NAPOLÉON III AVANT L'EMPIRE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE PREMIER. — LE PRINCE DU 20 AVRIL 1808 JUSQU'EN 1836.

 

 

Sa naissance. — Ses frères. — Son acte de naissance. — Ses prénoms ; sa signature. — Le roi de Hollande n'assiste à aucune cérémonie. — L'amiral Verhuel. — Baptême. — Vie errante de la reine Hortense. — Le château d'Arenenberg. — Mlle Cochelet. — Précepteurs. — La reine Hortense est une mère modèle. — Intelligence précoce du prince ; son caractère doux, mais entêté ; son silence ; sa bonté ; son courage. — Il est attachant comme il devait l'être toujours et irrésistiblement. — Son adresse dans tous les exercices du corps. — Se destine à l'artillerie. — Se fait d'abord attacher à un régiment badois en garnison à Constance, puis au camp suisse de Thun. — 1834, capitaine d'artillerie de l'armée suisse. — Auparavant, après s'être trouvé à Rome au moment de la révolution de 1830, avait pris part à l'insurrection des Romagnes, puis avait traversé la France ; incidents de ce voyage ; rapports du prince avec les républicains. — L'insurrection polonaise lui demande de se mettre à sa tête ; son refus. — 22 juillet 1832, mort du duc de Reichstadt ; le prince se considère comme l'héritier de l'Empereur ; quid des autres Bonaparte ? — Le sénatus-consulte de l'an XII. — Lettres du prince, où il expose que Napoléon Ier a sauvé la liberté et est vraiment l'homme du peuple ; — où il déclare (avec quelle vérité !) qu'il ne suit que les inspirations de sa conscience ; — où il dément son mariage avec la reine de Portugal. — 1835. Le prince fait la connaissance de M. de Persigny. — La Bévue de l'Occident.

 

Le mercredi 20 avril 1808, à une heure du matin, naissait à Paris, rue Laffitte, alors rue Cerutti, au n° 8, par les soins du chirurgien Baudelocque, un prince, issu de Louis Bonaparte, roi de Hollande[1], et de Hortense-Eugénie de Beauharnais. C'était leur troisième fils. L'aîné, Napoléon-Charles, né le 10 octobre 1802, était mort à la Haye en 1807 ; le second, Charles-Napoléon-Louis, né le 11 octobre 1804, devait mourir à Forli en Italie dans le cours de l'année 1831.

A cinq heures du soir l'acte de naissance[2] fut dressé par Son Altesse Sérénissime le prince archichancelier, assisté de Son Excellence M. Regnaud de Saint-Jean d'Angély, ministre d'État et secrétaire de l'état de la famille impériale, en présence de deux témoins, Son Altesse Sérénissime le prince architrésorier et Son Altesse Sérénissime le prince vice-grand électeur, et des personnes suivantes : Madame mère, la reine de Hollande, la grande-duchesse de Berg, le cardinal Fesch et l'amiral Verhuel[3], ambassadeur du roi de Hollande. En l'absence de l'Empereur le nouveau-né ne reçut alors aucun prénom. C'est le 2 juin[4] que, suivant la volonté de Napoléon Ier, il reçut les prénoms de Charles-Louis-Napoléon, en vertu d'un acte dressé en présence du cardinal Fesch, grand aumônier, du comte de Ségur, grand maître des cérémonies, témoins appelés en raison de l'absence de tous les princes du sang et de l'Empire, et aussi devant Madame mère, la reine de Hollande, la grande-duchesse de Berg, l'amiral Verhuel.

