HISTOIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON BONAPARTE

GUERRE D'ÉGYPTE. - TOME PREMIER

 

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

 

N° I.

NOTE DU GÉNÉRAL BONAPARTE AU DIRECTOIRE, SUR UNE DESCENTE EN ANGLETERRE, 24 GERMINAL AN VI.

 

Dans notre position, nous devons faire à l'Angleterre une guerre sûre, et nous le pouvons.

Que nous soyons en paix ou en guerre, il nous faut 40 50 millions pour réorganiser notre marine.

Notre armée de terre n'en sera ni plus ni moins forte ; au lieu que la guerre oblige l'Angleterre à faire des préparatifs immenses qui ruinent ses finances, détruisent l'esprit de commerce, et changent absolument la constitution et les mœurs de ce peuple.

Nous devons employer tout l'été à armer notre escadre de Brest, à faire exercer nos matelots dans la rade, à achever les vaisseaux qui sont en construction à Rochefort, à Lorient et à Brest.

Si l'on met quelque activité dans ces travaux, nous pouvons espérer d'avoir, au mois de septembre, 35 vaisseaux à Brest, y compris quatre ou cinq nouveaux que l'on peut construire à Lorient et à Rochefort.

Nous aurons, vers la fin du mois, dans les différents ports de la Manche, près de 200 chaloupes canonnières. Il faut les placer à Cherbourg, au Havre, à Boulogne, à Dunkerque et à Ostende, et employer tout l'été à emmariner nos soldats.

En continuant à donner à la commission des côtes de la Manche, 300.000 francs par décade, nous pourrons faire construire 200 autres chaloupes d'une dimension plus forte et propres à transporter des chevaux.

Nous aurions donc, au mois de septembre, 400 chaloupes canonnières à Boulogne, et 35 vaisseaux de guerre à Brest.

Les Hollandais peuvent également avoir, dans cet intervalle, 22 vaisseaux de guerre au Texel. Nous avons, dans la Méditerranée, deux espèces de vaisseaux :

Douze vaisseaux de construction française qui peuvent, d'ici au mois de septembre, être augmentés de deux nouveaux ;

Neuf vaisseaux de construction vénitienne.

Il serait possible, après l'expédition d'Égypte, que le gouvernement projetât, dans la Méditerranée, de faire passer les 14 vaisseaux à Brest, et de garder, dans la Méditerranée, simplement les 9 vaisseaux vénitiens j ce qui nous ferait, dans le courant des mois d'octobre ou de novembre, 50 vaisseaux de guerre à Brest, et presqu'autant de frégates.

Il serait possible, alors, de transporter 40.000 hommes sur le point de l'Angleterre que l'on voudrait, en évitant même un combat naval, si l'ennemi était plus fort, dans le temps que 40.000 hommes menaceraient de partir sur les 400 chaloupes canonnières et autant de bateaux pêcheurs de Boulogne, et que l'escadre hollandaise et 10.000 hommes de transport menaceraient de se porter en Ecosse.

L'invasion en Angleterre, exécutée de cette manière, et dans les mois de novembre et de décembre, serait presque certaine.

L'Angleterre s'épuiserait par un effort immense qui ne la garantirait pas de notre invasion.

En effet, l'expédition en Orient obligera l'ennemi à envoyer six vaisseaux de guerre de plus dans l'Inde, et peut-être le double de frégates à l'embouchure de la Mer-Rouge. Elle serait obligée d'avoir de 22 à 25 vaisseaux à l'embouchure de la Méditerranée, 60 vaisseaux devant Brest, et 12 devant le Texel, ce qui ferait un total de 300 vaisseaux de guerre[1], sans compter ceux qu'elle a aujourd'hui en Amérique et aux Indes, sans compter 10 ou 12 vaisseaux de 50 canons avec une vingtaine de frégates qu'elle serait obligée d'avoir pour s'opposer à l'invasion de Boulogne.

Nous nous conserverions toujours maîtres de la Méditerranée, puisque nous y aurions 9 vaisseaux de construction vénitienne.

Il y aurait encore un moyen d'augmenter nos forces dans cette mer ; ce serait de faire céder, par l'Espagne, trois vaisseaux de guerre et trois frégates à la république ligurienne ; cette république ne peut plus être aujourd'hui qu'un département de la France. Elle a plus de 20.000 excellents marins.

