RÉCITS DE L’HISTOIRE ROMAINE AU Ve SIÈCLE

 

CHAPITRE XII — THÉODORIC, ROI D’ITALIE.

 

 

Odoacre est vaincu une première fois sur les bords de l’Isonzo, une seconde fois prés de Vérone. — Théodoric occupe Milan et la Ligurie. — Trahison de Tufa. — Odoacre essaye d’entrer dans Rome qui lui ferme ses portes.- Il se relève et soutient la campagne. — Siège de Théodoric dans Pavie. — Odoacre est assiégé lui-même à Ravenne. — L’évêque de Ravenne concilie les deux rois. — Traité passé entre eux pour le partage du gouvernement. — Théodoric tue Odoacre, et se proclame roi d’Italie.

489 – 493

L’Isonzo, en langue latine Sontius, qui n’est aujourd’hui qu’un cours d’eau intermittent, était alors un fleuve large et abondant, alimenté par de vastes forêts défrichées depuis, et formait une limite digne de l’Italie. Un pont relié à la route militaire des Alpes Juliennes le traversait un peu au-dessus de son confluent avec les eaux torrentielles de la Rivière Froide. Ces contrées, dont la possession intéressait au plus haut point la liberté de l’Italie, avaient été bien des fois arrosées de sang romain ; plus d’une grande cause, à plus d’une époque, s’y était décidée par les armes. En 235, le sénat de Rome et les défenseurs du gouvernement civil y avaient abattu la tyrannie militaire, en la personne de l’empereur Maximin, élu de la plus vile soldatesque ; en 384, l’épée de Théodose y avait tranché contre le tyran Eugène un débat plus important pour l’avenir du monde, celui de savoir si l’Occident retournerait à ses anciens dieux ou resterait chrétien. Plus récemment, Attila, venu pour détruire Rome ou l’englober dans son empire asiatique, avait fait reposer ses bandes près du Sontius avant d’assiéger Aquilée. Aujourd’hui deux rois barbares, enfants de ces mêmes bandes, tous deux patrices romains et invoquant à l’appui de leurs prétentions le nom de l’empereur d’Orient, allaient s’y disputer la souveraineté de l’Italie et les débris du vieil empire d’Occident.

Le long voyage de Théodoric, ses marches et contremarches avaient donné au patrice. Odoacre tout le loisir nécessaire pour rassembler des forces et préparer une défense. Il avait convoqué les troupes barbares à la solde de l’empire, ainsi qu’une partie des milices italiennes. Chaque chef était accouru avec l’élite de ses hommes, et suivant le mot d’un contemporain, Odoacre comptait sous son drapeau presque autant de rois que de soldats[1]. Cette armée se réunit dans un grand camp retranché, construit à la manière romaine en deçà de l’Isonzo et qui n’était vraisemblablement qu’un ancien camp des légions préposées à la garde de la frontière[2]. Couvert par le fleuve, maître du pont et de la rive droite qu’il avait aussi fortifiée, le patrice attendait tranquillement son ennemi dans une position qu’il jugeait inexpugnable. A l’intérieur du camp, divisé par autant de quartiers que de nations, on voyait flotter sur les tentes des chefs barbares les pavillons ruge, hérule, scyre, turcilinge ou suève, et le labarum des Italiens sur le prétoire du roi patrice. Ce ramas d’étrangers, formidable en apparence, était faible en réalité ; les soldats ne s’aimaient pas, les chefs se jalousaient et se soupçonnaient mutuellement ; des discussions ardentes éclataient entre eux à tout propos : il y avait là une agglomération d’éléments discordants plutôt qu’une armée[3]. Odoacre, en cette circonstance, commit deux grandes fautes : la première de laisser aux Ostrogoths le temps de reprendre des forces, tandis qu’il eût pu les écraser à la descente des Alpes, quand ils arrivaient à demi morts de fatigue et de besoin ; la seconde, d’emprisonner toutes ses troupes dans une enceinte où elles se gênaient les unes les autres, lorsqu’il eût pu développer ses lignes à l’abri d’une rivière profonde. Mais le Ruge s’était probablement piqué d’honneur ; il jouait le rôle d’un général romain en face d’une invasion barbare, et voulait faire une guerre romaine : la suite prouva qu’il avait eu tort.

Cependant Théodoric se préparait de son côté. Ses hommes avaient pris du repos ; sa cavalerie et son bétail s’étaient refaits dans de gras pâturages, et sa Mille de chariots, fortifiée avec tout le soin possible, protégeait suffisamment les enfants et les femmes. Il ne lui restait plus qu’à combattre. Profitant de la nécessité où son ennemi s’était mis de recevoir la bataille, il la livra à son heure et selon qu’il lui plut. Au jour qu’il avait marqué, les Ostrogoths franchirent l’Isonzo sur plusieurs points à la fois et commencèrent l’investissement du camp. Tout, cela ne se fit pas sans d’énormes pertes en hommes et en chevaux ; niais la position tut enlevée. L’attaque du camp offrait encore de grands dangers ; les soldats d’Odoacre en dé, fendirent bien les approches, toutefois leur résistance fut plus vive que longue[4]. Habitués à combattre en rase campagne, ils se nuisaient dans leurs mouvements : chaque chef voulait commander pour son compte et à sa guise ; aucune subordination, aucune entente ne régnaient, parmi cette multitude épouvantée. Aussi quand les Ostrogoths eurent commencé l’assaut du rempart, Ruges, Turcilinges, Italiens, sortant par toutes les portes, se firent jour à travers les assiégeants, et gagnèrent, comme ils purent, la plaine et les bois voisins[5]. Le patrice lui-même, entraîné dans leur fuite, gagna Vérone à grand’peine, tandis que le roi goth prenait possession du camp abandonné, qui lui servit de boulevard au delà de l’Isonzo. Le premier pas de Théodoric en Italie était marqué par une victoire ; niais cette victoire, il la devait aux fautes de son adversaire, au moins autant qu’à son habileté et à son courage.

Plutôt dispersée que détruite, l’armée italienne se rallia sous les murs de Vérone, dont Odoacre avait fait sa place d’armes[6]. Des contingents levés dans la haute Italie, sur les deux rives du Pô, compensèrent largement les pertes qu’elle avait pu faire à la journée du Sontius. De meilleures dispositions se faisaient remarquer dans les esprits. La discorde cessait de diviser les chefs ; les soldats reprenaient courage ; et l’on finit par passer de l’abattement immodéré à l’excès contraire. Le roi patrice put croire, en effet, sa revanche assurée, lorsqu’il vit que Théodoric, au lieu de poursuivre sa victoire et d’entrer en Vénétie, faisait une nouvelle et longue halte sur la frontière ; or dans les conditions où se trouvaient les deux armées, c’était beaucoup pour Odoacre d’avoir gagné du temps.

La bataille s’était donnée le 28 d’août[7] : Théodoric resta près d’un alois clans le camp de l’Isonzo, sans oser aller plus avant. Malgré le titre de libérateur qu’il prenait vis-à-vis des Italiens, il ne s’apercevait point que les dispositions du pays lui fussent favorables. Il ne pouvait pas d’ailleurs s’aventurer au delà du Pô, en laissant Vérone derrière lui, et l’attaque d’une telle place l’effrayait. Il s’y résolut enfin, et vers le 20 septembre il se mit en route avec tout son peuple, s’avançant, à petites journées, par la voie romaine qui traversait Trévise et Vicence. Odoacre ne l’attendit pas dans Vérone. A l’ouest des coteaux où cette ville s’élève en amphithéâtre, s’étend une plaine de grandeur médiocre que limitent d’un côté les dernières élévations des Alpes, de l’autre le cours sinueux et profond de l’ Adige : elle portait alors le nom de Petit Champ de Vérone[8]. L’armée italienne y prit position, appuyant sa droite sur le fleuve, sa gauche aux collines du nord ; le patrice se plaça au centre, en couvrant son front de bataille d’un large fossé palissadé[9]. Si les guerriers barbares aimaient à déployer leurs lignes en rase campagne, le soldat italien ne se croyait en sûreté que derrière des fortifications ; il fallait qu’il eût en face de lui un fossé avec son revêtement de terre, des palissades de pieux, des claies d’osier, en un mot tout le vieil attirail de la castramétation romaine. La confiance ou plutôt une jactance superbe régnait dans toute cette armée. On était sûr de la victoire, on se partageait déjà les dépouilles des Goths. Si la langue et non le bras gagnait les batailles, dit à ce propos un contemporain, le succès n’eût pas été douteux[10]. Théodoric, arrivé le 29 septembre au soir, fit halte à quelque distance pour observer son ennemi. La nuit, déjà sombre, lui permettait de compter les feux de bivouac qui scintillaient, brillants et nombreux, comme les étoiles du ciel[11]. Il jugea par leur nombre à quelle armée il avait affaire, et sans en être effrayé ; il prit ses mesures pour que l’attaque eût lieu dès le lendemain, au point du jour.

La première aube blanchissait à peine et le clairon commençait à retentir à travers les campements des Goths[12], lorsque Théodoric vit entrer dans sa tente Amalafride et Eréliéva, qui cherchaient vainement à cacher sous un visage riant les, mortelles inquiétudes de leur âme. C’était pour ces vaillantes ‘femmes un moment solennel, l’approche de la victoire ou celle de la captivité, de la mort peut-être. Elles sentaient qu’entre Odoacre et Théodoric la partie n’était pas égale, puisqu’une défaite, réparable pour le premier, serait la ruine complète du second. Cette pensée avait, tenu en éveil toute la nuit la mère et la sœur du roi ostrogoth. Au moment où elles parurent dans sa tente, il avait déjà revêtu sa cuirasse d’acier et ceignait sa longue épée, pendant que des écuyers lui laçaient aux jambes des bottines de pourpre[13]. Il devina l’émotion de ces femmes qui lui étaient si chères, et souriant à Eréliéva : Ô ma mère ! lui dit-il, ton nom est fameux chez toutes les nations, parce que, au jour de ma naissance, tu as enfanté un homme ; oui, c’est bien un homme que tes flancs ont porté, un homme que ton lait a nourri : la journée qui commence en fournira une nouvelle preuve. Avec cette épée, je soutiendrai la gloire des Amales. Que font les titres des aïeux, si l’on ne sait point les rehausser par sa propre gloire ? J’en prends à témoin mon père, le meilleur des exemples : lui qui ne fut jamais le jouet de la fortune, et ne dut au hasard des batailles que ce qu’il lui avait arraché d’avance ![14] Interrompant bientôt ce monologue qui l’animait trop à son gré, il reprit d’un ton caressant : Allons, chère mère et chère sœur, donnez-moi, afin que je la revête, la tunique que vous avez fabriquée pour moi, cette trame merveilleuse tissue de vos mains. Je veux être plus beau, en ce jour de combat, que je ne le fus jamais en aucun jour de fête. Celui qui ne me reconnaîtrait pas à la vigueur de mon bras, me reconnaîtra du moins à ma parure. Voilà l’appât que j’offre à ceux qui voudront mourir, ou bien, ajouta-t-il en riant, le prix qui attend mon vainqueur[15]. Réconfortées par sa gaieté, les deux femmes lui tendirent le précieux vêtement, qu’il endossa par-dessus sa cuirasse ; puis sautant à cheval, il disparut.

Cette scène d’attendrissement retarda son départ, de sorte que le combat était engagé sur beaucoup de points, lorsqu’il arriva. Déjà même le centre de son armée pliait[16] : il fit des efforts héroïques pour le retenir, niais ses troupes n’écoutaient plus rien, la peur plus puissante que sa voix les emportait. Bientôt le désordre fut à son comble. Il en devait être ainsi, nous dit le contemporain qui nous a transmis ces détails ; le ciel voulait que, dans ce jour, Théodoric éprouvât un échec éclatant, afin de bien montrer qu’il accordait la victoire non à la multitude des soldats, mais à la vertu du général[17]. Fatigué de cette lutte inutile contre des fuyards, et ne comptant plus que sur lui-même, le roi goth appela à son aide, comme au combat de l’Ulca, les hommes de bonne volonté ; il se mita leur tête, et tous ensemble se précipitèrent, en phalange serrée, sur l’ennemi. Leur choc fit une trouée sanglante dans les rangs d’Odoacre où l’on criait déjà victoire : ce fut le tour des Italiens d’hésiter, tandis que les Goths se ralliant avec confiance derrière leur chef, reprenaient l’offensive. Enfin, le principal corps, celui que commandait, le patrice d’Italie, fut rompu et dispersé.

