Conduite de Bayart à Grenoble, durant la peste. - Il détruit une horde de brigands qui infestait le Dauphiné. - Revue de sa compagnie. 1522-1523.Le Bon Chevalier repassa les monts, et se rendit à Grenoble où il trouva l'occasion de déployer un genre de courage, peut-être le moins commun. Cette ville était en proie à la peste qu'aggravait la famine. Bayart, se hâta de prendre les mesurés les plus sages et les plus efficaces, et veilla lui-même à leur exécution, avec cette charité et cet amour des malheureux, qui complétait ses vertus. Suivi des médecins et des chirurgiens, il parcourait la ville, entrait dans les maisons infectées de la contagion, faisant distribuer des médicaments et des secours aux malades, sans plus s'inquiéter de la peste que d'un autre danger. Tant qu'elle dura, il nourrit chaque jour un grand nombre de pauvres, fit soigner à ses dépens les pestiférés dans les hospices, et alla chercher des malheureux jusque dans les villages circonvoisins. Le Bon Chevalier, si digne de ce nom, dépensa dans l'espace de quelques mois plus de sept cents écus d'or, en charités. Grâce à son dévouement, ses soins et ses libéralités, Grenoble fut délivrée en peu de temps d'un fléau dont elle n'avait que trop souvent éprouvé les ravages. Au mois d'avril suivant, quelques compagnies de Gascons et d'Ecossais, laissées à la garde de la citadelle de Milan, perdant après seize mois tout espoir d'être secourues, traitèrent avec François Sforza, et lui livrèrent la place, quoiqu'elles eussent encore des vivres en abondance. On soupçonna vivement le président Paterin et quelques autres gens de robe réfugiés dans le château, d'avoir été les promoteurs de cette capitulation. Les soldats en rejetèrent le blâme, sur leur capitaine Mascaron, qu'ils accusaient d'avoir trafiqué des approvisionnements. Irrité d'une perte aussi préjudiciable à ses projets, le Roi ordonna à Bayart de les arrêter tous à leur rentrée aux frontières. Jean Paterin fut détenu à La-Tour-du-Pin, les autres à Grenoble, jusqu'à ce que, François eût envoyé ordre à son lieutenant-général de les faire conduire à Paris. On instruisit leur procès ; mais, faute de preuves, ils s'en tirèrent impunément. Le Bon Chevalier s'occupait à dénombrer et à passer en revue les Dauphinois en état de porter les armes, pour les employer, en cas de besoin, à la défense des frontières, lorsqu'un ennemi domestique vint menacer la tranquillité de la province. Il s'était formé dans le Poitou et le Bourbonnais des bandes de brigands qui ne tardèrent pas à se grossir et à porter la désolation dans le reste du royaume. Sous la conduite de Mocton, leur Roi, c'est ainsi qu'ils nommaient leur chef, ils s'étaient plusieurs fois avancés sur les bords du Rhône, et, retenus par la crainte de Bayait, ils n'avaient osé le traverser. A la fin, quinze cents des plus déterminés de ces misérables passèrent dans le Viennois où il n'y eut point de forfaits qu'ils ne commirent. Bayart accourut, à peine suivi d'une vingtaine de ses gens d'armes et de quelques milices dauphinoises, et les mit en fuite au seul bruit de sa marche. Mocton et ses compagnons, épars dans les montagnes du Dauphiné, se réfugièrent vainement de rocher en rocher ; le Bon Chevalier brava leurs flèches et leur désespoir. La tradition rapporte qu'il ne dédaigna point de croiser le fer avec leur chef, et que Mocton n'évite le glaive de Rient que pour aller, par.delà le Rhône, tomber sous celui du connétable de Bourbon. La valeur et la sagesse de son gouverneur éloignèrent ainsi d'une province deux fléaux aussi redoutables que la peste et les brigands. La tranquillité était rétablie en Dauphiné, et le Bon Chevalier restait dans une inaction que ses services n'avaient point méritée. Tous ses anciens compagnons guerroyaient en Flandre et en Picardie ; sen lieutenant Pierrepont, devenir celui du duc de Lorraine, venait