Fait au Conseil des Cinq-Cents, relatif à la marche des troupes et aux adresses des armées. Séance du 4 fructidor an V.Vous avez chargé la commission dont je suis l'organe, de vous présenter des mesures législatives sur les différents objets contenus dans le message que le Directoire exécutif vous a envoyé le 22 thermidor. Votre commission a cru devoir, avant tout, appeler votre attention sur notre situation présente. La république s'avançait rapidement vers ses glorieuses destinées ; elle allait donner la paix à l'Europe, et se reposer sur ses trophées. Quel génie malfaisant est venu l'arrêter dans sa marche, porter la division dans les pouvoirs, susciter des rivalités, appeler des soupçons, créer des terreurs, exhumer des haines, exaspérer les passions, rallumer les dissensions civiles, menacer de la guerre au-dehors, et jeter l'épouvante parmi les citoyens ? Il est temps de faire cesser les inquiétudes qui agitent la nation, d'éclairer les citoyens égarés, de rassurer ceux auxquels on s'efforce d'inspirer des craintes, d'effrayer les hommes pervers, de mettre un terme aux vaines espérances de nos ennemis, de maintenir le Corps-Législatif au rang que la Constitution lui a assigné, et de replacer chacun des pouvoirs constitués dans les limites de ses attributions. Il est temps de rappeler la sécurité et la confiance, de relever le crédit public, de ranimer le commerce, et de porter la consolation dans rame des gens de bien. Pour parvenir à ce but, représentants, rétablissez vos communications avec le peuple, et parlez-lui solennellement le langage de la vérité et de la paix. Il est digne de vous d'en faire retentir les accents à cette tribune, au moment même où vous manifestez le vœu formel de faire respecter l'indépendance du Corps-Législatif, comme la première garantie de la liberté. C'est avec cet esprit de paix et d'impartialité dans lequel consiste la véritable dignité, que votre commission s'est livrée à l'examen du message du Directoire. Convaincue que jamais il ne se présenta de circonstances plus graves et plus difficiles ; que la paix de la France, celle de l'Europe, le sort de la liberté, dépendaient actuellement de vos délibérations ; mais, encouragée par le sentiment du bien immense que cette grande occasion devait produire, elle a dû chercher votre pensée, et s'en constituer l'interprète. Le message du Directoire se divise en plusieurs objets, que nous allons traiter séparément. Un changement inattendu dans le ministère, un mouvement de
troupes dans l'intérieur, des ordres de route tracés dans la limite
constitutionnelle ; cette réunion de circonstances imprévues et d'événements
qui paraissaient combinés, avait fixé toute l'attention du Corps-Législatif ;
ils étaient dignes de sa sollicitude. En exprimant des regrets sur le renvoi
des ministres, et des alarmes sur l'arrivée des troupes, on ne contestait
point sans doute au Directoire le droit que la Constitution lui donne de
changer les ministres, et de disposer de la force armée : mais il était
permis, et c'était votre devoir, de demander compte au Directoire de la
violation de la limite constitutionnelle. Il répondit par son message du 2
thermidor que quatre a régiments de chasseurs à
cheval de l'armée de Sambre-et-Meuse devaient passer, les 13, 14, 15 et 16 de
ce mois, à la Ferté-Alais, distant de onze lieues de Paris, pour se rendre à
une destination éloignée ; qu'il avait donné les ordres nécessaires pour
empêcher ce passage ; qu'il croyait que la malveillance n'avait eu aucune
part à cet ordre de route, qu'il attribuait à la simple inadvertance d'un
commissaire des guerres ; qu'il s'occupait néanmoins à recueillir sur cet
objet les renseignements les plus positifs, et qu'il ferait punir les
coupables s'il en découvrait. Vous renvoyâtes ce message à une commission spéciale. Cette commission, pour me servir de la sage expression du rapporteur Pichegru, s'attacha moins à trouver dans ce fait les preuves d'un délit que les moyens de le prévenir, en conséquence, elle vous proposa deux projets de résolu lion pour l'avenir, que vous adoptâtes, et qui furent convertis en lois par le Conseil des anciens. Sur une motion d'ordre relative à cet objet, vous chargeâtes votre commission des inspecteurs de vous faire un nouveau rapport. Un grand événement partageait, à cette époque, votre attention : c'étaient les adresses de l'armée d'Italie. Le rapport qui vous fut fait ports& sur ce point, et sur le pas- sage des troupes dans la limite constitutionnelle : il fut terminé par un message dans lequel on demandait de nouveaux éclaircissements au Directoire sur le premier objet ; et quant au second, quelles mesures il avait prises pour faire exécuter l'article sy5 de la Constitution. Le Directoire vous a répondu le 22 thermidor : Il résulte de son message que le commissaire des guerres Lesage avait reçu du général Richepanse l'ordre de route pour la Ferté-Alais, que le général Richepanse avait reçu du général Hoche un ordre pur et simple de se rendre à Brest avec sa division de chasseurs à cheval, en passant par Chartres et Alençon. Il y a lieu de croire que le Directoire vous eût envoyé plutôt ces éclaircissements s'il eût pu se les procurer. Nous ne chercherons point à deviner les Intentions qui ont dirigé ce mouvement de troupes et l'ébranlement de corps militaires considérables sur l'intérieur ; un jour l'on en connaîtra sans doute le véritable but. Nous n'avons eu à nous occuper que de ce qui concernait la limite constitutionnelle. Il est donc constant que c'est le général Richepanse qui a tracé l'ordre de route : il l'avoue lui-même, et dit en même temps qu'ayant, depuis quatre ans, commandé l'avant-garde de la cavalerie de l'armée de Sambre-et-Meuse, il ignorait la disposition de la Constitution à cet égard. Une excuse de cette espèce ne justifierait point aux yeux des lois et des tribunaux : mais, d'après les renseignements qui sont parvenus à votre commission sur la moralité de cet officier, ainsi que sur celle du commissaire des guerres Lesage, elle croit devoir vous déclarer qu'elle n'a point aperçu d'intentions criminelles dans leur conduite ; elle a pensé que l'éclat qu'avait eu cette affaire, les lois solennelles rendues à ce sujet préviendraient de pareilles erreurs pour l'avenir, et que le Corps-Législatif devait s'en tenir à ces mesures, les seules que l'état alors existant de la législation lui