HISTOIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON BONAPARTE

GUERRE D'ITALIE. - TOME SECOND

 

CHAPITRE XV.

 

 

Moreau se retire du Lech sur le Rhin. — Retard des renforts promis à Bonaparte. — Discussion avec Willot. — Bonaparte cherche un auxiliaire dans la liberté des peuples. — Le Directoire la subordonne aux convenances de sa politique. — Révolution de Reggio et de Modène. — Manifeste de Bonaparte contre le duc. — Il convoque le congrès Cispadan. — Ligue de Reggio, Modène, Bologne et Ferrare. — Créations de légions italiennes et d'une légion polonaise. — Alvinzi sur la Piave. — Situation de l'armée française. — Bataille de la Brenta. — Vaubois repoussé du Tyrol. — Bataille de Caldiero. — Sombres pressentiments de Bonaparte. — L'armée française passe l'Adige à Ronco. — Bataille d'Arcole.

 

Tandis que l'armée d'Italie se repose sous ses drapeaux victorieux et avant qu'elle vole à de nouveaux combats, portons un instant nos regards sur les armées d'Allemagne. Après la retraite de Jourdan, Carnot avait écrit à Bonaparte qu'elle avait déconcerté tous les projets du Gouvernement, et que l'armée de Rhin-et-Moselle s'était trouvée compromise, presque cernée, obligée de se retirer avec précipitation pour sauver son flanc, et qu'il faudrait toute l'habileté de Moreau pour sortir d'embarras.

En effet, dès son arrivée sur la Lahn, l'archiduc Charles avait envoyé un corps commandé par le général Petrasch pour attaquer le général Scherb que Moreau avait laissé avec 2.800 hommes contre Manheim et Philipsbourg, et enlever les têtes de pont d'Huningue. Scherb n'eut que le temps de se retirer sur Kehl. Petrasch l'y suivit et l'attaqua, mais sans succès, grâce à la bonne conduite de la garde nationale de Strasbourg.

Alarmé d'un combat qui aurait pu lui enlever sa retraite, Moreau sentit la nécessité de se rapprocher du Rhin, quitta les bords du Lech, le 4e complémentaire, et, après avoir passé sur le corps des armées autrichiennes, ramena son armée sur le Rhin, et se trouva, le vendémiaire, en communication avec la France.

Dans son message au corps législatif (25 vendémiaire 16 octobre) le Directoire caractérisa ainsi cette retraite : Elle sera mise par la postérité an nombre des plus belles opérations militaires qui aient jamais été exécutées dans aucun pays, et elle couvre de gloire l'armée de Rhin-et-Moselle et son modeste général. Mais à l'armée d'Italie où l'on ne pouvait plus, ainsi qu'on s'en était longtemps flatté, compter sur le concours des armées du Rhin, on parlait autrement de cette retraite. Au sujet de la bataille de Biberach, le général Kilmaine écrivit à Bonaparte (8 vendémiaire) : La dernière victoire de Moreau est belle, sans doute ; mais la victoire d'une armée qui n'en décampe pas moins ne nous sert pas beaucoup, et je crois que nous serons obligés de ne compter que sur nous.

Le Directoire ayant hautement signalé cette retraite comme une des plus belles opérations militaires, on le répéta de toutes parts, et il ne fut plus permis d'avoir une autre opinion sans passer pour un ignorant ou un envieux de la gloire de Moreau.

Napoléon a fait une longue critique de cette retraite et même des opérations militaires de ce général pendant toute la campagne, disant qu'elle était une grande faute, et qu'au lieu d'éloges, elle méritait la plus sévère censure. Nous n'examinerons pas jusqu'à quel point sont fondés les motifs de cette opinion. Ici, comme presqu'en toutes choses, la vérité se trouve probablement entre les extrêmes. Un écrivain, dont le jugement a quelque poids, nous paraît l'avoir exprimée en ce peu de mots[1] : Ainsi finit cette retraite que d'une part on a trop vantée, et que de l'autre on a sans doute jugée avec trop de rigueur. Du reste, la question n'est pas de savoir si elle fut savante et heureuse, mais si Moreau n'aurait pas pu prendre un parti plus utile à son pays. Il restera toujours pour avéré que les opérations des armées françaises en Allemagne pendant cette campagne, furent en général dénuées de vigueur et d'ensemble ; que leurs succès éphémères furent bientôt effacés par leurs revers. En un mot on peut dire, sans rabaisser les talents et la gloire des généraux commandant en chef ces armées, qu'elles n'avaient pas un Bonaparte à leur tête.

L'Autriche faisait des efforts extraordinaires pour réparer ses défaites en Italie, et rassemblait une armée dans le Frioul et le Tyrol sous le commandement du maréchal Alvinzi, pour délivrer Wurmser et sauver Mantoue. De son côté, Bonaparte réunissait toutes ses ressources. Il n'arrivait qu'une très-faible partie des renforts qui lui avaient été promis, encore après de longs retards on les arrêtait parfois en route. Il avait donné des ordres pour le départ des corps que Willot avait jugé à propos de retenir à leur passage dans la 8e division militaire. Ce général refusa de les rendre. Bonaparte se plaignit amèrement au Directoire de cet acte de désobéissance qui lui fournit l'occasion d'exprimer franchement son opinion sur Willot. Il avait 8.000 hommes dans sa division, force suffisante pour conquérir le Midi de la France, s'il avait été en révolte. Bonaparte, avec 8 ou 900 hommes, faisait la police dans un pays ennemi plus étendu que toute cette division, et le tenait en respect. Willot avait des principes exagérés et embrassait trop facilement les différentes opinions des partis qui déchiraient la France, pour pouvoir maintenir l'ordre dans le Midi, sans une armée puissante. Il jouissait de la réputation d'un brave homme et d'un bon militaire mais d'un royaliste enragé. Ne le connaissant pas et n'ayant pas eu le temps de peser ses opérations, Bonaparte était bien éloigné de confirmer ce jugement ; mais il lui paraissait avéré que ce général agissait dans le Midi de manière à y faire naître une Vendée. Si on laissait Willot à Marseille, il fallait lui donner une armée de 20.000 hommes, ou s'attendre aux scènes les plus affligeantes. Quand une ville est en état de siège, ajoutait Bonaparte[2], un militaire devient une espèce de magistrat, et doit se conduire avec modération et décence ; il ne doit pas être un instrument de faction, un officier d'avant-garde. Je vous prie d'ôter de dessous mes ordres la huitième division, parce que les principes et la conduite du général Willot ne sont pas ceux qu'il doit avoir dans sa place, et que je me croirais déshonoré de voir se former un foyer de troubles dans un endroit où je commande. Par sa désobéissance et son insubordination, il est la cause des horreurs qui se commettent en ce moment dans le département des Alpes-Maritimes. Le convoi des tableaux, chefs-d'œuvre de l'Italie, a été obligé de rentrer à Coni pour n'être pas pris par les Barbets. Si le général Willot n'obéit pas sur-le-champ à l'ordre que je lui ai donné de faire partir la 83e demi-brigade, mon projet est de le suspendre de ses fonctions.

Cette lettre était une critique indirecte du gouvernement du Directoire, qui régnait alternativement par les partis ; qui alors, craignant moins les royalistes que les anarchistes, avait lancé contre les derniers un général dévoué à la royauté, qui poursuivait sans distinction tous les républicains.

Pour ne pas donner ouvertement raison à Bonaparte ni revenir sur ses propres actes, le Directoire prit un terme moyen. Il ordonna que la 8e division militaire serait provisoirement distraite de l''arrondissement de l'armée d'Italie, excepté les deux départements des Basses-Alpes et des Alpes-Maritimes. Il prescrivit à Willot de ne conserver de troupes que ce qui était indispensable pour le maintien de la tranquillité dans les pays soumis à son commandement, et de faire passer en Italie toutes celles dont il pourrait disposer.

La décision du Directoire était illusoire, puisqu'il s'en référait au jugement de Willot qui ne croyait pas avoir assez de 6.000 hommes. Du reste, faisant un éloge pompeux de ce général, le Directoire abusé répondait à Bonaparte : Il n'a cessé de donner des preuves de son patriotisme à l'armée des Pyrénées, où il s'est beaucoup distingué ; c'est lui qui a préparé en partie la pacification de la Vendée, si glorieusement achevée par le général Hoche ; sa conduite, dans cette circonstance, est une preuve de ses sentiments républicains, et détruit toute espèce de soupçon d'attachement de sa part à la royauté et à ses partisans[3].

Pour mettre le Directoire en état de connaître les renforts dont l'armée avait besoin, le général en chef lui en fit ainsi le calcul dans la supposition de divers événements probables qui pouvaient se réaliser :

La république de Venise avait peur ; elle tramait avec le roi de Naples et le pape ; elle se retranchait et se fortifiait dans sa capitale. De tous les peuples de l'Italie, les Vénitiens étaient celui qui haïssait le plus la France : ils étaient tous armes, et il y avait des cantons où les habitants étaient braves. Leur ministre à Paris leur écrivait de s'armer, sans quoi tout serait perdu : il n'y avait rien à faire de ces gens-là, tant que Mantoue ne serait pas pris.

Le roi de Naples avait 6.0.000 hommes sur pied et ne pouvait être attaqué et détrôné que par 18.000 hommes d'infanterie et 3.000 de cavalerie. Il était possible que, de concert avec l'Autriche et Rome, il portât sur cette ville et ensuite sur Bologne et Livourne un corps de 15.000 hommes qui pourrait inquiéter beaucoup l'armée française.

Le grand duc de Toscane était absolument nul sous tous les rapports ; le duc de Parme aussi ; mais il se conduisait assez bien.

Rome était forte par son fanatisme ; si elle se montrait contre la France, elle pouvait accroître de beaucoup la force du roi de Naples, obliger Bonaparte à tenir trois mille hommes de plus sur ses derrières, à cause de l'inquiétude que la cour papale jetterait dans l'esprit des peuples. Pour soumettre Rome seule sans Naples, il fallait 2.000 hommes d'infanterie et 1.500 de cavalerie. Si elle armait, le fanatisme lui donnerait quelque force ; il y aurait du sang répandu : si Rome était réunie avec Naples, il ne fallait pas moins de 20.000 hommes d'infanterie et 2.000 hommes de cavalerie ; et si l'on voulait aller à Naples, après avoir été à Rome, une armée de 24.000 hommes d'infanterie et de 3.500 de cavalerie était nécessaire. 6.000 hommes d'infanterie et 500 de cavalerie suffisaient pour tenir les états du pape en respect, en s'y conduisant avec adresse et caractère, une fois que l'on s'en serait rendu maitre.

Le roi de Sardaigne fomentait la rébellion des Barbets. Si Naples et Rome agissaient contre la France, il convenait de jeter 3.000 hommes de plus dans les places du Piémont[4].

Le Directoire répondit que les ordres étaient donnés pour l'envoi de 6.000 hommes tirés des 15e et 17e divisions militaires, et que les 6.000 hommes à prendre sur les 9e et 10e divisions étaient en route ; que hommes étaient retirés des côtes de l'Océan et dirigés en Italie, et qu'au surplus il pressait le ministre de la guerre de satisfaire autant que possible aux différentes demandes du général[5].

Malgré tout ce qu'il pouvait y avoir d'impératif dans ces ordres, ils n'étaient jamais qu'imparfaitement exécutés. Bonaparte écrivit au Directoire :

On se coalise de tous côtés contre nous ; on attend le moment pour agir ; on agira avec succès si l'armée de l'empereur est un peu renforcée : Trieste est aussi près de Vienne que Lyon l'est de Paris. En quinze jours les troupes y arrivent. L'empereur a déjà de ce côté-là une armée. Je vous envoie toutes les pièces qui vous mettront en état de juger de notre position et de la situation des esprits. Il est de nécessité, à la fin d'une campagne comme celle-ci, d envoyer 15.000 hommes de recrues. L'empereur en a envoyé trois fois dans sa campagne. On gâte tout en Italie ; le prestige de nos forces se dissipe ; on nous compte.

