de lambeaux aux couleurs nouvelles, et l'on prit le linceul d'un mort pour les langes d'un enfant plein d'avenir... Un guide nous est apparu. Ce guide, c'est l'homme extraordinaire qui, second Josué, arrêta la lumière et fit reculer les ténèbres Nous qui avons eu à notre tête un Moïse, un Mahomet, un César, un Charlemagne, irions-nous chercher autre part que dans ses préceptes un exemple et une synthèse politiques ?... Les grands hommes ont cela de commun avec la divinité qu'ils ne meurent jamais tout entiers. Leur esprit leur survit, et l'idée napoléonienne[6] a jailli du tombeau de Sainte-Hélène, de même que la morale de l'Évangile s'est élevée triomphante, malgré le supplice du Calvaire.

 

L'idée napoléonienne consiste à reconstituer la société française bouleversée par cinquante ans de révolution, à concilier l'ordre et la liberté, les droits du peuple et les principes d'autorité..... Elle prend les anciennes formes et les nouveaux principes..... Elle appuie son système sur des principes d'éternelle justice ; elle remplace le système héréditaire des vieilles aristocraties par un système hiérarchique qui, tout en assurant l'égalité, récompense le mérite et garantit l'ordre. Elle trouve un élément de force et de stabilité dans la démocratie parce qu'elle la discipline. Elle trouve un élément de force dans la liberté parce qu'elle en prépare sagement le règne en établissant des bases larges avant de bâtir l'édifice... Elle ne voit en France que des frères faciles à réconcilier et dans les différentes nations de l'Europe que les membres d'une seule et grande famille. — On voit percer là l'idée de la Fédération européenne, des États-Unis d'Europe ou plutôt d'un EMPEREUR D'EUROPE ; c'était bien là en effet la pensée, le rêve de Napoléon Ier. —.....

Elle réunit la nation au lieu de la diviser... elle donne à chacun l'emploi qui lui est dû, la place qu'il mérite selon sa capacité et ses œuvres, sans demander compte à personne ni de son opinion ni de ses antécédents politiques elle vogue à pleines voiles sur l'Océan de la civilisation, au lieu de rester dans un étang bourbeux..... L'idée napoléonienne se fractionne en autant de branches que le génie humain a de phases différentes ; elle va vivifier l'agriculture, elle invente de nouveaux produits... elle aplanit les montagnes, traverse les fleuves, facilite les communications et oblige les peuples à se donner la main. Elle emploie tous les bras et toutes les intelligences. Elle va dans les chaumières... avec les moyens nécessaires pour étancher la soif du pauvre, pour apaiser sa faim ; et de plus elle a un récit de gloire pour éveiller son amour de la patrie ! L'idée napoléonienne est comme l'idée évangélique... ce n'est qu'à la dernière extrémité qu'elle invoque le dieu des armées... L'idée napoléonien ne repousse loin d'elle la corruption, la flatterie et le mensonge... Quoiqu'elle attende tout du peuple, elle ne le flatte pas... L'idée napoléonienne est une idée de paix plutôt qu'une idée de guerre, une idée d'ordre et de reconstitution... Ainsi, fraternisation des nations européennes — fusion des partis — gouvernement d'aristocratie, de bourgeoisie et de démocratie — développement du commerce — récompense de chacun — extinction du paupérisme — gloire et en même temps paix — voilà le système napoléonien.

..... Napoléon, dit-il encore, en arrivant sur la scène du monde, vit que son rôle était d'être l'exécuteur testamentaire de la Révolution... Lorsque la Révolution mourante... légua à Napoléon l'accomplissement de ses dernières volontés, elle dut lui dire : Affermis sur des bases solides les principaux résultats de mes efforts ; réunis les Français divisés, repousse l'Europe féodale liguée contre moi, cicatrise mes plaies, éclaire les nations, exécute en étendue ce que j'ai dû faire en profondeur ; sois pour l'Europe ce que j'ai été pour la France...

L'empereur Napoléon, continue-t-il, a contribué plus que tout autre à accélérer le règne de la liberté, en sauvant l'influence morale de la Révolution et en diminuant les craintes qu'elle inspirait. Sans le Consulat et l'Empire, la Révolution n'eût été qu'un grand drame... La Révolution se serait noyée dans la contre-révolution, tandis que le contraire a eu lieu, parce que Napoléon enracina en France et introduisit partout en Europe les principaux bienfaits de la grande crise de 89 et que, pour nous servir de ses expressions, il dessouilla la Révolution, affermit les rois et ennoblit les peuples. Il dessouilla la Révolution en séparant les vérités qu'elle fit triompher des passions qui dans leur délire les avait obscurcies ; il raffermit les rois en rendant le pouvoir honoré et respectable ; il ennoblit les peuples en leur donnant la conscience de leurs forces et ces institutions qui relèvent l'homme à ses propres yeux. L'Empereur doit être considéré comme le Messie des idées nouvelles.....

Quel était le but de Napoléon ? la liberté !... oui, la liberté !... Et plus on étudiera l'histoire, plus on se convaincra de cette vérité... La liberté, dira-t-on, n'était pas assurée par les lois impériales. Son nom n'était pas, il est vrai, en tête de toutes les lois, ni affiché à tous les carrefours ; mais chaque loi de l'Empire en préparait le règne paisible et sûr... La gloire de Napoléon est comme le soleil ; aveugle qui ne la voit pas. Des détracteurs obscurs ne changeront pas l'influence irrécusable d'actes patents ; quelques gouttes d'encre répandues dans la mer ne sauraient altérer la couleur de ses eaux... Et si dans le séjour céleste où repose maintenant sa grande âme Napoléon pouvait encore se soucier des agitations et des jugements qui se heurtent ici-bas, son ombre irritée n'aurait-elle pas le droit de répondre à ses accusateurs : ... Vous qui me blâmez, qu'avez-vous fait pendant vingt-quatre ans d'une paix profonde ? avez-vous... réuni les partis autour de l'autel de la patrie ? avez-vous donné à la Chambre des pairs l'organisation démocratique de mon Sénat ?... Avez-vous donné à votre système électoral la base démocratique de mes assemblées de canton ?... avez-vous facilité l'accès à la Chambre représentative en assurant une rétribution aux députés ?... avez-vous amélioré le sort des classes pauvres ?... avez-vous rétabli la loi du divorce ?... avez-vous organisé la garde nationale de telle sorte qu'elle soit une barrière invincible à l'invasion ?... avez-vous contenu le clergé dans ses attributions religieuses ?... avez-vous conservé à l'armée cette considération et cette popularité qu'elle avait acquises à si juste titre ? Avez-vous rendu à nos débris de Waterloo le peu de paix qui leur revenait comme prix du sang qu'ils ont versé pour la France ? Avez-vous assuré à la France des alliés sur lesquels elle puisse compter au jour du danger ? Avez-vous diminué les charges du peuple ? Enfin avez-vous affaibli cette centralisation administrative que je n'avais établie que pour organiser l'intérieur et pour résister à l'étranger ?

 

Après avoir ainsi fait la critique de la Restauration et surtout du gouvernement de Juillet, il revient à sa thèse, à son idée fixe, à sa foi que la France ne peut être heureuse et grande qu'avec l'Empire, auquel on reproche injustement d'avoir fait la guerre : ... Les guerres de l'Empire ont été comme le débordement du Nil : lorsque les eaux de ce fleuve couvrent les campagnes de l'Egypte, on pourrait croire à la dévastation ; mais à peine se sont-elles retirées que l'abondance et la fertilité naissent de leur passage ! La comparaison n'est-elle pas ingénieuse ? L'image n'est-elle point une vraie trouvaille ? Cette thèse de l'Empereur apportant à l'Europe dans les plis du drapeau français, malgré les horreurs de la guerre, les principes nécessaires, les principes féconds, les principes régénérateurs, les principes immortels de 1789, n'a-t-elle pas été soutenue et développée à satiété par la plupart de ceux qui se réclamaient de la démocratie même la plus avancée ?

Quel était le but de l'Empereur ? ajoute le prince. Ce n'était pas seulement d'enseigner à l'Europe l'Évangile nouveau, de lui apprendre la liberté, l'égalité et la fraternité ; c'était — gigantesque entreprise — de faire disparaître les barrières existant entre les peuples, de fondre les races en une seule nationalité et de fonder l'empire d'Europe sous le sceptre de Napoléon et de ses héritiers :

Une confédération européenne, dit-il... ; remplacer entre les nations de l'Europe l'état de nature par l'état social, telle était la pensée de l'Empereur. La politique de l'Empereur... consistait à fonder une association européenne solide en faisant reposer son système sur des nationalités complètes et sur des intérêts généraux satisfaits. Si la fortune ne l'eût pas abandonné, il aurait eu dans ses mains tous les moyens de constituer l'Europe... Pour cimenter l'association, européenne, l'Empereur eût fait adopter un code européen, une Cour de cassation européenne redressant pour tous les erreurs, comme la Cour de cassation en France redresse les erreurs, de ses tribunaux... Les intérêts européens auraient dominé les intérêts nationaux, et l'humanité eût été satisfaite...