permettait de prendre. Nous passons à un objet beaucoup plus important que contient le message du Directoire. Il s'agit du maintien de l'article 275 de la Constitution ; il porte que la force publique est essentiellement obéissante, que nul corps armé ne peut délibérer. La violation de cet article est un des plus grands attentats que l'on puisse commettre contre le corps social ; car c'est dans cet article que repose sa plus sûre garantie contre l'oppression. Que deviennent tous les pouvoirs et les magistratures les plus élevées, si ceux auxquels la patrie a confié des armes pour sa défense interviennent dans les affaires civiles ? N'est-il pas évident alors que l'autorité et l'influence des corps dont le gouvernement se compose, augmente et s'affaiblit à leur gré ? Vous connaissez, représentants du peuple, le recueil des adresses faites par toutes les divisions de l'armée d'Italie ; ces adresses où l'on voit, à côté de l'expression de tous les sentiments généreux qu'inspire l'amour de la liberté et de la République, des prétentions absurdes, des opinions exagérées et delà projets criminels. Les premiers sentiments appartiennent aux défenseurs de la patrie, à l'armée tout entière ; ils ont été la source de sa gloire, ils en seront les conservateurs. Les autres appartiennent à quelques misérables factieux, au génie malfaisant de l'étranger qui a osé espérer qu'à l'aide de calomnies artificieuses, il dirigerait contre la République les bras victorieux de ses défenseurs, et qu'il aurait l'affreux plaisir de voir souiller du sang des Français, des armes encore teintes du sang des ennemis, et illustrées par tant de triomphes. Non, ce ne sont pas nos braves guerriers, mais des monstres féroces, ceux qui n'ont pas rougi d'offrir aux factions les bras que le peuple avait armés contre elles, ceux qui ont conçu l'horrible projet de livrer à l'étranger le prix de la valeur de nos soldats, leurs conquêtes, l'indépendance des peuples, et la paix de l'Europe ; de les ramener contre leurs familles, sous les drapeaux de la rébellion, et d'élever un monument de trahison et d'infamie sur les débris de leurs glorieux trophées. N'avez-vous pas frémi d'indignation, représentants du peuple, lorsque vous avez lu dans l'une de ces adresses qu'on suivait ouvertement dans la législature l'exécution d'un plan combiné pour rétablir le trône ? et l'audacieux dont la main a tracé cette phrase impie existe encore ! et les lois gardent le silence ! et les Directeurs constitutionnels de la force armée n'ont pas poursuivi cet attentat ! et vous vous dites libres et républicains ! et l'on peut concevoir l'existence d'un Corps-Législatif, d'un Directoire exécutif, d'une magistrature civile, dans un pays où un chef militaire peut faire ou laisser signer à ses soldats et circuler impunément de tels blasphèmes ! Ah ! si de pareils attentats devaient se renouveler et rester impunis, il faudrait se dévouer à la mort sur les ruines de la liberté, plutôt que de consentir à vivre dans la plus odieuse de toutes les servitudes. Aujourd'hui ces adresses sont dirigées contre le Corps-Législatif : Directeurs de la République, elles le seront demain contre vous. Ici notre garantie est commune ; et celui des pouvoirs qui la laisse violer par une coupable faiblesse doit en être tôt ou tard la victime. Malheur à l'autorité qui fonde son empire sur la puissance des baïonnettes ! elles finissent par opprimer pour toujours celui qu'elles ont un instant protégé. Abandonnerai-je d'aussi grands intérêts pour examiner sérieusement avec le Directoire si les écrits dont je vous parle sont des délibérations ou des adresses individuelles. Ces actes sont intitulés : Adresses des citoyens composant les divisions de l'armée d'Italie. Elles sont certifiées conformes par le chef de l'état-major : il les a envoyées officiellement aux administrations de département, avec recommandation de les faire connaître à leurs administrés. Il y a de ces adresses faites pour les militaires qui sont dans l'intérieur de la République. Ce n'est pas une délibération. Non, sans doute ; car si l'armée eût discuté et délibéré sur ces adresses, il se serait élevé dans le camp une foule de soldats citoyens qui eussent défendu les droits de la Constitution... Tous les soldats ont-ils lu les adresses avant de les signer ? Cela est impossible. Les ont-ils signées sans les lire ? ce n'est donc pas leur vœu qu'elles expriment. Comment un chef d'état-major a-t-il pu s'arroger le droit de correspondre avec des administrations départementales ? La Constitution a interdit aux administrations de se réunir aux assemblées électorales, de recevoir aucune adresse, pétition ou députation ; elle porte (art. 564) qu'aucune association ne peut présenter de pétitions collectives, et l'on tolérerait qu'une armée pût envoyer une adresse à une autre armée, et l'on tolérerait que, soit sous la forme de délibération ou d'adresse individuelle, ou sous tout autre prétexte, les chefs des armées pussent influencer l'action du gouvernement par l'expression du vœu de quatre cent mille hommes qu'ils commandent, et auxquels ils ont fait déclarer qu'ils sont dans l'intention d'appuyer leur adresse par leurs armes ! Concevez-vous, représentants du peuple, qu'aucun gouvernement puisse se maintenir avec de telles libertés ? Plus vos généraux et vos armées ont rendu de services à la patrie, plus vous devez déployer de sévérité contre les premiers symptômes de ces entreprises. Vous ne pouvez pas même être rassurés par leurs sentiments et leurs vertus ; elles ne résisteraient point à la séduction du pouvoir, cette maladie éternelle de l'homme, qui est bientôt fatigué d'obéir dès qu'il entrevoit le moyen de commander. Ne permettez pas que dans une république naissante lei militaires, forts de leurs services, de leurs victoires et de la reconnaissance nationale, se conduisent comme s'ils n'avaient vaincu que pour eux, pour leur propre intérêt, pour leur propre gloire. Nous verrions bientôt alors se renouveler ces temps malheureux de l'ancienne Rome où les armées, n'ayant que des généraux et plus de patrie étaient toujours portées à seconder toutes les factions. Serait-il vrai que les ennemis de la France auraient compté sur la mort ou l'exil des plus braves généraux, et sur la dispersion et la perte des armées ? Sur quel fondement repose cette ridicule espérance de nos ennemis ? Où sont les atteintes