D'après la réponse du général Châteauneuf-Randon par un courrier extraordinaire que je lui avais envoyé, je ne puis rien espérer au-delà de 2.000 hommes, et votre ordre en portait 6.000. Vous m'avez prévenu par le dernier courrier qu'il allait arriver 10.000 hommes indépendamment de ces deux mille. Vous devez me faire connaître le jour et le lieu de leur départ, avec leur état de situation : s'il part 10.000 hommes, vous devez calculer qu'il n'en arrivera que 5.000. Je ne sais pas encore si le général Kellermann fait venir la 40e de Lyon, et si le général Willot obéit à l'ordre que je lui ai donné de faire partir la 83e. De ces deux demi-brigades, si elles arrivent à temps, dépend peut-être le destin de l'Italie[6]. Tout annonce que d'ici à un mois il s'y portera de grands coups[7].

Bonaparte faisait fortifier Pizzighittone, Reggio, les châteaux de Ferrare et d'Urbin, tous les bords de l'Adda et ceux de l'Adige. Dans l'incertitude des projets, du nombre des ennemis et du genre de guerre qu'il avait à faire, il n'oubliait aucune précaution. Il y avait aux hôpitaux beaucoup de malades, notamment des officiers d'artillerie et du génie. Il en demandait une dizaine de chacune de ces armes que le siège de Mantoue avait ruinées ; il désirait qu'on en laissât le commandement aux généraux Chasseloup et Lespinasse, deux très-bons officiers. Il y avait tant de généraux de brigade blessés et malades, que, malgré ceux que le Directoire créait tous les jours, il en manquait encore. A la vérité, on en avait envoyé de si ineptes, qu'on ne pouvait les employer à l'armée active. Tout ce qui venait de la Vendée n'était pas accoutumé à la grande guerre ; il en était ainsi des troupes ; mais elles s'aguerrissaient.

Pour recruter ses régiments, Bonaparte demandait des hommes qui eussent servi dans la cavalerie ; qu'on les envoyât avec leurs uniformes, leurs sabres et carabines, et les dragons avec des fusils d'infanterie ; il se chargeait de leur fournir des chevaux. Il pensait que moyennant quelques recruteurs qui rappelleraient qu'à l'armée d'Italie on payait en argent, il serait possible de se procurer un bon nombre d'anciens gendarmes qui infestaient les rues de Paris. Il invitait le Directoire à donner la retraite à deux chefs de brigade de dragons et de chasseurs, toujours malades la veille du combat, et qui n'aimaient pas le sabre[8].

Les renforts étaient demandés par Bonaparte, sous un antre rapport qui, quoique secondaire, n'en était pas moins très-important et de nature à toucher le Directoire. Plus vous enverrez d'hommes, écrivait-il[9], plus nous lèverons de contributions. Indépendamment de sa nourriture, l'armée d'Italie a produit dans la campagne d'été 20 millions à la République : elle peut en produire le double pendant la campagne d'hiver, si vous envoyez en recrues et en nouveaux corps une trentaine de mille hommes. Rome et toutes ses provinces, Trieste et le Frioul, même une partie du royaume de Naples, deviendraient notre proie ; mais pour se soutenir il faut des hommes.

Bonaparte demandait aussi des armes au Directoire ; mais elles n'arrivaient pas. Il trouva à Livourne 64.000 fusils appartenant au roi d'Espagne, et en fit prendre 20.000, après en avoir demandé la permission à M. d'Azara, qui répondit que cela ne le regardait pas ; mais qu'il n'y voyait pas un grand inconvénient, pourvu qu'on les fit remplacer. Le général en chef invita le Directoire à s'arranger à cet égard avec la cour d'Espagne qui gagnerait à ce qu'on lui rendit ces fusils aux Pyrénées, puisqu'à Livourne ils auraient pu être pris par les Anglais[10]. Le Directoire chargea le ministre des relations extérieures de traiter cette affaire avec le gouvernement espagnol.

Aux renforts déjà promis, le Directoire annonça qu'il ajouterait de nouvelles troupes qui seraient tirées de l'Ouest, jusqu'à la concurrence de 8 à 10.000 hommes, et qu'il avait déjà prévenu le général Moreau que son intention était de détacher en Italie une colonne de 10.000 hommes de l'armée de Rhin-et-Moselle, où elle serait remplacée par des troupes de celles de Sambre-et-Meuse ; mais ce mouvement ne pouvait avoir lieu que lorsque les opérations de la campagne seraient interrompues sur le Rhin, ou que la supériorité des armés françaises y serait bien décidée[11].

Il n'est pas douteux que le vainqueur de l'Italie n'ambitionnât la gloire défaire tourner les conquêtes de la République au profit de la liberté des peuples ; mais l'incertitude dans laquelle il était sur l'arrivée des renforts qui lui étaient annoncés, décida Bonaparte à se créer autour de lui des forces auxiliaires, à prendre de lui-même un parti qui changeait entièrement le caractère et le but de la guerre, et qui était en opposition formelle avec les vues constamment manifestées par le Directoire.

Dès le commencement de la campagne, après ses premières victoires, Bonaparte avait hautement annoncé la liberté aux Italiens. Il était entré, il avait été reçu à Milan en libérateur. Cependant il s'était borné à donner au Milanais une organisation provisoire ; une administration générale, dans laquelle on voyait figurer les Serbelloni, les Visconti, les Parini, les Verri, les Sommariva, et les noms les plus recommandables, n'avait qu'une existence précaire, une autorité équivoque. Elle avait reçu et publié des adresses dans lesquelles respirait l'amour de la liberté et de l'indépendance ; elle avait ouvert un concours sur cette question : Quel est le gouvernement libre qui convient le mieux au bonheur de l'Italie ? Bonaparte avait même posé au Directoire des questions sur l'état politique de la Lombardie ; la solution en avait été ajournée jusqu'à ce que, bien éclairé sur les dispositions des habitants, il pût juger si ce peuple était digne de recevoir l'indépendance. En attendant, il avait recommandé au général en chef de diriger dans les états conquis l'opinion vers la liberté, sans perdre de vue que la paix pouvait dépendre du sort du Milanais ; qu'il importait de ménager des moyens d'échange pour consolider la réunion à la République de quelques parties de territoire ; qu'il était essentiel de ne pas favoriser indiscrètement des innovations politiques nuisibles à la conclusion de la paix et à l'affermissement de la liberté en France. Cependant le Directoire autorisait en même temps le général en chef à organiser des bataillons de Milanais, sans que toutefois ils pussent être considérés comme troupes de la République, et l'invitait à jeter, par des proclamations énergiques, des germes d'insurrection dans les pays mêmes où les armées, françaises n'avaient pas pénétré, notamment en Hongrie, où, prétendait-il, des intérêts politiques fortement prononcés dans la noblesse et le peuple les disposaient à secouer le joug de l'Autriche[12].

Au milieu de ces contradictions, il est évident que le sort des peuples de l'Italie était, dans l'opinion du Directoire, subordonné aux convenances de la politique. Cependant, jusqu'à ce qu'il fût statué sur leur destinée, comme représentant une nation libre, il ne pouvait pas laisser impunément opprimer les Italiens qui, en faisant entendre des cris de liberté, appelaient de leurs vœux les Français et contribuaient de tous leurs moyens à leurs triomphes. Ainsi, pendant les négociations de la paix à Paris, le gouvernement sarde, ayant appris qu'une des conditions de cette paix assurerait aux patriotes piémontais une garantie pour leur tranquillité future, s'était empressé de les livrer aux bourreaux. La frayeur qu'inspirait l'armée d'Italie aux cours de Rome et de Naples produisait les mêmes horreurs dans le midi de l'Italie, et les prisons où gémissaient les patriotes étaient vidées par des exécutions. Le Directoire avait chargé Bonaparte de notifier aux petits princes d'Italie qu'ils eussent à arrêter le cours de ces atrocités, qu'ils répondraient de tout le sang qu'ils feraient verser, et lui avait recommandé de faire entrer, comme clause nécessaire, dans les armistices qui pourraient être conclus, la défense de poursuivre les patriotes[13].

Quant aux dispositions des peuples, elles s'étaient manifestées pendant les chances diverses de la guerre. Une partie de la population, excitée, soit par la haine de l'étranger, soit par le fanatisme de Rome et par l'argent et les intrigues de l'Autriche et de l''Angleterre, montrait des dispositions hostiles contre les Français ; mais une autre partie, avide de la liberté, encouragée par l'exemple et les victoires des soldats républicains, était impatiente du joug de ses aristocrates ou de ses princes, et prête à se soulever contre eux. Sans favoriser l'esprit révolutionnaire en Italie, Bonaparte se complaisait à le voir fermenter en Lombardie, dans le Modenais, à Bologne, à Ferrare, à Gènes, à Venise. Le Directoire, quoique composé d'hommes plus ou moins imprégnés du système de propagande révolutionnaire, hautement professé dans le commencement de la guerre déclarée à la révolution française par la coalition des rois, semblait avoir renoncé à ces idées, depuis que la Prusse, l''Espagne, la Sardaigne, Naples et plusieurs princes d 'Italie, avaient fait la paix ou étaient près de la conclure avec la République.

Ce n'était donc plus dans l'intérêt des peuples, mais seulement pour l'indépendance et l'agrandissement de la France que le Directoire faisait la' guerre. Par une contradiction inexprimable, et faisant de la liberté un instrument servile, il voulait que l'on protégeât les patriotes italiens, qu'on stipulât des garanties pour eux dans les traités ; qu'on nourrît même les dispositions révolutionnaires ; mais il n'entendait pas qu'on leur permit d'éclater. Pour lui, les conquêtes n'étaient que des objets de restitution ou de compensation ; et, par la moins honorable des conceptions, il regardait l'élan des peuples vers la liberté comme un épouvantail pour leurs gouvernements et un acheminement de plus vers la paix ; en un mot, il était prêt à les soutenir ou à les sacrifier suivant les convenances de sa politique. Mais Bonaparte ne partageait pas ces froids calculs ; le feu couvait sous la cendre ; il lui laissa faire explosion et souffla même l'incendie. Du Milanais, de Bologne et de Ferrare où il était déjà allumé, il se propagea dans - le duché de Modène. Les Bolonais et les Ferrarais s'étaient montrés impatients de secouer le joug du pape ; mais le Directoire, n'ayant pas voulu prendre d'engagements envers les peuples, avait désiré seulement que l'on s'attachât à maintenir dans ce pays des dispositions favorables à la liberté, en attendant que son sort politique fût décidé[14].

La ville de Reggio s était soulevée contre le duc Modène ; des députés de cette ville étaient venus demander à Bonaparte protection et assistance. Il avait cru devoir les exhorter à la tranquillité, parce qu'on avait conclu un armistice avec le duc. Il n'en avait rendu compte au Directoire que pour lui faire savoir que les sujets du duc de Parme et de Modène étaient fort peu attachés à leurs princes[15].

Le Directoire n'avait pas paru non plus disposé à favoriser ces mouvements. Au contraire il avait pensé que les circonstances et l'amitié qui existaient entre la république française et la cour d'Espagne pourraient demander qu'il fut accordé à la paix générale quelques concessions au duc de Parme, dont l'agrandissement en Italie serait avantageux pour la France, sous plusieurs rapports politiques[16].

Mais en vain on s'efforçait, sinon d'éteindre, au moins de comprimer ces étincelles ; elles se jouaient de ces efforts, à chaque instant elles éclataient. Des rixes s'élevèrent à Reggio entre les habitants et les troupes du duc ; ils coururent aux armes ; les soldats au nombre de 700 hommes, ne se trouvant plus en sûreté dans la ville, en sortirent pendant la nuit, et se retirèrent à Modène. L'arbre de la liberté fut planté, le 8 fructidor (25 août) ; les habitants prirent la cocarde tricolore, et proclamèrent qu'ils voulaient être libres sous la protection de la république française. Ils formèrent une garde nationale ; on célébra par des fêtes cette résolution qui ne coûta pas une goutte de sang.

A Modène on voulait imiter l'exemple de Reggio, et planter l'arbre de la liberté. Le gouvernement ducal fit marcher des troupes contre les patriotes ; ils furent disperses ; il en périt quelques-uns dans le tumulte. Le commissaire Sallicetti vint à Reggio sceller la révolution par sa présence ; il écrivit à la régence : J'ai appris avec la plus grande indignation la trahison que la régence a osé tenter contre les bons patriotes de Modène, parce qu'ils demandaient la liberté. Le sentiment du Directoire est que tous les peuples qui veulent être libres doivent l'être[17]. La régence doit songer à accorder une prompte liberté au peuple, si elle ne veut se rendre coupable et s'attirer la rigueur extrême d'une République qui ne craint pas ses ennemis.