Le roi de Hollande n'assistait ni à la naissance ni à la cérémonie d'ailleurs peu importante du 3 juin, et les actes officiels ne portent pas qu'il y fut représenté. On peut cependant considérer comme l'ayant représenté l'amiral Verhuel, à qui l'on a attribué la paternité du prince. L'absence répétée du roi Louis impliquait-elle un désaveu de paternité ? Cette induction serait excessive. La question s'est posée[5] parce que les relations du roi et de la reine étaient loin d'être, à cette époque, celles de deux tendres époux, que même, pour dire le mot, ils faisaient assez mauvais ménage ; parce que la reine Hortense était une femme langoureuse, passionnée, fantasque, susceptible d'inspirer comme de recevoir ce qu'en amour on appelle le coup de foudre, et parce que, à l'époque de la conception, l'amiral, — qui était un bel homme par parenthèse, — se trouvait en même temps qu'elle dans les Pyrénées. Mais le roi y était aussi, et s'il ne vint pas à Paris ni avant, ni pendant, ni après les couches de sa femme, c'est qu'il était fort contrarié, paraît-il, qu'elles n'eussent pas lieu à la Haye. Il ne faut pas oublier que la reine Hortense venait de perdre son fils aîné, qu'elle en avait été profondément désolée, qu'on l'avait précisément envoyée aux eaux des Pyrénées pour rétablir sa santé sérieusement ébranlée par son malheur, et qu'elle ne devait être, ni physiquement ni moralement, dans une disposition à prendre un amant. Il ne suffit pas d'établir qu'une femme a reçu un homme au moment de la conception d'un enfant pour prouver qu'il y a eu entre eux des relations adultérines. A ce compte-là, il n'est pas de femme qu'on ne pourrait calomnier.

Le prince Louis[6] fut baptisé en 1810, à Fontainebleau, par le cardinal Fesch, son grand-oncle, frère de Lætitia Ramolino, sa grand'mère. Il eut pour parrain Napoléon Ier et pour marraine l'impératrice Marie-Louise.

Après la chute de l'Empire, la reine Hortense quitta bientôt la France et, accompagnée de son fils, séjourna successivement à Genève, à Aix en Savoie, à Carlsruhe, à Augsbourg où il suit les cours d'un collège. Après cette vie errante, elle se fixe enfin en Suisse, dans le canton de Thurgovie, où, en 1817, elle achète, pour 30.000 florins, le château d'Arenenberg. Il était situé sur une colline magnifiquement boisée, à quatre cent cinquante-huit mètres au-dessus du niveau de la mer, au territoire du hameau de Marmenbach dépendant de la commune de Sallenstein. Ce manoir, nommé autrefois Narrenberg (montagne des fous) et devenu par altération Arenenberg, s'élevait non sur le lac de Constance proprement dit, mais sur ce qu'on appelle le lac inférieur, compris entre Constance et Schaffhouse, épanouissement du Rhin au sortir du lac, en réalité sur la rive gauche de ce fleuve, dans un site charmant, en face de l'île badoise de Reichenau. Mlle Cochelet, lectrice de la reine, acheta en même temps le castel voisin de Sandegg, pour ensuite, après avoir épousé M. Parquin[7], que nous trouverons au premier rang parmi ces admirables amis du prince, se fixer non loin de là au château de Wolfsberg.

Le prince eut pour précepteurs ou professeurs l'abbé Bertrand, l'helléniste Hase, le colonel Armandi, M. Philippe Lebas, M. Gastard, le général Dufour, M. Vieillard. Mais sa mère veilla toujours avec beaucoup de sollicitude sur son éducation et sur son instruction première. Son fils était, d'ailleurs, sa préoccupation principale, presque exclusive. Elle lui donnait elle-même des leçons de dessin et de danse. Le soir, ordinairement après le dîner et jusqu'à l'heure du coucher, la reine ou Mlle Cochelet faisait une lecture appropriée à l'âge du prince et se rattachant autant que possible à ses études du moment, par exemple celle d'un voyage dans une partie du monde qu'il était en train d'apprendre ou celle d'un trait célèbre, d'un acte mémorable se rapportant à l'histoire qu'il devait alors savoir. Chaque semaine, la reine lui consacrait même un jour entier, le samedi, pour procéder à une récapitulation de toutes les leçons es huit derniers jours ; en outre, elle l'interrogeait sur le latin, et, sans être une bien forte latiniste, elle savait, paraît-il, se rendre parfaitement compte si l'enfant répondait bien ou mal[8].