portées à là sûreté et à la gloire de nos généraux ? dans les feuilles abominables de quelques écrivains déhontés ? Mais qu'y a-t-il de commun entre ces vils apôtres du pouvoir absolu, et les représentants du peuple ? n'ont-ils pas-saisi avec empressement toutes les occasions de payer aux armées et à leurs chefs, le juste tribut d'éloges qui leur était dû ? et l'on voudrait faire croire aux vainqueurs de l'Italie que leurs lauriers sont flétris par les calomnies de quelques folliculaires ; qu'il existe contre eux un système de proscription ! Les proscrire ! qui l'oserait ? qui le pourrait ? quelle voix ne prendrait pas leur défense ? quel républicain ne s'honorerait pas de s'unir à eux dans cette honorable proscription ? Quel cœur français ne palpite pas au récit de tant d'actions héroïques qui consolent la patrie, forcent l'admiration, appellent la reconnaissance, et suffiraient seules pour justifier la révolution ? Mais la haute estime que nous avons pour nos défenseurs, les pouvoirs que nous tenons du peuple, nous donnent le droit de leur parler avec sévérité. Ne pas les éclairer sur l'égarement dans lequel on cherche à les entraîner, ce serait trahir nos devoirs ; ce serait violer leurs droits. Ils étaient citoyens avant d'être soldats, ils cesseront d'être soldats pour redevenir citoyens ; et ils vous accuseraient alors, avec raison, d'avoir sacrifié, par une coupable tolérance, les droits de la cité aux prétentions militaires. Le Directoire vous a répondu qu'il avait arrêté la circulation de ces adresses, et qu'il avait également arrêté d'écrire au général en chef qu'il déplorait les circonstances qui avaient porté les braves soldats républicains à des actes qui pouvaient paraître irréguliers ; ensuite il indique les causes de la démarche des défenseurs de la patrie. Votre commission croit devoir vous dire, avec cette franchise qu'elle a constamment apportée dans son travail, que la réponse équivoque du Directoire sur ce point lui a paru indigne de son caractère, de sa puissance, et du rang auquel la Constitution l'a élevé. Si un corps armé écrivait et publiait que l'on suit dans le Directoire un système pour le rétablissement du trône, le Directoire serait coupable d'en excuser les auteurs : l'outrage serait-il plus permis contre le Corps-Législatif ? Déplorer des circonstances qui auraient amené une violation de la Constitution, est un sentiment très-louable chez un simple citoyen ; mais c'est la violation elle-même que le magistrat doit déplorer quand il n'a pu l'empêcher, ou lorsqu'il est obligé de la punir. Voyez, représentants du peuple, quels progrès ont faits, depuis, ces dangereux exemples, et comme l'esprit de faction cherche à s'introduire dans les camps : il y a déjà porté le style dégoûtant de l'anarchie, sinistre avant-coureur de ses excès ; il va jusques dans ces retraites que la reconnaissance nationale a consacrées à nos défenseurs blessés dans les combats, pour en troubler la paix ; il dicté des adresses ; il en fabrique ; il en suppose ; il irrite les esprits, il aigrit tous les cœurs, il attise les discordes, il désorganise nos armées, il porte partout le germe de la dissolution et de la mort ; et le gouvernement s'endort sur cet abîme ! Veillez, législateurs, veillez pour vous et pour lui le péril est pressant, il menace, il effraie la patrie. Vos ennemis disent que vous craignez les armées ; le peuple répond : C'est moi qui les ai redoutées pour le gouvernement ; j'ai voulu que l'autorité civile fût sans armes, et la force militaire obéissante : c'est moi qui les ai redoutées pour le Corps-Législatif ; j'ai tracé autour du lien de ses séances une enceinte sacrée. Directeurs, généraux, soldats, fléchissez devant la volonté du peuple ; ses représentants ne transigeront point avec elle sur un point aussi grave et qui touche de si près à la liberté publique. Votre commission vous proposera donc un projet de loi pour garantir l'exécution de l'article 175 de la Constitution. Nous croirions blesser ce sentiment naturel de fierté qui doit animer les premiers délégués d'un peuple libre, si nous descendions dans la réfutation de toutes les calomnies absurdes que répètent contre vous, depuis quelque temps, les ennemis de la République : un Corps-Législatif qui n'est point accusable, ne doit point se justifier ; ses actes parlent pour lui, c'est par eux qu'on le juge. Mais nous devons au peuple que nous représentons, au peuple qu'on veut égarer et sur nos intentions et sur nos actes, de fixer vos regards sur cette partie du message du Directoire, dans laquelle il vous présente les causes des inquiétudes, des divisions et des troubles qui affligent la patrie : il est persuadé que vous trouverez dans votre sagesse les moyens de les faire cesser. Il faut donc examiner de bonne foi si ces causes existent, de quelle nature elles sont, et quels remèdes elles exigent. Vous apercevez déjà toute l'étendue de la tâche que vous nous avez imposée. Persuadés que tous les pouvoirs dont le gouvernement se compose n'ont qu'un intérêt, nous avons dû ne chercher que la vérité. Nous la dirons au Directoire, à vous, au peuple. C'est dans cette franchise que se trouve désormais son salut, le nôtre, celui de la République et de la liberté. On vous dénonce l'insolence des émigrés et des prêtres réfractaires, rappelés et favorisés ouvertement. Quant aux prêtres, regrette-t-on leur proscription en masse ? Veut-on déshonorer encore la liberté par des hécatombes ? N'a-t-on pas sous les yeux le sanglant produit dei persécutions religieuses ? Liberté de conscience, égale protection de tous les cultes, déclaration qui garantisse la soumission de leurs ministres au gouvernement ; voilà les principes professés par tous les philosophes, consacrés par la Constitution, et maintenus par le Conseil des Cinq-Cents, en dépit de l'esprit de parti et des prétentions renaissantes d'un culte autrefois dominant. Nous n'insisterons pas davantage sur ce point ; nous ferons seulement observer au Conseil qu'il nous a paru convenable de s'occuper de la rédaction de cette déclaration, sur la nécessité de laquelle un plus long silence du Corps-Législatif accréditerait des espérances et des inquiétudes diverses. Quant aux émigrés, qui les rappelle ? qui les favorise donc ouvertement ? Sont-ce les lois ? Mais il n'est pas du pouvoir du Corps-Législatif de faire de nouvelles exceptions ; et l'on ne considérera