IL s'agissait de savoir qui nommerait, jusqu'aux élections prochaines, aux places vacantes dans les tribunaux, les justices de paix et les municipalités. Partant du principe que la Convention avait, par prudence, interdit pendant l'an IV la convocation des Assemblées primaires et électorales, le rapporteur Treilhard proposa de confier ces nominations au Directoire. La discussion fut longue, solennelle et animée ; sans être cependant tumultueuse. Je m'opposai fortement à ce qu'on fit nommer des juges par le pouvoir exécutif ; il me semblait préférable que, par analogie avec une disposition relative aux administrations, on donnât aux tribunaux la faculté de se compléter eux-mêmes ; et quant aux administrations municipales, je ne voyais aucun obstacle dans les lois transitoires, ni aucun danger pour la tranquillité publique, à ce que les Assemblées primaires fussent convoquées isolément, pour nommer aux places vacantes des municipaux et des juges de paix. Par une sorte de transaction, on donna au Directoire le pouvoir de nommer provisoirement, et jusqu'aux élections prochaines, les juges des tribunaux civils, à la charge de les choisir parmi les citoyens qui, depuis la révolution, avaient exercé des fonctions publiques à la nomination du peuple. Les mêmes hommes qui, à la Convention, lorsqu'on discutait la Constitution, s'étaient montrés les plus disposés à restreindre les prérogatives du pouvoir exécutif, auraient volontiers, pour les étendre, rompu toutes les barrières qu'ils avaient eux-mêmes posées. Ils avaient alors plus de confiance. dans le Directoire que dans les Assemblées du peuple, et ils faisaient céder les principes constitutionnels à des craintes exagérées par l'esprit de parti. Leurs orateurs et leurs journalistes représentaient ceux qui invoquaient le plus la Constitution comme des ennemis qui voulaient la renverser. Ainsi, à les entendre, moins on l'observait, plus on lui montrait d'attachement. Louvet, qui, avec des intentions droites, était souvent égaré par une extrême irritabilité, comparant la Constitution à une citadelle, imprimait dans son journal la Sentinelle que ce n'était pas la détruire que d'en enlever le pavé. C'était une véritable confusion : c'était, en d'autres termes, prolonger l'arbitraire révolutionnaire ; et parce que les royalistes lui préféraient, comme de raison, les garanties constitutionnelles, ce n'était pourtant pas un motif pour les proscrire ou les suspendre. J'avais toujours pensé que, dans l'état de nos mœurs, les serments étaient une garantie illusoire de la fidélité aux engagements ou aux devoirs, et n'étaient propres qu'à faire le plus souvent des parjures. J'avais eu déjà l'occasion de professer cette. opinion à la Convention. On proposa au Conseil une résolution portant que l'anniversaire du 21 janvier serait célébré, et que ce jour-là les membres des deux conseils prêteraient le serment de haine à la royauté. On croyait, par ce moyen, forcer les députés du nouveau tiers à se lier à la République, ou, pour mieux dire, on voulait les embarrasser, et leur jouer un mauvais tour. Je combattis cette proposition : je fus vivement appuyé : cependant la résolution fut adoptée ; le Conseil des Anciens l'approuva. La fête eut lieu au Champ-de-Mars, en présence du Directoire et de toutes les autorités civiles et militaires. Reubell y prononça un discours. Dans chacun des Conseils, le président en prononça un aussi. Tous les députés, même les royalistes, jurèrent haine à la royauté ; seulement quelques-uns d'entre eux voulurent faire des additions au serment, comme pour soulager leur conscience qui s'en trouvait un peu chargée. Ainsi André, aux Cinq-Cents, ajouta et à toute espèce de tyrannie. Le Conseil ordonna qu'on s'en tiendrait littéralement à la formule prescrite par la loi. Au Conseil des Anciens, Dupont de Nemours, qui avait la vivacité d'un jeune homme et l'humeur caustique, ajouta, et résistance intrépide à toute espèce de tyrans, quels que soient leur nombre et leur puissance. Il y eut sans contredit plus d'un serment jésuitique, avec restriction mentale ; en un mot de faux serments. Parmi les fonctionnaires publics dans les départements où la fête fut aussi célébrée ; il s'en trouva, quoiqu'en petit nombre, quelques-uns du moins qui eurent plus de courage que les représentants, et qui refusèrent le serment. Le Directoire demanda par un message comment on devait procéder envers eux. Le Conseil prit une résolution portant que nul fonctionnaire ne pouvait entrer en fonctions sans avoir prêté le serment, et que ceux qui exerceraient sans l'avoir prêté seraient condamnés à la déportation. C'était à peu, près le pendant du serment à la Constitution civile du clergé, les fonctionnaires assermentés et les réfractaires : heureusement ces derniers, peu nombreux, n'étaient pas des fanatiques ; ils se soumirent, et personne née passionna pour eux. |