HISTOIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON BONAPARTE

GUERRE D'ÉGYPTE. - TOME SECOND

 

CHAPITRE XI. — CAMPAGNE DE SYRIE.

 

 

PREMIÈRE PÉRIODE.

 

Motifs de l'expédition en Syrie. — Préparatifs. — Bonaparte remet des instructions aux généraux commandant en Égypte. — L'armée de Syrie passe le désert. — Prise d'El-Arych. — Les villes de Gaza et Ramleh se soumettent aux Français. — Siège et sac de Jaffa. — Sort de la garnison. — La peste règne dans l'armée française. — Protestations pacifiques de Bonaparte envers les habitants de la Palestine et le pacha d'Acre. — Bonaparte organise le pays conquis. — Combat de Qaqoun. — Prise de Caïffa. — L'artillerie de siège tombe au pouvoir des Anglais. — L'armée française arrive devant Acre.

 

Après avoir réprimé la révolte du Kaire, soumis les provinces et fait un établissement à Suez, Bonaparte n'avait plus rien à craindre de l'intérieur de l'Égypte, et s'en trouvait paisible possesseur ; mais ses ennemis préparaient au dehors les moyens de lui arracher sa conquête ; l'orage se formait en Asie. Deux armées turques se réunissaient, l'une en Syrie, l'autre à Rhodes, pour attaquer les Français. Elles devaient agir simultanément au printemps, l'une par mer, en débarquant à Abouqyr, l'autre par terre, en traversant l'isthme de Suez.

Bonaparte avait appris, par des marchands syriens, qu'Achmet-Djezzar avait été nommé, par la Porte, pacha d'Égypte, en remplacement de Seïd-Aboubeker, qui n'avait rien tenté pour conserver cette province au grand-seigneur ; que Djezzar avait même fait occuper, par ses troupes, le fort d'El-Arych, situé a 10 lieues de la frontière de Syrie, sur le territoire égyptien ; qu'il répandait des proclamations[1] et prodiguait ses trésors dans les provinces environnantes pour recruter des soldats ; que ce corps n'était que l'avant-garde de la grande armée de Syrie, qui devait marcher sous les ordres du pacha de Damas. En voyant s'avancer vers lui des forces aussi redoutables y Bonaparte ne jugea pas prudent de les attendre y et résolut de les prévenir.

Un désert de 40 lieues séparait l'Égypte de la Syrie. Dès le 3 nivôse (23 décembre), le général en chef avait envoyé un détachement au poste de Qatieh, situé dans le désert, sur la route de Salhieh à El-Arych, pour l'occuper, y établir un fort et des magasins. L'armée, destinée à porter la guerre en Asie, fut composée de quatre petites divisions d'infanterie aux ordres des généraux Kléber, Bon, Lannes et Reynier ; Murat commandait la cavalerie, Dommartin l'artillerie, et Caffarelli le génie ; elle s'élevait à 12.895 hommes[2]. L'administration se composait de l'ordonnateur en chef d'Aure, du payeur-général Estève, du médecin en chef Desgenettes, du chirurgien en chef Larrey, et du pharmacien en chef Royer.

Desaix continua d'occuper la Haute-Égypte avec 4.000 hommes, depuis Beny-Soueyf jusqu'à Syenne ; le reste des troupes aux ordres des généraux Menou, Zayonscheck, Lanusse, Fugières, Leclerc et de l'adjudant-général Almeyras, était réparti dans les provinces de la Basse-Égypte., pour dissiper les rassemblements d'Arabes, lever les contributions et tenir la population dans l'obéissance.

Bonaparte donna au général Dugua le commandement de la province du Kaire, et lui laissa des instructions. Il prescrivait de prendre des mesures pour que, à la première alerte, chaque corps pût se rendre sur le point qui serait menacé. Des cinq tribus arabes qui habitaient le désert autour de la province du Kaire, les Billys, les Joualqâh, les Terrabins étaient en paix avec les Français, et avaient, au service de l'armée, leurs principaux cheyks et plusieurs centaines de chameaux ; les Houahytâh et les Haydeh étaient au contraire en guerre. On les avait poursuivis jusqu'au fond du désert ; on avait brûlé leurs tentes et détruit leurs troupeaux ; mais comme ils étaient assez hardis pour venir, encore exercer leurs brigandages jusqu'aux portes du Kaire, le général en chef recommanda a Dugua d'observer leurs mouvements, et, s'ils approchaient de trop près, de faire tirer sur eux le canon des forts Camin, Sulkowsky et Dupuy ; d'envoyer de temps en temps une colonne de i00 hommes dans la province de Qélioubeh, pour investir et surprendre le camp de ces Arabes, s'ils y revenaient, et d'embosser un bâtiment armé sur le Nil, au-dessous du Kaire, de manière à pouvoir tirer dans la plaine. Il lui recommandait de traiter avec beaucoup d'égards le divan du Kaire, composé d'hommes bien intentionnés, et d'avoir une confiance particulière dans le commissaire Julfuliiar et dans le cheyk Et-Mohdy ; de consulter l'intendant-général cophte et le chef des marchands de Damas, Michaël-Kébil, lorsqu'il aurait besoin de renseignements sur la situation et la conduite des habitants du Kaire. S'il y survenait des troubles, Dugua devait s'adresser au petit divan et même réunir le divan général, qui réussiraient à tout concilier, si on leur témoignait de la confiance. Bonaparte ordonnait à ce général de prendre toutes les mesures de sûreté possibles, telles que consigner la troupe, redoubler les gardes du quartier français, y placer du canon, appeler de Menouf le général Lanusse, qui, arrivant à la fois sur l'une et l'autre rive, en imposerait au peuple ; mais de n'en venir a faire bombarder la ville par le fort Dupuy et la citadelle qu'à la dernière extrémité ; car cette mesure ne pouvait produire qu'un mauvais effet sur l'Égypte et dans tout l'Orient. Enfin, le générai en chef terminait ses instructions en recommandant à Dugua de l'instruire de tous les évènements, en lui écrivant, soit par des Arabes, soit par des convois de troupes, et de faire marcher les généraux Lanusse et Fugières sur les provinces de Rosette et d'Alexandrie, si des circonstances imprévues y exigeaient des renforts[3].

Après la capitale de l'Égypte., le poste d'Alexandrie était le plus important. C'était à la fois la place de dépôt, le point de retraite de l'armée en cas de revers, et celui sur lequel devaient se porter les premiers efforts des armées européennes qui tenteraient un débarquement. Les Anglais étaient en présence et bloquaient ses ports ; des symptômes de peste s'y étaient manifestés. Ce commandement exigeait donc un officier actif et instruit dans toutes les parties de l'art militaire. C'est pourquoi Bonaparte y laissa le général Marmont, qui déjà y commandait. Je ne puis, lui écrivait-il[4], vous donner une plus grande marque de confiance, qu'en vous laissant le commandement du poste le plus essentiel à l'armée.

Le général en chef lui donna le commandement des provinces d'Alexandrie, Rosette et Bahyreh. Les contributions de cet arrondissement devaient suffire pour faire face aux différents services de l'armée dans ces trois provinces. Quant à Menou, il devait rester à Rosette à la disposition du général en chef ; il lui réservait de hautes fonctions qui ne pouvaient être déterminées qu'après l'expédition de Syrie.

Bonaparte ordonnait à Marmont d'envoyer un bataillon à Damanhour, pour parcourir cette province, y lever les contributions, punir les malveillants, et si quelque événement appelait ce corps dans le Delta, il pourrait de là s'y porter et être d'un grand secours. Cette mesure avait aussi pour objet de soustraire à l'épidémie dont la ville d'Alexandrie était menacée, un détachement de troupes d'élite que Marmont pouvait y faire rentrer promptement, si un besoin impérieux l'exigeait. Le général en chef lui ordonnait de se mettre en correspondance avec Lanusse, à Menouf, et avec Fugières qui commandait à Mehalleh-Kébir. Ne vous laissez point insulter par les Arabes, lui écrivait-il. Le bon moyen de faire finir votre épidémie est peut-être de faire marcher vos troupes. Saisissez l'occasion, et calculez une opération de 4 à 500 hommes sur le village de Marïout ; cela sera d'autant plus essentiel, que partant pour me rendre en Syrie, l'idée de mon absence pourrait enhardir les Arabes du Bahyreh. Pour servir de retraite au commandant de Rosette, dans le cas d'une descente, il recommandait de faire armer et approvisionner pour cinq ou six mois le fort Julien, avec lequel il serait x toujours maître de la bouche du Nil, et il empêcherait l'ennemi d'entreprendre quoique ce fut de grand contre l'Égypte ; de mettre le fort d'Abouqyr dans le meilleur état possible ; enfin, d'approvisionner Alexandrie pour 15 ou 20 jours de siège, afin qu'elle pût résister à l'ennemi jusqu'à l'arrivée du général en chef, qui n'en serait pas éloigné de 10 jours de marche. Il lui demandait aussi de faire lever exactement la carte des provinces de Bahyreh, Rosette et Alexandrie, et de la lui envoyer dès qu'elle serait faite, pour qu'il pût s'en servir, si ces provinces devenaient le théâtre de plus grands évènements[5].

Le général en chef ordonna à l'adjudant-général Almeyras, commandant à Damiette, de presser les travaux des fortifications, de faire embarquer des vivres et des munitions pour l'armée de Syrie, et de les envoyer, par le lac Menzaleh, dans le fort de Tineh, d'où ils devaient être transportés dans les magasins établis à Qatieh.

Bonaparte, voulant emmener le contre-amiral Gantheaume en Syrie, lui avait écrit qu'il avait besoin de ses lumières pour une expédition lointaine ; de quitter Suez et de se rendre au Kaire avant le 15 pluviôse ; de lui ramener ses 25 guides qu'il avait pris avec lui ; de faire compléter son escorte jusqu'à 50 hommes, et de donner ses instructions à l'officier qui commanderait à sa place l'expédition maritime projetée sur Cosseïr[6].