Tels étaient les événements qui s'étaient passés sous les yeux de Bonaparte lorsqu'il écrivit plus d'un mois après au Directoire :

Le peuple de la Lombardie se prononce chaque jour davantage ; mais il est une classe très-considérable qui désirerait, avant de jeter le gant à l'empereur, d'y être invitée par une proclamation du gouvernement qui serait une espèce de garantie de l'intérêt que la France prendra à ce pays-ci, à la paix générale.

Cette résolution et un arrêté qui établirait un gouvernement régulateur, et qui reconnaîtrait dès aujourd'hui l'indépendance de la Lombardie avec quelques modifications pour la durée de la guerre, vaudrait à l'armée autant qu'un secours de 3 à 4.000 hommes.

Reggio a fait sa révolution et a secoué le joug du duc de Modène. C'est peut-être le pays d'Italie qui est le plus prononcé pour la liberté.

Modène avait essayé d'en faire autant ; mais les 1.500 hommes de troupes que le duc y tient en garnison ont fait feu sur le peuple et dissipé l'attroupement. Je crois que le plus court de tout ceci serait de déclarer l'armistice rompu, vu qu'il est encore dû cinq à six cent mille livres, et de mettre cette place à l'instar de Bologne et de Reggio ; ce seraient des ennemis de moins que nous aurions, car la régence ne dissimule pas la crainte que nous lui inspirons, et la joie qu'elle ressent des succès des ennemis. Je vous prie de vouloir bien me prescrire vos ordres là-dessus. Je crois qu'il ne faut pas laisser cet état dans la situation de déchirement où il se trouve, mais déclarer au plénipotentiaire que vous avez à Paris les négociations rompues. Au lieu d avoir un nouvel ennemi, nous aurions au contraire des secours et des alliés, les peuples de Modène et de Reggio réunis. Cependant, comme la face des affaires change tous les quinze jours dans ce pays, puisque tout suit les opérations militaires, et qu'il ne faudrait pas que votre rupture avec Modène arrivât dans un instant où je ne pourrais pas disposer de 1.500 hommes pendant quelques jours pour y établir un nouvel ordre de choses, vous pourriez déclarer à l'envoyé de Modène que vous m'avez fait connaître vos intentions, et que vous me chargez de la conclusion de la paix avec son prince. Il viendrait au quartier-général, ayant soin de lui signifier qu'il y soit arrivé avant douze jours. Je lui déclarerais alors que toutes négociations sont rompues, dans le même instant que nos troupes entreraient dans Modène, feraient poser les armes à la garnison, prendraient pour otages les plus enragés aristocrates, et mettraient en place les amis de la liberté.

Vous aurez alors Modène, Reggio, Bologne et Ferrare où la masse du peuple se forme tous les jours pour la liberté, et où la majorité nous regarde comme libérateurs, et notre cause comme la leur.

Les états de Modène arrivent jusqu'au Mantouan : vous sentez combien il nous est important d'y avoir, au lieu d'un gouvernement ennemi, un gouvernement dans le genre de celui de Bologne, qui nous serait entièrement dévoué[18]. Faites, répétait-il dans une lettre du 17, la paix avec Parme, et une déclaration pour mettre sous la protection de la France les peuples de la Lombardie, Modène, Reggio, Bologne et Ferrare.

 

Le Directoire que, dans les mémoires de Napoléon, on accuse à chaque page d'avoir impolitiquement voulu révolutionner l'Italie, se roidit au contraire contre l'esprit révolutionnaire de Bonaparte, resta froid devant l'explosion des peuples, et persista dans son inconcevable système. Suivant lui, il ne pouvait pas être désavantageux que le Milanais se prononçât jusqu'à un certain point en faveur de la liberté et du gouvernement républicain ; car si l'on perdait l'Italie, cette situation s des esprits pourrait occuper les ennemis d'une manière qui ne serait pas inutile à la France, et pendant qu'on y était, il valait mieux voir le peuple disposé en faveur des Français que prêt à les combattre au premier revers ; mais si on invitait les habitants de la Lombardie à se rendre libres ; si on leur donnait ainsi une espèce de garantie qui engagerait en quelque sorte la France à ne pas séparer leurs intérêts des siens, au moment de la paix continentale, on agirait sans contredit impolitiquement, et en accédant à cette mesure on préparerait des obstacles majeurs à cette paix qui faisait l'objet des vœux de la France et du Directoire. La politique et les intérêts bien entendus et sainement envisagés de la République prescrivaient donc de mettre des bornes à l'enthousiasme des peuples du Milanais, qu'il convenait de maintenir toujours dans des sentiments favorables, sans s'exposer à voir se prolonger la guerre actuelle par une protection ouverte, et en les encourageant trop fortement à manifester leur indépendance ; il ne fallait pas oublier qu'il serait demandé à la République des dédommagements en Italie pour les pays que sa sûreté future lui recommandait de conserver sur la rive gauche du Rhin, et que ses échecs en Allemagne ne pouvaient que diminuer l'envie d'arracher au despotisme une partie de la péninsule que les talents du général en chef et la bravoure de l'armée d'Italie avaient momentanément conquis. La reddition de la Lombardie ou sa cession pouvait devenir le gage d'une paix durable, et, quoiqu'il n'y eût rien d'arrêté à cet égard, il y aurait de l'imprudence, dans les circonstances actuelles, à s'interdire les moyens de la faire à ce prix. Ce que le Directoire disait sur le Milanais s'appliquait à Bologne, Ferrare, Reggio et Modène, et à tous les autres petits états d'Italie, et l'on devait redoubler de circonspection et de prudence pour éviter de compromettre par trop de facilité les intérêts futurs de la République. Il convenait de presser le duc de Modène de payer les sommes qui restaient dues en vertu de l'armistice ; mais il fallait se garder d'armer contre lui les peuples qui lui étaient soumis avant l'arrivée des Français en Italie. Enfin le Directoire recommandait au général en chef de contenir ces peuples dans une dépendance réelle, jusqu'à ce que l'horizon politique étant éclairci, on pût régler définitivement le sort de l'Italie, au moyen de la paix générale[19].

Tandis que ces froides combinaisons se faisaient à Paris, les événements marchaient en Italie ; l'incendie gagnait de toutes parts ; on ne pouvait plus songer à l'arrêter ou à l'éteindre.

Dans la sortie de la garnison de Mantoue qui eut lieu le 8 vendémiaire, un détachement de 1.500 hommes qui avait passé le Pô à Borgoforte pour chercher des fourrages, se trouvant coupé de la place, tenta de se retirer à Florence, et arriva devant Reggio. Les habitants coururent aux armes et l''empêchèrent de passer ; il se retira dans le château de Monte-Chiragolo, sur les états du duc de Parme. Les habitants de Reggio le poursuivirent, l'investirent et le firent prisonnier par capitulation. Dans la fusillade qui eut lieu, les gardes nationales de eurent deux hommes tués. Ce sont, écrivit Bonaparte au Directoire, les premiers qui aient versé leur sang pour la liberté de leur pays. Les braves habitants de Reggio ont secoué le joug de la tyrannie de leur propre mouvement, et sans même être assurés qu'ils seraient soutenus par nous[20]. Il règne dans tous ces pays un enthousiasme auquel on n'avait pas droit de s'attendre[21].

Les prisonniers, conduits à Milan par un détachement de la garde nationale de Reggio, y furent reçus en triomphe par le congrès lombard, la garde nationale et le général en chef.

Le 22 vendémiaire, les Milanais célébrèrent, avec solennité et magnificence, l'anniversaire de la fondation de la république française, en présence de Bonaparte et de son épouse ; il était le héros de la fête. Les vœux les plus énergiques y furent exprimés pour la création de la république lombarde, et la liberté italique.

Le général en chef publia une sorte de manifeste contre le duc de Modène. Ce prince, y était-il dit, n'avait pas acquitté, dans le délai fixé, les contributions de guerre ; il se tenait éloigné de ses états, et se dérobait aux charges militaires dont il laissait retomber tout le poids sur ses sujets. Il avait donné des subsides aux ennemis de la République, excité ses peuples contre la France, au moyen d'artifices coupables et d'agents perfides, et ravitaillé Mantoue dans l'intérêt des Autrichiens. En conséquence, le général en chef déclarait que le duc avait perdu ses droits à la faveur de la France ; que la trêve était rompue ; que l'armée d'Italie prenait sous sa protection les peuples de Reggio et de Modène, et que quiconque porterait atteinte à leurs propriétés et à leurs droits serait réputé l'ennemi de la France.

Bonaparte détacha deux mille hommes à Modène ; ils s'emparèrent de la forteresse, chassèrent la garnison et appelèrent le peuple à la liberté. L'allégresse publique se manifesta par des fêtes.

Bonaparte envoya au Directoire sa proclamation sur Modène. Ces petits régentaux s'avisent de conspirer, lui écrivit-il[22] ; je les ai prévenus. Pourquoi faut-il que je n'aie pas deux brigades pour en faire autant à Rome ? Mais je n'ai pas de troupes disponibles, et Naples est là qui nous obligerait à rétrograder. L'affaire de Modène améliore un peu notre position.

Le mouvement avait gagné Bologne et Ferrare ; pour le régulariser, Bonaparte résolut de convoquer cent députés de ces divers états en congrès, pris parmi les nobles, les prêtres, les cardinaux, les négociants, dans toutes les classes, cependant réputés patriotes. Le congrès devait faire une fédération pour la défense commune, organiser une légion italienne, et envoyer une députation à Paris pour demander la liberté et l'indépendance. Le commissaire du Directoire Sallicetti fut chargé de diriger le choix des députés, et de les convoquer[23].

Ils s'assemblèrent à Modène, animés du plus vif enthousiasme et du plus pur patriotisme. Leur imagination s'enflammait ; ils voyaient déjà revivre l'ancienne Italie ; le congrès, qui s'appela Cispadan, sanctionna la ligue des quatre provinces, et décréta une légion de 2.500 hommes.

Bonaparte avait autorisé la Lombardie à en lever une de 3.500 hommes ; elle était déjà organisée. Il se proposait d'affecter à son équipement l'argenterie des églises estimée un million. La plupart des officiers étaient des Français, les autres des Italiens, qui depuis plusieurs années servaient sous les drapeaux de la République. Vous sentez bien, écrivit Bonaparte à Cacault[24], que j'y ai mis un bon nombre d'officiers accoutumés à commander et à vaincre. Lahoz eut le commandement de la légion lombarde. Ce Milanais avait été aide-de-camp du général Laharpe ; il était maintenant attaché à Bonaparte. Le commandement de la légion italienne fut donné au général Rusca.

II était évident pour le général en chef que si ces corps composés de jeunes gens amis de la liberté commençaient à se distinguer, cela aurait des suites très-importantes contre l'empereur et pour l'Italie. Il regardait qu'une population de trois millions d'hommes révolutionnée devait y produire une grande secousse ; que la révolution n'y avait pas le même caractère qu'en France, parce qu'elle n'avait pas eu les mêmes obstacles à vaincre, et que l'expérience avait éclairé les habitants. Bonaparte n'oubliait rien de ce qui pouvait leur donner de l'énergie, les rendre favorables à la France, et alarmer les potentats de l'Europe. Il opposait au fanatisme de Rome le fanatisme de la liberté ; il se flattait même que Rome aurait beau déclarer une guerre de religion, elle ne pouvait plus produire d'effet dans ceux de ses états qu'on avait conquis[25].

Égaré par son enthousiasme, le peuple se livra à quelques excès. A Bologne, il ne voulut pas reconnaître le sénat. Bonaparte se transporta dans cette ville, se prononça fortement pour lui, rétablit l'ordre, et publia cette proclamation[26] :

J'ai vu avec plaisir en entrant dans votre ville l'enthousiasme qui anime les citoyens, et la forme résolution où ils sont de conserver leur liberté. La constitution et votre garde nationale seront promptement organisées : mais j'ai été affligé de voir les excès auxquels se sont portés quelques mauvais sujets indignes d'être Bolonais. Un peuple qui se livre à des excès est indigne de la liberté. Un peuple libre est celui qui respecte les personnes et les propriétés. L'anarchie produit la guerre intestine et les calamités publiques. Je suis l'ennemi des tyrans ; mais avant tout je suis l'ennemi des scélérats qui pillent, et des brigands qui les commandent. Je ferai fusiller ceux qui, renversant l'ordre social, sont nés pour l'opprobre et le malheur du monde.