Il est d'une très-bonne politique, de la part de la France, de favoriser et d'exiger même que la république ligurienne ait quelques vaisseaux de guerre.

Si l'on prévoit des difficultés à ce que l'Espagne cède à nous ou à la république ligurienne, trois vaisseaux de guerre, je croirais utile que, nous-mêmes, nous rendissions à la république ligurienne trois des neuf vaisseaux que nous avons pris aux Vénitiens, et que nous exigeassions qu'ils en construisissent trois autres. C'est une bonne escadre, montée par de bons marins, que nous nous trouverons avoir gagnée. Avec l'argent que nous aurons des Liguriens, nous ferons faire, à Toulon, trois bons vaisseaux de notre construction ; car les vaisseaux de construction vénitienne exigent autant de matelots qu'un bon vaisseau de 74 ; et les matelots, voilà notre partie faible.

Dans les événements qui peuvent arriver, il nous est extrêmement avantageux que les trois républiques d'Italie qui doivent balancer les forces du roi de Naples et du grand-duc de Toscane, aient une marine plus forte que celle du roi de Naples.

 

N° II.

ARRÊTÉ DE BONAPARTE, 29 FLORÉAL AN VI.

 

Vu que les lois existantes sur la manière de procéder aux jugements des délits militaires n'ont pas prévu le cas où se trouve l'armée par sa composition actuelle ; qu'il est juste et urgent que les troupes de terre et de mer, les soldats, matelots, et autres employés à la suite de l'armée, réunis sur les vaisseaux, ne soient pas, pour le même délit, soumis à des lois différentes, soit pour la procédure, soit pour la forme des jugements, ordonne :

Art. Ier. La loi du 13 brumaire an V, qui règle la manière de procéder aux jugements militaires, sera ponctuellement et exclusivement suivie à bord des vaisseaux composant l'armée navale.

II. Chaque vaisseau ou frégate sera considéré comme une division militaire.

III. Il y aura en conséquence par chaque vaisseau ou frégate, un conseil de guerre composé de sept membres, pris dans les grades désignés par l'article 2 de la loi du 13 brumaire, ou dans les grades correspondants de l'armée de mer.

IV. Les membres du conseil de guerre, le rapporteur et l'officier chargé des fonctions de commissaire du pouvoir exécutif, seront nommés par le contre-amiral dans chaque vaisseau de l'armée navale j en cas d'empêchement légitime de quelqu'un de ces membres, il sera pourvu à son remplacement parle commandant du vaisseau.

V. A défaut d'officier dans quelqu'un des grades désignés par l'article 2 de la loi du 13 brumaire, ou des grades correspondants dans la marine, il y sera suppléé par des officiers du rang immédiatement inférieur.

VI. Les jugements prononcés par le conseil de guerre seront sujets à révision.

VII. Il sera établi à cet effet, à bord de chaque vaisseau ou frégate de l'armée navale, un conseil permanent de révision, dans la forme indiquée par la loi du 18 vendémiaire an VI.

VIII. Ce conseil sera composé de cinq membres du grade désigné en l'article 21 de ladite loi, ou du grade correspondant dans la marine ; et, à défaut d'officiers supérieurs, il y sera suppléé, ainsi qu'il est dit en l'article V, pour la formation du conseil de guerre.

IX. En cas d'annulation du jugement parle conseil de révision, celui-ci renverra le fond du procès, pour être jugé de nouveau par devant le conseil de guerre de tel autre vaisseau qu'il désignera. Ce conseil de guerre remplira dès lors les fonctions et aura toutes les attributions du deuxième conseil de guerre établi par la loi du 18 vendémiaire an VI.

X. Les fonctions du commissaire du pouvoir exécutif seront remplies par un commissaire d'escadre ou par un commissaire ordonnateur des guerres, et, à leur défaut, par un sous-commissaire de marine ou commissaire ordinaire des guerres.

XI. Le commandant de l'armée navale nommera les membres du conseil permanent de révision. En cas d'empêchement d'aucun de ses membres, il sera pourvu à son remplacement par le commandant du vaisseau à bord duquel le conseil devra se tenir.

