Après l'affaire suisse, le prince se considère comme dégagé vis-à-vis du gouvernement de Juillet — Campagne de presse ; le Commerce et le Capitole. — Le club des Cotillons et le club des Culottes de peau. — Préparation d'une descente en France. — La foi de ses compagnons. — Le prince songe à Lille. — Le commandant Mésonan est chargé d'entraîner le général Magnan ; Lombard et Parquin cherchent à embaucher des officiers. — Les rapports de Mésonan avec le général Magnan. — Le prince se décide pour Boulogne. — Les préparatifs. — Proclamations. — Cinquante-six personnes composent le corps expéditionnaire ; leurs noms. — Plus de la moitié des conjurés (des domestiques) ne savaient rien de ce qu'on attendait d'eux ; les autres, sauf Persigny et Conneau, ne connaissaient ni le jour, ni l'heure, ni le lieu du débarquement. — Le bateau ; son nom ; ce qu'il contenait ; la légende de l'aigle ; la légende de la folle orgie. — Allocution du prince en cours de navigation. — Ce qu'il emportait d'argent. — 6 août, débarquement à Wimereux. — Rencontre avec les douaniers. — Guilbert, Bally. — Le plan. — L'entrée à Boulogne. — Le poste de la place d'Alton. — Rencontre du sous-lieutenant de Maussion. — Le sous-lieutenant Ragon, le capitaine Col-Puygélier. — Les conjurés pénètrent dans la caserne. — Les sergents Rinck et Chapolard. — Allocution du prince. — Le sergent-major Clément. — Le sous-lieutenant de Maussion. — Brillante et courageuse conduite du capitaine Col-Puygélier. — Coup de pistolet du prince, qui blesse le soldat Geouffroy. — Les conjurés sont repoussés de la caserne. — Dispositions prises par le capitaine Col-Puygélier. — Le maire et le sous-préfet organisent la résistance : — Les conjurés se dirigent vers le château, où ils échouent après avoir bousculé le sous-préfet. — Ils se rendent à la colonne de la Grande Armée. — La poursuite. — La dispersion. — La fusillade sur la plage. — Assassinat du sieur Faure. — Le prince et plusieurs de ses compagnons sont pris dans l'eau et menés au château. — Durée de l'échauffourée. — Dépêche du sous-préfet au ministre de l'intérieur. — Dépêche du ministre de la guerre. — Les journaux. — M. Ximénès Doudan. — Le prince de Metternich. — 7 août, le prince est transféré à Paris. — Attentat déféré à la Chambre des pairs — Opinion des journaux sur cette juridiction. — Qu'en penser ? — Le Capitole. — La Gazette de France. — Cruelle situation des anciens dignitaires de l'Empire. — 12 août, arrivée du prince à Paris. — En réalité, l'émotion de la cour avait été profonde. — Le Roi à Boulogne. — Interrogatoire des accusés. — Lettre du père du prince, le roi Louis. — Rapport de M. Persil. — 16 septembre, arrêt de mise en accusation. — 28 septembre, ouverture des débats. — Les accusés et leurs défenseurs. — Discours du prince ; de la forme et du fond. — Audiences des 28 et 29 septembre, interrogatoires, témoignages, réquisitoire, Berryer, le général Montholon ; 1er octobre, plaidoiries de Ferdinand Barrot, Delacour, Barillon, Nogent-Saint-Laurent, Jules Favre, Lignier, Ducluzeau, Persigny ; réplique du procureur général ; réponse du prince. — 6 octobre, arrêt. — Le prince à Ham ; ses lettres. — Les pairs qui ont rendu l'arrêt et ceux qui se sont abstenus.Du jour où le prince se fut réfugié en Angleterre, il se considéra comme dégagé de toute gratitude envers le gouvernement de Juillet et comme libre de reprendre l'offensive contre lui ; il s'abandonna au démon qui le possédait, à cette invincible foi dans sa destinée qui le ressaisit tout entier et qui finit par l'entraîner irrésistiblement — nonobstant le profond échec de Strasbourg — à tenter de nouveau la fortune dans une aventure semblable à celle du 30 octobre 1836. Il prépare le terrain, non seulement, comme nous venons de
le voir, avec des publications telles que les Lettres de Londres et l'Avenir
des idées impériales, mais en outre au moyen d'une campagne de presse
proprement dite. Deux journaux paraissent dans le cours de l'année 1839 : le
Commerce, rédigé par MM. Mocquard[1] et Mauguin, et le
Capitole, rédigé par MM. Ch. Durand, Paul Merruau, Pierre Bonnet,
Alexandre Perrin. Cette dernière feuille est fondée par un M. de Crouy-Chanel[2], qui reçoit à
cette fin 140.000 francs du prince[3], somme
considérable pour la fortune modeste du prétendant, mais insuffisante pour
faire vivre ce journal plus de six mois. On aura une idée de cette
publication par les extraits suivants. C'est d'abord un dialogue entre la
colonne de la place Vendôme et la colonne de Juillet[4] : ... Et c'est ainsi que la France est conduite ! s'écrie la
colonne impériale... Votre gouvernement est une sorte d'obstacle inerte aux
élans de la France... tout manque de ressorts... le scepticisme mine votre
nationalité et ferait oublier sous la lâche indifférence de ces temps les
vertus guerrières ou civiques des temps qui ne sont plus... Je rappelle au
monde que la France eut un jour la suprématie sur les nations vaincues,
qu'elle fut à la fois guerrière et civilisatrice. Bouclier magique, si, grâce
à votre pusillanimité, l'ennemi se présente encore aux portes de la France,
je l'aveuglerai de mes gloires. S'il veut me braver, il lira sur mon front
des pages triomphantes qui, lui rappelant la force passée, lui feront
craindre la force à venir... Monument éternel de votre prospérité passée, je
serai comme un mentor muet dont l'exemple et la majesté seuls peuvent ramener
dans une vie meilleure celui qui va se perdre. Aujourd'hui enfin, aujourd'hui
que toute sève généreuse semble être morte ou détournée, je veux rappeler ce
que le génie d'un homme peut faire surgir du génie d'un peuple. Dieu, si le
bronze se ranimait !!!..... — On a (19 septembre 1839), dit le lendemain le Capitole,
accusé l'Empereur d'avoir trop aimé la guerre. Le
vulgaire a cru un moment à cette accusation. Mais on n'a pas réfléchi que la
guerre lui avait été léguée par la République... Napoléon et son système
impérial, mal jugés d'abord, mais bien connus aujourd'hui, se mariaient mieux
que tout autre prince et tout autre régime aux idées démocratiques qui
venaient d'apparaître en Europe... Napoléon seul pouvait contenter le présent
et rassurer l'avenir. La grande mission n'a pas été comprise, ou elle l'a été
trop tard... Plus et mieux que tout autre, (le peuple) regrette l'homme
universel qui devait assurer la prospérité et la gloire nationales... Un
peu plus tard, il annonce en ces termes la publication d'une histoire de
Napoléon par le général B*** : C'est une œuvre nationale ; c'est l'histoire de Napoléon
écrite par lui-même, c'est cette grande épopée militaire qui commence à
Toulon pour finir à Waterloo, c'est ce style magique qui électrisait nos
soldats au froid sommet des Alpes et sous le ciel dévorant de l'Egypte, aux
champs d'Austerlitz et sur les bords de la Bérézina ; ce sont les bulletins
de ces batailles homériques tracés par la main même de celui qui faisait et
défaisait les royautés, ce sont ces pages cent fois plus sublimes, cent fois plus
authentiques que tout ce qui a été écrit jusqu'à ce jour. C'est alors
aussi que se fondent à Paris deux clubs bonapartistes, le Club des Cotillons,
dont faisaient parties Mmes de Salvage, de Faverolles, Regnault de Saint-Jean
d'Angély, de Querelles, Gordon, etc., et le Club des Culottes de peau,
composé de MM. de Montholon, de Vaudoncourt, Voisin, Laborde, de Mésonan,
Bouffé-Montauban, Piat, Dumoulin, etc. Dans les premiers mois de l'année 1840 le prince se décide à faire le nécessaire pour passer à l'exécution de ses projets. Il n'y a guère[5] qu'un an ou dix-huit mois que j'ai commencé d'entretenir en France des intelligences. Tant que j'ai cru que l'honneur me défendait de rien entreprendre contre le gouvernement, je suis resté tranquille ; mais lorsqu'on m'a persécuté en Suisse, sous prétexte que je conspirais, j'ai recommencé à m'occuper de mes anciens projets. Chose bien digne de remarque, tous ceux qui avaient pris part à l'affaire de Strasbourg lui étaient restés fidèles, et tous ou presque tous étaient prêts à marcher de nouveau au premier signe du maître, et à marcher — se montrant bien ainsi de véritables croyants dont la foi ne raisonne pas et ne veut pas raisonner — sans avoir été prévenus longtemps à l'avance, passivement, aveuglément. Les dépositions devant la Cour des pairs, comme nous le verrons bientôt, le prouvent de la façon la plus éclatante. Le prince, qui avait choisi Strasbourg en 1836 à cause du colonel Vaudrey et parce que cette ville n'était pas loin de la frontière, songea tout d'abord à Lille, qui lui offrait ce double avantage de ne pas être à une grande distance d'un port de la Manche, et surtout d'avoir pour commandant militaire le général Magnan. Celui-ci, qui avait commencé par être simple soldat sous l'Empire et qui y avait gagné ses premiers grades, avait été indiqué à Louis-Napoléon comme ayant gardé un profond souvenir de l'Empereur, comme un militaire désireux d'avancer plus haut et plus vite, par suite comme un homme capable de se dévouer au triomphe de la cause bonapartiste. C'était une nouvelle recrue du prince, le commandant comte le Duff de Mésonan, ancien chef d'escadron d'état-major[6], qui l'avait amené à jeter les yeux sur le général Magnan. En 1829, il l'avait connu à Brest ; depuis lors il était toujours resté en relation avec lui ; il fut donc chargé d'amorcer l'affaire. En même temps, ou plutôt un peu auparavant, à la fin du mois de mars 1840, le sieur Lombard que nous avons vu figurer dans l'échauffourée de Strasbourg, ancien chirurgien militaire, arriva à Lille, où il connaissait un certain nombre d'officiers, avec lesquels il s'empressa de se mettre en rapport et de renouer. On lui fit l'accueil le plus cordial, et c'est ainsi qu'après avoir pris ses repas à la pension des officiers il se fit conduire plusieurs fois par les uns sur les remparts, par les autres à la citadelle. Ces promenades réitérées avec un homme qui s'était gravement compromis dans l'attentat de Strasbourg finirent par attirer l'attention, à ce point que le général Magnan se vit obligé de réunir chez lui les officiers qui avaient accompagné Lombard dans ses pérégrinations suspectes et de leur adresser de sévères remontrances. La chose avait fait tellement de bruit, le préfet s'en étant mêlé, qu'il dut en faire l'objet d'un rapport spécial au ministre de la guerre. L'affaire alla jusqu'au Roi, qui déclara qu'il couvrait les officiers de son indulgence[7]. Sur ces entrefaites (première semaine d'avril), le commandant Parquin arrivait à son tour pour aider Lombard dans son travail d'investigation et dans celui de préparation du terrain des opérations projetées. Ce nouvel agent était bien choisi, car il avait laissé dans l'armée une grande réputation de bravoure, et, d'autre part, il connaissait, lui aussi, plusieurs officiers de la garnison, qui l'aimaient et le tenaient en haute estime[8]. Mais c'est à Mésonan que dans ces préliminaires le rôle principal avait été dévolu. Il consistait, comme nous l'avons dit, à gagner le général Magnan à la cause du prince. Mésonan commence par aller le voir, et sa visite est si bien accueillie qu'il reçoit bientôt une invitation à un dîner où il se trouve avec le vicomte de Saint-Aignan, préfet du département, le lieutenant général Corbineau et quelques officiers supérieurs. Lors de cette première rencontre, et ensuite durant ce dîner qui montre bien par la qualité des convives que le général ne se doutait aucunement des intentions du commandant, celui-ci ne prononça aucune parole qui pût le faire soupçonner, se contentant par sa bonne grâce et par ses démonstrations amicales de pénétrer plus avant dans l'affection, la confiance et l'intimité du général. Deux mois après, en juin 1840, de Mésonan revenait à Lille et retournait chez le général, qui, tout de suite, le réinvitait à dîner. C'était le 16. Le lendemain 17, de Mésonan lui faisait une visite de digestion, et, quand il jugea le moment propice, il tira de sa poche une lettre du prince dont il donna lecture au général et qui était ainsi conçue : Mon cher commandant, il est important que vous voyiez de suite le général en question ; vous savez que c'est un homme d'exécution et que j'ai noté comme devant être un jour maréchal de France. Vous lui offrirez 100.000 francs de ma part et 300.000 francs que je déposerai chez un banquier à son choix, à Paris, dans le cas où il viendrait à perdre son commandement. Le général, stupéfait par cette communication faite à
brûle-pourpoint, s'écria : Commandant ! à moi ! à
moi ! une pareille lettre ! Je croyais vous avoir inspiré plus d'estime.
Jamais je n'ai trahi mes serments, jamais je ne les trahirai... Mais vous
êtes fou ! Mon attachement, mon respect pour la mémoire de l'Empereur ne me
feront jamais trahir mes serments au Roi... Vous êtes fou de vous mettre du
parti du neveu... c'est un parti ridicule et perdu... Quand je serais assez
lâche, assez misérable pour accepter les 400.000 francs du prince, je les lui
volerais, car le dernier des caporaux me mettrait la main au collet... Je
devrais vous faire arrêter... mais il est indigne de moi de dénoncer l'homme
que j'ai reçu à ma table. Sauvez-vous ! Mésonan lui fait observer
qu'il manque une belle occasion de faire fortune. Et le général de reprendre
:La fortune à ce prix-là, je n'en veux pas !