Peuple de Bologne, voulez-vous que la république française vous protège ? Voulez-vous que formée française vous estime et s'honore de faire votre bonheur ? Voulez-vous que je me vante quelquefois de l'amitié que vous me témoignez ? Réprimez ce petit nombre de scélérats ; faites que personne ne soit opprimé, quelles que soient ses opinions ; faites surtout que les propriétés soient respectées.

 

Du reste, les partisans du duc de Modène avaient provoqué ces excès par ceux qu'ils avaient eux-mêmes commis pour soutenir un gouvernement qui devait s'écrouler dès qu'il n'était pas entré franchement dans le système de la France. Ils avaient assassiné à Scandiano des patriotes de Reggio. Le célèbre Spalanzani, que les Français avaient comblé de marques d'estime, avait figuré dans ces assassinats et dit que, quoique annexé au territoire de Reggio, Scandiano préférait se tenir sous les ailes du double aigle de la maison d'Est. Le sénat de Bologne organisa une garde civique pour maintenir le bon ordre. Tous ces gouvernements provisoires supprimèrent les titres, la féodalité, et adoptèrent les principes de la révolution française.

Quelques jours après, un citoyen de Milan, Paul Greppi, y fut gravement outragé et en porta ses plaintes à Bonaparte. Il saisit avidement cette occasion pour prouver encore à l'Italie qu'en favorisant l'élan du peuple vers la liberté, il ne voulait pas tolérer ses excès. Il écrivit à Paul Greppi[27] : J'ai vu avec indignation le détail de la scène anarchique et licencieuse dont vous avez failli être la victime. Tant que les armées françaises seront à Milan, je ne souffrirai pas que les propriétés soient insultées, non plus que les personnes. Je désire qu'après avoir fait votre tournée en Toscane vous retourniez dans votre patrie, et soyez sûr qu'on réprimera cette poignée de brigands, presque tous étrangers à Milan, qui croient que la liberté est le droit d'assassiner ; qui ne pensent pas à imiter le peuple français dans ses moments de courage et dans les élans de vertu qui ont étonné l'Europe, mais qui chercheraient à renouveler ces scènes horribles produites par le crime, et dont les auteurs seront l'objet éternel de la haine et du mépris du peuple français, même de l'Europe et de la postérité. Soyez donc sans inquiétude, et persuadez-vous que le peuple français et l'armée que je commande ne laisseront jamais asseoir sur les ruines de la liberté la hideuse et dégoûtante anarchie : nous avons des baïonnettes pour exterminer les tyrans, mais avant tout le crime.

Le congrès de Milan ayant témoigné le désir d'envoyer des députés au congrès cispadan, Bonaparte l'y autorisa, l'union des patriotes faisant leur force. Mais ce n'est pas assez, lui écrivit-il, que les différents états se réunissent, il faut, avant tout, resserrer les liens de fraternité entre les différentes classes de l'état, réprimer surtout le petit nombre d'hommes qui n'aiment la liberté que pour arriver à une révolution : ils sont ses plus grands ennemis, et ils prennent toute espèce de figures pour remplir leurs desseins perfides. L'armée française ne souffrira jamais que la liberté de l'Italie soit couverte de crimes. Vous pouvez, vous devez être libres sans révolution, sans courir les chances et sans éprouver les malheurs qu'a éprouvés le peuple français. Protégez les propriétés et les personnes, et inspirez à vos compatriotes l'amour et le respect des lois et des vertus guerrières qui défendent les républiques et la liberté. La scène que plusieurs mauvais sujets se sont permise envers le citoyen Greppi a jeté des craintes et inspiré une terreur que vous devez vous efforcer de dissiper. Comprimez les malveillants ; mais n'accoutumez pas un petit nombre de personnes à s'intituler le peuple, et à commettre des crimes en son nom[28].

La lettre du Directoire du 20 vendémiaire n'aurait probablement pas empêché la révolution d'éclater ; mais elle était consommée quand cette dépêche parvint au général en chef. Voici comment il se justifia.

Je suis fâché, citoyens Directeurs, que votre lettre du 20 vendémiaire me soit arrivée trop tard. Je vous prie de vous reporter aux circonstances où je me trouvais : Rome imprimant des manifestes fanatiques ; Naples faisant marcher des forces ; la régence de Modène manifestant ses mauvaises intentions et rompant l'armistice en faisant passer des convois à Mantoue. La république française se trouvait avilie, menacée ; ce coup de vigueur, de rompre l'armistice de Modène, a rétabli l'opinion et a réuni Bologne, Ferrare, Modène et Reggio sous un même bonnet. Le fanatisme s'est trouvé déjoué, et les peuples, accoutumés à trembler, ont senti que nous étions encore là : la République avait le droit de casser un armistice qui n'était point exécuté. La régence ne désavoue pas d'avoir envoyé des secours dans Mantoue.

La folie du pape est sans égale ; mais la nouvelle de Naples et de la Méditerranée le fera changer. Mon projet, lorsque je le pourrai, est de me rendre à Ancône au moyen de l'armistice, et de n'être ennemi que là[29].

 

Le Directoire fut faiblement touché de ces motifs. Tout en convenant que l'enthousiasme de la liberté était avantageux à la France et utile au succès de ses armes, il pensait toujours que la prudence et la politique commandaient de modérer autant que possible l'ardeur des peuples. Confiant dans la bravoure de l'armée et dans les talents de son chef, il espérait que l'Autriche ne lui arracherait point ses glorieuses conquêtes ; mais avant la prise de Mantoue, avant surtout que de nouveaux succès en Italie et en Allemagne eussent réprimé l'audace que les revers de la France sur le Rhin avaient rendue à la cour de Vienne, il lui paraissait imprudent d'allumer trop fortement en Italie un incendie révolutionnaire, qui pourrait, dans la suite, devenir funeste aux peuples que l'on voulait engager à recouvrer leur liberté. La guerre, ajoutait le Directoire[30], se compose de succès et de revers : cette campagne en est un exemple frappant. Sans la retraite inattendue de l'armée de Sambre-et-Meuse, nous aurions pu dire à l'Italie : soyez libre, avec la certitude d'être obéis. Aujourd'hui que la lassitude de la guerre se manifeste avec force dans l'intérieur, quand une partie du gage de la paix continentale a été replacée par les événements dans les mains des ennemis de la République, il convient de penser sérieusement à cette paix, l'objet des vœux de tous ; et peut-être ne pourra-t-elle avoir lieu qu'en disposant en faveur de quelques princes d'Allemagne d'une partie des conquêtes de l'armée d'Italie.

Cependant Bonaparte, voyant les choses d'un point de vue plus élevé, et plus confiant dans les chances d'une guerre où il semblait avoir maîtrisé la fortune et fixé la victoire, continuait à diriger les gouvernements provisoires des peuples de l'Italie vers leur organisation, et des mesures propres à consolider leur nouvelle destinée.

Il autorisa le congrès de Milan à accorder aux étrangers la faculté d'acheter des biens-fonds dans la Lombardie ; à rappeler tous les absents et surtout ceux qui étaient en pays ennemi, sous peine du séquestre de leurs biens ; à saisir les revenus de ceux qui seraient chez des puissances ennemies ; à chasser tous les prêtres et tous les moines qui n'étaient pas natifs de la Lombardie ; à augmenter l'imposition directe pour pouvoir suffire à la solde journalière de la légion lombarde ; à changer les municipalités, les préteurs et les professeurs des écoles ; à saisir toute l'argenterie des églises dont la moitié serait affectée aux besoins de la légion, et l'autre moitié versée dans la caisse de l'armée[31].

Dans l'État de Bologne, deux impositions parurent à Bonaparte onéreuses pour le peuple ; l'une dite l'imposta qui pesait sur celui des campagnes, l'autre le casuel, que le peuple payait aux curés pour recevoir les sacrements. Le général en chef invita le sénat à les abolir ; à ne conserver qu'un seul couvent de moines du même ordre, à supprimer tous ceux où il y aurait moins de quinze religieux, et à utiliser cette économie pour remplacer le produit de l'imposta et indemniser les curés et vicaires de la suppression du casuel Il ordonna que tous les commandeurs, autres bénéficiaires de l'ordre de Malte ou leurs fermiers, eussent à verser une année de leurs revenus dans la caisse du sénat, qui en tiendrait compte au payeur de l'armée[32].

Depuis la malheureuse issue de l'insurrection des Polonais contre leurs oppresseurs en 1794, une foule de patriotes qui avaient survécu à l''esclavage de leur patrie et qui avaient échappé aux fers et aux vengeances de la Prusse, de l'Autriche et de la Russie, proscrits, errants, mais toujours fidèles à la cause nationale, étaient venus, attirés par la sympathie, chercher un asile en France où ils avaient été bien accueillis. Un comité polonais s'était formé à Paris ; Michel Oginski représentait ses compatriotes à Constantinople ; ils cherchaient à intéresser à leurs malheurs deux grandes puissances alliées, la Porte ottomane et la république française. Sulkowski, jeune Polonais, réunissant à beaucoup de connaissances, d'instruction et de courage personnel un dévouement prononcé pour la cause de la liberté, était allé en Italie-offrir en soldat de fortune ses services à Bonaparte qui l'avait bientôt apprécié et nommé son aide-de-camp. Toutes les démarches des patriotes polonais avaient été stériles. On leur faisait des promesses, on leur prêchait la patience, en attendant que des circonstances favorables permissent de les aider efficacement à délivrer leur patrie. Les victoires de Bonaparte leur donnèrent quelque espérance. Ils chargèrent Michel Oginski de correspondre avec Sulkowski. Cet officier répondit qu'il ne pouvait pas parler des affaires de Pologne au général en chef, tandis qu'il était absorbé par ses opérations militaires ; il conseillait de lui écrire une lettre au nom des Polonais et assurait, qu'elle serait bien accueillie. Il ajoutait que s'ils pouvaient intéresser le général en leur faveur, leurs espérances, pour le rétablissement de la Pologne, ne seraient plus douteuses, parce qu'il jouissait déjà de toute la confiance des Français, et qu'il ne pouvait manquer d'être un jour à la tête du Gouvernement. Michel Oginski écrivit donc à Bonaparte : Quinze millions de Polonais, jadis indépendants, aujourd'hui victimes de la force des circonstances, fixent leurs regards sur vous. Ils voudraient percer cette barrière qui les sépare de vous pour partager vos dangers, pour vous couronner de nouveaux lauriers, et pour ajouter à tous les titres que vous avez acquis, celui de Père des opprimés, etc.

Sulkowski répondit que Bonaparte, après avoir lu cette lettre, réfléchit quelque temps et dit : Que dois-je répondre ? Que puis-je promettre ? Écrivez à votre compatriote que j'aime les Polonais et que j'en fais grand cas. Que le partage de la Pologne est un acte d'iniquité qui ne peut se soutenir. Qu'après avoir terminé la guerre en Italie, j'irai moi-même à la tête des Français, pour forcer les Russes à restituer la Pologne ; mais dites-lui aussi que les Polonais ne doivent pas se reposer sur des secours étrangers, qu'ils doivent s'armer eux-mêmes, inquiéter les Russes, entretenir une communication dans l'intérieur du pays. Toutes les belles paroles qu'on leur donnera n'aboutiront à rien. Je connais le langage diplomatique et l'indolence des Turcs. Une nation écrasée par ses voisins ne peut se relever que les armes à la main.

Le conseil était sage ; mais les militaires polonais qui se trouvaient en France, ne voyant pas dans leur patrie de dispositions favorables pour secouer le joug sous lequel elle était asservie, offrirent à la République de combattre sous ses étendards victorieux. C'étaient les compagnons de Koschiusco, les Dombrowski, les Zayonscheck, une foule d'officiers animés contre l'Autriche de la haine la plus légitime, et qui fondaient sur les succès de la France l'espoir de voir un jour renaître la Pologne.

Le Directoire, ne croyant pas, d'après la constitution, pouvoir prendre au service de la République un corps d'étrangers, autorisa Bonaparte à les recevoir à la solde des états d Italie dont il venait de proclamer la liberté et l'indépendance. Ils formèrent une légion qui s'augmenta bientôt par la désertion des Polonais qui servaient dans l'armée autrichienne.

