NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE II. — LE BONAPARTISME SOUS LE GOUVERNEMENT DE JUILLET.

 

 

La France avait adoré l'Empereur. — Souvenirs ineffaçables. — La semence bonapartiste ; les événements aident à sa germination. — Sous la Restauration, les républicains et les radicaux avaient chanté la gloire de l'Empire. — Casimir Delavigne ; Béranger. — La politique de Louis-Philippe ; sa lettre au roi Louis XVIII. — En 1830, réaction contre les sentiments anti-bonapartistes de la Restauration. — Le bonapartisme concourt à la révolution de Juillet ; affiches ; très nombreux survivants de l'Empire. — Mémoires de M. Gisquet. — La Révolution de 1830 donne espérance et courage aux bonapartistes. — Les émeutes de 1831. — Joseph Bonaparte et les républicains. — Fin 1831, complot bonapartiste ; officiers compromis. — Des journaux émettent le vœu de voir ramener en France les cendres de l'Empereur ; pétition à la Chambre ; rapport de M. de Montigny ; discussion : de Lameth, colonel Jacqueminot, général Lamarque. — Ode a la Colonne de Victor Hugo. — Béranger : le Vieux Sergent, le Souvenir du peuple. — Edgar Quinet : poème de Napoléon. — Le théâtre, nombreuses pièces sur Napoléon. — Panorama de Daguerre. — 11 avril 1831, Casimir Périer propose de rétablir la statue de Napoléon sur la colonne Vendôme. — 1833, rétablissement effectué. — Mai 1831, médailles frappées par ordre du gouvernement sur le règne de Napoléon. — 5 mai, chaque année, démonstrations bonapartistes place Vendôme. — 1832, mort du duc de Reichstadt ; les journaux de gauche. — 1835, incident à la vente du peintre Gros. — Evénements de 1836, 1838, 1840. — On termine l'Arc de triomphe. — Pétitions bonapartistes en 1844, en 1845, en 1847 ; discussions aux Chambres. — Septembre 1847, le roi Jérôme et son fils autorisés à résider momentanément en France ; inauguration d'une statue de Napoléon à Fixin (Côte-d'Or). — 2 octobre 1847, translation à Saint-Leu des cendres du roi Louis ; lettre du prince à M. Lecomte. — Service anniversaire du 15 décembre, à l'occasion de la translation des cendres de l'Empereur, faite en 1840. — Récit des événements qui ont précédé et accompagné cette cérémonie. — Rapport de M. de Rémusat ; effet produit sur la Chambre. — Le National accuse le gouvernement de charlatanisme. — La Gazette de France cite la lettre du 7 mai 1810, où Louis-Philippe traite Napoléon d'usurpateur corse, et la proclamation de Soult du 8 mars 1815, et l acte de déchéance, et le langage tenu par les Débats en 1815. — Le Courrier français, le Siècle, le Temps se joignent au National pour soutenir le ministère. — L'Ami de la religion. — Le Capitole et le Commerce triomphent. — La presse anglaise crie à la folie. — Que va-t-on faire à l'égard de la famille Bonaparte ? à l'égard du prince Louis, prisonnier à Ham ? demande la Gazette de France. — Critiques de la presse sur certains points du programme du retour des cendres. — A la Chambre, la commission vote deux millions au lieu d'un demandé par le gouvernement. — Discussion, 28 mai 1848 ; Glais-Bizoin ; Lamartine, son discours prophétique. - L'Assemblée ne vote qu'un million. — Colère des journaux bonapartistes ; articles dithyrambiques du Commerce. — 6 juin, le général Bertrand remet à Louis-Philippe les armes de Napoléon. — Protestation du Capitole, de Louis-Napoléon. — Le général Bertrand donne à la ville de Paris le nécessaire de Napoléon. — La Gazette de France sur la mort du duc d'Enghien et sur l'échauffourée de Boulogne. — 30 novembre 1840, la Belle Poule arrive à Cherbourg. — 15 décembre, funérailles ; le National, la Gazette de France, M. Ximénès Doudan ; la presse ; Victor Hugo : le Retour de l'Empereur. — Lettres du prince Louis. — Mémoires du prince de Metternich.

 

Napoléon Ier avait rempli l'univers de son nom. La France, cependant, malgré toutes les souffrances, toutes les ruines, tout le sang répandu, malgré toutes les folies guerrières, malgré l'effondrement final dans l'irréparable défaite de Waterloo, était toujours fière du héros qui lui avait apporté une si grande gloire. Elle l'avait tant aimé qu'elle ne pouvait pas ne point l'aimer toujours. Elle l'avait abandonné en 1815, mais vaincue, lassée, accablée, épuisée, et comprenant enfin que tout un peuple ne devait pas être sacrifié à l'ambition d'un homme, quel que fût son génie.

En revanche, jusqu'au dernier jour de la captivité de Sainte-Hélène, il n'était pas un Français qui ne fût hypnotisé par le rocher lointain. On ne faisait que parler des guerres de l'Empire et des prodigieuses campagnes du plus illustre des capitaines. Tous les anciens militaires, répandus en nombre considérable sur toute la surface du territoire, exaltaient les imaginations par leurs récits enthousiastes et enflammaient les cœurs par leurs actes d'adoration envers l'incomparable Empereur.

Quand il mourut, le grand homme devint un dieu, et le culte bonapartiste ne disparut pas. Il fut avivé, au contraire, par cette fin grandiose et tragique dans cette île perdue, et par ce qu'on peut appeler le martyre de Sainte-Hélène. Napoléon mort sembla grandir encore. Les haines s'apaisèrent. On oublia ses fautes et ses folies. Devant cette tombe surhumaine la patrie s'inclina, pleura et pardonna. Et plus que jamais l'on s'entretint jusque dans la plus misérable chaumière des exploits, des triomphes et des revers de ce règne invraisemblable. Partout on voyait l'image de Napoléon à côté de celle du Christ ou de la sainte Vierge. Ce nom devenait inoubliable ; et la semence bonapartiste profonde, abondante, épandue sur le territoire entier, n'avait plus qu'à lever.

Les événements politiques vinrent aider, d'ailleurs, à cette lente germination. Les républicains, qui attaquaient la Restauration et qui n'avaient plus à redouter l'Empire, se mirent à proclamer avec lyrisme le génie de l'Empereur, et surtout — c'était là le but de leurs éjaculations bonapartistes — à montrer à l'armée combien pour elle les temps étaient changés. Les hommes de la Révolution et les hommes de l'Empire, les représentants de la liberté et ceux du despotisme unirent sans vergogne leurs haines contre les Bourbons et, la main dans la main, marchèrent à l'assaut du gouvernement. Par le fait de cette étrange campagne, par cet appui des libéraux, le bonapartisme, au lieu de s'évanouir peu à peu pour ne plus exister qu'à l'état de souvenir dans l'esprit des populations, arriva, sans avoir précisément de chef ni d'organisation, ni de but, à se perpétuer, tout au moins, comme sentiment, comme aspiration vers un ordre de choses plus populaire, comme protestation contre une politique sans grandeur et sans dignité. Puis, comme le disait plus tard (1845) la Revue de l'Empire, la France veuve de ses trophées et de sa gloire, courbée sous le joug de ses insolents vainqueurs de Waterloo, dévorait ses sanglots. Tout à coup un cri d'espérance retentit ! C'est la première messénienne qui jette ses dactyles de feu dans les ténèbres de la défaite, c'est la harpe du barde qui couvre de ses accents harmonieux les fanfares de nos ennemis. La France a enfin un poète pour conjurer ses douleurs, un prophète pour sécher ses larmes et immortaliser ses triomphes. Au même instant un chansonnier, un poète que l'Europe nous envie, Béranger, comme Tyrtée, célébrait sur une lyre ornée de pampres, de roses et de lauriers, les prodiges de la grande épopée consulaire et impériale. Toute la France chanta la Vivandière[1], le Bon Dieu et le Vieux Drapeau[2], et ces refrains répétés par 25 millions de voix devaient amener des tempêtes autour d'un trône deux fois restauré. Le crayon de Charlet acheva l'éducation napoléonienne du peuple[3]...

Quand Louis-Philippe, au mépris du droit royal qui le faisait pourtant tout ce qu'il était, eut le triste courage de monter sur le trône qui appartenait à son maître et roi Charles X et de fouler aux pieds les principes sacrés de la monarchie, il nourrit la prétention de fusionner tous les partis et l'espérance de réconcilier tous les Français. Premier prince du sang, chef de la branche cadette des Bourbons, ne pouvait-il à la rigueur être accepté par les légitimistes ? Pour les républicains le gouvernement de Juillet n'était-il point la meilleure des républiques ? Pour les bonapartistes n'était-il pas, comme Bonaparte, un monarque arrivé par la Révolution, se réclamant de la Révolution, adversaire irréconciliable de l'ancien régime par le fait de son père et par le sien propre ?

Et d'ailleurs, pouvait-ii ne pas honorer grandement les gloires impérissables du règne de Napoléon ? N'était-il pas en même temps d'une habile politique, dans l'intérêt de la monarchie nouvelle, de donner ainsi satisfaction aux sentiments chauvins du pays ? Et à cela aucun inconvénient, aucun danger. Le duc de Reichstadt était bien jeune, et par cela seul qu'il était élevé à la cour d'Autriche, si réfractaire aux principes nouveaux, il n'était pas à craindre.

Aussi, dès son avènement, Louis-Philippe s'attacha à saisir toutes les occasions de célébrer la mémoire de l'Empereur, de manifester une véritable dévotion napoléonienne qu'il n'avait pas toujours eue, car, en 1814, il écrivait, dit-on[4], à Louis XVIII : Sire, est-il possible qu'un meilleur avenir se prépare... que l'étoile du monstre qui accable la France pâlisse !... Mes vœux hâtent la chute de Bonaparte, que je hais autant que je le méprise. Dieu veuille que sa chute soit prochaine ! je la demande chaque jour au ciel dans mes prières.