Théodoric voyant sa supériorité établie au centre de bataille, se porta vers l’aile droite italienne qui s’appuyait sur l’Adige : il cherchait à la prendre en flanc afin de la culbuter dans le fleuve. Cette manœuvre plaça les troupes d’Odoacre dans une position désespérée, entre un assaillant qui ne faisait point de quartier et un obstacle qui ne permettait pas la retraite. I1 leur fallait vaincre ou vendre chèrement leur vie : c’est ce que firent ces braves dont l’histoire confesse hautement le courage. Bien des fois les bataillons goths vinrent se briser contre eux, et jonchèrent la terre de leurs morts. Théodoric allait de rang en rang, toujours exposé au plus grand danger, toujours décidant la victoire. Si la cotte d’armes aux couleurs éclatantes, ouvrage d’Amalafride et d’Eréliéva, éblouit souvent dans la mêlée les yeux de l’ennemi, nul ne fut assez hardi pour y porter la main. Cependant les Ruges et les Hérules acculés contre le fleuve essayèrent de le franchir à la nage ; ils s’y jetaient tout armés, espérant par leur masse lutter contre le flot, mais le flot les soulevait en tourbillonnant, ils s’entraînaient l’un l’autre, et périssaient par milliers dans les gouffres[18]. Les contemporains nous font de ce désastre une peinture lamentable. La terre, nous disent-ils, grossissait l’Adige de ruisseaux de sang, tandis que les cadavres des hommes et des chevaux, accumulés dans les bas fonds du fleuve, formaient comme une digue qui faisait refluer ses eaux[19]. Cependant le centre italien, en pleine déroute, se sauvait dans la direction de Vérone ; Odoacre lui-même fuyait. Théodoric courut de ce côté avec sa cavalerie pour s’emparer de la ville ; et il y pénétrait par une porte, quand son rival en sortait par une autre[20].

La victoire avait été achetée bien cher et la plaine était couverte de cadavres appartenant presque en nombre égal aux deux armées : Théodoric ne donna la sépulture qu’aux siens. Quoique les habitants `de Vérone l’eussent accueilli avec faveur, soupçonnant dans cet accueil plus de crainte que d’affection , il voulut que ces milliers de corps morts pourrissent aux portes de leur ville , comme un monument de sa force ou un exemple de ses vengeances. Ils y restèrent, en effet, abandonnés aux vautours et aux loups, desséchés par le soleil, lavés par les pluies d’hiver, et quinze ans après, le Petit Champ de Vérone paraissait encore tout blanc d’ossements, qu’aucune main amie n’avait osé rendre à la terre. Théodoric, favorisé par la fortune, était alors roi d’Italie ; il avait des poètes, des orateurs, des panégyristes soldés pour admirer officiellement tout ce qu’il avait fait ; et l’un d’eux, ce même Ennodius cité par nous tant de fois, ne rougit pas de prononcer en sa présence ces tristes et honteuses paroles, non moins indignes d’un Romain que d’un prêtre :

Salut, Adige, le plus magnifique des fleuves, toi, qui sans altérer la pureté de tes ondes, balayas, dans un joui, célèbre, les souillures de notre patrie et la lie de l’univers ! Salut plaine de Vérone, anoblie par ces ossements blanchis qui proclament la gloire de notre roi ! Quand le souvenir de nos anciennes douleurs vient nous oppresser ; nous nous rassurons en te contemplant. Que la marque des maux soufferts par notre ennemi se perpétue ici sous nos yeux, jusqu’à ce que l’oubli ait effacé dans nos cœurs la cicatrice de ceux qu’il nous a faits. Le beau festin offert par Théodoric aux oiseaux de proie ! Pourquoi les bêtes de la terre et de l’air ne l’ont-ils pas épargné, afin que son aspect réjouît plus pleinement nos regards ?Oh ! je voudrais que Rome fût ici ! Je voudrais que, malgré le poids des siècles, elle arrivât sur ses jambes branlantes ! Comme la joie de ce spectacle la rajeunirait ! ... Reine du monde, pourquoi restes-tu là-bas enfouie au milieu de tes temples ? Ce qui s’est passé sur ces bords t’a valu plus de consuls que tu ne comptais auparavant, de candidats ![21]

Odoacre était rentré dans Ravenne[22], où, sans perdre courage, il s’était mis à rassembler une troisième armée, tandis que les Ostrogoths restaient prudemment concentrés autour de Vérone. En effet, Milan et le reste de la Ligurie, occupés par de fortes garnisons, tenaient pour le parti d’Odoacre. Cette trêve forcée donna naissance à une autre guerre que celle des armes, à la guerre des appels, des proclamations, des défis publics. L’Italie, si longtemps un objet d’admiration pour le monde, lui offrit alors un spectacle à la fois étrange et lamentable. On voyait deux rois barbares, patrices romains, l’un d’Orient, l’autre d’Occident, revendiquer la possession de Rome et des Italiens, tous deux au même titre et au nom de l’empereur de Constantinople. L’un siégeait à Vérone avec une sorte de gouvernement nouveau qui se prétendait le vrai ; l’autre à Ravenne avec un gouvernement qui fonctionnait depuis treize ans. De Vérone et de Ravenne sortaient des lettres au sénat, des déclarations au peuple, des promesses, des menaces, qui se croisaient et se combattaient, du pied des Alpes à la mer de Sicile. Le patrice de Vérone, sa pragmatique en train, invoquait la cession solennelle et l’investiture qu’il avait reçues de Zénon, son père d’armes. Celui de Ravenne faisait valoir une souveraineté longue et incontestée, et sa reconnaissance par ce même Zénon. Si Théodoric, caressant pour le sénat de Rome, promettait de ranimer la flamme de ce flambeau étouffé par la tyrannie[23] et exprimait en termes pompeux son enthousiasme pour de grands souvenirs ; Odoacre parlait de son adoption par ce corps auguste, de la liberté dont il jouissait sous son gouvernement, de la paix donnée à l’Italie, de la gloire rendue aux aigles romaines. Ils s’efforçaient d’agir, chacun à sa façon, sur les populations italiennes, mais le sénat était le but principal de leurs manœuvres : Odoacre cherchait à le retenir, Théodoric à le gagner.

Au fond, Théodoric n’avait point l’es sympathies des Italiens. On ne voyait pas sans une surprise mêlée de blâme, cet oppresseur de l’Orient, ce fils qui n’avait arraché à son père la cession de l’Occident qu’en l’assiégeant dans Constantinople, parler de la tyrannie d’un homme dont les Italiens ne se plaignaient pas. Qui l’avait demandé ? Qui avait désiré ce prétendu libérateur, suivi de cinq ou six cent mille bouches affamées, prêtes à dévorer l’Italie ? Ce qui avant tout soulevait d’indignation les cœurs honnêtes, c’était la conduite de Zénon. Ce césar de Constantinople traitait la mère vénérée de l’univers comme une marchandise qu’on donne, qu’un retire, qu’on offre encore au premier venu, suivant son caprice ou sa frayeur. Aujourd’hui, il en faisait, entre deux prétendants avoués par lui, le prix d’une joute, ou l’appât d’un combat singulier. Les Italiens ne lui pardonnaient pas non plus l’indigne comédie qu’il jouait naguère à la face du monde, lorsqu’il recommandait solennellement le sénat et le peuple de Rome au barbare qu’il envoyait pour les conquérir. Ces réflexions amères engageaient beaucoup de vrais Romains à repousser l’intervention de Théodoric dans leurs affaires, et à soutenir son rival jusqu’au bout.

Ce n’est pas qu’Odoacre excitât un grand enthousiasme parmi ses partisans ; son joug, rude à toutes les époques, était devenu plus oppressif, depuis cette campagne du Danube qui avait exalté son orgueil. Les dilapidations, les prodigalités étaient plus fortes que jamais sous son gouvernement. On trouvait difficilement justice auprès de lui, plus rarement auprès de ses officiers. Les pillages publics avaient cessé d’être des crimes, dit énergiquement un auteur du temps[24]. A l’exemple de cet intendant de l’empereur Auguste, qui multipliait le nom des mois, pour multiplier l’impôt payé mensuellement, son préfet du prétoire Pélagius avait trouvé le moyen de doubler le montant des rôles de contribution, et sa fraude fut difficile à réprimer. Malgré tant de justes sujets de plainte, on tenait à Odoacre ; on préférait le tyran en place au tyran inconnu et non encore gorgé de terres et d’argent. Des sénateurs, environnés de la considération publique, servaient Odoacre, et le servirent volontairement jusqu’à sa mort, identifiant ses intérêts avec ceux de l’Italie. Le comte Piérius combattait dans son armée avec dévouement ; Libérius[25], le plus honnête et un des plus illustres membres du sénat, commandait à Césène et veillait sur la résidence d’Odoacre ; d’autres personnages lion moins importants gardaient les forteresses de la Cispadane. Quant aux chefs barbares ils se montraient fidèles à leur roi, en dépit de ses revers : une faute d’Odoacre changea subitement l’état des choses[26].

Il entrait dans le plan du patrice d’attirer Théodoric vers le centre de l’Italie, et de lui couper la retraite sur les Alpes, en soulevant les populations cispadanes dévouées au parti italien. Ce projet exigeait qu’Odoacre, laissant Ravenne à sa propre défense, allât s’enfermer dans les murs de Rome, fit appel au sénat, à la noblesse, au peuple, et confondit autant que possible sa cause avec celle de la métropole du monde. C’était un sûr moyen de combattre l’autorité de l’empereur d’Orient, et de neutraliser l’effet de sa pragmatique. Odoacre, légalement, n’était-il pas l’élu des Romains, et le sénat n’avait-il pas aboli en sa faveur la dignité impériale dans la Romanie d’Occident ? Il avait donc le droit de dire aux sénateurs : Nos deux causes étant communes par vous, protégez votre ouvrage. Ce raisonnement que pouvait se faire Odoacre, ne manquait au fond ni de vérité ni de force ; toutefois, le patrice aurait dû se demander d’abord si Rome consentirait à soutenir pour lui les horreurs d’un siège, peut-être celles d’un sac, ce qui était fort douteux. Depuis que la lutte d’Anthémius et de Ricimer, au pied du Capitole, avait mis la ville éternelle à deux doigts de sa perte, le peuple et le sénat, par un accord tacite, s’étaient créé une sorte de droit de neutralité dans la guerre civile : résignée à être le prix de la victoire, Rome ne voulait plus être l’arène du combat. C’est dans cette pensée qu’elle avait fermé ses portes à l’empereur Glycérius poursuivi par Népos, et à l’empereur Népos poursuivant Glycérius : ferait-elle autre chose pour un Barbare en guerre contre un autre Barbare ?

Ces craintes tourmentaient sans doute Odoacre, et bien qu’il comptât dans l’assemblée sénatoriale de chauds amis, dans le peuple des partisans assurés, il jugea à propos de fortifier leur appui par un peu d’intimidation. Parti de Ravenne avec une armée, il se présenta devant Rome pour l’occuper[27]. Le sénat, offensé de cette espèce de violence, lui fit fermer les portes[28] ; les habitants armés coururent aux remparts ; et tous lui déclarèrent, du haut des murs, qu’ils ne le recevraient point. C’était une mesure de prudence dans l’intérêt de Rome et non un acte de révolte contre Odoacre ; et en effet, le sénat, malgré cette exclusion, persista à reconnaître le patrice d’Italie pour le seul pouvoir légitime, duquel émanait l’administration ; les papes en firent autant dans leurs rapports avec l’autorité temporelle[29]. Cet état de chose si bizarre se prolongea pendant toute la durée de la guerre, c’est-à-dire pendant plus de quatre années encore. La conduite du sénat couvrant de sa neutralité les reliques sacrées de la vieille Rome, et conjurant sa propre ruine, put sembler sagesse aux Italiens, mais elle irrita profondément le Ruge qui, sous les yeux des habitants, se mit à ravager cruellement toute la campagne romaine par le fer et le feu[30]. Cet éclat d’une rage impuissante lui nuisit grandement, en donnant à l’acte du sénat un caractère qu’il n’avait pas : les populations italiennes s’émurent ; le parti d’Odoacre en fut ébranlé. Théodoric plus adroit se garda bien de vouloir troubler dans la quiétude de sa tombe le fantôme de cette souveraineté expirée ; il comprit, comme le premier des Césars, que n’avoir point Rome contre soi, c’était l’avoir pour soi.