Telle fut l'origine de ces corps de braves, dignes d'un meilleur sort, qui, dans les rangs des soldats français, et toujours leurs émules, arrosèrent ensuite de leur sang nos champs de bataille, et couvrirent le nom polonais d'une gloire immortelle.

De tous les points des états héréditaires de l'empereur les recrues affluaient vers l'Italie ; les succès de l'archiduc Charles contre Jourdan avaient permis à l'Autriche de détacher des troupes sur l'Adige. Alvinzi se trouvait à la tête de 45.000 hommes ; la garnison de Mantoue renforcée par Wurmser, pouvait, avec 15.000 hommes, seconder les mouvements de cette armée : c'était donc 60.000 hommes que Bonaparte allait avoir à combattre. A peine en avait-il 40.000 dont environ 9.000 autour de Mantoue. L'armée autrichienne était divisée en deux corps ; l'un dansée Frioul, composé des deux colonnes de Quasdanowich et Provera, commandé par Alvinzi en personne ; l'autre, dans le Tyrol, sous les ordres de Davidowich.

Telle était la position de l'armée française : Masséna, sur la Brenta, vers Bassano et Trévise, vis-à-vis d'Alvinzi ; Vaubois, sur le Lawis, gardant les débouchés du Tyrol ; Kilmaine, devant Mantoue ; Augereau en réserve à Vérone.

Tout annonçait que les armées se trouveraient bientôt en présence, et l'on attendait de grands résultats des coups qu'elles allaient se porter. Nous sommes en mouvement, écrivit Bonaparte au Directoire ; l'ennemi paraît vouloir passer la Piave pour s'établir sur la Brenta. Je le laisse s'engager ; les pluies, les mauvais chemins, les torrents, m'en rendront bon compte.

La paix avec Naples et Gênes, sa situation avec tes peuples, les renforts annoncés, s'ils arrivaient avant les grands coups, faisaient espérer au général -en chef, non-seulement de battre les Autrichiens et de prendre Mantoue, mais de s'emparer de Trieste, d'obliger Venise à faire ce qu'on voudrait, et de planter le drapeau français au Capitole. Il demandait d'avance au Directoire quelle conduite il devait tenir à Trieste, et d'envoyer trois frégates dans l'Adriatique pour seconder par mer ses opérations[33].

Les troupes impériales étaient arrivées en poste à l'armée. Bonaparte se plaignait de ce qu'on ne lui avait donné que de belles promesses et quelques petits corps. Le retard apporté, à Marseille, au départ de la 83e demi-brigade, forte de 3.000 hommes de bonnes troupes, était regardé par lui, dans cette circonstance, comme un terrible malheur. Il requérait le commissaire du Gouvernement d'envoyer un courrier à Kellermann pour faire filer ce qu'il avait de disponible. Il écrivait à Baraguay-d’Hilliers de redoubler de vigilance et d'activité, de presser la marche des dépôts de tous les bataillons qui arriveraient à Milan et l'envoi des approvisionnements, surtout de ceux d'artillerie[34].

Les Autrichiens n'étaient pas les seuls ennemis que Bonaparte eût à combattre ; il lui fallait lutter avec non moins d'énergie contre les abus qui existaient toujours dans les administrations de l'armée, la tourbe de dilapidateurs qui dévoraient toutes les ressources, et les entraves que l'intervention des commissaires du Gouvernement apportait dans les services ; enfin, malgré les trésors conquis par son courage, l'armée était dans la plus grande détresse. Bonaparte mandait donc à l'ordonnateur en chef de se rendre à Vérone, afin de concerter les mesures qu'il était instant de prendre pour les opérations qui devaient avoir lieu ; de voir le congrès d'État, la municipalité de Milan, et les bureaux des commissaires du Gouvernement, pour connaître enfin clairement les ressources qu'ils avaient pour l'armée. Tous ces gens-là, ajoutait-il, ne pensent qu'à voler. J'apprends avec indignation que le citoyen Auzou se retire avec 15 ou 1.600.000 livres qu'il a à l'armée ; cette conduite est celle d'un escroc. Les services des charrois de l'artillerie, des fourrages, de la viande, enfin tous les services exigent que l'on prenne un parti[35].

Il écrivait au commissaire du Gouvernement[36] :

Nous manquons entièrement d'argent ; toutes nos caisses sont vides et nos services entravés ; le prêt du soldat n'est pas même assuré. Tout souffre ; toute l'armée est en mouvement et nous sommes en présence de l'ennemi. Faites que la compagnie Flachat qui a tous les fonds, qui fait tous les services..... en promesses, verse dans la caisse du payeur-général 1.500.000 francs. Vous devez fournir à nos besoins, et depuis deux mois l'ordonnateur crie que tous, les services manquent. Songez que le moindre retard peut être funeste. Nous sommes ici à la veille des plus grands événements.

Informé, le 10 brumaire (31 octobre), qu'un corps autrichien était campé sur la Piave, le général en chef donna l'ordre à Masséna de se porter avec un corps d'observation à Bassano, et de se retirer à Vicence, dès que l'ennemi aurait passé la Piave. Il la passa les 11 et 12, et s'avança sur la Brenta. Provera, avec la gauche, se dirigeant sur Citadella, prit position à Fonteniva, et poussa la brigade Liptay au-delà de la Brenta, sur Carmignano. Quasdanowich s'établit en avant et à gauche de Bassano. La brigade Mitrowski se dirigea sur Primolano. Dans cette position, Alvinzi attendit des nouvelles du corps de Davidowich.

Conformément à ses instructions, Masséna évacua Bassano, le 14, à 5 heures du matin, se replia sur Vicence, et de là à Montebello où Augereau s'était rendu pour l'attendre. Kilmaine s'établit à Vérone, ayant le commandement sur la rive droite de l'Adige, depuis la Chiusa jusqu'à Rovigo, y compris le blocus de Mantoue[37].

Vaubois devait empêcher la colonne de Davidowich de joindre Alvinzi, par les gorges de Val-Sugana ; il lui fut ordonné d'attaquer les avant-postes ennemis au-delà de Trente, de les déloger des positions entre le Lawis et la Brenta, et de les tenir sur la défensive. Le 12, Guyeux attaqua l'ennemi en avant du Lawis, emporta Saint-Michel, fit 300 prisonniers, et brûla le pont que les Autrichiens avaient sur l'Adige. L'attaque du général Fiorella sur Segonzano ne réussit pas. La 85e demi-brigade y fut maltraitée. Bonaparte tenait beaucoup à ce qu'on s'emparât de Segonzano, et ordonna, le 13, d'en recommencer l'attaque ; mais Vaubois ayant été lui-même attaqué par des forces supérieures et craignant d'être débordé, se jeta dans la position de la Piétra et de Bessenello qui domine le défilé de Calliano.

Bonaparte n'était pas, sans doute, instruit de ces mouvements lorsqu'il écrivit à Berthier[38] : Arrangez-vous bien avec le général Vaubois pour qu'il exécute comme il faut les dispositions du plan. J'espère que, cette fois, nous pourrons d'un seul coup donner du fil à retordre. Par Dieu recommandez-lui de ne pas ménager les courriers. S'il est convenu qu'on doive attaquer demain, qu'il fasse en sorte que j'aie des nouvelles trois fois dans la journée.

Alvinzi était entré le 14 au soir à Bassano, ses troupes occupaient Citadella, un corps léger avait même passé la Brenta à Ospital.

Bonaparte s'était, le 15 (5 novembre), porté de sa personne à Vicence, avec les divisions réunies d 'Augereau et Masséna, et sa réserve. Il écrivait à Berthier de lui envoyer en poste les pontons pour passer pendant la nuit la Brenta ; que tout jusqu'à présent se disposait très-bien, et que, s'il avait le soir les pontons, la journée du lendemain serait décisive.

Le 16 (6), l'armée française marcha au-devant de l'ennemi ; il fallait l'étonner comme la foudre et le balayer dès les premiers pas[39]. Masséna se dirigea sur Citadella et Augereau sur Bassano. Le premier, rencontrant l'avant-garde de Liptay à Carmignano et Ospital, la pressa vivement. Alvinzi ordonna à Provera de marcher avec l'aile gauche par la rive droite de la Brenta sur Ospital, et à Quasdanowich de diriger une partie de l'aile droite sur deux colonnes par Lenove et Marostica, afin de prendre les Français en flanc et à revers. A peine l'avant-garde de Quasdanowich était-elle entrée à Lenove, qu'assaillie par Augereau, elle en fut repoussée après un vigoureux engagement, et se retira sur le gros de la division dans la position qui s'étend depuis les montagnes de Sette-Communi, par Marostica, jusqu'à Punta, et y soutint plusieurs attaques jusqu'à la nuit. Quasdanowich se maintint à Bassano ; mais Provera, attaqué par toutes les forces de Masséna, fut rejeté sur la rive gauche de la Brenta, et coupa ses ponts. Cette journée fut vive, chaude et sanglante ; le général Lanusse y fut blessé ; les troupes se couvrirent de gloire[40]. La perte fut à peu près égale des deux côtés.

De son côté, Davidowich, résolu à poursuivre Vaubois, entra à Trente, fit jeter un pont sur l'Adige, envoya la brigade Ocskay, par la rive droite sur Nomi, et Wukassowich, avec un corps considérable par la rive gauche, jusqu'à la tête des défilés de Calliano. Laudon manœuvrait sur la rive droite.

La position de Vaubois était formidable ; il attendait les Autrichiens de pied ferme. Ils l'attaquèrent de front les 16 et 17 brumaire (6 et 7 novembre). Les postes furent pris et repris plusieurs fois. Le combat fut des plus opiniâtres. Déjà les Français avaient enlevé deux pièces de canon et fait 1.300 prisonniers, lorsqu'à l'entrée de la nuit une terreur panique se répandit dans leurs rangs ; la déroute devint complète. Ils abandonnèrent le village de Calliano et six pièces de canon. Cependant trois babillons de troupes fraîches, venant de Mori et de Roveredo, le reprirent aux Autrichiens et s'y maintinrent jusqu'à la nuit, pendant laquelle Vaubois, craignant d'être tourné, en prolongeant sa résistance, l'abandonna, et se retira sur la rive droite de l'Adige, dans la position retranchée de la Corona et de Rivoli. Les Français eurent dans cette retraite 3.000 hommes tués, blessés ou prisonniers, et perdirent six pièces de canon[41].

Jeter Alvinzi au-delà de la Piave, remonter les gorges de la Brenta et couper Davidowich, tel était le projet de Bonaparte ; il fut obligé d'y renoncer en apprenant la retraite de Vaubois ; il envoya en toute hâte des renforts à ce général, et, le 17, se retira lui-même avec l'armée sur Vérone, pour concentrer ses forces et agir suivant les circonstances. Il se porta à Rivoli, et y fit réunir les troupes de la division Vaubois. Soldats, dit-il, je ne suis pas content de vous. Vous n'avez montré ni discipline, ni constance, ni bravoure ; aucune position n'a pu vous rallier ; vous vous êtes abandonnés à une terreur panique, vous vous. êtes laissés chasser de positions où une poignée de braves devait arrêter une armée. Soldats de la 39e et de la 85e, vous n'êtes pas des soldats français. Général chef d'état-major, faites écrire sur les drapeaux : Ils ne sont plus de l'armée d'Italie ! Cette harangue, prononcée d'un ton sévère, arracha des larmes à ces vieux guerriers ; les lois de la discipline ne purent étouffer les accents de leur douleur ; plusieurs grenadiers s'écrièrent : Général ! on nous a calomniés ; mettez-nous à l'avant-garde et vous verrez si la 39e et la 85e sont de l'armée d'Italie. L'allocution du général en chef avait produit son effet ; il leur adressa quelques paroles de consolation. Peu de jours après ces deux demi-brigades se couvrirent de gloire[42].

Davidowich déboucha, le 18, dans la plaine de Roveredo et campa en avant de cette ville.

Alvinzi, dès qu'il se fut aperçu que Bonaparte avait quitté les bords de la Brenta, se mit en marche pour le suivre sur Vicence. Provera, de son côté, ayant rétabli son pont, s'avança sur Scalda-Ferro. Le 18, les Autrichiens entrèrent à Vicence ; le 19, ils campèrent à Montebello. Alvinzi, ayant appris les succès de Davidowich, résolut de marcher le 21 à Villa-Nova, d'attendre que son lieutenant eût forcé la position de la Corona et de Rivoli, et il se fût avancé sur Bussolengo ou Compara ; alors il comptait passer l'Adige de vive force, et marcher avec ses deux corps réunis sur Mantoue.