Commandant Mésonan, pour Dieu ! par attachement pour moi, par honneur pour
vous, renoncez à vos projets, je n'en dirai rien à personne. Le
général ouvre la porte de son cabinet et lui dit en le poussant dehors : Allez vous faire pendre ailleurs ![9] Le général manquait à son devoir en ne faisant pas arrêter Mésonan, ainsi qu'il le reconnut devant la Cour des pairs. Il allégua alors qu'il fut retenu par un sentiment de pitié. Ce n'est qu'à la fin de juin, une fois le commandant bien parti, qu'il se décida, après avoir révélé cet incident à un officier supérieur, le commandant Cabour, à se rendre chez le préfet pour lui en donner officiellement connaissance, avec mission d'en informer le ministre de l'intérieur. Au commencement du mois de juillet, le commandant Mésonan,
qui n'était pas allé se faire pendre, reparaissait à Lille pour la troisième
fois et revenait à la charge auprès du général, ce qui semblerait bien
prouver que l'attitude de celui-ci n'aurait pas été aussi terrible ni aussi
indignée qu'il l'a faite complaisamment dans ses dépositions. Devant la
commission d'instruction[10], en présence
même du général Magnan avec qui il était confronté, le commandant Mésonan
déclare, en effet, qu'il a causé longuement
politique avec le général ; que celui-ci lui a ouvert un cœur qui était
froissé par quelques promotions, qu'il s'est même exprimé à ce sujet avec
beaucoup de chaleur, que lui Mésonan n'a fait aucune ouverture de la part du
prince ; qu'il a pu faire voir au général plusieurs lettres de celui-ci, mais
que ces lettres ne contenaient rien de pareil aux offres dont on parle
. Magnan réplique que Mésonan ne lui a montré qu'une seule lettre, celle
qu'il a citée. Devant cette affirmation, Mésonan déclare que si le prince a fait des propositions au général, il
est possible qu'il lui ait fait voir la lettre dans laquelle elles étaient
contenues, mais qu'il ne se rappelle pas. Ajoutons enfin que
dans son interrogatoire Louis-Napoléon dit ne pas se souvenir d'avoir écrit
cette lettre[11]. Quoi qu'il en soit, devant ce troisième retour offensif du commandant Mésonan, le général le signale au procureur du Roi comme un agent du prince, écrit à nouveau au ministre de la guerre, mais, tout cela, après lui avoir encore dit : Vous êtes fou ! partez ! toujours suivant sa propre déclaration[12]. Le prince, ayant échoué auprès du général Magnan et ne parvenant pas à corrompre par l'entremise de Parquin et de Lombard quelques officiers de la garnison de Lille, dut abandonner son idée première de soulever une grande ville, et, décidé à agir sans tarder plus longtemps, il jeta son dévolu sur la ville de Boulogne d'un accès relativement facile, d'une très faible garnison, et où il avait une entrée de jeu — bien mince, il est vrai— le concours d'un officier, le lieutenant Aladenize[13], en résidence à Saint-Omer, mais faisant partie du même régiment, le 42e de ligne, que les deux compagnies détachées à Boulogne. Alors qu'il envoyait à Lille Lombard, Parquin, de Mésonan, le prince commandait des fusils à Birmingham ; puis il chargeait un sieur Forestier, négociant, d'une double mission en France, d'abord d'embaucher comme domestiques un certain nombre d'anciens militaires, et ensuite d'acheter des uniformes qu'il trouva chez un sieur Legrand, marchand fripier à la rotonde du Temple. Hommes et habillements furent expédiés à Londres[14]. Et c'est le docteur Conneau lui-même, l'ami le plus intime du prince et le premier dans la confidence, qui cousut à tous les uniformes les boutons fabriqués[15] à Londres et portant le numéro 40. Et c'est encore lui qui acheta une presse et imprima de sa main les différentes proclamations qui devaient être lancées en France. C'était d'abord une proclamation à l'armée. SOLDATS ! La France est faite pour commander et elle obéit. Vous êtes l'élite du peuple et on vous traite comme un vil troupeau. Vous avez recherché ce qu'étaient devenues les aigles d'Arcole, d'Austerlitz, d'Iéna. Ces aigles, les voilà ! Je vous les rapporte. Avec elles vous aurez gloire, honneur, fortune... Soldats ! la grande ombre de l'empereur Napoléon vous parle par ma voix... Soldats ! aux armes ! Signé : NAPOLÉON. Le général Montholon, faisant fonctions de major général. Le colonel Voisin, faisant fonctions d'aide-major général. Le commandant Mésonan, chef d'état-major. Boulogne, le ..... 1840. Puis c'était une proclamation aux habitants du département du Pas-de-Calais et de Boulogne : ... Bientôt toute la France, et Paris le premier, se lèveront en masse pour fouler aux pieds dix ans de mensonge, d'usurpation et d'ignominie... Écriez-vous avec moi : Traîtres, disparaissez ! l'esprit napoléonien qui ne s'occupe que du bien du peuple s'avance pour vous confondre... Habitants de Boulogne, venez à moi et ayez confiance dans la mission providentielle que m'a léguée le martyr de Sainte-Hélène... C'était encore une proclamation au peuple français : ... Les mânes du grand homme ne doivent pas être souillés par d'hypocrites et impurs hommages[16]... Banni de mon pays, si j'étais seul malheureux, je ne me plaindrais pas ; mais la gloire et l'honneur du pays sont exilés comme moi. Aujourd'hui, comme il y a trois ans, je viens me dévouer à la cause populaire... Un hasard me fit échouer à Strasbourg ; le jury alsacien m'a prouvé que je ne m'étais pas trompé... Ceux qui nous gouvernent nous ont promis la diminution des impôts, et tout l'orque vous possédez n'assouvirait pas leur avidité. Ils vous ont promis une administration intègre, et ils ne règnent que par la corruption. Ils vous ont promis la liberté, et ils ne protègent que privilèges et abus... Ils ont promis qu'ils défendraient notre honneur, nos droits, nos intérêts, et ils ont partout vendu notre honneur, abandonné nos droits, trahi nos intérêts... Agriculteurs, ils vous ont laissé pendant la paix de plus forts impôts que ceux que Napoléon prélevait pendant la guerre... Industriels, vos intérêts sont sacrifiés aux exigences étrangères[17]... Vous toutes, classes laborieuses et pauvres, souvenez-vous que c'est parmi vous que Napoléon choisissait ses lieutenants, ses maréchaux, ses ministres, ses princes, ses amis... Lorsqu'on a l'honneur d'être à la tête d'un peuple comme le peuple français, il y a un moyen infaillible de faire de grandes choses, c'est de le vouloir. Il n'y a en France aujourd'hui que violence d'un côté, que licence de l'autre. Je veux rétablir l'ordre et la liberté. Je veux, en m'entourant de toutes les sommités du pays sans exception, et en m'appuyant uniquement sur la volonté et les intérêts des masses, fonder un édifice inébranlable. Je veux donner à la France des alliances véritables, une paix solide, et non la jeter dans les hasards d'une guerre générale... Français ! je vois devant moi l'avenir brillant de la patrie ! Je sens derrière moi l'ombre de l'Empereur qui me pousse en avant ! Signé : NAPOLÉON. Boulogne, le ..... 1840. Ensuite venait un décret ainsi conçu : Le prince Napoléon, au nom du peuple français, décrète ce qui suit : La dynastie des Bourbons d'Orléans a cessé de régner. Le peuple français est rentré dans ses droits. Les troupes sont déliées du serment de fidélité. La Chambre des pairs et la Chambre des députés sont dissoutes. Un congrès national sera convoqué dès l'arrivée du prince Napoléon à Paris. M. Thiers, président du Conseil, est nommé à Paris président du gouvernement provisoire. Le maréchal Clausel est nommé commandant en chef des troupes rassemblées à Paris. Le général Pajol conserve le commandement de la première division militaire. Tous les chefs de corps qui ne se conformeront pas sur-lechamp à ces ordres seront remplacés. Tous les officiers, sous-officiers et soldats qui montreront énergiquement leur sympathie pour la cause nationale seront récompensés d'une manière éclatante au nom de la patrie. Dieu protège la France ! Signé : NAPOLÉON. Boulogne, le ..... 1840. Enfin le docteur Conneau rédigea sous la dictée du prince différentes pièces relatives notamment au rôle attribué à chacun des principaux conjurés, ainsi qu'aux détails d'exécution de l'entreprise, dont le plan était ainsi tracé[18] : ... Entrer dans le port de V... (Wimereux) à marée montante. Débarquer hommes et chevaux au moyen d'un pont volant sur lequel on aura étendu des couvertures. S'emparer des douaniers. Débarquer les bagages. Aller droit à Wimile prendre des voitures. Donner le mot d'ordre et de ralliement : B... et N... Arrêter tout ce qu'on rencontrera en chemin... Marcher sur le château, ayant une avant-garde commandée par Laborde, Bataille aide de camp, Persigny sergent-major et six hommes (dont deux sapeurs et deux éclaireurs). Parlementer avec la garde du château Choulem. Le château pris, y laisser deux hommes dont l'un se tiendra en dedans et gardera les clefs ; l'autre fera sentinelle en dehors. Le capitaine d'Hunin commandera l'arrière-garde, composée de Conneau sergent-major et de dix hommes. A son arrivée à l'Hôtel de ville, il prendra les dispositions suivantes : 1° fermer la porte de Calais ; 2° s'établir militairement à la porte de l'esplanade ; 3° fermer la porte de Paris ; 4° poser une sentinelle sur la place d'Armes... Le corps principal s'emparera de l'Hôtel de ville... on se dirigera sur la caserne... Ces diverses opérations seront faites dans le plus profond silence ; mais, une fois la troupe enlevée, on viendra s'établir à l'Hôtel de ville ; on fera sonner le tocsin ; on répandra des proclamations, et on prendra les dispositions suivantes : 1° s'emparer de la poste aux chevaux ; 2° de la douane ; 3° du sous-préfet ; 4° des caisses publiques ; 5° du télégraphe. Le colonel Laborde, le commandant Desjardins et le colonel Montauban s'occuperont chacun de la formation immédiate d'un bataillon de volontaires à huit compagnies. Aussitôt qu'une compagnie sera formée... on la fera monter sur les voitures, etc. Y compris le prince, le corps expéditionnaire se composait de cinquante-six personnes[19] : De Montholon (Charles-Tristan), major général, comte de Lée, 58 ans, maréchal de camp en disponibilité[20]. Voisin (Jean-Baptiste), aide-major général, colonel de cavalerie en retraite, 60 ans. 1799, simple canonnier, fait lieutenant sur le champ de bataille d'Austerlitz, lieutenant-colonel en 1813, après un beau fait d'armes à Livourne, dans lequel il fut blessé à la tête ; mis à la retraite en 1837 avant d'avoir été promu au généralat. Le Duff de Mésonan (Séverin-Louis), chef d'état-major, 57 ans, chef d'escadron d'état-major en retraite. En mai 1809, action d'éclat à Flessingue. En 1815, prisonnier des Anglais. En 1834, officier de la Légion d'honneur après une belle conduite à Lyon. En 1837, mis prématurément à la retraite. Parquin (Charles-Denis), colonel de la cavalerie, 53 ans[21]. Bouffet de Montauban (Hippolyte-François-Athale-Sébastien), colonel des volontaires, 46 ans, ancien officier de lanciers, ancien colonel colombien, ex-général des volontaires parisiens en 1830 et 1831. Alors directeur à Richmond d'une fabrique de savons. Laborde (Etienne), commandant l'infanterie du centre, 58 ans, lieutenant-colonel en retraite. 1803, simple soldat. Campagnes de l'Empire en Espagne, en Russie, en Saxe, en Belgique, en France. Actions d'éclat, blessures. Ancien officier de la garde impériale, accompagne, en qualité d'adjudant-major, l'Empereur à l'île d'Elbe, où il reste neuf mois, et se trouve à ses côtés à Laffrey. Lombard (Jules-Barthélémy), lieutenant près le colonel Laborde[22]. Conneau (Henri), chirurgien principal à l'état-major et sergent tout à la fois, 37 ans, docteur en médecine, secrétaire du roi Louis en 1830, puis médecin de la reine Hortense. Fialin de Persigny[23] (Jean-Gilbert-Victor), commandant les guides à cheval en tête de la colonne, 30 ans. D'Almbert (Alfred), 27 ans, vaguemestre aux gardes à pied, secrétaire intime du prince. Orsi (Joseph), 32 ans, lieutenant des volontaires à cheval, négociant, banquier de la famille Bonaparte à Florence. Alexandre Prosper, dit Desjardins, chef de bataillon à l’avant-garde, 51 ans, capitaine en retraite. Décoré, nombreuses campagnes, plusieurs blessures. Mathieu Galvani, sous-intendant militaire, 54 ans, sous-intendant en réforme. Napoléon Ornano, commandant la cavalerie à l'arrière-garde, ancien sous-lieutenant au 3e dragons, 34 ans. Forestier (Jean-Baptiste-Théodore), lieutenant aux guides, 25 ans, négociant. Bataille (Martial-Eugène), lieutenant à l'état-major, 25 ans, ingénieur civil, ancien élève de l'École polytechnique[24]. Aladenize (Jean-Baptiste-Charles), 27 ans, lieutenant de voltigeurs au 42e de ligne. Vicomte de Querelles (Henri-Richard-Siegfroid), commandant les gardes à pied, 29 ans, lieutenant en disponibilité. Faure, sous-intendant de la colonne expéditionnaire, ancien huissier. D'Hunin, capitaine polonais. Flandin-Vourlat, rentier. Bachon (Pierre-Paul-Frédéric), vaguemestre général, 30 ans, ancien militaire, ancien écuyer au manège du comte d'Aure, écuyer du prince. Bure (Pierre-Jean-François), payeur général et sergent à la compagnie des guides à pied, 33 ans, commis de commerce, frère de lait du prince. Gillemand (Pierre-Joseph-Léon), 40 ans, professeur d'escrime du prince et de Persigny. Duflos (Pierre-Antoine-Jules), 34 ans, tailleur du prince. Thélin, 39 ans, valet de chambre du prince. Desfrançois, 26 ans, ancien soldat au 43e de ligne. Vervoort (Félix), 32 ans, ancien domestique du château d'Arenenberg, maître d'hôtel du prince. Picconi (André), 52 ans, courrier du prince. Bellier (Michel), 33 ans, valet de chambre de Persigny. Brigaud (Nicolas), 35 ans, ancien soldat au 1er régiment de chasseurs à cheval, ancien garde municipal de Paris, chasseur du prince. Ancel (Polycarpe), 50 ans, ancien militaire de la garde impériale, ancien garde à pied du Roi, ancien inspecteur des messageries, chasseur du prince. Hyppemeyer (Jean-Jacques), 22 ans, valet de pied du prince. Thévoz (Benjamin-Eugène), 30 ans, cocher de la comtesse d'Espel (?). Graizier (Jean-François), 36 ans, jardinier, ancien militaire. Cuzac (Léon), 26 ans, cuisinier du prince. Heywang (Jean-Georges), 34 ans, cuisinier. Meurisse (Louis), 36 ans, aide-cuisinier chez le prince. Bernard (Jean-Pierre-Joseph), 28 ans, cultivateur, ancien soldat au 63e de ligne. Brunet (Jean-Marie), domestique. Buzenet (Noël-Michel), 38 ans, ancien sergent au 36e de ligne, domestique du prince. Duhomme (Urbain), 27 ans, ancien militaire, domestique. Gedbart (François), 38 ans, ancien militaire, domestique. Jardin (Stanislas-Désiré), 28 ans, ancien militaire au 45e de ligne, domestique. Koionowski (Casimir), 40 ans, domestique du capitaine d'Hunin. Lietot (Jean-Louis), 34 ans, domestique du prince, ancien militaire. Lambert (Hubert-Louis), 33 ans, domestique du prince. Prudhomme (Marie-Joseph), 22 ans, domestique, ancien soldat, ancien tambour de la garde nationale. Finckbohner (Martin), 28 ans, domestique de Parquin. Egger (Jean), ancien militaire, valet de chambre de Voisin. Peiffer (Bernard), 26 ans, domestique de Montauban. Masselin (Louis-François), ancien militaire, ancien sculpteur, domestique. Crétigny (Jean-Henri), 27 ans, domestique. Pierakouski (Xavier), 30 ans, domestique. Viengiski (Valentin), 43 ans, domestique. Ces hommes avaient-ils été embauchés pour une fin précise ? Non. Tout ce qui tenait à la domesticité, c'est-à-dire plus de la moitié du corps expéditionnaire, devait marcher par cela seul que les serviteurs suivent leurs maîtres sans se permettre de les interroger[25]. C'est ainsi que Duflos[26], Desfrançois[27], Ancel[28], Heywang[29], Prudhomme[30], Gillemand[31], Galvany[32], Vervoort[33], Cuzac[34], Koionowski[35], Graizier[36], Picconi, Bellier, Brigaud, Hyppemeyer[37], ne savaient ni où ils allaient, ni ce qu'on attendait réellement d'eux. Quant aux autres, d'un rang social plus élevé, amis ou collaborateurs du prince, ils savaient bien que celui-ci avait le projet de renouveler la tentative de Strasbourg ; mais, à part Forestier et Bataille, qui s'étaient rendus, par ordre, à Boulogne, pour prévenir le lieutenant Aladenize et pour aider au débarquement, Persigny et Conneau, les intimes de Louis Bonaparte, personne, jusqu'au dernier moment, ne connaissait le jour, ni l'heure du départ, ni même, une fois sur le navire, le lieu où l'on devait aborder. Le général Montholon[38], le colonel Voisin[39], le commandant Parquin[40], de Montauban[41], le colonel Laborde[42], le commandant Mésonan[43], Lombard[44], le capitaine Desjardins[45], Ornano[46], Orsi[47], d'Almbert, secrétaire intime du prince[48], Bure, son frère de lait[49], Thélin, son fidèle valet de chambre[50], ne savaient rien ! Si le prince eut des confidents comme Conneau et de Persigny[51], il ne prit conseil que de lui-même ; seul il se résolut, et seul il arrêta son plan ; ayant une invincible foi en son étoile, pourquoi aurait-il livré ses idées, ses espérances et ses projets à l'examen et à la discussion ? Il comptait agir un peu plus tôt qu'il ne le fît, si l'on
en juge par le contrat qui fut passé avec un sieur Rupello pour l'affrètement
d'un navire, et qui est ainsi conçu : M. Rupello
loue l'Edimburgh-Castle[52] pour un mois, pour une partie de plaisir, avec faculté de
se rendre où ses amis et lui voudraient aller. Il préviendra deux jours à
l'avance. Il payera 100 livres sterling (2.500
francs) par semaine, à partir du 6 juillet
jusqu'au 6 août. Dans le cas où ses amis changeraient d'avis et où la partie
de plaisir serait différée, il payera 100 livres sterling à titre d'indemnité. Enfin, le 3 août, les bagages furent chargés sur le navire[53], notamment deux voitures, neuf chevaux, des caisses d'uniformes[54], et un certain nombre de paniers de vin et de liqueurs[55]. Le 4 août au matin Louis Bonaparte s'embarque à Gravesend, le général Montholon, le colonel Voisin, le colonel Laborde, Orsi à Margatz, les autres à Greenwich, à Blakwall, à Ramsgate, la troupe se divisant ainsi afin de ne pas éveiller l'attention des autorités anglaises. C'est dans ce but aussi et afin de ne pas devancer l'heure et le jour fixés à Forestier qui avait prévenu Bataille et Aladenize, que le paquebot ne se rendit pas directement à destination, et que, courant de longues bordées, il changea plusieurs fois de direction. Le 5 août, le prince, dit-on, réunit tout le monde sur le pont et prononça cette allocution : Mes amis, j'ai conçu un projet que je ne pouvais vous confier à tous, cardans les grandes entreprises le secret seul peut assurer le succès. Compagnons de ma destinée, c'est en France que nous allons. Là nous trouverons des amis puissants et dévoués. Le seul obstacle à vaincre est à Boulogne ; une fois ce point enlevé, notre succès est certain ; de nombreux auxiliaires nous secondent, et si je suis secondé, comme on me l'a fait espérer, aussi vrai que le soleil nous éclaire, dans quelques jours nous serons à Paris, et l'histoire dira que c'est avec une poignée de braves tels que vous que j'ai accompli cette grande et glorieuse entreprise !... — Le prince emportait[56] en billets de la banque d'Angleterre, en or et en argent, une somme de 400.000 francs, l'héritage maternel. Thélin, Cuzac, et Bure étaient porteurs de rouleaux d'or. Et c'est ce dernier qui, sur l'ordre du prince, un peu avant le débarquement, donna 100 francs à chaque homme[57]. Le 6 août, après minuit, le bateau vint mouiller à un quart de lieue de la côte, en face de Wimereux, petit port situé à quatre kilomètres environ au nord de Boulogne. De deux à trois heures du matin un canot se détachant du navire fit quatre voyages successifs pour amener à terre tout le personnel de l'expédition. Forestier, Bataille et Aladenize, qui n'était arrivé de Saint-Omer que quelques heures auparavant, se trouvaient déjà sur la plage. Un sous-brigadier des douanes, le sieur Audinet, attiré par le bruit, aperçoit le canot dans son va-et-vient et le hèle. Une voix lui répond : Nous sommes des hommes du 40e de ligne, et nous allons de Dunkerque à Cherbourg ; mais une roue de notre paquebot s'est brisée, et voilà pourquoi nous débarquons. Audinet va prévenir le brigadier Guilbert ; celui-ci avise immédiatement le lieutenant des douanes Bally, qui, suivi de quelques douaniers, aborde avec eux la colonne expéditionnaire alors débarquée tout entière. Il demande des explications. Ne vous opposez pas au débarquement, lui répond-on, ou vous serez traités comme des Bédouins. Une voix s'écrie : Ne leur faisons pas de mal, c'est de la douane. Comme on n'a ni le temps ni l'envie de parlementer, on leur signifie purement et simplement que, de gré ou de force, ils vont marcher avec la troupe qui vient de débarquer, et qu'ils lui serviront de guides et d'éclaireurs. Montauban s'adressant au brigadier Guilbert lui dit : Savez-vous qui vous escortez ?... C'est le prince Napoléon ! Et, comme celui-ci lui fait observer qu'il sera révoqué, il ajoute : On ne révoque pas des gens qui sont entraînés par force. Soyez sans inquiétude. La famille du prince est riche ; elle ne vous abandonnera pas. Là-dessus le général Montholon s'approche de lui et lui offre de l'argent qu'il refuse[58]. Le prince le voit si bouleversé que, pris de pitié, il lui permet de s'en aller sous la condition de ne rien dire[59]. Quant au lieutenant des douanes Bally, on lui dit : Savez-vous bien que c'est le prince Louis-Napoléon qui est à notre tête ! Boulogne est à nous, et dans peu de jours le prince sera proclamé empereur des Français par la nation qui le désire et par le ministère français qui l'attend[60]. Le malheureux lieutenant, abasourdi, ne trouve rien à répondre, si ce n'est qu'il est bien fatigué pour aller jusqu'à Boulogne. Mésonan intervient et s'écrie : Il n'y a pas de fatigue qui tienne, il faut marcher ! Puis c'est le tour de Parquin qui le menace en mettant la main au sabre : Allons ! marche ![61] Mais le prince s'interpose pour l'officier, comme il avait fait pour le soldat, et dit : Je veux bien que vous retourniez à Wimereux, mais sous condition que vous irez directement et sans dire un mot de ce qui vient de se passer[62]. C'est en vain que le général Montholon lui avait offert de l'argent, et que le prince lui avait promis une pension de 1,200 francs dans le cas où il viendrait à perdre son emploi. Enfin la troupe s'ébranle et se dirige vers Boulogne. Le plan, ainsi qu'il résulte des ordres ci-dessus relatés, était bien simple. Il consistait, avant tout, à s'emparer de la caserne où tenaient garnison deux compagnies du 42e de ligne, à entraîner ces troupes, à enlever le château qui servait d'arsenal, à prendre possession des différents monuments publics, à garder toutes les portes, puis à organiser rapidement une force militaire qui, dans une marche sur Paris, deviendrait une véritable armée irrésistiblement portée en avant par le flot populaire. C'est vers cinq heures du matin que la colonne expéditionnaire pénétra dans la ville. Elle arrive bientôt place d'Alton, où était installé un poste composé de quatre hommes et d'un sergent. Le voltigeur Jean-Baptiste Coisy[63] était alors en faction. Il aperçoit d'abord Aladenize qui marchait en tête, puis Lombard qui portait un drapeau, et enfin un brillant état-major suivi de soldats. Les prenant pour des militaires parfaitement authentiques, il se conforme au règlement et crie : Aux armes ! afin que le poste vienne rendre les honneurs. Le poste sort, s'aligne et présente les armes. Aladenize leur dit : Voilà le prince ! Sergent, venez avec nous ! Celui-ci répond qu'il ne peut quitter son poste sans en avoir reçu l'ordre du commandant de la place. Je suis envoyé par votre colonel, reprend Aladenize ; vous pouvez me suivre ; le gouvernement est changé ! Le sergent Morange, qui avait remarqué que le drapeau était surmonté d'une aigle[64], et qui d'ailleurs ne connaissait que la consigne, donne à ses hommes l'ordre de mettre l'arme au bras et persiste énergiquement dans son refus. Vous vous en repentirez, lui dit Parquin. Tu seras puni demain ! s'écrie un autre. Aladenize s'adresse alors aux quatre hommes et cherche à les entraîner, mais ceux-ci refusent d'abandonner leur chef de poste. Furieux, il va prendre par le bras le dernier de la file, le sieur Serret (Joseph), et lui dit : Viens ! tu seras bien récompensé, tu n'auras pas de regrets[65]. Le soldat reste fidèle à son devoir. La troupe des conjurés continue son chemin et s'engage dans la Grand'Rue. Elle rencontre un officier de la garnison, le sous-lieutenant de Maussion. Un officier de la suite de Louis Bonaparte vient à lui et lui dit : Vous ne connaissez pas le prince ? Interloqué, ne comprenant pas, le jeune sous-lieutenant balbutie une réponse négative. Venez, je vais vous présenter ! continue l'officier. M. de Maussion résiste, fait observer, ne sachant pas quel était ce prince[66], qu'il n'était pas dans une tenue convenable... Bon gré, mal gré, la présentation a lieu, et tout en marchant, car on avançait toujours, le prince lui dit : J'espère que vous serez des nôtres... Je suis venu ici pour rendre à la France humiliée le rang qui lui convient !... Quelques moments après, M. de Maussion, sous un prétexte quelconque, abandonnait le prince et courait chez son chef, le capitaine Col-Puygélier, pour l'aviser de l'invraisemblable événement qui était en train de s'accomplir. Presque en même temps arrivait le sous-lieutenant Ragon qui était logé à la caserne et qui venait informer son commandant de ce qui se passait. Celui-ci, qui était sorti de grand matin, rentrait précisément pour revêtir son uniforme, parce qu'il avait, quelques instants auparavant, rencontré un soldat qui lui avait affirmé qu'un détachement du 40e se présentait à la caserne. En effet, la colonne expéditionnaire était arrivée à la porte de la caserne. Sans perdre une minute, le lieutenant Aladenize dit au soldat qui était en faction, un sieur Febvre : Factionnaire, criez : Aux armes ! Voilà le prince ! Celui-ci obéit et crie : Aux armes ![67] Le poste sort, présente les armes, et le prince avec sa suite entre dans la caserne sans l'ombre d'une difficulté. On met immédiatement deux factionnaires devant la caserne, avec la consigne de ne laisser entrer aucun officier et de ne permettre à personne de sortir du quartier. Déjà la foule se rassemblait devant la porte de la caserne, et un officier du prince vint alors lui jeter des pièces de monnaie, voire même des pièces de cent sous, en lui disant : Criez : Vive l'Empereur ! Et la foule de crier comme un seul homme[68]. Deux sergents notamment, les soldats de Rinck et Chapolard, entendant du bruit dans la cour de la caserne, regardent par la fenêtre, puis descendent et se trouvent en présence d'Aladenize, qui les prend l'un et l'autre par la main et les conduit au prince. Voilà, dit-il, en présentant celui-ci, un ancien militaire à qui il faut une paire d'épaulettes. — Je vous fais capitaine de grenadiers ! répond Louis Bonaparte[69]. Quant à l'autre, le prince lui prend immédiatement la main et lui dit : Bonjour, brave, je te nomme officier ![70] Aladenize, qui commande en maître, grâce à sa situation d'officier du régiment, fait descendre les deux compagnies, les range en carré, ordonne de présenter les armes et fait battre au drapeau. Le prince s'avance, se place au milieu des soldats et leur adresse une longue allocution. Aladenize fait avancer le sergent-major Clément et le présente
au prince, qui lui dit : Je vous nomme capitaine et
je vous donne la croix que j'ai portée moi-même. Il veut détacher sa
croix et n'y parvient pas, et comme un de ses officiers lui fait observer
qu'il va déchirer son uniforme, le prince s'écrie : Vous
n'en êtes pas moins chevalier de la Légion d'honneur. Il nomme aussi
