Présence d'esprit de Bayart à la journée des Éperons. - Jugement de l'empereur Maximilien. 1513.La mort du pape Jules, cet ennemi irréconciliable des Français, vint donner à Louis XII quelque espoir de recouvrer son duché de Milan. Ce pontife fut surpris par la mort le 21 février 1513, lorsqu'il se préparait de nouveau à bouleverser l'Italie, dont il avait rêvé la suprême dictature. Il réunissait la plupart des qualités qui font les grands princes ; mais il fut déplacé dans la chaire de saint Pierre, et il apprit à mépriser une autorité dont il avait abusé. Le cardinal Jean de Médicis lui succéda sous le nom de Léon X. Ce nouveau Pape annonça les intentions les plus conciliantes, mais en remettant au 12 avril son entrée solennelle dans l'église de Saint-Jean-de-Latran, il avertit Louis XII qu'il n'avait point oublié la journée de Ravennes. Cependant le provéditeur André de Gritti, mettant sa captivité à profit, venait de signer à Blois un traité aussi favorable à la France qu'à la République. Louis, assuré de la coopération des Vénitiens, fit passer les Alpes à une puissante armée, sous les ordres du célèbre Louis de La Trémouille. Soumettant toute la Lombardie au seul bruit de sa marche, il renferma Maximilien Sforza dans Novarre, et tout semblait annoncer que le fils éprouverait le même sort que le père. Mais douze mille Suisses, ayant bu chacun un coup, sortirent après minuit de la ville, et avant que La Trémouille eût pu ranger sa gendarmerie en bataille, ils s'emparèrent de son artillerie, massacrèrent ses gens de pied, et mirent ses troupes en déroute. Les débris de l'armée française repassèrent les Alpes de nouveau, a à duché de Milan demeura à Maximilien Sforza, ou plutôt aux Suisses, ses braves mais incommodes alliés. Mais pendant que Louis XII perdait l'espoir dé recouvrer ses conquêtes, il se formait à Malines, sous les auspices du Pape, une ligne qui menaçait ses propres États d'un envahissement général. Léon X avait trouvé dans Henri VIII un allié tel qu'il lui en fallait pour donner de l'occupation au roi de France et l'empêcher de reporter ses armes en. Italie. Le 17 juin 1513, ce prince débarqua à Calais a précédé du comte de Shrewsbury, qui sur-le-champ investit Térouenne, à la tête d'un corps de troupes formidable. Cette place bonne et bien fortifiée était défendue.par deux braves capitaines, les seigneurs de Téligny et de Pontdormy. Outre leurs compagnies, ils avaient quelques aventuriers français et une bande de lansquenets, sous la' charge du capitaine Brand. Une semblable garnison était en état de soutenir un long siège, si elle eût eu des vivres et des munitions. Mais ordinairement en France on ne fait volontiers provisions de saison ni de raisons. Pendant que le comte de Shrewsbury canonnait cette place, le roi d'Angleterre vint de Calais rejoindre son armée, et il ne tint pas à Bayart qu'il ne tombât entre les mains des Français. Ce prince n'avait avec lui que huit mille fantassins anglais et quatre mille lansquenets, sans un seul homme de cheval, lorsqu'il fut rencontré au village de Tournehem par les Français au nombre de douze cents hommes d'armes, sans un seul fantassin. Les deux troupes s'approchèrent à une portée de canon l'une de l'autre. Henri VIII, saisi de frayeur, mit pied à terre et courut se placer au milieu de ses Anglais. Bayart voulait à toute force profiter de la bonne volonté des gendarmes et charger les ennemis. Il répéta plusieurs fois au seigneur de Piennes : Chargeons-les, Monseigneur, nous ne courons aucuns risques ; si nous les