Décadence des affaires françaises dans le royaume de Naples. - Faits d'armes de Bayait à la journée de Cerignola. 1503.La loyauté de Louis XII et la perfidie du roi d'Aragon, la témérité et la division des généraux français, et l'habileté de Gonsalve, changèrent rapidement la face des affaires dans le royaume de Naples. La défaite du maréchal d'Aubigny à Seminara fut le signal des revers plus éclatants encore que la fortune réservait aux Français. Nemours, par sa négligence, laissa Gonsalve échapper de Barletta où la famine et la peste allaient consommer sa ruine ; puis, reconnaissant sa faute, il se mit à sa poursuite à marches forcées. Il l'atteignit sur le soir au pied de Cerignola, où les Espagnols, mourant de soif et de fatigue, avaient prudemment assis leur camp. Les capitaines français, dont les troupes n'étaient pas moins harassées, furent d'avis, les uns de remettre l'attaque au lendemain, les autres de forcer sur-le-champ les ennemis. Louis d'Ars ; qui commandait l'avant-garde, insista sur l'heure avancée et la position' avantageuse des Espagnols, ajoutant que le délai de la nuit profiterait plus aux Français qu'à leurs adversaires, privés d'eau et de fourrages pour leurs chevaux. Ceux qui conseillent cela, dit le téméraire d'Alègre, n'en veulent pas manger ! — Dans l'occasion et à l'œuvre on connaîtra les bons ouvriers, lui répliqua froidement le sage capitaine d'Ars[1]. Pendant ces discussions la nuit approchait ; Yves
d'Alègre, voyant le duc de Nemours incliner à la prudence, s'emporta jusqu'à
taxer ce prince de lâcheté. Le fier d'Armagnac sentit bouillonner dans ses
veines le sang de Clovis. Eh bien ! s'écria-t-il hors de lui, vous aurez la bataille,
puisque vous la voulez tant ; mais j'ai belle peur que ce brave qui traite
les autres de poltrons, ne se fie plus à la vitesse de son cheval qu'au fer de sa lance[2]. Il dit, et donna
le signal du combat. Gonsalve se montra digne en ce jour du surnom de grand
capitaine que lui avaient déjà libéralement octroyé ses compatriotes.
Appropriant ses discours au génie de sa nation, il ranima ses soldats par
d'éloquentes rodomontades, tandis qu'il suppléait à leurs forces épuisées par
les plus habiles dispositions. Pendant que les troupes françaises marchaient aux ennemis, un Espagnol armé de toutes pièces, et monté sur un superbe cheval, s'avança hors des retranchements, présentant la joute à toute venant. Bayart ne le fit point attendre, et les deux adversaires se joignirent avec une telle violence, qu'ils semblaient devoir se briser l'un contre l'autre. Le Bon Chevalier atteignit l'Espagnol d'un coup si démesuré, que sa lance en fut brisée jusqu'à la poignée, et homme et cheval renversés en un monceau dont plus ne se relevèrent[3]. Mais le courage ne devait point décider de cette bataille. Engagés témérairement dans des vignes où Gonsalve avait encore ajouté aux difficultés du terrain, les gens d'armes français tombaient sans avoir combattu. Pierre Guiffrey et Jacques de Clermont, ainsi démontés, se relevèrent bravement, et marchèrent aux retranchements ennemis. Mais, faute de secours, ils moururent l'épée au poing, accablés par le nombre. Nemours, qui prodiguait sa vie en soldat, tomba lui-même, frappé d'un coup de mousquet. La mort du général devint le signal d'un débandement universel ; il ne restait qu'une demi-heure de jour lorsque l'attaque avait commencé, et les derniers rayons du soleil éclairèrent la déroute de l'armée française. D'Alègre, le brave d'Alègre, dominé par la fatale prédiction du duc de Nemours, s'enfuit des premiers et courut chercher un asile dans Gaëte. Louis d'Ars, couvert de blessures et à pied, rallia seul quelques hommes d'armes autour de lui, et fit sa retraite en bon ordre du côté de Venosa. Tandis que tous les autres capitaines ne songeaient qu'à leur salut, tournant sa bannière vers les pays ennemis, il rentra dans les terres que lui avait confiées son maire, le comte de Ligny[4]. |
[1] Jehan d'Anton, Chroniques du Roy Très-Chrestien Louis XII, partie non imprimée commençant au folio 134 du ms. de la Bibliothèque royale, n. 9701.
[2] Brantôme, Capitaines français, disc. 8, t. II, p. 61 de l'édition de Paris, 1822, in-8°.
[3] Jehan d'Anton, Chroniques du Roy Très-Chrestien Louis XII, folio 145.
[4] Jehan d'Anton, Chroniques du Roy Très-Chrestien Louis XII, folio 146.