Après ce coup désespéré, le patrice d’Italie rentra dans Ravenne, et son rival sortit de Vérone : le moment était venu pour le roi goth de poursuivre sa marche dans la Transpadane. Milan était alors occupé par une division d’Hérules, sous le commandement du maître des milices Tufa, Hérule lui-même, et réputé l’un des plus solides appuis du parti de son maître. Dès le mois d’avril précédent, il avait reçu de lui la mission de défendre la Ligurie pied à pied, si l’ennemi forçait les lignes de l’Isonzo[31], et Odoacre lui avait confié à cet effet quelques-unes des troupes sur lesquelles il comptait le plus. La présence de cet homme et de son armée au nord du Pô, avait été le grand épouvantail de Théodoric, la cause principale de sa longue halte autour de Vérone. Cependant, à l’approche des Ostrogoths, le maître des milices sembla balancer ; après s’être avancé à quelque distance comme pour livrer bataille, il quitta brusquement la partie, tirant droit vers le Pô, et laissant Milan à découvert. Dans cette situation, la capitale de la Ligurie n’avait qu’une chose à faire, se rendre pour éviter les malheurs d’une prise d’assaut : elle le fit, et ses habitants, l’archevêque Laurentius en tête, introduisirent Théodoric dans leurs murs[32].

Laurentius, métropolitain d’Épiphane et son ami, était comme lui un de ces hommes, chefs de peuples sous la chasuble sacerdotale, un de ces grands citoyens de la Rome chrétienne, qui avait succédé à la Rome civile et à la Rome militaire, pour jamais disparues. Avec des caractères différents, mais avec la même conscience et la même gloire, Épiphane et Laurentius exerçaient le même ministère de consolation et de protection, sur le troupeau confié à leurs soins. Si l’onction d’Épiphane et son éloquence persuasive manquaient à Laurentius, celui-ci possédait en retour une force d’âme indomptable, et autant de goût à braver la persécution que de résignation à la souffrir. Il prit franchement le rôle de conseiller de sa ville, dans la démarche qu’elle voulait faire, et il en accepta pour l’avenir toute la responsabilité[33]. Théodoric se voyant si bien reçu à Milan, y transporta son quartier général, ainsi que le campement de son peuple. Quelques jours après son installation, se passa un événement tout à fait imprévu, et, en apparence, de bon augure pour les Goths. Cette division hérule, qui se retirait avec Tufa à travers les plaines du Lambro ou du Tessin, fit tout à coup volte face, et par une marche rétrograde se rapprocha de Milan. Son attitude d’ailleurs n’avait rien d’hostile ; elle revenait en bon ordre, drapeaux levés, et ses armes étincelaient au soleil comme dans une parade. Elle revenait, non pour combattre, mais pour se rendre[34] ; le maître des milices lui-même déposa le premier son épée aux pieds du vainqueur. Le spectacle de cette troupe farouche se livrant sans condition et de propos délibéré, causa une grande joie aux Ostrogoths, un grand étonnement aux Italiens ; quant à Théodoric, il accueillit le chef des transfuges avec une confiance qu’on put blâmer déjà comme excessive et imprudente.

L’Hérule Tufa, parvenu à la maîtrise des milices dans l’armée d’Odoacre par de longs services sous le drapeau romain, ne passait pas pour un homme bien honorable et bien sûr[35]. En fait de désertion, il n’en était pas à son coup d’essai ; on l’avait vu trahir successivement bien des princes tombés, et sacrifier, sans scrupule, bien des causes qu’il avait soutenues. Pourtant l’impudence de sa conduite actuelle, cette trahison éclatante, méditée, discutée avec ses soldats et opérée à la face du jour, frappa diversement les imaginations. Beaucoup de gens trouvèrent la chose inexplicable ; d’autres se contentèrent de dire, comme une explication suffisante : C’est un Hérule ![36] tant la mauvaise foi et la noire perfidie de ce peuple, étaient proverbiales en Italie. Quant à Théodoric, le succès lui inspira une sécurité sans bornes ; il crut voir arriver à lui, dans un court délai, tous les chefs et tous les corps d’armée de son rival. Non seulement. il rendit à Tufa un commandement important dans ses propres troupes, mais il refusa son serment de fidélité, soit qu’il voulut s’attacher encore davantage cet homme en s’abandonnant à lui sans réserve, soit qu’il se crût suffisamment garanti, contre un retour possible, par l’éclat scandaleux de sa soumission.

La reddition de Milan fut un signal pour les autres villes de la Ligurie transpadane, qui se soumirent l’une après l’autre sans résistance. Pavie fit connaître au roi des Goths sa résolution, par l’intermédiaire d’Épiphane, son ambassadeur ordinaire dans les circonstances calamiteuses. L’évêque partit pour Milan, sous l’appareil modeste qui lui était ordinaire et rehaussait encore l’éclat de son mérite ; à peine arrivé, il fut introduit près de Théodoric, qui le reçut, environné des grands de sa cour. La réputation de ce prêtre mêlé aux affaires du monde et chargé de tant de missions délicates, de l’ambassadeur privilégié des empereurs et des peuples, avait pénétré jusqu’à Constantinople, et le roi goth, depuis longtemps, le connaissait par la voix publique. En Italie, il avait appris à le vénérer encore davantage, car le nom d’Épiphane n’était jamais prononcé par une bouche italienne, qu’avec admiration et respect. Sa venue le remplit donc d’une curiosité bienveillante. Après l’avoir contemplé quelque temps en silence, comme s’il eût cherché à deviner sous ces traits vénérables la grandeur du génie et celle de la renommée, Théodoric se tournant vers sa suite, lui dit : Regardez bien cet homme ; il n’a pas son pareil dans tout l’Orient ; le voir est déjà un bonheur, habiter près de lui sera pour nous une sécurité ![37]

Cependant le héros de la grande trahison hérule, Tufa, poussait, excitait son nouveau maître à prendre l’offensive au delà du Pô, et remplissait Milan de ses bravades. A l’en croire, ses Hérules et quelques troupes ostrogothes suffiraient aisément à terminer la guerre ; lui-même se chargeait de prendre Ravenne et d’amener, aux pieds du roi des Goths, Odoacre chargé de chaînes. Son assurance était telle que Théodoric le crut. Il donna à l’ancien maître des milices de Ligurie une armée composée d’une partie des Hérules qui s’étaient soumis avec lui, et d’un corps d’élite pris dans ses propres troupes. Tufa partit, franchit le Pô à Crémone et, se dirigea sur Ravenne[38], par Bologne, et Faventia. Jusque-là il n’avait rencontré aucun ennemi, mais à Faventia[39] il se trouva en face d’Odoacre lui-même, retranché dans une position avantageuse, et couvrant avec des forces imposantes les deux routes de Ravenne et de Rome qui se croisaient à Forum Livii pour former là grande voie Émilienne. Il se passa là quelque chose que l’histoire n’a pas bien éclairci. Au lieu d’en venir aux mains, Odoacre et Tufa s’abouchèrent ; leurs armées en firent autant[40], et les troupes ostrogothes, cernées de toutes parts, furent contraintes à mettre bas les armes. Les officiers qui les commandaient, les Comtes du patrice Théodoric, comme dit l’histoire, mis aux fers par ordre du roi des Ruges, allèrent croupir dans les prisons de Ravenne, en attendant le triomphe de leurs compagnons[41]. Telle fut la seconde trahison des Hérules. On se demanda si elle avait été chez Tufa un effet de la peur ou du remords, et même si elle n’était pas déjà préméditée à Milan ; si sa désertion éclatante en Ligurie ne cachait pas déjà le piège tendu à Théodoric pour prix de sa confiance. Chacun l’interpréta comme il voulut ; mais tout en exécrant la perfidie de l’Hérule, on condamna la légèreté du roi goth qui se fiait sans réflexion à un traître. Lorsque la nouvelle de ce désastre arriva dans son camp, la colère de Théodoric ne connut plus de bornes. Secouant le drapeau de la vengeance[42], pour parler le langage de son panégyriste, il déclara tout Hérule digne de mort ; et ordonna que le jour même on égorgeât, sans en excepter aucun, les soldats de cette nation qui se trouvaient dans les garnisons de la Haute Italie : l’ordre cruel fut exécuté.

La vengeance ne réussit pas mieux au roi Amale que sa confiance irréfléchie, car, peu de jours après, une autre désertion plus éclatante eut lieu dans son armée, celle de Frédéric, fils de Fava ; de ce même homme à l’instigation duquel, en partie du moins, il avait entrepris la guerre. Frédéric, son parent, et bien plus son drapeau vis-à-vis des Barbares, puisqu’il représentait les Ruges que venait venger Théodoric, Frédéric l’abandonna pour aller se joindre à celui qui deux ans auparavant traînait au Capitole sa mère Ghisa, et faisait décapiter son père. L’histoire n’indique pas les motifs qui portèrent ce fils de Fava, d’un naturel il est vrai, bien féroce, à trahir le défenseur de sa race[43]. Peut-être n’avait-il pas rencontré près de son allié les honneurs ou les profits qu’il en attendait. Peut-être avait-il sollicité sans succès quelque grand commandement qu’une prudence fort naturelle lui avait fait refuser. Quoi qu’il en soit, prenant un jour ses précautions pour échapper à la surveillance du chef, il déserta de l’autre côté du Pô, et se rendit au camp d’Odoacre. Une partie des Ruges le suivit, l’autre resta dans l’armée de Théodoric. La perte de Frédéric et même celle de ses soldats, gens d’une indiscipline effrénée, n’était pas au fond un grand malheur pour le roi des Goths ; cependant elle lui causa un abattement douloureux. Ces deux échecs, arrivés coup sur coup, ébranlèrent son courage. Devenu inquiet du sort même de sa nation, il évacua Milan et les autres villes liguriennes difficiles à défendre, afin de concentrer toutes ses forces dans Pavie[44].

Ce parti était grave pour les Ostrogoths, qui de l’offensive passaient à la défensive, et devaient s’attendre à être bientôt assiégés dans leurs positions. Il était grave aussi pour les villes liguriennes qui avaient reçu le vainqueur et redoutaient les représailles d’Odoacre ; grave surtout pour Pavie qui allait loger, nourrir, défendre au besoin un peuple entier de Barbares. Épiphane habitué à considérer d’en haut les révolutions de ce monde comme des épreuves ou des châtiments de Dieu, s’arma d’une énergie nouvelle pour faire face à des devoirs nouveaux. Peu de jours s’écoulèrent entre la résolution de Théodoric et son départ, tant il craignait qu’Odoacre ne profitât de ce mouvement des Goths pour l’attaquer. On vit donc défiler bientôt, par la chaussée de vingt-deux milles[45] qui séparait Milan de Pavie, l’attirail complet d’une nation nomade en voyage : des maisons roulantes, des chariots de bagage, des troupeaux, des bandes de cavaliers et de fantassins armés, mêlés à une foule innombrable de vieillards et de femmes portant à leur cou des enfants ou les traînant par la main. L’enceinte de la ville, faite pour contenir une forte garnison, une armée au besoin, était trop étroite pour une pareille multitude[46]. Aussi, quand toutes les maisons eurent été garnies de leurs hôtes barbares, il fallut construire des cabanes dans les rues, sur les places, jusque sur le terre-plein des remparts, pour en loger de nouveaux. On transforma les édifices publics en espèces de caravansérails, où les familles ostrogothes campèrent pêle-mêle[47] ; quelquefois on enlevait les charpentes des toits pour dresser en plein air de vastes hangars sous l’abri desquels les chariots venaient se ranger par files. Pavie alors présenta le spectacle singulier d’une ville romaine combinée avec un camp de nomades.