officiers les autres sous-officiers. Le sous-lieutenant de Maussion arrive ; Aladenize va vivement à lui, et les deux officiers parlementent longtemps ensemble. Criez : Vive l'Empereur ! lui dit-il, et M. de Maussion de répondre : Non, jamais ! Vive le Roi toujours ! Alors survient le capitaine Puygélier. A la porte de la caserne un officier du prince l'aborde immédiatement : Capitaine, soyez des nôtres, lui dit-il, le prince Louis est ici ; votre fortune est faite. Puygélier, pour toute réponse, met le sabre à la main et s'écrie : Où est ma troupe ? Je veux la voir ! On l'entoure ; on le saisit ; on veut lui enlever son sabre. Il résiste à ceux qui l'assaillent et leur jette ces mots au milieu de la mêlée : Vous le briserez, où je m'en servirai, car j'ai bon poignet ! Il parvient à se dégager, se précipite vers, ses soldats et leur crie : Vous êtes des hommes d'honneur, n'est-ce pas ? Eh bien ! ce qu'on vous demande, c'est une trahison ! Louis-Napoléon intervient alors et dit à Puygélier : Capitaine, je suis le prince Louis, soyez des nôtres, et vous aurez tout ce que vous voudrez ! — Prince Louis ou non, répond l'officier, je ne vous connais pas. Je ne vois en vous qu'un usurpateur ; vous venez ici comme un traître, je vous engage à vous retirer. Napoléon, votre prédécesseur, a abattu la légitimité, et c'est en vain que vous viendriez la réclamer ! Le prince reste interdit. Le capitaine s'écrie : Soldats, on vous trompe ! vive le Roi ! A moi ! Les partisans de Louis Bonaparte l'entourent : Assassinez-moi, dit-il, mais je veux accomplir mon devoir ! Aladenize lui fait observer qu'il va être la cause d'une boucherie. Tant pis, ajoute encore Col-Puygélier, nous en ferons une s'il le faut ! A ce moment, le capitaine Laroche et le sous-lieutenant Ragon arrivent, sabre nu, appelant les soldats et criant : Vive le Roi ! Le capitaine commandant Col-Puygélier se dispose à faire marcher sa troupe, lorsque le prince, affolé, croyant sa vie en danger, tire un coup de pistolet qui atteint le grenadier Geouffroy à la bouche[71]. Le capitaine Puygélier, soutenu par ses soldats, parvient à refouler les conjurés en dehors de la caserne, dont il fait fermer les portes. Puis, sans perdre un instant, il ordonne une distribution de cartouches, dépêche deux tambours avec quatre grenadiers battre la générale, charge le sous-lieutenant Maussion avec vingt soldats de s'emparer du port, assure la garde de la caserne, et se dirige lui-même avec le sous-lieutenant Ragon et vingt hommes vers la ville haute pour empêcher la prise du château et le pillage de l'arsenal. Presque en même temps, il était environ six heures du matin, le maire de Boulogne, M. Adam, et le sous-préfet, M. Launay-Leprovost, avaient été avisés, ce dernier par un notaire, M. Dutertre[72], que des hommes parcouraient les rues de la ville en criant : Vive l'Empereur ! Ils se hâtent de prendre des mesures de défense ; ils réunissent les gendarmes ; ils préviennent le lieutenant du port, le directeur-chef des douaniers, le commandant de la garde nationale, le commissaire de police[73]. Les conjurés, après avoir été repoussés de la caserne, se dirigent vers le château, en répandant des proclamations et en distribuant de l'argent. Ils passent devant la sous-préfecture. Le sous-préfet s'avance au-devant d'eux sur la voie publique et les somme au nom du Roi de se séparer et d'abattre leur drapeau. Le prince donne l'ordre de passer outre. Comme le sous-préfet fait mine de vouloir barrer le chemin, il reçoit en pleine poitrine un coup de l'aigle qui surmonte le drapeau. En se défendant, il est blessé aux mains[74]. Il est obligé de livrer passage aux conjurés, mais il s'empresse d'aller de porte en porte chercher les gardes nationaux, en leur donnant comme lieu de rendez-vous la place d'Aton, où il finit par en réunir environ deux cents, sous les ordres du colonel Sansot. Arrivés au château, les rebelles tentent en vain d'y pénétrer. Comme le temps presse, ils ont recours à la hache pour briser la porte dite de Calais, mais celle-ci résiste à tous leurs efforts. Obligés de renoncer à la prise de l'arsenal, désorientés, vaincus pour ainsi dire sans combat, ils se décident, n'ayant plus de plan arrêté ni de but déterminé, à se rendre à la colonne de la Grande Armée distante de la ville d'un kilomètre environ ; on monte au sommet et on y fait flotter le drapeau impérial[75]. La troupe du sous-lieutenant Ragon, après avoir assuré la défense du château en y laissant quelques hommes, s'était repliée sur la ville basse et avait rejoint la force véritable de Boulogne, la garde nationale, qui, précédée de quelques gendarmes à cheval, se met, sous les ordres du colonel Sansot, flanqué du sous-préfet, à la poursuite des conjurés. Dès que ceux-ci aperçoivent cette petite armée, ils abandonnent précipitamment la colonne autour de laquelle ils étaient groupés et fuient dans toutes les directions. Le prince, désespéré, voulait se faire tuer au pied même de la colonne, mais ses amis l'entraînent. Lombard seul est arrêté là, sur la colonne, où il ne voulait pas abandonner le drapeau. Le lieutenant de gendarmerie, avec trois gendarmes, poursuit ceux qui se sauvent à travers champs et s'empare d'Aladenize, de Bouffé-Montauban et de cinq autres. Desjardins est appréhendé au moment où il veut enfourcher le cheval d'un paysan. Ornano est bientôt découvert dans une cabane où il venait de se cacher. Sur le port le commissaire de police Bergeret et le capitaine de la garde nationale Chauveau-Soubitez arrêtent le commandant Parquin et le général Montholon. La plupart des conjurés, poursuivis par la troupe et par la garde nationale, arrivent à la mer ; à grands cris ils hèlent en vain le capitaine du paquebot pour qu'il leur envoie une embarcation. Les uns, presque tous, restent sur la plage et se rendent ; les autres, en petit nombre, et notamment Persigny, Conneau, Mésonan, Galvani, etc., ainsi que le prince, se jettent à la nage pour atteindre un canot qui se trouvait là par hasard, ancré à peu de distance du rivage. C'est alors que les soldats et les gardes nationaux se mettent à tirer sur ces malheureux sans défense, presque à bout portant[76], alors qu'ils essayent de se hisser dans le canot qui chavire. Le colonel Voisin reçoit deux balles, l'une dans les reins et l'autre à la poitrine ; le prince est atteint[77] d'une balle qui se perd dans son uniforme ; le sieur Viengiki est grièvement blessé à l'épaule[78] ; le capitaine d'Hunin se noie ; le sieur Faure est tué. Le sieur Galvani, qui avait disparu dans les flots, parvient à regagner le rivage. En même temps le lieutenant du port, Pollet[79], après s'être emparé du bateau anglais et lui avoir donné l'ordre d'appareiller pour Boulogne, au risque d'être victime de cette abominable fusillade[80] monte dans un canot avec cinq hommes et deux gendarmes, se dirige vers les rebelles tombés à la mer et recueille le prince, ainsi que trois officiers. Un autre canot, conduit par le notaire Dutertre, capitaine de la garde nationale, retire de l'eau une cinquième personne. Les deux barques vont accoster au quai, où une voiture, dans laquelle montent le sous-préfet et le maire, vient prendre le prince pour le mener au château. Celui-ci est tellement transi et grelottant qu'un sieur Lejeune, entrepreneur de bâtiments, ôte son habit pour le lui donner[81]. Voisin, Persigny, Conneau, Mésonan, Viengiki, non moins ruisselants, suivent dans une voiture. En arrivant au château, le prince obtient l'autorisation de se mettre immédiatement au lit. Toute la colonne expéditionnaire était prisonnière. Il était à peine huit heures. L'échauffourée avait donc duré environ trois heures. A huit heures et demie, le sous-préfet adressait au ministre de l'intérieur une première dépêche ainsi conçue : Louis Bonaparte vient de faire une tentative sur Boulogne. Il est poursuivi, et déjà plusieurs des siens sont arrêtés. Puis à neuf heures un quart cette seconde dépêche : Louis Bonaparte est arrêté. Il vient d'être transféré au château, où il sera bien gardé. La conduite de la population, de la garde nationale et de la troupe de ligne a été admirable[82]. Le lendemain, 7 août, le Moniteur publiait le document suivant : Circulaire du ministre de la guerre. — 7 août 1840, cinq heures du soir. GÉNÉRAL, Le territoire français a été violé par une bande d'aventuriers... Repoussés dans les flots qui venaient de les vomir, Louis Bonaparte et tous ses adhérents ont été pris, tués ou noyés... etc., etc..... Le pair de France, ministre de la guerre, CUBIÈRES. La presse accueillit avec dédain et mépris cette nouvelle aventure. Tout Paris, écrit le Journal des Débats (8 août 1840), a appris aujourd'hui avec une indignation mêlée de pitié qu'une tentative plus folle encore et plus coupable que l'échauffourée de 1836 venait d'être faite sur la ville de Boulogne par l'amnistié de Strasbourg, M. Louis Bonaparte. Nous n'avons pas besoin de dire que cette entreprise a misérablement échoué. Les aigles, les proclamations emphatiques, les prétentions impériales de M. Louis Bonaparte n'ont réussi qu'à le couvrir une seconde fois d'odieux et de ridicule... En vérité, l'excès de folie que dénote une pareille entreprise confond... Voilà un jeune homme qui, parce qu'il s'appelle Napoléon, se croit l'héritier direct de la gloire et de la couronne d'un grand homme, et qui se figure qu'il n'a qu'à paraître en France pour que tout le monde se jette à ses pieds... Il n'a été cette fois encore que la dupe de sa propre vanité. Il n'a pris sa mission que dans son ambition ridicule. Il joue le rôle de héros et il ne voit pas qu'il déshonorerait le nom qu'il porte si un pareil nom pouvait être déshonoré...... Avec quelques phrases empruntées aux bulletins et aux proclamations de l'Empereur, il a cru qu'il allait faire soulever l'armée, la garde nationale et le pays ! Cependant l'excès même du ridicule ne peut pas couvrir le crime, le sang a coulé... Ceci passe la comédie... On ne tue pas les fous, soit, mais on les enferme. La nouvelle échauffourée du
prince Louis ne saurait être trop sévèrement qualifiée, dit le Constitutionnel
du 7 août. Ce jeune homme, qui fait tant de bruit du
nom qu'il porte, a bien peu le sentiment des devoirs que ce nom impose... Le
fils de la reine Hortense avait été insensé à Strasbourg, aujourd'hui il est
odieux. Sa monomanie de prétendant faisait hausser les épaules ; elle
indignera aujourd'hui tous les cœurs honnêtes. Il se croit héroïque, et il
n'est que tristement ridicule... — Dans cette misérable affaire (numéro du 8 août),
l'odieux le dispute au ridicule... La parodie se mêle au meurtre, et, tout
couvert qu'il est de sang, Louis Bonaparte aura la honte de n'être qu'un
criminel grotesque. D'où a pu lui venir, en effet, cette incroyable démence
qui le pousse à tenter la conquête de la France avec quelques séides de
l'Empire et une troupe de laquais déguisés en soldats ?... A Strasbourg, M.
Louis avait espéré fasciner la garnison en endossant la capote ou l'uniforme
de l'Empereur et en se coiffant du petit chapeau ; à Boulogne, il apportait
un aigle vivant. L'Empereur avait dit à Cannes en débarquant : L'aigle volera
de clocher en clocher jusque sur les tours de Notre-Dame. M. Louis a cru
probablement mieux faire en apportant un aigle vivant pour matérialiser la
sublime métaphore... Cela donne la mesure de l'intelligence de cet incroyable
prétendant. .. On rirait de mépris au récit de ces actes de démence, si le
sang n'avait pas coulé ![83] La Presse du 8 août s'exprimait ainsi : M. Louis Bonaparte s'est placé dans une position telle que nul en France ne peut honorablement aujourd'hui éprouver pour sa personne la moindre sympathie, ni même la moindre pitié. Le ridicule est dans l'avortement si misérable de ses projets, dans cette fuite précipitée, dès le premier signe de résistance, dans cette subite métamorphose de farouches conspirateurs en tritons effrayés et transis. L'odieux est dans l'ingratitude qui oublie qu'une fois déjà la clémence royale a pardonné généreusement un crime... que Napoléon eût fait expier chèrement à ses auteurs dans les vingt-quatre heures.. Le fils de l'ex-roi de Hollande n'a pas plus d'esprit que de cœur... Il n'est pas même un chef de parti, il n'en est que la méchante caricature....[84] La presse étrangère n'était pas moins impitoyable : Je viens, écrivait le correspondant du Times,
de voir Louis-Napoléon. Le pauvre diable est dans un
triste état. Il a manqué se noyer, et les balles l'ont serré de près. S'il en
avait reçu une, c'eût été, après tout, la meilleure fin d'un aussi mauvais
imbécile (mischievous
blockhead). Le Morning-Post dit : ... Le maniaque Louis-Napoléon, dont le nom vient encore de se produire d'une manière si ridicule..... Le Sun s'écrie : ... Ce fou de Louis-Napoléon... il serait de la dignité et de l'intérêt du gouvernement français de l'enfermer dans un hospice d'aliénés... L'opinion publique ne lui était pas favorable, et la lettre suivante[85] montre bien quel était alors le sentiment général : Nous apprenons aujourd'hui le second acte des folies du successeur d'un héros. Ce successeur d'un héros est un méchant fou. J'espère bien qu'on va le lier et le mettre dans une citadelle. Je ne sais quels sont ces généraux Voisin et Montholon dont on rapporte qu'ils accompagnaient ce maniaque dans son expédition. Il est bien pressé. J'aurais pensé qu'il aurait pris patience jusqu'à l'arrivée des cendres de son oncle. M. de Metternich[86] écrivait, le 20 août, de Kœnigswart, à M. Apponyi : Je ne vous parle pas de l'échauffourée de Louis Bonaparte. Je n'ai pas le temps de m'occuper de toutes les folies de ce bas monde... Le mercredi 7 août, vers minuit, deux berlines à quatre chevaux s'arrêtaient devant la porte du château. Dans la première monta le prince, vêtu d'un paletot blanchâtre et portant encore le gilet et le pantalon d'uniforme. Il était très abattu. A sa droite s'assit M. Lardenois, officier supérieur de la garde municipale de Paris ; en face de lui prirent place deux gardes municipaux. La seconde voiture contenait quatre de ces gardes. On raconte qu'au moment de son départ, alors qu'il
descendait un escalier conduisant dans la cour du château, il tourna ses
regards vers les fenêtres où se trouvaient ses compagnons d'infortune, en
leur criant : Adieu, mes amis ! Je proteste contre
mon enlèvement ! et que ceux-ci lui répondirent : Adieu, prince. L'ombre de l'Empereur vous protégera ! Les deux voitures étaient escortées par des dragons, et tout le long de la route il y avait des sentinelles de distance en distance. Le 9 août, le prince arrivait à Ham. Le matin même de ce jour, une ordonnance royale déférait l'attentat de Boulogne à la juridiction de la Chambre des pairs. Presque tous les journaux[87] critiquèrent cette résolution, soutenant qu'on aurait dû saisir le jury. Le Journal des Débats opinait dans un sens contraire : S'exposer, disait-il, à un second verdict de Strasbourg, eût été une inconcevable folie... Dans quel cas la tranquillité publique, la sûreté de l'État dépendra-t-elle davantage d'un acquittement ou d'une condamnation que dans celui où le droit à la couronne est la question même ? Comme prétendant au trône, M. Louis Bonaparte est ridicule, nous le savons, ridicule aux yeux de tout le monde ; accusé, il n'est pas impossible peut-être que le neveu de l'Empereur trouvât un second jury de Strasbourg ; c'est une chance, quelque peu probable qu'on la suppose, à laquelle le gouvernement aurait été insensé et coupable de s'exposer Quoi qu'il en soit, pour un gouvernement issu de la
Révolution, se réclamant avant tout des principes de 1789, et fondé
soi-disant sur la volonté du peuple, la mesure dut être douloureuse, d'autant
plus que la composition même de la Chambre des pairs devait être en même
temps d'un grand embarras. C'est bien pour cela que le journal bonapartiste
le Capitole écrivit alors le virulent article qui suit : La pairie peut-elle être à l'égard de son justiciable dans
les conditions d'indépendance et d'impartialité requises par la loi ?