M. de Metternich écrivait de Vienne en juillet 1838 à M. Apponyi : Le régime de 1830 a commencé par être un système de ménagements (à l'égard du bonapartisme), et le roi Louis-Philippe lui-même retombe à tout moment dans cette faute... M. Molé se plaint d'une recrudescence du bonapartisme, mais la cause n'en réside-t-elle pas dans les facilités que le gouvernement lui-même prête au jeu de la faction ? Il écrivait encore au même, à la date du 7 août : ... Une autre faute, ce sont les caresses que le gouvernement français n'a cessé de prodiguer, depuis 1830, au bonapartisme et même aux membres de lq famille... La sentimentalité en politique est un bien chétif élément...

Du reste, il faut le reconnaître, la Restauration n'avait rien fait pour rappeler le règne de l'Empereur, pour perpétuer le souvenir de nos gloires militaires, et, dès sa disparition, il se produisit un mouvement de réaction en sens contraire. Aussi bien, l'élément bonapartiste avait eu sa part dans la révolution de 1830. Les combattants de Juillet étaient guidés en partie par d'anciens militaires de l'Empire, et, durant les fameuses journées, on pouvait lire sur beaucoup de maisons, surtout dans les quartiers ouvriers, des placards multiformes où le nom de Napoléon II était offert aux acclamations populaires. L'idée napoléonienne se réveillait ; d'ailleurs, il n'y avait pas bien longtemps qu'elle sommeillait, puisqu'il n'y avait que quinze ans que l'Empire était tombé et neuf que l'Empereur était mort. Elle était populaire, elle avait des fidèles et dans les faubourgs et dans les quartiers bourgeois. Mais le chef manquait, et, d'autre part, cette agitation bonapartiste était bien mince à côté de l'importance du mouvement qui portait au pouvoir le duc d'Orléans, de ce sentiment public qui voulait du nouveau et qui se laissait malheureusement séduire par cette innovation d'une monarchie quasi légitime, sacrée par la Révolution. Cependant beaucoup[5] de cœurs palpitaient encore à la seule espérance de voir son image vivante présider aux destinées du pays. C'est surtout parmi les compagnons des travaux et des malheurs du grand homme que se réveillaient le plus de sympathies... Si le duc de Reichstadt avait eu des vues ambitieuses et l'énergique résolution de son père, si, au lieu d'être tenu sous le séquestre ou au moins sous la tutelle de l'Autriche, il eût pu agir..., il aurait sans doute rallié les généreux débris échappés aux désastres de l'Empire... Il ne prêta point à ses partisans le secours d'une coopération active... Néanmoins ils agissaient avec zèle, ils associaient à leurs intrigues quelques officiers supérieurs, ils correspondaient avec les membres de la famille Bonaparte, formaient des comités, faisaient de la propagande dans toutes les classes de la population, intéressaient facilement à leurs projets une partie des réfugiés politiques et dans toutes les circonstances excitaient ou secondaient les émeutes et les actes d'hostilité contre le gouvernement.

Peu à peu, malgré tout, les bonapartistes s'enhardirent ; si, après 1815, ils avaient pu croire que l'ère des révolutions était close et que la France, enfin désabusée, était définitivement revenue à la monarchie légitime, après 1 830 ils reprirent courage, et, sans se laisser prendre aux caresses de Louis-Philippe, se demandèrent pourquoi le jour des Napoléons ne reviendrait pas. Dans les émeutes de septembre 1831, on cria non seulement : Vive la République ! mais aussi : Vive l'Empereur ! — Quelque temps auparavant, au mois de mai, à la suite d'un banquet organisé par les républicains en l'honneur de Godefroy Cavaignac qui venait d'être acquitté, ceux-ci allèrent manifester bruyamment devant la colonne de la place Vendôme. Le parti républicain, malgré sa pudeur farouche, ne craignait pas, quelques mois plus tard, par l'intermédiaire de ce même Godefroy Cavaignac, accompagné de deux autres purs, MM. Guinard et de Bastide, de s'aboucher à Londres, où ces ambassadeurs se rendirent en personne, avec le comte de Survilliers, le roi Joseph Bonaparte, pour arrêter le plan d'une action commune contre le gouvernement de Juillet.

Vers la fin de novembre 1831, le préfet de police[6] apprit que le parti bonapartiste venait d'organiser dans les départements de l'Est un complot qui avait des ramifications nombreuses à Paris. On lui remit une liste... il s'y trouvait des réfugiés polonais et italiens, des hommes de lettres, des négociants, des propriétaires de Paris et de l'Alsace, et enfin plusieurs officiers, même des officiers supérieurs en activité de service. On travaillait à gagner des régiments, et c'était par le soulèvement de la troupe que le complot devait éclater... Les nommés Zaba, réfugié polonais, et Mirandolli, réfugié italien, venaient, disait-on, d'arriver à Paris en qualité d'émissaires de la reine Hortense et du prince Louis-Napoléon, qui leur avaient donné des lettres de crédit. En effet, le préfet de police s'assura qu'un crédit de 12.000 francs était ouvert par la reine Hortense sur une maison de banque. Le parti napoléoniste, dit-il, n'avait pas cessé depuis un an d'agir... Quelques hommes dévoués à cette opinion étaient déjà compromis, entre autres le sieur Lennox... arrêté depuis environ cinq mois. Il fait arrêter les sieurs Zaba, Mirandolli et Léonard Chodzko. Des mandats de perquisition sont lancés en même temps contre MM. Belmontet, Séjour, Misley, Duclos, Chactas, etc. Des documents sont saisis sur Zaba, et on y trouve certains mots écrits de la main du prince. Durant l'instruction de l'affaire, Chodzko et Lennox sont mis hors de cause, et, le 26 avril 1832, le jury acquitte Zaba et Mirandolli. Quant aux conjurés, ajoute M. Gisquet[7], faisant partie de l'armée, la cour royale de Paris ne les a pas mis en cause, et l'on comprend, sans que j'aie besoin de les indiquer, les considérations de haute prudence qui purent engager le gouvernement à jeter un voile sur ce qui s'était passé.

A côté des petits mouvements bonapartistes qui se produisaient dans l'armée, il y avait le grand public dont les sympathies ardentes pour Napoléon n'étaient point douteuses. Dès le lendemain de la révolution de Juillet, des journaux émettent le vœu que les restes de Napoléon soient transférés en France et déposés au pied de la colonne Vendôme. Le sieur Harrion, lieutenant au 26e régiment de ligne, et le colonel Dalesone adressent à cette fin une pétition à la Chambre des députés, qui l'examine dans sa séance du 2 octobre 1830.

Le règne de Napoléon, dit le rapporteur, M. de Montigny, ... s'identifie avec l'époque la plus brillante de notre histoire. A peine cet homme extraordinaire eut-il saisi les rênes du gouvernement qu'il sut sortir la France de la position la plus critique, et, comme un pouvoir magique, l'élever presque aussitôt à un degré de prospérité auquel soit jamais parvenue aucune nation moderne... Tout ce qui a été conçu ou exécuté de grand dans le vaste empire dont il fut le créateur, a été le résultat ou de ses vues personnelles, ou de l'impulsion que partout il avait imprimée ; son nom se prononce avec une sorte de culte et d'admiration sous la chaumière du soldat redevenu laboureur qui, chaque jour, aime à raconter à sa famille avide de l'entendre les mémorables victoires qui ouvrirent à la vieille armée les portes de toutes les capitales de l'Europe... Les cœurs vraiment français se sentirent blessés au récit du traitement subi par le prisonnier de Sainte-Hélène... Les dernières paroles qu'il prononça... ont souvent retenti parmi nous : Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé. La France répudiera-t-elle le legs qu'il lui a fait de ces cendres ?... (Est-ce) que l'on aurait lieu de craindre l'effet que pourrait produire sur les esprits la translation de ce peu de poussière, dernier débris d'une puissance qui n'est plus ?... Qui ne sait que le sentiment qui lui survit ne se rapporte qu'à sa personne et ne pourrait jamais se rattacher à aucun membre de cette famille déchue ?... (Au lendemain de la révolution de 1830) il ne vint à la pensée de qui que ce soit de proposer pour occuper (le trône) l'élève de la politique étrangère, l'héritier décoloré d'un grand nom...

 

Une courte discussion s'engagea dans laquelle on entendit M. de Lameth, le colonel Jacqueminot et notamment le général Lamarque. Tout est grave, dit ce dernier, quand il s'agit de Napoléon ; son nom est une puissance, son souvenir un culte ; la mort n'a pu glacer ses cendres ! Portées sur le sol de la France, naguère elles auraient suffi pour renverser la dynastie que nous avait imposée l'étranger ; mais tout est changé parmi nous. Le droit divin et le droit de l'épée ont disparu devant les droits de la nation. L'urne électorale a brisé la sainte ampoule. Une dynastie nouvelle née d'hier a déjà poussé des racines profondes et indestructibles... Le phénix ne saurait renaître de ses cendres !... Quand une nation est parvenue à ce point, où le pouvoir est une émanation de tous les droits, où la monarchie et l'hérédité sont consacrées comme un dogme politique... comme une nécessité de l'ordre social,... le gouvernement doit... assez sentir sa force pour ne craindre aucun souvenir du passé... Nous pouvons donc réclamer les restes de Napoléon... ; que Paris, nouvelle Athènes, nouvelle Sicyone, reçoive la cendre d'un autre Thésée, d'un autre Aratus ; qu'escorté des pleurs de ses vieux compagnons d'armes, il revienne dans un cercueil, celui qui, au milieu des acclamations de la France, revint si souvent sur un char de triomphe.

La Chambre passa à l'ordre du jour. C'était en effet demander trop tôt le retour des cendres, puisque le pays sortait à peine de la révolution de Juillet ; mais le discours du général Lamarque donne bien la note du sentiment public.

Victor Hugo le traduit immédiatement, à la date du 9 octobre, dans son Ode à la Colonne (Chants du crépuscule).