Dans ce mélange confus de citoyens craintifs et de barbares violents, Épiphane put exercer tout à loisir ce don de servir et de consoler qu’il avait reçu de la providence. Décidé à rester neutre entre les deux rois, afin de mieux garantir la sécurité de son troupeau, il obtint d’abord de Théodoric qu’il respecterait sa neutralité. Le contact de cet homme de paix eut sur le roi des Goths une influence merveilleuse. Épiphane, attentif aux moindres détails, l’éclairait par de sages avis, le calmait dans ses colères, le ramenait enfin à des sentiments chrétiens ou romains, quand le démon de la barbarie semblait vouloir le ressaisir et l’entraîner. De son côté, Théodoric employait pour gagner son hôte vénérable, tout ce qu’il possédait de charme dans l’esprit et de grâce dans la familiarité. Il disait souvent à ses Goths qui ne le comprenaient pas toujours : Épiphane est la vraie muraille de Pavie, que ne saurait ébranler le bélier du Ruge, ni franchir la fronde du Baléare. Je dépose avec confiance, sous sa garde, ma mère et ma famille, ainsi que les vôtres, afin d’être libre de toute préoccupation pour reprendre bientôt la guerre[48].

Ces événements se passaient dans les derniers mois de l’année 489 : l’année 490 s’ouvrit pour les malheureux Italiens sous des auspices encore plus sinistres. Odoacre prenait activement ses mesures pour envahir la Ligurie dès les premiers jours du printemps, tandis que Théodoric, par des ambassades réitérées en Gaule, sollicitait l’assistance des Barbares établis dans l’est et le midi de cette ancienne province romaine. Ses envoyés s’adressèrent en même temps aux Burgondes et aux Visigoths[49], offrant aux uns et aux autres l’amitié de leur maître avec l’alliance de son peuple. Ils furent bien reçus des Visigoths, chez qui parlait, outre la voix du sang, puisqu’ils formaient avec les Ostrogoths deux rameaux d’un tronc commun, la voix des intérêts plus puissante encore que celle-là. Marie, fils d’Euric, ce terrible conquérant de l’Auvergne et de la Narbonnaise[50], avait succédé chez les Visigoths à son père mort en 484. C’était un bien faible héritier d’un royaume si grand et formé si violemment, qui avait à se maintenir non seulement contre des sujets mal soumis, mais contre des voisins mécontents. Les Francs, dont les possessions venaient de s’étendre jusqu’à la Loire par les récentes victoires de Clovis, et les Burgondes, qui avaient essayé de défendre l’Auvergne contre les Wisigoths, ne voyaient point sans dépit et sans inquiétude le royaume de Toulouse embrasser l’Aquitaine entière avec une partie de l’Espagne. Déjà même, entre Clovis et le fils d’Euric avait éclaté une première querelle où celui-ci avait honteusement cédé. Marie put donc considérer comme un événement heureux pour son peuple et pour lui-même l’arrivée des Ostrogoths au sud des Alpes, et la proposition du chef des Amales.

Près de lui se trouvait en Aquitaine un jeune roi de cette famille, cousin germain de Théodoric, ce Vidémir venu des bords du Danube en Italie, avec une branche des Ostrogoths, dans l’année 473, et dont le peuple, ainsi qu’il a été raconté plus haut, avait été réuni à celui d’Euric, par une lâche concession de Glycélius[51]. Les sujets de Vidémir accueillirent avec une grande joie l’idée de retrouver et de servir des frères dont le souvenir ne s’était point effacé de leur mémoire ; Marie vit dans leur alliance un moyen de se fortifier contre ses voisins. Quand les Goths de l’Est posséderont l’Italie, pouvait-il se dire, et ceux de l’Ouest l’Aquitaine et l’Espagne, quel peuple germain, sarmate ou hun, ne tremblera pas à leur nom ? Il promit à Théodoric tout ce que celui-ci demandait, et se disposa à faire partir une armée pour la Transpadane, dès que les chemins seraient praticables.

Mais les mêmes sentiments, les mêmes raisons qui déterminaient Marie, entraînèrent Gondebaud en sens contraire. Ce roi, devenu tout-puissant chez les Burgondes par la ruine de ses frères, reçut mal les propositions de Théodoric. Son intérêt n’était point de laisser les Goths s’établir en Italie, lorsqu’ils étaient déjà en Aquitaine, et que par ce double voisinage ils pourraient peser doublement sur lui : loin donc de prendre parti pour leur cause, il déclara s’unir à celle d’Odoacre. Les prétextes ne lui manquaient pas pour colorer sa politique. L’ancien patrice Gondebaud, neveu du patrice Ricimer, et généralissime des armées romaines sous deux empereurs, n’était-il pas un vrai Romain ? Les Burgondes qui avaient mêlé si souvent leurs drapeaux aux aigles romaines, et versé leur sang pour les intérêts de l’empire des deux côtés des Alpes, n’étaient-ils pas les alliés naturels des Italiens ? Comment venait-on lui demander de livrer à des étrangers un pays qui le regardait comme son protecteur, et conseiller aux Burgondes de trahir un peuple ami, au profit de gens qui ne pouvaient que-leur être suspects. Une telle alliance n’était pas possible, et le roi des Goths, en la proposant, faisait outrage à Gondebaud, s’il ne lui tendait pas un piège[52]. Tels furent, comme on doit le supposer par quelques mots des historiens, les raisonnements que se fit Gondebaud, et le fond de sa réponse aux ambassadeurs ostrogoths. Quand ceux-ci furent partis, il équipa une petite armée destinée à franchir lestement les Alpes par la route que les Burgondes tenaient sous leur main, tandis que les troupes visigothes , non encore réunies , auraient un long voyage à faire des bords de la Garonne à ceux du Tessin.

Effectivement Gondebaud descendit en Italie dès que le permirent les neiges des Alpes : il s’y présenta en libérateur[53] qui venait défendre la Romanie occidentale contre les entreprises d’un Goth d’Orient. Il parlait peu d’Odoacre et beaucoup de son affection personnelle pour les Romains, à qui, disait-il, il amenait d’anciens amis. En ce moment, la cause de Théodoric semblait désespérée, et l’on redoutait l’arrivée d’Odoacre altéré de vengeance ; on crut donc aux paroles de Gondebaud ; on fut heureux de les entendre et l’on accueillit les Burgondes comme de véritables frères. Les citadins leur ouvraient les portes des villes, les habitants des campagnes accouraient en foule au-devant d’eux. Nous vous reconnaissons, leur disaient-ils avec une confiance naïve ; c’est bien là votre costume, votre armure, votre drapeau, tant de fois l’auxiliaire du nôtre : vous êtes nos Burgondes ; soyez les bienvenus ![54] Pour réponse à ces doux propos, les soldats de Gondebaud enlevaient les femmes, dévastaient les maisons, traînaient en captivité les laboureurs valides, pour les transplanter en Burgondie. Gondebaud avait raison, ce n’était pas une guerre d’ennemi qu’il faisait à l’Italie, c’était mieux ; c’était une expédition de voleur et de pirate. La guerre n’était pour lui qu’un prétexte, car il ne se souciait pas plus d’Odoacre que de Théodoric ; mais au moment où l’Italie pouvait changer de maître, il venait prélever sa part de butin et transporter au delà des Alpes tout ce qui était transportable. Les malheureux paysans que ses soldats emmenaient, enchaînés par bandes comme des esclaves, invoquaient dans leur détresse le nom de l’ancien patrice, neveu de Ricimer, ne supposant pas que ces traitements pussent leur être infligés par son ordre. Ce que vous faites là, disaient-ils leurs ravisseurs, sera sans excuse près de votre roi, prenez-y garde. Votre roi est bon ; il ne vous a jamais commandé des crimes qui font horreur à toute âme civilisée[55]. De nobles matrones, des vierges, obligées de marcher sous le fouet, les mains liées derrière le cou, protestaient par des paroles semblables, entrecoupées de sanglots et de cris. Quand leurs cris devenaient trop perçants, on les frappait ; quand elles essayaient de résister, on les tuait[56].

Cette expédition valut à la Burgondie bien des milliers de captifs, à fixer dans les champs, comme serfs, bien des milliers de femmes à revendre au marché ou à troquer plus tard contre des rançons. Lorsque Épiphane, en 496, alla négocier de la part de Théodoric la délivrance de ces prisonniers, leur nombre s’élevait encore à plus de 6.000[57], et la ville de Lyon en rendit jusqu’à 400 dans un seul jour. Ainsi se conduisaient les libérateurs germains de l’Italie. Durant toute cette campagne, Gondebaud se garda bien d’approcher de Pavie où il eût rencontré Théodoric ; il ne chercha point non plus à faire sa jonction avec Odoacre dont il ne se souciait guère, ainsi qu’on l’a dit. Quoique ce brigandage fût prémédité et conduit dans son seul intérêt, il servit indirectement le patrice d’Italie dont il prépara le retour au nord du Pô.

On aurait pu croire la mesure des souffrances humaines comblée après le passage de ce barbare, l’apparition d’Odoacre irrité fit voir qu’il n’en était rien. La fumée des incendies annonçait au loin sa marche. Les populations, fuyant devant lui comme des troupeaux épouvantés, couraient se cacher au fond des bois, dans les montagnes, dans les marais, partout enfin où il n’était pas[58]. Lorsqu’il parut devant Milan, on eût cru voir une ville morte, tant elle était déserte et silencieuse. Il n’y trouva que l’archevêque et un petit nombre de fidèles restés avec leur pasteur à la garde des choses saintes. Leur présence n’empêcha pas l’Arien d’accabler du poids de sa colère les églises qui furent toutes dépouillées ou détruites[59], comme s’il eût voulu se venger des catholiques sur leur Dieu même. Laurentius maltraité, jeté aux fers, malgré son grand âge, et traîné de prison en prison, souffrit la faim, le froid, la maladie[60], sans que la sérénité de son âme en parût un instant troublée. Il répétait héroïquement ce mot de l’apôtre : C’est quand je souffre, que je suis fort[61] ; et en effet, chacune de ses tortures semblait donner une énergie nouvelle à ses ouailles, un démenti nouveau à ses bourreaux. Son tour de triomphe vint plus tard. Il eut le bonheur de relever les églises ruinées sous ses yeux, et de les rendre au Dieu des catholiques plus magnifiques et plus vastes[62]. Il vit aussi les peuples de la Ligurie réunis dans un même sentiment d’admiration et de respect, fêter son jour natal comme celui d’un père : un des poètes alors en vogue consacra à cette solennité presque nationale un petit poème que nous avons encore.

Ce poète était Ennodius, le futur biographe d’Épiphane et son successeur à l’évêché de Pavie, le futur panégyriste de Théodoric. Il apparaît pour la première fois dans l’histoire, au milieu des misères de cette année h90, et n’avait alors que seize ans. Orphelin de père et de mère, privé de tout par la mort d’une tante qui l’avait élevé[63], le jeune Ennodius restait seul, sans conseils, sans biens, sans protection, quand la guerre entre Odoacre et Théodoric vint bouleverser l’Italie. I1 épuisa toutes les calamités de ce temps de misère, les angoisses de l’épouvante, la fuite, l’exil, la faim surtout, conséquence inévitable de tant de ravages. La faim, dit-il lui-même, dans quelques lignes d’une âpre énergie, la faim savait bien reprendre ceux qui se sauvaient de l’épée. Les riches se croyaient heureux, parce que l’argent leur ouvrait le chemin des hautes montagnes et la porte des citadelles, mais l’aiguillon du besoin plus acéré que la pointe des dards ou le tranchant des glaives, venait les assiéger sur leurs roches imprenables, et les réduisait comme les autres[64]. Dans ce sauve qui peut universel, les évêques se mirent à fortifier les positions qui pouvaient servir de refuge à leur peuple contre la violence des gens de guerre. Honoratus, évêque de Novare, fit construire par la main de ses diocésains un château formidable dans lequel eux et lui se défendirent vaillamment[65]. Quelques évêques allèrent plus loin ; ils organisèrent des corps de défense permanents que, dans les formules du temps, on appelle soldats ou milice de l’Église[66]. La féodalité commençait.