XII. Les délits commis sur les bâtiments de transport et autres, faisant partie du convoi, seront jugés par le conseil de guerre du vaisseau ou frégate sous le commandement desquels ils se trouveront naviguer. En cas d'empêchement, les prévenus seront mis aux fers, si le cas l'exige, pour être jugés au premier mouillage, ou à la première occasion favorable.

XIII. Les peines portées par la loi du 21 brumaire an V, notamment celle de la désertion, sont applicables aux marins, et réciproquement celles portées par la loi du 22 août 1790, sont déclarées communes aux troupes de terre et à tous individus embarqués, dans les cas non prévus par la loi du 21 brumaire.

XIV. Seront justiciables desdits conseils de guerre et de révision, le cas échéant, tous les individus faisant partie de l'armée de terre et de mer, et autres embarqués sur les vaisseaux.

 

N° III.

LISTE DES MEMBRES DE LA COMMISSION DES SCIENCES ET ARTS ATTACHÉE A L'ARMÉE D'ORIENT.

 

Géométrie : Fourrier, Costaz, Corancez, Say.

Astronomie : Nouet, Quesnot, Mechain, fils.

Mécanique : Monge, Hassenfratz, jeune, Cirot, Cassard, Adnez, père, Conté, Dubois, Couvreur, Lenoir, fils, Adnez, fils, Cecile.

Horlogerie : Lemaître.

Chimie : Berthollet, Pottier, Champy, fils, Samuel-Bernard, Descotilsn Champy, père, Regnaud.

Minéralogie : Dolomieu, Cordier, Rozières, Victor-Dupuy.

Botanique : Nectoux, Delille, Coquebert.

Zoologie : Geoffroy, Savigny, Redouté.

Chirurgie : Dubois, Labate, Lacipière.

Pharmacie : Boudet, Rouyer.

Antiquités : Pourlier, Ripault.

Architecture : Norry, Balzac, Protain, Hyacinthe Lepère.

Dessinateurs : Dutertre, Denon, Rigo. Joly.

Ingénieurs des ponts-et-chaussées : Lepère, aîné, Girard, ingénieurs en chef, Bodard, Faye, Martin. Duval, Gratien-Lepère, Devilliers, Jollois, Favier, Thévenot, Chabrol, Saint-Génis, Lancret, Fèvre, Raffeneau, Arnollet.

Ingénieurs-géographes : Jacotin, ingénieur en chef, Lafeuillade, Greslis, Bourgeois, Leduc, Boucher, Pottier, Dulion, Faurie, Bertre, Lecesne, Lévêque, Chaumont, Laroche, Jomard, Corabœuf.

Sculpteur : Casteix.

Graveur : Fouquet.

Littérateurs : Parseval de Grandmaison, Lerouge.

Musiciens : Viloteau, Rigel.

Élèves de l'École polytechnique : Viard, Alibert, Caristie, Duchanoy.

Interprètes : Venture, Magallon, Jaubert, Raige, Belletête, Laporte.

Imprimeurs : Marcel, Pontis, Gallant.

 

N° IV.

ARRÊTÉS PRIS PAR LE GÉNÉRAL BONAPARTE À BORD DU VAISSEAU L'ORIENT.

 

3 Messidor (21 juin).

 

I. Tout individu de l'armée, qui aura pillé ou violé, sera fusillé.

II. Tout individu de l'armée, qui, de son chef, mettra des contributions sur les villes, villages, sur les individus, ou commettra des extorsions de quelque genre que ce soit, sera fusillé.

III. Lorsque des individus d'une division auront commis du désordre dans une contrée, la division entière en sera responsable -, si les coupables sont connus, le général de division les fera fusiller ; s'ils sont inconnus, le général de division préviendra à l'ordre que l'on ait à lui faire connaître les coupables ; et s'ils restent inconnus, il sera retenu, sur le prêt de la division, la somme nécessaire pour indemniser les habitans de la perte qu'ils auront soufferte.

IV. Lorsque les individus d'un corps auront commis du désordre dans une contrée, le corps entier en sera responsable. Si le chef a connaissance des coupables, il les dénoncera au général de division, qui les fera fusiller ; s'ils sont inconnus, le chef fera battre à l'ordre pour qu'on les lui fasse connaître, et s'ils continuent à être inconnus, il sera retenu sur le prêt du corps, la somme nécessaire pour indemniser les habitans de la perte qu'ils auront soufferte.