Le fort de Qatieh, occupé par l'avant-garde de la division Reynier, était le premier rendez-vous indiqué à l'armée : cette station était remarquable, au milieu du désert, par un beau bois de dattiers, des puits et une bonne citerne. Reynier partit de Belbeïs avec le reste de sa division, et y arriva le 16 pluviôse. Kléber, qui avait reçu, à Damiette, l'ordre de s'embarquer avec sa division sur le lac Menzaleh, où l'on avait construit plusieurs barques canonnières, pour se rendre à Tineh, et se trouver à Qatieh le 16, n'y arriva que le 18.

Tandis qu'il faisait mouvoir ses légions pour combattre les forces de la Porte-Ottomane, Bonaparte, fidèle à la politique qu'il avait adoptée, ne perdait pas une occasion de lui montrer des intentions pacifiques. Il avait écrit à Kléber de dire aux gens du pays qu'il pourrait rencontrer, qu'il n'avait ordre d'occuper que El-Arych et Kan-Iounes, et qu'il n'en voulait qu'au seul Ibrahim-Bey ; qu'arrivé à Kan-Iounes, frontière de la Syrie, il pouvait écrire à Djezzar-Pacha, que s'il avait été réellement nommé pacha d'Égypte par le grand-seigneur, comme l'annonçait la renommée, on avait lieu d'être surpris qu'il ne fût pas venu prendre possession de son pachalic ; que les Français étant les amis du grand-seigneur, ils n'avaient aucune intention hostile contre lui ; que s'il faisait connaître au général en chef l'ordre qui le nommait pacha d'Égypte, il le recevrait avec les honneurs dus à son rang, et qu'étant officier de la Sublime-Porte, il n'avait rien de commun avec un tyran tel qu'Ibrahim, à la fois ennemi de la République Française et du grand-seigneur. En même temps, Bonaparte faisait observer à Kléber qu'il était indispensable que chaque soldat portât sur lui pour trois jours de vivres, et qu'il fût accompagné d'un convoi qui assurât sa subsistance pendant 12 jours[7].

Les autres divisions se mirent successivement en marche. Celle du général Bon était à Salhieh, et devait appuyer les opérations de Kléber, si des évènements pressants lui rendaient un secours nécessaire[8].

Bonaparte, qui avait annoncé son départ à Kléber pour le 17, le retarda à cause de l'arrivée des citoyens Hamelin et Livron, négociants français, qui avaient apporté des nouvelles d'Europe. Il reçut en même temps un exprès d'Alexandrie qui lui annonçait que, le l5, la croisière anglaise, renforcée de quelques bâtiments, bombardait le port et la ville. Il jugea aussitôt que ce bombardement ne pouvait avoir d'autre but que de détourner l'armée de l'expédition de Syrie, dont le mouvement commencé avait déjà alarmé les Anglais et le pacha d'Acre. il laissa donc les Anglais continuer leur attaque, qui n'eut d'autre effet que de couler bas quelques bâtiments de transport.

L'administrateur-général des finances, Poussielgue, devait rester au Kaire pendant la campagne de Syrie. Le général en chef lui écrivit, le 20 pluviôse, d'activer et de presser, de tous ses moyens, le recouvrement des contributions arriérées dans le Garbyeh, le Menoufyeh, la province de Gizeh, celles de Damiette et de Charqyeh, pour réunir au Kaire le plus d'argent possible, et de là le faire passer à l'armée, afin de subvenir aux dépenses extraordinaires de l'expédition.

Le 22 pluviôse, il écrivit à Desaix : Les divisions Kléber et Reynier sont à El-Arych. Je pars à l'instant même pour m'y rendre. Mon projet est de pousser Ibrahim-Bey au-delà des confins de l'Égypte, et de dissiper les rassemblements du pacha qui se font à Gaza. Ecrivez-moi par le Kaire, en m'envoyant des Arabes droit à El-Arych.

Bonaparte fit connaître au Directoire l'objet du mouvement qu'il faisait sur la Syrie, lui annonça que les Anglais avaient obtenu, pour Djezzar-Pacha, le pachalic de Damas, outre celui d'Acre ; qu'Ibrahim-Bey, Abdallah et d'autres pachas étaient réunis à Gaza, menaçant l'Égypte d'une invasion.

Je pars dans une heure pour aller les trouver, écrivit-il[9]. Il faut passer neuf jours d'un désert sans eau ni herbes. J'ai réuni une quantité assez considérable de chameaux ; j'espère ne manquer de rien. Quand vous lirez cette lettre, il serait possible que je fusse sur les ruines de la ville de Salomon.

Djezzar-Pacha est un vieillard de soixante et dix ans, homme féroce, qui a une haine démesurée contre les Français ; il a répondu avec dédain aux ouvertures amicales que je lui ai fait faire plusieurs fois. J'ai, dans l'opération que j'entreprends, trois buts :

1° Assurer la conquête de l'Égypte en construisant une place forte au-delà du désert, et dès lors éloigner tellement de ce pays les armées de quelque nation que ce soit, qu'elles ne puissent rien combiner avec une armée européenne qui viendrait sur les côtes ;

2° Obliger la Porte à s'expliquer, et par-là appuyer la négociation que vous avez sans doute entamée, et l'envoi que je fais à Constantinople du citoyen Beauchamp sur la caravelle turque ;

3° Enfin, ôter à la croisière anglaise les subsistances qu'elle tire de Syrie, en employant les deux mois d'hiver qui me restent, à me rendre, par la guerre et la diplomatie, toute cette côte amie.

 

Après avoir donné ses instructions à ses lieutenants, prescrit les mesures nécessaires pour assurer la tranquillité de l'Égypte pendant son absence, et mettre à l'abri des attaques extérieures es, et fait défiler sur le désert les colonnes de l'armée expéditionnaire, Bonaparte partit du Kaire, le 22 pluviôse (10 février 1799), avec la division Lannes, pour aller se mettre à leur tête. Il était accompagné du payeur-général Estève, de Desgenettes, Larrey, Monge, du commissaire ordonnateur d'Aure, de l'émir-haggy, des quatre cheyks des principales sectes, et enfin du mollah, l'homme le plus révéré de l'empire musulman, après le muphty de Constantinople. Il arriva à Belbeïs au milieu de la nuit.

Le lendemain, il informa Kléber de la marche des divisions Bon et Lannes, de l'arrivée du parc d'artillerie à Salhieh, et des mesures qu'il avait prises pour réunir les approvisionnements nécessaires au passage du désert[10]. C'était là l'objet de toutes ses sollicitudes. On avait rassemblé plus de 8.000 ânes pour les transports ; ils rendirent les plus grands services. Plusieurs convois de chameaux, portant des vivres, étaient en route pour Qatieh. Le général en chef écrivit au général Bon de donner des ordres pour les faire décharger dès leur arrivée ; de les renvoyer à Tineh pour y prendre de nouvelles munitions venant de Damiette, et de les faire filer promptement sur El-Arych[11].

Le 23, Bonaparte partit de Belbeïs et coucha à Kâraïm, le 24 à Salhieh, le 25 au Pont-du-Trésor, et arriva le 26 à Qatieh. Il écrivit de ce lieu au contre-amiral Gantheaume de se rendre le 27 à Tineh et à la bouche d'Om-Fâreg ; de faire partir de Damiette le capitaine de frégate Stanglet avec sa flottille chargée de vivres pour El-Arych ; d'activer la navigation du lac Menzaleh, et de se rendre lui-même au quartier-général, par Qatieh, dès que sa présence ne serait plus nécessaire dans la province de Damiette[12].

Il écrivit le même jour à Kléber, pour lui annoncer, l'arrivée de plusieurs convois. Le 27, il ordonna à l'adjudant-général Grézieux de partir pour Tineh avec des chameaux destinés à transporter des vivres à El-Arych[13]. Il écrivait en même temps à l'ordonnateur en chef d'installer le commissaire Sartelon à Qatieh, pour faire filer sur El-Arych tous les objets de subsistance qui s'y trouveraient ; de tirer le plus de son qu'il pourrait de Damiette, Menouf et Mehalteh-Kebir ; de faire venir de Salhieh, Belbeïs et du Kaire, des convois de biscuit, orge, fèves, son et riz, et de diriger le tout sur Qatieh[14].

Enlever 12.000 hommes à l'Égypte, pour les porter en Syrie, c'était un peu compromettre la tranquillité d'une vaste contrée, dont la soumission exigeait une force imposante, et que les ennemis de la France cherchaient à soulever par tous les moyens. On pouvait craindre surtout qu'ils ne profitassent de l'absence du général en chef, car sa présence seule valait une armée. La promptitude de son coup-d'œil prévoyait tout ; la force de sa volonté maintenait l'ordre et triomphait de tous les obstacles. Sa grande renommée imposait au peuple, commandait au soldat le dévouement et le rendait invincible. A peine Bonaparte se fut-il enfoncé dans le désert, à peine son bras vigoureux eut-il quitté les rênes du gouvernement, qu'un relâchement funeste se fit sentir sur tous les points et dans toutes les parties. Poussielgue, dans une lettre du 27 pluviôse, lui faisait un triste tableau de la situation financière de l'Égypte. La pénurie de l'argent était telle, que l'on ne pouvait suffire à payer au Kaire les dépenses même les plus indispensables. Poussielgue envoyait des exprès dans les provinces les plus riches ; on lui faisait des réponses peu rassurantes. La province de Beny-Soueyf, dans la Moyenne-Égypte, s'était insurgée, et on avait été obligé de cacher dans le village de Fehn, un convoi d'argent destiné pour le Kaire. L'arrivage des grains était suspendu ; plusieurs barques avaient été arrêtées par les insurgés. N'ayant aucun moyen de transport pour faire venir les blés que l'administration possédait dans les provinces éloignées, Poussielgue avait donné aux Cophtes, commission de les vendre sur les lieux, et espérait, avec le produit de ces ventes, acheter au Kaire les approvisionnements nécessaires à l'armée.