Aux premières démonstrations faites par Alvinzi, Bonaparte, rassuré sur la position de Vaubois, se détermina à prévenir son adversaire, et à faire occuper les hauteurs de Caldiero d'où il couvrait Vérone, et pouvait tomber sur les derrières des Autrichiens manœuvrant sur le bas Adige. Le 21, à trois heures après midi, l'armée française sortit de Vérone. L'avant-garde d'Augereau repoussa les avant-postes ennemis de Saint-Michel et de Saint-Martin, et prit position le soir au pied de Caldiero. Des deux côtés on se prépara au combat.

Le 22 (12 novembre), les armées étaient en présence. Masséna attaqua la droite de l'ennemi ; Augereau sa gauche. Il emporta d'abord le village de Caldiero où il fit 200 prisonniers. Le général Launay, de la division Masséna, était sur le point de s'emparer de la hauteur qui flanquait la droite des Autrichiens. On combattait de part et d'autre avec acharnement. Alvinzi fit marcher trois bataillons de sa réserve ; pour comble de malheur, la pluie, qui tombait à torrents, se changea tout-à-coup en un grésil glacé, qu'un vent violent du Nord poussait contre le visage des Français. Ces circonstances favorisèrent l'ennemi ; il reprit l'avantage. La gauche de Masséna fut ramenée en désordre. La 75e demi-brigade, placée en réserve, la protégea par sa bonne contenance. Les Français se rallièrent dans leurs premières positions où ils bivouaquèrent. La pluie ayant continué toute -la nuit, Bonaparte jugea convenable de faire rentrer son armée dans son camp sous Vérone. Ce combat lui coûta 600 blessés, 200 morts et 150 prisonniers, parmi lesquels se trouva le général Launay[43].

Alvinzi s'avança, le 24, jusqu'à Vérone avec des échelles toutes prêtes pour donner un assaut à cette ville ; il se proposait de passer en même temps l'Adige à Zevio. Tout annonçait un événement décisif. Pour juger combien la position de Bonaparte était critique, il faut l'entendre lui-même la peindre au Directoire.

Je vous dois compte des opérations qui se sont passées depuis le 12 de ce mois ; s'il n'est pas satisfaisant, vous n'en attribuerez pas la faute à l'armée : son infériorité et l'épuisement où elle est des hommes les plus braves me font tout craindre pour elle. Peut-être sommes-nous à la veille de perdre l'Italie ; aucun des secours attendus n'est arrivé ; la 83e demi-brigade ne part pas ; tous les secours venant des départements sont arrêtés à Lyon et surtout à Marseille. On croit qu'il est indifférent de les arrêter huit ou dix jours ; on ne songe pas que les destinées de l'Italie et de l'Europe se décident ici pendant ce temps-là. Tout l'empire a été en mouvement et y est encore. L'activité de notre gouvernement au commencement de la guerre peut seule donner une idée de la manière dont on se conduit à Vienne. Il n'est pas de jour où il n'arrive 5.000 hommes ; et, depuis deux mois qu'il est évident qu'il faut des secours ici, il n'est encore arrivé qu'un bataillon de la 40e, mauvaise troupe et non accoutumée au feu, tandis que toutes nos vieilles milices de l'armée d'Italie languissent en repos dans la 8e division. Je fais mon devoir, l'armée fait le sien : mon âme est déchirée, mais ma conscience est en repos. Des secours, envoyez-moi des secours ; mais il ne faut plus s'en faire un jeu : il faut, non de l'effectif, mais du présent sous les armes. Annoncez-vous 6.000 hommes, le ministre de la guerre annonce 6.000 hommes effectifs et 3.000 hommes présents sous les armes ; arrivés à Milan, ils sont réduits à 1.500 hommes : ce n'est donc que 1.500 hommes que reçoit l'armée.

Le temps continue à être mauvais ; toute l'armée est excédée de fatigue et sans souliers. L'ennemi a au moins 50.000 hommes. Pour résister à tout cela, je n'en ai que 18.000. Aujourd'hui, 24 brumaire, repos aux troupes ; demain, selon les mouvements de l'ennemi, nous agirons. Je désespère d'empêcher la levée du blocus de Mantoue, qui dans huit jours était à nous. Si ce malheur arrive, nous serons bientôt derrière l'Adda, et plus loin, s'il n'arrive pas de troupes.

Les blessés sont l'élite de l'armée : tous nos officiers supérieurs, tous nos généraux d'élite sont hors de combat ; tout ce qui m'arrive est si inepte, et n'a pas la confiance du soldat. L'armée d'Italie, réduite à une poignée de monde, est épuisée. Les héros de Lodi, de Millesimo, de Castiglione et de Bassano, sont morts pour leur patrie, ou sont à l'hôpital ; il ne reste plus aux corps que leur réputation et leur orgueil. Joubert, Lannes, Lanusse, Victor, Murat, Charlot, Dupuis, Rampon, Pigeon, Ménard, Chabran, sont blessés ; nous sommes abandonnés au fond de l'Italie. La présomption de mes forces nous était utile ; on publie à Paris, dans des discours officiels, que nous ne sommes que 3o.000 hommes.

J'ai perdu dans cette guerre peu de monde, mais tous des hommes d'élite qu'il est impossible de remplacer. Ce qui me reste de braves voit la mort infaillible, au milieu de chances si continuelles, et avec des forces si inférieures. Peut-être l'heure du brave Augereau, de l'intrépide Masséna, de Berthier, de...... est prête à sonner ; alors ! alors ! que deviendront ces braves gens ? Cette idée me rend réservé ; je n'ose plus affronter la mort qui serait un sujet de découragement et de malheur pour qui est l'objet de mes sollicitudes.

Sous peu de jours nous essaierons un dernier effort ; si la fortune nous sourit, Mantoue sera pris, et avec lui l'Italie. Renforcé par mon armée de siège, il n'est rien que je ne puisse tenter. Si j'avais reçu la 83e, forte de 3.500 hommes connus à l'armée, j'aurais répondu de tout ! Peut-être, sous peu de jours, ne sera-ce pas assez de 40.000 hommes[44].

 

Bonaparte se trouvait au milieu de quatre corps autrichiens qui le pressaient de toutes parts et étaient près de faire leur réunion, savoir : Alvinzi devant Vérone ; Davidowich devant Rivoli ; Laudon s'avançant sur Brescia, et Wurmser avec la garnison de Mantoue. Quel parti prendra le général français ? s'il attaque Davidowich, Alvinzi passe l'Adige et délivre cette place. S'il bat Alvinzi, il triomphera plus facilement des autres. Il se décide donc à manœuvrer par le bas Adige, sur les communications des Autrichiens. Ce parti n'était pas sans danger ; mais s'il réussissait, il était décisif. De la division Vaubois, Guyeux vint à l'armée, et quelques bataillons se rendirent à Vérone, dont la garde fut confiée à Kilmaine avec 3.000 hommes[45]. Les divisions Augereau et Masséna traversèrent cette ville pendant la nuit du 24 au 25 brumaire (du 14 au 15 novembre), dans le plus grand silence. On crut que l'armée était en retraite ; elle le crut elle-même ; mais au lieu de suivre la route de Peschiera, elle prit tout-à-coup à gauche, et fila le long de l'Adige jusqu'à Ronco. On y jeta un pont. Bonaparte espérait arriver dans la matinée à Villa-Nova, et enlever les parcs d'artillerie de l'ennemi, ses bagages, et l'attaquer par le flanc et ses derrières. L'armée commença à deviner l'intention de son général.

Le terrain sur lequel on allait s'engager est parcouru par le ruisseau torrentueux de l'Alpon, et très-marécageux ; on ne peut, même en été, le pratiquer que par des chaussées. Il y en a trois qui partent du port de Ronco : la première, à gauche, se dirige sur Vérone en remontant l'Adige, passe aux villages de Bionde, de Porcil, où elle débouche en plaine. La seconde, au centre, conduit à Villa-Nova, et traverse le village d'Arcole, en passant l'Alpon sur un petit pont de pierre ; la troisième, à droite, descend l'Adige, et conduit à Albaredo.

Augereau passa le premier l'Adige, prit la chaussée du centre, laissant la 12e légère à la garde du pont, et marcha sur Arcole.

Masséna suivit de près sur la-chaussée de gauche, jeta la 75e demi-brigade, comme réserve, dans un bois à droite du pont, et se dirigea sur Porcil.

La réserve de cavalerie, de 16 à 1.700 chevaux, commandée par Beaurevoir, resta en bataille sur la rive droite de l'Adige, prête à passer suivant les circonstances.

Les tirailleurs d'Augereau parvinrent jusqu'au pont d'Arcole sans être aperçus. Ils le trouvèrent barricadé et défendu par des régiments de Croates avec du canon. Son avant-garde éprouva la plus vive résistance, ne put déboucher et se replia en toute hâte jusqu'au point où la chaussée cessait de prêter le flanc. Les généraux se précipitèrent à la tête de la colonne. Lannes, Verdier, Bon, et Verne furent mis hors de combat. Indigné de ce mouvement rétrograde, Augereau saisissant un drapeau s élança à la tête de deux bataillons de grenadiers, et le porta au-delà du pont[46] ; mais accueilli par une vive fusillade de flanc, il fut ramené sur sa division. Le feu de l'ennemi était si violent que les pelotons de la tête étaient écrasés avant d'arriver à portée. Bonaparte de sa personne voulut tenter un dernier effort ; il saisit aussi un drapeau et le plaça sur le pont, encourageant les soldats, et leur demandant s'ils n'étaient plus ceux du pont de Lodi. A la voix et à l'exemple de leur général, ils retournèrent au combat ; le pont fut à moitié franchi ; mais le feu de l'ennemi, renforcé par de nouvelles troupes, fit encore manquer cette attaque. Lannes déjà blessé y reçut un troisième coup de feu[47], Vignolle une blessure ; Muiron, aide-de-camp du général en chef, tomba à ses côtés. Bonaparte lui-même, entraîné par le désordre des troupes en retraite, fut précipité dans un marais, et y enfonça jusqu'à la moitié du corps ; les Autrichiens l'avaient dépassé de plus de cinquante pas sans le reconnaître ; les grenadiers, voyant le danger de leur général, firent volte-face, l'adjudant-général Belliard à leur tête, repoussèrent l'ennemi au-delà du pont, et sauvèrent Bonaparte. Cette journée, dit Napoléon[48], fut celle du dévouement militaire. Il fallut renoncer à forcer le passage, et attendre le résultat de l'attaque du général Guyeux. Le général en chef l'avait détaché vers Albaredo avec ordre d'y passer l'Adige au bac, afin de tourner Arcole, et de faciliter l'attaque de front.

Tandis que la droite des Français éprouvait cette résistance meurtrière, Masséna, plus heureux, culbuta la colonne ennemie qui débouchait de Bionde, et la poursuivit jusqu'à Porcil dont il s'empara. Mais Alvinzi, qui s'était borné d'abord à envoyer des renforts sur Arcole, aussitôt qu'il apprit qu'il avait affaire à toute l'armée française, et trouvant sa position dangereuse, renonça à ses projets sur Vérone, fit exécuter un changement de front à son armée, abandonna son quartier-général de Caldiero, dirigea deux colonnes sur Porcil et Arcole, et ses parcs filèrent à Montebello.

Guyeux, de son côté, parut vers les 4 heures sur la rive gauche de l'Alpon, se dirigeant sur Arcole pour l'attaquer par la gauche, tandis qu'Augereau l'aborderait par le pont ; les Autrichiens abandonnèrent le village ; mais alors il était sans intérêt ; il était six heures trop tard. Le matin il était sur les derrières de l'ennemi ; maintenant ce n'était plus qu'un poste intermédiaire entre le front des deux armées. Bonaparte retira ses troupes sur la rive droite de l'Adige, laissant sur la gauche deux demi-brigades pour la garde du pont, et à Arcole des bivouacs allumés et entretenus par des piquets de grand'garde pour qu'Alvinzi ne s'aperçût de rien.