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Oh ! qui t'eût dit alors à ce faîte sublime,

Tandis que tu rêvais sur le trophée opime

Un avenir si beau,

Qu'un jour à cet affront il te faudrait descendre :

Que trois cents avocats oseraient à ta cendre

Chicaner ce tombeau !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ainsi cent villes assiégées,

Memphis, Milan, Cadix, Berlin,

Soixante batailles rangées ;

L'univers d'un seul homme plein ;

N'avoir rien laissé dans le monde,

Dans la tombe la plus profonde

Qu'il n'ait dompté, qu'il n'ait atteint ;

Avoir dans sa course guerrière

Ravi le Kremlin au czar Pierre,

L'Escurial à Charles-Quint,

— Ainsi — ce souvenir qui pèse

Sur nos ennemis effarés,

Ainsi dans une cage anglaise,

Tant de pleurs amers dévorés ;

Cette incomparable fortune,

Cette gloire aux rois importune,

Ce nom si grand, si vite acquis,

Sceptre unique, exil solitaire,

Ne valent pas six pieds de terre

Sous les canons qu'il a conquis !

Non ! s'ils ont repoussé la relique immortelle,

C'est qu'ils en sont jaloux ! qu'ils tremblent devant elle !

Qu'ils en sont tous pâlis !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pourtant c'eût été si beau !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Contempler le bras fort et la poitrine féconde,

Le talon qui douze ans éperonna le monde,

Et, d'un œil filial,

L'orbite du regard qui fascinait la foule,

Ce front prodigieux, ce crâne fait au moule

Du globe impérial !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous avez peur d'une ombre et peur d'un peu de cendre,

Oh ! vous êtes petits !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dors, nous t'irons chercher ! Ce jour viendra peut-être,

Car nous t'avons pour Dieu sans t'avoir eu pour maître.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Oh ! va, nous te ferons de belles funérailles !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Béranger chantait à nouveau le grand homme dans le Vieux Sergent :

De quel éclat brillaient dans la bataille

Ces habits bleus par la victoire usés !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les nations, reines par nos conquêtes,

Ceignaient de fleurs le front de nos soldats,

Heureux celui qui mourut dans ces fêtes !

Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !

Et encore dans les Souvenirs du peuple :

On parlera de sa gloire

Sous le chaume bien longtemps ;

L'humble toit dans cinquante ans

Ne connaîtra plus d'autre histoire.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,

Le peuple encore le révère,

Oui, le révère.

Parle-nous de lui, grand'mère,

Parle-nous de lui.

Béranger, dit Lamartine, allait valoir un peuple au bonapartisme.

Edgar Quinet[8] publiait son poème de Napoléon où il exaltait le héros, le destructeur de l'ancien régime, l'incarnation de la Révolution.

Écoute-moi, désert d'Asie,

T'en souviens-tu, de ce lion,

Effroi des lions de Syrie,

Qui s'appelait Napoléon ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J'ai couronné le peuple en France, en Allemagne,

Je l'ai fait gentilhomme autant que Charlemagne,

J'ai donné des aïeux à la foule sans nom.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il n'est pas mort ! il n'est pas mort, de son sommeil

Le géant va sortir plus grand à son réveil.

L'entraînement général vers le nom de Napoléon est tel que le théâtre s'empare immédiatement de la personne de l'Empereur. Toute pièce où le grand homme paraît obtient un succès énorme. Les directeurs de spectacles, en faisant preuve de sentiments patriotiques, font d'excellentes affaires. Napoléon est un sujet dont on ne se lasse pas, et partout, pendant de longs mois, on l'offre au public dans toutes les phases de sa vie et dans tout le cours de ses exploits, et le public n'en a jamais assez ! Dès le mois d'août 1830, immédiatement après les journées de Juillet et jusqu'à la fin de l'année 1831, abondent les productions théâtrales où figure le héros. Le napoléonisme dramatique est à l'ordre du jour. Le nom cabalistique de Napoléon, rayonnant sur l'affiche, était comme un irrésistible talisman[9]. On joue à l'Odéon le Gentilhomme de la chambre ou Dix jours après, de Théodore Sauvage et Ozaneaux. Aux hommages à la famille d'Orléans vient s'amalgamer le sentiment napoléonien. L'amoureuse de la pièce chante la romance du Saule de Sainte-Hélène ; — au Vaudeville, Les 27, 28 et 29 juillet, où paraît l'uniforme de la garde impériale ; — au Cirque, le Passage du mont Saint-Bernard ; — à la Porte-Saint-Martin, Schœnbrunn et Sainte-Hélène, de Dupeuty et de Régnier-Destourbet. Un acteur du nom de Gobert avait dans le rôle de Napoléon un succès prodigieux ; on jurait que c'était le grand homme lui-même descendu sur la scène ; tous les soirs la salle délirait ; à l'Ambigu, Napoléon en paradis, vaudeville en un acte de Simonin, Benjamin Antier et Théodore Nézel. On y chantait :

Comme à sa gloire personne ne peut atteindre,

Faut qu'il soit seul, seul au-dessus de tous.

Et comme un des personnages faisait quelque difficulté de l'admettre dans le ciel, un vieux soldat s'écrie :

Vous l' craignez encore aujourd'hui,

Vous vous rapp'lez, mes bons apôtres,

Qu' jadis il était maître chez lui,

Et souvent chez les autres.

En le laissant libre en ce lieu,

On craindrait qu'un jour de goguette

Le caporal dise au bon Dieu :

Ote-toi d' là que je m'y mette !

Aux Variétés, Benjamin Constant aux Champs Elysées, de Benjamin Antier, Victor Lottin et Edouard Damarin, où Talma dit à Mme de Staël :

Vous seriez hors la loi commune,

Et vous n'auriez aucun travers

i vous n'aviez gardé rancune

Au grand héros qu'admire l'univers.

A l'Opéra-Comique, Joséphine, ou le Retour de Wagram, d'Adolphe Adam ; au Vaudeville, Bonaparte lieutenant d'artillerie, de Duvert et Saintine ; aux Nouveautés, une revue où l'on chante :

De son habit, d' son chapeau, d' sa tournure.

De toutes parts on vient nous obséder ;

Ce n'est pas tout, pour combler la mesure

Voilà son fds qui vient lui succéder.

Aux Variétés, encore une revue où l'on voyait[10]... tous les Napoléons arriver, marchant à la file, en bon ordre, au pas militaire, et ayant en tête le petit Napoléon de M. Comte[11]. Ils se rangeaient en ligne, ils exécutaient, au commandement, tous les gestes et mouvements consacrés, ils prononçaient, tous à la fois, les mêmes mots historiques : Soldats, je suis content de vous !Soldats, du haut des Pyramides, etc. Au Vaudeville, encore une revue où l'on chantait :

Nous en avons du héros qu'on renomme ;

Chacun sera servi selon son goût,

En voulez-vous du vainqueur, du grand homme ?

On peut choisir, on en a mis partout !

Et on continue à donner aux Variétés Napoléon à Berlin, de Dumersan et Dupin ; au Cirque, l'Empereur, avec un acteur presque aussi célèbre que Gobert, un nommé Edmond, de Lepoitevin-Saint-Alme, Ferdinand Laloue et Adolphe François ; à l'Ambigu, Napoléon, d'Anicet Bourgeois et Froncis ; à la Gaité, la Malmaison et Sainte-Hélène, de Ducange, Pixérécourt et Sauvage ; au théâtre du Luxembourg, Quatorze ans de la vie de Napoléon, en quatre actes et dix-sept tableaux, de Clairville ; aux Nouveautés, Bonaparte à Brienne, où Déjazet remplissait le rôle de Napoléon ; puis, le Fils de l'homme, d'Eugène Sue et Deforges ; à l'Odéon, Napoléon, de Dumas[12] ; aux Variétés, Monsieur Cagnard, ou les Conspirateurs, de Brazier et de Dumersan. M. Delaune, marchand de rubans, regrette la Restauration. Mme Delaune ne jure que par le grand Napoléon. A qui devez-vous, dit-elle à son mari, vos victoires, vos quais, vos arches de triomphe, votre Code civil, vos abattoirs ? Au Cirque, surtout, l'épopée napoléonienne semble une mine inépuisable ; on y joue encore l'Homme du siècle, la République, l'Empire et les Cent-jours, etc. Dans chaque théâtre[13] on cherchait quelle taille, quel nez, quel profil, quelle tournure, aidés par les secours de l'art, se rapprocheraient le plus ou s'éloigneraient le moins de l'historique physionomie. Il y avait un certain nombre de gestes et de poses : les mains derrière le dos, l'exercice de la lorgnette, celui de la prise de tabac, etc., qui, avec la redingote grise et le petit chapeau, étaient censés produire un Napoléon d'une ressemblance parfaite et d'une illusion saisissante. C'est ainsi[14] que chacun poussait, sans le vouloir, au triomphe de l'idée qui devait finir par rester maîtresse du tapis et des enjeux. Louis-Philippe croyait que ce tribut serait compté en sa faveur, qu'il prendrait par là sa part de popularité qui entourait ce grand nom, et que le flot du sentiment napoléonien n'irait pas plus loin. Calcul trompeur et adresse maladroite.

Ce n'est pas tout. Le Moniteur du 9 avril 1831 annonce que l'avant-veille, le Roi et la Reine, accompagnés de leur auguste famille, ont été visiter, au diorama, le nouveau tableau de M. Daguerre, représentant le Tombeau de Napoléon à Sainte-Hélène. Et le 2 mai, on y lit dans un article signé F. P. le passage suivant : Il a fallu toute l'étendue et toute l'importance des matières politiques pour retarder jusqu'à ce jour le compte que nous avions à rendre du tableau de M. Dagneres (sic), le Tombeau de Napoléon à l'île de Sainte-Hélène... Sur le premier plan on voit la dernière demeure du grand homme... C'est là, c'est dans ce triste enfoncement que repose le héros du siècle, ce géant qui

Vingt fois contre les dieux joua le sort du monde.

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Le 11 avril, on y trouve ce rapport au Roi :

Sire, l'histoire n'oubliera pas le nom du grand capitaine dont le génie présida aux victoires de nos légions, du monarque habile qui fit succéder l'ordre à l'anarchie, rendit aux cultes leurs autels, et donna à la société ce Code immortel qui nous régit encore,.. Votre Majesté ne veut déchirer aucune des pages brillantes de notre histoire, elle admire tout ce qu'admire la France, et elle est fière de tout ce qui enorgueillit la nation. Je crois répondre à ces nobles sentiments en lui proposant le rétablissement de la statue de Napoléon sur la colonne de la place Vendôme... Aucune gloire désormais ne doit rester dans l'ombre, aucun grand souvenir ne doit être disputé à la France... En honorant une grande renommée, en relevant le monument qui consacre un souvenir dont la France se glorifie, le Roi forme, en quelque sorte, un lien de plus entre le trône et le pays

Le président du Conseil et ministre, secrétaire d'État de l'intérieur,

Casimir PÉRIER.