L'enregistrement ne produisait que 2.000 ou 2.500 fr. par jour ; la monnaie en produisait autant. Voilà donc, écrivait Poussielgue, 4.500 fr. que nous recevons ; cela ne mène pas loin. Il avait fixé les dépenses avec le général Dugua, de manière à ne payer que le strict nécessaire, et prescrit au payeur de ne rien acquitter sans son ordre. Mais, outre les dépenses forcées des vivres, du génie, de l'artillerie, des transports et du détail de l'administration, il s'en présentait beaucoup d'autres non moins urgentes. L'établissement de Suez exigeait des fonds ; le divan réclamait sa paie. Deux mois de solde étaient dus aux malheureux canonniers de la marine ; c'était un objet sacré. Les contributions n'offraient qu'une maigre ressource ; les villages refusaient de payer. Ils commençaient à inquiéter la navigation de la Basse-Égypte. Quelques troubles avaient éclaté près de Belbeïs, de Qélioub et de Rahmanieh.

S'il ne résultait pas de cette situation, mandait Poussielgue, qu'il ne nous rentrera pas d'argent, je serais parfaitement tranquille, car ces mouvements n'aboutiront à rien. La confirmation d'une victoire remportée par Desaix sur les Mamlouks se répand et impose dans la Haute-Égypte. Mon désespoir est uniquement de ne pas entrevoir les moyens de vous envoyer de l'argent, et je sens que vous en aurez grand besoin dans un pays sans ressources. Ne comptez pas sur nous ; mais soyez bien convaincu que nous emploierons tous nos efforts pour vous en envoyer le plus possible.

D'après des confidences qui m'ont été faites, sans interprète, par des femmes qui vous estiment beaucoup, et qui, quoique femmes de Mamlouks, ne craignent rien tant que leur retour, vous devez vous méfier du cheyk El-Fayoumy. Il est l'ami intime d'Ibrahim, et on m'assure qu'il est dépositaire de ses trésors et de ses bijoux ; qu'il correspond avec lui, et qu'il pourrait encore très-bien le servir du milieu de votre camp. Cette confidence m'a d'autant plus surpris, que ce cheyk est un de ceux qui, en apparence, se sont le mieux conduits, et nous ont montré le moins d'éloignement.

 

L'insurrection de la province de Beny-Soueyf n'eut pas de suite. Un bataillon de la 22e demi-brigade marcha contre les révoltés, et couvrit de cadavres quatre lieues de pays ; tout rentra dans l'ordre ; les Français ne perdirent que 3 hommes et eurent 20 blessés. On croyait que cette insurrection, qui avait commencé à éclater dès le 12 pluviôse, et les troubles dans la Basse-Égypte avaient été fomentés par les Anglais et combinés par eux avec le bombardement qu'ils avaient tenté sur Alexandrie.

Le village d'El-Arych est situé à 10 lieues de la frontière de Syrie, dans un petit vallon, à l'embouchure d'un torrent alimenté par les pluies du Mont-Haïlas. On y trouve 5 ou 6 sources abondantes et un grand bois de palmiers. Les maisons sont crénelées et solidement construites ; le village est défendu par un fort ceint de hautes murailles en pierre et flanquées de tours. La division Reynier y était arrivée le 21 pluviôse au soir, après avoir repoussé un détachement des Mamlouks d'Ibrahim-Bey, qu'elle avait rencontré en avant des sources de Meçoudiah. Elle prit position près du bois de palmiers, au bord de la mer. Le lendemain, Reynier fit occuper les dunes de sable qui dominent le vallon d'El-Arych et y plaça son artillerie. La troupe qui gardait le village était composée partie de Syriens, partie de Maugrabins, originaires de la Mauritanie, que Djezzar avait pris à sa solde. Elle s'y barricada et s'y retrancha, disposée à faire une vigoureuse résistance. L'avant-garde, commandée par le général Lagrange, se précipita de droite et de gauche sur le village que Reynier attaqua de front. On combattit vivement de part et d'autre. Les Français parvinrent à pratiquer des brèches et pénétrèrent dans El-Arych. Là, le combat recommença de nouveau ; les Syriens s'enfermèrent dans les maisons et dans les impasses, et présentèrent de tous côtés un feu meurtrier. Il fallut pour les déloger enfoncer toutes les portes ; la plupart d entre eux, ne voulant pas se rendre, reçurent la mort après la résistance la plus opiniâtre.

Dès le commencement de l'attaque, le commandant du fort en avait fait fermer les portes, dans la crainte d'une surprise. Par là, il avait ôté toute retraite à ceux qui gardaient le village, et ces malheureux, se voyant sans asile, continuèrent de se défendre avec toute la fureur du désespoir. Ils se réfugièrent dans une vaste citerne, déterminés à ne pas se rendre ; mais bientôt, menacés d'être brûlés vifs ou étouffés, ils remirent leurs armes aux Français.

Le soir, le général Reynier, regardant le fort d'El-Arych comme inexpugnable sans artillerie de siège, se borna à en faire le blocus régulier.

La prise de ce village avait coûté aux Français près de 300 blessés. En apprenant cette nouvelle à Salhieh, où se trouvait alors le quartier-général, Larrey accourut à El-Arych pour leur donner ses soins. Il en fut récompensé par des succès. A défaut d'autre viande, on se servit de chameau. Le bouillon et la chair en furent trouvés nourrissants et assez agréables au goût. On les regretta lorsqu'il fallut plus tard avoir recours au cheval.

Le 21 pluviôse, au soir, on signala dans le désert, sur la route de Gaza, un convoi turc qui se dirigeait sur El-Arych pour en approvisionner le fort. Les jours suivants, ce corps se grossit successivement des Mamlouks d'Ibrahim-Bey et de troupes syriennes, commandés en chef par Abdallah, pacha de Damas. Le 25 pluviôse, se sentant supérieur aux Français, il s'avança jusqu'à une demi-lieue d'El-Arych, et prit une forte position sur un plateau couvert par un ravin escarpé.

Dans la nuit du 26 au 27, Kléber arriva avec une partie de sa division. Alors Reynier, profitant de l'obscurité de la nuit, fit remonter le ravin à la sienne pendant une lieue, le passa, forma sa troupe en bataille, et marcha sur la rive où était campé l'ennemi, dans le dessein de le surprendre. Sa manœuvre réussit ; l'ennemi se trouva cerné entre le ravin et les Français. Des grenadiers, commandés par l'intrépide général Lagrange, pénétrèrent dans le camp et répandirent la terreur parmi.les Mamlouks d'Ibrahim. Ils voulurent reprendre la route de Gaza ; mais, au même instant, Reynier parut sur ce point avec sa droite et leur ferma le passage. L'ennemi se jeta alors dans le ravin ; la pente du sol entraîna les Mamlouks qui, ne pouvant maîtriser leurs chevaux, furent culbutés les uns sur les autres. Une horrible confusion régna dans le fond du ravin, et les Français y firent un grand carnage. Kassan-Bey, plusieurs kachefs et un émir y trouvèrent la mort. Aly, kachef de Kassan-Bey, fut pris avec un grand nombre de Mamlouks.

Toute l'armée d'Abdallah fut dispersée. On dit même que ce pacha, sur le point d'être surpris dans sa tente, fut contraint de se sauver a pied, à moitié habillé. L'ennemi abandonna ses bagages, son artillerie, ses provisions de bouche et de guerre, 50 chameaux, plus de 100 chevaux, laissant sur le champ de bataille 150 tués et plus de 300 prisonniers. Les fuyards ne commencèrent à se rallier qu'à Kan-Iounes.

Après ce combat, Kléber et Reynier firent tirer contre le fort et commencer des boyaux d'approche ; mais n'ayant pas assez de munitions pour battre en brèche, ils sommèrent la garnison de se rendre et poussèrent une mine sous l'une des tours du château. Elle fut éventée, et l'ennemi refusa de livrer la place. On se contenta d'en resserrer le blocus, en attendant des munitions.

Cependant Bonaparte partit de Qatieh le 27 pluviôse, alla coucher au puits de Bir-el-Abd, le 28 à celui de Meçoudiah, et arriva le 29 à El-Arych. Malgré tous les soins pour assurer les vivres, les provisions de bouche n'avaient pu suivre les troupes ; elles avaient souffert de grandes privations. Quoiqu'on eût fait route sur un sol où la végétation était presque nulle, on avait rencontré dans les bas-fonds une espèce de petite oseille rafraîchissante, d'un goût agréable, et qui avait servi à calmer le tourment aigu de la soif. Le 30, toute l'armée se trouva réunie à El-Arych. Elle prit position sur des dunes de sable entre le village et la mer. Bonaparte fit canonner une tour du fort, et, dès que la brèche fut praticable, sommer l'ennemi de se rendre. La garnison, forte de 1.600 hommes, était composée de Mamlouks, d'Arnautes, de Maugrabins et d'habitants de la Caramanie, barbares indisciplinés et presque indépendants de leurs chefs. L'aga Ibrahim qui les commandait dut les consulter l'un après l'autre avant de répondre à la sommation de Bonaparte. Ils refusèrent de livrer leurs armes et leurs bagages, clause sur laquelle insistait le général en chef. Vous demandez les armes et les chevaux de la garnison, répondit Ibrahim-Aga ; ceci nous a paru contraire aux principes de générosité que vous avez la réputation de professer, et c'est une chose qui ne s'est jamais vue. La mort nous paraît préférable à. la honte, à l'humiliation de nous dessaisir de nos armes, et dussions-nous tous périr jusqu'au dernier, nous ne consentirons point à une condition que personne de nous n'a jamais acceptée. Voilà notre dernière résolution ; si vous ne l'approuvez pas, nous nous résignerons à la volonté de Dieu.