pas comme telles sans doute les lois rendues pour assurer aux fugitifs de Toulon et des départements du Rhin la justice que la Convention nationale leur avait elle-même rendue par ses décrets. La législation sur les émigrés ne subsiste-t-elle pas toute entière ? Ne remet-elle pas entre les mains du Directoire les moyens les plus actifs, les plus puissants, les plus arbitraires même, pour les repousser de notre territoire ? et cependant il n'est aucun de nous qui n'entende dire chaque jour qu'ils affluent dans la République, à Paris ; on cite des noms fameux ; leurs demeures sont connues, et c'est au Corps-Législatif qu'on se plaint de ces abus. Mais que fait la police ? Pourquoi ne les saisit-elle pas ? Pourquoi ne le poursuit-elle pas ? Pourquoi entend-on dire, au contraire, que l'on spécule dans les bureaux sur les passeports et sur les radiations, et que dans toute l'Europe on trafique des certificats de résidence ? C'est nous qui devons demander au Directoire des éclaircissements sur tous ces abus, et la cessation de tant de scandales. Le Directoire vous dénonce les assassinats exercés sur les acquéreurs de biens nationaux, sur les fonctionnaires publics, sur les défenseurs de la patrie, et, pour mieux dire, sur tous ceux qui ont osé se montrer amis de la république ; il vous dénonce l'impunité du crime, et la partialité de certains tribunaux. Nous pensons que le Directoire a oublié, dans cette circonstance, la nature et l'étendue de ses pouvoirs, et nous croyons seconder ses vues en saisissant cette occasion de les lui rappeler Il est impossible de se dissimuler, en effet, qu'il est plusieurs contrées de la république où le sang français coule depuis plusieurs années sous les poignards de tous les partis. Ces crimes sont le résultat exécrable de cette doctrine meurtrière qui excuse les violences par les violences, les fureurs par les fureurs, les assassinats par les assassinats. Le cœur se brise lorsqu'on voit le sang froid horrible avec lequel des écrivains qui se disent les défenseurs de l'humanité, conseillent le meurtre et en font l'apologie ; il faut déserter un pays où l'on trouve des hommes qui sourient à l'aspect d'un cadavre percé de coups. Représentants du peuple, le remède à ce fléau dévastateur, nous devons vous le dire, est moins dans la législation que dans la sagesse et l'impartialité des opinions, dans l'exemple du législateur. Une multitude égarée se portait à des excès, la loi était impuissante ; quelques hommes de bien se présentent, ils se dévouent, ils parlent, le calme se rétablit. Il y a des passions plus fortes que les lois ; il n'y eu a point qui résistent à l'ascendant de la vertu, de la raison, aux doux accents de la véritable humanité, lorsqu'ils se font entendre unanimement à la tribune nationale. Cependant, si les assassinats dont parle le Directoire sont des événements isolés, il y a des lois sévères contre les assassins, et c'est à lui qu'il appartient de les faire exécuter. S'il est vrai que quelques tribunaux aient montré de la partialité, c'est un malheur qui tient à la nature de l'homme ; il ne faut point l'attribuer aux lois. Si cette partialité a un caractère criminel que la loi puisse ou doive atteindre, c'est au Directoire à faire dénoncer les juges prévaricateurs, ou à vous prévenir de l'imperfection de la loi. Dans tous les cas, des abus particuliers, des injustices même, ne sont point un motif pour désespérer de la justice, et pour s'abandonner à un funeste découragement. Eh quoi, parce que les passions des hommes sont si diversement modifiées qu'elles se jouent souvent des lois, faut-il que le législateur désespère de les contenir, et se condamne au silence ? Non, sans doute. Ainsi, parce que les crimes se multiplient, parce que quelques coupables ont échappé à la vengeance des lois, il faut laisser violer les lois et ouvrir une plus vaste carrière aux crimes ! n'est-ce pas alors au contraire que l'autorité exécutive doit redoubler de surveillance et d'activité ? Si le Directoire parle de ces assassinats qui présentent un caractère plus effrayant que ces crimes particuliers qui affligent toutes les sociétés, s'ils tiennent à d'autres causes particulières à ce pays ; si les lois ordinaires sont insuffisantes : que le Directoire donne au Corps-Législatif des éclaircissements sur le mal, sur les causes, et ses vues suie le moyen d'y remédier ; il ne trouvera parmi les représentants du peuple qu'un seul sentiment, celui de l'horreur et de l'indignation pour le crime. Eh ! n'a-t-il pas trop coulé pendant la Révolution, le sang de ses amis et de ses ennemis, le sang des Français ? est-il ici un seul homme qui eût eu l'impudeur d'accepter les fonctions de représentant du peuple, s'il n'eût été résolu de se jeter comme un médiateur entre les partis qui menaçaient la République. Nais, dans l'état actuel des choses, il est évident que c'est au Directoire seul qu'on peut demander compte des poursuites qu'il a faites, et des mesures qu'il a prises pour réprimer les brigandages et les assassinats, quelles qu'en aient été les victimes ; partout où se commet un crime, la société peut en demander au pouvoir exécutif la punition, ou la preuve qu'il a employé tous ses moyens pour y parvenir ; c'est pour cela que la Constitution a donné au Directoire des agents de son choix près de toutes les autorités constituées. Le Corps-Législatif ne peut pas, ne doit pas s'occuper de faits particuliers Nous ne nous étendrons point sur la protection spéciale qu'on croit juste de réclamer pour les acquéreurs de domaines nationaux : leurs personnes et leurs propriétés doivent être sous la sauvegarde de la loi commune Quant aux questions particulières qui s'élèvent sur la validité de leurs titres, elles sont actuellement de la compétence des administrations et du Directoire exécutif en dernier ressort. Quant à la législation, la Constitution lui a tracé des bornes ; elle a garanti les ventes des biens nationaux légalement faites. Le Corps-Législatif ne peut pas s'écarter de ce principe, et il vient de donner un exemple éclatant de son respect pour la Constitution et pour les titres des acquéreurs, par la loi rendue pour maintenir la vente des presbytères. Que signifient donc ces éternelles déclamations démenties par des faits aussi authentiques, et cette affectation d'attribuer une grande importance à des opinions individuelles, de les ériger, pour