ouvrons à la première charge, ils sont rompus et défaits ; si nous sommes repoussés, nous nous retirerons sans danger, ils sont tous à pied et nous à cheval. Mais de Piennes, homme timide et inexpérimenté, auquel le Roi avait, par trop d'égards, laissé la conduite de cette guerre, en sa qualité de gouverneur de la province, lui répliqua toujours : Monseigneur de Bayart, j'ai ordre, sur ma vie, du Roi notre maître de ne rien hasarder, et seulement de garder le pays ; faites ce qu'il vous plaira, mais je n'y donnerai pas mon consentement. Il n'en put tirer autre réponse, et le roi d'Angleterre et ses gens de pied passèrent au nez des Français. Le Bon Chevalier, qui les voyait échapper à regret ne put davantage se contenir ; il fondit avec sa compagnie sur !arrière-garde, et lui fit si bien doubler le pas, qu'elfe abandonna une grosse pièce d'artillerie, nommée Saint-Jean, l'une des douze pièces du même calibre, que le roi d'Angleterre appelait ses douze Apôtres. Bayart la ramena au camp ; et en fit depuis hommage au Roi. Maximilien rejoignit, quelques jours après, Henri VIII, devant Térouenne, et donna l'étrange spectacle d'un empereur d'Allemagne à la solde d'un roi d'Angleterre. Leurs troupes réunies s'élevaient à cinquante-cinq mille hommes ; celles du roi de France ne dépassaient pas trente mille, et il n'était pas possible d'en augmenter le nombre sans dégarnir la Bourgogne menacée par les Suisses. Louis, quoique vivement tourmenté par la goutte, prit le parti de se faire transporter à Amiens, pour être plus à portée de diriger ses troupes. Cependant la garnison de Térouenne opposait la plus courageuse résistance, et le siège durait demis un mois, lorsque. Pontdormy envoya avertir le Roi que, s'il ne recevait des provisions, il serait réduit à mourir de faim ou à capituler avant trois jours. De Piennes reçut ordre de faire entrer des vivres dans Térouenne à quelque prix que ce fût. Un conseil de guerre fut assemblé au camp de Blangy. Les
uns furent d'avis de ravitailler Térouenne de nuit avec cinq cents hommes
d'armes ; les autres prétendirent qu'il le fallait tenter en plein jour, avec
huit cents au moins ; enfin chacun donna son opinion. Quand vint le tour de
Bayart, tous les capitaines prêtèrent attentivement l'oreille aux paroles d'un aussi renommé expérimentateur de guerres. — Messeigneurs, dit-il, je
trouve bien difficile d'avitailler une place assiégée sans combattre, ni
faire lever le siège, et je ne crois pas que vous le puissiez faire autrement
qu'en marchant à la tête de toutes nos troupes et en livrant bataille aux
ennemis. Mais si le Roi ne veut ainsi aventurer son royaume ni son armée, il
ne reste qu'à mander à ceux de Térouenne de faire honnête Composition avec le
roi d'Angleterre. — Certes, lui
répondit le seigneur de Piennes, voici, seigneur de Bayart, deux avis bien différents. Le
premier assurément digne de votre grand cœur, mais par trop hasardeux ; quant
au second, si un autre que Bayart l'eût ouvert, il semblerait provenir de couardise
; or, Messeigneurs, mon avis est qu'il faut tenir le moyen, ni trop ni peu. Il fut décidé que le capitaine de Fentrailles avec ses
Albanais, portant chacun sur le cou de son cheval un quartier de lard et un
sac de poudre, s'avanceraient jusque sous les murailles de Térouenne, et
jetteraient lard et poudre dans les fossés de la ville. Ils seraient suivis
jusque sur les hauteurs de Guinegâte par quatorze cents hommes qui les soutiendraient,
en cas d'attaque. Messeigneurs, dit le Bon
Chevalier, je ne douterais point de la réussite de ce
