Lettre de Masséna à Bonaparte, le 19 vendémiaire an V. J'ai lu votre rapport de la bataille de Saint-Georges, mon général, et de l'affaire de Cérea. C'est avec la dernière surprise que j'ai vu que vous faites l'éloge de quelques généraux qui, bien loin d'avoir contribué au succès de cette heureuse journée, ont failli faire écraser une colonne de ma division, destinée à l'attaque de la Favorite ; et vous ne dites pas un seul mot de moi ni de Rampon. J'ai aussi à me plaindre de vos rapports de Lonado et de Roveredo, dans lesquels vous ne me rendez pas la justice que je mérite. Cet oubli me déchire le cœur et jette du découragement dans mon âme. Je rappellerai, puisqu'on m'y contraint, que le gain de la bataille de Saint-Georges est du à mes dispositions militaires, à mon activité, et à mon sang-froid à tout prévoir. Par la faute du général Sahuguet de n'avoir pas attaqué la Favorite comme vos ordres le portaient, la grande force de l'ennemi s'est portée entre Saint-Georges et la Favorite, et sans l'ordre que je donnai à l'intrépide général Rampon de se porter sur ma droite et d'y attaquer l'ennemi, ma division était tournée, et c'en était fait de la bataille. La brave 32e eut à soutenir un combat des plus opiniâtres pendant quatre heures, et vous ne dites pas un mot de moi ni de Rampon qui avons joué les principaux rôles dans cette mémorable journée. Personne autre que Chabran n'a marché à la tête des grenadiers ; il s'y est tenu constamment ; Marmont et Leclerc n'y sont arrivés qu'au fort de l'action. Je n'ai assurément qu'à me louer de la manière dont ils se sont conduits ; mais cela ne doit pas faire taire ce que l'on doit à Chabran, sujet aussi brave qu'intelligent, pour lequel je vous demande en vain depuis longtemps le grade de général de brigade. Ma lettre est dictée avec ma loyauté et ma franchise ordinaires, et c'est en vous ouvrant mon âme que je me flatte que vous me rendrez justice, ainsi qu'à plusieurs officiers de mon état-major. |