ainsi dire, en loi, afin de les reproduire ensuite comme l'opinion du Corps-législatif. Si l'assemblée de représentants du peuple cessait un seul instant d'être l'asile sacré de la liberté des opinions ; si on y était réservé par peur, sage par contrainte, modéré par complaisance ; ce ne serait plus qu'un fantôme de représentation nationale ; ce ne serait plus qu'une assemblée d'esclaves : ce n'est qu'a ses écarts que je reconnais ici la liberté ; et s'il n'y avait point d'erreurs, pourquoi aimerait-on la sagesse ? à quoi servirait la vôtre ? Le Directoire vous dénonce les journaux dont les armées sont inondées comme l'intérieur ; ces feuilles qui ne prêchent que le meurtre des soutiens de la liberté, qui avilissent toutes les institutions républicaines, qui rappellent sans ménagement et sans pudeur la royauté et les institutions oppressives. Il est certain que le débordement des pamphlets, des libelles, des journaux, et la licence effrénée des écrivains, ne laissent plus aux citoyens paisibles un seul point sur lequel ils puissent reposer leur esprit, au milieu de cet océan d'opinions extravagantes et factieuses. Il est certain qu'un gouvernement populaire, dont la puissance et la force consistent tout entières dans l'opinion, ne peut pas abandonner aux factions le droit illimité de l'égarer et de le corrompre. C'est une dérision que de vouloir qu'un tel gouvernement fasse respecter les personnes, les propriétés, et maintienne l'ordre, lorsqu'on peut avilir impunément dans l'opinion les premières autorités, et qu'elles n'ont aucune garantie. Il est bien temps d'abandonner ces systèmes métaphysiques, qui sont le renversement de tout ordre social ; mais il serait absurde de croire que le Corps-Législatif favorisât ce moyen de dissolution, et travaillai ainsi lui- même à se détruire. Cette matière a été tant de fois discutée, que les difficultés sont presque toutes résolues ; il ne s'agit plus de tout permettre, ni de tout empêcher, mais de concilier l'exercice d'un droit du citoyen avec la sûreté du gouvernement. Les éléments d'une bonne loi existent ; il ne faut que les rassembler : vous avez nommé une commission pour cet objet ; elle vous présentera incessamment son travail. Ceci nous amène à examiner sous un autre rapport, sous le rapport de la juridiction, la garantie du gouvernement, c'est-à-dire des deux premiers pouvoirs. La Constitution a établi un tribunal spécial pour connaître des attentats commis par les Représentants du peuple et par les membres du Directoire, c'est la Haute-Cour de justice ; elle-présente une double garantie à la nation, d'abord contre ses premiers délégués, et contre les tentatives de l'ordre judiciaire envers l'indépendance de ces délégués. Mais lorsqu'un attentat est commis contre la sûreté, contre la dignité du gouvernement, quel est son vengeur ? quelle est la partie publique chargée de la poursuite ? quel est le tribunal qui doit juger ? Il n'y a rien ici de précis, de spécial ; la garantie est illusoire, puisqu'elle est répandue entre quatre-vingt-seize tribunaux de département. Voilà la cause principale de l'impunité des délits de cette espèce, et de l'audace des ennemis du gouvernement. Votre commission vous présentera un projet de loi à cet égard. Le défaut de revenus publics laisse, dit-on, toutes les parties de l'administration dans la situation la plus déplorable, et prive souvent de leur solde et de leur subsistance des hommes qui, depuis des années, ont versé leur sang et ruiné leur santé pour servir la République. Nous ne dissimulerons point que l'insuffisance des revenus, l'incurie des percepteurs, les vices d'une administration trop compliquée pour la surveillance, ou trop multipliée pour l'économie, concourent à la situation de nos finances. Mais la portion armée de la nation a-t-elle des reproches à faire au Corps-Législatif ? Une seule réponse détruirait l'inculpation. A quelle époque, dans quels termes avez-vous refusé, avez-vous différé les fonds exigés par la guerre et demandés pour elle ? Non contents de les avoir votés avec urgence, vous avez ordonné que les autres parties du service public restassent immobiles jusqu'au moment où celui des armées serait rempli. Cette prime de préférence était due sans doute à la patrie, aux vainqueurs républicains : mais les rentiers ne leur abandonnent-ils pas le pain de leur misère ? les magistrats ne sacrifient-ils pas tous leurs besoins au besoin de la justice ? les avents administratifs ne sont-ils pas privilégiés pour les privations et les souffrances ? Quoi donc I tous les revenus de la France ;tout le produit de ses impôts, l'emprunt forcé, les mandats, les domaines nationaux, les contributions en pays ennemis, les réquisitions de tout genre, ce capital immense dont les seuls intérêts surpasseraient le revenu des nations les plus riches, sera-t-il donc insuffisant pour solder nos victoires ? Disons plutôt que la source la plus féconde s'évapore lorsqu'on la divise en canaux superflus ; que l'ordre, condition première de la richesse, la conserve et l'accumule, tandis que le désordre, en créant des valeurs mensongères, dissipe et consomme plus de valeurs réelles qu'il ne peut en suppléer. Aujourd'hui même, ce mouvement de troupes dont nous sommes occupés, ce mouvement mal conçu, ou du moins mal dirigé, quel que soit son objet, a fait transporter la solde de l'une à l'autre armée, a épuisé des caisses civiles pour un service extraordinairement militaire ; des caisses qui, ayant rempli tous leurs devoirs envers l'armée, devaient leur faible contingent aux citoyens. Vous vous êtes appliqués sans relâche à régulariser tous les fonds et leur emploi. Il faut nécessairement que vos commissions préparent incessamment tous les moyens d'augmenter les revenus ; il faut braver les préjugés attachés aux impôts indirects, assurer les dépenses des grandes communes, et en décharger le trésor public ; il faut que ces moyens soient tous les jours à l'ordre de vos délibérations. Mais il est des obstacles qui tiennent à la rotation rapide des événements, et l'expérience a marché plus vite encore que la raison. Le papier, représentatif des métaux, s'il eût été créé dans des proportions rigoureuses, devait sauver en peu de temps la liberté ; jeté presque au hasard et sans mesure, il a servi toutes les tyrannies, et sa valeur a fini par ne plus représenter même le prix de sa matière. Ne croyez