plan, si vous aviez affaire seulement aux Anglais et aux deux opiniâtres qui
gouvernent tout, l'aumônier et le grand-écuyer[1]. Mais l'empereur Maximilien est au camp avec quelques
preux hommes d'armes bourguignons et hennuyers, qui ne dorment jamais que d'un
œil ; je vous certifie qu'ils savent à l'heure même ce que nous venons de
décider, et que vous ne sauriez rien faire qu'ils n'en soient avertis. Ne pensez
pas que j'aie parlé tout à l'heure par outrecuidance téméraire ou pusillanimité
féminine ; je suis prit à faire tout ce qu'il plaira au Roi et au conseil
d'ordonner, et je vous jure que je serai bien pressé si je recule ; sur ce je
prie Dieu que notre entreprise soit heureuse. Les Albanais partirent pour exécuter leur commission, suivis, malgré les ordres du seigneur de Piennes, d'une foule de jeunes seigneurs qui s'étaient joints à eux par partie de plaisir. L'entreprise réussit à merveille, et les provisions furent recueillies par les assiégés. Mais le roi d'Angleterre, averti par ses espions trop tard pour s'opposer à l'expédition des Français, les attendait à leur retour. Il posta derrière une collige, où ils étaient forcés de repasser, dix mille archers anglais, cinq à six mille lansquenets et dix pièces d'artillerie, puis il envoya ses hommes d'armes les attaquer de front. De Piennes s'efforçait de presser la retraite, mais les jeunes seigneurs ne daignaient pas l'écouter ; la plupart ôtèrent leurs casques à cause de la chaleur, montèrent sur leurs chevaux de main, riant, buvant à la bouteille, sans songer à l'ennemi. La cavalerie anglaise et bourguignonne atteignit bientôt les Albanais qui, ayant reçu l'ordre précis de ne point combattre, se retirèrent à toute bride auprès de la gendarmerie. Les hommes d'armes se mirent en bataille aussi bien qu'il leur fut possible dans le désordre qui régnait parmi eux, et soutinrent quelque temps le choc des ennemis. Mais tout à coup ils aperçurent l'infanterie anglaise qui s'avança pour leur couper chemin, et, croyant avoir affaire à l'armée entière, ils se débandèrent soudain et s'enfuirent au grand galop. Le duc de Longueville essaya vainement de les rallier. La Palice avait beau leur crier de toutes ses forces : Tourne, homme d'armes ! tourne ! ce n'est rien ! ils n'en fuyaient que plus fort. Bientôt ces deux seigneurs furent entourés par les ennemis ; le duc de Longueville demeura prisonnier. Pour La Palice, comme un second Hector, il se débarrassa des mains de ceux qui l'avaient saisi, et courut à Blangy. Bayart, contraint, et à son grand regret, de tourner le dos comme les autres, faisait volte-face è chaque pas aveu son compatriote François de Sassenage et une quinzaine d'hommes d'armes restés autour de lui. Il rencontra sur son chemin un large fossé qui menait l'eau à un moulin du voisinage, et sur lequel se trouvait un petit pont fort droit, où deux hommes pouvaient à peint passer de front. Messeigneurs, dit-il à ses compagnons, arrêtons-nous ici, car nos ennemis ne sauraient d'une heure gagner ce pont sur nous. Vous, courez au camp, ajouta-t-il à l'un de ses archers, et avertissez monseigneur de La Palice que j'arrêterai bien ici les ennemis sur le cul au moins une demi-heure, et qu'il fasse, pendant ce temps, remettre nos gens en ordre ; car s'il prenait envie aux Bourguignons de pousser jusqu'au camp, ils auraient bon marché d'une troupe en pareil désarroi. L'archer courut à Blangy, laissant le Bon Chevalier prouver, à la garde de son pont, qu'il n'était donné qu'à lui d'égaler ses propres exploits. Les