Et pour qu'on ne s'y trompe point, le prince s'exprime d'une façon explicite :

L'Europe napoléonienne fondée, l'Empereur eût procédé en France aux établissements de paix... Il eût consolidé la liberté... Le gouvernement de Napoléon, plus que tout autre, pouvait supporter la liberté, par cette unique raison que la liberté eût affermi son trône, tandis qu'elle renverse les trônes qui n'ont pas de base solide. La liberté eût affermi sa puissance, parce que Napoléon avait établi en France tout ce qui doit précéder la liberté ; parce que son pouvoir reposait sur la masse entière de la nation, parce que ses intérêts étaient les mêmes que ceux du peuple... Aimé surtout des classes populaires, Napoléon pouvait-il craindre de donner des droits politiques à tous les citoyens ?... Déjà, en 1803, Napoléon prévoyait que la liberté fortifierait son pouvoir : ayant ses plus chauds partisans dans le peuple, plus il abaissait le cens électoral, plus ses amis naturels avaient des chances d'arriver à l'Assemblée législative ; plus il donnait de pouvoir aux masses, plus il affermissait le sien. La liberté de discussion dans les Chambres n'eût pas eu non plus d'effets dangereux pour le gouvernement impérial ; car, tous étant d'accord sur les questions fondamentales, l'opposition n'eût servi qu'à faire naître une noble émulation... Enfin, la liberté de la presse n'eût servi qu'à mettre en évidence la grandeur des conceptions de Napoléon, qu'à proclamer les bienfaits de son règne... Avec Napoléon, on arrivait sans secousses et sans troubles à un état normal où la liberté eût été le soutien du pouvoir, la garantie du bien-être général... C'est avec l'impression d un rêve enivrant qu'on s'arrête sur le tableau de bonheur et de stabilité qu'eût présenté l'Europe si les vastes projets de l'Empereur eussent été accomplis. Chaque pays circonscrit dans ses limites naturelles, uni à son voisin par des rapports d'intérêts et d'amitié, aurait joui à l'intérieur des bienfaits de l'indépendance, de la paix et de la liberté. Les souverains, exempts de crainte et de soupçon, ne se seraient appliqués qu'à améliorer le sort de leurs peuples et à faire pénétrer chez eux tous les avantages de la civilisation... Les peuples étrangers, impatients des maux momentanés de la guerre, oublièrent ce que Napoléon leur apportait, et pour un mal passager ils repoussèrent tout un avenir d'indépendance.

 

Ainsi tous les peuples auraient fini, en communiant dans la religion napoléonienne, par ne plus avoir qu'une seule et même opinion sur toutes les questions fondamentales, et par trouver le bonheur parfait, ainsi que la paix définitive. La parole de l'Écriture : Et tradidit mundum disputationibus eorum, aurait cessé d'être une vérité !

Lamartine ayant maltraité l'Empereur dans une lettre à M. Chapuys-Montlaville qui lui avait fait part de son intention de publier un Plutarque français, Louis-Napoléon lui écrivit : Ce fut Napoléon qui, arrêtant les passions, fit triompher partout en Europe les vérités de la révolution française... Napoléon eut ses torts et ses passions ; mais ce qui le distinguera éternellement de tous les souverains aux yeux des masses, c'est qu'il fut le roi du peuple, tandis que les autres furent les rois des nobles et des privilégiés... Consul, il établit en France les principaux bienfaits de la révolution ; empereur, il répandit dans toute l'Europe ces mêmes bienfaits. Sa mission, d'abord purement française, fut ensuite humanitaire.

Ce qui prouve bien le lyrisme de cet esprit, c'est le morceau suivant[7], écrit à Ham et intitulé : l'Exilé[8] :

Ô vous que le bonheur a rendu égoïste, qui n'avez jamais souffert les tourments de l'exil, vous croyez que c'est une peine légère que de priver les hommes de leur patrie. Or, sachez-le, l'exil est un martyre continuel, c'est la mort, mais non la mort glorieuse et brillante de ceux qui succombent pour la patrie, non la mort plus douce de ceux dont la vie s'éteint au milieu des charmes du foyer domestique, mais une mort de consomption lente et hideuse qui vous mine sourdement et vous conduit sans bruit et sans effort à un tombeau désert. Dans l'exil, l'air qui vous entoure vous étouffe, et vous ne vivez que du souffle affaibli qui vient des rives lointaines de la terre natale. Étranger à vos compatriotes qui vous ont oublié, sans cesse étranger parmi ceux avec lesquels vous vivez, vous êtes comme une plante transportée d'un climat lointain, qui végète faute d'un coin de terre où elle puisse prendre racine. L'exilé peut trouver sur la terre étrangère des âmes généreuses, des caractères élevés qui s'efforceront d'être pour lui prévenants et affables ; mais l'amitié, cette harmonie du cœur, il ne la rencontre nulle part, car elle ne repose que sur une communauté de sentiments et d'efforts... Exilé, vrai paria des sociétés modernes, si tu ne veux pas avoir le cœur brisé à chaque instant, il faut, comme le dit Horace, que tu t'enveloppes dans ta vertu, et que, la poitrine couverte d'un triple airain, tu sois inaccessible aux émotions... Ne te laisse jamais aller à un épanchement de cœur, à des entraînements sympathiques qui tendraient à te rappeler au souvenir de tes compatriotes, ils viendraient l'injure à la bouche te demander de quel droit, toi exilé, tu oses venir exprimer une opinion sur les affaires de ton pays !... Si tu rencontres sur la terre étrangère un déserteur, c'est-à-dire un de ces hommes dont les antécédents se rattachent à ta famille et avec lequel tu as passé les premières années de l'enfance, arrête l'élan qui te pousse vers lui, ne lui tends pas la main, car tu le verrais fuir avec précipitation... et il n'a pas tort, car ton contact semble porter la contagion ; ton baiser est comme le souffle du désert qui dessèche tout ce qu'il touche. Si l'on savait qu'il t'a parlé, on le priverait du pain qui fait vivre ses enfants. C'est un crime aux yeux des grands du jour que d'être lié avec un exilé... Prends garde à chaque pas que tu fais, à chaque mot que tu prononces, à chaque soupir qui s'échappe de ta poitrine, car il y a des gens payés pour dénaturer tes actions, pour défigurer tes paroles, pour donner un sens à tes soupirs ! Si l'on te calomnie, ne réponds pas... l'exilé doit être calomnié sans répondre, il doit souffrir sans se plaindre ; la justice n'existe pas pour lui. Heureux ceux dont la vie s'écoule au milieu de leurs concitoyens, et qui, après avoir servi leur patrie avec gloire, meurent à côté du berceau qui les a vus naître ! Mais malheur à ceux qui, ballottés par les flots de la fortune, sont condamnés à mener une vie errante... et qui, après avoir été de trop partout, mourront sur la terre étrangère sans qu'un ami vienne pleurer sur leur tombe !

 

Dans cette page se révèle d'une façon intense la nature sentimentale et poétique de Louis-Napoléon.

Au fort de Ham, en 1841, il publie les Fragments historiques (1688-1830). Au moyen de l'histoire d'Angleterre, où il va chercher ses exemples, il dresse un acte d'accusation contre le gouvernement de Juillet.