V. Aucun individu de l'armée n'est autorisé à faire des réquisitions, ni lever des contributions, que muni d'une instruction du commissaire-ordonnateur en chef, en conséquence d'un ordre du général en chef.

VI. Dans le cas d'urgence, comme il arrive souvent à la guerre, si le général en chef et le commissaire-ordonnateur en chef se trouvaient éloignés d'une division, le général de division enverra sur-le-champ copie au général en chef de l'autorisation qu'il aura donnée, et le commissaire des guerres enverra une copie au commissaire-ordonnateur en chef des objets qu'il aura requis.

VII. Il ne pourra être requis que des choses nécessaires aux soldats, aux hôpitaux, aux transports et à l'artillerie.

VIII. Une fois la réquisition frappée, les objets requis doivent être remis aux agents des différentes administrations qui doivent en donner des reçus, et en recevoir de ceux à qui ils les distribueront, afin d'avoir leur comptabilité en matière en règle. Ainsi, dans aucun cas, les officiers et soldats ne doivent recevoir directement des objets requis.

IX. Tout l'argent en matières d'or et d'argent provenant des réquisitions, des contributions et de tout autre événement, doit, sous douze heures, se trouver dans la caisse du payeur de la division, et dans le cas où celui-ci serait éloigné, il sera versé dans la caisse du quartier-maître du corps.

X. Dans les places où il y aura un commandant, aucune réquisition ne pourra être faite sans qu'auparavant le commissaire des guerres n'ait fait connaître au commandant de la place en vertu de quel ordre cette réquisition est frappée ; le commandant de la place devra sur-le-champ en instruire l'état-major-général.

XI. Ceux qui contreviendraient aux articles V, VI, VII, VIII, IX et X, seront destitués et condamnés à deux années de fers.

XII. Le général en chef ordonne au général chef de l'état-major, aux généraux, au commissaire-ordonnateur en chef, de tenir la main à l'exécution du présent ordre ; son intention n'étant pas que les fonds de l'armée deviennent le profit de quelques individus, ils doivent tourner à l'avantage de tous.

 

4 Messidor (22 juin).

I. Les généraux commandant les divisions détachées, feront mettre, par le commissaire des guerres, le payeur de la division, un officier de l'état-major et un scheik du pays, le scellé sur les caisses des revenus publics, sur les maisons et registres des fermiers des Mamlouks.

II. Les chevaux et chameaux pris à l'ennemi après un combat, ou après avoir tué ou fait prisonnier celui qui les montait, seront payés sur l'ordre du général de division, savoir :

96 livres le cheval et 114 livres le chameau.

 

10 Messidor (28 juin).

I. L'amiral aura la police du port et des côtes des pays occupés par l'armée. Tous les règlements qu'il fera et les ordres qu'il donnera auront leur exécution.

II. Les ports de Malte et d'Alexandrie seront organisés conformément aux règlements que fera l'amiral, ainsi que ceux de Corfou et Damiette.

III. Le citoyen Leroy remplira les fonctions d'ordonnateur à Alexandrie ; le citoyen Vavasseur celles de directeur de l'artillerie.

IV. Les agents des administrations des ports et rades des pays occupés par l'armée correspondront avec l'ordonnateur Leroy, de qui ils recevront directement des ordres.

V. Toutes les munitions navales qui seront trouvées dans les pays conquis par l'armée, seront mises dans les magasins des ports.

VI. Les classes pour les matelots seront établies à Malte, en Égypte, et dans les îles de la Mer-Ionienne.

Tous les matelots ayant moins de trente ans, seront requis pour l'escadre.

VII. La marine n'aura aucun hôpital particulier ; elle se servira des hôpitaux de l'armée de terre.

 

10 Messidor.

I. Il ne sera rien débarqué des bâtiments de transport et des convois que sur l'ordre de l'amiral, et en conséquence, des règlements qu'il fera.

II. Les bâtiments seront réduits à 18 francs par tonneau, pour ceux de cent tonneaux, et de 16 francs pour ceux au-dessus.

III. Les bâtiments hors de service et qui ne seront pas jugés capables de retourner en Europe seront évalués et déplacés pour le service de l'escadre.

IV. Il sera fait trois états des bâtiments du convoi,

1°. De ceux au-dessus de cent tonneaux ;

2° De ceux au-dessus de deux cents ;

3° De ceux au-dessus.