Il donnait d'ailleurs tout contentement à sa mère. Chez lui l'intelligence était précoce ; son esprit était toujours en éveil ; il avait réponse à tout et, en cela, se montrait au-dessus de son âge ; en revanche, il interrogeait souvent et il ne voulait rien faire sans qu'on lui eût donné le pourquoi de ce qu'on exigeait de lui. Son caractère était doux, timide, renfermé ; s'il avait un défaut, c'était de ne jamais céder ; aussi sa mère, comme nous l'avons dit, l'appelait-elle un doux entêté ; ce doux entêtement, il l'eut toujours, c'est ce qui fit son succès et c'est ce qui causa sa perte ; il parlait peu, mais il ne disait rien qui ne fût aussi heureusement tourné que raisonnablement pensé. Déjà sa bonté s'affirmait, cette bonté qui ne le quitta jamais, qui lui fit des amis si dévoués et si fidèles, qui résista à toutes les épreuves de la vie et qui ennoblit toute son existence. C'est ainsi qu'il fut un jour si affligé du départ de son frère aîné qu'il en tomba malade. Un après-midi[9], c'était en plein hiver, la reine Hortense le voit arriver sans veste et sans chaussures ; il était en manches de chemise et marchait les pieds nus dans la neige. Il avait rencontré une famille de malheureux en haillons et grelottants ; n'ayant pas d'argent, et n'admettant pas qu'on pût passer à côté de ces pauvres gens sans rien leur donner, il n'avait pas hésité à se déshabiller en plein champ pour eux. — Déjà il montrait ce sang-froid et ce courage dont plus tard il donna tant de preuves. Une fois il arrêta des chevaux emportés au risque de sa vie. Une autre fois[10], étant à Manheim, chez sa tante la grande-duchesse de Bade, il se promenait avec les princesses Joséphine et Marie de Bade, ainsi qu'avec la princesse Wasa ; alors qu'on se trouvait au confluent du Rhin et du Necker, une fleur se détacha des cheveux de cette dernière et tomba dans l'eau. Immédiatement le prince, malgré la rapidité du courant, sans dire un mot et sans prendre le temps d'ôter un seul vêtement, s'élance dans la rivière et, après avoir nagé quelques instants, rapporte la fleur à la princesse.

C'était aussi le plus aimable et le plus séduisant enfant qu'on pût rencontrer. Quand on l'avait vu, on s'attachait à lui ; le jeune homme ensuite et l'homme fait plus tard devaient exercer la même séduction. Il n'était pas seulement un remarquable nageur[11], il était très fort dans tous les exercices du corps, c'était un excellent tireur[12], un excellent gymnaste, un excellent cavalier. Pour en arriver là il avait dû réagir contre sa nature efféminée et déployer une énergie et une volonté peu communes.

Après avoir achevé ses études, il songea à l'armée, et particulièrement à l'artillerie. (Son oncle n'avait-il pas été artilleur ?) Il commença par suivre les exercices d'un régiment badois en garnison à Constance ; puis il fit ses premières armes au camp fédéral de Thun, sous la direction du général Dufour. En 1834 il était capitaine au régiment d'artillerie de Berne. Il écrivait alors au président du gouvernement bernois : Je reçois à l'instant le brevet qui m'apprend que le conseil exécutif de la république de Berne m'a nommé capitaine d'artillerie. Je m'empresse de vous en exprimer mes remerciements, car vous avez entièrement rempli mon désir. Ma patrie, ou plutôt le gouvernement de la France me repousse parce que je suis neveu d'un grand homme. Vous êtes plus juste à mon égard. Je suis fier de compter parmi les défenseurs d'un État où la souveraineté du peuple est reconnue comme base de la Constitution, et où chaque citoyen est prêt à se sacrifier pour la liberté et l'indépendance de son pays.

Au moment de la révolution de Juillet le prince était à Rome avec sa mère. Il prend part à l'insurrection des Romagnes avec son frère aîné, qui, nous le rappelons, fut tué à Forli. Lui-même, obligé de se cacher à Ancône, éprouve beaucoup de difficultés à sortir d'Italie. Il arrive à Paris, accompagné de la reine Hortense[13] qui se rend aux Tuileries pour remercier le Roi de l'autorisation qui leur a été accordée de traverser la France. Le lendemain[14], au conseil des ministres, M. Casimir Périer dit à Louis-Philippe : La duchesse de Saint-Leu[15] ne vous a-t-elle pas présenté les excuses de son fils retenu dans la chambre par une indisposition ? — En effet ! — Eh bien, rassurez-vous, il n'est pas malade. A l'heure même où Votre Majesté recevait la mère, le fils était en conférence avec les principaux chefs du parti républicain et cherchait avec eux le moyen de renverser plus sûrement votre trône. Ces rapports du prince avec les républicains ne sont pas contestables, et ils ont plus ou moins existé jusqu'au mois de décembre 1848.