Quoique le plan de Bonaparte fut déjoué par la retraite de l'ennemi, de grands résultats avaient couronné cette journée. Le théâtre des opérations était changé, le point important de Vérone sauvé, et la jonction de Davidowich et d'Alvinzi au moins retardée. Napoléon ajoute même que deux divisions autrichiennes avaient été défaites ; qu'un grand nombre de prisonniers et de trophées défilèrent à travers le camp, remplirent d'enthousiasme les soldats et les officiers ; et que chacun reprit confiance et le sentiment de la victoire[49]. Cependant, dans la lettre de Bonaparte au Directoire, il n était parlé que de quatre pièces de canon et de quelques centaines d'Autrichiens pris par le général Guyeux à Arcole.

Bonaparte, s'attendant à être attaqué le lendemain par l'armée ennemie[50], résolut de la prévenir. En effet, Alvinzi déboucha de son camp avant le jour ; l'armée française repassa le pont à cinq heures du matin, et rencontra l'ennemi en marche de Porcil et d'Arcole.

Masséna attaqua sur-le-champ la colonne de Provera, la rejeta dans Porcil, lui fit 7 à 800 prisonniers, et lui prit 6 pièces de canon et trois drapeaux. Robert, avec la 65e, culbuta les Autrichiens à la baïonnette sur la chaussée du centre. De son côté, Augereau repoussa aussi leur avant-garde sur Arcole ; mais les Autrichiens étaient en grande force dans ce village, et l'échec de la veille n'était pas encourageant pour renouveler une attaque de front. Bonaparte se porta donc à l'embouchure de l'Alpon, pour faire construire un pont de fascines et tourner la gauche de l'ennemi ; on ne put parvenir à établir le pont. L'adjudant-général Vial fut chargé de longer l'Adige pour trouver un passage ; il se jeta en vain à l'eau jusqu'au cou. Plusieurs officiers de l'état-major périrent par le feu de l'ennemi, et entre autres Elliot, aide-de-camp du général en chef.

Pendant ce temps-là, Augereau attaquait Arcole ; mais une colonne d'Autrichiens passa sur la rive droite de l'Alpon suivant sur les digues ce ruisseau. Une compagnie et quatre pièces d'artillerie légère, envoyées par Bonaparte, arrêtèrent ce mouvement. La nuit survint. Il reprit ses positions sur la rive droite de l'Adige, et les Autrichiens se retirèrent derrière Arcole.

Dans la nuit du 26 au 27 (du 16 au 17 novembre), le général en chef fit jeter un pont au-dessous de l'embouchure de l'Alpon. L'armée repassa 1 Adige le 27 au matin. A dix heures on était en présence ; Masséna à la gauche, Robert au centre, Augereau à la droite ; on attaqua l'ennemi et on le repoussa jusqu'à Porcil et Arcole ; mais à ce village, les Autrichiens en force ramenèrent vigoureusement Robert qui se réfugia derrière la division Augereau, et poursuivirent jusque sur le pont de l'Adige une partie de sa troupe qui s'y était repliée. En cet instant, ils furent assaillis de front par la 18e légère, en queue par la 18e de ligne qui revint de Porcil, et en flanc par la 32e que Bonaparte avait placée dans un bois en embuscade. Ce corps fut mis en déroute, jeté dans les marais, et perdit, outre un bon nombre de morts, deux ou trois mille prisonniers.

Pendant ce temps-là, Augereau passait l'Alpon. Le combat y fut vif ; les Autrichiens y avaient envoyé des renforts. Ils étaient supérieurs en nombre, leur gauche était appuyée à des marais et difficile à tourner. Bonaparte eut recours à une ruse de guerre ; il ordonna au lieutenant de ses guides, Hercule, d'en prendre 25 avec lui, de longer l'Adige pendant une demi-lieue, de tourner les marais et de tomber au galop sur le dos de l'ennemi, en faisant sonner la charge par plusieurs trompettes. L'infanterie autrichienne en fut ébranlée ; Augereau en profita pour l'attaquer ; cependant en se retirant elle se défendait encore avec vigueur, lorsqu'un corps de 8 ou 900 hommes, formant la garnison de Porto-Legnago, déboucha sur San Gregorio, menaçant de la déborder, et la mit en déroute. Masséna, qui s'était reporté au centre, marcha droit sur Arcole, poursuivit les Autrichiens jusqu'à San-Bonifaccio, et se lia par sa droite avec la division Augereau. L'armée française passa la nuit, la gauche en avant d'Arcole, la droite à San-Gregorio.

L'ennemi perdit environ 4.000 morts ou blessés, autant de prisonniers, 4 drapeaux, 18 pièces de canon. La perte des Français n'a pas été indiquée. On l'a exagérée en la calculant d'après le nombre des officiers généraux et d'état - major tués ou blessés. Dans un combat de chaussées, obligés, pour enlever les troupes, de se mettre à leur tête, ils devaient nécessairement être les premiers frappés. Outre ceux que nous avons déjà nommés, les généraux Robert et Gardanne furent blessés. L'adjudant-général Vandelin fut tué. Bonaparte fut très-sensible à la mort de ses deux aides-de-camp Elliot et Muiron, officiers de la plus grande distinction ; jeunes encore, ils promettaient d'arriver un jour avec gloire aux premiers emplois militaires[51].

Les destinées de l'Italie commencent à s'éclaircir, écrivit Bonaparte à Carnot[52] ; encore une victoire demain qui ne me paraît pas douteuse, et j'espère, avant dix jours, vous écrire du quartier-général de Mantoue. Jamais champ de bataille n'a été aussi disputé que celui d'Arcole ; je n'ai presque plus de généraux ; leur courage et leur dévouement sont sans exemple ; je vous assure qu'il ne fallait pas moins pour vaincre ; les ennemis étaient nombreux et acharnés, les généraux à leur tête ; nous en avons tué plusieurs.

Trop harassé de fatigue pour faire connaître au Directoire tous les détails de la bataille d'Arcole qui venait de décider du sort de l'Italie[53], Bonaparte consacra à la mémoire de ses deux aides-de-camp le premier moment de sécurité et le court instant de repos qui suivirent la victoire.

Muiron, écrivit-il à sa veuve, est mort sur le champ de bataille. Vous avez perdu un mari qui vous était cher, j'ai perdu un ami auquel j'étais depuis longtemps attaché ; mais la patrie perd plus que nous deux par la mort d'un officier distingué, autant par ses talents que par son courage. Si je puis vous être bon à quelque chose, à vous, à son enfant, je vous prie de compter entièrement sur moi[54].

La lettre de Bonaparte au général Clarke est remarquable par le dégoût de la vie que lui inspiraient au milieu de ses triomphes les calomnies des libellistes, organes des ennemis de la République. Votre neveu, lui écrivait-il[55], a été tué sur le champ de bataille d'Arcole. Ce jeune homme s'était familiarisé avec les armes. Il a plusieurs fois marché à la tête des colonnes ; il aurait été un officier estimable ; il est mort avec gloire et en face de l'ennemi, il n'a pas souffert un instant. Quel est l'homme estimable qui n'envierait pas une telle mort ? Quel est celui qui, dans les vicissitudes de la vie, ne s'estimerait pas heureux de sortir ainsi d'un monde si souvent méprisable ? Qui d'entre nous n'a pas regretté cent fois de ne pas échapper ainsi aux effets de la calomnie, de l'envie, de toutes les passions haineuses qui semblent presque exclusivement diriger la conduite des hommes ?

Le 28 (18 novembre), on reconnut qu'Alvinzi avait fait sa retraite sur Vicence ; l'armée le poursuivit ; mais, à Villa-Nova, ayant appris que l'ennemi ne tenait nulle part et que son avant-garde avait déjà dépassé Montebello, Bonaparte se contenta de le faire poursuivre par sa cavalerie, et se porta par un à gauche sur Vérone pour attaquer le corps autrichien du Tyrol. Trois jours après être sortie mystérieusement de cette ville par la porte de Milan, l'armée y rentra triomphante par celle de Venise. Il serait difficile de peindre l'enthousiasme des habitants. Elle ne s'y arrêta pas. Les affaires n'étaient pas en bon état sur les bords du lac de Garda, et la présence de Bonaparte y était urgente.

Vaubois n'avait pu résister aux forces supérieures qui l'avaient attaqué, le 26 (16), dans sa position de la Corona, et avait été forcé de se retirer d'abord sur Rivoli, ensuite sur Campara, laissant le général Fiorella et 7 ou 800 hommes prisonniers. Davidowich s'avança le 28 jusqu'à Castel-Novo et Passago, poussant des partis jusqu'à Vérone. Vaubois se retira par Peschiera derrière le Mincio.

Le même jour Masséna repassa sur la rive droite de l'Adige, et se porta sur Villa-Franca, pour joindre Vaubois qui y ralliait sa division en traversant le Mincio à Borghetto. Demain, écrivit Bonaparte au Directoire[56], en l'informant de ces mouvements, j'attaque la division qui a battu Vaubois, je la poursuis jusque dans le Tyrol, et j'attendrai alors la reddition de Mantoue qui ne doit pas tarder quinze jours.

Masséna et Vaubois réunis marchèrent, le 1er frimaire, à Castel-Novo, tandis qu'Augereau se portait sur les hauteurs de Sainte-Anne pour descendre dans la vallée de Dolce, et couper la retraite aux Autrichiens ; mais instruits, le 29 brumaire, de la retraite d'Alvinzi, ils s'étaient hâtés de regagner les montagnes. Cependant Joubert, commandant l'avant-garde, les atteignit sur les hauteurs de Campora. Après un combat assez léger, il parvint à entourer un corps de l'arrière-garde ennemie, et lui fit 1.200 prisonniers, parmi lesquels le colonel du régiment de Lehrbach. 3 ou 400 Autrichiens se noyèrent dans l'Adige en voulant se sauver. Il reprit les positions de Rivoli et de la Corona, et poursuivit l'ennemi jusqu'à Preabocco. Masséna et Vaubois ne dépassèrent pas Castel-Novo. De son côté, Augereau rencontra un corps ennemi sur les hauteurs de Sainte-Anne, le dispersa, lui fit 300 prisonniers, arriva à Dolce, brûla deux équipages de pontons, et enleva quelques bagages.

Alvinzi, informé des succès que Davidowich avait obtenus sur Vaubois, détacha quelques bataillons pour soutenir son lieutenant et s'avança même jusqu'à Villa-Nova ; mais Bonaparte, qui n'espérait plus entamer Davidowich, revint sur ses pas, et se prépara à déboucher de Vérone. Alvinzi ne jugea pas prudent de l'attendre, et se décida à retourner sur la Brenta et à y prendre des cantonnements, sa gauche à Padoue, son quartier-général à Bassano, et sa droite se prolongeant vers Trente, et se liant avec Davidowich.

Pendant toutes ces opérations, Wurmser, qui aurait pu faire une diversion importante, était resté immobile dans Mantoue. Le 3 frimaire, il fit en personne une sortie. Kilmaine, qui était retourné devant la place avec les troupes momentanément détachées du blocus, le rejeta dans ses murs après un combat assez vif, où il laissa 200 prisonniers, un obusier et deux pièces de canon.

Bonaparte saisit cette occasion pour laisser encore percer son humeur contre les vils folliculaires qui cherchaient à flétrir ses lauriers et la cause nationale. Wurmser, écrivit-il au Directoire[57], n'est heureux que dans les journaux soldés à Paris par les ennemis de la République.

La bataille d'Arcole qui dura, on peut le dire, soixante-douze heures, fut sans contredit une des plus remarquables de la guerre. Les efforts y furent également honorables pour les deux armées. Cependant on a fait divers reproches à leurs généraux en chef.

Après le combat de Caldiero, Alvinzi, au lieu de passer l'Adige, perdit deux jours en délibération. Attaqué sur ses derrières, le 2 5, au lieu de donner l'assaut à Vérone ou de tenter le passage de l'Adige à Zevio, comme il en avait le projet, il céda encore à des craintes exagérées, fit d'autres dispositions, exécuta un changement de front en arrière, comme Bonaparte le désirait et l'avait prévu. Davidowich divisa ses forces contre Vaubois sans motif raisonnable ; pouvant l'attaquer le 20, il ne l'attaqua que le 26, perdant ainsi six ou sept jours. Son succès, qui eût été décisif les 23 et 24 brumaire, ne servit qu'à le compromettre. Wurmser ne se mit en mouvement de Mantoue que lorsque l'armée impériale eut été battue et lorsque tout fut consommé. Enfin les Autrichiens, comme ils l'avaient toujours fait, marchèrent de points différents vers un point central occupé par une masse égale ou supérieure à chacun de leurs corps, et fournirent ainsi à Bonaparte le moyen d'employer sa manœuvre favorite et de les battre l'un après l'autre.