On spécifiera la nation à laquelle ils appartiennent.

V. Tous les matelots français qui sont à bord des bâtiments du convoi, seront pris pour la flotte.

Il sera pris des bâtiments égyptiens pour les convois.

VI. Tout bâtiment qui s'en retournera en Europe, ne pourra avoir que le nombre de matelots qui lui est nécessaire, de quelque nation qu'il soit. Le surplus sera mis à bord de l'escadre.

VII. Les bâtiments du convoi, les équipages sont sous les ordres de l'amiral. Il fera tous les règlements qu'il jugera nécessaires pour le bien de l'armée.

 

N° VI.

NOTE DE NAPOLÉON SUR ALEXANDRIE[2].

 

Alexandrie a été bâtie par Alexandre ; elle s'est accrue sous les Ptolémées, au point de donner de la jalousie à Rome. Elle était, sans contredit, la deuxième ville du monde. Sa population s'élevait à plusieurs millions d'habitans. Au VIIe siècle, elle fut prise par Amroug, dans la première année de l'hégire, après un siège de quatorze mois. Les Arabes y perdirent vingt-huit mille hommes. Son enceinte avait douze milles de tour. Elle contenait quatre mille palais, quatre mille bains, quatre cents théâtres, douze mille boutiques, plus de cinquante mille Juifs. L'enceinte fut rasée dans les guerres des Arabes et de l'empire romain. Cette ville, depuis, a toujours été en décadence. Les Arabes rétablirent une nouvelle enceinte, c'est celle qui existe encore ; elle n'a plus que trois mille toises de tour, ce qui suppose encore une grande ville. La cité est maintenant toute sur l'isthme. Le phare n'est plus une île ; sur l'isthme qui le joint au continent, est la ville actuelle. Elle est fermée par une muraille qui barre l'isthme et n'a que six cents toises. Elle a deux bons ports — neuf et vieux —. Le vieux peut contenir, à l'abri du vent et d'un ennemi supérieur, des escadres de guerre, quelque nombreuses qu'elles soient. Aujourd'hui le Nil n'arrive à Alexandrie qu'au moment des inondations. On conserve ses eaux dans de vastes citernes ; leur aspect nous frappa. La vieille enceinte arabe est couverte par le lac Maréotis, qui s'étend jusqu'auprès de la tour des Arabes, en sorte qu'Alexandrie n'est plus attaquable que du côté d'Abouqyr. Le lac Maréotis laisse aussi à découvert une partie de l'enceinte de la ville, au-delà de celle des Arabes. La colonne de Pompée, située en dehors et à trois cents toises de l'enceinte arabe, était jadis au centre de la ville.

Bonaparte passa plusieurs jours à arrêter les principes des fortifications de la ville. Tout ce qu'il prescrivit fut exécuté avec la plus grande intelligence par le colonel Crétin, un des officiers du génie les plus habiles de France. Le général ordonna de rétablir toute l'enceinte des Arabes. Le travail n'était pas considérable. On appuya cette enceinte en occupant le fort triangulaire qui en formait la droite et qui existait encore. Le centre et le côté d'Abouqyr furent soutenus chacun par un fort. Ils furent établis sur des monticules de décombres, qui avaient un commandement d'une vingtaine de toises sur toute la campagne et en arrière de l'enceinte des Arabes. Celle de la ville actuelle fut mise en état comme réduit j mais elle était dominée en avant par un gros monticule de décombres. Il fut occupé par un fort que l'on nomma Caffarelli. Ce fort et l'enceinte de la ville actuelle formaient un système complet, susceptible d'une longue défense, lorsque le reste aurait été pris. Il fallait de l'artillerie pour occuper promptement et solidement ces trois hauteurs.

En peu de mois et avec peu de travaux, l'ingénieur Cretin rendit ces trois hauteurs inexpugnables. Il établit des maçonneries présentant des escarpes de dix-huit à vingt pieds, qui mettaient les batteries entièrement à l'abri de toute escalade, et il ouvrit ces maçonneries par des profils qu'il sut ménager dans la hauteur, en sorte qu'elles n'étaient vues de nulle part. Il eût fallu des millions et des années pour donner la même force à ces trois forts avec un ingénieur moins habile. Du côté de la mer, on occupa la tour du Marabou, du Phare. On établit de fortes batteries de côte, qui firent un merveilleux effet toutes les fois que les Anglais se présentèrent pour bombarder la ville.