pas, représentants du peuple, qu'il soit inutile de ressasser aujourd'hui ces idées ; elles appartiennent plus qu'on ne croit, elles appartiennent tout-à-fait à notre situation pécuniaire, aux opérations du trésor. Les dépenses les plus fortes de l'état sont les fournitures de la marine et (le la guerre ; les paiements s'en font avec des ordonnances sur les caisses de département, avec des obligations sur les domaines : eh bien ! nous voilà retombés dans les papiers monétaires, et remarquez que leur dépréciation est dans les mains des seuls hommes auxquels le trésor public les délivre et les confie : de manière que ce n'est pas notre situation politique, ce n'est pas la confiance nationale, ou la défiance étrangère, qui sert de thermomètre à ces valeurs, c'est le fournisseur lui-même qui vend à l'état, en raison de l'emploi qu'il peut faire de ce mode de paiement, base de ses marchés. Que résulte-t-il de ces faits ? c'est qu'en sachant ce qu'on achète, on ne sait jamais positivement ce que l'on paie. Partout exagération, partout incertitude. Exagération dans les prix apparents, et de là dans les prix effectifs : incertitude dans l'exécution des marchés les plus scandaleux au premier coup d'œil, parce que les valeurs sont soumises à des variations de circonstances ; parce que les gages donnés sur une rentrée assurée, mais lointaine, s'avilissent eux-mêmes, en ajoutant dans la même monnaie les intérêts du retard. De là la multiplication des effets par les causes ; de là le discrédit, qui devient lui-même le motif des embarras progressifs ; de là enfin le terme où le pouvoir qui fixe les dépenses et les fonds, croit avoir tout ordonné, tandis que le pouvoir qui distribue ne peut tout percevoir, ne peut tout acquitter. Ajoutons qu'une foule de circonstances interviennent entre l'époque de la fixation des fonds et l'époque de leur rentrée ; que des calculs chiffrés éprouvent par des calculs moraux ou politiques des soustractions inévitables ; que 'l'ordre de paiement est un mot unique, absolu, positif, et que la recette se compose de détails infinis ; que le moment de la perception ne se coordonne pas précisément avec celui du besoin, que le temps des grands travaux, par exemple, des grandes récoltai rurales, n'est pas celui des moyens de l'agricole ; et qu'enfin, dans tout système fiscal, il faut faire la part des contradictions insurmontables. Une législation sévère d'économie politique était peut-être incompatible avec l'immensité de nos besoins. Mais cependant ajourner les principes, voguer toujours sans ; boussole, n'est-ce pas mériter le naufrage ? Ce n'est plus par des palliatifs, par des dispositions journalières, par des lois d'occasion, que nous pouvons ordonner les finances. Des milliards de biens immeubles ont été absorbés sans que vous puissiez être instruits, même à peu près, des quotités. Vous ordonnez que des titres écrits soient reçus : en paiement de ce qui vous en reste : vous ne savez pas encore quel sera leur produit métallique, puisque voue ne recevez que des valeurs mobiles. D'où provient tort ce chaos, cet embarras de tous les jours ? de l'ignorance éternelle où vous êtes du vrai montant de vos richesses, de la défiance du peuple, suite nécessaire de son ignorance et de la vôtre. A ces causes que l'inexpérience et la paresse veulent bien regarder comme une nécessité malheureuse, mais qui ne le seront jamais pour la méditation et le travail, ajoutons les motifs dont tous les vrais républicains sont consternés, l'éloignement de la paix au-dehors, les dissensions au-dedans, et nous verrons que tous nos maux viennent des hommes plus que des choses ; que tous nos maux sont dans notre esprit, et tous les biens dans notre cœur et dans nos mains ; que le premier moyen d'obtenir les deux paix, c'est de les vouloir ; que nous l'accorder à nous-mêmes, c'est la dicter à nos ennemis, c'est l'ordonner à l'Europe. Combien ils seraient coupables envers le Corps-Législatif, ceux qui l'accuseraient de la retarder, cette paix que tous les Français ont si bien méritée par leurs triomphes et par leurs sacrifices ! Non, Représentants du peuple, ce n'est point à vous que s'adresse cette espèce de diatribe qui remplit une grande partie du message ; mais devait-elle se trouver dans un écrit rédigé pour vous seuls ? Certes, le gouvernement anglais, la cour autrichienne, seront bien étonnés de l'intérêt que les Français sont supposés prendre à leur gloire et à leur prospérité. Sans doute il est encore des insensés qui nourrissent l'espoir audacieux et criminel de détruire la République ; sans doute il est des Liches soudoyés pour la calomnie, pour l'égorgement et le pillage. Les misérables ! ils pensent accroître nos dangers par notre effroi, enflammer nos passions par leurs menaces ; ils paient l'or des ennemis en leur exagérant tous les maux qu'ils nous causent : mais enfin qui doit les surveiller ? qui doit entourer la nation de ses yeux vigilants et de sa force défensive ? Quoi ! il est des traîtres ! et pourquoi sont-ils impunis ? Il est des conspirateurs ! et pourquoi restent-ils inconnus ? Il est des lois ! pourquoi ne sont-elles pas exécutées ? Non, non, jamais les soldats français ne croiront que leurs représentants soient dans le système affreux de la guerre. La guerre de la liberté était nécessaire à la paix de la liberté : mais lorsque la victoire et l'honneur ont sanctionné la constitution républicaine, lorsque l'agriculture, le commerce et les arts appellent à grands cris la paix et le bonheur, quel génie de misère et de sang voudrait prolonger tous nos fléaux ? Peut-être convient-il de réserver à l'histoire une recherche approfondie sur la conduite civile et militaire des pouvoirs' qui ont opéré les révolutions de l'Italie ? Peut-être la concurrence des causes nous dérobe-t-elle aujourd'hui l'esprit qui les a fait 'mitre, et dont on a voulu profitera peut-être les monarques pensent-ils justifier à leurs propres yeux les retards de la paix par l'effroi qu'ils éprouvent, en voyant la France agrandie par le système contemporain de tant de peuples, et par la confraternité de leurs gouvernements ? Est-il temps d'examiner à quel point la situation de nos armées et tous nos intérêts combinés exigeaient l'alliance de ces nations affranchies, et la solidarité de nos armes ? Cet examen produirait-il autre chose, en résultat, que l'impossibilité physique et politique de rien