Cependant les Visigoths envoyés par Alaric ayant fait leur jonction avec les Ostrogoths sous les murs de Pavie[67], cet accroissement de forces mit Théodoric en état de tenir la campagne. Il n’était pas resté tranquille, tout ce temps, dans l’enceinte de Pavie ; Odoacre était venu l’y assiéger ; et avait tenté à plusieurs reprises d’emporter la place d’assaut, mais sans succès. La saison lui était contraire : le froid, la chaleur, la pluie, tout semblait favoriser son ennemi. La discorde se mit de nouveau dans son armée ; ses soldats se battaient et s’entretuaient. Pour prévenir de plus grands maux, il reprit le pillage interrompu de la Ligurie, qui plaisait beaucoup mieux à ces bandes avides que les fatigues d’un long siège. Peu de temps après s’opéra la jonction des Visigoths d’Alaric avec l’armée ostrogothe, et Théodoric sortit de Pavie. Odoacre, craignant d’être enfermé à son tour dans Milan, évacua cette ville pour se fortifier derrière l’Adda, où Théodoric le vint chercher avec toutes ses forces.

Ce fut le 11 août 490 que se livra, sur les bords de cette rivière fameuse par tant d’autres combats, la troisième grande bataille où le maître actuel et le futur maître de l’Italie se trouvaient en présence[68]. Elle ne fut pas moins sanglante que celle de l’Adige. Les peuples y tombèrent en grand nombre des deux côtés, nous dit un document contemporain ; mais Odoacre fut encore vaincu. Parmi les Italiens restés sur le champ de bataille, le roi patrice eut à pleurer un de ses fidèles officiers, le comte Piérius[69], celui-là même qui avait si heureusement accompli la translation des provinciaux du Norique, et amené le corps de saint Séverin en Italie. Sa mort laissa un grand vide dans les rangs du parti qui, malgré les cruautés d’Odoacre, croyait soutenir avec lui une cause italienne. Les pertes de Théodoric ne furent ni moindres en nombre, ni moins poignantes. Toujours battu en rase campagne, et enfin découragé, Odoacre prit la résolution de se retrancher dans Ravenne, mais il plaça dans les forteresses et les châteaux de l’Italie Cispadane d’assez fortes garnisons pour inquiéter les Goths s’ils voulaient passer outre, et leur couper la retraite en cas de revers.

Pourtant Théodoric n’hésita pas à tenter la fortune dans les nouvelles conditions que lui offrait son ennemi. Depuis un an qu’il était arrivé en Italie, il avait toujours été vainqueur dans les batailles et toujours emprisonné le lendemain, tantôt dans la Vénétie, tantôt dans la Ligurie, tantôt même dans l’enceinte d’une ville, sans avoir encore osé paraître au midi du Pô. Il pensa avec raison que le temps était venu de se montrer au parti que ses appels et les fautes d’Odoacre lui avaient gagné ; et de forcer, en tout cas, les villes de l’Italie centrale à se déclarer pour l’un ou pour l’autre. Dans cette vue, il résolut de marcher sur Ravenne, en laissant derrière lui, sous bonne garde, à Pavie, sa mère avec les familles de son peuple et les bagages de son armée. Pour cette garde, il choisit de préférence à tous autres le petit corps de soldats ruges demeurés sous ses drapeaux, malgré la désertion de leur roi Frédéric[70]. Ce choix était dicté sans doute par des considérations de prudence : il pouvait craindre que la fidélité de ces Barbares ne se trouvât exposée à trop de tentations, en face de leur roi et de leurs compatriotes transfuges. La mesure avait néanmoins un inconvénient considérable, celui de laisser Épiphane et les habitants de Pavie livrés aux soldats les plus sauvages et les plus indisciplinés de l’armée ostrogothe. S’ils avaient rempli le camp de Théodoric de leur turbulence et déserté son drapeau jusque sous ses yeux, que ne feraient-ils pas lorsque le roi des Goths ne serait plus là pour leur inspirer une crainte salutaire ?

L’espèce de neutralité qu’Épiphane avait voulu se créer au milieu du tumulte des armes, avait été reconnue et respectée des deux chefs ennemis, et imposée par eux, autant qu’il était possible, à leurs armées. Odoacre s’y était soumis, pendant le siège de Pavie, bien qu’il pût soupçonner l’évêque d’avoir un penchant secret pour son rival ; mais il craignit qu’une seule violence exercée sur l’homme de Dieu, comme on l’appelait, n’indisposât toute l’Italie, et n’excitât peut-être contre le coupable les vengeances du ciel. Cette convention tacite entre les deux rois et le prêtre dura autant que les conflits du siège. Comme une providence toujours en éveil pour la sauvegarde des Romains, Épiphane allait d’une armée à l’autre, calmant les colères, plaidant la cause du faible et protégeant la vie et les biens de son troupeau contre les rigueurs de la guerre. Magistrat autant qu’évêque, il commandait au nom de la loi, il suppliait au nom de la charité. Si quelque femme était insultée, il réclamait le châtiment du ravisseur ; si quelque laboureur était arraché à son champ, quelque troupeau enlevé, quelque grange pillée, il menaçait, jusqu’à ce qu’il eût obtenu ou la liberté de l’homme, ou la restitution des biens ravis[71]. Il ne pardonnait qu’à ceux qui le dépouillaient lui-même ; et un jour, suivant le récit d’Ennodius, il admit à sa table des soldats qui maraudaient sur ses terres. Et ce n’était pas seulement le Romain qu’Epiphane couvrait de sa protection, mais le Barbare lui-même, lorsqu’il était pauvre et opprimé. Sa sainte charité ne le garantissait pourtant ni des insultes, ni parfois des mauvais traitements de ces hommes dont elle refrénait les excès. Trois ans entiers, ajoute le contemporain que nous venons de citer, Épiphane vécut sous cette croix ; et Dieu qui lui donnait la force de souffrir, connut seul le poids de ses maux[72].

Le temps de ses plus rudes épreuves fut celui qu’il passa face à face avec les Ruges, dans les murs de Pavie, après le départ de Théodoric. On n’eût pu imaginer de plus redoutables gardiens pour la sécurité d’une ville. Les compatriotes des deux Frédéric et de Ghisa étaient comme eux des sauvages cruels, dominés par tous les instincts de la rapacité et de la violence[73]. On disait d’eux, ainsi que je l’ai déjà rapporté, qu’ils croyaient avoir perdu leur journée, quand elle s’était écoulée sans crime. Ces cœurs féroces cédèrent pourtant à la puissance morale d’Épiphane. Il fit sentir à des passions sans frein l’autorité du prêtre, écrit à ce propos son biographe. Une pitié jusqu’alors inconnue se glissa dans des âmes imbues d’une perversité naturelle. — Qui croirait, sans un profond étonnement, que des Ruges aimèrent et craignirent un évêque, un catholique, un Romain, eux qui ne daignent pas même obéir à leurs rois ?[74] Mais aussi que de peines, que d’efforts, que de vertus sublimes, exigèrent de pareilles conversions !

La campagne entreprise par Théodoric ne fut ni facile ni courte : à chaque pas se rencontraient des châteaux et des villes fortifiées qu’il fallait assiéger ou bloquer[75] ; aucune désertion n’avait lieu dans les troupes barbares d’Odoacre, et quant aux populations italiennes, elles se montraient ou sympathiques à leur patrice, ou indifférentes à son rival. Cependant, les Ostrogoths ayant forcé les approches de Ravenne, vinrent camper dans le bois de Pins, appelé Pinetum[76] qui, de la lisière occidentale des marais, se prolongeait pendant plusieurs milles sur les dunes de l’Adriatique. C’est là qu’Odoacre avait pris position en 476, lorsqu’il assiégeait Augustule dans cette même ville où des forces redoutables et un ennemi victorieux l’emprisonnaient maintenant à son tour. De sombres anniversaires, des rapprochements sinistres semblaient poursuivre le roi des Ruges, au fond de ce repaire des empereurs romains dont il avait si violemment fermé le cycle. Sa première défaite sur l’Isonzo avait eu lieu le 28 août, jour correspondant à celui où, onze ans auparavant, il faisait décapiter dans Plaisance Oreste, son ancien maître. C’était encore près de Plaisance et dans le même mois d’août, qu’il avait subi tout récemment sa troisième défaite, près de l’Adda. Enfin, cette Pinaie de Ravenne, centre des opérations de son ennemi, était souillée du sang de Paulus, versé par ses mains. Des esprits portés au merveilleux voyaient dans ces rapports fortuits l’indice d’une fatalité vengeresse attachée aux pas d’Odoacre, et l’inquiétude gagnait jusqu’à ses plus chauds partisans.

J’ai décrit ailleurs cette cité de Ravenne, si bien choisie au Ve siècle pour être la capitale d’un empire, qui ne savait plus que se défendre. Tour à tour île et terre ferme, suivant l’heure du jour et l’alternative du flux et reflux de l’Adriatique, elle était doublement protégée par la nature : l’invasion périodique du flot dans les lagunes la garantissait du côté de la terre, tandis que son retrait, laissant le rivage à sec, la protégeait contre les dangers venus de la mer[77]. La connaissance de ces mouvements variables et de leurs effets, donnait à l’habitant de Ravenne, sur l’assaillant étranger, un avantage considérable, soit pour diriger, soit pour repousser une attaque. Le siège régulier d’une pareille place était d’ailleurs impossible ; le blocus même restait incomplet, malgré toutes les précautions, et l’opération de Théodoric consista surtout à couper à l’ennemi l’accès de la campagne, en même temps qu’il gênait son ravitaillement par mer. Dans ce but, il s’établit fortement au nord entre les trois bras du Pô, dont le plus petit traversait la ville ; et tournant au sud, vers le quartier de Classe, il occupa la plage et menaça le port. Les assiégés de leur côté le harcelaient par des sorties continuelles qui ne laissaient de repos aux Goths ni la nuit, ni le jour ; leurs ouvrages à peine commencés étaient aussitôt détruits. Enfin, Odoacre eut pour lui deux puissants auxiliaires, la disette et l’air pestilentiel des marais, qui décimèrent bientôt l’armée de Théodoric.

Telle fut la guerre que se livrèrent les deux rivaux pendant trois années, sans qu’il survint entre eux rien de décisif. Une nuit, pourtant, Odoacre faillit enlever le roi goth au milieu de son camp. Profitant d’une obscurité épaisse, il prit avec lui les Hérules, troupe légère, excellente pour les coups de main, et franchit à pas de loup la chaussée percée d’arches qu’on appelait le pont Candidien[78]. Le maître des milices, Lévila, l’accompagnait. Ils arrivèrent sans être aperçus jusqu’aux avant-postes ostrogoths qu’ils massacrèrent, puis Odoacre lança ses Hérules dans la partie du camp contiguë au marais, et située à trois milles de la ville. La surprise réussit au delà de toute espérance. Les anciens compagnons de Tufa qui avaient à venger le meurtre de leurs frères égorgés en Ligurie par ordre de Théodoric, tombant sur des gens endormis, se multiplièrent en quelque sorte pour frapper et tuer, et le camp regorgea de carnage.

Cette scène se passait dans le quartier de Theudis, un des princes ostrogoths, et le principal lieutenant de Théodoric. Le roi campé plus au sud, dans le bois de Pins, près de la maison de plaisance des Césars, avait son quartier séparé de celui de Theudis par un fossé palissadé. Odoacre victorieux poussa les Hérules de ce côté ; mais Théodoric, averti par les fuyards, avait eu le temps de se préparer. On se battit corps à corps le long du marais ou dans le bois, au milieu des ténèbres ; Théodoric manœuvrait pour tourner son adversaire et lui couper la retraite du pont Candidien ; Odoacre s’efforçait d’en conserver les abords. La mêlée fut terrible sur ce terrain marécageux, que défonçait le pied des chevaux, et où l’on se heurtait en aveugles, amis et ennemis. Repoussés enfin vers la chaussée, les Hérules s’y précipitent sans ordre, encombrent de leur foule l’étroit défilé, et se culbutent les uns les autres dans le marais. Ils y tombent en grand nombre et périssent suffoqués. Lévila se noya ou fut tué dans le fleuve Veïens en voulant couvrir la retraite[79]. Odoacre lui-même ne regagna qu’à grand’peine la porte de la ville. Cette affaire eut lieu le 10 ou le 15 juillet de l’année 491 ; elle put passer pour une quatrième victoire des Goths, quoiqu’ils eussent perdu toute une division de leur armée[80] ; toutefois le Ruge n’était nullement en humeur de se rendre et le siège continua.

