LE procès de Desoteux, se disant baron de Cormatin, faisait quelque sensation dans le public. Cet intrigant, après avoir servi aux États-Unis dans la guerre de l'indépendance, embrassé chaudement la Révolution, et ensuite émigré, avait joué un rôle dans la guerre des chouans et dans la négociation de la paix plâtrée qu'ils avaient conclue. Accusé ensuite de l'avoir enfreinte, il fut arrêté par ordre du général Hoche, et traduit à Paris avec six complices, pour y être jugé par une commission militaire. Il écrivit au Conseil des Cinq-Cents pour réclamer le bénéfice de l'amnistie, ou au moins son renvoi devant les tribunaux ordinaires, et la faculté de citer en justice plusieurs ex-conventionnels, membres du Conseil. On lui accorda cette faculté, et on rejeta ses autres demandes. Devant la commission militaire, il proposa son déclinatoire, et fit une protestation insolente. Aidé d'une troupe de conseils et d'avocats, il embarrassait ses juges dans un dédale de chicanes. Le président de la Commission en référa au Conseil, qui passa une seconde fois à l'ordre du jour, car ce n'était point un objet de sa compétence. Cormatin répéta pour sa justification une assertion fort étrange, déjà contenue dans un Mémoire imprimé, publié par des chefs de chouans. Ils prétendaient que c'était le Comité de salut public qui n'avait pas tenu la condition secrète du traité, par laquelle il s'était engagé à rétablir la royauté, et à envoyer les deux enfants de Louis XVI dans là Vendée. Ils rapportaient la soi-disant copie d'une lettre du Comité, signée Tallien, écrite en style de cuisine. Ils soutenaient qu'en prairial an III ils avaient envoyé une députation au Comité pour réclamer le fils du roi, et que quelques jours après le retour de cette députation arriva la mort de cet enfant, bientôt suivie de celle du chirurgien Dussault, qui avait fait le rapport de l'ouverture du corps. Toute grossière qu'elle était, cette fable trouvait cependant des esprits assez crédules pour y ajouter foi, et, en la répétant avec une impudence sans égale, Cormatin se donnait quelque importance. Le Journal des hommes libres, organe des anarchistes, et le Messager du soir, écho des royalistes, ne formaient pas de doute que le Comité de salut public n'eût voulu rétablir la royauté, et ils en concluaient que le récit des chouans pouvait bien être conforme à la vérité. Que Tallien, dans la Convention, eût offert ses services au royalisme, ou prêté l'oreille à ses propositions, c'était un fait assez clair ; mais que le Comité de salut public eût jamais trahi à ce point ses devoirs, sa mission, et poussé l'audace jusqu'à traiter par écrit du rétablissement de la royauté, c'était une supposition trop absurde, pour qu'aucun homme sensé pût un seul instant y croire. Roux, Doulcet, Pontécoulant, Treillard et Tallien nièrent l'existence de la prétendue lettre dont on rapportait la copie. Cormatin fut condamné à la déportation, comme ayant enfreint l'acte de pacification passé à Lajaunais. |