 

Ce rapport était suivi d'une ordonnance conforme en date du 8 avril, et, en 1833, Napoléon reprenait place sur la colonne Vendôme. C'était une statue exécutée par Seurre, et le représentant dans son costume populaire avec le petit chapeau et la redingote grise[15].

En mai 1831[16] on frappe à la Monnaie une collection de cent soixante-cinq médailles représentant les faits mémorables du règne de Napoléon.

Le 5 mai de chaque année, il y avait une démonstration place Vendôme, pour célébrer l'anniversaire de la mort du grand homme. En 1832, il y eut une bagarre dans laquelle plusieurs coups de feu furent tirés[17].

Dans le cours de cette année (juillet) meurt le fils de Napoléon ; les journaux de gauche, la Tribune, avec Belmontet ; le National, avec Armand Carrel ; la Révolution, avec Antony Thouret, saluent respectueusement son cercueil et proclament la gloire de l'Empire.

Au mois de décembre 1835, la presse relate avec complaisance un incident qui se produit à la vente de l'atelier du peintre Gros. Parmi les objets offerts au public se trouve le chapeau porté par l'Empereur pendant la campagne de 1807, celle d'Eylau et de Friedland. Mis à prix à 500 francs, il est adjugé à 1.950 francs, après une lutte entre deux concurrents inconnus. Une fois l'adjudication prononcée, on demande de toutes parts le nom de l'acquéreur de la relique impériale. On répond : C'est un Français ! A ces mots, un tonnerre d'applaudissements éclate dans toutes les parties de la salle, encombrée par une foule de curieux. Celui des deux concurrents qui avait abandonné l'enchère à 1.920 francs était le capitaine vicomte Clary, cousin de Louis-Napoléon.

Les événements de 1836, année pendant laquelle on termine l'Arc de triomphe de l'Étoile, de 1838 et de 1840, que nous relaterons bientôt, firent retentir le nom de Napoléon d'un bout de la France à l'autre.

Presque tous les ans, les Chambres étaient saisies de pétitions bonapartistes. De Londres, à la date du 5 avril 1834, le roi Joseph Bonaparte écrivait aux signataires d'une pétition adressée à la Chambre des députés et demandant le retrait de la loi de bannissement contre la famille de Napoléon : ... La France[18] de Juillet a relevé sa statue ; sa famille est encore proscrite ; ses crimes ne sont autres que le nom que Napoléon leur a légué... Pour justifier l'exil et les confiscations dont on nous a frappés, on fait de nous des prétendants ; nous sommes de notre siècle, créatures de 1804, Français subordonnés à la volonté de la France ; nous savons que la génération d'aujourd'hui n'est pas liée par la volonté de ses pères ; que les nations peuvent changer, conserver, modifier, reprendre et détruire encore ce qu'elles ont créé... Napoléon reconnut toujours la volonté du peuple, qui seul a le droit de se donner le gouvernement qui lui semble dans son intérêt, selon son bon plaisir, voire selon son caprice. La trop longue dictature de Napoléon l'a fait méconnaître par quelques-uns ; cette dictature fut prolongée par l'obstination des ennemis de la Révolution, qui prétendirent détruire en lui le principe de la souveraineté nationale ; mais à la paix générale, le suffrage universel, la liberté de la presse l'eussent dévoilé tout entier à la France. Il se sacrifia pour ne pas donner la guerre civile...

En 1844, à la séance du 23 mars[19], M. Pérignon présente à la Chambre un rapport sur la pétition des sieurs Lhuilier, de Vic-Bigorre, L'héritié, d'Agen, et de la Chapelle, du département de l'Yonne, qui demandent : 1° que l'effigie de Napoléon soit rétablie sur la croix de la Légion d'honneur ; 2° que la loi de bannissement de la famille Bonaparte soit abrogée ; 3° que le prince Louis-Napoléon reçoive pour prison la ville de Ham et ses environs. La commission propose le rejet des deux derniers points, mais sur le premier elle s'exprime ainsi : Depuis 1830, l'Arc de triomphe de l'Étoile et la colonne de la place Vendôme ont repris à juste titre l'image de leur fondateur... Depuis 1830, la Chambre exprime chaque année, à la presque unanimité, le vœu de voir l'image de Napoléon restituée à cette décoration qu'il a créée ; c'est un acte de justice qu'elle réclame au nom de la vérité... Le souvenir de Henri IV est dans tous les cœurs, mais sa place est-elle sur la décoration fondée au camp de Boulogne en 1802... L'histoire dira que Napoléon a créé la Légion d'honneur ; eh bien, faisons de l'histoire aujourd'hui même...

M. Boulay, de la Meurthe, prend la parole pour demander le renvoi intégral de la pétition au ministre. Après la révolution de 1830, dit-il, quand les principes de la révolution française ont triomphé, quand ils sont debout, je dis que la famille de Napoléon est désarmée, je dis que ce qui faisait sa force a passé dans d'autres mains, qu'elle n'est plus redoutable... qu'elle doit cesser d'être proscrite... J'ai déjà dit que j'avais regretté et déploré les entreprises du prince Louis... Je suis convaincu que s'il eût été en France, il n'en eût pas même conçu la pensée. Ce qui m'en donne la conviction, ce sont ces études graves, ces travaux sérieux auxquels il se livre dans sa captivité, c'est la réponse qu'il a faite lorsqu'on lui offrit d'ouvrir les portes de sa prison à la condition de reprendre son exil : J'aime mieux une prison en France que la liberté sur la terre étrangère. Ce sera une pensée nationale que celle de faire cesser l'exil de la famille de Napoléon. Eh quoi ! on relève la statue de Napoléon, elle devient l'objet d'une sorte de culte, et sa famille reste proscrite ! On lui construit un magnifique mausolée, et ses trois frères, trois vieillards, ne pourront pas venir déposer une prière et une larme sur son tombeau ! La Chambre, sans autre discussion, adopte les propositions de la commission.

En 1845, après un discours de Crémieux, la Chambre, à l'unanimité, renvoie au président du conseil des pétitions d'un grand nombre d'habitants de la Corse, qui sollicitent le rappel de la loi de bannissement contre la famille Bonaparte.

Dans sa séance du 17 avril 1847[20], la Chambre des députés examine une nouvelle pétition du sieur Lhuilier qui, à ses demandes antérieures, ajoute celle de la restitution du nom de Napoléon au chef-lieu de la Vendée. M. Larabit l'appuie, et, quant à la croix de la Légion d'honneur, propose, pour tout concilier, de mettre d'un côté l'effigie de Napoléon, et de l'autre celle de Henri IV. Le rapporteur, M. Lecouteulx, invoque la raison d'État. Le nom de Napoléon, dit-il, est un point de ralliement, un drapeau ; il y a des esprits mécontents et aventureux, des partisans fanatiques de l'Empire. Puis il rappelle les aventures du prince Louis. Odilon Barrot prend la parole pour appuyer le rétablissement du nom de Napoléon-Vendée. Le ministre de la justice, M. Hébert, déclare qu'il n'y a pas de raison pour faire disparaître l'effigie de Henri IV..., qu'il faut être juste envers toutes les gloires..., que Henri IV aussi fut un grand roi..., que Bourbon-Vendée s'appelle ainsi depuis trente ans, et que d'ailleurs cela n'a pas d'importance... que la raison d'État enfin ne permet pas l'abrogation de la loi d'exil. M. Lherbette intervient dans la discussion pour soutenir la pétition. Parlant du prince Louis, il dit : (Il) sollicitait la permission d'aller recevoir le dernier soupir de son père que la maladie frappait à mort, il s'engageait sur parole et par écrit à se reconstituer prisonnier... De deux choses l'une, ou il aurait violé sa parole, (et alors) il se perdait à jamais, ou il l'aurait respectée, (et alors) il eût été désarmé vis-à-vis de vous par la grâce que vous lui auriez accordée. Vous pouviez donc avoir tous les mérites d'une grâce, sans en avoir les dangers. Vous avez laissé échapper cette occasion, et lui n'a pas laissé échapper celle de vous en faire repentir. Le culte de Napoléon existe toujours... Mais tout cela (est) personnel à Napoléon. (C'est cela ! c'est cela ! crie-t-on de toutes parts.) Sa famille n'avait que le reflet de sa gloire ; Napoléon mort est encore vivant ; sa famille vivante est morte depuis longtemps. (Mouvement approbatif.) Voilà la vérité. Il n'y aurait donc aucun danger à lever la loi de proscription à l'égard de cette famille. C'est le tour de M. Boulay, de la Meurthe : ... Quand vous relevez la statue du grand homme, quand vous lui édifiez un tombeau, quand vous décorez tout un musée des vestiges de sa gloire, vous continuez de proscrire sa famille, alors qu'il n'y a plus aucun danger ! Crémieux se prononce en faveur du renvoi. L'ordre du jour triomphe en ce qui concerne la rentrée en France des membres de la famille Bonaparte, mais le renvoi au ministre est voté sur le rétablissement de l'effigie de l'Empereur dans la croix de la Légion d'honneur et sur la restitution à la ville de Bourbon-Vendée du nom de Napoléon-Vendée.

Le 27 septembre 1847, le Moniteur annonce que le gouvernement du Roi vient d'autoriser le prince Jérôme Bonaparte, ancien roi de Westphalie, et son fils à résider momentanément en France, et le lendemain 28, il rend compte de l'inauguration de la statue de Napoléon Ier à Fixin (Côte-d'Or), 19 septembre, par Rude, à qui l'avait commandée M. Noisot, ancien grenadier de l'île d'Elbe. Une foule immense couvrait les routes, chantant le Petit Chapeau et la Redingote grise ; trois cents hommes de la garnison de Dijon, la compagnie de pompiers de cette ville et celles des villages environnants, la gendarmerie de l'arrondissement, les artilleurs de Beaune, deux généraux de division, le préfet, les maires, dix mille personnes assistaient à la cérémonie. Napoléon était représenté debout sur le rocher de Sainte-Hélène, et dans l'attitude d'une résurrection.