Un gouvernement, dit-il, peut souvent violer impunément la légalité et même la liberté ; mais s'il ne se met pas franchement à la tête des grands intérêts de la civilisation, il n'a qu'une durée éphémère. Il crut (Charles II) qu'en remplaçant les idées d'honneur et de gloire par le développement des intérêts matériels, en détruisant la foi par l'astuce et les consciences par la corruption, il sortirait du dédale des passions politiques. Quant à la nation, peu lui importait qu'elle s'y perdît... Les gouvernements qui ne sont ni assez populaires pour gouverner par l'union des citoyens, ni assez forts pour les maintenir dans une oppression commune, ne peuvent se soutenir qu'en alimentant la discorde entre les partis... Elle est triste, l'histoire d'un règne (Charles II) qui ne se signale que par les procès politiques et des traités honteux, et qui ne laisse, après lui, au peuple, qu'un germe de révolution, et aux rois, qu'un exemple déshonorant. Il n'y a jamais eu, chez les peuples libres, de gouvernement assez fort pour réprimer longtemps la liberté à l'intérieur, sans donner de la gloire au dehors... On ne viole pas impunément la logique populaire. Maintenir la paix en réveillant des symboles de guerre ; charger le peuple d'impôts pour faire assister les flottes et l'armée à des traités honteux ; tendre journellement tous les ressorts du pouvoir, sans même garantir le repos public, voilà les inconséquences dont le peuple, tôt ou tard, devait leur demander compte ! Les Stuarts[9] ne cherchaient jamais par l'application de quel grand principe, par l'adoption de quel grand système ils pouvaient assurer la prospérité et la prépondérance de leur pays, mais par quels expédients mesquins, par quelles intrigues cachées ils pouvaient soutenir leur pouvoir toujours dans l'embarras. L'histoire d'Angleterre dit hautement aux rois : Marchez à la tête des idées de votre siècle, ces idées vous suivent et vous soutiennent ; marchez à leur suite, elles vous entraînent ; marchez contre elles, elles vous renversent.

En 1685, le trône d'Angleterre était occupé par un roi simple de mœurs, exempt de vices et doué de qualités privées recommandables à son avènement ; on se souvenait que, jeune encore, il s'était battu avec courage, pendant les troubles civils, et que, exilé avec sa famille, pendant la république et le protectorat, il avait été élevé à l'école du malheur. Il s'annonçait comme l'homme le plus capable de faire le bonheur du peuple qu'il était appelé à gouverner. Il en fut cependant tout autrement. Il appelait le progrès une utopie, la gloire une chimère, l'honneur un préjugé, la misère des classes pauvres une malheureuse nécessité. A l'intérieur, ce n'était qu'arbitraire et corruption ; à l'extérieur, ce n'était que faiblesse et lâcheté. Le roi avait beau se vanter d'être entouré d'hommes qui avaient servi tour à tour la République, Cromwell et Charles II, ces hommes ne représentaient aucun parti, aucun intérêt, car les transfuges n'emportent jamais leur drapeau.

 

En août 1842, il publie une brochure intitulée : Analyse de la question des sucres, où il traite le problème du régime économique de la France, et où il se montre protectionniste décidé, adversaire résolu des idées libérales qu'il devait faire triompher en 1860 :

Le premier intérêt d'un pays ne consiste pas dans le bon marché des objets manufacturés, mais dans l'alimentation du travail. Protéger le consommateur aux dépens du travail intérieur, c'est, en général, favoriser la classe aisée au détriment de la classe indigente, car la production, c'est la vie du pauvre, le pain de l'ouvrier, la richesse du pays. L'intérêt du consommateur, au contraire, oblige le fabricant à devenir oppresseur. Pour dominer la concurrence et livrer ses produits au plus bas prix possible, il faut qu'il maintienne des millions d'individus dans la misère, qu'il réduise journellement les salaires, qu'il emploie de préférence les femmes et les enfants, et laisse sans occupation l'homme valide qui ne sait que faire de sa force et de sa jeunesse. L'Angleterre a réalisé le rêve de certains économistes modernes ; elle surpasse toutes les autres nations dans le bon marché de ses produits manufacturés. Mais cet avantage, si c'en est un, n'a été obtenu qu'au préjudice de la classe ouvrière. Le vil prix de la marchandise dépend du vil prix du travail, et le vil prix du travail, c'est la misère du peuple. Si, en France, les partisans de la liberté commerciale osaient mettre en pratique leurs funestes théories, la France perdrait en richesse une valeur d'au moins deux milliards ; deux millions d'ouvriers resteraient sans travail, et notre commerce serait privé du bénéfice qu'il tire de l'immense quantité de matières premières qui sont importées pour alimenter nos manufactures. Une nation est coupable de mettre à la merci des autres son approvisionnement des denrées de première nécessité. Pouvoir, d'un jour à l'autre, être privé de pain, de sucre, de fer, c'est livrer sa destinée à un décret étranger, c'est une sorte de suicide anticipé qu'on a voulu prévenir en accordant une protection spéciale aux grains et au fer français[10].

 

Le prince est aussi journaliste, et pendant les années qu'il passe à Ham, il fait de temps en temps paraître des articles dans le journal le Progrès du Pas-de-Calais[11]. Il y traite les questions à l'ordre du jour, et notamment les principaux problèmes d'organisation politique, sociale, économique, militaire.

Chose singulière, en matière électorale, il préconise alors l'élection à deux degrés[12].

Elle donne des droits politiques à tout un peuple sans offrir les dangers et les inconvénients de ce que l'on entend ordinairement par suffrage universel ; c'est une organisation hiérarchique et démocratique, hiérarchique, car on est d'abord électeur parce qu'on est d'abord citoyen, ensuite on est membre d'un collège électoral parce qu'on s'est acquis la confiance des citoyens, et puis député parce qu'on s'est acquis la confiance des électeurs. Il y a donc plusieurs degrés à parcourir, mais l'organisation est en même temps démocratique, parce que le peuple entier en forme la base. Cette influence de la volonté populaire doit agir et réagir, mais par degrés et par échelons. Lorsque le peuple vote en masse sur la place publique et donne directement son suffrage, c'est, pour ainsi dire, tout le sang d'un corps qui afflue vers le tête ; il y a malaise, congestion, étourdissement ; les intérêts, mêmes du peuple y sont mal représentés parce que ce n'est plus la réflexion et le jugement qui élisent, mais la passion et l'entraînement du moment qui décident du choix. Nous avons un exemple frappant de cette vérité dans la démocratie des petits cantons suisses. Le peuple, assemblé en masse sur la place publique, choisit tous ses représentants, et quoiqu'il fasse usage de toute la plénitude de sa souveraineté, c'est cependant dans ces cantons que l'esprit rétrograde est le plus enraciné. Dans leurs assemblées populaires il n'y a pas de vieux préjugés qu'ils ne sanctionnent, il n'y a pas d'améliorations qu'ils ne repoussent. Ses idées se modifièrent par la suite, mais on voit qu'à l'origine, tout en réclamant le suffrage universel, il en redoutait l'application directe.

Il n'est pas non plus partisan d'une politique coloniale, d'une politique d'expansion au dehors. Si la France, dit-il, était dans un état normal, le gouvernement pourrait se borner à répéter à ses administrés ces paroles du Seigneur : Croissez et multipliez. Il pourrait leur dire : Parcourez les mers, et partout où vous trouverez un rivage, continent, île ou rocher, implantez-y, comme germe d'une civilisation nouvelle, votre race intelligente et laborieuse. Malheureusement, dans l'état actuel de l'Europe, la France ne peut pas étendre, sans inconvénient, sa domination sur des points isolés, situés au bout du monde. Au lieu d'éparpiller ses forces, il faut qu'elle les concentre ; au lieu de prodiguer ses trésors, il faut qu'elle les ménage, car le jour peut arriver où elle ait besoin de tous ses enfants et de toutes ses ressources[13]. Une fois monté sur le trône, il ne s'est pas, hélas ! souvenu de cette sage politique.

Dans le fonctionnement et dans les mœurs du parlementarisme il soutient[14] qu'il y a des améliorations à introduire. Il faut exiger qu'un projet de loi ne soit valable qu'autant qu'il a été lu trois fois devant les Chambres. Les intérêts lésés se soumettraient sans murmure, car ils n'attribueraient pas la mesure qui les blesse au hasard, mais à la volonté clairement manifestée des représentants de la nation. Il faut obliger un député qui veut s'absenter, à s'arranger avec un député de l'opinion opposée, afin que les absences n'influent pas sur la force des partis. Il faut abolir la tribune et obliger chaque député à parler de sa place. Avec une tribune, une Chambre ressemble trop à un théâtre où les grands acteurs seuls peuvent réussir. Avec une tribune, les avocats, seuls, remportent, en général, tous les triomphes.

S'il descend ainsi dans les détails de l'organisation politique, il revient bien vite à cet exposé didactique qui lui est si cher des principes napoléoniens[15]...