Bourguignons et les Hennuyers, surpris de se voir arrêtés en si beau chemin par une poignée de gens, redoublèrent d'efforts pour leur passer sur le ventre. Mais le Bon Chevalier profita si courageusement de la bonté de sa position, que les Français eurent tout le temps de se rallier à Blangy. Les ennemis, à la fin ennuyés de se voir ainsi faire la barbe, commencèrent à crier qu'on leur amenât quelques arquebusiers ; mais au même moment une grosse troupe des leurs venait de découvrir un peu plus bas le moulin où ils passèrent tout à leur aise. Le Bon Chevalier, se trouvant donc cerné de tous côtés, dit à ses gens : Messeigneurs, rendons-nous à ces gentilshommes, ils sont dix contre un, nos gens sont à trois lieues d'ici, nos chevaux recrus, et toute notre prouesse ne nous servirait de rien. Si nous attendons plus longtemps, les archers anglais arriveront et nous mettront tous en pièces, selon leur coutume. Comme il achevait ces mots, les ennemis fondirent sur eux en criant : Bourgogne ! Bourgogne ! et les Français, suivant l'avis de leur chef, se rendirent chacun aux plus apparents de la troupe. Pendant que les Bourguignons étaient occupés à recevoir leurs prisonniers, Bayart aperçut un gentilhomme de bonne mine, qui accablé de fatigue et de chaleur, avait quitté ses armes, s'était assis à l'ombre d'un arbre, et prenait le frais, sans daigner s'amuser aux prisonniers, Il piqua sen cheval droit à lui, et lui vint mettre Pipée sur la gorge en lui disant : Rends-toi, homme d'armes, ou tu es mort ! Le Bourguignon fut bien ébahi, car il croyait l'affaire terminée depuis longtemps. Toutefois il eut peur de mourir et lui répondit : Je me rends donc puisque je suis pris de cette sorte. Qui êtes vous ? — Je suis, répliqua-t-il, le capitaine Bayart, qui me rends moi-même à vous ; voici mon épée, et veuillez m'emmener avec vous, mais vous me feriez la grâce de me la rendre si nous trouvions en chemin des Anglais qui voulussent me tuer. Le gentilhomme lui en donna sa parole, et la précaution ne fut pas inutile, car en se rendant au camp il leur fallut à tous deux jouer des couteaux contre les archers anglais, qui pensaient tuer le Bon Chevalier, mais qui n'y gagnèrent rien. Bayart fut conduit par le Bourguignon dans sa tente, et en fut ou ne peut mieux traité. Mon gentilhomme, lui dit-il deux ou trois jours après, quelque bonne chère que vous me fassiez, rien de tel, comme l'on dit, que la maison. Je voudrais bien que vous me fissiez reconduire sûrement au camp du Roi mon maître, car je m'ennuie ici. — Comment ! dit l'autre ; nous ne sommes point encore convenus de votre rançon ! — Ni de la vôtre non plus, ajouta Bayart, car vous étier déjà mon prisonnier lorsque je me suis rendu à vous pour sauver ma vie, non autrement. Celui-ci bien étonné ne savait trop que répondre, et Bayart ajouta Mon gentilhomme, vous tiendrez votre parole, ou tôt ou tard je trouverai le moyen d'échapper, et de vous en demander raison les armes en main. Le Bourguignon n'en fut que plus embarrassé, car il avait assez ouï parler du capitaine Bayart pour ne pas se soucier d'avoir affaire à lui. C'était du reste un assez courtois chevalier, et il lui répondit : Monseigneur de Bayart, je ne veux que mon droit, et je m'en rapporterai à la décision des capitaines. Quelque précaution qu'eût prise Bayart pour n'être pas connu,
le bruit se répandit bientôt qu'il était prisonnier dans le camp[2], et il semblait,
à entendre les ennemis, que sa capture fût le gain d'une bataille. L'Empereur
l'envoya chercher, et quoiqu'il ne l'eût pas vu depuis longtemps, il le