Théodoric mit à profit les loisirs de ce long blocus pour attaquer les places de l’Italie centrale qui tenaient pour son ennemi- ; il les réduisit toutes[81], à l’exception de Césène où commandait le patrice Libérius. En face de ce fidèle serviteur d’Odoacre, la séduction échoua aussi bien que la menace et les assauts[82]. La farte ville de Césène, avec sa citadelle creusée dans le roc, dominait les environs de Ravenne dont elle n’était séparée que de quelques milles, et troublait par des sorties fréquentes les opérations du siège. Théodoric ne négligea donc, rien pour s’en rendre maître ; voyant enfin ses efforts trompés par la vigilance de Libérius, il tourna la place et alla surprendre Ariminum dont il s’empara.

Ariminum, aujourd’hui Rimini, était le port de ravitaillement de Ravenne. Là se rendaient les flottilles de navires légers qu’on appelait Dromons[83], et qui servaient soit au cabotage de la côte, soit à l’approvisionnement de la ville impériale. Maîtresses de la mer, ces flottilles se rendaient avec leur chargement de vivres près des îles qui regardent Ravenne au levant ; elles s’y tenaient à l’ancre jusqu’à ce que l’heure du flux leur permît d’aborder le port ; leur provision déposée, elles reprenaient la mer, et allaient se recharger sur divers points de la côte, qui tenait presque tout entière pour Odoacre.

La possession d’Ariminum fit passer dans les mains de Théodoric les instruments du ravitaillement de Ravenne ; il put affamer la ville assiégée et presser l’ennemi de tous les côtés. Cependant il ne réunit ‘pas assez de navires armés pour tenter sur le port une attaque de vive force. Ses progrès dans le centre de l’Italie étaient lents et contestés. Il eut même besoin de reparaître de temps en temps à Pavie, pour maintenir sous son obéissance les cités riveraines[84] du Pô. Celles de l’Italie méridionale refusèrent unanimement de le reconnaître, les unes par attachement pour Odoacre, les autres par esprit d’indépendance municipale. Il y en eut qui chassèrent leurs magistrats et secouèrent tout frein de gouvernement : le Brutium particulièrement fut en proie à la plus dangereuse anarchie. Cette circonstance créa entre Théodoric et Cassiodore, père du futur questeur du roi des Goths, et lui-même ancien serviteur d’Odoacre, de premiers rapports qui se développèrent plus tard. Propriétaire d’immenses domaines dans cette province, il parvint à y rétablir l’ordre, par sols autorité privée à défaut de celle des lois, et put la remettre aux mains du nouveau maître, préservée et pacifiée. Ainsi firent sur divers points d’autres nobles romains que la„crainte des désordres sociaux rejetait, en quelque sorte malgré eux, dans le parti des Goths.

Quant à la ville de Rome, Théodoric eut la sagesse de ne la violenter en rien, ne l’inquiétant ni par attaque ni par menace, et respectant comme un droit sa prétention bizarre à la neutralité. Le sénat de son côté, resta sous l’empire du fait créé par quinze ans de règne, jusqu’à ce que le sort des batailles en eût décidé autrement ; de sorte que l’administration publique s’exerçait toujours au nom d’Odoacre. Les relations de la ville éternelle avec le patrice assiégé durent être, pendant ce temps, de plus en plus irrégulières et rares, on le conçoit assez ; nous savons toutefois qu’elles n’avaient point cessé en 492, puisque le pape Gélase, élu le 2 mars de cette année, se vante d’avoir résisté à. certains ordres d’Odoacre touchant le règlement de l’église, attendu qu’ils blessaient la justice[85]. Il y avait donc à Rome et par conséquent dans les autres villes de l’Italie non soumises aux Goths, des lieutenants du roi patrice, qui continuaient à commander en son nom. Les monnaies étaient, comme auparavant, frappées à son monogramme, tantôt avec son effigie, tantôt avec celle des empereurs d’Orient. Une d’elles présente la tête et la légende de l’empereur Anastase, qui lie monta sur le trône de Constantinople que le 11 avril 491, pendant la seconde année du blocus de Ravenne[86].

La neutralité du corps du sénat ne liant point ses membres individuellement, ils prirent parti, avec une entière liberté, du côté où leurs idées, leurs intérêts, les circonstances les portèrent. Dans ce combat d’influence, Odoacre, prisonnier au milieu des lagunes du Pô, et sans contact avec les hommes, eut naturellement le dessous. Théodoric, au contraire, armé de tous les moyens d’agir, exerçait sur ceux qui l’approchaient une véritable fascination, par la vivacité de son intelligence, l’essor hardi de sa pensée, et son penchant à choisir le bien, quand l’orgueil ou la passion n’y faisait point obstacle. La gloire historique attachée au nom de Rome l’éblouissait[87] ; et il se prenait à aimer sincèrement la ville éternelle, en songeant qu’il la posséderait un jour. Son maître et ami Artémidore le secondait sans doute dans ces négociations délicates, déployant pour le servir tout ce qu’il avait acquis en Orient d’habileté et de pratique des hommes. Aussi vit-on beaucoup de membres de la noblesse romaine passer successivement sous le drapeau de Théodoric, et dans le nombre Faustus Niger, que les contemporains qualifient de chef du sénat. Ce fut une recrue précieuse pour le roi goth, que la cour de Constantinople semblait renier ou du moins abandonner, depuis bientôt trois ans, et qui sentait le besoin de rétablir avec elle les relations interrompues ; or, quel ambassadeur pourrait parler avec plus d’autorité à l’empereur d’Orient des affaires de l’Occident, que ce chef du sénat de Rome, ce représentant présumé du patriciat occidental ?

Tout rapport d’amitié avait cessé effectivement entre Zénon et son fils d’armes, dès l’arrivée des Goths au midi des Alpes. Après avoir lancé dans les aventures d’une conquête lointaine, ce fils dont la présence lui causait tant d’embarras, le père attendait patiemment le résultat de la campagne, assez peu soucieux de savoir qui l’emporterait, et espérant peut-être au fond de l’âme que les deux rivaux se détruiraient l’un l’autre à son profit. Il avait donc décliné peu à peu toute responsabilité -dans les événements de cette guerre, et Théodoric se trouvait maintenant isolé en Italie, et démenti en quelque façon par l’empereur dont il invoquait à chaque instant l’autorité[88]. Ce n’est pas que Zénon reconnût davantage Odoacre ; les lettres des deux patrices devaient rester également sans réponse, mais la difficulté était plus grande pour Théodoric dont ce silence obstiné paraissait la condamnation évidente. Il demanda en conséquence à Zénon une seconde investiture de l’Italie, plus solennelle que la première, le droit de vêtir le manteau de pourpre, signe de la puissance suprême sur les Romains, et le titre de roi des Romains et des Barbares, en Occident[89]. Faustus Niger se chargea de porter à Constantinople ces propositions, et d’en rapporter la réponse. Théodoric se flattait que l’esprit faible et inconstant de l’empereur céderait à l’ascendant d’un tel délégué ; et au fond il voulait arracher à l’auteur de ta pragmatique une interprétation de cet acte dans le sens qu’il y attachait lui-même, que les Goths y attachèrent après lui, mais que tous les empereurs repoussèrent invariablement, jusqu’à Justinien[90]. La mort dispensa Zénon des ennuis de cette négociation nouvelle : il avait cessé de vivre dès les premiers jours d’avril 491 ; avant l’arrivée de Faustus à Constantinople.

Ce chef du sénat occidental arriva dans des circonstances peu favorables au succès de sa mission, d’ailleurs fort délicate. Au lieu d’un prince qui avait habitué Théodoric à sa pusillanimité, il trouvait une cour préoccupée de graves intérêts et une ville presque en révolution. La mort de Zénon, accompagnée de particularités mystérieuses, avait mis en émoi toutes les passions. On discutait, on s’accusait avec acharnement, on prenait parti pour ou contre le nouvel empereur, Anastase ; et les accusations remontaient jusqu’à l’impératrice elle-même. Les derniers jours du malheureux Trascalissée avaient été livrés aux égarements d’une folie cruelle. Depuis que les magiciens avaient conspiré contre lui, tout homme qui lui déplaisait devenait à ses yeux un magicien qu’il s’empressait de faire disparaître, sauf à le pleurer ensuite si l’innocence de sa victime était reconnue. Par malheur, beaucoup de victimes furent reconnues innocentes ; et Zénon, dont le cœur n’était pas entièrement fermé aux remords, croyait entendre dans le silence de la nuit des voix qui l’appelaient pour le maudire. Il finit par se faire magicien lui-même, afin de mieux échapper à la magie. Sous le poids de ces perpétuelles appréhensions qu’il essayait d’étouffer dans la débauche, la maladie dont il était affecté s’exaspéra. La vie l’abandonnait subitement au milieu d’un festin ; son cœur cessait de battre ; il restait sans mouvement, roide et froid comme un cadavre. La mort, à ce qu’il paraît, vint le visiter pendant une de ces crises terribles ; mais on répandit le bruit que l’impératrice, feignant de se tromper sur son insensibilité apparente, l’avait fait sceller tout vivant dans un tombeau où il était mort de faim : supplice qu’il avait lui-même inventé pour son rival Basilisque[91]. Ce qui sembla confirmer ces abominables rumeurs, c’est qu’avec la même précipitation qu’elle avait, mise à l’enterrer, Ariadne fit nommer empereur à sa place. Anastase, silentiaire du palais, que la malignité publique lui donnait pour amant, et qu’elle épousa presque aussitôt.

Au milieu de ces graves débats, la voix du négociateur italien fut à peine écoutée. Le nouvel empereur, accumulant prétextes sur prétextes, évitait de répondre aux questions que lui posait Théodoric ; et Faustus, traîné de délai en délai, bafoué par tous les artifices de la politique byzantine, n’entretenait plus son maître que du récit de ses déconvenues. Théodoric était hors de lui : il voyait son armée se consumer sans fruit dans les fatigues d’un long blocus dont rien ne lui faisait présager la fin. Campés dans la boue et soumis aux plus rudes privations, les Ostrogoths murmuraient contre leur roi ; ils maudissaient une guerre qui ne leur avait encore rapporté que des souffrances et des mécomptes[92].

Les mêmes mécontentements, et de plus grands encore régnaient à l’intérieur de la ville, où tous, soldats et habitants, mouraient de faim. Quoique la flotte de Théodoric fût trop faible pour tenter une attaque sur le poil., elle suffisait à le bloquer et le ravitaillement ne se faisait plus. Ravenne était donc en proie à une véritable famine : un boisseau de blé s’y vendait six pièces d’or[93], et bientôt on fut réduit à la plus abjecte nourriture. Un morne désespoir s’empara de la population romaine, mais les Barbares souffraient sans parler de se rendre. En proie à une sorte de rage, ils y puisaient on ne sait quelle force inconnue, qui les soutenait jusqu’à ce que leur corps tombât de consomption. Dans cet état violent, ils éclataient, à tout propos, en injures les uns contre les autres ; des injures ils passaient aux coups. Le caractère intraitable des Ruges se signalait, au milieu de ce désordre, par des rixes continuelles. Ils se soulevèrent enfin, Frédéric à leur tête, se jetèrent sur leurs compagnons, et ensanglantèrent les rues de Ravenne[94]. Ainsi la guerre civile se mêlait à la guerre étrangère, au sein de cette ville infortunée, dont on pouvait avec assurance prophétiser la ruine prochaine.