Un gouvernement doit puiser sa force morale dans un principe et sa force physique dans une organisation... L'adoption d'un principe reconnu par tous lui donnera l'opinion, l'établissement d'une vaste organisation lui donnera tous les bras. Supposons qu'un gouvernement accepte franchement le principe de la souveraineté du peuple, c'est-à-dire l'élection, il aura pour lui tous les esprits ; car quel est l'individu, la caste, le parti qui oserait attaquer le droit, produit légal de la volonté de tout un peuple ? Supposons encore qu'il organise la nation en donnant à chacun des droits et des devoirs fixes, c'est-à-dire une place dans la communauté, un degré sur l'échelle sociale, il aura enrégimenté tout le peuple et assuré cet ordre véritable qui a pour base l'égalité des droits et pour règle la hiérarchie du mérite... Donnez au prolétaire le plus anarchique des droits, une place légale dans la société, vous en faites à l'instant un homme d'ordre, dévoué à la chose publique, car vous lui donnez des intérêts à défendre. Les hommes sont ce que les institutions les font... Les institutions en France doivent être marquées au coin de la démocratie... La malheureuse Irlande jouit, sous certains rapports, d'une plus grande liberté que la France de Juillet. Ici, par exemple, vingt personnes ne peuvent se réunir sans l'autorisation de la police...

 

Dans une lettre[16] adressée le 28 octobre 1843 au rédacteur du journal le Loiret[17], il affirme la doctrine plébiscitaire...

Jamais je n'aurai d'autre désir que de voir le peuple entier légalement convoqué choisir librement la forme du gouvernement qui lui conviendra. Issu d'une famille qui a dû son élévation aux suffrages de la nation, je mentirais à mon origine, à ma nature, et qui plus est, au sens commun, si je n'admettais pas la souveraineté du peuple comme base fondamentale de toute organisation politique. J'ai réclamé, il est vrai, une première place, mais sur la brèche. J'avais une grande ambition, mais elle était hautement avouable, l'ambition de réunir autour de mon nom plébéien tous les partisans de la souveraineté nationale, tous ceux qui voulaient la gloire et la liberté.

 

Il fait la critique[18] du personnel parlementaire...

Pour apprendre l'art de gouverner, qui est sans contredit l'art le plus difficile de tous, on n'exige aucun apprentissage... Il suffit d'appartenir à la nuance politique qui constitue la majorité de la Chambre pour être censé tout savoir, pour être réputé capable de remplir tous les ministères, c'est là un grand vice de notre organisation constitutionnelle ; l'opinion politique de l'homme est tout ; la valeur intrinsèque, ses connaissances spéciales ne sont rien. Ainsi nous voyons un avocat à la tête des travaux publics, un industriel régler les intérêts de l'agriculture, etc., puis, au premier coup de sifflet que pousseront les Chambres, la décoration change, les rôles sont intervertis, le ministre du commerce passe à l'intérieur, le ministre de la guerre aux affaires étrangères, et ainsi de suite. Il résulte de cette anarchie que les bureaux seuls décident les questions importantes... Le gouvernement constitutionnel eût été, suivant nous, bien mieux établi si le ministère, composé des spécialités les plus éminentes du pays, eût eu à sa tête un seul chef responsable devant les Chambres... Si les Chambres eussent blâmé la politique dirigeante, le président eût cédé la place à un autre ; mais son renvoi n'eût pas eu l'effet désastreux des changements actuels des ministères... Le ministère représente des intérêts immuables et une influence passagère ; les intérêts immuables doivent être représentés par des hommes immuables ; l'influence passagère, au contraire, doit obéir à la manifestation légale des désirs du pays... En un mot, la politique doit avoir son orateur ; mais les affaires doivent avoir leurs ministres.

En somme, ce qu'il combat, c'est le gouvernement parlementaire, dans la forme anglaise, pratiqué par la Restauration et par le gouvernement de Juillet, c'est-à-dire le système dans lequel le ministère est exclusivement recruté dans les Chambres. Il n'est pas douteux que dans un pays comme la France, où la démocratie déborde et où ni les lois, ni les traditions, ni les mœurs ne mettent obstacle à l'ascension politique des plus infimes, la situation de ministre est un but qu'il est donné à tous de viser, et qu'il résulte de là une course aux portefeuilles, une attaque et une défense des portefeuilles, qui fausse tout, qui pervertit tout et qui peut tout perdre. Le Parlement, pour être le maître, n'a pas besoin que les ministres soient pris dans son sein, et à cet égard, l'idée napoléonienne a bien sa valeur. Quand l'Empire est tombé, ce n'est plus ce parlementarisme mitigé qui régnait, c'était le parlementarisme pur, celui d'ailleurs, il faut le reconnaître, qui existe partout où le souverain règne et ne gouverne pas. Néanmoins, il y aurait peut-être là un nouvel essai à tenter. Cette incompatibilité des fonctions de ministre et de député fut proposée au mois de mars 1849 à l'Assemblée nationale, par l'éminent économiste Bastiat, lors de la discussion de la loi électorale.

Il n'y a qu'en Angleterre, pays aristocratique, disait-il, où l'on a décidé le contraire, et en France, depuis la Restauration... Je ne connais pas une compatibilité aussi fausse en principe et aussi funeste dans son application que celle d'un représentant pouvant devenir et aspirant à devenir ministre... Si la loi dit aux représentants : Vous pouvez être ministres vous-mêmes, il suffit pour cela que vous mettiez les ministres dans leur tort, ne voyez-vous pas de suite quels inconvénients, quelles intrigues un pareil langage peut faire naître dans une Assemblée législative ?... Je crois qu'il n'y a pas de plus grand danger que cette confusion de pouvoirs dans la personne des représentants. Si l'on voulait chercher les causes de presque toutes les grandes calamités politiques, de toutes les guerres inutiles, des profusions, des dilapidations, des corruptions, on les trouverait presque toujours dans les luttes, dans les intrigues, dans les coalitions que suscite au sein des assemblées électives précisément l'admissibilité des députés dans les ministères... Je crois qu'il faudrait n'avoir jamais jeté les yeux sur l'histoire de la Grande-Bretagne, et, de plus, je crois qu'il faudrait avoir dormi depuis 1824 jusqu'à nos jours, pour n'être pas frappé de ces dangers... Je défie aucun des représentants d'oser voter une pareille organisation pour les conseils généraux, je les défie de dire que lorsqu'il se formera une opposition systématique... que c'est le chef de cette opposition qui devra devenir préfet. Aucun de vous ne voudrait faire ce présent à son département, et cependant vous allez l'introduire dans l'enceinte législative elle-même où les questions sont plus brûlantes... Sous le régime déchu les crises ministérielles ont fait un mal immense... La question se résume à savoir si l'admissibilité des députés au ministère n'est pas une cause de crise ministérielle et de conflit de pouvoirs. Cela ne peut faire l'objet d'un doute... (les coalitions) se formeront au moins sur le terrain des principes, puisque les ambitions personnelles seront hors de cause. Mais en sera-t-il ainsi quand la loi dira aux représentants : Un portefeuille est le prix de la victoire ! Et remarquez que ce dangereux langage s'adresse justement au représentant qui a le plus de valeur, le plus de mérite, le plus de génie, le plus de force de caractère... Ce sont ces hommes qui, malheureusement, tourneront leur génie contre le bien public, parce qu'il y aura un intérêt personnel qui les poussera malgré eux. Il ne faut pas connaître le cœur humain pour dire le contraire.

 

Et comme le citoyen Charlemagne s'écrie : ... (Autrefois) où prenait-on (les ministres) ? dans les antichambres de Versailles ! à l'Œil-de-bœuf ! Gomment étaient-ils nommés ? par les intrigues des courtisans, quelquefois par des moyens plus honteux. On a vu alors une courtisane, au milieu d'une orgie, dicter au monarque ses choix !... le citoyen Saint-Gaudens lui répond : Quelle est l'assemblée républicaine qui n'a pas déclaré cette incompatibilité entre les fonctions de ministre... et les fonctions de représentant ? Je tiens ici toutes nos constitutions, vous n'en trouverez pas une seule où l'incompatibilité ne soit consacrée... Ce système fonctionne très bien aux États-Unis depuis quatre-vingts ans ; je vous engage à l'adopter. Lamartine combat la thèse de Bastiat. Il n'est personne, c'est vrai, qui ne soit effrayé de ces trames d'ambition déplaçant les majorités, qui puisse récuser les inconvénients, les dangers présentés à si juste titre par M. Bastiat, mais, dans son système, les inconvénients seraient bien autrement graves ; les hommes supérieurs, ne pouvant plus arriver au ministère, ne se porteraient plus à la députation, et le résultat serait l'abaissement du niveau intellectuel, moral et politique de l'Assemblée. Dans le cas contraire, ... ces grandes ambitions, par cela même qu'elles sont grandes, ne sont pas des ambitions vulgaires... elles ne tiennent pas à la dénomination de ministre, il leur suffit de régner par d'autres mains, elles auront des ministres de paille ; il y aura ce qui a eu lieu en 1793 sous le ministère des girondins... (Ceux-ci) ne daignèrent pas être ministres, et les agents ministériels responsables, obscurs, qu'ils mirent à leur place leur obéirent, firent le 10 août et renversèrent trône et constitution. Voilà le système de l'irresponsabilité !