Généraux, préfets, conseillers d'État, ambassadeurs, pensionnaires de tous
les régimes, fonctionnaires révocables et dépendants, leur conscience de juge
n'est point réellement protégée par l'inamovibilité qui assure la bonne
administration de la justice... Conçoit-on... le neveu de l'Empereur, assis
sur la sellette, en présence de deux cents créatures de l'Empire[88] à chacune desquelles il peut rappeler dix à douze serments
prêtés à sa dynastie et autant de bienfaits reçus de la munificence
napoléonienne ?... Se figure-t-on, par exemple, le plus grand dignitaire de
la pairie, M. Pasquier, rappelant l'illustre accusé à la foi du serment et
aux droits de la reconnaissance ? M. Pasquier, l'auditeur au Conseil d'État,
le maître des requêtes, le procureur général du sceau des titres, l'officier
de la Légion d'honneur, le baron, le directeur des ponts et chaussées, le
préfet de police de l'Empereur !... La Gazette de France (10 août 1840) dit à son tour : Si on les traduit devant la Cour des pairs, ils auront donc pour juges les hommes qui étaient à l'île d'Elbe et qui ont débarqué à Fréjus pour faire une révolution ! Ils seront donc condamnés par les maréchaux et les généraux qui, à cette époque, ont pris les armes pour une usurpation ! Leur arrêt sera donc signé par MM. Grouchy, Gérard, Soult... L'accusé répondra que cette élection (de Louis-Philippe) a été faite par 219 députés nommés par 150.000 électeurs, tandis que l'empire héréditaire a eu pour lui quatre millions de suffrages... Lui dira-t-on qu'il n'y a point de sympathies dans le pays pour l'Empire ? Il vous montrera la colonne Vendôme, et le monument que M. Thiers fait élever aux Invalides, et toutes les images étalées dans nos rues... Lui objectera-t-on... que pour le pays l'Empereur n'a pas d'héritier ? Il nous répondra : Qu'en savez-vous ?... Le 12, à minuit, le prince arrivait à Paris, et il était incarcéré à la Conciergerie, dans la chambre occupée cinq ans auparavant par Fieschi, sous la garde de trois surveillants, sans obtenir d'avoir auprès de lui son valet de chambre, Bellier. Les jours suivants, les autres prisonniers furent amenés de Boulogne. Chose singulière, malgré l'opinion des journaux, malgré le sentiment général, l'émotion avait été profonde à la cour. C'est bien pour cela que le 17 août le Roi crut devoir se rendre à Boulogne en grande solennité, accompagné de deux ministres, du général Magnan, de la Reine, du duc et de la duchesse de Nemours, du duc d'Aumale, du duc de Montpensier, de la princesse Clémentine, de la princesse Adélaïde. Il venait passer la revue de la garde nationale, de la troupe et des douaniers, et distribuer des récompenses à l'occasion de l'attentat du prince Napoléon. Mes chers camarades de la garde nationale de Boulogne, du 42e régiment de ligne et des douanes, dit-il en ouvrant la cérémonie, j'ai voulu venir dans votre ville afin d'être envers vous l'organe de la reconnaissance de la France pour le zèle que vous avez mis à réprimer une tentative insensée J'ai voulu consacrer par cette solennité la GLOIRE que la ville de Boulogne s'est acquise dans cette circonstance...... Le capitaine Col-Puygélier est nommé major. Le colonel Santot de la garde nationale est promu au grade de commandeur de la Légion d'honneur. Le 19 août, une commission d'instruction nommée par la Chambre des pairs et composée du chancelier Pasquier, du duc Decazes, du comte Portalis, du baron Girod de l'Ain, du maréchal Gérard, de M. Persil, à laquelle se joignent le procureur général Frank-Carré, les substituts Boully, Glandaz et Nouguier, et les juges d'instruction Zangiacomi et Boulloche, se rend à la prison de la Conciergerie, où ils interrogent les accusés de midi à cinq heures. C'est alors que paraît dans les journaux la lettre suivante : Florence, 24 août 1840. ... Je sais que c'est un singulier moyen et peu convenable de recourir à la publicité ; mais quand un père affligé, vieux, malade, ... expatrié, ne peut venir autrement au secours de son fils malheureux, un semblable moyen ne peut qu'être approuvé par tous ceux qui portent un cœur de père. Convaincu que mon fils, le seul qui me reste, est victime d'une infâme intrigue et séduit par de vils flatteurs, de faux amis et peut-être par des conseils insidieux, je ne saurais garder le silence sans manquer à mon devoir. Je déclare donc que mon fils Napoléon-Louis est tombé encore dans un piège épouvantable, dans un effroyable guet-apens, puisqu'il est impossible qu'un homme qui n'est pas dépourvu de moyens et de bon sens se soit jeté de gaieté de cœur dans un tel précipice... Je recommande mon fils égaré et séduit à ses juges et à tous ceux qui portent un cœur français et de père. Louis DE SAINT-LEU. Le 15 septembre, M. Persil, désigné comme rapporteur, soumet son travail à la Chambre des pairs, qui en adopte les conclusions, et qui, le 16, rend un arrêt de mise en accusation pour crime d'attentat à la sûreté de l'État, en visant les articles 87, 88, 89 et 91 du Code pénal, contre vingt et un accusés : Napoléon-Louis Bonaparte, Montholon, Voisin, Mésonan, Parquin, Bouffet-Montauban, Laborde, Lombard, Conneau, Fialin dit de Persigny[89], d'Almbert, Orsi, Alexandre Prosper dit Desjardins, Galvani, Ornano, Forestier, Bataille, Aladenize, Bure, Flandin, de Querelles (absent), Vourlat (absent). Parlant du gouvernement de Napoléon Ier, M. Persil s'écrie
: ... un système de gouvernement qui nous a fait, il
est vrai, recueillir d'amples moissons de gloire, mais que ne signalaient à
notre reconnaissance ni un ardent amour de la liberté et de l'égalité, ni un
profond respect pour les droits du citoyen... Ce qui pouvait être un bien, ce
qui a pu être commandé par une inexorable nécessité dans les premières années
du siècle... serait aujourd'hui un insoutenable anachronisme... Les débats s'ouvrirent le 28 septembre. Il y avait très peu de curieux aux abords du palais du Luxembourg[90]. La Cour était présidée par le chancelier M. Pasquier. Le siège du ministère public était occupé par le procureur général M. Frank-Carré. Les avocats étaient Mes Berryer, Marie et Ferdinand Barrot pour le prince ; Me Delacour pour Mésonan ; Me Barillon pour Persigny, Conneau, Lombard, Montauban ; Me Ducluzeaux pour Forestier ; Me J. Favre pour Aladenize ; Me Nogent-Saint-Laurens pour Laborde ; Me Lignier pour Ornano, Galvani, d'Almbert, Orsi ; Me Ferdinand Barrot pour Voisin, Parquin, Bataille, Desjardins ; Me Berryer pour le général Montholon. Louis-Napoléon Bonaparte est introduit le premier, suivi de Me Berryer. Il paraît fort jeune et n'offre aucune ressemblance avec son oncle. Il est en habit avec gilet blanc et cravate noire, et porte la plaque de la Légion d'honneur. Tous les accusés ont une mise élégante et sont gantés de blanc. Ils vont s'asseoir sur deux bancs placés derrière celui de leurs défenseurs. Sur le premier banc se trouvent un officier de gendarmerie, le prince, le général Montholon, un maréchal des logis de gendarmerie, le colonel Voisin, le commandant Mésonan, deux gendarmes, le commandant Parquin, Bouffet-Montauban, Lombard, Persigny, Forestier ; sur le deuxième banc il y a les autres accusés avec trois gendarmes. Après la lecture de l'acte d'accusation qui ne relate que des faits déjà connus, le chancelier Pasquier allait procéder à l'interrogatoire du prince, lorsque celui-ci demanda la parole. Pour la première fois de ma vie il m'est enfin permis d'élever la voix en France et de parler librement à des Français. Malgré les gardes qui m'entourent, malgré les accusations que je viens d'entendre, plein des souvenirs de ma première enfance, en me trouvant dans ces murs du Sénat, au milieu de vous que je connais, messieurs, je ne peux pas croire que j'aie ici besoin de me justifier, ni que vous puissiez être mes juges. Une occasion solennelle m'est offerte d'expliquer à mes concitoyens ma conduite, mes intentions, mes projets, ce que je pense, ce que je veux. Sans orgueil comme sans faiblesse si je rappelle les droits déposés par la nation dans les mains de ma famille, c'est uniquement pour expliquer les devoirs que ces droits nous ont imposés à tous. Depuis cinquante ans que le principe de la souveraineté du peuple a été consacré en France par la plus puissante révolution qui se soit faite dans le monde, jamais la volonté nationale n'a été proclamée aussi solennellement, n'a été consacrée par des suffrages aussi nombreux et aussi libres que pour l'adoption des constitutions de l'Empire. La nation n'a jamais révoqué ce grand acte de sa souveraineté, et l'Empereur l'a dit : Tout ce qui a été fait sans elle est illégitime. Aussi, gardez-vous de croire que me laissant aller aux mouvements d'une ambition personnelle, j'aie voulu tenter en France, malgré le pays, une restauration impériale. J'ai été formé par de plus hautes leçons et j'ai vécu sous de plus nobles exemples. Je suis né d'un père qui descendit du trône sans regret le jour où il ne jugea plus possible de concilier avec les intérêts de la France les intérêts du peuple qu'il avait été appelé à gouverner. L'Empereur, mon oncle, aima mieux abdiquer l'Empire que d'accepter par des traités les frontières restreintes qui devaient amener la France à subir les dédains et les menaces que l'étranger se permet aujourd'hui. Je n'ai pas respiré un jour dans l'oubli de tels enseignements. La proscription imméritée et cruelle qui pendant vingt-cinq ans a traîné ma vie des marches du trône sur lesquelles je suis né jusqu'à la prison d'où je sors en ce moment, a été impuissante à irriter comme à fatiguer mon cœur ; elle n'a pu me rendre étranger un seul jour à la dignité, à la gloire, aux droits, aux intérêts de la France. Ma conduite, mes convictions l'expliquent. Lorsqu'en 1830 le peuple a reconquis sa souveraineté, j'avais cru que le lendemain de la conquête serait loyal comme la conquête elle-même, et que les destinées de la France étaient à jamais fixées ; mais le pays a fait la triste expérience des dix dernières années. J'ai pensé que le vote de quatre millions de citoyens qui avaient élevé ma famille nous imposait au moins le devoir de faire appel à la nation et d'interroger sa volonté ; j'ai cru même que si, au sein du congrès national que je voulais convoquer, quelques prétentions pouvaient se faire entendre, j'aurais le droit d'y réveiller les souvenirs éclatants de l'Empire, et d'y parler du frère aîné de l'Empereur, de cet homme vertueux qui, avant moi, en est le digne héritier, et de placer en face de la France aujourd'hui affaiblie, passée sous silence dans le congrès des Rois, la France d'alors si forte au dedans, au dehors si puissante et si respectée. La nation eût répondu : république ou monarchie ; empire ou royauté. De sa libre décision dépend la fin de nos maux, le terme de nos dissensions. Quant à mon entreprise, je le répète, je n'ai point eu de complices. Seul j'ai tout résolu, personne n'a connu à l'avance ni mes projets, ni mes ressources, ni mes espérances. Si je suis coupable envers quelqu'un, c'est envers mes amis seuls. Toutefois, qu'ils ne m'accusent pas d'avoir abusé légèrement de courages et de dévouements comme les leurs. Ils comprendront les motifs d'honneur et de prudence qui ne me permettaient pas de révéler à eux-mêmes combien étaient étendues et puissantes mes raisons d'espérer un succès. Un dernier mot, messieurs. Je représente devant vous un principe, une cause, une défaite : un principe, c'est la souveraineté du peuple ; la cause, celle de l'Empire ; la défaite, Waterloo. Le principe, vous l'avez reconnu ; la cause, vous l'avez servie ; la défaite, vous voulez la venger. Non, il n'y a pas de désaccord entre vous et moi, et je ne veux pas croire que je puisse être dévoué à porter la peine des défections d'autrui. Représentant d'une cause politique, je ne puis accepter comme juge de mes volontés et de mes actes une juridiction politique. Vos formes n'abusent personne. Dans la lutte qui s'ouvre il n'y a qu'un vainqueur et un vaincu. Si vous êtes les hommes du vainqueur, je n'ai pas de justice à attendre de vous, et je ne veux pas de votre générosité ! Cette harangue produisit une profonde impression. La forme en est vraiment belle ; on ne saurait l'imaginer ni plus digne, ni plus noblement fière, ni plus éloquente. Sur le fond, sur le point de vue politique du prince, sur la conception napoléonienne elle-même, ayant pour base le principe de la monarchie et celui de la souveraineté populaire absolue — deux principes qui semblent contradictoires et incompossibles — et prétendant créer, en dehors de la royauté légitime et de la république, une troisième forme gouvernementale participant contre toute raison de l'une et de l'autre, il y aurait beaucoup à dire. Mais, au regard de la monarchie de Juillet qui entendait elle-même réaliser ce système dans des conditions étroites, et qui offrait ce spectacle étrange, ne représentant rien par soi-même, de vouloir représenter tout à la fois la Révolution et le Droit—d'être simultanément la légitimité, la république et l'empire, — la thèse du prince avait bien sa valeur, comme aussi sa récusation ne manquait pas de fondement. Les audiences du 28 et du 29 et une partie de celle du 30
furent consacrées aux interrogatoires et à l'audition des nombreux témoins.