Ravenne avait alors pour évêque Jean, que ses visions avaient fait surnommer Angeloptès[95], c’est-à-dire le Voyeur d’anges. Au mysticisme le plus exalté, se joignait chez ce prêtre un caractère résolu, opiniâtre. et, en ce qui concernait le gouvernement de son église, une fermeté qui allait jusqu’à la rudesse[96]. Prenant en pitié ce peuple condamné à périr, il vint trouver Odoacre, lui parla hardiment de la nécessité de faire la paix ; et le Ruge, étonné de ses discours, l’autorisa à se rendre au camp de Théodoric, suivant son désir. Jean partit processionnellement avec son clergé, précédé de la croix, ainsi qu’il convenait à une telle ambassade[97], et franchit, au grand étonnement des deux armées, la longue chaussée du pont Candidien. Les avant-postes des Goths le laissèrent passer sans mot dire, et Jean fut conduit en présence du roi qui occupait alors, à l’extérieur de Ravenne, comme on l’a vu tout à l’heure, le quartier appelé Petit Palais. En proie à tant de difficultés, Théodoric accueillit le négociateur avec un empressement respectueux, et des préliminaires de conciliation s’ouvrirent par l’intermédiaire de cet homme de paix[98]. L’évêque allait de l’un à l’autre, à travers la chaussée, portant et rapportant les propositions, mais l’œuvre était laborieuse ; aucun ne voulait céder. Il fut enfin convenu que les deux rois habiteraient ensemble Ravenne, sur un pied d’égalité, et se partageraient comme des frères le gouvernement de l’Italie[99]. L’accord fut conclu le 27 février de l’année h93. Odoacre, pour sûreté de sa parole, livra en otage son fils Thélane[100], jeune homme né probablement d’une femme barbare, car l’histoire ne parle nulle part d’une épouse romaine d’Odoacre. Le 5 mars suivant, Théodoric faisait, en grande pompe et sous la conduite de l’évêque, son entrée dans Ravenne, par le quartier de Classe.

Une pareille convent on était fort bizarre assurément, et on ne comprend guère comment elle pouvait s’exécuter dans la pratique ; cependant un écrivain grave, et qui avait pu recueillir sur les lieux mêmes la tradition, encore récente lorsqu’il écrivait, Procope nous affirme que tel fut l’accord intervenu entre Odoacre et Théodoric. Peut-être s’étaient-ils partagé le territoire italien, de manière que chacun en administrât une portion avec un pouvoir souverain ; peut-être et plus probablement, étaient-ils convenus de gouverner la péninsule indivise, chacun à tour de rôle, à la façon des anciens consuls de la république. Dans cette hypothèse, sans doute, le sénat serait resté debout avec ses vieux privilèges honorifiques et son autorité nominale : seulement le patriciat de deux rois barbares aurait remplacé à la tête du gouvernement romain le vieux consulat des Publicola et des Brutus. Ainsi, par une amère dérision du sort. Rome expirante eût présenté la parodie des jours brillants de sa jeunesse. Voilà ce qu’on peut supposer de plus raisonnable d’après les termes de Procope. Ce qui ressort des faits, c’est que les armées restèrent distinctes et que les patrices occupèrent dans Ravenne des quartiers séparés. Cette tentative de rapprochement ne produisit qu’une trêve mal observée. La paix à peine jurée semblait déjà compromise ; il courait de sourdes rumeurs sur les dispositions des deux rois, qui prêtaient par leur attitude à plus d’une conjecture sinistre. On les voyait s’observer l’un l’autre avec inquiétude, et chacun d’eux accusait son rival de perfidie.

On était dans l’attente de quelque grand événement d’une reprise d’hostilités peut-être ; des conciliabules avaient lieu entre les officiers ostrogoths, des réunions clandestines entre les soldats. Ravenne allait se trouver livrée à la plus effroyable catastrophe, quand tout à coup les dispositions parurent changer. Théodoric afficha le retour le plus sincère à des sentiments pacifiques ; et pour célébrer la concorde définitivement rétablie, il invita Odoacre, son fils, et ses principaux officiers à un festin où il assisterait lui-même avec les chefs de son armée[101]. Afin que la solennité reçût plus d’éclat et que les convives fussent plus nombreux : et plus à l’aise, le roi goth fit dresser les tables en plein air, sous un bois de lauriers, dans les jardins du palais[102]. Le dîner fut, à ce qu’il paraît, plein d’entrain et de cordialité. Les convives burent copieusement ; la joie circulait avec les coupes autour des tables, et les soupçons d’Odoacre s’étaient dissipés dans les fumées du vin, lorsque Théodoric, se levant brusquement, donne le signal du massacre. Chaque Goth tombe sur son voisin, Ruge, Hérule, Turcilinge ou Scyre, et le frappe d’une arme qu’il tenait cachée. Théodoric assaille et tue de sa main Odoacre[103]. Après le père, il saisit le fils, que protégeait le caractère sacré d’otage, le renverse au milieu des mets et l’égorge. Aonulf, heureusement pour lui, manquait à ce repas de mort ; il put se sauver, et trouver un refuge dans ces mêmes contrées du Danube qu’il dévastait naguère si cruellement. C’est ainsi que le patrice Théodoric, fils d’armes de l’empereur Zénon, sut, par un seul et même expédient, se débarrasser d’un collègue et d’une convention jurée en face de Dieu[104].

Tandis que ces choses se passaient dans le bois de lauriers du palais, les soldats goths, répandus par la ville, faisaient main basse sur les partisans d’Odoacre ; partout où ils les pouvaient rencontrer, ils les tuaient eux et leur race, disent les historiens[105]. Les mêmes horreurs s’accomplirent hors de Ravenne. C’était une conspiration de tout un peuple pour en exterminer un autre : conspiration conduite avec un sang-froid, gardée avec un secret presque incroyables. S’il peut exister quelque chose de plus effrayant que l’image de Théodoric, rouge de vin et de fureur, massacrant sur la table d’un festin le collègue qu’il a attiré par ses caresses, c’est cette complicité de toute la nation des Goths exécutant le même forfait, à la même heure, dans des lieux si différents, sans provocation ni colère[106]. Voilà pourtant le tableau qui ressort des textes historiques, par malheur fort incomplets. Quelques contemporains, dans le but de justifier les Goths et leur chef, rejettent sur son rival la première pensée du guet-apens, de sorte que Théodoric n’aurait fait que prévenir Odoacre en le tuant[107]. Cette version ne peut pas être celle de l’histoire dont les plus importants témoignages attribuent formellement au roi des Goths l’idée comme la conduite d’une si odieuse trahison[108].

Théodoric n’avait plus de collègue ni d’ennemis. Peu soucieux alors des termes de sa pragmatique et des irrésolutions de l’empereur d’Orient, il quitta sans plus attendre l’habit de sa nation[109], endossa le manteau de pourpre et se fit proclamer roi des Goths et des Romains : ce qu’on traduisit plus tard par roi d’Italie[110]. La fiction du patriciat romain sous laquelle Odoacre avait gouverné pendant près de dix-sept années, s’évanouissait en même temps que la souveraineté des empereurs orientaux, sur le dernier débris de l’empire d’Occident. Non seulement Rome et l’Italie avaient un roi, mais elles cessaient de s’appartenir à elles-mêmes. Un peuple étranger, sujet de ce roi, les tenait sous le joug à titre de conquête : une nouvelle ère commentait dans leur histoire.

 

 

 

 



[1] Tot Reges tecum ad bella convenerant, quot sustinere generalitas milites vix valeret. Ennodius, Paneg. Theod., p. 403, 404.

[2] Castra longo munita tempore... datura est hostibus vallum construere... Ennodius, Paneg. Theod., p. 403, 404.

[3] Deprehensum est varias esse mentes coacervatæ multitudinis, nec spem victoriæ venire de numero. Ennodius, Paneg. Theod., p. 403.

[4] Non castra munita, non fluminis profunda tenuerunt : datura est hostibus tuis vallum instruere, non tuari. Ennodius, Paneg. Theod., p. 104.

[5] Repente æquora fugacium discursus obnubit. Ennodius, Paneg. Theod., p. 104.

[6] Apud Veronam apparatus... magnis instruebatur impendiis. Ennodius, Paneg. Theod., p. 404.

[7] Onuph. ap., p. 57.- Cf. Tillemont, Hist. des Empereurs, VI, p. 451.

[8] Campus minor Veronensis. Anonyme de Valois, p. 718. — Haud procul a Veronensi urbe. Hist. Miscell., XV.

[9] Fixit fossatum in campo minore Veronense, V, kalend. octobr. Anonyme de Valois, p. 718.

[10] Ennodius, Paneg. Theod., p. 404.

[11] Itineris tui permensus intervalla, conspexisti ignes hostium, astrorum more rutilantes, ut si aliquando tibi faisset nota formido, in abruptum te pendere didicisses. Ennodius, Paneg. Theod., p. 404.

[12] Cum primum aurora bigis in croceis ortum jubaris indicavit... jam raucum buccinæ concinebaut. Ennodius, Paneg. Theod., p. 404, 405.

[13] Dum munimentis chalybis pectus includeres, dom ocreis armarere, dum lateri tuo gladius aptaretur, sanctam matrem et venerabileai sororem... Ennodius, Paneg. Theod., p. 404, 405.

[14] Ennodius, Paneg. Theod., p. 407.

[15] Ennodius, Paneg. Theod., p. 407.

[16] Dum indulsisti affectibus, mimica legiones tuæ premehantur instantia. Ennodius, Paneg. Theod., p. 407.

[17] Ennodius, Paneg. Theod., p. 406.

[18] Ex magna parte rapidissimis gurgitibus implicati suffocantur. Hist. Miscell., XV. — Athesis undas opulentas cadaveribus. Ennodius, Paneg. Theod., p. 406.

[19] Ennodius, Paneg. Theod., p. 406.

[20] Dum ipso impetu subsequitur fugientes, Veronam illico invadit. Hist. Miscell., XV.

[21] Ennodius, Paneg. Theod., p. 405.

[22] Superatus Odoacer fugit Ravennam, pridie kalendas octobris. Anonyme de Valois, p. 718.

[23] Ennodius, Paneg. Theod., p. 399.

[24] Ennodius, Paneg. Theod., p. 401.

[25] Cassiodore, Variar., II, 16.

[26] Ennodius, Paneg. Theod., p. 407. — Hist. Miscell., XV.

[27] Odoacer cum exercitu Romam contendit. Hist. Miscell., XV.

[28] Obseratis portis, exclusus est. Hist. Miscell., XV.

[29] Gelas. pap. Epist. ap. Labbe, Concil., IV, p. 1236.

[30] Dum sibi denegari introitum cerneret, omnia quæ attingere potuit, gladio flammisque consumpsit. Hist. Miscell., XV.

[31] Quem ordinaverat Odoachar cum optimatibus suis, kal. april. Anonyme de Valois, p. 718.

[32] Hist. Miscell., XV. — Ennodius, Vit. Épiphane, p. 353.

[33] Ennodius, Natal., Laurent., p. 420, et sqq. ; Poèmes, 36, 37, 46, 50.

[34] Tradiderunt se illi, maxima pars exercitus Odoacri, nec non et Tufa magister militum... Anonyme de Valois, p. 718. — Ad servitium, armis instructa radiantibus, agmina convenerunt. Ennodius, Paneg. Theod., p. 407.

[35] Tufa fuit homo in perfugarum infamia notifia veteri pollutus. Ennodius, Vit. Épiphane, p. 353.

[36] Ennodius, Paneg. Theod., p. 407, 408.

[37] Ennodius, Vit. Épiphane, p. 353.

[38] Paucis interjectis diebus... Hist. Miscell., XV. — Missus est Tufa, magister militum, contra Odoacrem Ravennam. Anonyme de Valois, p. 718.

[39] Exiit Odoachar de Ravenna et venit Faventiam... Anonyme de Valois, p. 718.

[40] Dedititius exercitus, Tufa instigante, Odoacri se partibus reddidit. Hist. Miscell., XV.

[41] Comites patricii Theodorici... Missi sunt in ferro, et adducti Ravennam. Anonyme de Valois, p. 718.

[42] Ultionis vexilla concutiens. Ennodius, Paneg. Theod., p. 407.

[43] Dicat Fridericus qui postquam fidem læsit... Ennodius, Paneg. Theod., p. 408.

[44] Ea res Theodoricum in tantum perterruit, ut se suumque exercitum apud Ticinensem urbem muniret. Hist. Miscell., XV.

[45] Itiner. Hierosolym. — Cons., Géographie des Gaules, par M. le baron Walckenner, t. III, p. 24.

[46] Omnem illam quam totus oriens vix sustinuit, contraxit manum, atque ad Ticinensis civitatis se augustiam contulit. Ennodius, Vit. Épiphane, p. 354.