Bastiat revient à la charge. C'est un spectacle lamentable et qui pervertit le sens moral de la nation, et qui déconsidère le pouvoir dans l'esprit des masses, que celui de ces hommes qui oublient si vite, une fois qu'ils sont ministres, les principes qu'ils ont soutenus quand ils étaient dans l'opposition.

Ces hommes de talent et de génie... la loi actuelle qui leur permet d'arriver au ministère, tourne précisément contre le bien public ; ce génie que nous devons admirer, ils s'en servent, mais pourquoi ? Très souvent pour faire du mal... Il me semble que c'est abaisser beaucoup la valeur du mandat législatif que de croire, que de dire, que d'insinuer que le génie d'un grand homme sera inutile, parce que cet homme ne sera que représentant. Je crois, au contraire, que quand il ne sera que représentant, qu'il ne pourra être que représentant, il pourra avoir une très grande autorité dans cette Assemblée, autorité d'autant plus grande qu'elle ne pourra être soupçonnée...

Le prince n'est alors[19] partisan ni du libre-échange[20], comme nous l'avons vu, ni du développement de la conquête de l'Afrique, ni de la construction des fortifications de Paris.

Toutes les industries de la France souffrent, parce qu'on a témérairement baissé les tarifs qui les protégeaient contre la concurrence étrangère... Tous les trésors de la France sont gaspillés, tout ce qu'elle a de forces vitales est dépensé en pure perte, soit sur les sables brûlants d'Afrique, soit sur les déserts de l'Océan, soit dans les montagnes de pierres qui s'élèvent autour de Paris.

Il n'admet pas[21] que le clergé ait le droit absolu d'enseigner, ni, d'autre part, qu'on puisse supprimer le budget des cultes.

... Permettre (aux ministres de la religion) d'élever sans contrôle des écoles, c'est leur permettre d'enseigner au peuple la haine de la révolution et de la liberté... Leur retirer leur salaire, c'est les laisser retomber de tout leur poids sur le peuple, c'est les forcer à exiger de nouveau la dîme pour leur entretien, à faire trafic des choses saintes et à laisser le pauvre sans cette assistance religieuse qui le console de sa misère. Oter au clergé la rétribution de l'État, c'est exclure le pauvre de l'Église. On n'a pas droit, a dit l'empereur Napoléon, de priver le pauvre de ce qui le console de sa pauvreté. Toutes les cérémonies du culte doivent être gratuites pour le peuple. Pour faire disparaître les ferments de discorde qui vont aujourd'hui en augmentant, il faut deux choses : que l'Université cesse d'être athée, et que le clergé cesse d'être ultramontain. De l'union des prêtres et des laïques réagira une double action également favorable à la société. Les prêtres deviendront citoyens, et les citoyens deviendront plus religieux. Alors, mais alors seulement, nous serons heureux de voir, comme en Allemagne, les ministres de la religion à la tête de l'éducation, enseignant à la jeunesse la morale du Christ, morale sublime qui détruisit l'esclavage, apprit aux hommes qu'ils étaient égaux, et que Dieu leur avait mis au fond du cœur une foi et un amour pour croire au bien et pour s'aimer.

 

Il revient sur la question du régime commercial de la France et écrit ces lignes bien curieuses :

Le Brésil, le Portugal ont assez d'énergie et d'indépendance pour repousser tout traité de commerce avec l'Angleterre. Le gouvernement français seul sera assez faible et assez pusillanime pour sacrifier à une exigence politique nos plus graves intérêts.

Tous ces articles de journaux n'ont rien de vraiment remarquable, mais le prince montre une prescience de génie dans son exposé magistral des réformes à introduire dans l'organisation militaire de la France. Là il est incomparable. Plus d'un quart de siècle avant la guerre de 1870, il donne la Prusse comme modèle à la France. N'a-t-il point, dès lors, une plus grande et une plus lourde responsabilité devant l'histoire de n'avoir pas fait passer ses idées dans la pratique alors qu'il était le maître ? Mais le fût-il à ce point qu'il aurait pu les appliquer envers et contre tous ? N'était-il pas le seul homme en France à penser de la sorte ? N'avait-il pas contre lui et la Chambre et la nation ? Qui admettait la nécessité du service militaire universel ? Malheureusement, de par son nom, il était dans une situation fausse pour accomplir cette réforme nécessaire au salut de la patrie.

Un des reproches les plus graves, écrit-il[22], qu'on puisse adresser au gouvernement, c'est de n'avoir pas organisé militairement le pays de façon que la France n'ait jamais à craindre une invasion... Un des généraux qui contribuèrent le plus à l'organisation militaire de la Prusse exprima un jour cette pensée : que dans un État bien organisé on ne devait pas savoir où commence le soldat et où finit le citoyen. Ces paroles dépeignent la philosophie d'un système qui sera infailliblement adopté par toutes les puissances du continent, parce qu'il répond aux nouvelles exigences des peuples de l'Europe. Il ne suffit plus aujourd'hui à une nation d'avoir quelques centaines de chevaliers bardés de fer ou quelques milliers de condottieri et de mercenaires pour maintenir son rang et son indépendance, il lui faut des millions d'hommes armés, car lorsque la guerre éclate, les peuples s'entrechoquent en masse, et, une fois la lutte engagée, c'est le génie du chef et la bravoure des troupes qui décident de la victoire, mais c'est en revanche l'organisation seule qui résiste dans les revers et sauve la patrie. Il est donc indispensable, pour chaque nation, de pouvoir mettre sur pied des armées nombreuses. C'est un devoir d'organiser nos forces..., pour nous mettre à jamais à l'abri d'une invasion. Profitons donc de nos propres malheurs et des exemples des peuples étrangers... Les Prussiens surent profiter de leurs revers, et, pour empêcher qu'un nouveau Iéna vînt encore détruire en un jour leur patrie, ils établirent chez eux la plus belle organisation militaire qui ait jamais existé parmi les nations civilisées. Eh bien, nous aussi, nous vivons sur notre gloire passée..., nous sommes sans défense... Il s'agit d'une question d'existence... Le problème à résoudre est celui-ci : Pour résister à une coalition, il faut à la France une armée immense composée d'hommes exercés ; de plus, il faut que cette armée puisse encore se reformer avec des hommes exercés dans le cas d'un premier revers... Si le gouvernement est jaloux de satisfaire les grands intérêts de la patrie, il s'efforcera de réduire les charges du pays en diminuant le nombre des troupes permanentes et en augmentant considérablement les troupes de réserve ; il établira dans chaque grande division territoriale un arsenal pour armer les populations en cas d'invasion, au lieu de laisser tous les approvisionnements et les dépôts d'armes dans les places des frontières. Il organisera l'armée de façon qu'elle puisse passer en peu de temps et sans encombre du pied de paix au pied de guerre... Il maintiendra toujours son armée aux frontières, organisée en brigades et en corps d'armée... Nous avons une armée belle et brave sans doute, mais qui ne compte que 344.000 hommes, nombre insuffisant en cas de guerre et fardeau écrasant en temps de paix. L'armée n'a point de réserve... Il nous faut près d'un an pour passer du pied de paix sur le pied de guerre, et l'armée, dispersée surtout le territoire et loin des frontières, non seulement n'est pas réunie en corps d'armée, mais elle n'est embrigadée qu'au centre du royaume... 510.000 hommes, c'est insuffisant pour une guerre moyenne, et la réserve est un mot vide de sens, car qu'est-ce qu'une réserve de 95.000 hommes ou de 143.000 sans cadres et dont toute l'organisation est comprise dans ces mots : Elle pourra être appelée à des revues et exercices... Mais ce qui nous a vivement peiné, c'est de voir le général Préval se déclarer opposé en principe à toute organisation de réserve. Lorsqu'il parle de l'organisation militaire de la Prusse, il a soin de la représenter comme un joug de fer imposé aux populations et opposé à nos mœurs, à nos institutions françaises, oubliant que s'il y a en Europe un peuple capable de supporter une pareille organisation, c'est le peuple français, car l'institution prussienne est basée sur l'égalité la plus complète et même sur des principes démocratiques. Elle est tyrannique sans doute, comme toutes les lois qui, adoptant de grands principes, soumettent tous les hommes aux mêmes charges et obligent le riche comme le pauvre à payer sa dette à la patrie. Mais cette tyrannie de la loi doit être l'apanage d'une société démocratique, car c'est là que gît la véritable égalité... Le gouvernement n'est pas assez sûr de l'assentiment général pour adopter des institutions égalitaires qui, depuis trente ans, font la gloire de la Prusse monarchique. Ainsi la Prusse, dont la population est près de deux fois et demie moins nombreuse que celle de la France, peut, pour défendre son territoire, mettre sur pied 530.000 hommes ; il suffit d'un roulement de tambour pour réunir ces troupes... Ce système offre des avantages immenses. Il ne s'agit pas de savoir si les soldats qui ont passé trois ans sous les drapeaux sont aussi rompus au métier des armes que ceux qui y sont demeurés huit ans, mais de trouver une organisation qui, au jour du danger, donne des milliers d'hommes exercés... Le système prussien résout le problème matériellement et moralement, car non seulement sous le rapport militaire, mais encore sous le rapport philosophique, il mérite d'être admiré, puisqu'il détruit toute barrière entre le citoyen et le soldat, et qu'il élève le sentiment de chaque homme en lui faisant comprendre que la défense de la patrie est son premier devoir... En Prusse, on ne connaît pas ce trafic (de la traite des blancs), et qui se résume par ces mots : acheter un homme, quand on est riche pour se dispenser du service militaire et envoyer un homme du peuple se faire tuer à sa place ; il n'y a pas de remplaçants. L'organisation prussienne est donc la seule qui convienne à notre nature démocratique, à nos mœurs égalitaires, à notre situation politique, car elle se base sur la justice, l'égalité, l'économie, et a pour but, non la conquête, mais l'indépendance. Nous voudrions élever la garde nationale au rang de l'armée[23]... Les avantages de ce système seraient immenses... Quand même tous ces avantages ne seraient pas consacrés par ce projet, nous dirions encore qu'il faudrait l'adopter ou en adopter un équivalent, par la seule et unique raison qu'organisée de la sorte, la France serait à l'abri de toute invasion, qu'elle pourrait défier l'univers et répéter avec plus de justesse ce mot des fiers Gaulois : Si le ciel venait à tomber, nous le soutiendrions sur le fer de nos lances !... Napoléon s'écriait au Conseil d'État : Poursuivez donc les bans de la garde nationale ; que chaque citoyen connaisse son poste ; au besoin, que M. Cambacérès que voilà soit dans le cas de prendre son fusil si le danger le requiert, et alors vous aurez vraiment une nation maçonnée à chaux et à sable, capable de défier les siècles et les hommes !