de se couvrir de gloire aux environs de Térouenne, et Bayart seul se voyait oublié au fond de sa province. La renommée qu'il avait acquise au siège de Mézières avait offusqué les courtisans, et ils le prirent en haine parce que l'on disait plus de bien de lui que d'eux tous, La franchise du Bon Chevalier n'avait point raccommodé ses affaires ; en maintes occasions il s'était permis d'avoir raison contre ces capitaines de fraîche date. Il se résolut à écrire au Roi ; et à se plaindre noblement à lui de l'oisiveté où il était délaissé. François Ier, au-dessus des injustes préventions de ses favoris, répondit à Bayart la lettré la plus flatteuse et la plus amicale. Il lui promit qu'il na tarderait pas à mettre à profit sa bonne volonté, et l'assura qu'il aurait toujours son bon maître dans celui qu'il avait fait chevalier de sa main[1]. Mais, comme l'avait prédit l'astrologue de Carpi, les envieux empêchèrent toujours ce prince d'élever Bayart aria honneurs qu'il avait mérités. Au mois de septembre de l'an 1523, François Ier se disposait à reconquérir en personne le Milanais que ses généraux lui avaient perdu, lorsque l'évasion du second prince du sang vint troubler son royaume et rompre tontes ses Mesures& Charles de Bourbon en avait été réduit, par les injustices et les persécutions dé la cour, à oublier le sang qui coulait dans ses veines, et à se jeter aux bras de l'Empereur. Ces dissensions domestiques rendaient l'absence du Roi trop dangereuse ; il confia le commandement de son armée à Guillaume de Gouffier, seigneur de Bonnivet, amiral de France. Ce jeune compagnon de ses plaisirs n'avait d'autre titre à cette préférence que la haine qu'il portait à Bourbon ; elle ne lui tint pas lieu de talent. A la tête d'une armée de quarante mille hommes, ce général traverse le Tésin, avant que les confédérés eussent pensé à rassembler leurs troupes. Il n'avait qu'à profiter du moment pour marcher sur Milan, où régnaient le tumulte et la consternation ; mais Bonnivet se piqua d'ut' temporise-ment hors de propos, et donna le loisir à Prospero Colonna de rassurer les esprits, et de mettre la ville en état de résistance. Le Roi, fidèle à la promesse qu'il avait faite au Bon Chevalier, l'avait placé à l'avant-garde de l'armée, et, dès l'ouverture de la campagne, il se trouvait à Cassano, non loin de Milan. Bayart n'avait pas vu sans déplaisir, le Roi se faire remplacer par Bonnivet, tandis qu'il gardait en France et La Palice et La Trémouille ; mais il n'était pas du nombre de ceux qui trouvent dans leur mécontentement un sujet de négliger leurs devoirs. C'était la première campagne qu'il faisait sous ses propres enseignes, et déjà sa compagnie de cent lances fournies et de deux cents archers, était plus que doublée par le nombre des volontaires[2]. Ses compatriotes n'avaient cédé aucune place aux étrangers, et s'étaient tous Serrés autour du Bon Chevalier. Il suffira de nommer quelques hommes d'armes et archers de sa compagnie, pour rappeler les noms les plus illustres du Dauphiné : Boutières, Germain d'Urre, Jacques de Monteynard, Anthoine de Clermont, le baron de Sassenage, Sébastien de Vesc, Anthoine et Balthezar de Beaumont, Claude de Loras, Jehan de Montbrun., Georges de Cordon, Claude de Chaponney, le Bâtard du Guast, Claude de Boczosel. |
[1] Et ut plane intelligatur in quanta existimatione Franciscus Bayardum habuerit, subjungam ipsius Regis epistolam quam a vernaculo gallico latinam feci..... Et semper compertum habebis hominem armorum quem tua manu fecisti, ita bono corde valebit quod non erit tibi dedecori et vale. Scriptum Parisis decima nona decembris. Franciscus, Amanuensis, Brito. (RIVALLII, folio 356.)
[2] Cette compagnie estoit si belle tant qu'il vescut, qu'il y avoit toujours près de quinze cens chevaux. (D'EXPILLY, Suppl. à l'Histoire de Bayart, Grenoble, 1650, in-8°, p. 468.)