[47] Videres urbem familiarum eeetibus scatentem, domorum immanium culmina in angustissimis resecata tuguriis... Cerneres a fundamentis ædificia immensa migrare, nec ad recipiendam habitantium densitatem, solum ipsum posse sufficere... Ennodius, Vit. Épiphane, p. 354.

[48] Ennodius, Vit. Épiphane, p. 353.

[49] Anonyme de Valois, p. 718. — Ennodius, Paneg. Theod., p. 408 ; Vit. Épiphane, p. 368.

[50] Voir les chapitres VI et VII.

[51] Consultez le chapitre VI.

[52] Ennodius, Vit. Épiphane, p. 368 et sqq. ; Paneg. Theod., p. 408.

[53] Quis eatenarum nexibus impeditus, dura sorti non uberiores lacrymas exhiberet, cum se ad conditionem Liberator impelleret ? Ennodius, Vit. Épiphane, p. 366.

[54] Ennodius, Vit. Épiphane, p. 367.

[55] Ennodius, Vit. Épiphane, p. 367.

[56] Multos tamen integritatis tuæ fiducia fecit interimi, cum capti superbius responderut. Ennodius, Vit. Épiphane, p. 367.

[57] Plus sex millia animarum, terris patriis reddita... quadringentos homines, die una de sola Lugdunensi civitate dimissos... Ennodius, Vit. Épiphane, p. 370.

[58] Cum hostilis irruptio, more pecorum, Christianum populum per diversa distraheret. Ennodius, Natal. Laurent., p. 424.

[59] Rarus habitator, horror in domibus... ubique pavor et luctus ; Dei templa ferarum habitationibus deputata... Ennodius, Natal. Laurent., p. 424.

[60] Taceo inediam, frigus, et injurias, et illa quaæ tibi inimici animus providit, augmenta morborum. Ennodius, Natal. Laurent., p. 424.

[61] Cum infirmor, tunc potens sum. Paul., 2 ; Cor., 12.

[62] Ennodius, Natal. Laurent., p. 426, et Poèmes, 36 et sqq.

[63] Ego annorum ferme sexdecim, amitæ quæ me aluerat tempestate ea, solatio privatus sum. Ennodius, de Vita sua, p. 317.

[64] Ennodius, de Vita sua, p. 317.

[65] Versus de Castello Honorati episcopi. Ap. Ennodius, Poèmes, p. 28. — Honoratus episcopus Novariensis. Baron., ad ann. 489.

[66] Ecclesiastici milites. Ennodius, Epist. ad Faust., p. 21.

[67] Tunc venerunt Visigothæ in adjutorium Theoderici. Anonyme de Valois, p. 718.

[68] Facta est pugna super fluvium Adduam... III. Idus Augustas. Anonyme de Valois, p. 718. — Cassiodore, Chron.

[69] Ceciderunt populi ab utraque parte, et occisus est Pierius comes domesticorum. Anonyme de Valois, p. 718.

[70] Digressis Gothis, civitas Ticinensis Rugis est tradita. Ennodius, Vit. Épiphane, p. 356. — Relictis ibi matre, sororibus, et universi vulgi multitudine. Hist. Miscell., XV.

[71] Si cujus liberi, uxorque inimicis, a qualibet parte, fuissent intercipientibus occupati... Numerare nequeam quanta ille subjugatorum agmina solo proprio reddidit... Ennodius, Vit. Épiphane, p. 355.

[72] Ennodius, Vit. Épiphane, p. 355.

[73] Homines omni feritate immanes, quos atrox et acerba vis animorum ad quotidiana scelera sollicitabat. Ennodius, Vit. Épiphane, p. 355.

[74] Ennodius, Vit. Épiphane, p. 356.

[75] Qui cum Odoacro erant... Ravennæ sese et aliis circum locis, qua ; munita maxime, inclusere. Procope, Bell. Goth., I.

[76] Subsecutus est eum (Odoacrem) patricius Theodoricus, veniens in Pineta. Anonyme de Valois, p. 718. — Dumque eo loto cui Pinetum nomen est, non procul ab urbe, castra posuisset... Hist. Miscell., XV. — Tertio fore milliario, ab urbe, loto qui appellatur Pineta. Jornandès, B. Get., 57. — Cassiodore, Chron.

[77] Procope, Bell. Goth., I, 1.

[78] Exiit Odoacer de Ravenna nocte cum Herulis, ingressus in Pineta, in fossato patricii Theodorici... Anonyme de Valois, p. 718. — Odoacer cum Herulis egressus Ravenna, nocturnis horis, ad Pontem Candidium, a D. N. Rege Theodorico memorabili certamine superatur. Cassiodore, Chron.

[79] Fugiens Levila, magister militum Odoacris, occisus est in fluvio Veïente. Anonyme de Valois, p. 718.

[80] Ceciderunt ab utraque parte exercitus. Anonyme de Valois, p. 718.

[81] Obsidentes Gothi alia aliis modis oppida ceperunt, at Cæsenam oppidum... neque pactis neque VI potestati suæ subdere potuerunt. Procope, Bell. Goth., I, 1.

[82] Cassiodore, Variar., II, 16.

[83] Blondus Foroliv., Hist., IV ; cet historien suivait ici, selon toute apparence, la tradition conservée à Ravenne. — V. M. le Marquis Du Roure, Histoire de Théodoric, t. I, c. 3, et J. Cuchlæus., Vita Theodorici., p. 37.

[84] Tillemont, Hist. des Empereurs, VI, p, 459.

[85] Gelas. P. Epist. ap. Labbe, Concil., IV, p. 1208.

[86] Je dois la connaissance de ce fait important à mon savant et obligeant confrère M. de Longpérier dont l’autorité est si grande en ces matières. Je ne puis mieux faire que de citer sommairement une partie de la note qu’il a bien voulu me communiquer touchant les médailles du célèbre roi des Hérules et des Ruges.

M. le Marquis de Lagoy qui a publié en 1843, y est-il dit, un mémoire sur quelques médailles à monogramme, en donne une d’Odoacre.

On y voit la tête d’Anastase et un fragment de légende, D. N. AN... Au revers, le monogramme du roi des Hérules. La pièce est d’argent.

Une seconde pièce qui est de cuivre a été publiée par le même antiquaire : d’un côté, OD... et la tête d’Odoacre ; de l’autre, le monogramme du roi.

Diverses autres pièces présentant d’un côté la figure et le nom d’Odoacre, de l’antre son monogramme, ont été publiées par M. Steinbüchel, directeur du Musée de Vienne, dans sa notice sur les médailles romaines en or du Musée impérial et royal, et par M. Julius Friedlænder, de Berlin (Die Manzen der Vandalen, 1849). Une de ces médailles porte le caractère d’atelier de la ville de Ravenne, RV.

Une autre trouvée près de Savignano, entre Ravenne et Rimini, a été publiée par M. le Comte Borghesi, de San-Marino, correspondant de l’Institut et un de nos plus éminents antiquaires.

Cette médaille d’Odoacre et d’Anastase, dont l’authenticité n’a été mise en doute par personne, offre la confirmation la plus complète de ce que nous trouvions d’ailleurs dans l’histoire. Odoacre opposait, à la pragmatique de son rival, son titre de lieutenant des empereurs d’Orient.

[87] Cassiodore, Variar., passim.

[88] Dans les parties de l’Italie qui le reconnaissaient, on joignait le nom de Zénon au sien, comme la sanction de son pouvoir :

Salais D. N. Zenone Aug. et gloriosissimo rege Theodorico, Valentiniani V. C. et Inl., etc. Orelli, Inscript., I, n° 1154.

[89] Mittens legationem Theodorieus Festum (Faustum Nigrum), caput senati, ad Zenonem, ab eodem sperans vestem se induere regiam. Anonyme de Valois, p. 718. — Insigne regii amictus, quasi jam Gothorum Romanorumque regnator. Jornandès, R. Get., 57.

[90] Procope, Bell. Goth., I, II, III.

[91] Theophan., Chron., p. 116. — Evagr., III, 29. — Zonaras, p. 44. Cedrenius, p. 355. — Cassiodore, Chron. — Anonyme de Valois, p. 718, 719.

[92] Cum jaco in tertium annum traheretur obsidio, Gothi assidere mœnibus fessi... Procope, Bell. Goth., I, 1.

[93] Pactus est usque ad sex solidos modius tritici. Anonyme de Valois, p. 718. — Fame et bello quotidie intra Ravennam (Odoacer) laborabat. Jornandès, R. Get., p. 57. — Rerum quibus vivitur penuria. Procope, Bell. Goth., I, 1.

[94] Dicat Fredericus qui, postquam fidem læsit, hostes tuos interitu comitatus est, contra illos arma concutiens, quibus fuerat errore sociatus ; quando nata est inter sceleratos... discordia. Ennodius, Paneg. Theod., p. 408.

[95] Άγγελοπτής, Vit. S. Joan. Episc. Raven. ap. Bollandus, 12 jan. p. 727.

[96] Gelas. P. Epist., ap. Labbe, Concil., IV, p. 1066, 1069.

[97] Ces détails, fournis par la tradition ravennate, se retrouvent dans les auteurs du moyen âge.

[98] Onuphr. ap., p. 57. — Tillemont, Hist. des Empereurs, VI, p. 455.

[99] Conciliator fuit Antistes Ravennæ, ut Theodericus atque Odoacer ex æquo viverent. Procope, Bell. Goth., I. Transl, ap. Murat., tome I, p. 248. — Ut pari jure Ravennæ imperent. Goth. transl., Hist. Goth., p. 140. Amstel., 1655. — Έπί τή ϊση xαί έμοία διxίτη. — Cf. Jornandès, R. Get., 57. — Anonyme de Valois, p. 718.

[100] Odoacer dedit filium suum Thelane obsidem Theoderico. Anonyme de Valois, p. 718. — Cassiodore, Chron. — Onuph., ap., p. 57. — Tillemont, Hist. des Empereurs, VI, p. 456.

[101] Ad epulas vocatum dolo... Procope, Bell. Goth., I, 1. — In palatio, jugulans... Jornandès, Reg. Succ., 47.

[102] In Laureto... in palatio. Anonyme de Valois, p. 718.

[103] Manu sua interemit. Anonyme de Valois, p. 718. — Truculenter. Marcell., Chron. — Procope, Bell. Goth., I, 1. — Marcell., Chron.

[104] Is pactis eventus fuit... Procope, Bell. Goth., I, 1. — Perjuriis illectus Odoacer. Marcell., Chron.

[105] Cujus exercitus in eadem die, jussu Theodorici, omnes interfecti sunt quis ubi potuit reperire, eum omni stirpe sua. Anonyme de Valois, p. 718.

[106] Ennodius a l’affreux courage d’admirer cette complicité de Théodoric et de son peuple dans la perpétration d’un assassinat ; il en fait même remonter l’inspiration à Dieu.

Fecisti consillorum participera in secretis populum jaco probatum. Neminem adversarium agnovisse contigit, quod tecum pars mundi potior dispodebat, Mandata est per regiones disjunctissimas vox votiva. Quis hæc prater supernam voluntatem præstitit, ut unius ictu temporis effunderetur romani nominis clades, longa temporum improbitate collecta ? Paneg. Theod., p. 407, 408.

[107] Odovacrem molientem sibi insidias interemit. Cassiodore, Chron. — Dum ei Odoachar insidiaretur. Anonyme de Valois, p. 718.

[108] (Odoacrum) ac si suspectum, in palatio jugulans... Jornandès, de Reg. Succ., 47 ; R. Get., 57. — Odoacer perjuriis illectus... Marcell., Chron. — Theodoricus dolo occidit... Procope, Bell. Goth., I, 1.

[109] Ut ingressus est Ravennam, et occidit Odoacrem, Gothi sibi confirmaverunt Theodoricum regem, non expectantes jussionem novi Principis. Anonyme de Valois, p. 718. — Suæ gentis vestitum repouens, insigne regii amictus... assumit. Jornandès, R. Get., 57.

[110] Gothorum Romanorumque regnator. Jornandès, R. Get., 57. — Regnum gentis suæ, et Romani populi... Jornandès, de Reg. Succ., 47. — Regnum Italiæ. Cassiodore, Variar., II, 41.