 

La guerre ? il la repousse en principe : Si, dit-il[24], la guerre est souvent une nécessité lorsqu'on a une grande cause à défendre, c'est au contraire un crime de la faire par caprice sans avoir un grand résultat pour but, un immense avantage pour raison. La France vous demandera compte, ne fussent-ils qu'en petit nombre, des hommes morts glorieusement, mais sans nécessité, dans toutes vos expéditions stériles ; car si l'humanité permet qu'on hasarde la vie de millions d'hommes sur les champs de bataille pour défendre sa nationalité et son indépendance, elle flétrit et condamne ces guerres immorales qui font tuer des hommes dans le seul but d'influencer l'opinion publique et de soutenir par quelque expédient un pouvoir toujours dans l'embarras.

Dans ces sages paroles on trouve la plus accablante condamnation de la guerre de Crimée, de la guerre d'Italie, de l'expédition du Mexique.

En mai 1844, il fait paraître une brochure sur l'Extinction du paupérisme[25], où, après avoir énoncé cette singulière proposition que la quantité de marchandises qu'un pays exporte est toujours en raison directe du nombre de boulets qu'il peut envoyer à ses ennemis, il aborde la question même du paupérisme.

Le prélèvement de l'impôt, dit-il, peut se comparer à l'action du soleil qui absorbe les vapeurs de la terre pour les répartir ensuite, à l'état de pluie, sur tous les lieux qui ont besoin d'eau pour être fécondés et pour produire. Lorsque cette restitution s'opère régulièrement, la fertilité s'ensuit ; mais lorsque le ciel, dans sa colère, déverse partiellement en orages, en trombes et en tempêtes les vapeurs absorbées, les germes de production sont détruits, et il en résulte la stérilité..... C'est toujours la même quantité d'eau qui a été prise et rendue. La répartition seule fait donc la différence. Équitable et régulière, elle crée l'abondance ; prodigue et partielle, elle amène la disette. Il en est de même d'une bonne ou mauvaise administration. Si les sommes prélevées chaque année sur la généralité des habitants sont employées à des usages improductifs, comme à créer des places inutiles, à élever des monuments stériles, à entretenir au milieu d'une paix profonde une armée plus dispendieuse que celle qui vainquit à Austerlitz, l'impôt, dans ce cas, devient un fardeau écrasant, il épuise le pays, il prend sans rendre..... C'est dans le budget qu'il faut trouver le premier point d'appui de tout système qui a pour but le soulagement de la classe ouvrière. Le chercher ailleurs est une chimère.

 

Comme on le voit, c'est du socialisme.

Il continue :

... Les caisses d'épargne sont utiles sans doute pour la classe aisée des ouvriers... mais pour la classe la plus nombreuse qui n'a... aucun moyen de faire des économies, ce système est complètement insuffisant. Vouloir, en effet, soulager la misère des hommes qui n'ont pas de quoi vivre en leur proposant de mettre tous les ans de côté un quelque chose qu'ils n'ont pas est une dérision ou une absurdité. Qu'y a-t-il donc à faire ? Le voici : Notre loi égalitaire de la division des propriétés ruine l'agriculture, il faut remédier à cet inconvénient par une association qui, employant tous les bras inoccupés, recrée la grande propriété et la grande culture sans aucun désavantage pour nos principes politiques..... Il faut appeler dans les campagnes ceux qui sont de trop dans les villes, et retremper en plein air leur esprit et leur corps. La classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire. Elle est comme un peuple d'ilotes au milieu d'un peuple de sybarites. Il faut lui donner une place dans la société et attacher ses intérêts à ceux du sol. Enfin, elle est sans organisation et sans liens, sans droits et sans avenir ; il faut lui donner des droits et un avenir, et la relever à ses propres yeux par l'association, l'éducation, la discipline.

 

Oui, il faut au nom de la justice, de la solidarité, de la pitié, améliorer autant que possible le sort des humbles. Mais croire résoudre ainsi la question sociale, c'est une erreur. Quand celui qui n'a rien aura quelque chose, il voudra davantage, il voudra autant que les autres, et il sera tout aussi impatient de l'organisation sociale et tout aussi révolutionnaire, s'il n'a pas de religion, s'il n'a pas le respect de la propriété, s'il n'a pas cette croyance que la différence des conditions, quelque douloureuse qu'elle soit, est la loi du développement de l'humanité, et que l'égalité absolue serait le retour à la barbarie et inaugurerait un régime social où les souffrances et les misères seraient considérablement surexaltées dans le plus effroyable chaos.

En France, poursuit le prince, il y a 9.190.000 hectares de terres incultes. Que les Chambres décrètent que toutes ces terres incultes appartiennent de droit à l'association ouvrière, sauf à payer annuellement aux propriétaires actuels ce que ceux-ci en retirent aujourd'hui ; qu'elles donnent à ces bras qui chôment ces terres qui chôment également, et ces deux capitaux improductifs renaîtront à la vie l'un par l'autre. (Il faut créer) des colonies agricoles qui, répandues sur toute la France, formeraient les bases d'une seule et vaste organisation dont tous les ouvriers pauvres seraient membres sans être personnellement propriétaires. (Des) avances (seraient) nécessaires... (elles) seraient fournies par l'État... Trois cents millions (seraient) payés en quatre ans... Au bout de dix ans, le gouvernement pourrait prélever un impôt de huit millions, sans compter l'augmentation naturelle des impôts indirects..... Cette avance de trois cents millions ne serait donc pas un sacrifice, mais un magnifique placement.....

 

Les colonies agricoles une fois créées, il faudrait instituer avec des prud'hommes une sorte de corps-tampon entre la classe ouvrière et la classe capitaliste.