De retour en Suisse, au mois d'août 1831, le prince reçoit une députation de Polonais qui vient lui demander de se mettre à la tête de la nation insurgée contre l'occupation étrangère. Elle lui remet, au nom du général Kniarewiez, du comte Plater et autres, une lettre du 28 août, ainsi conçue : ... A qui la direction de notre entreprise pourrait-elle mieux être confiée qu'au neveu du plus grand capitaine de tous les siècles ? Un jeune Bonaparte apparaissant sur nos plages, le drapeau tricolore à la main, produirait un effet moral dont les suites sont incalculables. Allez donc, jeune héros, espoir de notre patrie ; confiez à des flots qui connaîtront votre nom la fortune de César et, ce qui vaut mieux, les destinées de la liberté. Vous aurez la reconnaissance de vos frères d'armes et l'admiration de l'univers.

Le prince refuse. Était-ce par un pressentiment de l'avenir ? Quoi qu'il en soit, l'année suivante, le 22 juillet 1832, le fils de Napoléon Ier, le duc de Reichstadt, venant à mourir à Vienne, le prince se considéra comme l'héritier de l'Empereur. Le prince Eugène de Beauharnais, fils adoptif de Napoléon, était mort en 1824. Lucien Bonaparte avait été exclu de la couronne impériale. Louis et Joseph y avaient renoncé de fait. Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII portait, art. 5 : A défaut d'héritier naturel ou légitime ou d'héritier adoptif de Napoléon Bonaparte, la dignité impériale est dévolue et déférée à Joseph Bonaparte... — Art. 6 : A défaut de Joseph Bonaparte et de ses descendants mâles, la dignité impériale est dévolue et déférée à Louis Bonaparte et à ses descendants naturels et légitimes[16]...

Le prince songe alors au rôle qu'il peut être appelé à remplir de chef du gouvernement de la France. La politique devient l'objet de ses études et de ses méditations, et il publie, comme nous le verrons plus tard, plusieurs écrits, notamment les Rêveries et un Projet de Constitution. Il recherche dans des lettres particulières l'occasion de donner sa pensée politique. Il se met en rapport avec les hommes considérables du temps, il voit La Fayette[17], qui l'engage à saisir l'occasion de revenir en France, car le gouvernement ne pourra se soutenir, et son nom est le seul populaire, ajoutant qu'il lui prêterait son concours. Il voit Chateaubriand[18], qui, s'exprime ainsi sur le compte du prince : C'est un jeune homme studieux, instruit, plein d'honneur et naturellement grave. Il attend, avec les jeunes années, dans le silence de l'exil, l'affranchissement de sa patrie. Il écrit à l'auteur d'un ouvrage sur Napoléon[19] : ... Je ne partage sous aucun rapport vos opinions sur l'Empereur. Je suis convaincu que Napoléon a été utile à la cause de la liberté et a sauvé la liberté en abolissant les formes légales, arbitraires et surannées, et en mettant les institutions de son pays en harmonie avec les progrès du siècle. Issu du peuple, il fallait qu'il favorisât la civilisation, tandis que l'autorité qui n'est point basée sur l'élection populaire est naturellement portée à en arrêter les progrès. C'est ce que le peuple a compris, et, comme Napoléon faisait tout pour le peuple, le peuple, à son tour, faisait tout pour Napoléon. Qui l'a élevé à la dignité de Consul ? le peuple. Qui l'a proclamé Empereur par quatre millions de suffrages ? le peuple. Qui l'a ramené en triomphe de l'île d'Elbe à Paris ? le peuple. Quels étaient les ennemis de Napoléon ? les oppresseurs du peuple. Voilà pourquoi son nom était si cher à la masse du peuple et pourquoi son portrait qui se trouve dans chaque cabane est un objet de vénération. Excusez-moi si je parle si longuement de mon oncle ; mais j'adore Napoléon et la liberté !... Arenenberg, juin 1834. — Voilà bien le fond de sa pensée, entre Napoléon et le peuple il y a une mutuelle et indéfectible adoration, et, d'autre part, le triomphe de l'idée napoléonienne est celui de la liberté. — Il écrit encore[20] : ... Quant à ma position, croyez que je la comprends bien, quoiqu'elle soit très compliquée. Je sais que je suis beaucoup par mon nom, rien encore par moi-même ; aristocrate par naissance, démocrate par nature et par opinion ; devant tout à l'hérédité et réclamant tout de l'élection... c'est parce que je connais toutes les difficultés qui s'opposeraient à mes premiers pas dans une carrière quelconque que j'ai pris pour principe de ne suivre que les inspirations de mon cœur, de ma raison, de ma conscience... in efforçant ainsi de m'élever assez haut pour qu'un des rayons mourants du soleil de Sainte-Hélène puisse encore m'éclairer. L'hérédité et l'élection, ces deux termes incompatibles, se concilient sans peine[21] dans sa foi napoléonienne.