La colonne de Pompée frappe l'imagination comme tout ce qui est sublime. Les aiguilles de Cléopâtre sont encore dans le même emplacement. En fouillant dans le tombeau où a été enterré Alexandre, on a trouvé une petite statue de dix à douze pouces, en terre cuite, habillée à la grecque ; ses cheveux sont bouclés avec beaucoup d'art et se réunissent sur le chignon ; c'est un petit chef-d'œuvre. Il y a à Alexandrie de grandes et belles mosquées, des couvents de Cophtes, quelques maisons à l'européenne, appartenant au consulat.

D'Alexandrie à Abouqyr il y a quatre lieues. La terre est sablonneuse et couverte de palmiers. A l'extrémité du promontoire d'Abouqyr est un fort en pierre $ à six cents toises est une petite île. Une tour et une trentaine de bouches à feu dans cette île assureraient le mouillage pour quelques vaisseaux de guerre, à peu près comme à l'île d'Aix.

Pour aller à Rosette, on passe le lac Madieh à son embouchure dans la mer, qui a cent toises de largeur ; des bâtiments de guerre tirant huit ou dix pieds d'eau, peuvent y entrer. C'est dans ce lac que jadis une des sept branches du Nil avait son embouchure. Si l'on veut aller à Rosette sans passer le lac, alors il faut le tourner, ce qui augmente le chemin de trois à quatre lieues.

 

N° VI.

CANTIQUE CHANTÉ DANS LA GRANDE MOSQUÉE DU KAÏRE, LE 29e JOUR D'ÉPIPHI, L'AN 1218 DE L'HEGIRE, 5 THERMIDOR AN 6.

 

Le grand Allah n'est plus irrité contre nous ! Il a oublié nos fautes assez punies par la longue oppression des Mamlouks ! Chantons les miséricordes du grand Allah !

Quel est celui qui a sauvé des dangers de la mer et de la fureur de ses ennemis le favori de la victoire ? Quel est celui qui a conduit sains et saufs sur les rives du Nil les braves de l'Occident ?

C'est le grand Allah ! le grand Allah qui n'est plus irrité contre nous ! Chantons les miséricordes du grand Allah !

Les beys mamlouks avaient mis leur confiance dans leurs chevaux ; les beys mamlouks avaient rangé leur infanterie en bataille.

Mais le favori de la victoire, à la tête des braves de l'Occident, a détruit l'infanterie et les chevaux des Mamlouks.

De même que les vapeurs qui s'élèvent le matin du Nil sont dissipées par les rayons du soleil, de même l'armée des Mamlouks a été dissipée par les braves de l'Occident, parce que le grand Allah est actuellement irrité contre les Mamlouks ; parce que les braves de l'Occident sont la prunelle droite du grand Allah.

Ô fils des hommes, baissez le front devant la justice du grand Allah ! Chantez ses miséricordes, ô fils des hommes !

Les Mamlouks n'adorent que leur avarice ; ils dévorent la substance du peuple ; ils sont sourds aux plaintes des veuves et des orphelins ; ils oppriment le pauvre sans miséricorde.

C'est pourquoi le grand Allah a enfin détruit le règne des Mamlouks ; c'est pourquoi il a exaucé les prières des opprimés, et leur a fait miséricorde.

Mais les braves de l'Occident adorent le grand Allah ; ils respectent les lois de son prophète ; ils aiment le peuple et secourent les opprimés.

Voilà pourquoi le favori de la victoire est aussi le favori du grand Allah ; voilà pourquoi les braves de l'Occident sont protégés par le bouclier invincible du grand Allah !

Réjouissez-vous, fils des hommes, de ce que le grand Allah n'est plus irrité contre nous ! réjouissez-vous de ce que sa miséricorde a amené les braves de l'Occident pour nous délivrer du joug des Mamlouks.

Que le grand Allah bénisse Le favori de la victoire ! que le grand Allah tasse prospérer l'armée des braves de l'Occident !

Et nous, naguère race dégénérée, nous, replacés aujourd'hui au rang des peuples, libres par le bras des braves de l'Occident, chantons à jamais les miséricordes du grand Allah !