Rien n'était plus facile à Bonaparte que d'enlever d'assaut le château d'El-Arych ; mais il fallait sacrifier des hommes, et il lui importait de ménager son armée, à l'ouverture de la campagne. Il consentit donc à laisser sortir la garnison avec ses armes. Il fut conclu, le 2 ventôse, une capitulation portant que les troupes commises à la garde du fort en sortiraient pour se rendre à Bagdad par le désert, et qu'on leur donnerait un étendard tricolore et un sauf-conduit. Les agas qui les commandaient jurèrent par Moïse, Abraham et Mahomet, de ne point servir dans l'armée de Djezzar. Trois ou quatre cents Maugrabins demandèrent à servir dans l'armée française ; Bonaparte en fit un corps auxiliaire. On trouva dans le fort près de 250 chevaux, deux canons démontés et une provision de vivres pour 15 jours.

Bonaparte crut faire une chose politique en expédiant de suite au Kaire les drapeaux enlevés a l'ennemi, 6 kachefs et une trentaine de Mamlouks prisonniers. En les envoyant au général Dugua, il l'engageait à se concerter avec le cheyk El-Mohdy et les principaux membres du divan pour célébrer une petite fête à la réception des drapeaux, et à faire en sorte qu'ils fussent suspendus aux voûtes de la mosquée de Jémil-Azar, comme un trophée de la victoire remportée par l'armée d'Égypte sur Djezzar et sur les ennemis des Egyptiens. Quant aux Mamlouks prisonniers, écrivait-il, mon intention est qu'ils soient bien traités, qu'on leur restitue leurs maisons ; mais que l'on exerce sur eux une surveillance particulière. Vous leur réitérerez la promesse que je leur ai faite de leur faire du bien si j'apprends à mon retour que vous avez été content de leur conduite. Il chargeait Dugua de faire dire aux habitants du Kaire et de Damiette qu'ils pouvaient envoyer des caravanes en Syrie, que leurs marchandises y seraient respectées et bien vendues ; il lui recommandait de faire filer des munitions de bouche et de guerre par toutes les occasions ; de lui écrire souvent, par les moyens les plus sûrs, et de lui envoyer sous bonne escorte les dépêches importantes qui pourraient lui arriver de France ou de la Haute-Égypte.

Pour fêter l'arrivée des drapeaux conquis, Dugua profita de la fête du Beïram ou clôture du ramadan, qui tombait, cette année, le 18 ventôse (8 mars). Comme au premier jour de l'an en Europe, ce jour est celui des visites et des cadeaux ; les Français en firent aux principaux du Kaire. Des salves d'artillerie furent tirées de tous les forts. On éleva sur les minarets de la mosquée de Jémil-Azar les drapeaux pris à El-Arych ; et, pendant trois jours, des détachements protégèrent contre les Arabes les pèlerinages que les habitants allaient faire à la ville des tombeaux. Quelques jours après, le 26, on fit la belle procession du kesoueh, c'était le grand voile brodé en or que la caravane de x la Mekke portait chaque année pour couvrir les tombeaux de Mahomet et de sa fille Fatime. Le peuple manifesta beaucoup de joie. On vit, pour la première fois, les femmes, quoique voilées, se porter avec affluence dans les rues.

Cependant il importait à Bonaparte de sortir promptement du désert-, où son année éprouvait beaucoup de privations. Il laissa la division Reynier à EI-Arych avère ordre d'attendre que le fort fût entièrement évacué et nettoyé, car il était infecté de la peste ; d'en augmenter les fortifications et de ne partir que lorsque le parc d'artillerie serait en marche.

Le 4 ventôse, Kléber, formant l'avant-garde, partit à la tête de sa division et de la cavalerie pour se porter sur Kan-Iounes. Les divisions Bon et Lannes se mirent en route pour le suivre à quelque distance.

Le 5 ventôse, Bonaparte partit d'El-Arych avec l'état-major, escorté par 100 guides à cheval et un détachement de 100 dromadaires. Arrivé au santon de Cheyk-Zoé, il remarqua avec étonnement que les fossés dans lesquels les Arabes cachaient leur paille, leurs blés et leurs racines n'avaient pas été fouillés. Il ne trouva pas un soldat, ce qu'il s'expliquait par la crainte que les Bédouins inspiraient aux traîneurs. Arrivé aux deux colonnes de granit rouge qui séparent l'Afrique de l'Asie, et près desquelles se trouve le beau et profond puits de Refah, il fut alarmé de ne pas voir de traces d'eau répandue par les divisions qui avaient dû y passer. Il continua sa route sur Kan-Iounes ; mais au lieu d'y trouver son armée, il aperçut un corps de Mamlouks qui gardait ce village, et, dans le lointain, le camp d'Abdallah-Pacha. Des officiers lui conseillèrent de retourner promptement à El-Arych ; mais Bonaparte repoussa cet avis. Il sentit que, s'il prenait la. fuite, il attirerait sur lui les, Mamlouks, et résolut de faire un coup d'audace. A la tête de ses guides, il marcha rapidement sur Kan-Iounes. Les Mamlouks d'Ibrahim, prenant ce corps pour la tête de l'armée française, se replièrent à la hâte sur le camp de Gaza. Lorsque la nuit fut venue, Bonaparte jugea qu'il était imprudent d'occuper plus longtemps ce village en face de l'ennemi, sans avoir de nouvelles de l'armée, et se décida à une prompte retraite. Il revint, à 10 heures du soir, au santon de Cheyk-Zoé, en proie à mille réflexions, et envoya un détachement de ses dromadaires à la découverte. Le 6 ventôse, à deux heures du matin, on lui amena un Arabe qui. lui dit qu'une armée française, nombreuse comme les étoiles du firmament, avait pris le chemin de la Mekke. Bonaparte le retint pour guide, monta sur son dromadaire et se mit en marche. Il rencontra quelques dragons harassés de fatigue, qui lui apprirent que Kléber avait été égaré par un guide infidèle qu'il avait fait fusiller ; mais qu'ayant trouvé quelques Arabes, il s'était fait remettre dans la vraie route. Le général en chef alla au devant de lui, et rencontra sa division 2 heures après. Elle avait erré pendant 50 heures dans le désert, perdu une journée de marche, et enduré tous les tourments de la soif. En apercevant Bonaparte sur son dromadaire, les soldats abattus poussèrent des cris d'espérance et de joie. On se rendit au santon de Cheyk-Zoé. Les divisions Bon et Lannes, ayant aussi fait fausse route, avaient été retardées ; elles arrivèrent un instant après la division Kléber. Toutes ces troupes qui, d'après les ordres, auraient dû se succéder, se trouvèrent réunies en même temps, eurent bientôt épuisé l'eau des puits du santon, et n'en obtinrent qu'un léger soulagement.

L'armée arriva le 6 à Kan-Iounes. Les Mamlouks, ignorant sans doute que les Français avaient évacué ce village, n'avaient point tenté rie l'occuper. Abdallah-Pacha était toujours à la même place. Lorsqu'il vit l'armée réunie, il leva son camp et se replia sur Gaza.

Bonaparte écrivit de Kan-Iounes aux cheyks et ulémas de Gaza pour les rassurer sur les intentions de l'armée française ; leur demander les clefs de la ville ; leur faire connaître qu'il- était l'ami de la religion mahométane, et que leurs personnes, leurs propriétés et leurs femmes seraient respectées[15].

L'armée partit de Kan-Iounes le 7 ventôse.. Près de Gaza, elle rencontra un corps de 3 ou 4.000 cavaliers. Murat fit passer à sa troupe le torrent de Besor, et s'avança pour l'attaquer. L'ennemi s'ébranla ; on crut qu'il allait charger ; mais il tourna bride et s'enfuit au galop sur la route de Jaffa. La division Kléber atteignit quelques tirailleurs turcs et en tua une vingtaine, au nombre desquels se trouva le kiaya d'Abdallah-Pacha. L'armée prit position sur les hauteurs qui dominent la ville et regardent Hébron 5 où l'on rapporte que Samson alla déposer les portes de Gaza. Les habitants envoyèrent faire leur soumission ; les Français y furent reçus et .s'y conduisirent en amis. On y trouva 100.000 rations de biscuit, du riz et de l'orge en abondance et plus de 16 milliers de poudre. Le fort de Gaza était une enceinte circulaire flanquée de tours d'environ 40 toises de diamètre. Non loin de là, sur la côte, quelques ruines en marbre blanc indiquaient ce qu'avait été Gaza, autrefois, dit-on, port de mer, maintenant située à une demi-lieue dans les terres, et peuplée seulement de 2.000 âmes.

Après avoir franchi rapidement le vaste désert qui sépare l'Égypte de la Syrie, l'armée éprouvait une vraie jouissance à l'aspect des champs cultivés de la Palestine. Ce n'était plus le ciel pur et brûlant de l'Égypte, l'aridité de ses plaines de sable, la monotonie des palmiers. L'horizon se couvrait de nuages, la chaleur était modérée. Tout, dans le climat et dans la nature du sol, annonçait une contrée plus rapprochée de l'Europe. La pluie fertilisait les vallées et les prairies ; on voyait des oliviers et diverses espèces d'arbres ; on trouvait dans les jardins la datte, le cédrat, la grenade. Dans la nuit du 8 au 9 ventôse, il y eut un grand orage ; pour la première fois peut-être depuis son départ de France, l'armée entendit gronder le tonnerre : il tomba une pluie très-abondante. Le soldat qui n'y était plus accoutumé et qui n'avait pas de quoi s'en préserver, fut obligé d'allumer de grands feux pour se sécher. Après s'être réjoui d'abord de la pluie, il finit par murmurer contre la température de la Palestine qu'il trouvait froide et humide, et sembla regretter l'Égypte.

Bonaparte consacra les journées du 8 et du 9 à l'organisation civile et militaire de la place et du pays. Il forma un divan composé des principaux habitants, et partit le 10 pluviôse pour Jaffa où l'ennemi rassemblait ses forces.