A la fin de l'année 1835, les journaux annoncent le mariage du prince avec la reine de Portugal doña Maria. Il s'empresse alors d'écrire[22] : ... Mon père m'a prouvé par son grand exemple (abdication de 1810) combien la patrie est préférable à un trône étranger. Je sens en effet qu'habitué dès mon enfance à chérir mon pays par-dessus tout, je ne saurais rien préférer aux intérêts français. Persuadé que le grand nom que je porte ne sera pas toujours un titre d'exclusion aux yeux de mes compatriotes, puisqu'il leur rappelle quinze années de gloire, j'attends avec calme... que le peuple rappelle dans son sein ceux qu'exilèrent en 1815 douze cent mille étrangers. Cet espoir de servir un jour la France, comme citoyen et comme soldat, fortifie mon âme et vaut, âmes yeux, tous les trônes du monde.

Quelques mois auparavant, le prince avait fait par l'entremise de M. Belmontet la connaissance de M. de Persigny[23], qui devait jouer un si grand rôle dans l'histoire du bonapartisme. Il mit au service de la cause napoléonienne un dévouement sans bornes, une foi sans pareille et un extraordinaire esprit de résolution. C'était, au fond, un illuminé, et sa force venait de là. On ne saurait dire que Louis Bonaparte n'eût pas rempli sa destinée sans M. de Persigny, mais il faut reconnaître qu'il lui dut beaucoup. Ils avaient alors tous les deux le même âge, vingt-trois ans. Après avoir collaboré au Courrier français et au Temps, M. de Persigny fondait, à cette époque, la Revue de l'Occident, avec, pour épigraphe, ces paroles de Napoléon Ier : J'ai dessouillé la Révolution, ennobli les peuples et raffermi les rois. Il n'y eut qu'un seul numéro, où il disait : A nous l'idée napoléonienne ! En cette impériale idée résident la tradition tant cherchée du dix-huitième siècle, la vraie loi du monde moderne et tout le symbole des nationalités occidentales... Le temps est venu d'annoncer par toute la terre européenne cet Évangile impérial qui n'a point encore eu d'apostolat ! le temps est venu de relever le vieux drapeau de l'Empereur, non seulement l'étendard de Marengo et d'Austerlitz, mais celui de Burgos et de la Moskowa. L'Empereur, tout l'Empereur ![24]

 

 

 



[1] Cinquième enfant et quatrième fils de Charles-Marie Bonaparte et de Marie-Laetitia Ramolino. Frère de l'empereur Napoléon Ier. Roi de Hollande de 1806 à 1810. Mort à Livourne le 24 juillet 1846, après avoir porté depuis la chute de l'Empire le titre de comte de Saint-Leu.

[2] Voir la Gazette nationale ou Moniteur universel du jeudi 21 avril 1808.

[3] Au Moniteur du 21 avril avec un V, à celui du 3 juin avec un W.

[4] Moniteur du 3 juin.

