AUGEREAU, Bernadotte et Talleyrand, chacun à sa manière, rendirent compte au général Bonaparte de la journée du 18 fructidor : il l'approuva d'abord. Leurs lettres sont un complément nécessaire à l'histoire de cette époque. Augereau à Bonaparte. 18 fructidor an V. Enfin, mon général, ma mission est remplie, et les promesses de l'armée d'Italie ont été acquittées cette nuit. Je voudrais vous donner des détails ; mais je n'en ai pas le temps : je ne vous donne que le résultat. Il est d'autant plus satisfaisant, qu'il n'a pas coûté une seule goutte de sang. Chaque jour, chaque instant fournissaient des preuves matérielles, des projets hostiles de la faction conspiratrice ; et enfin le Directoire, frappé de la multitude des preuves, et peut-être effrayé de l'audace de ces criminels conjurés, s'est déterminé à un coup de vigueur. Le moment était encore incertain, les préparatifs incomplets : la crainte d'être prévenu a précipité ces mesures. A minuit, j'ai envoyé l'ordre à toutes les troupes de se mettre en marche sur tous les points désignés. Avant le jour, tous les ponts et les principales places étaient occupés avec du canon. A la pointe du jour, les salles des Conseils étaient cernées, les grenadiers du Corps-Législatif fraternisaient avec mes troupes, et les membres dont vous verrez la liste ci-après étaient arrêtés et conduits au Temple. On est à la poursuite d'un plus grand nombre ; Carnot a disparu. Paris est calme et émerveillé d'une crise qui s'annonçait terrible, et qui s'est passée comme une fête. Le patriote robuste des faubourgs proclame le salut de la République, et les collets noirs sont sous terre. Maintenant c'est à la sage énergie du Directoire et des patriotes des deux Conseils à faire le reste. Le local des séances est changé, et les premières opérations promettent le bien. Cet événement est un grand pas vers la paix : c'est à vous à franchir l'espace qui nous en tient encore éloignés. Dans une lettre du 24, le général Augereau écrivait à Bonaparte que son aide de camp de Vérine, l'informerait de toutes les circonstances ; que l'aide de camp Lavalette s'était mal conduit envers les patriotes. Le général ambassadeur Clarke est rappelé. Parmi les mille motifs, on peut compter sa correspondance avec Carnot, qui m'a été communiquée, et dans laquelle il traitait de brigands les généraux de l'armée d'Italie. Moreau vient de faire passer au Directoire une lettre qui jette un nouveau jour sur la trahison di Pichegru. Tant de noirceur n'est pas concevable. Le gouvernement persévère et se soutient dans les mesures salutaires qu'il a adoptées. J'espère que c'est en vain que les débris des factieux essaieraient de renouer leurs trames. Les patriotes resteront unis. De nouvelles troupes ayant été appelées à Paris, et ma présence à leur tête étant jugée indispensable par le gouvernement, je n'aurai pas la satisfaction de venir auprès de vous aussitôt que l'espérais. Cela m'a décidé à faire venir mes chevaux et mes équipages que j'avais laissés à Milan Talleyrand à Bonaparte. 22 fructidor. Il lui transmettait les détails relatifs au 18 fructidor, parce que la perfidie pourrait chercher à les dénaturer. Vous lirez dans les proclamations qu'une conspiration véritable et toute au profit de la royauté se tramait depuis longtemps contre la Constitution : déjà même elle ne se déguisait plus ; elle était visible aux yeux des plus indifférents. Le mot patriote était devenu une injure, toutes les institutions républicaines étaient avilies ; les ennemis les plus irréconciliables de la France accouraient en foule dans son sein, y étaient accueillis, honorés. Un fanatisme hypocrite nous avait transportés tout-à-coup au seizième siècle. La division était au Directoire ; dans le Corps-Législatif siégeaient des hommes véritablement élus d'après les instructions du prétendant, et dont toutes les motions respiraient le royalisme. Le Directoire, fort de toutes ces circonstances, a fait saisir les conjurés. Pour confondre à la fois et les espérances et les calomnies de tous ceux qui auraient tant désiré ou qui méditeraient encore la ruine de cette Constitution, une mort prompte a été prononcée, dès le premier jour, contre quiconque rappellerait la royauté, la Constitution de 93 ou d'Orléans. Le reste de la lettre ne contenait que des déclamations et des arguments pour prouver qu'on avait sauvé la Constitution en la violant. Le ton de la lettre semblait annoncer la crainte que Bonaparte n'improuvât la journée du 18 fructidor. Bernadotte à Bonaparte. 