reconnut aussitôt. Maximilien avait pris Bayart en grande amitié au site de
Padoue, et lui en avait donné plusieurs témoignages. Eh
! capitaine Bayart, lui dit-il d'un ton affable en l'apercevant, quel vent vous amène ici ? — Sire, le vent impérial de votre pays de Germanie : et il
m'a mieux dirigé que je ne pensais, su tue conduisant devant un prince dont
j'ai déjà éprouvé les bontés et la générosité. — Certes, capitaine, ce serait meilleur à dire, si vous
fussiez venu de votre plein gré et pour nous rendre seulement visite. Nous
avons fait autrefois la guerre ensemble, et je croyais me rappeler qu'on
disait en ce temps-là que Bayart ne fuyait jamais. — Sire, si j'eusse fui je ne serais pas ici. — Capitaine Bayart, mon ami, je n'en ai pas moins de joie à
vous voir, et plût à Dieu que j'eusse beaucoup d'hommes tels que vous ; avant
peu je me saurais bien venger des bons tours que le Roi votre maître m'a faits
par le passé. Le Bon Chevalier n'était pas homme à laisser rabaisser
en sa présence l'honneur du roi de France. Sire,
lui répliqua-t-il, il vous a été si fidèle allié que
de se mettre eu détresse pour vous ; il n'a pas tenu à lui, si je m'en
souviens, que vous ne vous rendissiez maître de Padoue. — C'est bien à vous de défendre le Roi votre prince ; mais,
capitaine, vous savez bien vous-même qu'es penser, et délaissons des sujets aussi
fâcheux. Sur ces entrefaites, arriva le roi d'Angleterre. Mon frère, lui dit Maximilien, connaissez-vous ce gentilhomme français ? — Nenni, dit Henri VIII, sur ma foi. — Certes, vous en avez pourtant assez entendu parler ; c'est le Français le plus renommé qui fut onc, la terreur des Italiens et des Espagnols. — Sire, répondit-il, alors ce n'est ni un rouan ni un grison[3], mais Bayart de France. — Vraiment, mon frère, vous êtes bon devin pour cette fois-ci. Le roi d'Angleterre prit Bayart par la main ; le Bon Chevalier voulait mettre un genou en terre, mais Henri ne le voulut souffrir, et l'embrassa comme s'il eût été un prince. La conversation tomba naturellement sur l'affaire de
Guinegâte ; Henri VIII disait qu'il n'avait jamais vu si bien jouer des
éperons, et l'Empereur et lui parlaient en termes assez méprisants des hommes
d'armes de France. Sur mon âme, dit le Bon
Chevalier, la gendarmerie française ne doit en être
aucunement blâmée, car elle avait reçu commandement exprès de ses capitaines
de ne point combattre. —Jamais ordre ne fut
mieux suivi, dit l'Empereur. Fuir ainsi
devant cinq cents hommes d'armes au plus, sans rendre le moindre combat,
n'est pas digne de l'intrépidité dont on fait parade ! chez vous,
ajouta le roi d'Angleterre. — Sire, répliqua Bayart, ces cinq cents hommes d'armes étaient soutenus par
dix-huit mille hommes de pied et de l'artillerie, et nous n'avions rien de
tout cela. Si c'était coutume à nos hommes d'armes de fuir, vous n'en
tireriez point tant de gloire aujourd'hui. Vous n'ignorez pas, hauts et puissants
seigneurs, que la noblesse de France est renommée par tout le monde, sans que
je veuille me mettre du nombre. — Vous,
Monseigneur de Bayart, dit le roi d'Angleterre, si tous les gentilshommes de France étaient vos
semblables, je crois que le siège que j'ai mis devant cette ville ne serait
bientôt levé. Mais, par bonheur, vous êtes notre prisonnier. — Sire, dit Bayart, je ne
suis qu'un prisonnier volontaire. L'Empereur ne put s'empêcher de rire
à ces paroles, en lui disant : Certes, capitaine, il
parait que vous aimez toujours à gaudir, sans épargner ni roi ni empereur.