L'armée passa le torrent de Sorec, laissant à sa gauche les ruines d'Ascalon. Elle traversa une vaste plaine couverte de monticules de sables mouvants, que la cavalerie ne pouvait franchir qu'avec beaucoup de difficultés. Les chameaux s'y traînaient péniblement. Pendant environ 3 lieues, il fallut tripler les attelages de l'artillerie. Le 10 pluviôse, on coucha à Ezdoud, l'ancienne Azoth, où l'on trouva une grande quantité de scorpions et de reptiles venimeux. Les soldats allumaient des feux pour s'en défendre. Le 11, on bivouaqua a Ramleh, autrefois Arimathia. Cette petite ville n'avait alors guère plus de 200 familles ; ses habitants étaient presque tous chrétiens. L'ennemi l'avait évacuée avec tant de précipitation, qu'il abandonna 100.000 rations de biscuit, une immense quantité d'orge et 1.500 outres que Djezzar avait préparées pour passer le désert.

L'armée française se trouvait à 10 lieues de Jérusalem. On rapporte qu'alors Bonaparte dirigea une avant-garde sur cette ville, où un grand nombre de chrétiens étaient dans les fers et sous le poignard ; qu'il conclut secrètement un armistice avec Ismaël, pacha de Jérusalem, et se trouva ainsi tranquille sur Son flanc droit. On ne trouve aucune trace de ce traité. C'est après la prise de Jaffa, dépendant du pachalic de Jérusalem, qu'il envoya dans cette ville, comme dans plusieurs autres, des paroles de paix. Il est certain qu'Ismaël-Pacha ne témoigna aucune vue hostile à l'armée pendant toute la campagne.

L'avant-garde s'approchait de Jaffa. Cette ville était occupée par une forte garnison, composée de Maugrabins, d'Arnautes, d'Alepins, de Kurdes, de Damasquins, de Nègres, d'habitants de la Natolie et de la Caramanie. Il paraît qu'avant d'y arriver, Kléber conçut l'espoir de l'amener à se rendre. Il était accompagné du corps des Maugrabins enrôlés à El-Arych. Il fit écrire par leur capitaine au gouverneur de Jaffa, Abou-Saab, et instruisit de cette démarche le général en chef qui lui répondit de Ramleh pour lui donner son assentiment, en l'engageant d'y joindre une sommation en règle et de faire sentir à l'ennemi que la place ne pouvait tenir. Si vous pensez qu'un mouvement de votre division sur Jaffa en accélère la reddition, ajoutait-il[16], je vous autorise à le faire. Si vous entrez dans la ville, prenez toutes les mesures pour empêcher le pillage. Vous placerez la cavalerie en avant sur le chemin d'Acre.

Cette tentative n'eut point de succès. Kléber arriva le 13 en avant de Jaffa. A son approche, l'ennemi se retira dans l'intérieur de la place et canonna les éclaireurs. Les autres divisions et la cavalerie arrivèrent quelques heures après.

Jaffa, autrefois Joppé, c'est-à-dire jolie, située à 16 lieues de Gaza, avait un mauvais port et une rade foraine, et ne contenait pas plus de 8.000 habitants ; le pays environnant était riche et bien cultivé.

La cavalerie et la division Kléber eurent ordre de couvrir le siège contre les rassemblements des Naplousains, en prenant position sur le torrent Lahoya, à deux lieues de Jaffa, sur la route d'Acre. Les divisions Bon et Lannes investirent la place. Le 14, le général en chef en fit la reconnaissance. Elle était ceinte de grandes murailles, sans fossés ni contrescarpes. Aux angles, s'élevaient de grosses tours armées d'artillerie. Quoique ces pièces fussent servies par les meilleurs canonniers de l'empire ottoman, leur aménagement était mal entendu ; elles étaient maladroitement placées. Bonaparte décida que le front de l'attaque aurait lieu du côté du sud, contre la partie la plus élevée et la plus forte. Plusieurs accidents de terrain permettaient d'approcher à une demi-portée de pistolet des remparts sans être aperçu. A une portée de canon de Jaffa, un rideau dominait la ville et la campagne. On y traça la ligne de contrevallation. C'était la position où devait naturellement camper l'armée ; mais comme elle était éloignée de l'eau et exposée par la nudité du rideau à l'ardeur du soleil, le général en chef préféra la placer dans des bosquets d'orangers, et fit garder la position militaire par des postes.

Dans la nuit du 14 au 15 ventôse, la tranchée fut ouverte. On établit une batterie de brèche et deux contre-batteries dirigées sur la tour carrée la plus dominante du front d'attaque. On plaça une autre batterie au nord, pour faire diversion. L'ennemi démasqua son artillerie de tous les points de l'enceinte, et fit un feu vif et soutenu.

Pendant les journées du 15 et du 16, on travailla à perfectionner les travaux de siège. L'ennemi fit deux sorties et se porta vers la batterie de brèche ; il fut repoussé avec perte derrière ses remparts. Duroc, aide-de-camp du général en chef, se distingua.

Le 17 ventôse, Bonaparte fit adresser par le chef de l'état-major une sommation à la garnison de Jaffa. Il lui représentait les malheurs qu'elle attirerait sur elle et sur la ville, si elle prolongeait sa défense, lui promettait sauvegarde et protection si elle voulait se rendre, et retarda le feu des batteries jusqu'à sept heures du matin. Pour toute réponse, le commandant Abou-Saab fit trancher la tête au porteur de la sommation, et l'armée l'aperçut bientôt plantée sur un pieu au haut des remparts. Il ne resta plus dès lors à Bonaparte qu'un seul parti pour se rendre maître de la place : l'heure de sa chute était venue ; elle devait être terrible.

Le général en chef fit recommencer le feu de toutes ses batteries ; il dura six heures et ouvrit une brèche. A une heure, elle fut jugée praticable. La division Lannes eut ordre de monter à l'assaut. Les adjudants Netherwood et Rambault se présentèrent les premiers sur la brèche ; officiers et soldats, chacun s'y lança à l'envi. Mais à l'instant où ils allaient pénétrer dans l'enceinte, l'ennemi démasqua deux batteries de front, et réunit tous ses tirailleurs sur le front. Il s'établit, un combat meurtrier et opiniâtre sur les remparts écroulés. Tout ce que la place contenait de bras s'était porté sur ce point. Les femmes, les enfants mêlaient leurs hurlements au bruit des armes, et lançaient sur les assaillants des pierres et des matières embrasées. Le succès paraissait incertain ; mais tandis que la garnison combats tait sur ce point avec la plus grande valeur pour défendre ses murs, d'un autre côté Jaffa tombait au pouvoir des Français. En effet, la division Bon avait découvert, près de la mer, une brèche praticable et dégarnie de troupes ; elle avait pénétré dans la ville presque sans obstacle et s'était emparée du port. Cette nouvelle porta la terreur chez les Turcs. En même temps, la division Lannes se précipita dans la ville. Les habitants et la garnison barricadèrent les rues et se retranchèrent dans les maisons. Le combat l'et commença plus opiniâtre et plus terrible. La division Lannes se joignit à celle de Bon. La garnison, assaillie et cernée de toutes parts, refusa obstinément de, se rendre. Le soldat se livra avec fureur au plus horrible carnage, et fit main-basse sur tout ce qui fut trouvé les armes à la main, malgré les généraux et les officiers qui voulaient mettre un terme à cette boucherie. Enfin, lorsque les soldats furent las de tuer et épuisés de fatigue, ils laissèrent la vie aux débris de la garnison qui furent conduits au quartier-général. A cinq heures du soir, l'année était, entièrement maîtresse de la ville ; mais les généraux n'étaient plus maîtres de l'armée. Après avoir détruit ses ennemis, elle s'appropriait leurs dépouilles. Pendant 24 heures, Jaffa fut livré au pillage et à tous les excès qui l'accompagnent.

L'armée perdit 50 hommes et eut 200 blessés. Le chef de brigade Le jeune fut tué sur la brèche ; il fut vivement regretté, et les soldats de son corps le pleurèrent comme leur père[17]. On trouva dans la ville 50 pièces de canon dont 30 de campagne, des munitions de guerre, plus de 400.000 rations de biscuit, 2.000 quintaux de riz et quelques magasins de savon. Il y avait dans le port environ 15 petits bâtiments de transport et un de 150 tonneaux.

De la garnison de Jaffa, composée de 4.000 hommes, il périt plus de la moitié dans l'assaut et le sac de la ville ; le reste, déduction faite des Égyptiens, Mamlouks, Alepins et Damasquins, fut passé par les armes, du 18 au 19[18].

Cette ville, écrivit Bonaparte au Directoire, a été livrée pendant 24 heures au pillage et à toutes les horreurs de la guerre qui jamais ne m'a paru si hideuse. J'ai renvoyé à Damas et à Alep, plus de 500 individus de ces deux villes, ainsi que 4 à 500 personnes en Égypte. J'ai pardonné aux Mamlouks et aux kachefs que j'ai pris à El-Arych ; j'ai pardonné à Omar-Makram, cheyk du Kaire. Abdallah-Aga[19], général de Djezzar, a eu l'adresse de se cacher parmi les gens d'Égypte et de venir se jeter à mes pieds. J'ai été clément envers les Égyptiens autant que je l'ai été envers peuple de Jaffa ; mais sévère envers la garnison qui s'est laissée prendre les armes à la main[20].