changer par des lois à ces innovations de convenance ou de nécessité ? La France peut-elle accuser ses généraux de la liberté de plusieurs millions d'hommes ? peut-elle accuser les peuples eux-mêmes d'avoir brisé leurs fers ? Et lorsqu'une fois ils sont libres, n'est-ce pas de leur bonheur, n'est-ce pas de nos bienfaits envers eux, de leur devoir envers nous, de notre union, des intérêts communs qu'il faut nous occuper ? Votre commission, Représentants du peuple, est cependant bien éloignée de vous proposer l'approbation ou même le silence sur des événements aussi nouveaux. Oui, le Directoire a outrepassé ses pouvoirs, tous ceux qu'il supposerait dans un gouvernement naissant où la constitution n'aurait placé, pour ainsi dire, que des murs séparatifs, sans distribuer les détails de cet immense édifice. Le pouvoir exécutif a fait plus : il a affecté d'approuver des actes politiques et militaires, en les confondant dans des opérations très-distinctes. Le choix du moment pour les ratifier, la sécheresse et la forme isolée de sa sanction, qui pourrait être regardée comme la censure mal déguisée de votre surveillance, tout dans la conduite du Directoire, à cet égard, mériterait au moins l'improbation et le reproche. En effet, Représentants du peuple, si la guerre a été faite aux états d'Italie, qui a pu la déclarer sans votre aveu ? Si c'est un traité de subsides, de paix ou de commerce, que l'on a rédigé, qui a pu le contracter ou le faire exécuter sans une loi ? Des invasions chez des peuples neutres, des taxes imposées, des traités de protection ou de tranquillité, la dissolution subite d'anciens gouvernements, des créations constitutives, tout cela serait-il donc l'ouvrage de cette seule portion de Français qui n'a point d'autre mission nationale que celle de la force et de la gloire ? N'en doutez point, les soldats sont dans un état d'exception ; mais leur tâche n'est-elle pas assez belle ? Sauveurs de la patrie, conquérants de la liberté, tous leurs dangers sont des bienfaits, tous leurs succès sont des titres : mais la société entière a-t-elle donc perdu ses autres droits, lorsqu'elle a conféré tous ceux de sa défense ? Les législateurs, ces représentants de tous les citoyens dans toutes les fonctions, dans tous les âges, ne sont-ils pas lés premiers, les v rais dépositaires de la volonté nationale, que la constitution, que le peuple français ont voulu constater par notre organe ? Ces vérités doivent être solennellement proclamées à nos nouveaux amis ; cette publication est nécessaire à leur tranquillité. Ils ne seront les alliés de la France que par la consécration de ses représentants : leur situation sera précaire, leur existence incertaine, leur gouvernement équivoque, leur liberté sans appui, tant que cette enceinte n'aura pas entendu les conditions & nos traités, tant que la République n'aura pas répété, par votre bouche, qu'un homme libre sur la terre est un ami de plus pour les Français. Vous jugez bien, Représentants du peuple, que le but de ces réflexions générales n'est point de répondre à des inculpations qui vous sont étrangères ; mais au moins la franchise avec laquelle nous les présentons à la nation doit prouver à quel point vous désirez maintenir toute l'harmonie des deux pouvoirs, en convenant, sans détour, des difficultés qui s'interposent entre la volonté du Corps-Législatif et l'exécution dont est chargé le Directoire. Après la mise en activité de la Constitution, la marche des pouvoirs, surtout celle du Directoire exécutif, demeura encore révolutionnaire ; il fallait rompe progressivement de vieilles habitudes, et en contracter de nouvelles. Il ne pouvait être subit, ce passage d'un ordre de choses dont le peuple français était fatigué à l'ordre constitutionnel où il espérait trouver le repos et la sûreté : ainsi pendant dix-huit mois le Directoire exécutif exerça un grand pou- voir, un pouvoir non contredit, un pouvoir quelquefois excessif de ses attributions. Mais, à mesure que le temps consolidait la constitution, qu'il le faisait connaître et la rendait chère à tous les Français, on voyait se développer insensiblement toutes les institutions qu'elle avait établies, et on espérait jouir enfin de tous ses bienfaits. Ce développement devait amener quelques jalousies entre les pouvoirs ; elles succédèrent à cette harmonie qui ressemblait un peu trop à la subordination et à la dépendance pour avoir une plus longue durée. De là les prétentions respectives, la surveillance, les contradictions et la censure. Il n'y avait dans ce changement rien d'effrayant pour quiconque, connaissant le mouvement naturel des institutions sociales, avait attendu celui de la constitution, prévu ses résultats et les agitations parfois renaissantes chez une nation nouvellement libre. Mais on a craint que le Directoire ne fût accusé, et que le Corps-Législatif ne fût attaqué. L'accusation du Directoire est un droit que la Constitution a donné au Corps-Législatif ... S'il découvrait dans la conduite du Directoire des causes assez graves pour motiver l'exercice de cette prérogative, sa sévérité ne fléchirait devant aucune considération, devant aucune menace, devant aucun danger. Le Directoire n'a point été accusé : donc le Corps-Législatif n'a point eu de motif de le faire ; donc il ne l'a pas voulu. Attaquer le Corps-Législatif dans son indépendance, dans son intégralité, dans sa sûreté, c'est un crime, un crime que la Constitution n'a pas pu, n'a pas dû prévoir... Elle n'a donc pas pu ni dû prévoir non plus les moyens que le Corps-Législatif emploierait alors pour sa défense. C'est assez en faire connaître toute l'étendue. Mais qui pouvait vous attaquer ? quelques brigands soudoyés par les ennemis de la République ? ... Le souvenir de leurs fréquentes défections est là pour votre conduite, pour celle du Directoire, et pour leur effroi. Les soldats ? ... Jamais ils ne se porteront à cet horrible attentat, ils se sont toujours ralliés à la représentation nationale jamais on ne les a vus marcher sous l'étendard des assassins et des rebelles. Le Directoire ? ... Cette idée fait frémir ; nous n'avons pas dû nous y arrêter un instant. Le Directoire ne peut pas vouloir anéantir la source de sa puissance, ternir sa gloire, se vouer à un éternel opprobre et à l'exécration du peuple français. Représentants du peuple, vous trouveriez d'ailleurs dans votre courage des ressources