Bonaparte fit deux jours de suite la faute d'attaquer Arcole de front et par un terrain marécageux. Au lieu de jeter son pont sur l'Adige à Ronco, il aurait dû, dès le premier jour, faire ce qu'il exécuta le troisième, jeter son pont vis-à-vis Albaredo, au-dessous de l'embouchure de l'Alpon. On a répondu : les hussards autrichiens occupaient Albaredo ; si on y avait établi le pont, ils auraient donné l'éveil à Alvinzi, et Bonaparte comptait le surprendre. Les marais vis-à-vis Ronco n'étaient point occupés. L'armée française, n'étant là que de 13.000 hommes, ne pouvait espérer d'en battre 30.000 dans une plaine où les lignes pouvaient se déployer ; mais sur des digues environnées de marais, les têtes des colonnes seules se battaient ; le nombre avait moins d'influence. Alvinzi se proposait d'attaquer Vérone, Davidowich serrait de près Vaubois. Il fallait donc que l'armée française ne fût arrêtée par aucun obstacle naturel pour se porter au secours de Vaubois ou de Vérone. Si elle avait passé l'Adige vis-à-vis Albaredo, quelques bataillons de Croates en position sur la rive droite de l'Alpon auraient suffi pour protéger la marche d'Alvinzi sur Vérone ; une fois cette ville perdue, l'armée française était obligée de battre en retraite pour se réunir avec Vaubois sur Mantoue et y prévenir l'ennemi. Le troisième jour, au contraire, quelques succès 'obtenus par les Français avaient rétabli l'équilibre entre les deux armées ; ils pouvaient alors se hasarder en plaine. Enfin une foule de raisons très-délicates tenaient à des calculs d'heures, et, pour les concevoir, il faut bien connaître l'échiquier de Vérone, Villa-Nova, Ronco, Mantoue, Castel-Nuovo et Rivoli[58]. On voit en effet que Bonaparte ne perdit pas son temps, ne donna pas un moment de relâche à l'ennemi, et suppléa au nombre par son coup d'œil, sa résolution, l'audace et la rapidité de ses mouvements.

Avant les opérations militaires que Bonaparte venait de terminer avec autant de bonheur que d'habileté, tous ses efforts pour faire concourir l'administration militaire à leurs succès avaient échoué contre l'avidité et l'incivisme des fournisseurs. On a vu qu'après avoir été repoussé dans son attaque sur Caldiero, livré à de sombres pressentiments, il avait écrit au Directoire que l'armée était sans souliers. En même temps il avait renouvelé au commissaire du gouvernement les plaintes les plus amères contre les fournisseurs qui avaient dans leurs mains les trésors de l'armée et n'acquittaient pas ses dépenses, dont tous les agents étaient des émigrés ou des contre-révolutionnaires qu'on était fondé à croire servir d'espions à l'ennemi[59]. A peine Bonaparte eut-il battu Alvinzi qu'il se retourna contre l'administration.

L'armée est sans souliers, écrivit-il au commissaire du Gouvernement Garrau ; elle est sans prêt, sans habits ; les hôpitaux manquent de tout ; nos blessés sont sur le carreau et dans le dénuement le plus horrible ; tout cela provient du défaut d'argent, et c'est au moment où nous venons d'acquérir quatre millions à Livourne, et où les marchandises que nous avons à Tortone et à Milan nous offrent encore une ressource réelle. Modène devait aussi nous donner 1.800.000 livres, et Ferrare des contributions assez fortes ; mais il n y a ni ordre ni ensemble dans la partie des contributions dont vous êtes spécialement chargé. Le mal est si grand qu'il faut un remède. Je vous prie de me répondre dans la journée si vous pouvez pourvoir aux besoins de l'armée ; dans le cas contraire, je vous prie d'ordonner au citoyen Haller, fripon qui n'est venu dans ce pays-ci que pour voler, et qui s'est érigé en intendant des finances des pays conquis, qu'il rende ses comptes à l'ordonnateur en chef qui est à Milan, et en même temps de lui laisser prendre les mesures pour procurer à l'armée ce qui lui manque. L'intention du Gouvernement est que ses commissaires s'occupent spécialement des besoins de l'armée, et je vois avec peine que vous ne vous en occupez pas, et que vous laissez ce soin à un étranger dont le caractère et les intentions sont très-suspects.

Le citoyen Sallicetti fait des arrêtés d'un côté, vous de l'autre ; et le résultat de tout cela est que l'on ne s'entend pas et que l'on n'a pas d'argent. Dans un pays aussi riche et après les succès qu'ils obtiennent, nos soldats manquent des choses les plus indispensables[60].

A cette lettre était jointe une réquisition du général en chef au commissaire du Gouvernement, d'exiger dans les quarante-huit heures de la compagnie Flachat tout l'argent provenant de la vente à Livourne, de faire réaliser toutes les ressources qui pouvaient exister en Italie, et d'ordonner le versement de ces fonds dans la caisse du payeur de l'armée.

En rentrant à Milan après sa victoire, Bonaparte adressa aussi des reproches aux autorités de cette ville qui ne l'avaient que faiblement secondé pendant cette campagne. Si vous ne m'aviez pas laissé manquer d'argent, leur dit-il, si mes soldats ne s'étaient pas trouvés sans souliers, j'aurais détruit l'armée autrichienne, pris Mantoue et fait 14.000 prisonniers. C'est de la chute de cette place que dépend la possession de Vérone, de Brescia, de Bergame et de Crème. Après avoir abattu les ailes de l'aigle, j'aurais fait perdre terre au lion.

 

 

 



[1] Jomini, t. IX, page 89.

[2] Lettre du 11 vendémiaire an V (2 octobre 1796).

[3] Lettre du 21 vendémiaire (7 octobre). Le Directoire donna, quelques jours après, au général Willot l'ordre de ne garder que 2000 hommes.

[4] Lettre de Bonaparte au Directoire, 11 vendémiaire an V (2 octobre).

[5] Lettre du Directoire à Bonaparte, 21 vendémiaire, an V (7 octobre)

[6] Lettre du 17 vendémiaire (8 octobre).

[7] Lettre du 20 vendémiaire (11 octobre).

[8] Lettre du 20 vendémiaire an V (11 octobre).

[9] Lettre du 26 vendémiaire an V (17 octobre).

[10] Lettre du 26 vendémiaire an V (17 octobre).

[11] Lettre du Directoire à Bonaparte, 27 vendémiaire an V (18 octobre).

[12] Lettres du 12 prairial, 4 messidor, 4e jour complémentaire an IV, 4 vendémiaire an V (31 mai, 2 a juin, 20 et 25 septembre).

[13] Lettre du 12 prairial an IV (31 mai).

[14] Lettre du 23 messidor an IV (11 juillet).

[15] Lettre du 4 thermidor an IV (22 juillet).

[16] Lettre du 14 thermidor an IV (1er août).

[17] On a vu plus haut le contraire, mais Sallicetti était d'accord avec Bonaparte.

[18] Lettre du 11 vendémiaire an V (2 octobre).

[19] Lettre du 20 vendémiaire an V (11 octobre).

[20] Lettre du 17 vendémiaire an V (8 octobre).

[21] Lettre de Bonaparte à Cacault, 26 vendémiaire (17 octobre). Dans ses mémoires, Napoléon attribue à cet événement l'explosion de Reggio, et, aux violations de l'armistice commises par la régence de Modène qui avait fait passer des vivres dans Mantoue, la détermination qu'il prit d'émanciper ce pays-là (Montholon, tom. III, page 424). Les événements et les motifs de sa détermination se trouvent ici un peu confondus dans sa narration. Reggio avait recouvré sa liberté plus d'un mois avant.

[22] Lettre du 17 vendémiaire (8 octobre).

[23] Lettre de à Bonaparte à Sallicetti, 18 vendémiaire (9 octobre).

[24] Lettre du 26 vendémiaire (17 octobre).

[25] Lettre de Bonaparte au Directoire, 20 et 26 vendémiaire (11 et 17 octobre).

[26] 28 vendémiaire an V (19 octobre).

[27] Lettre du 3 frimaire (23 novembre).

[28] Lettre du 20 frimaire (10 décembre).

[29] Lettre du 3 brumaire (23 novembre).

[30] Lettre à Bonaparte, 7 brumaire (27 novembre).

[31] Lettre du 4 brumaire (25 octobre).

[32] Lettre du 21 frimaire (11 décembre).

[33] Lettre du 4 brumaire (25 octobre).

[34] Lettre du 13 brumaire (3 novembre).

[35] Lettre du 11 brumaire (1er novembre). On voit aussi par cette lettre que Bonaparte n'était pas content de ce qu'Aréna, Corse d'origine, chargé d'une fourniture de souliers, eût reçu du sénat de Bologne plus de 60.000 aunes de toile, estimées 3 à 400.000 livres ; et qu'il fournît des chemises impropres au service, quoiqu'il ne fût pas chargé de cette fourniture. Le général en chef décidait que la valeur de cette toile fût imputée comme paiement de celle des souliers. De ce moment data la froideur qui s'établit entre lui et ce fournisseur, et qui finit, beaucoup plus tard, par entraîner Aréna à sa perte.

[36] Lettre du 13 brumaire.

[37] Lettre de Bonaparte à Berthier, 14 brumaire (4 novembre).

[38] Lettre de Bonaparte à Berthier, 14 brumaire (4 novembre).

[39] Lettre de Bonaparte au Directoire, 24 brumaire (14 novembre).

[40] Lettre de Bonaparte au Directoire, 24 brumaire (14 novembre)

[41] Lettre de Bonaparte au Directoire, 24 brumaire (14 novembre)

[42] Montholon, III, page 391.

[43] Lettre de Bonaparte au Directoire, Vérone, 24 brumaire (14 novembre).

[44] Lettre du 24 brumaire.

[45] Lettre de Bonaparte au Directoire, 29 brumaire (19 novembre). Montholon dit 1.500 hommes (tom. III, page 399).

[46] Lettre de Bonaparte au Directoire, du 29 brumaire (19 nov.).

[47] Non guéri de la blessure qu'il avait reçue à Governolo, blessé deux fois le premier jour de la bataille, il était, à trois heures après midi, étendu sur son lit, souffrant. Apprenant que Bonaparte se porte lui-même à la tête de la colonne, il se jette à bas de son lit, monte à cheval, et revient le trouver. Il reçut à la tête du pont d'Arcole un coup qui l'étendit sans connaissance. (Lettre de Bonaparte à Carnot, 29 brumaire).

[48] Montholon, tom. III, page 404.

[49] Montholon, tom. III, page 405.

[50] Lettre au Directoire, 19 brumaire.

[51] Lettre de Bonaparte au Directoire, 29 brumaire (19 novembre), Jomini, tom. IX, page 191. Montholon estime la perte de l'ennemi dans ces trois jours, (tom. III, page 409) à plus de 25.000 hommes, et plus bas (page 412), à 18.000.

[52] Lettre du 29 brumaire.

[53] Lettre de Bonaparte au Directoire, 29 brumaire.

[54] Lettre du 29 brumaire. Quelque temps après, Bonaparte demanda au Directoire, en récompense des services rendus par Muiron dans les différentes campagnes, au siège de Toulon, dans la journée du 13 vendémiaire, à Paris, et de son dévouement à la République, la radiation de Mme Beraut de Courville, sa belle-mère et de Charles-Marie Béraut de Courville, son beau-frère, portés sur la liste des émigrés. (Lettre du 8 nivôse). — La veuve et le fils de Muiron le suivirent bientôt au tombeau. Une frégate reçut son nom. Ce fut à son bord que, dans la suite, Bonaparte revint d'Égypte, et on l'a vue depuis lors commander le port de Toulon jusqu'à la restauration.

[55] Lettre du 29 brumaire.

[56] Lettre du 29 brumaire.

[57] Lettre du 4 frimaire (4 décembre).

[58] Montholon, tom. I, page 17.

[59] Lettre au commissaire du Gouvernement, 25 brumaire.

[60] Lettre à Garrau, 29 brumaire (19 novembre).