Le procureur général Frank-Carré prononça son réquisitoire[91], où, s'adressant
directement au prince et parlant de son imagination
en délire, il s'exprime ainsi : ... L'épée
d'Austerlitz, elle est trop lourde pour vos mains débiles... Le nom de
l'Empereur, sachez-le bien, appartient plus à la France qu'il ne vous
appartient à vous... C'est dix années après cette grande révolution de
Juillet, l'un des événements les plus mémorables et les plus féconds de notre
histoire, que, sans être découragé par le déplorable dénouement de deux
tentatives insensées, Louis-Napoléon vient proclamer... nous ne savons quel
droit d'anéantir nos institutions !... — De tout le reste il n'y a pas
une citation à faire ; l'orateur fut loin d'être à la hauteur de la
situation, et le réquisitoire fut des plus médiocres. Ce même jour, 30 septembre, après le procureur général, Berryer prit la parole : ... Serait-il donc vrai que les hommes... qui ont un
respect plus profond pour la foi jurée... soient précisément les hommes les
plus exposés à être considérés comme des factieux... et que l'on compte parmi
les citoyens les plus purs... ceux qui... se sentent assez de faiblesse...
pour ne pouvoir porter ni une foi ni un devoir ? Et pour la dignité de la
justice, quelle atteinte, messieurs, quand elle se trouve appelée à condamner
comme un crime ce que naguère il lui était enjoint d'imposer... comme un
devoir !... S'agit-il d'appliquer à un sujet rebelle... des dispositions du
Code pénal ? Le prince a fait autre chose ; il a fait plus que de venir
attaquer le territoire... il est venu contester la souveraineté à la maison
d'Orléans ; il l'a fait au même titre et en vertu du même principe politique
que celui sur lequel vous avez posé la royauté d'aujourd'hui... En 1830 le
peuple a proclamé sa souveraineté... N'est-ce rien que de changer tout le
système des droits publics d'un pays ? N'est-ce rien que de renverser le
principe des lois fondamentales et d'en substituer un autre ?... Qu'a dit le
prince Napoléon ? La souveraineté nationale est déclarée en France, et cette
souveraineté de la nation, comment peut-elle se transmettre ? Gomment cette
délégation peut-elle être constatée, si ce n'est par une manifestation
certaine, incontestable, de la volonté nationale ? En votre présence il dit :
Cette manifestation incontestable de la volonté des
citoyens, je ne la vois pas dans la révolution des 219 députés et d'une
partie de la Chambre des pairs, en 1830... Par
les votes constatés sur l'adoption des constitutions de l'Empire, quatre
millions de votes, en 1804, ont déclaré que la France voulait l'hérédité dans
la descendance de Napoléon... Voilà mon titre !... Parmi ceux qui vont
siéger, combien y en a-t-il qui... ont travaillé et se sont efforcés de
rétablir le principe que le retour de la maison de Bourbon avait effacé de
nos lois ! Combien qui sont descendus jusque dans les engagements et la fièvre
des partis, dans les ardeurs individuelles les plus passionnées, pour
rétablir ce dogme de la souveraineté du peuple... dont j'ai entendu souvent
beaucoup de ceux qui m'écoutent réclamer la consécration comme le testament
en quelque sorte de la nation française... comme l'acte auquel il fallait
rendre la vie... Est-ce donc un fantôme, messieurs, est-ce donc une illusion
que l'établissement de la dynastie impériale ? Ce qu'elle a fait retentit
assez dans le monde et se fit sentir assez loin, non seulement en France,
mais chez tous les peuples de l'Europe !... Non, ce ne fut pas un rêve que
l'établissement de l'Empire. L'Empereur est mort, et tout a fini avec lui ?
Qu'est-ce à dire ? Ces dynasties fondées, établies, jurées au nom de la
souveraineté nationale, est-ce à dire qu'elles ne promettent de durée au pays
que celle de la vie d'un homme ? C'est ainsi qu'il vous faut attaquer les
garanties mêmes du pouvoir que vous venez défendre pour repousser celui qui
avait été fondé par la consécration de la volonté nationale, consécration
unanime, — plus éclatante que celle de 1830, — par la nation appelée tout
entière à émettre son vote. L'Empire est tombé. Mais alors a succombé le
dogme populaire sur lequel l'Empire était fondé. Qu'avez-vous fait depuis ?
Vous avez relevé ce dogme, vous avez restitué cette souveraineté populaire
qui a fait l'hérédité de la famille impériale. L'héritier est devant vous. Et
vous allez le juger dans un pays où tous les pouvoirs de l'État sont sous le
principe de la souveraineté nationale, vous allez le juger sans interroger le
pays ? Ce n'est pas une de ces questions qu'on vide par un arrêt !... Est-ce
ici la matière d'un jugement ? N'est-ce pas là une de ces situations uniques
dans le monde, et où il ne peut y avoir qu'un acte politique... Le droit
d'hérédité a été consacré par vous dans un principe que vous avez posé. Ce
droit d'hérédité est réclamé par un héritier incontestable, vous ne pouvez
pas le juger. Il y a entre vous et lui une cause victorieuse et une cause
vaincue, il y a le possesseur de la couronne et la famille dépossédée. Mais
encore une fois, je le répéterai toujours, il n'y a pas de juges parce qu'il
n'y a pas de justiciables !... Quand tant de choses saintes et précieuses ont
péri, laissez au moins la justice au peuple, afin qu'il ne confonde pas un
arrêt avec un acte de gouvernement... On a parlé de reconnaissance ! N'a-t-il
pas été interdit au prince de mettre le pied sur le territoire français ?...
Parce qu'il était en dehors du droit commun ?... N'y était-il pas (en effet)
quand vous exigiez d'un État voisin qu'il chassât le prince alors auprès de
sa mère mourante... Le ministère qui gouverne aujourd'hui... a accusé cette
politique désolante qui, renfermant toute la pensée de la France dans les
intérêts matériels,... frémissait à l'idée de guerre et laissait tomber la
grande influence de la France sur les Espagnes pour les livrer à l'influence
ennemie de l'Angleterre... A peine a-t-il touché le pouvoir qu'il a senti...
qu'il fallait faire sortir la France dévouée à l'égoïsme, à
l'individualisme... de ce joug matériel qui éloignait toute pensée de
sacrifice ; qu'il fallait réveiller d'autres sentiments dans cette fière et
glorieuse patrie, et, ne pouvant le faire au nom du gouvernement actuel, il a
voulu réveiller des souvenirs, et il est allé invoquer la mémoire de celui
qui avait promené la grande épée de la France depuis l'extrémité du Portugal
jusqu'aux bords de la Baltique... Toutes les sympathies impériales, tous les
sentiments bonapartistes ont été profondément remués... La tombe du héros, on
est allé l'ouvrir ! On est allé remuer ses cendres pour les transporter à
Paris !... Est-ce que vous ne comprenez pas ce que de telles manifestations
ont dû produire sur le jeune prince ? Le besoin de ranimer... les souvenirs
de l'Empire... a été si grand que sous le règne d'un prince qui, dans
d'autres temps, avait demandé à porter les armes contre les armées impériales
et à combattre (Louis-Philippe) celui qu'il
appelait l'usurpateur corse, le ministère a dit : Il
fut le légitime souverain de notre pays... ; et vous ne voulez pas que
ce jeune homme... se soit dit : Le nom qu'on fait retentir, c'est à moi qu'il
appartient ! — S'il y a eu un crime, c'est vous qui l'avez provoqué par les
principes que vous avez posés... par les actes solennels du gouvernement ;
c'est vous qui l'avez inspiré par les sentiments dont vous avez animé les
Français et, entre tout ce qui est Français, l'héritier de Napoléon
lui-même... Vous faites allusion à la faiblesse des moyens, à la pauvreté de l'entreprise,
au ridicule de l'espérance du succès ? Eh bien ! si le succès fait tout... je
vous dirai : La main sur la conscience, devant Dieu, dites : S'il eût réussi, s'il eût triomphé, ce droit, je l'aurais
nié ; j'aurais refusé toute participation à ce pouvoir, je l'aurais méconnu, je
l'aurais repoussé. Moi, j'accepte cet arbitrage suprême, et quiconque
d'entre vous, devant Dieu, devant le pays, me dira : S'il
eût réussi, je l'aurais nié, ce droit, — celui-là, je l'accepte pour
juge ! (Mouvement dans l'auditoire.)
... On veut vous faire juges ; mais vous, qui êtes-vous ? En remontant à
l'origine de vos existences, vous marquis, comtes, barons, vous ministres,
maréchaux, à qui devez-vous vos grandeurs ?... En présence des engagements
qui vous sont imposés par les souvenirs de votre vie, des causes que vous
avez servies, de vos serments, des bienfaits que vous avez reçus, je dis
qu'une condamnation serait immorale !...[92] Après avoir lu ce discours, on comprend que l'illustre légitimiste ait accepté de défendre la cause d'un Bonaparte. C'était une occasion inespérée de faire une virulente critique de la politique pusillanime des dix dernières années et de dénoncer le jeu bonapartiste du Roi ; c'était surtout infliger solennellement une accablante leçon de probité politique et au roi Louis-Philippe et aux anciens favoris de l'Empire. Quand Berryer eut achevé sa plaidoirie pour le prince, le général de Montholon se leva, ne prononça que quelques paroles et termina ainsi : J'ai reçu le dernier soupir de l'Empereur, je lui ai fermé les yeux ; c'est assez expliquer ma conduite. Berryer, ensuite, dans une courte allocution, présenta sa défense. Dans la séance du 1er octobre, on entendit les plaidoiries de Ferdinand Barrot, de Delacour, de Barillon[93], de Nogent-Saint-Laurent, de J. Favre. Ce dernier, qui, comme nous l'avons dit, défendait Aladenize, s'écria : Napoléon lui-même que vous avez glorifié..., que serait-il à ce point de vue, sinon un conspirateur plus heureux que les autres ? Lorsqu'il abandonna sans ordre ses soldats en Egypte, que fit-il dans ce pays ?... un appel à la force... Ceux qui ont été les témoins, les acteurs de ce grand événement peuvent nous dire de quels misérables accidents pouvait dépendre son échec... comment celui qui a élevé si haut la fortune de la France pouvait être considéré comme ayant flétri ses lauriers et mourir comme un misérable brouillon, et comment ses illustres lieutenants pouvaient n'être regardés que comme les complices d'une criminelle tentative... Que les pouvoirs sociaux soient avares du sang versé, de peur que sur l'échafaud le condamné ne se dresse et ne dise à quelques-uns de ses juges : J'ai conspiré, mais vous avez conspiré avant moi, et si vous m'avez condamné, c'est afin de vous faire oublier et de donner des gages... Persigny obtient la parole, mais, arrêté par le président
qui ne lui permet pas d'achever son discours, il le publie dans le journal le
Capitole du 4 octobre. L'idée napoléonienne, disait-il, qui fut l'expression la plus sublime de la Révolution
française, qui rattacha les siècles passés au nouveau siècle, qui du sein de
la démocratie la plus agitée fit surgir l'autorité la plus gigantesque, qui
remplaça une aristocratie de huit siècles par une hiérarchie démocratique,
accessible à tous les mérites, à toutes les vertus, à tous les talents, la
plus grande organisation sociale que les hommes aient conçue ; l'idée
napoléonienne qui prodigue l'égalité, veut aussi assurer aux peuples les plus
grandes libertés, mais ne leur en accorde la jouissance complète qu'après les
avoir étayées de solides institutions, associant ainsi les doctrines de
liberté aux doctrines d'autorité ; l'idée napoléonienne qui songe surtout au
peuple, ce fils de sa prédilection, qui ne le flatte pas, mais qui s'occupe
sans cesse de ses besoins et place sa plus grande gloire dans l'extinction de
la mendicité et dans l'organisation du travail ; l'idée napoléonienne qui
marche à la tête des voies industrielles que sa glorieuse épée débarrasse de
toute entrave, et appelle l'Europe à une vaste confédération politique ;
l'idée napoléonienne enfin, cette grande école du dix-neuvième siècle,
légitimée par le génie, illustrée par la victoire, sanctifiée par le martyre,
l'idée napoléonienne, vous la connaissez, messieurs les pairs, car vous avez
servi à ses triomphes, vous qui fûtes les compagnons de la gloire de
l'Empereur[94]... La dynastie napoléonienne est une dynastie populaire,
sortie toute radieuse des mains de la Victoire et du Génie, personnification
des principes et des intérêts de la Révolution, reflet de toutes les gloires
de cette grande époque et expression vivante de la démocratie française,
dynastie qui, forte de l'éclat de cent victoires, pouvait faire pâlir la
majesté même des huit siècles capétiens... Dans la séance du 2 octobre Me Lignier et Me Ducluzeau
présentèrent la défense de leurs clients. Puis le procureur général répliqua
: Le gouvernement de Juillet, dit-il, est le plus libéral qui fut jamais... La puissance qui est
née de la révolution de Juillet est la puissance légitime par excellence,
parce qu'elle représente le régime nouveau ; parce qu'elle est la réalisation
la plus complète de cette grande régénération de 1789... ; parce que sa
légitimité se fonde sur la base des sentiments nationaux, des intérêts
nouveaux du pays... Le gouvernement de Juillet a une origine nationale et
pure et des tendances libérales et généreuses... Il n'a pas eu le malheur
d'arriver après une invasion étrangère, mais après le triomphe des lois sur
la révolte du pouvoir ; il est le produit de la volonté nationale librement
exprimée par les mandataires légaux du pays. C'est précisément parce que son
origine repose sur la victoire de l'ordre et des lois, parce qu'il est la
négation la plus formelle du principe de l'insurrection qu'il possède...