Aujourd'hui, ajoute-t-il, le règne des castes est fini, on ne peut gouverner qu'avec les masses... gouverner, ce n'est plus dominer les peuples par la force et la violence, c'est les conduire vers un meilleur avenir, en faisant appel à leur raison et à leur cœur ; mais comme les masses ont besoin d'être instruites et moralisées, et qu'à son tour l'autorité a besoin d'être contenue et même éclairée sur les intérêts du plus grand nombre, il est de toute nécessité qu'il y ait dans la société deux mouvements également puissants : une action du pouvoir sur la masse et une réaction de la masse sur le pouvoir..... Nous voudrions qu'on créât entre les ouvriers et ceux qui les emploient une classe intermédiaire jouissant de droits légalement reconnus et élue par la totalité des ouvriers. Cette classe intermédiaire serait le corps des prud'hommes. Nous voudrions qu'annuellement tous les travailleurs ou prolétaires s'assemblassent dans les communes pour procéder à l'élection de leurs représentants ou prud'hommes, à raison d'un prud'homme par dix ouvriers. La bonne conduite serait la seule condition d'éligibilité. Tout chef de fabrique ou de ferme, tout entrepreneur quelconque serait obligé par une loi, dès qu'il emploierait plus de dix ouvriers, d'avoir un prud'homme pour les diriger et de lui donner un salaire double de celui du simple ouvrier. Ces prud'hommes rempliraient dans la classe ouvrière le même rôle que les sous-officiers remplissent dans l'armée. Ils formeraient le premier degré de la hiérarchie sociale, stimulant la louable ambition de tous en leur montrant une récompense facile à obtenir Par ce moyen, chaque dizaine d'ouvriers renfermerait en elle un germe de perfectionnement. Ce qui améliore les hommes, c'est de leur offrir toujours devant les yeux un but à atteindre, qui soit honorable et honoré ! — Dans chaque département..... s'élèveraient des colonies agricoles offrant du pain, de l'instruction, de la religion, du travail à tous ceux qui en manquent ; et Dieu sait si le nombre en est grand en France. — Ces institutions charitables, au milieu d'un monde égoïste, livré à la féodalité de l'argent, doivent produire le même effet bienfaisant que ces monastères qui, au moyen âge, vinrent planter, au milieu des forêts, des gens de guerre et des serfs, des germes de lumière, de paix et de civilisation..... Les colonies agricoles auraient deux buts à remplir, le premier de nourrir un grand nombre de familles pauvres en leur faisant cultiver la terre, soigner les bestiaux, etc. ; le second, d'offrir un refuge momentané à cette masse flottante d'ouvriers auxquels la prospérité de l'industrie donne une activité fébrile et que la stagnation des affaires ou l'établissement de nouvelles machines plonge dans la misère la plus profonde. Tous les pauvres, tous les individus sans ouvrage trouveraient dans ces lieux à utiliser leurs forces et leur intelligence au profit de toute la communauté.

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Lorsque l'industrie privée aura besoin de bras, elle viendra les demander à ces dépôts centraux, qui par le fait maintiendront toujours les salaires à un taux rémunérateur, car il est clair que l'ouvrier, certain de trouver dans les colonies agricoles une existence assurée, n'acceptera de travail dans l'industrie privée qu'autant que celle-ci lui offrira des bénéfices au delà de ce strict nécessaire que lui fournira toujours l'association générale..... On prélèvera sur les bénéfices de chaque établissement une somme destinée à créer pour chaque ouvrier une masse individuelle. Le fonds constituera une véritable caisse d'épargne qui délivrera à chaque ouvrier, au moment de son départ, en sus de sa solde, une action dont le montant sera réglé d'après ses jours de travail, son zèle, sa bonne conduite, de sorte que l'ouvrier laborieux pourra, au moyen de sa masse individuelle, s'amasser, au bout de quelques années, une somme capable d'assurer son existence pour le reste de ses jours, même en dehors de la colonie..... Nous demandons pour la masse flottante des travailleurs de grands refuges... qui, lorsque l'activité... du pays se ralentira, conserveront le surplus des forces non employées, pour le rendre ensuite au fur et à mesure du mouvement général. Nous demandons, en un mot, de véritables déversoirs de la population, réservoirs utiles du travail, qui maintiennent toujours à la même hauteur cet autre niveau de la justice divine qui veut que la sueur du pauvre reçoive sa juste rétribution... Les prud'hommes de l'industrie privée... partageront avec les maires des Communes le droit d'envoyer aux colonies agricoles (les ouvriers) qu'ils ne pourront pas employer... Les prud'hommes de la colonie, au fait de la capacité de chacun, chercheront à placer avantageusement dans l'industrie privée tous ceux dont celle-ci aurait besoin..... Au-dessus des prud'hommes il y aura des directeurs... élus par les ouvriers et les prud'hommes réunis. Au-dessus des directeurs... il y aura un gouverneur par chaque colonie, nommé par les prud'hommes et les directeurs réunis. L'administration se composera du gouverneur et d'un comité formé d'un tiers de directeurs et de deux tiers de prud'hommes... Chaque année, (les) comptes (seront) communiqués à l'Assemblée générale des travailleurs et soumis au conseil général du département. Tous les ans les gouverneurs des colonies se rendront à Paris, et là, sous la présidence du ministre de l'intérieur, ils discuteront le meilleur emploi à faire des bénéfices dans l'intérêt de l'association générale L'avance (de 300 millions) rapportera au bout de vingt ans à la France 1 milliard, à la classe ouvrière 800 millions, au fisc 37 millions. . . . . . . . . . . . . . .

La pauvreté ne sera plus séditieuse lorsque l'opulence ne sera plus oppressive ; les oppositions disparaîtront et les prétentions surannées qu'on attribue à tort ou à raison à quelques hommes s'évanouiront comme les folles brises qui rident la surface des eaux sous l'équateur et s'évanouissent en présence du vent réel qui vient renfler les voiles et faire marcher le navire. C'est une grande et sainte mission, bien digne d'exciter l'ambition des hommes, que celle qui consiste à apaiser les haines, à guérir les blessures, à calmer les souffrances de l'humanité en réunissant les citoyens d'un même pays dans un intérêt commun, et en accélérant un avenir que la civilisation doit amener tôt ou tard... Aujourd'hui, le but de tout gouvernement habile doit être de tendre par des efforts à ce que l'on puisse dire bientôt : Le triomphe du christianisme a détruit l'esclavage ; le triomphe de la révolution française a détruit le servage ; le triomphe des idées démocratiques a détruit le paupérisme ![26]

 

Tel est le plan du prince pour arriver à l'extinction du paupérisme, à la suppression de la misère et à la réconciliation des classes. C'est, en un mot, l'enrégimentement des ouvriers sous la haute main de l'État providence ; c'est une vaste et colossale organisation du genre phalanstérien où toute liberté et toute initiative individuelles disparaissent, conception chimérique qu'il ne tenta pas de réaliser quand il fut à la tête du gouvernement de la France.

Quand on est au pouvoir, quand on est aux prises avec les hommes et les choses, les idées changent, et voilà pourquoi il oublia de même, une fois sur le trône, cette profession de foi que nous lisons dans le Progrès du Pas-de-Calais à la date du 23 décembre 1844 : Nous trouvons aussi illogique de créer des ducs sans duché que de nommer des colonels sans régiment, car si la noblesse avec privilèges est opposée à nos idées, sans privilèges elle devient ridicule.

En 1845 le prince fait paraître un travail sur le canal de Nicaragua ou projet de jonction des océans Atlantique et Pacifique au moyen d'un canal.

 

 

 



[1] Il parle du gouvernement de Juillet et veut dire, en définitive, que tout vaut mieux que le règne de l'usurpateur et traître Louis-Philippe.

[2] Voir la Relation historique des événements du 30 octobre 1836, par M. Armand LAITY. Paris, lib. Thomassin et Cie, 1838.

[3] Tome IV, 1836, p. 76, 77. — Rapport lu à la 1re classe de l'Institut historique par Plivard, ancien élève de l'École polytechnique, chef d'escadron d'artillerie, membre de la 3e classe de l'Institut historique. (Voir le 1er vol., 18, L. C., 63.)

[4] ... Je me suis appliqué pendant près de trois ans à un ouvrage d'artillerie que je sentais être au-dessus de mes forces, afin d'acquérir par là quelques cœurs dans l'armée et de prouver que si je ne commandais pas, j'avais au moins les qualités requises pour commander. (G. DUVAL, lettre à M. Vieillard, 10 juin 1842.)