[5] Dans le numéro d'août 1894 d'une revue anglaise, the Fortnightly Review, figure un article, signé W. Graham, où il est dit que le roi Louis aurait écrit au Pape, vers 1831, que le futur Napoléon III n'était pas son fils. Cette affirmation n'est pas documentée ; elle n'est appuyée à aucune preuve. Comme on le verra dans le cours de cette histoire, le roi Louis a constamment traité le prince comme son fils. L'article de M. Graham ressemble à ces libelles sans nom qui ont pullulé à certaines époques sur la famille Bonaparte. M. F. Giraudeau vient de publier (voir le Figaro des 8, 12 et 15 décembre 1894) plusieurs lettres à cet égard tout à fait démonstratives. — Lettre du roi Louis au prince, 9 avril 1821, au sujet de sa première communion : ... Je te donne ma bénédiction de tout mon cœur..., et je te renouvelle dans cette occasion solennelle la bénédiction paternelle que je te donne par la pensée chaque matin, chaque soir, et toutes les fois que mon imagination se porte vers toi. Il ne faut pas douter de sa paternité pour écrire une pareille lettre. — Six ans après, 17 novembre 1827, le prince écrit au roi Louis : ... Plus je deviens grand, plus je sais apprécier mon bonheur d'avoir un aussi bon père qui m'instruit par ses conseils. — Le 19 janvier 1829, il mande à son père son désir de s'enrôler dans l'armée russe contre les Turcs : ... Mon cher papa, j'ai pris un grand parti. Permettez que je vous le dise à vous que j'aime de tout mon cœur et qu'avant tout je demande votre permission... En faisant cette campagne, j'aurai l'avantage... de montrer au monde le courage que j'ai reçu de vous en naissant. Ma tante la grande-duchesse de Bade... m'avait bien engagé à vous en demander la permission, disant que c'était une action bien digne de quelqu'un qui est votre fils. — Et le Roi ayant refusé, le prince lui écrit, le 3 mars 1829 : Mon cher papa, croyez à mon sincère attachement ; je vous en ai donné une véritable preuve en renonçant à mon projet, car si je ne vous avais pas tant aimé, je n'aurais pas pu résister au désir de l'accomplir, même contre votre volonté. — Dans une brochure sur la Suisse, il a été amené à s'expliquer sur la conduite du roi Louis en Hollande, et alors, le 14 août 1833, il lui écrit : ... J'espère, mon cher papa, que ce jugement de ma part sur votre conduite ne vous déplaira pas, et que vous trouverez naturel que je défende ce que j'ai de plus cher au monde... — Le 19 décembre 1833, le roi Louis termine ainsi une lettre : Adieu, mon ami, je t'embrasse de tout mon cœur. Ne doute jamais de mon attachement... — Le 17 février 1834, il lui écrit : Je me souviens avec orgueil qu'un jour, auprès du lit de ta grand'maman, tu fus peiné et affligé de voir que des propos d'intérêt pécuniaire se mêlaient aux expressions de 1 amour filial... Oh ! papa, me dis-tu, il ne faudrait pas que les enfants héritassent jamais de leurs parents... Ce propos fait honneur à la sensibilité de ton cœur, mais le sentiment n'en est cependant pas juste... — Enfin, pour donner le dernier coup à la légende Verhuel (voir le Journal des Débats du mercredi 12 août 1846), il y a la volonté dernière d'un mourant, il y a le testament du roi Louis, qui se termine ainsi : ... Je laisse tous mes autres biens, mon palais de Florence, mon grand domaine de Civita-Nova, etc., tous mes biens meubles et immeubles, actions et créances, enfin tout ce qui, à l'époque de mon décès, constituera mon héritage, à mon héritier universel, Louis-Napoléon, seul fils qui me reste, et auquel fils et héritier je laisse, comme témoignage de ma tendresse, ma Dunkerque placée dans ma bibliothèque, avec toutes les décorations... et tous les souvenirs qu'elle contient ; et comme témoignage encore plus particulier d'affection, je lui laisse tous les objets qui ont appartenu à mon frère l'empereur Napoléon, lesquels sont renfermés dans le petit meuble consacré à cet effet... (Fait à Florence, le 1er décembre 1845.)

[6] C’était son véritable prénom, celui qu’employaient sa mère, ses parents, ses amis, sous lequel il a toujours été connu et désigné. Il a signé : Napoléon-Louis depuis la mort de son frère, en 1831, jusqu'en 1848. A partir de cette époque et jusqu'à l'Empire, il a signé : Louis-Napoléon (Voir, sur ce point, ce que disent : 1° M. Armand LAITY dans sa Relation historique des événements du 30 octobre 1836. Paris, librairie Thomassin et Cie, 1838 ; 2° M. Eugène ROCH dans son livre sur l'Insurrection de Strasbourg. Paris, 1837, au bureau de l'Observateur des tribunaux ; 3° dans les Nouveaux Mémoires d'un bourgeois de Paris, par le docteur L. VERON, 1866, une lettre du prince à M. Belmontet, datée d'Arenenberg, 7 janvier 1834. Si l'aîné de la famille ou celui qui était considéré comme son chef devait, suivant la volonté de l’Empereur, — à ce qu’on a prétendu, — s'appeler d’abord Napoléon, pourquoi revenir, à partir de 1848 et sous toute la présidence, à l’ordre établi par l'acte de naissance ?