Le 1er octobre 1847, le Moniteur contient en première page l'information suivante : Aujourd'hui ont eu lieu à Saint-Leu-Taverny les obsèques du prince Louis Bonaparte, ancien roi de Hollande, et de son second fils, Napoléon-Louis Bonaparte, mort en 1831 à Forli, pendant les troubles de la Romagne. Cette solennité avait attiré... une affluence considérable. Un grand nombre d'illustrations, soit civiles, soit militaires, y assistaient. On y remarquait notamment M. le duc Decazes, les généraux Gourgaud, Saint-Hilaire, l'abbé Coquereau, Marchand, valet de chambre de l'Empereur, de Vatry, député, etc., etc. Les seuls membres de la famille de l'Empereur qui fussent présents étaient le prince de Montfort, fils du roi Jérôme, la comtesse Mathilde et l'une des filles de Lucien. Les coins du poêle étaient occupés par le prince de Montfort, le duc de Padoue, le duc Decazes et un prince italien dont nous ignorons le nom.

Le prince écrit alors[21] de Londres à M. Lecomte, ancien officier de cavalerie sous l'Empire : Les témoignages de respect offerts à la mémoire de mon père, le 29 septembre dernier, m'ont vivement ému... C'est atténuer la douleur amère que j'éprouve de n'avoir jamais pu m'agenouiller devant les tombeaux de ma famille...

Le 15 décembre de chaque année, un service commémoratif était célébré à l'occasion de l'anniversaire de la translation des restes mortels de l'empereur Napoléon[22]. C'est en 1840 que ce grand événement avait eu lieu. Ce transfert était devenu une idée fixe chez M. Thiers, qui, parmi ses incomparables mérites, comptait celui d'être ardemment bonapartiste sans l'être. Le Roi, d'ailleurs, nageait dans les mêmes eaux ; il avait toujours cru faire acte de politique consommé en persistant à glorifier la mémoire de l'Empereur ; il épousa donc la résolution de son premier ministre, et c'est ainsi que, le 12 mai, le ministre de l'intérieur, M. de Rémusat, déposa une demande de crédit de 1 million pour ramener en France le corps de Napoléon, lord Palmerston, au nom de l'Angleterre, ayant acquiescé, non sans un sourire railleur, à la requête qui lui était adressée par le gouvernement français. Le projet ministériel était précédé d'un exposé de motifs où il était dit notamment :

Le Roi a ordonné à Son Altesse Royale Mgr le prince de Joinville de se rendre avec la frégate la Belle Poule à l'île de Sainte-Hélène pour recueillir les restes mortels de l'empereur Napoléon. Nous venons vous demander les moyens de les recevoir dignement. Il importe, en effet, à la majesté d'un tel souvenir que cette sépulture auguste ne soit pas exposée sur une place publique, au milieu d'une foule bruyante et distraite. Il convient qu'elle soit placée dans un lieu silencieux et sacré, où puissent la visiter avec recueillement tous ceux qui respectent la gloire et le génie, la grandeur et l'infortune. Il fut empereur et roi, il fut le SOUVERAIN LÉGITIME[23] de notre pays ; à ce titre, il pourrait être inhumé à Saint-Denis ; mais il ne faut pas à Napoléon la sépulture ordinaire des rois. Il faut qu'il règne et commande encore dans l'enceinte où vont reposer les soldats de la patrie et où iront toujours s'inspirer ceux qui seront appelés à la défendre. Son épée sera déposée sur sa tombe. L'art élèvera sous le dôme des Invalides, au milieu du temple consacré par la religion au Dieu des armées, un tombeau digne, s'il se peut, du nom qui doit y être gravé. Ce monument doit avoir une beauté simple, des formes grandes et cet aspect de solidité inébranlable qui semble braver l'action du temps. Il faut à Napoléon un monument durable comme sa mémoire... Désormais la France, et la France seule, possédera tout ce qui reste de Napoléon ; son tombeau, comme sa renommée, n'appartiendra à personne qu'à son pays. La monarchie de 1830 et l'unique est légitime héritière de tous les souvenirs dont la France s'enorgueillit. Il lui appartenait, sans doute, à cette monarchie, qui la première a rallié toutes les forces et concilié tous les vœux de la Révolution française, d'élever et d'honorer sans crainte la statue et la tombe d'un héros populaire, car il y a une chose, une seule, qui ne redoute pas la comparaison avec la gloire, c'est la liberté !...

 

La lecture de cet exposé de motifs[24] produisit sur l'Assemblée une impression profonde. Ce nom de Napoléon, retentissant dans l'enceinte de la Chambre et salué si magnifiquement par le gouvernement lui-même, ce retour annoncé des restes vénérés de l'illustre homme de guerre, aussi grand et plus imposant peut-être dans la majesté de la mort que sous la pourpre impériale, auréole d'une gloire invulnérable, réveillèrent les enthousiasmes passés et firent courir sur tous les bancs un indicible frémissement. L'émotion fut si intense que la séance fut longtemps interrompue à la suite des acclamations qui accompagnèrent M. de Rémusat descendant de la tribune. Au dehors, la population ne fut pas moins remuée, ni moins enthousiaste. Napoléon, toujours adoré dans la mansarde et dans la chaumière, où son image était suspendue à côté de celle de la Vierge, allait en quelque sorte sortir du tombeau et ressusciter !

Le National du lendemain demande si ces souvenirs ne vont pas se réveiller dans toute la France comme une sanglante accusation contre toutes les lâchetés qui souillent depuis dix ans ses plus brillantes traditions. Quels sont les hommes, dit-il, qui osent aujourd'hui parler de cette réparation due au passé ? les mêmes qui ont cédé sans honte et sur tous les points devant l'Europe. Ne croyez pas imposer au pays en cherchant à vous abriter derrière une ombre menaçante. Le pays ne sera pas dupe d'un tel charlatanisme... Ainsi voilà la portée politique de cet événement : à l'intérieur, flatter un sentiment national pour faire oublier dix ans de bassesses ; au dehors, resserrer les liens de la contre-révolution, en l'amnistiant de tout le passé. Comment la Chambre a-t-elle pu entendre dire que l'Empereur fut le SOUVERAIN LÉGITIME de son pays ?

Le fait est qu'en parlant ainsi, on rendait la partie belle à l'héritier de Napoléon. Mais n'était-ce pas un pauvre sire ?

C'est la Gazette de France (14 mai 1840) qui n'est pas contente ! Elle déclare que la communication faite par M. Thiers est une de ces grandes jongleries qui sont quelquefois funestes à leurs inventeurs. C'est là une mesure inexplicable en elle-même, dont la portée logique est incalculable... Pourquoi allez-vous chercher les cendres de Napoléon quand son sang est proscrit par vous ?... C'est de la part du ministère une extravagance... C'est là une de ces politiques dont l'effet est complètement manqué, parce que tout le monde voit trop clairement l'hypocrisie des sentiments et le but de la démarche. Louis-Philippe tenant dans ses mains l'urne cinéraire de Napoléon ! Cela ne rappelle-t-il pas le mot de Catherine[25] à propos du corps de Coligny ?... Voilà déjà que le Capitole demande qu'on rappelle la famille de Napoléon. Comment comprendre, en effet, que dans une cérémonie pareille, les frères et les neveux du grand capitaine ne soient pas présents ?... La conspiration de Strasbourg nous a montré combien le souvenir de l'Empereur avait de magie dans les villes de guerre... C'est agiter sur le monde la robe de César !...

L'honnête Gazette ne lâche pas sa proie. Elle est impitoyable. Elle rappelle (15 mai 1840) la réponse faite le 7 mai 1810 par Louis-Philippe au conseil suprême de la régence d'Espagne, qui lui offrait un commandement en Catalogne : J'accepte... En le faisant, je me conforme aux désirs de Sa Majesté et des princes, mes beaux-frères, si éminemment intéressés aux succès de l'Espagne contre le TYRAN qui a voulu ravir tous ses droits à l'auguste maison dont j'ai aussi l'honneur d'être issu. Heureux si mes faibles efforts peuvent contribuer à relever et à soutenir les trônes renversas par l'USURPATEUR et à maintenir l'indépendance et les droits des peuples qu'il foule aux pieds depuis si longtemps[26]. Le maréchal Soult était président du conseil des ministres et ministre de la guerre au mois de mai 1840, et la Gazette de France lui sert la proclamation qu'il adressait à l'armée le 8 mars 1815, en la même qualité de chef du département de la guerre : Soldats ! CET HOMME qui naguère abdiqua aux yeux de toute l'Europe un pouvoir USURPÉ dont il avait fait UN SI FATAL USAGE, BUONAPARTE est descendu sur le sol français qu'il ne devait plus revoir. Que veut-il ? la guerre civile. Que cherche-t-il ? des traîtres. Où les trouverait-il ? Serait-ce parmi ces soldats qu'il a trompés et sacrifiés tant de fois en égarant leur bravoure ?... BUONAPARTE nous méprise assez pour croire que nous pouvons abandonner un souverain légitime et bienaimé pour partager le sort d'un homme qui n'est plus qu'un AVENTURIER. Il le croit, l'insensé ! et son dernier acte de démence achève de le faire connaître. Le dément, si bassement et si lâchement attaqué, était celui qui l'avait fait maréchal et duc de Dalmatie. Puis, la Gazette, continuant son implacable campagne, disait : Quoi ! vous allez glorifier, diviniser Napoléon, mais vous oubliez que c'est son propre Sénat qui, en 1814, l'a condamné, et en quels termes ! Écoutez l'acte de déchéance : — Considérant que Napoléon... a déchiré... le pacte qui l'unissait au peuple français, notamment en levant des impôts autrement qu'en vertu de la loi, contre la teneur expresse du serment qu'il avait prêté ; qu'il a commis cet attentat aux droits du peuple ; qu'il a entrepris une suite de guerres en violation de l'art. 50 de la Constitution ; qu'il a violé les lois par ses décrets ; qu'il a anéanti la responsabilité des ministres, confondu tous les pouvoirs, et détruit l'indépendance des corps judiciaires ; qu'il s'est servi toujours de la presse pour remplir la France et l'Europe de faits controuvés, de maximes fausses, de doctrines favorables au despotisme et d'outrages contre les gouvernements étrangers ; qu'au lieu de régner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français, Napoléon a mis le comble aux malheurs de la patrie... par l'abus qu'il a fait de tous les moyens qu'on lui a confiés en hommes et en argent, par l'abandon des blessés sans pansements, sans secours, sans subsistances, par différentes mesures dont les suites étaient la ruine des villes, la dépopulation des campagnes, la famine et les maladies contagieuses...