14 fructidor. Les députés arrêtés sont partis pour Rochefort, où ils doivent être embarqués pour être jetés dans l'île de Madagascar. Paris est tranquille. Le peuple a appris l'arrestation des députés, d'abord avec indifférence. Un esprit de curiosité l'a bientôt attiré dans les rues, l'enthousiasme a suivi, et l'air qui, depuis longtemps, n'avait pas retenti des cris de vive la République ! en a été frappé dans toutes les rues. Les départements voisins ont témoigné leur mécontentement, celui de l'Allier a protesté, dit-on ; mais il sera cinglé d'importance. Huit mille hommes arrivent dans les environs de Paris ; une partie est déjà dans la banlieue, sous les ordres du général Lemoine. Le gouvernement a dans ce moment à sa disposition la possibilité de remonter l'esprit public ; mais tout le monde sent qu'il faut qu'il s'entoure de républicains probes et énergiques. Malheureusement une foule d'hommes sans talents et sans moyens croient déjà que le mouvement n'a été que pour eux ; le temps est propre à tout remettre. Les armées ont repris de la consistance ; les militaires de l'intérieur sont considérés ou du moins craints. Les émigrés les fuient, et les prêtres insermentés se cachent. Jamais circonstance ne fut plus heureuse pour consolider la République : si elle n'est pas saisie, nous sommes menacés d'être forcés de faire un nouveau mouvement après les prochaines élections. Le Corps-Législatif a accordé au Directoire un grand degré de puissance. Quelques hommes pensent qu'il ferait beaucoup mieux de s'ajourner pour un temps déterminé, en laissant au Directoire le soin de faire marcher la Constitution jusqu'à telle ou telle époque : on n'est pas d'accord là-dessus ; néanmoins le Directoire et le Corps-Législatif sont unis. Il reste cependant, et ceci n'est pas douteux, un parti dans les deux Conseils, qui n'aime pas la République, et qui fera tout pour la perdre, aussitôt que son premier mouvement de terreur sera passé. Le gouvernement le sait ; il prendra vraisemblablement des mesures pour l'éviter, et mettre par là les patriotes à l'abri d'une nouvelle persécution. Bonaparte au Directoire. 26 fructidor. Ci-joint une proclamation à l'armée, relativement aux événements du 18. J'ai fait partir pour Lyon la 45e demi-brigade commandée par le général Bora, et une cinquantaine d'hommes à cheval ; le général Lannes, avec la 20e d'infanterie légère et la 9e de ligne pour Marseille ; dans les départements du Midi, la proclamation ci-jointe. Je vais également m'occuper d'une proclamation pour les habitants de Lyon, dès que je saurai à peu près ce qui s'y sera passé. Dès l'instant que j'apprendrai qu'il y a le moindre trouble, je m'y porterai avec rapidité. Comptez que vous avez ici cent mille hommes qui seuls sauraient faire respecter les mesures que vous prendrez pour asseoir la liberté sur des bases solides. Qu'importe que nous remportions des victoires, si nous sommes honnis dans notre patrie ? On peut dire de Paris ce que Cassius disait de Rome : Qu'importe qu'on l'appelle reine, lorsqu'elle est sur les bords de la Seine l'esclave de l'or de Pitt ? Augereau à Bonaparte. 30 fructidor. L'esprit public gagne de jour en jour, et promet, par la sagesse des Français, un avenir heureux, et bannit toute crainte de rechute, quoique le royalisme n'ait pas perdu toute espérance. Il y a déjà longtemps que je n'ai reçu de vos nouvelles. Vous m'aviez fait espérer que j'en aurais sous peu de jours, et que le premier courrier m'apporterait l'ordre de toucher les fonds. Je suis dans l'attente de l'un et de l'autre, car je suis obligé de me servir de beaucoup de personnes, et d'employer de grands moyens pour être au courant de tout. Veuillez, citoyen général, être persuadé qu'à quelque prix que ce soit, je surmonterai les obstacles et parviendrai au but proposé d'assurer la République et de la faire respecter dans l'intérieur par des moyens constitutionnels. Donnez-moi de vos nouvelles, tenez vos promesses, et je me charge de ce qu'il y a à faire. Talleyrand à Bonaparte. 30 fructidor. Nous comptons répandre des écrits où il paraîtra clairement que les cours de Vienne et de Londres étaient d'accord tout-à-fait avec la faction qui vient d'être abattue chez nous. On verra à quel point les négociations de ces deux cours et les mouvements de l'intérieur allaient ensemble. Les membres de Clichy et le cabinet de l'empereur avaient pour objet commun et manifeste le rétablissement d'un roi en France, et une paix honteuse par laquelle l'Italie devait être rendue à ses anciens maîtres. |