MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME SECOND. — LE DIRECTOIRE

 

CHAPITRE IV. — ÉCHANGE DE LA FILLE DE LOUIS XVI.

 

 

LE Directoire négocia l'échange de la fille de Louis XVI contre les députés Quinette, Bancal, Lamarque, Camus et le ministre Beurnonville, livrés par le général Dumouriez à l'Autriche, le député Drouet, fait prisonnier à l'armée du Nord, Maret et Sémonville, arrêtés par cette puissance au mépris du droit des gens. La princesse partit le 28 frimaire. Le ministre de l'intérieur alla la prendre au Temple, et la conduisit à son hôtel où l'attendaient des voitures de voyage et les personnes qui devaient l'accompagner.

A leur retour à Paris, les prisonniers se présentèrent aux Conseils, et y reçurent les plus grandes marques d'intérêt. Les députés se pressaient en foule autour d'eux. La pâleur de ces victimes de la liberté déposait de leurs souffrances. Les présidents leur exprimèrent la satisfaction qu'éprouvaient les représentants de la nation, en revoyant au sein de leur patrie des députés qui en avaient été arrachés par la trahison, et leur donnèrent l'accolade fraternelle. Ils firent dans la suite un rapport, qui fut imprimé, sur leur captivité et les mauvais traitements qu'on leur avait fait subir dans les forteresses autrichiennes où on les avait tenus renfermés.

Cet échange donna lieu à un incident relativement au comte Carletti, ministre du grand-duc de Toscane, le premier de tous les agents diplomatiques qui avait été accrédité auprès de la République, et que j'avais reçu étant président de la Convention. Il s'avisa d'écrire au ministre de l'intérieur (8 frimaire an IV) qu'apprenant que la fille de Louis XVI allait partir, comme seul ministre étranger qui représentait un souverain son parent, il croyait que, s'il ne cherchait pas à faire une visite de compliment à l'illustre prisonnière, en présence dé tous ceux qu'on jugerait à propos, il s'exposerait à des reproches et à des tracasseries, d'autant plus qu'on pourrait supposer que ses opinions politiques lui auraient suggéré de se dispenser de ce devoir.

Le Directoire arrêta, pour toute réponse à la demande du comte Carletti, qu'à compter de ce jour toute communication officielle cesserait entre lui et le gouvernement français, et chargea son ministre en Toscane d'assurer le grand-duc que la démarche du Directoire était entièrement personnelle à M. Carletti, et ne devait altérer en rien l'union et la bonne intelligence qui existaient entre les deux gouvernements.

Les uns trouvèrent le procédé du Directoire trop sévère ; d'autres crurent qu'il avait saisi cette occasion pour se débarrasser d'un agent diplomatique dont la conduite inspirait peu de confiance. Depuis son arrivée en France, il avait hautement affiché un républicanisme exagéré qui contrastait avec le caractère dont il était revêtu, et qui, bien loin de lui attirer la confiance des patriotes et du gouvernement, avait fini par le leur rendre suspect de n'emprunter ce masque que pour mieux servir les vues de l'Autriche, toujours en guerre avec la République.

Le comte Carletti fut rappelé par sa cour et remplacé par Neri Corsini qui dit, en se présentant au Directoire : Quant à la démarche faite par mon prédécesseur, démarche que le grand-duc avait jugée depuis longtemps incompétente en elle-même et contraire aux instructions qu'il lui avait données, le désaveu formel que mon gouvernement en a fait et l'empressement qu'il a mis à m'envoyer près de vous sont une marque éclatante de la considération qu'il a pour la République et la nation française.