extraordinaires pour les événements imprévus. Directeurs, législateurs, que les vaines terreurs, que les soupçons exagérés cessent donc de nous agiter : ayons plus de confiance et de générosité ; ces sentiments n'excluent ni la dignité, ni la force, ni les justes précautions. Les divisions dans le gouvernement ne peuvent tourner qu'au profit des factions et à la ruine de la République. Vous ne pouvez pas vous dissimuler que depuis qu'on a aperçu des dissentiments entre les pouvoirs, tous les partis se sont mis en mouvement. Les uns ont dit, Exterminez tous les royalistes ; les autres, Exterminez tous les terroristes. Et l'on sait bien que si ces vœux criminels étaient accomplis, la proscription embrasserait tous les habitants de la France ; car c'est le propre de tous les partis de supposer contre eux tout ce qui n'est pas pour eux. Ainsi les amis de la Constitution de l'an 3, qui déplaît autant aux ennemis de toute constitution qu'aux partisans du pouvoir absolu, sont proscrits par tous les partis. Si les premiers pouvoirs de la République ne marchaient plus ensemble entre les factions ; si chacun de ces pouvoirs, au lieu de les repousser, semblait les appeler à sou aide ; si l'on croyait pouvoir fonder la paix intérieure sur je ne sais quel système d'équilibre ou de contrepoids qui renforce les partis, qui affaiblit la nation. qui jette dans son sein et dans les pouvoirs le goût et l'habitude de l'esprit de faction ; si l'on ne demeurait pas unanimement convaincu que les menaces de l'anarchie nous mènent à la royauté, et les menaces de la royauté à l'anarchie, il n'y aurait plus aucun espoir de salut ; on serait forcé de chercher un refuge dans les hasards de la plus épouvantable guerre civile. Représentants du peuple, directeurs, regardez quels sont les hommes qui flattent vos passions, qui entretiennent vos préventions, qui vous poussent vers une explosion, ce sont les exagérés de tous les partis. Ils désirent, ils appellent cette catastrophe qui doit vous engloutir tous, et ouvrir la sanglante carrière de leurs fureurs. Que la sagesse préside donc constamment dans les conseils de tous les délégués du peuple : que l'on cesse de le tourmenter en tous sens par la crainte des excès qui ont souillé là révolution ; que les hommes absous par les lois ne soient plus opprimés sous le poids d'une proscription arbitraire ; que la justice rendue aux victimes de la proscription ne devienne pas dans leurs mains une occasion de proscription nouvelle ; que le gouvernement montre, par des actes formels, une volonté bien prononcée de faire respecter la constitution, de protéger également tous les citoyens, et d'arrêter cette licence effrénée qui se déborde impunément sur les personnes et sur les institutions ; que tous les efforts des pouvoirs constitutionnels tendent à rétablir l'honnêteté dans les mœurs et la décence dans les opinions ; que l'on n'en soit plus réduit à regarder, comme un parti, celui de la République et de la liberté : alors n'en doutez pas, vous anéantirez les factions, vous rassurerez tous les amis de l'ordre, et vous ferez aimer le gouvernement républicain. Ces moyens sont, en grande partie, dans vos mains, Représentants du peuple. Le Directoire vous secondera, sans doute ; car c'est son intérêt comme le vôtre : il ne peut trouver grave auprès des factions ; il les a toutes combattues. Représentants du peuple, en replaçant successivement sous vos yeux tout ce que le message du Directoire a d'inconvenant dans son ensemble, d'exagéré dans ses détails, d'amer dans son style et dans ses applications, votre commission ne donnera point aux ennemis de tous les pouvoirs, aux perturbateurs de tout ordre social, le spectacle de la division qu'ils attendent : vous opposerez toujours aux événements, ainsi qu'aux détracteurs, la résignation du devoir et la dignité de la conduite. L'homme de la loi n'est point l'homme des passions. Celle même de la liberté ne pourra plus nous égarer ; nous n'avons plus besoin de son délire. Non, la République française ne disparaîtra point à la voix de quelques esclaves indignes d'être libres, ni de ces artisans de révolution, qui ne savent calculer que les produits du crime, et que la loi protège encore, lorsque leur conscience les tourmente et les trahit. Pion, la République française n'est plus à la portée de la génération présente, elle appartient à l'avenir, elle a vieilli dans les dangers, elle s'est fortifiée dans ses racines et étendue dans ses rameaux. L'essai même qu'elle fait aujourd'hui de ses forces, ces inquiétudes respectives, ces observations de soupçons et d'alarmes, toute cette agitation qui présage un événement sinistre, n'aura servi qu'à nous en garantir ; chaque pouvoir restera dans sa place ; et si quelques foin-mes ont essayé d'étendre ou de changer celle où la constitution les a mis, ils y seront reportés, ils y seront fixés par le choc même qui pouvait les ébranler. Représentants du peuple, vous avez marqué du sceau de la République la barrière où devait s'arrêter la force armée. Le délit était réel, les circonstances en aggravaient let aperçus. Croyons et pardonnons à l'erreur, elle est désormais impossible : mais elle ne sont point perdues pour la nation, ces grandes circonstances où vous devez lui rendre compte de sa situation politique : c'est alors que le recueillement de la prudence est le genre de courage qui vous est personnel ; c'est alors que vos opinions, élevées au rang des lois, prennent d'avance le caractère majestueux de la raison et de la liberté. Vous, citoyens soldats, vous qu'il faut censurer aujourd'hui, mais qu'il faut admirer toujours ; vous, les défenseurs et les garants de la liberté, croyez qu'elle a des amis aussi passionnés que vous dans cette enceinte ; croyez que nous saurons la conserver par les lois, comme vous l'avez assurée par les armes ; croyez que les ennemis de la République sont ceux qui vous ont condamnés au malheur d'en douter, à l'injustice de verser sur la majorité de vos concitoyens le soupçon outrageant d'une opinion honteuse et criminelle. Le Corps-Législatif est la citadelle de la Constitution ; vous voulez mourir pour elle, et vous alliez l'assiéger. Ah plutôt qu'elle nous serve à tous de rempart et d'asile. C'est là que vos pères, vos compatriotes et vos amis ont déposé la République ; c'est là que vous la retrouverez glorieuse de vos triomphes et cimentée par votre sang. |