— A Dieu ne plaise que d'aussi grands et nobles
princes je me voulusse gaudir, mais c'est la vérité, et je vous en fais juges. Ou fit appeler le gentilhomme dont il était à la fois le
vainqueur et le prisonnier. Bayart raconta en sa présence la manière dont
l'affaire s'était passée, et le Bourguignon n'eut autre chose à répondre sinon
: Le seigneur de Bayart a dit la vérité. Le
roi d'Angleterre et l'Empereur se regardèrent comme pour se consulter, et
Maximilien prononça qu'à son avis le capitaine Bayart
n'était point prisonnier, et que le gentilhomme serait plutôt le sien ;
toutefois, qu'en considération de la courtoisie qu'il lui avait faite, ils
demeureraient quittes l'un de l'autre, et que le capitaine pourrait s'en
aller quand bon semblerait au roi d'Angleterre. Henri VIII, le Salomon de l'Angleterre, se rendit à ce jugement ; mais il exigea que Bayart demeurât six semaines sur sa parole, sans porter les armes, en lui laissant la liberté d'aller visiter les villes de Flandre. Le Bon Chevalier remercia les deux princes de l'équité de leur décision, et se prépara à aller voir un pays dont on parlait dans toute l'Europe. Avant son départ, le Roi d'Angleterre lui fit secrètement proposer d'entrer à son service, en lui offrant les plus grands avantages ; mais il perdit sa peine, et n'en reçut que la même réponse qu'il avait faite jadis au pape Jules. Bayart alla prendre congé de l'Empereur qui l'assura qu'il eût lui-même payé sa rançon dans le cas où fleuri n'eût pas reconnu son bon droit. Connaissant l'amour du Bon Chevalier pour la chasse, Maximilien lui accorda la permission de chasser à trois lieues aux environs des résidences impériales[4]. Bayart partageait avec ses compatriotes la passion de cet exercice qui fut toujours l'amusement favori des nations belliqueuses. Après le passe-temps de se faire la guerre entre elle, la noblesse dauphinoise n'en connaissait pas de plus cher, que de la faire aux habitants des forêts, et toute la puissance des rois de France n'avait pu la restreindre dans la jouissance de ce dernier privilège de son antique indépendance. Le Bon Chevalier, quoiqu'il n'eût pas, de grands biens, s'arrangeait de telle sorte que personne ne tint jamais meilleure maison que lui. Tant qu'il fut sur les terres de l'Empereur, il traita somptueusement les Flamands et les Hennuyers, et, quoique le vin fût cher dans ce pays, il les renvoyait toujours en si bon état, que rien ne leur manquait que leur lit. Ils eussent bien désiré que cela eût duré davantage ; mais quand il eut achevé son temps, Bayart prit congé d'eux, et fut reconduit par tous les gentilshommes jusqu'à trois lieues du camp français. La ville de Térouenne n'ayant pu, faute de vivres, tenir davantage, venait de se rendre aux ennemis. Après neuf semaines d'un siège soutenu contre des forces formidables, et après avoir, obtenu une composition honorable, cette brave garnison sortit vies et bagues sauves, enseignes déployées et tambour battant. Mais la clause de la capitulation qui assurait aux habitants la conservation de leurs biens et de leurs maisons, fut mal observée. L'Empereur et le roi d'Angleterre, maîtres de Térouenne, ne pouvant s'accorder à qui des deux demeurerait cette conquête, s'accordèrent à la piller et à la détruire. |
[1] Le cardinal de Volsey et Charles Brandon, auquel Henri VIII venait de donner le titre de duc de Suffolk, dont il avait dépouillé le véritable duc de Suffolk, de la maison de La Pole, alors réfugié en France.
[2] Captorum ducum nomina mihi rex enumeravit..... Dominum etiam Bajartum, egregium bellorum magistrum. (PETRI MARTYRIS, Epistolarum opus, epist. 527, p. 288.)
[3] Champier fait ici jouer le roi d'Angleterre sur les trois mots : rouan, grison et bayard, qui signifiaient alors des chevaux de divers poils. Ces jeux de mots étaient fort à la mode dans ce siècle, comme le témoigne notre épigraphe.
[4] Pierre de Saint-Julien, Mélanges historiques et paradoxalles, Lyon, 1589, in-8°, p. 439.