cette puissance et cette autorité qui donnent le droit de punir la rébellion... Berryer allait répondre, lorsque le prince, le devançant, s'exprima ainsi : ... En priant M. Berryer de vouloir bien expliquer ici mes intentions dénaturées ainsi que mes droits, j'ai voulu par là faire mon devoir envers ma naissance et ma famille... Maintenant qu'il ne s'agit que de mon sort, je ne veux pas me mettre à l'abri d'une exception ; je veux partager le sort des hommes qui ne m'ont pas abandonné au jour du danger, je prie M. Berryer de ne pas continuer ces débats. Le quatrième jour après la dernière audience, c'est-à-dire le 6 octobre, la Cour des pairs rendait son arrêt. Elle acquittait Desjardins, Galvani, d'Almbert, Bure, attendu qu'il n'y a pas de preuves suffisantes qu'ils se soient rendus coupables de l'attentat commis à Boulogne-sur-Mer, le 6 août dernier. — Puis, attendu qu'il résulte de l'instruction et des débats qu'ils se sont, le 6 août dernier, rendus coupables à Boulogne-sur-Mer d'un attentat dont le but était de détruire le gouvernement, de changer l'ordre de successibilité au trône et d'exciter la guerre civile en armant et en portant les citoyens et habitants à s'armer les uns contre les autres..., elle condamnait : Le prince Charles-Louis-Napoléon Bonaparte à l'emprisonnement perpétuel[95], dans une forteresse située sur le territoire continental du royaume. Jean-Baptiste-Charles Aladenize, à la peine de la déportation. Charles-Tristan de Montholon, Denis-Charles Parquin[96], Jules-Barthélémy Lombard, Jean-Gilbert-Victor Fialin, dit de Persigny, chacun à vingt années de détention[97]. Séverin-Louis Le Duff de Mésonan, à quinze années de détention. Jean-Baptiste-Théodore Forestier, Jean-Baptiste Voisin, Napoléon Ornano, chacun à dix années de détention. Hippolyte-François-Athale-Sébastien Bouffet-Montauban, Martial-Eugène Bataille, Joseph Orsi, chacun à cinq années de détention. Henri Conneau, à cinq années d'emprisonnement. Etienne Laborde, à deux années d'emprisonnement. Il n'était pas statué à l'égard de Flandin-Vourlat et de Querelles, tous les deux absents. Quelques heures après la lecture de l'arrêt, le prince, accompagné du colonel Lardenois, partait pour Ham, où il arrivait le lendemain 7 octobre à midi pour y être incarcéré en compagnie du général Montholon et du docteur Conneau. Le colonel Voisin et le lieutenant-colonel Laborde étaient internés à Chaillot, dans une maison de santé ; les autres condamnés étaient conduits à Doullens. Avant de partir, le prince avait écrit les lettres suivantes : MON CHER MONSIEUR BERRYER, Je ne veux pas quitter ma prison de Paris sans vous renouveler tous mes remerciements pour les nobles services que vous m'avez rendus pendant mon procès. Dès que j'ai su que je serais traduit devant la Cour des pairs, j'ai eu l'idée de vous demander de me défendre, parce que je savais que l'indépendance de votre caractère vous mettait au-dessus de petites susceptibilités de parti, et que votre cœur était ouvert à toutes les infortunes comme votre esprit était apte à comprendre toutes les grandes pensées, tous les nobles sentiments. Je vous ai donc pris par estime, maintenant je vous quitte avec reconnaissance et amitié. J'ignore ce que le sort me réserve, j'ignore si jamais je serai dans le cas de vous prouver ma reconnaissance, j'ignore si jamais vous voudrez en accepter des preuves, mais, quelles que soient nos positions réciproques en dehors de la politique et de ses désolantes obligations, nous pouvons toujours avoir de l'estime et de l'amitié l'un pour l'autre, et je vous assure que si mon procès ne devait avoir eu d'autre résultat que de m'attirer votre amitié, je croirais encore avoir immensément gagné et je ne me plaindrais pas du sort. Adieu, mon cher Monsieur Berryer ; recevez l'assurance de mes sentiments d'estime et de reconnaissance. NAPOLÉON-LOUIS BONAPARTE. A Monsieur Marie, bâtonnier de l'ordre des avocats, à Bellevue, près Paris. MONSIEUR, Avant de partir, je viens vous remercier des bons conseils que vous m'avez donnés pendant mon procès et du plaisir que vous m'avez fait en m'assistant de votre présence pendant les débats de la Chambre des pairs. La pensée que j'ai exprimée dans la première phrase de mon discours est bien vraie ; quoique je vienne d'apprendre que je suis condamné à une réclusion perpétuelle, je n'emporte du procès qu'une idée agréable et douce. Je me suis trouvé pour la première fois de ma vie en communication journalière avec mes compatriotes qui m'ont montré de la sympathie ; mes gardiens étaient fâchés de me garder ; mes juges étaient fâchés de méjuger ; mes avocats semblaient heureux de me défendre. De quoi ai-je à me AFFAIRE DE BOULOGNE. 203 plaindre ? Croyez-donc, Monsieur, que j'emporte un souvenir agréable et plein de reconnaissance des moments que nous avons passés ensemble, et je vous prie d'en accepter ici la sincère expression. NAPOLÉON-LOUIS. MON CHER MONSIEUR FERDINAND BARROT, Je veux encore, avant de partir, vous dire combien j'ai été heureux de faire votre connaissance. Je pars avec la consolante idée d'avoir acquis votre amitié, et permettez-moi de vous assurer de la mienne. Je n'oublierai jamais la peine que vous vous êtes donnée pour me venger de tous les outrages auxquels j'ai été en butte ; et puisque vous m'avez dit vous-même que les liens qui se forment dans le malheur sont plus durables que les autres, permettez-moi de croire que notre amitié survivra longtemps à la clôture du procès. Recevez, etc. NAPOLÉON-LOUIS. La Chambre des pairs se composait de 312 membres : 306 pairs, plus 6 princes du sang[98]. 167 ont siégé ; 152 ont rendu l'arrêt ; 160 se sont donc abstenus[99]. L'arrêt a été fait et délibéré en la Chambre du conseil, par le comte Portalis, le duc de Broglie, le duc de Reggio, le marquis de la Guiche, le comte d'Haussonville, le marquis de Louvois, le comte Molé, le comte de la Roche-Aymon, le duc Decazes, le comte d'Argout, le comte Raymon de Bérenger, le comte Claparède, le marquis de Dampierre, le vicomte d'Houdetot, le baron Mounier, le comte de Pontécoulant, le comte Reille, le comte Germiny, le baron Dubreton, le comte de Bastard, le marquis de Pange, le duc de Praslin, le duc de Crillon, le duc de Coigny, le comte Siméon, le comte de Saint-Priest, le maréchal Molitor, le comte Bourke, le comte d'Haubersart, le comte de Breteuil, le comte de Richebourg, le comte de Montalivet, le comte Cholet, le comte Lanjuinais, le marquis de Laplace, le vicomte de Ségur-Lamoignon, le comte Abrial, le comte de Ségur, le comte de Bondy, le baron Davillier, le comte Gilbert-Desvoisins, le comte d'Anthouard, le comte Excelmans, le vice-amiral comte Jacot, le comte Pajol, le comte Perregaux, le comte Roguet, le comte de Larochefoucauld, le baron Girod de l'Ain, le baron Atthalin, Aubernon, Bertin de Vaux, Besson, Boyer, le vicomte de Caux, le comte Desroys, le comte Dutaillis, le duc de Fézensac, le baron de Tréville, Gauthier, le comte d'Heudelet, le baron Malhouet, le comte de Montguyon, le baron Thénard, le comte Turgot, Villemain, le baron Zangiacomi, le comte de Ham, le comte Bérenger, le baron Berthezène, le comte de Colbert, le comte de la Grange, le comte Daru, le comte Baudrand, le baron Neigre, le baron Duval, le comte de Beaumont, le baron de Reinach, le marquis de Rumigny, Barthe, le comte d'Astorg, le comte de Gasparin, le comte d'Hédouville, de Cambacérès, le vicomte de Chabot, le baron Feutrier, le baron Fréteau de Peny, le vicomte Pernety, de Ricard, le marquis de Rochambeau, le comte de Saint-Aignan, le vicomte Siméon, le comte de Rambuteau, le comte d'Althon-Sée, de Bellemarre, le marquis d'Andigné de la Blanchaye, le comte de Monthion, le marquis de Belbœuf, Chevandier, le baron Darriule, le baron Delort, le baron Dupin, le comte Durosnel, le comte d'Harcourt, le vicomte d'Abancourt, Humann, le baron Jacquinot, Kératry, le comte d'Audenarde, le viceamiral Halgan, Merilhou, Odier, Paturle, le baron de Vendœuvre, le baron Pelet, Périer, le baron Petit, le vicomte de Préval, le baron de Schonen, le chevalier Tarbé-de-Vaux-Clairs, le vicomte Virlet, le vicomte Villiers du Terrage, le vice-amiral Villaumez, Bourdeau, le baron Gérandeau, Rouillé de Fontaine, le baron de Daunant, le marquis de Cambis d'Orsan, le vicomte de Jessaint, le baron de Saint-Didier, le baron Voirol, Maillard, le duc de la Force, le baron Dupont-Delporte, le baron Nau de Champlouis, Gay-Lussac, le marquis de Boissy, le vicomte Bozelli, le vicomte Cavaignac, Cordier, Etienne, le comte Jules de La Rochefoucauld, Lebrun, le marquis de Lusignan, le comte Merlin, Persil, le comte de SainteHermine, le baron Teste, de Vandeul, Viennet, Rossi, le comte Serrurier. Les pairs qui se sont abstenus sont les suivants : d'abord, les quinze pairs dont les noms sont inscrits au compte rendu de la première audience, mais ne figurent pas à la suite de l'arrêt : le chancelier Pasquier, le duc de Castries, le comte de Noé, le comte Mollien, le comte Dejean, le marquis de Talhouët, le vicomte Dode, le duc de Brancas, le comte Ph. de Ségur, le maréchal Gérard, le baron Aynard, le comte Corbineau, le baron Rohaut de Fleury, le comte Harispe, Aubert ; puis[100] le duc d'Albuféra, le marquis d'Aligre, le comte Ambrugeat, le marquis d'Aragon, le marquis d'Aramon, le comte Aubusson de la Feuillade, le marquis d'Audiffret, le marquis d'Aux, le baron de Barante, le marquis de Barthélémy, le prince de Beauveau, le comte Beker, le maréchal duc de Bellune, Bérenger de la Drôme, le baron Bignon, le marquis de Biron, le marquis de Boisgelin, le comte Boissy d'Anglas, le marquis Boissy du Coudray, le comte Bonet, le baron Brayer, le comte Bresson, le marquis de Brézé, le baron de Brigode, le duc de Brissac, le baron Brun de Villeret, le duc de Cadore, le comte de Caffarelli, de Causon, le comte de Castellane, le comte du Cayla, le comte de Cessac, le marquis de Chabrillan, le marquis de Chanaleilles, le comte de Choiseul, Gouffier, le comte Compans, le maréchal duc de Conegliano, le marquis de Cordoue, le comte de Courtavel, Cousin, le marquis de Crillon, le comte Curial, le maréchal duc de Dalmatie, Daunou, le comte Davout, Despans-Cubières, le vicomte Dubouchage, le baron Duchatel, l'amiral baron Duperré, le prince d'Eckmühl, le comte Émeriau, le comte d'Erlon, le marquis Escayrac de Lauture, Faure, le comte de Flahaut, le comte Gazan, le duc de Grammont-Caderousse, le comte Grammont d'Aster, le comte de Greffulhe, le baron Grenier, le maréchal marquis de Grouchy, le comte Guéheneuc, le comte Pelet de la Lozère, le baron Pelet de la Lozère, le comte Herwyn de Nevèle, Humblot-Conté, le duc d'Istrie, le marquis de Jaucourt, le vice-amiral Jurien de la Gravière, le comte Klein, le comte de Laforest, le marquis de Lamoignon, le marquis de la Houssaye, de la Pinsonnière, Laplagne-Barris, le comte de la Riboisière, le duc de La Rochefoucauld, le baron de Lascours, le marquis de Lauriston, le comte de la Villegontier, le baron Ledru des Essarts, le comte Lemercier, Lepoitevin, le comte de Lezay-Marnésia, le baron Lombard, le baron Malaret, le comte Marchand, le baron de Mareuil, le duc de Massa, le marquis de Nathan, le comte de Monbadon, le comte de Montalembert, le duc de Montebello, le duc de Montmorency, le vicomte de Morel-Vindé, le baron de Moroques, le duc de Mortemart, le baron Mortier, le comte de Mosbourg, le marquis de Mun, le duc de Noailles, le comte d'Ornano, le duc de Périgord, le duc de Plaisance, Poisson, le baron Portal, le comte de Preissac, le comte de Puységur, le comte Rampon, le comte Ricard, le duc de Richelieu, le vicomte Rogniat, le vice-amiral de Rosamel, le vice-amiral baron Roussin, le comte Roy, le duc de Sabran, le comte de Saint-Cricq, le baron Saint-Cyr-Nugues, le comte de Saint-Aulaire, le marquis de Saint-Simon, le duc de Saulx-Tavannes, le vicomte Schramm, le vicomte de Sébastiani, le baron Séguier, le comte de Sesmaisons, le comte de Sparre, le marquis de Talaru, le maréchal duc de Tarente, le comte de Tascher, Tripier, le comte de Turennes, le maréchal comte Valée, le duc de Valentinois, le comte de Vandreuil, le marquis de Vérac, le vice-amiral comte Verhüel, le baron Voysin de Gartemps, le prince de Wagram. — Plus les six princes du sang. On voit par les chiffres et par les énumérations qui précèdent que le prince ne fut pas condamné par la moitié des membres de la Chambre des pairs, même en faisant abstraction des six princes du sang. |
[1] Né à Bordeaux en 1791 ; secrétaire d'ambassade ; chargé d'affaires en Bavière ; avocat à Paris ; de 1830 à 1839, sous-préfet de Bagnères-de-Bigorre.
[2] Ou prince de Croy, né en Prusse (1793) ; descendant des rois de Hongrie ; 1814, fait partie de la maison militaire de Louis XVIII ; prend part aux événements de Juillet ; revendique la couronne de Hongrie.
[3] Déclaration de M. de Crouy-Chanel au chancelier Pasquier, 27 août 1840, procès de Boulogne.
[4] 18 septembre 1839. (Le Capitole de juin à novembre 1839.)
[5] 19 août 1840, interrogatoire de Louis-Napoléon devant la commission d'instruction de la Chambre des pairs (Pasquier, Decazes, Portalis, Girod de l'Ain, maréchal Gérard, Persil).
[6] Mésonan ayant été, suivant lui, injustement mis à la retraite, avait vivement protesté dans les journaux en 1838, et c'est alors qu'ayant reçu du prince une lettre de condoléance, il finit par devenir un de ses agents les plus actifs et les plus dévoués.
[7] Déposition du général Magnan devant la Cour des pairs ; audience du 30 septembre, Moniteur.
[8] Déposition du général Magnan devant la Cour des pairs.
[9] Dépositions du général Magnan.
[10] Voir le Moniteur du 16 septembre 1840.
[11] Personne ne disait la vérité, ni le général Magnan, ni Mésonan, ni le prince.
[12] Voir le Moniteur.
[13] Après l'élévation du prince à la présidence de la République, on retrouve Aladenize chef de bataillon de la garde mobile, puis receveur particulier à Rochefort, puis consul à Cagliari.
[14] Déclaration du prince devant la Cour des pairs. (Moniteur.)
[15] D'après un journal anglais, le Chronicle, il y avait trois espèces de boulons : 1° des boutons plus petits qu'un shilling, portant le numéro 40 dans une guirlande et fabriqués par Donty et Cie, de Londres ; 2° des boutons portant une épée, un casque, une branche de chêne et de palmier, fabriqués par Boggitt et Cie, de Martin-Lane ; 3° des boutons ne portant que le numéro 40.
[16] Le prince veut marquer par là, — non sans raison, — qu'il n'est pas dupe de la ferveur bonapartiste du roi Louis-Philippe.
[17] Accusation bien injuste et d'autant plus singulière qu'il devait, en 1860, entrer dans la voie de la liberté commerciale et s'en faire justement un titre de gloire.
[18] Proclamations et pièces furent saisies sur le colonel Voisin.
[19] Sur ces cinquante-six personnes, cinq avaient figuré dans l'échauffourée de Strasbourg : Parquin, de Persigny, de Querelles, Lombard et Thélin.
Ni le colonel Vaudrey, ni Laity, ni de Gricourt, ni de Bruc n'ont pris part à l'affaire de Boulogne.
[20] Ancien aide de camp de Macdonald ; blessé à Iéna, à Wagram ; aide de camp de Napoléon pendant la campagne de 1815 ; compagnon de l'Empereur à Sainte-Hélène et un de ses exécuteurs testamentaires. Rétabli sur les cadres de l’armée en 1831.
[21] Voir l'affaire de Strasbourg.
[22] Voir l'affaire de Strasbourg.
[23] Voir l'affaire de Strasbourg.
[24] En 1840, écrit une brochure sur les Envahissements de l'Angleterre et de la Russie dans l'Asie centrale, puis (en 1846-1849) un Traité sur les machines à vapeur. Secrétaire du président ; conseiller d'Etat sous l'Empire.
[25] Comment voulez-vous, quand on est là en pleine mer. . on ne peut pas se sauver, et quand on est domestique, on est obligé d'obéir. (Déposition de Gedbart devant la Cour.)
[26] On me proposa de faire partie d'un déjeuner. Je suis monté sur le bâtiment sans avoir la moindre connaissance de ce qui se préparait.
[27] Le 3 août, son maître lui demanda s'il serait bien aise d'aller passer quelques jours à la campagne. (Déposition devant la Cour.)