[7] Elle mourut le 7 mai 1835 Elle avait été élevée à Saint-Germain par Mme Campan, et c'est là qu'elle avait fait la connaissance d'Hortense de Beauharnais.

[8] Voir passim, Mémoires sur la reine Hortense et la famille impériale, par Mlle COCHELET, lectrice de la reine. Paris, Ladvocat, libraire-éditeur, nov. 1836.

[9] Voir le Moniteur du soir, fin septembre 1850, feuilleton : Souvenirs d'une ancienne femme de chambre de la reine Hortense.

[10] Voir Lettres de Londres, 1840, p. 13 à 17.

[11] Il traversait à la nage le lac de Constance.

[12] Chaque année il remportait des prix au tir fédéral. Très fort aussi dans le maniement des armes, surtout dans le combat à la lance à la manière polonaise. (Voir Procès du prince, 1840. Bobaire, éditeur.)

[13] Loge rue de la Paix, à l'hôtel de Hollande.

[14] Voir Lettre sur l'histoire de France, par le duc D'AUMALE.

[15] On a toujours dit que ce titre avait été donné à la reine Hortense par le roi Louis XVIII. C'est là une erreur. C’est un titre qu’elle a pris alors que son mari prenait celui de comte de Saint-Leu. Le roi Louis XVIII ne pouvait pas lui conférer et elle ne pouvait pas accepter un titre de duchesse, mais il paraîtrait que, sur l'intervention de l'empereur de Russie Alexandre, le roi aurait constitué le domaine de Saint-Leu en duché pour en assurer la pleine propriété à la reine, qui ne le détenait qu'a titre d'apanage. (Voir les Mémoires de Mlle Cochelet.) Nous n'avons rien trouvé ni au Moniteur, ni au Bulletin des lois, ni à la Bibliothèque nationale, ni aux Archives.

[16] Voir aussi le sénatus-consulte du 15 brumaire an XIII.

[17] Voir la Relation historique des événements de Strasbourg, par LAITY. Paris, Thomassin, 1838.

[18] Voir la Gazette de France du 4 décembre 1848.

[19] Lettre au docteur Coremans, juin 1834. (Voir l'Histoire de la première présidence du prince Louis-Napoléon Bonaparte, par Léo LESPÈS. 1852.)

[20] 30 janvier 1835. Lettre à M***, d'Arenenberg.

[21] Il est vrai que nous avons vu, hélas ! de nos jours, le comte de Paris, représentant du droit monarchique, accepter le principe du plébiscite.

[22] 14 décembre 1835. A propos de mariage, mentionnons que le Figaro du 13 avril 1894, dans un article sur le prince, raconte qu'au temps où il exerçait en Suisse les fonctions de capitaine d'artillerie, il s'éprit de la veuve d'un planteur mauricien, Mme S..., dont il demanda la main sans pouvoir l'obtenir.

[23] Jean-Gilbert-Victor Fialin, né à Saint-Germain l'Espinasse (Loire), le 11 janvier 1808. Boursier grâce à M. de Chabrol-Volvic, préfet de la Seine, au collège de Limoges. Engagé au 4e hussards. Elève de Saumur, maréchal des logis jusqu'en octobre 1831. Devise : Je sers. — Persigny était le nom d'une ancienne propriété de la famille de sa mère, dans la commune de Crémeaux en Forez.

[24] Il publia aussi, dans le Spectateur militaire, un travail sur les haras et remontes des États de la Confédération germanique. Plus tard, enfermé à la citadelle de Doullens, après l'affaire de Boulogne, il écrit (1844) une brochure : De la destination et de l'utilité des pyramides d'Egypte et de Nubie contre les irruptions sablonneuses du désert. (Mémoire adressé à l'Académie royale des sciences le 14 juillet 1844, suivi d'une nouvelle interprétation de la fable d'Osiris et d'Isis. 1845. Paris, à la librairie Paulin, 60, rue de Richelieu.)