Comme le Journal des Débats approuve la résolution du ministère, la Gazette cite ce qu'ils écrivaient à la date de juillet 1815 : Le règne de Buonaparte était le plus odieux des opprobres pour quiconque est digne d'être Français... Ce Corse au teint de plomb et à l'œil de tigre dont la bouche n'a jamais souri qu'au carnage... Le 20 mars, le tyran protégé par une soldatesque parjure vint usurper la place dans un palais en deuil et dans une capitale orpheline. La souplesse des jarrets avec laquelle il a grimpé si rapidement sur l'échelle du Northumberland, toutes ces belles menaces de passer de cette vie dans l'autre, se sont bornées à passer du Bellérophon sur le Northumberland et à déployer dans ce passage tout le talent d'un danseur de corde. Cet homme est un des meilleurs acteurs qui aient paru ; le mélodrame lui convenait comme la farce ; il pleurait avec la même facilité qu'un crocodile. Les Débats disaient un an auparavant (10 mai 1814) : La guerre la plus juste (celle des alliés en 1814) a ses calamités. Mais à qui se prendre de ces désastres ? Ne sont-ils pas les fruits de l'ambition, de l'orgueil, de l'avarice, de la dureté d'âme du tyran ? N'est-ce pas Buonaparte et Buonaparte seul qui a rassemblé de tous les points de l'Europe ces multitudes d'armées formidables ? Après ces désastres, quel abîme de misère et de honte pour la France s'il lui eût fallu demeurer esclave de Buonaparte vaincu ! Par fortune... il s'est trouvé des Bourbons pour que nous ne demeurassions pas sous un joug avili...

Si le National et la Gazette de France condamnent le ministère, le Siècle, le Courrier français l'approuvent. Le Temps, journal de M. Thiers, dit : L'Empereur a eu ses funérailles à Sainte-Hélène ; ici il trouvera une apothéose, car il nous a fait comprendre les demi-dieux. L'Ami de la religion fait cette réflexion : On peut affirmer que depuis dix ans il ne s'est rien vu d'aussi hardi que la détermination de faire revenir de Sainte-Hélène les cendres de Napoléon. Jamais on n'a tenté plus gaiement et avec moins de nécessité la fortune des révolutions. Le Capitole chante victoire : La reconnaissance nationale envers Napoléon est aujourd'hui plus qu'un sentiment, elle est devenue une passion enthousiaste qui remue à la fois tout ce qu'il y a de grandeur et de noblesse dans l'âme humaine. Toutes les imaginations s'interrogent et se répondent, et toutes reconnaissent que quelque chose de mystérieux nous attend... Le temps nous garde de grands secrets... Le Commerce (28 avril 1840) avait déjà dit quelque temps auparavant : Le retour triomphal de ce cercueil auguste, au milieu de la France toute parsemée de son génie... ce serait là un sublime épilogue de cette épopée sublime. La presse anglaise regarde avec surprise le gouvernement français. Il en est ainsi du Sun, du Times, du Standard, qui dit : Il n'est pas besoin d'un grand effort de réflexion pour juger de la folie d'un ministre qui a conçu une telle pensée.

Mais la famille Bonaparte, que va-t-on en faire dans la cérémonie ? Il est ridicule, dit la Gazette de France (25 mai 1840), de laisser dans l'exil un si grand nombre de Français dont tout le tort est de porter un nom qu'on glorifie... Rien ne peut expliquer une contradiction pareille.

Une partie de la presse, celle qui est sympathique au nom de Bonaparte, et surtout le Commerce et le Capitole, s'étonnent et s'indignent de ce qu'on envoie une simple frégate à Sainte-Hélène, et non un vaisseau de haut bord ; de ce qu'on fait venir le cercueil par eau du Havre à Courbevoie, au lieu de prendre la voie de terre, parce qu'on redouterait l'enthousiasme des populations ; de ce qu'on place le tombeau aux Invalides, au lieu de le mettre sous la colonne Vendôme[27]. L'hôtel des Invalides, tout noble qu'il est, dit le Commerce (25 mai), ne doit pas contenir les restes de Napoléon, parce que ce monument a été destiné à honorer des mérites de second ordre. Il doit être au milieu et pour ainsi dire au sommet de la cité... Il ne faut pas que les étrangers arrivant dans notre capitale puissent dire : Où est cette église qui renferme Napoléon ?... Paris doit le leur montrer par l'un de ses plus grands monuments et leur crier dès l'abord : Napoléon est glorifié ici !...

La commission de la Chambre, à laquelle le projet de loi avait été renvoyé, au lieu d'un million demandé en accorde deux. La discussion a lieu dans la séance du 26 mai. M. Glais-Bizoin ne veut pas qu'on ranime le culte napoléonien et regrette la résolution téméraire qui a été prise par le gouvernement de ramener en France les restes de Napoléon. Lamartine interroge aussi l'avenir avec inquiétude :

Les ministres nous assurent que le trône ne se rapetissera pas devant un pareil tombeau ; que ces ovations, que ces cortèges, que ces couronnements posthumes de ce qu'ils appellent une légitimité (sensation), que ce grand mouvement donné par l'impulsion même du gouvernement au sentiment des masses, que cet ébranlement de toutes les imaginations du peuple, que ces spectacles prolongés et attendrissants, ces récits, ces publications populaires[28], ces éditions à cinq cent mille exemplaires des Idées napoléoniennes, ces bills d'indemnité donnés au despotisme heureux, ces adorations du succès, tout cela n'a aucun danger pour l'avenir de la monarchie représentative. (Longue interruption.) J'ai peur que cette énigme n'ait un jour son mot. (Nouvelle et longue interruption.) Je ne suis pas sans inquiétude sur cette divinisation d'un homme... Sur sa tombe, il faudrait graver ces trois mots : A Napoléon seul, afin qu'ils indiquent à la France et à l'Europe, au monde, que si cette généreuse nation sait honorer ses grands hommes... elle sait les séparer même de leur race et de ceux qui les menaceraient en leur nom (vive sensation), et qu'en élevant ce monument... elle ne veut susciter de cette cendre ni la guerre, ni des prétendants, ni même des imitateurs. (Agitation.)

L'Assemblée, ballottée entre des sentiments divers, ne vote que le chiffre proposé par le gouvernement, un million. Mais alors les journaux bonapartistes protestent : Deux millions, dit le Commerce (27 mai 1840), pour recevoir en France les restes de ce grand proscrit ont paru un prix exagéré. Voilà de l'économie bien placée... il était temps et l'occasion était si belle : il ne s'agissait que d'honorer la gloire, le génie, le dévouement, la nationalité. La Chambre a déclaré qu'un million devait suffire pour donner tout l'éclat convenable à une solennité unique par ses proportions et sa poésie dans l'histoire du monde entier... Le pays saura protester contre cette sorte d'avanie infligée au nom qu'il respecte et qu'il aime le plus. La Chambre par son vote n'aura fait que... donner un nouvel élan à un culte de reconnaissance et d'amour populaire que le temps, que l'expérience, que la réflexion, l'étude, l'avenir sont destinés à échauffer, à grandir de plus en plus... Lorsque Napoléon saisit le pouvoir, la France était dans une épouvantable anarchie ; le trésor public était en pleine banqueroute, les arsenaux vides, les armées mal approvisionnées ; la corruption dévorait le gouvernement ; le brigandage était organisé dans l'Ouest et dans le Midi ; le pays était déchiré par... les factions, nos assemblées se proscrivaient, se décimaient elles-mêmes, le 18 fructidor préparait le 18 brumaire, et les tourments de Sinnamari succédaient à la guillotine... Napoléon vient, et la France change à vue d'œil comme sous la main d'un dieu !... Le lendemain, 28 mai, le Commerce disait encore : Il est un homme tombé pour le pays et avec le pays. Le jour de sa chute fut la conquête et la mutilation de la patrie, et l'on nous a dit que cette chute fut un bienfait ! Cet homme brillant de toutes les gloires, de tous les rayons si divers de l'intelligence, le premier du monde dans les lois, l'administration, la guerre, la politique, cet homme a expié tout ce génie dans le malheur... aujourd'hui son nom, sa mémoire, son histoire sont devenus un patrimoine national. Il n'est pas un seul coin désert, une peuplade de sauvages où ce nom ne suffise pour couvrir le nom de France d'une ombre de gloire. Son image est partout, depuis la hutte de l'Indien jusqu'à la chaumière glacée du paysan russe. Son nom est le plus beau que proclame l'Asie, et Ibrahim, vainqueur de l'Orient, le place dans son culte à côté du Prophète. L'univers tout entier est rempli de cette histoire... La France nouvelle n'existe que grâce à Napoléon... Par lui, et par lui seul, notre révolution est devenue un fait accompli, indestructible dans l'Europe et dans le monde[29]...