[5] Le National écrivait, le 12 mai 1836 : ... Nous avons droit de nous étonner qu'il ait fallu sept ans aux plus fortes têtes de l'artillerie pour mettre à fin u volume in-8° de 500 pages. Sept ans, tandis qu'un simple capitaine d'artillerie au service de la Suisse a conçu, rédigé et publié en moins de deux ans un manuel qui ne le cède en rien à l'aide-mémoire officiel de France. Et ce capitaine était loin d'avoir à sa disposition toutes les ressources que possède notre comité suprême... La partie consacrée à l'artillerie de campagne... constitue un véritable traité, le plus complet et le plus succinct en même temps qui ait été fait sur la matière. L'auteur y a fait preuve d'une grande intelligence du but et des moyens de l'artillerie. Le paragraphe intitulé Service et tactique est surtout un petit modèle de clarté, de précision, qui en apprend plus que bien des gros livres... Armand Carrel avait déjà dit dans le même journal, en parlant des écrits du prince : Ils annoncent une bonne tète et un noble caractère. Il y a de profonds aperçus, qui dénotent de sérieuses éludes et une grande intelligence des temps nouveaux. Louis BLANC (Histoire de dix ans, t. V, p 113) dit que le Manuel d'artillerie est un ouvrage où le résultat des plus savantes études est exposé dans un style ferme, clair et précis.

[6] ... Je publiai contre l'avis de tous les Idées napoléoniennes, afin de formuler les idées politiques du parti et de prouver que je n'étais pas seulement un hussard aventureux.. J'ai rattaché le fil... je suis... à vingt l'eues de Paris une épée de Damoclès pour le gouvernement... je ne demande plus aux dieux qu'un vent qui ne conduise. Moi, j'ai la foi, cette foi qui vous fait tout supporter... cette foi qui seule est capable de remuer les montagnes. (G. DUVAL, p 278, 279, lettre à M. Vieillard, 10 juin 1842.)

[7] Voir Étude sur Napoléon III, par E. FOURMESTRAUX, 1862. — Voir Œuvres de Napoléon III, t. I, Mélanges, édit. Plon.

[8] Alors aussi il écrit plusieurs pages bien curieuses où s'accuse et s'extériorise le lyrisme incoercible de cette étrange nature. L'une est intitulée le Credo : Je crois en Dieu... Rien n'est fait de soi-même. Lorsque je vois un temple, je pense à l'ouvrier qui l'a bâti ; lorsque j'admire les surprenants phénomènes de l'univers, je baisse le front devant la Volonté souveraine qui a fait la nature et ordonné le monde... Je crois en Jésus-Christ... qui a revêtu notre enveloppe mortelle, afin de nous faire comprendre, en s'abaissant jusqu'à nous, la morale divine, et d'un coup éleva notre espèce de cent coudées en faisant passer dans notre âme la foi, la charité, l'espérance, ces dons du Ciel... Il est né de la Vierge Marie, prenant ainsi pour origine la seule vertu qui fût restée au genre humain, l'innocence, et l'innocence du pauvre... Il a été crucifié. Il fallait qu'il fût crucifié pour nous apprendre à pardonner à nos ennemis, comme il pardonnait lui-même à ses bourreaux. Il mourut... Avec lui, tout n'avait pas disparu. Sur la terre restait une image vénérée, un principe divin... il transforma le monde, et l'on vit le droit remplacer la force, l'amour remplacer la haine, l'égalité remplacer l'oppression.

L'autre a pour titre la Captivité : De cet empire immense qui embrassait le monde, voilà donc tout ce qui reste, un tombeau et une prison ; un tombeau pour prouver la mort du Grand Homme, une prison pour faire mourir sa cause. Que sont-ils devenus, ces quatre millions de Français qui ont élevé le trône impérial, et ces millions de soldats qui l'ont défendu jusqu'à Waterloo, et ces hommes que l'Empereur avait faits si puissants pour qu'ils transmissent, après sa mort, à ses héritiers son sceptre plébéien, son épée nationale, son code civilisateur ? Ils sont tous morts, sans doute, car aucun, dans le malheur, n'est venu me tendre la main... Si j'obéissais à cet instinct de la nature, qui fait qu'on aime ceux qui vous nourrissent, et qu'on hait ceux qui vous fustigent, je n'aimerais que les étrangers qui m'ont nourri, et je haïrais mes compatriotes qui, enfant m'ont banni, homme m'ont persécuté et calomnié. Mais heureusement l'amour de la patrie chasse de mon cœur ces faiblesses humaines .. je remercie ceux qui m'ont frappé de cette condamnation qui rompt l'exil... Oh ! certes, parfois, lorsqu'au bout du cinquantième pas un homme me barre le passage, ou lorsque le papier qui renferme l'expression de la sympathie d'un ami m'arrive tout ouvert, je me surprends à regretter le lac et les montagnes où j'ai passé mon enfance... Mais de ces souvenirs... une idée me réveille : cette idée, c'est d'être en France ! Elle change tout à mes yeux. Je ne vois plus ni barreaux, ni murs, ni police ; je ne vois plus que le sol, que les habitants de ma patrie... (Voir Napoléon III intime, par M. Fernand GIRAUDEAU, p. 99 et 100.)

[9] Lisez : les d'Orléans.

[10] Quand on se rappelle la politique commerciale du second Empire, n'est-il pas curieux de constater combien, avant de monter sur le tronc, le prince était protectionniste ?

[11] Numéro du 28 octobre 1843 : ... Ce n'est plus, et nous n'en avons jamais fait un mystère pour personne ; depuis plus de quinze mois, le prince Napoléon-Louis Bonaparte envoie de sa prison de Ham des articles au Progrès...

[12] Œuvres de Napoléon III, édit. Plon, tome I.

[13] Voir le Progrès du Pas-de-Calais du 14 juin 1841.

[14] Progrès du Pas-de-Calais, 18 septembre 1843. Signé : XX.

[15] Progrès du Pas-de-Calais, 4 octobre 1843. Signé : NAPOLÉON-LOUIS BONAPARTE.

[16] Voir le Progrès du Pas-de-Calais du 28 octobre 1843.

[17] Le journaliste lui avait écrit pour lui demander à quel titre il rentrerait dans la grande famille française.

[18] Progrès du Pas-de-Calais, 17 novembre 1843.

[19] Progrès du Pas-de-Calais, 19 novembre 1843.

[20] Il écrit du fort de Ham, à la date du 4 décembre 1843, à M. X., la lettre suivante : ... Quant aux machines, ne pensez-vous pas qu'il y aurait lieu à en régler l'emploi, et qu'il serait de toute justice d'établir en principe que toute invention qui enrichit les uns en privant les autres de travail doit indemnité à ceux dont elle tue l'industrie ?... (Voir la Presse du 19 novembre 1848.)

[21] Progrès du Pas-de-Calais, 13 décembre 1843.

[22] 29 avril, 3 mai 1843. Le Progrès du Pas-de-Calais et Œuvres de Napoléon III, t. II : De l'organisation militaire de la France, édit. Plon, 1856.

[23] Projet : 1° Armée permanente de 200.000 hommes ; 2° réserve de l'armée ; 3° garde nationale du 1e ban ; 4° garde nationale du 2e ban. Service militaire de vingt à quarante et même à soixante ans. On aurait ainsi de 1.200.000 à 1.500.000 hommes Le recrutement devrait se faire par province.

[24] Progrès du Pas-de-Calais, 5 novembre 1844.

[25] Louis-Napoléon envoie cette brochure à George Sand, qui lui répond, le 26 novembre 1844 : ... Vos préoccupations et vos écrits prouvent que nous aurons en vous un grand citoyen... La Démocratie pacifique, journal du parti avancé, écrit, à la date du 25 juin 1844, au sujet de ce travail : Voilà un prince (pourquoi n'est-ce qu'un prince sans couronne que sa mauvaise étoile a jeté dans une prison ?) qui donne un noble exemple aux puissants de ce monde ; voilà un homme, né sur les marches du trône, qui non seulement déplore cette cruelle anomalie d'un état social dans lequel, à côté de la plus extrême opulence, se rencontre la plus extrême misère, mais qui, de plus, travaille dans la mesure de ses forces à la réparation d'une aussi criante injustice. Puisse un tel exemple ne pas rester stérile !

[26] Un M. Castille, imprimeur, lui transmet une lettre de ses ouvriers qui remercient le prince d'avoir pensé à eux en écrivant ce travail. A la date du 14 octobre 1844, il adresse à M. Castille la lettre suivante : ... Un témoignage de sympathie de la part d'hommes du peuple m'a semble cent fois plus précieux que ces flatteries officielles que prodiguent aux puissants les soutiens de tous les régimes ; aussi m'efforcerai-je toujours de mériter les éloges et de travailler dans l'intérêt de cette immense majorité du peuple français, qui n'a aujourd'hui ni droits politiques ni bien-être assurés...