On a fait un crime à Bonaparte d'avoir ordonné de passer par les armes cette partie de la garnison qu'avait épargnée la fureur du soldat. Ce fut un Anglais, son ennemi personnel, ennemi acharné de la France qui le premier l'en accusa, et, pour aggraver encore cette action, accompagna son récit de détails controuvés et d'exagérations dictées par la haine[21]. L'accusation fut répétée sur le continent par les nombreux échos de l'Angleterre. La clameur devint si générale, qu'en France même les amis de Bonaparte passèrent condamnation et gardèrent le silence. Tant qu'il fut puissant et que l'Europe fut à ses pieds, il dédaigna lui-même toute explication ; écoutons celle qu'il a donnée quand il fut tombé dans l'adversité :

Dans la garnison de Jaffa, on découvrit un grand nombre de soldats turcs que j'avais faits prisonniers, peu de temps auparavant, à El-Arych, et envoyés à Bagdad, après qu'ils m'eurent donné leur parole de ne plus servir, ou du moins de ne plus porter les armes pendant l'espace d'un an. Je les avais fait escorter pendant 12 lieues sur la route de Bagdad ; mais ces Turcs, au lieu de s'y rendre, se jetèrent dans Jaffa, défendirent la place a outrance, et furent cause que je perdis un grand nombre de braves avant de m'en emparer. Sans le renfort que ces misérables donnèrent a la garnison de Jaffa, mes soldats n'auraient pas été sacrifiés. D'ailleurs, avant d'attaquer cette ville, j'avais envoyé un parlementaire. Presque aussitôt, nous vîmes sa tête au bout d'un pieu planté sur la muraille. Si je leur avais pardonné, et que je les eusse encore laissé aller sur parole, ils se seraient rendus directement à Saint-Jean-d'Acre, pour y recommencer leur conduite de Jaffa.

Je devais à la sûreté de mes soldats et à ma qualité de père, de veiller à l'intérêt de mes enfants, et de ne pas permettre que ces prisonniers renouvelassent de pareils excès. Il était impossible que je consentisse à laisser une partie de mon armée, déjà réduite par la perfidie de ces misérables, pour les garder. Enfin, agir autrement que je n'ai fait, c'eût été vouloir la destruction de mon armée. En conséquence, usant des droits de la guerre, d'après lesquels j'étais le maître de faire mourir des prisonniers faits dans une semblable circonstance, de ceux qu'a le vainqueur sur une ville prise d'assaut, et des, représailles contre les Turcs, j'ordonnai que les prisonniers fussent fusillés. J'en agirais encore de même demain, et tous les généraux qui auraient commandé une armée, en de semblables circonstances, en auraient fait autant[22].

 

A ces motifs, des écrivains qui n'ont pas flatté Bonaparte, en ont ajouté d'autres.

L'armée déjà affaiblie par les pertes des sièges d'El-Arych et de Jaffa, l'était encore par des maladies dont les ravages devenaient de jour en jour plus effrayants. Elle avait de grandes difficultés pour vivre, et le soldat recevait rarement sa ration complète. Ces difficultés de subsistance devaient s'augmenter à cause des mauvaises dispositions des habitants. Nourrir les prisonniers de Jaffa, en les gardant, était, non-seulement accroître les besoins de l'armée, mais de plus la gêner dans ses mouvements. Les renfermer dans Jaffa, c'était, sans détruire le premier inconvénient, faire naître celui de la possibilité d'une révolte, vu le peu de monde qu'on pouvait laisser pour garder la place. Les envoyer en Égypte, c'était s'obliger à faire un détachement considérable, qui aurait réduit de beaucoup les troupes de l'expédition ; leur laisser la liberté sur parole, c'était, malgré tous les engagements qu'ils pouvaient prendre, les envoyer grossir les ennemis - et particulièrement la garnison de Saint-Jean-d'Acre ; car Djezzar n'était point homme à respecter les promesses faites par ses soldats, peu religieux eux-mêmes sur un point d'honneur dont ils ignoraient la force. Il ne restait donc qu'un parti qui conciliât tout ; il était affreux, et cependant on se crut, à ce qu'il paraît, obligé de le prendre[23]. La garnison passée au fil de l'épée, présenta l'une de ces scènes d'horreur que justifient les lois nécessaires et terribles de la guerre[24].

Nulle considération, même l'impérieuse loi de la nécessité, ne pouvaient justifier, selon les uns, la violation d'une capitulation, ni, suivant d'autres, le contrat tacite, équivalent, qui se forme entre les vaincus et leur vainqueur, lorsqu'ils déposent les armes, et qu'il les fait prisonniers.

Comment, dans une ville prise d'assaut, au milieu du carnage, des assiégés, poussés dans leurs derniers retranchements, renoncent à se défendre, demandent grâce, mettent bas les armes, et sont épargnés par le soldat ! Et l'on appelle cela une capitulation !

La suspension des coups du soldat, envers un ennemi qui demande grâce, équivaut-elle à un contrat ? Est-elle valable sans la sanction du général ? Oui, répondront les moralistes et les philanthropes ; non, diront le politique et le guerrier. La vie de l'ennemi qui se rend à discrétion, appartient au vainqueur, comme celle des habitants désarmés, innocents, d'une ville emportée d'assaut et livrée au pillage. C'est le droit de la guerre.

Chez les peuples civilisés, les mœurs et l'usage tempèrent ordinairement l'atrocité de ces lois. Encore les a-t-on vus, dans les guerres civiles ou nationales, égorger le vaincu qui se rend, et jusqu'aux prisonniers. Le sol de l'Espagne a été plus d'une fois ensanglanté par ces odieuses représailles ; mais ces cruelles exceptions sont le droit commun des peuples barbares. Envers qui Bonaparte se serait-il montré humain et généreux ? Envers un ennemi sans foi, qui égorgeait ses prisonniers[25], qui ne répondait aux sommations ou aux ouvertures de paix, qu'en coupant la tête aux messagers et aux parlementaires ; qui assouvissait sa rage brutale jusque sur des cadavres, et se faisait des trophées de leurs tètes. Si, renvoyant sur parole les prisonniers de Jaffa, certain que le lendemain il les retrouverait armés contre lui, Bonaparte eût éprouvé une défaite, c'est alors qu'on l'aurait accusé, avec raison, d'avoir compromis le salut de son armée par une sotte générosité et une folle imprévoyance.

Quelque insensibilité que l'on suppose à un général, depuis longtemps accoutumé au spectacle des champs de bataille, il est absurde d'admettre que celui qui, des murs sanglants de Jaffa, écrivait au Directoire, que jamais la guerre ne lui avait paru aussi hideuse, et qu'il avait fait fusiller des prisonniers, eût cru avoir commis une action odieuse, et eût voulu, profitant du droit rigoureux de la guerre, flétrir, par un massacre inutile, une si belle gloire y une si grande renommée.

Certes, s'il usa de son droit, en se portant à cette dure extrémité, il faut bien croire qu'un général qui savait tout prévoir et tout calculer, eut y pour s'y déterminer, des raisons majeures, que, malgré l'éloignement des temps et des lieux, aucun homme impartial ne peut méconnaître.

Cependant la peste régnait dans l'armée. Depuis qu'elle avait quitté les confins de l'Égypte, elle avait toujours marché au milieu de ce fléau, le traînant avec elle. A Qatieh, on avait reconnu des pestiférés dans la division Kléber, venant de Damiette. On en avait trouvé à El-Arych[26]. Pendant le siège de Jaffa, plusieurs malades avaient péri rapidement d'une fièvre pestilentielle, accompagnée de tumeurs bleuâtres aux aines et de pétéchies gangreneuses. Le sac de la ville où la peste régnait, les rapports des soldats avec les femmes du pays, et surtout l'imprudence qu'ils commirent en s'emparant d'un grand nombre de pelisses et d'habillements turcs qui en étaient infectés, étendirent les progrès de la maladie dans l'armée. Le général en chef ordonna à tous les  soldats d'apporter leur butin sur la place ; on y brûla tout ce qui était vêtement. On établit, dans un vaste couvent, un hôpital pour les fiévreux, séparé de celui des blessés. On prit toutes les précautions possibles pour éviter les trop grandes communications, et préserver le soldat de la maladie. Toute la troupe campa sous la ville. Mais la crainte de la peste répandait la terreur dans l'armée. Il était prouvé que ce fléau devenait plus dangereux quand l'imagination était frappée. Des hommes habitués à braver à chaque instant la mort dans les combats, succombaient à la seule pensée qu'elle pouvait les frapper dans leur lit. Il fallait donc guérir le moral du soldat ; c'était aussi l'opinion du médecin en chef Desgenettes, et en général des gens de l'art : elle était fondée sur l'expérience. Voyant la fâcheuse influence que le prestige des dénominations exerçait sur les esprits, il crut devoir traiter l'armée comme un malade qu'il est presque toujours inutile et souvent dangereux d'éclairer sur la nature de sa maladie ; il se concerta avec le général en chef, pour que le mot peste ne fut plus prononcé, et on l'appela maladie, épidémie, ou fièvre accompagnée de bubons.

Le 21 ventôse, on répandit dans le camp que plusieurs militaires étaient tombés morts en se promenant sur le quai. C'étaient les cadavres d'hommes morts à l'hôpital dans ta nuit, et que les infirmiers turcs avaient négligemment déposés à la porte. Le bruit en parvint sous la tente du général en chef. Il alla, suivi de son état-major, faire la visite des deux hôpitaux, et commença par celui des blessés auxquels il fit distribuer un sac de piastres. Il se transporta ensuite dans celui des fiévreux, parla à presque tous les militaires, et s'occupa, pendant plus d'une heure et demie, de tous les détails d'une prompte organisation. Se trouvant dans une chambre étroite et très-encombrée, il aida à soulever le cadavre hideux d'un soldat, dont les habits en lambeaux étaient souillés par l'ouverture d'un bubon abscédé[27]. On dit même qu'il toucha un pestiféré, en lui disant : Vous voyez bien que cela n'est rien[28]. Desgenettes essaya, sans affectation, de reconduire Bonaparte hors de l'hôpital, et lui fit entendre qu'un plus long séjour pouvait lui être funeste. C'est mon devoir, répondit-il, je suis général en chef. Néanmoins, le médecin fut blâmé, et on murmura contre lui, dans l'armée, parce qu'il ne s'était pas opposé formellement à la longue visite du général. Ceux-là le connaissent bien peu, répondit Desgenettes[29], qui croient qu'il est des moyens faciles pour changer ses résolutions, ou de l'intimider par la crainte de quelques dangers.