Le 6 juin, le général Bertrand, le fidèle compagnon de l'Empereur à Sainte-Hélène, se rendait aux Tuileries et remettait au roi Louis-Philippe les armes[30] de Napoléon, après lui avoir dit : Sire, les derniers vœux de l'Empereur vont enfin s'accomplir. En adressant mes félicitations sur un résultat qui ne sera pas moins honorable à Votre Majesté dans le temps à venir qu'il ne l'est dans le temps présent, résultat si conforme à l'honneur et aux sentiments populaires, je ne suis que l'écho de la reconnaissance publique... C'est à Votre Majesté que nous devons l'accomplissement des derniers désirs de l'Empereur, désirs qu'il m'avait particulièrement exprimés à son lit de mort, avec des circonstances qui ne peuvent s'effacer de ma mémoire. Sire, rendant hommage à l'acte mémorable de justice nationale que vous avez généreusement entrepris, je viens déposer entre les mains de Votre Majesté ces armes glorieuses que depuis si longtemps j'étais réduit à dérober au jour et que j'espère placer bientôt sur le cercueil du grand capitaine, sur l'illustre tombe destinée à fixer les regards de l'univers. Que l'épée du héros demeure le palladium de notre patrie ! Et le Roi de répondre : Je reçois au nom de la France les armes de l'empereur Napoléon. Je m'estime heureux qu'il m'ait été réservé de rendre à la terre de France les restes mortels de celui qui ajouta tant de gloire à nos fastes, et d'acquitter la dette de notre commune patrie en entourant son cercueil de tous les honneurs qui lui étaient dus...

Le Capitole s'empresse de protester : Il n'est ni juste, ni légitime, ni loyal que les héritiers de l'Empereur se trouvent ainsi déchus de leur part à la plus glorieuse moitié de ce noble héritage... Aux termes du testament de Sainte-Hélène, les armes de Napoléon étaient la propriété unique du duc de Reichstadt, lui seul avait le droit d'en disposer, et après lui, évidemment et uniquement les héritiers naturels. — Il dit encore : Tous les vieux frères d'armes qu'il a consultés aujourd'hui quand il n'était plus temps lui ont fait sentir la profonde affliction dont il venait de les accabler en remettant l'épée de l'empereur Napoléon à des mains qui écrivirent autrefois le nom de tyran et d'usurpateur contre le grand homme, à des mains qui tirèrent une autre épée contre l'élu de la France, soit en Espagne, soit à Lyon en 1815... La France s'indignera comme les vieux frères d'armes du général... La pudeur nationale protestera contre un ignoble escamotage où l'on a constitué en déplorable compère un vénérable et loyal soldat de l'Empire...[31]

Dès que le prince Louis Napoléon eut connaissance du don fait par le général Bertrand, il adressa à tous les journaux la lettre suivante : Londres, 9 juin 1840. Je m'associe du fond de mon âme à la protestation de mon oncle Joseph. Le général Bertrand, en remettant les armes du chef de ma famille au roi Louis-Philippe, a été la victime d'une déplorable illusion. L'épée d'Austerlitz ne doit pas être dans des mains ennemies, il faut qu'elle puisse être encore brandie au jour du danger pour la gloire de la France. Qu'on nous prive de notre patrie, qu'on retienne nos biens, qu'on ne se montre généreux qu'envers les morts, nous savons souffrir sans nous plaindre, tant que notre honneur n'est pas attaqué ; mais priver les héritiers de l'Empereur du seul héritage que le sort leur ait laissé ; mais donner à un heureux de Waterloo les armes du vaincu, c'est trahir les devoirs les plus sacrés ; c'est forcer les opprimés d'aller dire un jour aux oppresseurs : Rendez-nous ce que vous avez usurpé.

La Gazette de France (7 juin 1840), après avoir attaqué le Roi, attaque les princes d'Orléans : Il semble que le duc d'Aumale qui tient à la main les titres de la succession du prisonnier de Vincennes pourra difficilement paraître à la cérémonie des Invalides à côté du prince qui rapportera dans ses bras l'urne cinéraire de Napoléon... Quelques personnes (8 et 9 juin 1840) pensent que le prince de Joinville hésite à se rendre à Sainte-Hélène pour aller chercher les cendres du meurtrier du duc d'Enghien, son infortuné cousin...

Survient au mois d'août l'affaire de Boulogne, et la Gazette de France de dire (8 août 1840) : Dans quelle situation ne met-on pas les esprits en glorifiant un système et un homme, tandis que l'on jette en prison et que l'on provoque des peines contre le représentant du système et l'héritier de l'homme ? N'est-ce pas M. de Rémusat qui, en pleine Chambre, a appelé Napoléon le souverain légitime de la France ? Par quelle logique prouvera-t-on maintenant au prince Louis que ses prétentions sont illégitimes ?...

Rien de plus juste, de plus sensé que ces réflexions accablantes pour le gouvernement de Juillet.

Le même journal ajoute (10 août 1840) : Les aigles en même temps qu'elles monteront au Capitole paraîtront en cour d'assises, et l'on fera marcher de pair l'apothéose de l'oncle et une accusation de lèse-majesté contre le neveu, le tout par les soins d'un ministère qui est plus coupable que les accusés, car c'est lui qui a provoqué cette échauffourée par l'essor qu'il a donné aux idées napoléoniennes. M. Thiers, qui n'a pas vu qu'en allant chercher Napoléon à Sainte-Hélène il allait chercher le neveu de Napoléon à Londres, devrait figurer le premier sur la liste des accusés...

Le 30 novembre 1840, la frégate la Belle Poule, sous les ordres du prince de Joinville, arrivait à Cherbourg avec le corps de Napoléon, qui fut transporté par eau jusqu'à Courbevoie. Le 15 décembre avaient lieu les funérailles par un froid de 14 degrés. Le cortège se rendit aux Invalides par le pont de Neuilly, la route de Neuilly, les Champs-Elysées et la place de la Concorde. De distance en distance s'élevaient des colonnes triomphales supportant des aigles. Toute la garnison de Paris faisait la haie avec la garde nationale. Le char, traîné par seize chevaux avec housses dorées aux armes de l'Empereur, était large de cinq mètres, long de dix mètres et haut de onze mètres ; il portait un mausolée décoré du manteau impérial et soutenu par quatorze figures représentant nos principales victoires. Une population innombrable[32], composée de Parisiens et de provinciaux, était échelonnée sur tout le long du parcours. Aux Invalides, le Roi attendait. Après avoir reçu le corps, il fit déposer sur le cercueil par le général Bertrand l'épée, et par le général Gourgaud le chapeau de l'Empereur. Un orchestre de quatre cents musiciens se faisait entendre avec des chants auxquels prenaient part les artistes les plus célèbres de l'époque, Duprey, Tamburini, Rubini, Lablache, Levasseur, Mmes Grisi, Damoreau, Persiani, Dorus-Gras, Viardot, Garcia, Stolz. Tout ce qui restait des armées impériales, vieux soldats, anciens officiers, en uniforme, maréchaux de l'Empire étaient là, après avoir fourni une escorte d'honneur qui n'avait pas été une des moindres causes de l'immense émotion de ce jour inoubliable, de ce jour unique dans l'histoire de France. Pour comprendre la prodigieuse élection du 10 décembre 1848 il faut se reporter à la politique de Louis-Philippe[33] et à certains événements de son règne, comme le retour des cendres.

Le National écrivait alors : ... Le plus bel ornement de ce cortège, c'était ce peuple entassé pour le voir passer, cette innombrable foule qui se découvrait et qui poussait avec unanimité le cri de : Vive l'Empereur !... Jamais spectacle plus sublime m'a frappé les regards humains... Aussitôt que l'on a vu cette bière... le silence a été soudain et profond. L'émotion, une émotion qu'on ne décrit pas quand on l'a sentie, a pénétré dans l'enceinte. Alors nous avons vu bien des larmes, nous avons entendu des sanglots étouffés ; et lorsque nous avons été placés nous-mêmes dans l'atmosphère que cette grande ombre agitait autour d'elle, il nous a semblé que nous sortions de ce monde et que nous étions entraînés dans l'infini !... Oui, voilà ce que disait le journal républicain. Qu'on juge par là de la portée de l'événement. Il faut entendre aussi la Gazette de France (16 décembre) : Aujourd'hui Napoléon revient après vingt-cinq ans. Il ne pourrait pas dire qu'il avait laissé la France victorieuse, mais il l'avait laissée grande au milieu de ses revers, et respectée de l'Europe qui était forcée de reconnaître sa puissance morale quand sa puissance matérielle était tombée. Il trouve encore comme sous le Directoire les dilapidations, la corruption, l'anarchie... et la France plus humiliée qu'elle ne l'était le 18 brumaire, car maintenant elle est déchue de son rang. Aujourd'hui l'image de Napoléon n'apparaît que pour accuser les gouvernants, pour faire ressortir toutes les misères de la situation... Tous ces symptômes d'atonie, de dissolution et de mort sont mis en évidence par le débarquement et par l'entrée triomphale — d'un cercueil. — Allez ! (n° du 17 décembre.) ! Napoléon vous contemple et vous demande comment de si grands qu'il vous fit vous êtes devenus si petits !... — Dans la Presse[34], Mme de Girardin, sous le pseudonyme de vicomte de Launay, s'écrie : Oui, c'était un beau spectacle que de voir ce peuple généreux, saluant avec amour le cercueil triomphal. Quel empressement ! quelle émotion ! Quatre heures d'attente sous la neige n'avaient découragé personne. On tremblait, on souffrait horriblement, n'importe, on restait là ! Quelques-uns risquaient leur pain ; un bras perclus, c'était la misère pour eux ; quelques-uns risquaient leur vie. Tous risquaient leur santé. N'importe. On attendait avec patience et courage. — Victor Hugo publie cette fameuse poésie : le Retour de l'Empereur.

Sire, vous reviendrez dans votre capitale,

Sans tocsin, sans combat, sans lutte et sans fureur,

Traîné par huit chevaux sous l'arche triomphale,

En habit d'Empereur !

Par cette même porte, où Dieu vous accompagne, Sire, vous reviendrez sur un sublime char,

Glorieux, couronné, saint comme Charlemagne

Et grand comme César !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Paris sur cent tours allumera des phares ;

Paris fera parler toutes ses grandes voix ;

Les cloches, les tambours, les clairons, les fanfares,

Chanteront à la fois !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En vous voyant passer, ô chef du grand Empire !

Le peuple et les soldats tomberont à genoux.