[28] On le prévint le 4 août que le prince devait faire une partie de campagne, et qu'il emmènerait toute sa maison. (Déposition devant la Cour.)
[29] Le 4 août, Thélin était allé lui dire que son maître se proposait de faire une promenade en mer, et qu'il ferait bien d'aller aider le cuisinier. (Déposition devant la Cour.)
[30] Son maître, le sous-intendant Faure, lui aurait dit qu'il s'agissait d'une partie de chasse. (Déposition devant la Cour.)
[31] Où va-t-on ? dit-il au chef de cuisine, qui répond : A la maison de campagne du prince, pour une partie de plaisir. (Déposition devant la Cour.)
[32] S'embarqua pour une partie de campagne et n'apprit la vérité qu'en pleine mer. (Déposition devant la Cour.)
[33] J'affirme que je ne connaissais pas le but de l'expédition, et que tous les domestiques étaient dans la même ignorance que moi. (Déposition devant la Cour.)
[34] Déposition devant la Cour.
[35] Il suivit son maître sans savoir où ils allaient Il soutient n'avoir jamais vu le prince et n'avoir pas même appris qu'il fût sur le bateau. (Déposition devant la Cour.)
[36] ... L'on m'a fait embarquer sur le Château d'Edimbourg. Un monsieur que je ne connaissais pas et qu'on m'a dit être le prince Louis-Napoléon nous a annoncé allait en France. Alors je me suis dit : Voilà la place de jardinier qui m'était promise.
[37] Voir Déclarations devant la Cour.
[38] J'ignorais complètement le projet de Boulogne ; je pourrais même ajouter qu'il a mis beaucoup de soin à me le cacher... Ce n'était pas pour Boulogne qu'il avait cru s'embarquer, mais pour Ostende... Je ne savais rien... Il y a mis un mystère très profond, afin de n'être deviné ni dénoncé par personne. (Déposition devant la Cour.)
[39] Ce n'est que pendant la traversée qu'il nous a fait part de son projet. (Déposition devant la Cour.)
[40] N'a été instruit de l'affaire que sur le paquebot. Le président lui pose cette question : Vous n'avez pas su que vous aviez pour mission de réunir les chevaux de selle et que vous aviez le commandement de l'avant-garde ? et Parquin de s'écrier : Je n'ai rien su du tout ! (Déposition devant la Cour.)
[41] En mer il interroge le colonel Laborde, qui lui répond : Nous allons à Ostende ou à Hambourg, puis le prince lui-même, qui lui dit : Nous allons à la campagne.
[42] Louis Bonaparte proposa, sous prétexte de santé (sic), de faire un petit voyage de huit à dix jours en Belgique. Il interroge le général Montholon, qui lui répond : Je ne puis rien vous dire ; je n'en sais pas plus que vous. Il ne connut le projet qu'à bord. (Déposition.)
Avez-vous accepté de Louis-Napoléon, lui dit le président de la Cour, la mission d'organiser les volontaires, de vous emparer de la poste aux chevaux et de commander l'infanterie au centre ? Et il répond : Je n'ai appris tout cela que par le rapport de M Persil, et j'en ai été fort étonné.
[43] N'a su que sur le bateau. Le prince avait son secret à lui, et il ne l'a communiqué à personne... Nous reçûmes l'ordre d'aller à Gravesend sans savoir pourquoi ; nous pouvions le présumer, mais nous ne le savions pas... (Déposition.)
[44] Ce n'est qu'à bord du paquebot que j'ai su qu'on devait débarquer à Wimereux. Le prince disait : — Quand je suis sûr d'un ami, je n'ai pas besoin de lui faire de confidence ; je lui dis : Marche ! et il marche. (Déposition.)
[45] N'a su qu'à bord. C'est l'acte d'accusation qui lui a fait connaître qu'il avait été désigné pour commander l'avant-garde. (Déposition.)
[46] Ignorait qu'il avait été désigné comme commandant la cavalerie à l'arrière-garde. (Déposition.)
[47] N'a su qu'à bord. (Déposition.)
[48] S'il connaissait d'une façon générale les intentions du prince, il n'a commencé à soupçonner quelque chose qu'au bout de plusieurs heures de traversée et en voyant des uniformes. Ignorait son grade. (Déposition.)
[49] N'avait connaissance de rien.
[50] Le prince ne lui a révélé ses projets qu'au milieu de la traversée.
[51] Je n'ai point été le conseiller du prince dans cette entreprise. (Lettre écrite de la prison du palais du Luxembourg par Persigny à son défenseur, Me Barillon.)
[52] Le navire est ainsi dénommé, avec des variantes d'orthographe, dans le rapport du préfet Gauja ; dans la déposition faite par le sieur James Crow, capitaine du bateau ; dans le Moniteur du 20 août 1840. — Castle-of-Edimburg, dit le journal l'Écho du Nord. — Il est désigné sous le nom français de Château d'Edimbourg par le lieutenant du port Pollet, et à la Cour des pairs, par le rapporteur M. Persil et par le procureur général, M. Franck-Carré. — Enfin, il est appelé aussi City-of-Edimbourg dans le rapport du sous-préfet Launay-Leprevost ; dans les lettres de service saisies sur le colonel Voisin ; — et encore la Cité ou la Ville d'Edimbourg. — (Voir Journal des Débats, 8 août 1840, l'Annotateur boulonnais, la Boulonnaise, août 1840 ; brochure : le Prince Louis-Napoléon Bonaparte à Boulogne, révélations historiques et diplomatiques, etc. Paris, Auguste Gallois, éditeur, 1840 ; le Herald. — Voir autre brochure : Simple exposé de l'expédition de Boulogne et quelques mots sur le prince Napoléon-Louis. Paris, chez les marchands de nouveautés. 1840.)
[53] On a dit alors et on dit encore que le prince avait débarqué en portant un aigle dans ses bras ou sur son chapeau. Il sera difficile de détruire cette légende ridicule et grotesque. Le préfet du Pas-de-Calais, Gauja, disait, il est vrai, en post-scriptum de sa dépêche : On a trouvé un aigle vivant à bord de l'Edimburg-Castle. Il appartenait à Louis-Bonaparte. Cet aigle, paraît-il, aurait été acheté par Parquin, sur le port de Londres, au moment du départ. En tout cas, ce qui est certain, c'est que l'aigle n'a pas été débarqué, qu'il n'a joué aucun rôle dans l'affaire, et que le prince n'a jamais daigné rien dire sur ce misérable incident. La Presse du 21 novembre 1848 insère cet extrait du journal le Progrès du Pas-de-Calais : Après l'expédition de Boulogne, l'aigle fut déposé à l'abattoir de la ville... Il s'échappa... On le retrouva dans un champ près de Croizilles... Il devint la propriété de M. Delaury, restaurateur à Arras ; puis il fut acheté par M. Delannoy-Dugarin, marchand de charbon dans la même ville.
Le Morning-Chronicle, en novembre 1848, déclare que l'aigle appartenait à un officier du navire.
[54] De Montholon, Voisin, Mésonan, etc., déclarent devant la Cour que c'est sur l'ordre du prince, qui les avait chez lui (?), que leurs uniformes ont été embarqués.
[55] On emporta un assez grand nombre de bouteilles de vin. Le capitaine du paquebot, James Crow, interrogé par M. Davy, sous-inspecteur des douanes à Boulogne, déposa ainsi : Ils ont bu énormément, et je n'ai jamais vu plus boire qu'ils ne l'ont fait, et de toutes espèces de vin. Le préfet Gauja, dans le postscriptum de sa dépêche, s'exprime ainsi : Le capitaine du paquebot (James Crow) nous a dit que les rebelles avaient bu seize douzaines de bouteilles de vin, sans compter l'eau-de-vie et les liqueurs. Les soldats du 42e présents à l'action nous ont assuré que les rebelles étaient presque tous ivres... On dut emporter, en effet, un nombre assez important de bouteilles. Il fallait bien donner à boire à tout ce monde durant les quarante-huit heures que dura le voyage. On fit au moins quatre repas sur le navire, et en outre, durant les longues heures de la traversée, surtout à cette époque de grandes chaleurs, il n'est pas très étonnant que la consommation des liquides ait été considérable Et cependant, si l'on compte, on verra que seize douzaines de bouteilles pour une soixantaine de personnes, cela ne fait pas quatre bouteilles par tète. La folle orgie, comme l'histoire de l'aigle, sont des faits que la passion politique a perfidement présentés et amplifies, et c'est un devoir de les ramener à leurs proportions vraies et de les raconter scrupuleusement tels qu'ils se sont passés. Il ne résulte d'aucune pièce de l'affaire qu'aucun conjuré ait été arrêté en état d'ébriété. En novembre 1848, le colonel Bouffet-Montauban écrit au National que sur le paquebot il n'y avait pas de vin embarqué, que tous les passagers étaient malades, et que le fait allégué d'une énorme consommation de liquides plus ou moins spiritueux est un conte de matelot. — Le commissaire du port, M. Bergeret, aurait saisi à bord : 5 épées, 2 sabres, 3 pistolets, 1 canne à épée, 21 napoléons, 6 souverains, 2 pièces de 3 franes, 3 pièces de 2 francs, 1 pièce de 1 franc, une petite médaille en cuivre portant cette inscription : Perruques perfectionnées ; 23 ou 24 caisses de vin, bière, ginger-beer, soda-water, brandy ; un nécessaire de femmes avec bobines et aiguilles ; un album de dessins du prince.
[56] Rapport Persil.
[57] Déposition de Bure.
[58] Déposition de Guilbert devant la Cour.
[59] Déposition de Guilbert devant la Cour.
[60] Rapport du préfet.
[61] Déposition de Bally.
[62] Rapport du préfet.
[63] Déposition devant la Cour.
[64] Déposition de Morange.
[65] Déposition de Serret.
[66] Déposition de M. de Maussion.
[67] Déposition de Febvre.
[68] Déposition de Gendre.
[69] Déposition de Chapolard.
[70] Déposition de Rinck.
[71] Il y a des moments où on ne peut pas se rendre compte de ses intentions. Lorsque j'ai vu le tumulte commencer à la caserne, j'ai pris mon pistolet ; il est parti sans que j'aie voulu le diriger contre qui que ce soit. (Déposition du prince devant la Cour.) La blessure de Geouffroy fut légère.
[72] Déposition du sous-préfet.
[73] Ordre lui est donné de faire fermer les portes du château.
[74] ... Comme je parais le coup avec mes mains, celles-ci furent excoriées et reçurent quelques contusions... (Déposition du sous-préfet devant la Cour.)
[75] Le drapeau était attaché au moyen d'un mouchoir rouge au bas et d'un foulard bleu au haut de la hampe. (Déposition d'un sieur Lejeune, maçon.)
[76] A 150 pas. (Déposition du sous-lieutenant Ragon.) Mais voir ci-dessous : à 15 pas, dit le National ; à bout portant, disent la Colonne de Boulogne et le Journal de Calais.
[77] Voir le journal le Commerce du 9 août 1840.
[78] On dut l'amputer.
[79] Déposition de Pollet.
[80] Le correspondant du National : Les gardes nationaux se réunirent et criblèrent de coups de fusil ces hommes désarmés, qui, ayant de l'eau jusqu'a mi-corps, se trouvaient à quinze pas du rivage sans espoir de salut, faisant ainsi, comme je l'ai entendu dire à l'un d'eux, la chasse aux canards...
Journal la Colonne de Boulogne : Si la plupart des citoyens déplorent la précipitation avec laquelle on a fait feu sur des hommes dont la chance alors était de se noyer ou de se rendre, que dire de la mort du sous-intendant militaire (Faure), ayant de l'eau jusqu'aux aisselles, ne pouvant se défendre, et tué à bout portant par un garde national ? Cet acte a soulevé l'indignation de toutes les classes de la population.
Le Journal de Calais : On regrette généralement les coups de fusil qui ont été tirés sur des fuyards, sur des hommes qui se débattaient déjà dans l'eau contre la mort. C'est un cordonnier qui a tué à bout portant le sous-intendant Faure, au moment où il lui présentait son épée pour se rendre.
[81] Déposition du sieur Lejeune.
[82] Le mot était malheureux.
[83] Huit ans après, le Constitutionnel et la Presse portaient aux nues le prince Louis-Napoléon.
[84] Le langage du National (9 août 1840) était tout différent : Ce jeune homme porte un non magique, un nom qui apparaît au pays comme un symbole de puissance, un gage de nationalité ; les souvenirs les plus brillants l'entourent et le protègent.
[85] Lettre de M. Ximénès Doudan, datée de Broglie, 8 août 1840.
[86] Mémoires du prince de Metternich, t. VI, p. 158, 159. 1883, édit. Plon.
[87] Notamment le Constitutionnel, le Temps, la Quotidienne, la Gazette de France, la Presse, la France, le Siècle.
[88] Comme nous le verrons, plus de la moitié des pairs s'abstinrent. La situation était cruelle pour la pairie. S'abstenir, c'était manquer à son devoir envers la royauté de Juillet, dont on avait accepté ou même sollicité les faveurs. C'était bien dur, d'autre part, de voter une condamnation après avoir été comblé par Napoléon Ier. Désertion ou ingratitude, telle était la douloureuse alternative. Que fallait-il donc faire ?... Ils n'auraient pas dû être pairs du roi Louis-Philippe.
[89] Interrogatoire de Persigny.
Demande : Vous prenez le nom de Persigny ; c'est celui de Fialin que vous devez porter ?
Réponse : Persigny est le nom que portait mon grand-père.
Demande : Votre grand-père jouissait-il du titre de vicomte ?
Réponse : Mon arrière-grand-père était comte.
[90] Irez-vous voir le procès de Louis Bonaparte ? j'ai idée qu'il sera ennuyeux. Coppet, 28 septembre 1840. (Lettre de M Ximénès Doudan à M. le vicomte d'Haussonville.)
[91] Il affecte de ne jamais appeler de Persigny que Fialin.
[92] Ce discours est extrait du Moniteur, où l'on lit la note suivante : Des portions considérables du discours de M. Berryer nous ont échappé, à cause de la distance à laquelle nous sommes de l'orateur. Nous n'en donnons ici que les principaux passages, dont la sténographie laisse beaucoup à désirer.
[93] Parlant du prince, il dit : Ce qui n'est pas contestable, c'est l'ascendant immense, irrésistible, qu'il exerce sur tous ceux qui l'approchent...
[94] Toute cette partie est au Moniteur.
[95] Les journaux (voir le Capitole, la Gazette de France du 8 octobre 1840) citent ces paroles du prince au greffier qui venait de lui lire l'arrêt : Monsieur, on disait autrefois que le mot impossible n'était pas français ; aujourd'hui, on peut en dire autant du mot perpétuel.
[96] Parquin meurt dans la citadelle de Doullens le 19 décembre 1845.
[97] Persigny, enfermé dans la citadelle de Doullens, puis à l'hôpital militaire de Versailles, et enfin laissé en liberté dans cette ville.
[98] Voir Almanach royal de 1840.
[99] Voir le Moniteur.
[100] Ces pairs n'ont même pas siégé.