Maître de Jaffa, Bonaparte essaya de soumettre les habitants de la Palestine. Il leur fit porter des paroles pacifiques et des menaces proférées, comme l'exigeaient les lieux et les hommes, dans le style d'un inspiré et du ton d'un prophète. Il envoya une proclamation aux cheyks, ulémas et habitants de Gaza, Ramleh et Jaffa, pour leur annoncer qu'il était entré en Palestine, afin de combattre le seul Djezzar. De quel droit en effet, leur disait-il, Djezzar a-t-il étendu ses vexations sur vos provinces qui ne font pas partie de son pachalic ? De quel droit avait-il également envoyé ses troupes à El-Arych ? Il m'a provoqué à la guerre ; je la lui ai apportée ; mais ce n'est pas à vous, habitants, que mon intention est d'en faire sentir les horreurs.

Restez tranquilles dans vos foyers ; que ceux qui, par peur, les ont quittés, y rentrent. J'accorde sûreté et sauvegarde à tous. J'accorderai à chacun la propriété qu'il possédait.

Mon intention est que les qadys continuent, comme à l'ordinaire, leurs fonctions, qu'ils rendent la justice ; que la religion surtout soit protégée et respectée, et que les mosquées soient fréquentées par tous les bons musulmans. C'est de Dieu que viennent tous les biens ; c'est lui qui donne la victoire.

Il est bon que vous sachiez que tous les efforts humains sont inutiles contre moi ; car tout ce que j'entreprends doit réussir. Ceux qui se déclarent mes amis, prospèrent ; ceux qui se déclarent mes ennemis, périssent. L'exemple de ce qui vient d'arriver à Gaza et à Jaffa, doit vous apprendre que si je suis terrible pour mes ennemis, je suis bon pour mes amis, clément et miséricordieux envers le pauvre peuple.

Il écrivit aux cheyks, aux ulémas et au commandant de Jérusalem, pour leur faire connaître qu'il était l'ami des musulmans ; que les habitants de Jérusalem pouvaient choisir entre la paix ou la guerre ; que s'ils choisissaient la paix, ils devaient envoyer des députés à Jaffa, pour promettre de ne rien faire d'hostile contre les Français ; que s'ils étaient assez insensés pour préférer la guerre, il la leur porterait lui-même[30].

Bonaparte fit une nouvelle tentative de paix auprès de Djezzar-Pacha. Il lui rappelait les démarches pacifiques qu'il avait faites auprès de lui, depuis son entrée en Égypte, et qui étaient restées sans réponses 5 lui reprochait de n'avoir point éloigné le bey Ibrahim de ses frontières, d'avoir ; au contraire, réuni dans Gaza, des magasins et des soldats pour passer le désert, et violé le territoire égyptien, en portant son avant-garde à El-Arych. Il lui déclarait, qu'ainsi provoqué à la guerre, il avait cru devoir partir du Kaire/pour la lui apporter lui-même ; qu'au surplus, il avait été généreux envers les soldats syriens qui s'étaient mis à sa discrétion ; mais sévère envers ceux qui avaient violé les droits de la guerre. Je marcherai dans peu de jours sur Acre, ajoutait-il, mais quelle raison ai-je d'ôter quelques années de vie à un vieillard que je ne connais pas ? Que sont quelques lieues de plus à côté des pays que j'ai conquis ? Puisque Dieu me donne la victoire, je veux, à son exemple, être clément et miséricordieux, non-seulement envers le peuple, mais encore envers les grands. Vous n'avez point de raisons réelles d'être mon ennemi, puisque vous l'étiez des Mamlouks. Votre pachalic est séparé de l'Égypte par les provinces de Gaza, Ramleh, et par d'immenses déserts. Devenez mon ami, soyez l'ennemi des Mamlouks et des Anglais ; je vous ferai autant de bien que je vous ai fait et que je peux vous faire de mal. Il terminait en le prévenant qu'il marcherait sur Acre, le 24 ventôse, et que, s'il voulait faire la paix, il devait envoyer 5 avant ce jour, un plénipotentiaire à l'armée[31]. Djezzar, selon son habitude, fit jeter le messager à la mer.

Le général Reynier arriva à Ramleh, le 19 ventôse, avec sa division. Il y installa un divan. Il reçut l'ordre de se rendre à Jaffa, et de fournir des escortes aux convois.

Les provinces de Gaza, Ramleh et Jaffa, dont la majorité des habitants étaient chrétiens, avaient montré des dispositions favorables à l'armée ; mais les Naplousains annonçaient les dispositions les plus hostiles. La ville de Naplous, située derrière l'Anti-Liban, entre Jaffa, Saint-Jean-d'Acre, Damas et Jérusalem, couverte par une grande forêt de chênes, était un point favorable aux ennemis pour y réunir des forces. Déjà même le bruit courait qu'il s'y formait des rassemblements. Le général en chef, pour les prévenir, envoya à Naplous des paroles de paix et des menaces, dans les mêmes termes que celles qu'il avait adressées aux cheyks de Jérusalem.

Kléber écrivait de Miski à Bonaparte, pour l'instruire de sa situation et du dessein où il était de marcher contre les Naplousains, lorsqu'il reçut une lettre du général en chef, qui lui annonçait la prise de Jaffa et le sort de la garnison, le chargeait de faire parvenir sa proclamation aux cheyks de Naplous, et lui recommandait de bien accueillir les envoyés de Djezzar, s'il s'en présentait à ses avant-postes[32].

Vous avez fait, lui répondit Kléber, une forte brèche aux remparts d'Acre, par la manière brillante dont vous venez d'emporter la place de Jaffa ; recevez-en mes félicitations sincères[33].

Bonaparte instruisit ses lieutenants en Égypte, de la prise de Jaffa et de la conquête de la Palestine. Il écrivit à Marmont et à Poussielgue d'envoyer à Jaffa des bâtiments chargés de blé et de riz qui seraient frétés, en échange avec du savon et de l'huile dont manquait l'Égypte ; d'activer, autant que possible, le commerce de Damiette et de Rosette avec la Syrie, et d'assurer les négociants, que loin d'essuyer des avanies, ils seraient protégés. Il leur envoya la proclamation en arabe qu'il avait adressée aux habitants de la Palestine, pour la faire imprimer à Alexandrie ou au Kaire, et la répandre dans le Levant et la Barbarie[34].

Bonaparte, craignant que l'équipage de siège que devait lui apporter la flottille du capitaine Stanglet ne fût pris par les Anglais, dans la traversée, jugea convenable d'en demander un autre. Il écrivit au contre-amiral Gantheaume d'ordonner au contre-amiral Perrée de former une escadre avec les trois frégates la Junon, l'Alceste et la Courageuse, et deux bons briks, tels que le Salamine et l'Alerte ; d'embarquer sur chacune de ses frégates une pièce de 24, un mortier, approvisionnés de 300 coups, et une forge a rougir les boulets ; de sortir d'Alexandrie, s'il pouvait le faire sans être vu des Anglais, d'e se rendre à Jaffa pour y prendre de nouveaux ordres[35]. En même temps, le général en chef, instruit que l'on n'avait encore rien fait pour réparer le fort d'El-Arich, écrivit à Caffarelli de donner promptement des ordres pour le mettre en état. Vous sentez, lui mandait-il[36], qu'il peut arriver des évènements tels qu'El-Arich devienne notre tête de ligne, laquelle, pouvant tenir quinze jours ou un mois, donnerait des résultats incalculables.

Le général en chef pourvut à l'organisation civile et militaire du pays ; il nomma Menou commandant de la Palestine, et écrivit à Dugua d'envoyer à ce général, à Rosette, l'ordre de se rendre à Jaffa[37].

Cette place était naturellement le port et l'entrepôt de tout ce qu'on devait recevoir de Damiette et d'Alexandrie, et pouvait être exposée à des descentes, soit de la part des Turcs de Rhodes, soit de la part des Anglais. En attendant l'arrivée de Menou, le général en chef donna, à l'adjudant-général Grézieux, le commandement des provinces de Jaffa et Ramleh ; lui recommanda de s'occuper, avant tout, de faire réparer les brèches, de placer du canon sur les tours ; de veiller sur les hôpitaux, dont le service devait être fait par des chrétiens, des Grecs et des Arméniens ; de former un divan de sept individus chrétiens et mahométans ; de seconder toutes les opérations de Gloutier, tendant à établir les finances et à procurer de l'argent à la caisse ; d'envoyer des proclamations dans les villages ; d'encourager de tout son possible le commerce de la Syrie avec l'Égypte ; de veiller à ce que les magasins de l'armée ne fussent point gaspillés, et de faire parvenir, par toutes les occasions qui partiraient pour l'Égypte, des nouvelles de l'armée à l'adjudant-général Almeyras, à Damiette, et au général Dugua, au Kaire[38].

Le 24 ventôse, les divisions Bon et Lannes et le quartier-général sortirent de Jaffa, et se mirent en mouvement sur la route d'Acre. Ce même jour, Kléber, avant de quitter la position qu'il occupait à Miski, fit pousser, ainsi qu'il l'avait annoncé au général en chef, une forte reconnaissance a sa droite, vers les montagnes de Naplous ; mais a peine les troupes furent-elles engagées dans les défilés, qu'elles furent assaillies par les Naplousains embusqués derrière leurs rochers. Le général Damas, qui commandait l'expédition, fut blessé, et ramenait son détachement au camp de Miski, au moment où le général en chef y arrivait avec les divisions Bon et Lannes.