Mais vous ne pourrez pas vous pencher pour leur dire

Je suis content de vous !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sire, en ce moment-là vous aurez pour royaume

Tous les fronts, tous les cœurs qui battront sous le ciel ;

Les nations feront asseoir votre fantôme

Au trône universel !

Les poètes divins, élite agenouillée,

Vous proclameront grand, vénérable, immortel,

Et de votre mémoire, injustement souillée,

Redoreront l'autel.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous serez pour tout homme une âme grande et bonne,

Pour la France un proscrit magnanime et serein,

Sire, et pour l'étranger, sur la haute colonne,

Un colosse d'airain !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Oh ! t'abaisser n'est pas facile,

France, sommet des nations !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La France est la tête du monde,

Cyclope dont Paris est l'œil !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dieu, quand l'Europe te croit morte,

Prend l'Empereur et te l'apporte,

Et fait repasser sous ta porte

Toute ta gloire en un seul jour !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Toi, héros de ces funérailles,

Roi ! génie ! empereur ! martyr !

Les temps sont clos ! dans nos murailles

Rentre pour ne plus en sortir !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Toi qui, dans ta force profonde,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Voulais donner ta forme au monde.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tu voulais, versant notre sève

Aux peuples trop lents à mûrir,

Faire conquérir par le glaive

Ce que l'esprit doit conquérir.

Sur Dieu même prenant l'avance,

Tu prétendais, vaste espérance,

Remplacer Rome par la France

Régnant du Tage à la Neva ;

Mais de tels projets Dieu se venge.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Jacob ne luttait qu'avec l'ange,

Tu luttais avec Jéhova !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

Et en revenant des Champs-Elysées le poète écrit encore :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Que le peuple à jamais te garde en sa mémoire,

Jour beau comme la gloire[35].

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

De son côté, le prince Louis envoyait aux journaux la lettre suivante :

Pendant qu'à Paris on déifie les restes mortels de l'Empereur, moi, son neveu, je suis enterré vivant dans une étroite enceinte, mais je me ris de l'inconséquence des hommes et je remercie le Ciel de m'avoir donné comme refuge, après tant d'épreuves cruelles, une prison sur le sol français. Soutenu par une foi ardente et une conscience pure, je m'enveloppe dans mon malheur avec résignation, et je me console du présent en voyant l'avenir de mes ennemis écrit en caractères ineffaçables dans l'histoire de tous les peuples.

 

Le 15 décembre, il adressait de la citadelle de Ham aux mânes de l'Empereur l'invocation suivante :

Sire, vous revenez dans votre capitale, et le peuple en foule salue votre retour... Le peuple se presse comme autrefois sur votre passage, il vous salue de ses acclamations comme si vous étiez vivant ; mais les grands du jour, tout en vous rendant hommage, disent tout bas : Dieu ! ne l'éveillez pas !... Voyez cette jeune armée, ce sont les fils de vos braves, ils vous vénèrent, car vous êtes la gloire, mais on leur dit : Croisez vos bras ! Ces hommes que vous avez faits si grands et qui étaient si petits ont renié votre évangile, vos idées, votre gloire, votre sang ; quand je leur ai parlé de votre cause, ils nous ont dit : Nous ne la comprenons pas ! — Laissez-les dire, laissez-les faire ; qu'importe au char qui monte les grains de sable qui se jettent sous les roues ! Ils ont beau dire que vous êtes un météore qui ne laisse pas de traces ! Ils ont beau nier votre gloire civile ; ils ne nous déshériteront pas !

Sire, le 15 décembre est un grand jour pour la France et pour moi. Du milieu de votre somptueux cortège, vous avez un instant jeté vos regards sur ma sombre demeure, et vous souvenant des caresses que vous prodiguiez à mon enfance, vous m'avez dit : Tu souffres pour moi, ami, je suis content de toi !

 

Cette lettre, le Roi et tous les hommes politiques l'accueillirent par un haussement d'épaules, en disant : C'est un fou ! Le peuple la salua d'une larme, en disant : C'est bien l'héritier de l'Empereur !

 

 

 



[1] 1817. C’était aussi, l'année précédente, 1816, la Cocarde blanche :

On répétera dans l'histoire

Qu'aux pieds des Cosaques du Don,

Pour nos soldats et pour leur gloire,

Nous avons demandé pardon.

Appuis de la noblesse antique,

Buvons, après tant de dangers,

Dans ce repas patriotique,

Au triomphe des étrangers.

[2] Quand secouerai-je la poussière

Qui ternit ses nobles couleurs ?

[3] C'étaient encore les Adieux à la gloire (1820) :

Un peuple brave

Retombe esclave.

Adieu donc, pauvre gloire.

[4] Histoire de Louis-Philippe, par Alexandre DUMAS, t. I, p. 157. — Histoire de Louis-Philippe, par CRÉTINEAU-JOLY, t. I, p. 273.

[5] Mémoires de M. Gisquet, préfet de police (1840), t. I, p. 260, 261.

[6] Mémoires de M. Gisquet, préfet de police, t. I, p. 349, 350.

[7] Mémoires, t. I, p. 351.

[8] Paris, 1836, Ambroise Dupont, éditeur, 7, rue Vivienne.

[9] Baptiste CAPEFIGUE, L'Europe depuis l'avènement du roi Louis-Philippe.

[10] Voir L'histoire par le théâtre (1789-1851), de Théodore MURET, t. III.

[11] Au théâtre Comte, on donnant un Napoléon pour les enfants avec des marionnettes.

[12] Avec Frederick Lemaitre.

[13] Théodore MURET, L'histoire par le théâtre, t. III.

[14] Théodore MURET, L'histoire par le théâtre, t. III.

[15] Transportée en 1864 à Courbevoie et remplacée par une statue de Dumont reproduisant le Napoléon en costume romain de Chaudet, détruit en 1814.

[16] Voir le Moniteur du 8.

[17] GISQUET, Mémoires, t. II, p. 117

[18] Voir la Revue de l'Empire. Ch.-Éd. Temblaire, année 1845, n° IV.

[19] Voir le Moniteur du 24 mars 1844.

[20] Voir le Moniteur du 18 avril 1847.

[21] 4 octobre 1847. (Voir la Revue de l'Empire, t. V.)

[22] Revue de l'Empire, t. V.

[23] ... Mais que dire du titre d’Empereur légitime, que M. de Rémusat a si généreusement départi à Napoléon Ier ? Si M. de Rémusat a eu raison, il est clair que Louis Bonaparte n'a point eu tort. (Metternich à Apponyi 20 août, Mémoires, t. VI.)

[24] Voir Histoire de huit ans, par Elias REGNAULT, 1840-1848.

[25] Le corps d'un ennemi mort sent toujours bon.

[26] Voir aussi la lettre écrite par Louis-Philippe à l'évêque de Landoff, à l'occasion de l'oraison funèbre du duc d'Enghien, prononcée par ce prélat, et où il traite encore Napoléon Ier d'USURPATEUR CORSE.

[27] Donnez en quelque sorte une âme à la colonne Vendôme, en faisant animer son bronze glorieux par l'ombre du grand Empereur, c'est là une idée grande et poétiquement belle. (Le Messager, organe de Thiers.)

[28] Les journaux annoncent, par exemple, une nouvelle édition de Napoléon, par M. de NORVINS, illustrée par RAFFET, en 80 livraisons à 0 fr. 25 ; ils insèrent une réclame au sujet de l'Histoire de Napoléon, par M. LAURENT de l'Ardèche illustrée par Horace VERNET ; les pièces de vers et les publications sur Napoléon vont pulluler jusqu'à la fin de l'année.

[29] Voir encore le numéro du 31 mai 1840.

[30] L'épée d'Austerlitz, deux paires de pistolets, une épée en forme de glaive, un sabre ayant appartenu à Jean Sobieski, un poignard donné par le Pape au grand maître de Malte. Le général Montholon avait remis à Londres au prince Louis la plaque et le grand cordon de la Légion d'honneur que l'Empereur portait en revenant de l'île d'Elbe.

[31] Quelques jours après, le 12 juin, le général Bertrand remettait à la Ville de Paris le nécessaire de l'Empereur. Messieurs, dit-il au conseil municipal, c'est entrer dans les vues du grand Napoléon, que d'offrir le nécessaire en vermeil qui fit partie de ses équipages de campagne à la Ville de Paris, dont il ambitionnait tant de mériter les suffrages... Et le préfet de répondre : ... En même temps qu'il portait au loin la gloire et la puissance du nom français, il s'occupait de doter Paris de tous les monuments qui pouvaient assurer sa splendeur et sa prospérité... Voici, dans cet Hôtel de ville déjà si riche en souvenirs, un nouveau palladium...

[32] Les fenêtres étaient louées jusqu'à 100 francs ; un balcon était payé 3.000 francs. Ces prix, qui aujourd'hui encore seraient très élevés, étaient fabuleux pour l'époque.

[33] Vous pouvez bien vous vanter de faire partie d'une nation de baladins, et de baladins de la plus mauvaise école... (Lettres de M. Ximenès Doudan, t. I, édit. de Calmann-Lévy, 1819.) — ... On s'est indigné beaucoup de ce que, parmi les statues qui faisaient la haie,... on ait placé celle du grand Condé, à cause de la condamnation du duc d’Enghien, et en effet on avait donné l'air tout désolé au vainqueur de Rocroy attendant la au passage le vainqueur d'Iéna. (Ibid., 18 décembre, à Mme de Staël.)

[34] Lettre parisienne du 20 décembre.

[35] Autrefois il avait dit, dans une ode intitulée Buonaparte :

Un homme alors...

Paraît comme un fléau vivant !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Parfois élus maudits de la fureur suprême,

Entre les nations des hommes sont passés.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ces envoyés du ciel sont apparus au monde

Comme s'ils venaient de l'enfer !

M. de Metternich écrivait de Vienne à M. de Sainte-Aulaire, le 24 décembre 1840 : La grande journée... a déjà inspiré de bien mauvais vers à quelques poètes. Si Victor Hugo est fier de sa découverte que la France est un cyclope dont Paris est l'œil, grand bien lui fasse ! En acceptant l'hyperbole, je désire que l'œil voie clair, et alors tout ira bien. (Mémoires du prince de Metternich, t. VI, p. 159.)