 

N° VII.

RAPPORT DU CAPITAINE BARRÉ À L'AMIRAL BRUEYS SUR LES SONDES DES PASSES DU PORT-VIEUX D'ALEXANDRIE, 25 MESSIDOR AN VI.

 

Les trois passes d'Alexandrie sont susceptibles, général, d'acquérir de la profondeur, en faisant briser quelques rochers qui se trouvent dans le milieu et sur les côtés, ce qui pourrait se faire aisément, ces rochers étant très-friables ; d'ailleurs, il n'existe dans la grande passe qu'un seul endroit où il serait nécessaire d'employer ce moyen, le rocher se trouvant dans le milieu de la passe, quoiqu'il y ait un passage de six brasses tribord et bâbord, et assez large pour passer des vaisseaux de ligne du premier rang.

La passe du Marabou est large de 300 toises et longue de 500, et très-difficultueuse à raison de l'inégalité de ses fonds, qui ne donnent que quatre brasses, quatre brasses et demie. Mais celle du milieu qui est la meilleure, et celle où il y a le plus d'eau, a 200 toises de large dans l'endroit le plus étroit, sur 660 de long, et donne, dans toute son étendue, six à sept brasses, excepté à l'entrée, où il n'y en a que cinq, et dans le milieu cinq et demie ; et je dois observer qu'il y a passage de chaque côté de ces hauts-fonds, et qu'alors il n'y a plus que le milieu qui n'offre que cinq brasses et demie à basse mer, les marées donnant tous les jours deux pieds et demi, et davantage dans les pleines lunes, et surtout dans le débordement du Nil.

Il y a louvoyage dans les deux passes, en portant la bordée dans la passe du Marabou, et dans l'ouest du banc où s'est perdu le Patriote et, comme l'on rencontre alors la grande passe, on se trouve au large de tout danger, et l'on doit prendre pour remarque à terre, lorsque l'on sort, le château par la pointe de l'île du Phare bien effacé ; alors on est en dehors de tout, la sonde rapportant dix et douze brasses.

Ces passes m'étant connues, j'ai mouillé des barriques goudronnées et bien étalinguées dans les deux principales passes ; sur lesquelles barriques j'ai mis des pavillons rouges à tribord en entrant, et des jaunes à bâbord. Il est essentiel, comme il y a plus d'eau sur tribord, de rangea la première bouée rouge, le fond donnant six brasses, et de continuer à gouverner à l'aire du vent indiqué dans le plan, conservant toujours le milieu des bouées, et alors venir en arrondissant pour éviter le banc qui est au sud-ouest des récifs. D'ailleurs, on peut approcher la terre d'Alexandrie, le fond étant, jusque par le travers des Figuiers, de neuf et dix brasses.

La troisième passe, à l'est de la pointe des Figuiers, peut recevoir des bâtiments du commerce, ayant trois et quatre brasses dans toute la longueur de cette passe, et même dans un cas pressé, de fortes corvettes ou de petites frégates.

Le port est sain partout, ainsi qu'il est aisé de le vérifier dans le plan que je vous adresse, et, s'il était nettoyé, il pourrait recevoir des bâtiments encore plus forts ; cependant toutes les sondes rapportent neuf, dix et onze brasses.

Je pense aussi qu'on pourrait pratiquer une passe du Port-Vieux au Port-Neuf, ce qui faciliterait beaucoup l'entrée et la sortie de ces deux ports ; mais elle ne peut encore avoir lieu ; ainsi, il n'y faut plus penser.

Je dois encore vous faire observer qu'il serait essentiel que vous donnassiez l'ordre qu'on fabriquât des plateaux en fer pour établir des balises que rien ne puisse déranger, les bouées ayant l'inconvénient de chasser lorsqu'il y a beaucoup de mer.

Je désire, général, avoir rempli vos intentions ainsi que celle du général en chef, et mon avis, en dernière analyse, est que les vaisseaux peuvent passer avec les prescriptions d'usage que vous connaissez mieux que moi.

 

FIN DU PREMIER VOLUME

 

 

 



[1] On ne conçoit pas trop ce total, à moins qu'il n'exprime tout l'établissement maritime de l'Angleterre.

[2] Gourgaud, tome II, page 198.