Le 25, l'armée, renforcée de la division Kléber, se mit en marche sur Zeta. A dix heures, elle aperçut, au-delà du village de Qaqoun, l'armée ennemie appuyée à des hauteurs sur le flanc des Français. La droite, forte de 10.000 hommes, était composée de Naplousains ; Abdallah, a la tête de 2.000 chevaux, tenait la droite. L'intention de ce pacha était de refuser la bataille et de céder le terrain aux Français, afin de retarder leur marche sur Acre et de les attirer dans les montagnes de Naplous.

Le général Kléber forma sa division en carré et se porta sur la cavalerie d'Abdallah qui chercha, en rétrogradant, à éviter le combat. Le général Murat déploya sa cavalerie au centre, et Lannes eut ordre de tourner la droite, de lui couper la route de Naplous, afin de contraindre l'ennemi à se retirer sous Acre ou sous Damas. Le général en chef recommanda à Lannes de ne point trop s engager dans les montagnes ; mais, emportée par son ardeur, sa division y suivit imprudemment l'ennemi dans sa retraite, et fit deux lieues sur un sol inégal, à travers des rochers d'un difficile accès. Alors les Turcs reprirent l'offensive, attaquèrent audacieusement les Français, les forcèrent de rétrograder, et les poursuivirent vivement jusqu'au débouché des montagnes. Pendant ce temps là, Kléber, qui serrait de près la cavalerie, l'avait rejetée sur la route d'Acre. Elle fit deux journées de marche en quatre heures de temps, et arriva le même jour dans cette ville, où elle répandit la consternation et l'effroi. Le pacha de Damas, après s'être abouché avec Djezzar, regagna précipitamment sa résidence. Ce combat coûta aux Turcs environ 400 hommes ; les Français en perdirent une quinzaine et eurent 30 blessés.

Le 25 au soir, l'armée alla camper à la tour de Zeta, à une lieue de Qaqoun. Le 26, elle s'établit à Nabatha, au débouché des gorges du Mont-Carmel, sur la plaine d'Acre.

Le Mont-Carmel est un promontoire escarpé qui couvre la partie méridionale du golfe qui porte son nom, à trois lieues de Saint-Jean-d'Acre. Ce mont domine toute la côte, et les marins vont le reconnaître quand ils abordent en Syrie. A son pied, est située la ville de Caïffa, peuplée d'environ 3.000 âmes. Elle a un petit port, une enceinte à l'antique avec des tours, un château qui défend le port et la rade, dominé de très-près par des mamelons du Carmel.

Le général Kléber se porta sur Caïffa et y entra sans résistance. L'ennemi venait de l'évacuer, emportant l'artillerie et les munitions. On trouva dans la ville des magasins de coton, 20.000 rations de biscuit, autant de riz et 3.000 quintaux de blé destiné à approvisionner l'escadre anglaise qui bloquait Alexandrie.

Le général en chef laissa la garde de Caïffa au corps de dromadaires, fort de 88 hommes, sous les ordres du chef d'escadron Lambert. Il fit ensuite défiler l'armée sur Saint-Jean-d'Acre. Elle se mit en marche dans la journée du 27. L'avant-garde aperçut en mer une division anglaise qui avait mouillé la veille dans la rade de Caïffa. Elle était commandée par le commodore Sidney-Smith, et faisait partie de l'escadre qui avait tenté le bombardement d'Alexandrie. Informé par Djezzar de l'entrée de l'armée française en Syrie, ce commodore s'était empressé d'aller à son secours, et était arrivé à Caïffa deux jours avant les Français. Ses deux plus gros vaisseaux étaient le Tigre et le Theseus. Les chaloupes du Tigre firent feu sur les Français et les contraignirent de s'éloigner de la côte. Le temps était brumeux et les chemins très-mauvais. L'armée arriva le soir à l'embouchure de la Kerdanneh, petite rivière qui coule à 1.500 toises d'Aore, et y passa la nuit. Le général en chef écrivit par un cheyk arabe au général Reynier, qu'il croyait être arrivé à Césarée, de faire filer sur Caïffa le riz et le biscuit qui devaient lui être arrivés ; de laisser un bataillon à Césarée, et de rejoindre l'armée avec le reste de sa division[39]. Par la même occasion, Bonaparte instruisait le commandant de Jaffa, Grézieux, de la prise de Caïffa et du combat de Qaqoun ; il lui demandait des approvisionnements, et lui prescrivait diverses mesures pour la sûreté de la flottille, dès qu'elle serait arrivée à Jaffa[40].

Aussitôt que le général en chef fut instruit de la présence de la croisière anglaise devant Saint-Jean-d'Acre, il conçut de justes inquiétudes sur le sort des convois qu'il avait ordonné d'expédier d'Alexandrie et de Damiette. Il écrivit à Gantheaume de donner contre-ordre au capitaine Stanglet, et, s'il était déjà parti, de le faire rentrer à Damiette ou à Burlos ; d'ordonner au contre-amiral Perrée de ne point effectuer sa sortie, et, dans le cas où il l'aurait opérée, de lui donner l'ordre, à Jaffa, de faire une tournée du côté de Candie, afin de recueillir des nouvelles d'Europe, et de revenir 15 ou 20 jours après son départ de Jaffa, prendre d'autres instructions à Damiette[41].

Mais ces précautions étaient en partie superflues ; il était trop tard, du moins en ce qui concernait la flottille de Stanglet. Au moment où Bonaparte prenait les mesures nécessaires pour éviter qu'elle ne fut prise, elle tombait au pouvoir des Anglais. Elle doublait le Mont-Carmel lorsque le Tigre l'aperçut ; il la poursuivit et l'eut bientôt atteinte. Sept des bâtiments qui la composaient amenèrent pavillon ; il ne s'en échappa que trois.

Cependant, un pont avait été établi dans la nuit du 27 au 28 sur la Kerdanneh, le Bélus des anciens, dont les eaux coulaient à peine dans un fond marécageux. L'armée passa cette petite rivière le 28, dès la pointe du jour, et prit position sur une hauteur à 1.000 toises d'Acre, d'où Bonaparte fit l'examen de la place. L'ennemi occupait des jardins en dehors de la ville ; le général en chef le fit attaquer ; on le rejeta derrière ses murs.

 

 

 



[1] Voyez la proclamation de Djezzar-Pacha ; Pièces justificatives, n° II.

[2] Répartition des effectifs

Division

Kléber

2.349

|

Cavalerie

800

Bon

2.449

|

Génie

340

Lannes

2.924

|

Artillerie

1.385

Reynier

2.160

|

Guides

400

|

Dromadaires

88

9.882

|

3.013

Total de l'armée 12.895 hommes.

[3] Lettre de Bonaparte à Dugua, du 21 pluviôse.

[4] Lettre du 21 pluviôse.

[5] Lettre du 21 pluviôse.

[6] Lettre de Bonaparte, du 9 pluviôse.

[7] Lettre du 12 pluviôse.

[8] Lettre de Bonaparte à Kléber, du 17 pluviôse.

[9] Lettre du 22 pluviôse (10 février).

[10] Lettre du 23 pluviôse, de Belbeïs.

[11] Lettre du 23 pluviôse, de Belbeïs.

[12] Lettre du 26 pluviôse.

[13] Lettre à l'adjudant-général Grézieux, du 27 pluviôse.

[14] Lettre à l'ordonnateur en chef, du 27 pluviôse.

[15] Lettre du 6 ventôse, de Kan-Iounes.

[16] Lettre du 12 ventôse.

[17] Lettre de Bonaparte au Directoire, du 23 ventôse.

[18] Lettres de Bonaparte à Dugua, à Kléber, à Marmont et au Directoire, des 19, 20 et 25 ventôse.

[19] C'était l'ancien commandant de Jaffa ; il avait été remplacé à ce poste par Abon-Saah, et dirigeait l'armée active du pacha d'Acre, de concert avec Abdallah, pacha de Damas.

[20] Lettre du 23 ventôse.

[21] Robert-Thomas Wilson, Histoire de l'expédition de l'armée britannique en Égypte, Londres, 1803.

[22] O'Meara, tome I, page 304.

[23] Miot, page 144.

[24] Desgenettes, page 45.

[25] C'était et c'est un fait de tout temps notoire et avéré. Miot lui-même dit au sujet de la mort du malheureux Mailly, qui périt dans le premier assaut de Saint-Jean-d'Acre : Jamais les Turcs auxquels nous faisions la guerre ne faisaient de prisonniers (page 164). En ménageant la garnison de Jaffa, il n'y avait donc pas même l'espoir d'être imité par les Turcs.

[26] Larrey, Relation chirurgicale de l'armée d'Orient.

Assalini, dans son ouvrage sur la peste, attribue aux exhalaisons des cadavres des Turcs fusillés à Jaffa, les premiers germes de la maladie qui affligea bientôt les Français. Il est évident qu'il y a ignorance ou mauvaise foi dans cette assertion.

[27] Desgenettes, Histoire médicale de l'armée d'Orient, p. 49.

[28] Ce trait inspira, dans la suite, à Gros, son beau tableau des Pestiférés de Jaffa, qui plaça son auteur au rang des premiers peintres d'histoire.

[29] Desgenettes, Histoire médicale de l'armée d'Orient, p. 50.

[30] Lettre du 19 ventôse.

[31] Lettre à Djezzar, du 19 ventôse.

[32] Lettre du 19 ventôse.

[33] On voit par cette lettre de Kléber, qui n'était pas au siège de Jaffa, le cas qu'il faut faire de l'assertion de Robert Wilson que ce général s'opposa de la manière la plus énergique à ce que les prisonniers fussent passés par les armes.

[34] Lettres du 20 ventôse.

[35] Lettre du 19 ventôse.

[36] Lettre du 20 ventôse.

[37] Lettre à Dugua, du 21 ventôse.

[38] Lettre à Grézieux, du 23 ventôse.

[39] Lettre du 28 ventôse.

[40] Lettre à Grézieux, du 28 ventôse.

[41] Lettre à Gantheaume, du 28 ventôse.