HISTOIRE DE PIERRE TERRAIL

SEIGNEUR DE BAYART

 

CHAPITRE X.

 

 

Louis d'Ars et Bayart soutiennent un mémorable combat dans la ville de Biseglia. 1502.

 

Louis d'Ars, après la prise de Canosa, se trouvant à deux lieues de la ville de Biseglia dépendante des domaines de son maître, demanda quelques hommes d'armes au vice-roi d'Armagnac pour s'emparer de cette place dans laquelle il avait pratiqué des intelligences. N'ayant pu les obtenir malgré ses vives instances, il ne renonça pas à son entreprise et partit pour Biseglia avec soixante chevau-légers de sa compagnie.

Cette ville située sur le golfe Adriatique était en état de faire' une longue résistance ; mais les habitants, qui n'avaient point oublié leur bon seigneur le comte de Ligny, ouvrirent en dépit des Espagnols leurs portes à son lieutenant. Toute la commune réunie à Louis d'Ars chargea aux cris de France ! France ! les Espagnols qui furent contraints de se réfugier dans la citadelle[1]. Ceux-ci commencèrent alors à faire sur la ville un feu si violent d'artillerie, que le bruit du canon fut entendu jusqu'à Canosa. Luc-le- Groing, que ses blessures y retenaient, courut aussitôt chez le duc de Nemours, et lui dit : Monseigneur, vous entendez bruire le canon du côté de Biseglia, je vous supplie au nom du Roi et par amour pour monseigneur de Ligny d'envoyer du secours à son brave lieutenant qui doit en avoir grand besoin en ce moment. Le vice-roi ne voulant pas l'écouter, il s'adressa au grave La Palice qui se disposait à partir lorsqu'il en reçut la défense.

Le brave gentilhomme, voyant qu'il fallait chercher ailleurs du secours à son maître, courut en toute hâte à une ville voisine où se trouvaient en garnison une centaine d'hommes d'armes. A cheval ! à cheval ! gens d'armes de France, criait par les rues, Luc-le-Groing en entrant dans Ruvo, ou vous aurez à vous reprocher la perte du capitaine Louis d'Ars qui soutient avec peu de monde grande charge dans Biseglia. Bayart qui se trouva sur son passage n'en entendit pas davantage. Sans regarder qui le suivait, lui et trois de ses gens partirent à bride abattue au hasard de crever leurs chevaux. Arrivé aux portes de Biseglia, le Bon Chevalier commença à crier de toutes ses forces : France ! France ! et traversant la ville au grand galop, il se dirigea du côte du château où l'on entendait le bruit. Là il se rangea aux côtés de Louis d'Ars, l'épée au poing, et se mit à frapper à bras déployés et à secourir de tous ses efforts les Français qui grand besoin avaient d'aide.

Durant le combat, il était survenu au secours du château trois cents Espagnols sous les ordres de l'amiral Villamarino. Le courage de Louis d'Ars croissait à proportion du nombre des assaillants ; mais ceux-ci, ne voyant point arriver de renfort aux Français, redoublaient également d'ardeur et de confiance. Repoussé après une lutte trop inégale, à l'entrée de la ville, le capitaine d'Ars, préférant la mort à la perte de sa conquête, ferma de sa main la porte en dedans. Les Espagnols se crurent certains de l'accabler ; mais nul ne l'approchait de tant que son glaive tenait d'ombre qu'il ne fut assommé. — Sus, sus, Messeigneurs ! répétait aux siens le brave capitaine écumant de rage et de fatigue ; mieux vaut mourir ici sous l'écu de vertu que vivre en soupçon de lâcheté. Ne perdons pas, faute de le garder, le fruit de notre labeur, et soyons à nous-mêmes le secours qu'on nous a dénié.

Bayart à son exemple frappait en désespéré ; Gilbert de Chaux, Jean de Montieux, gentilshommes de sa compagnie, le secondaient du reste de leurs forces, mais leurs épées émoussées n'étaient plus redoutables que par leur pesanteur ; hommes et chevaux succombaient de lassitude et ils ne voyaient point arriver de secours. Soudain un épais nuage de poussière parut dans l'éloignement, et bientôt le son familier des trompettes françaises vint ranimer leurs forces épuisées. Les Espagnols à leur tour lâchèrent pied et se retirèrent les uns vers le château, les autres du côté du port. Mais les cent hommes d'armes qu'amenait l'infatigable Luc-le-Groing coupèrent le chemin à ceux qui cherchaient à regagner leurs navires et en massacrèrent près de trois cents. Les autres au nombre de deux cents parvinrent à se jeter dans le château ; mais dix ou douze des principaux habitants soupçonnés d'attachement au roi de France qu'ils y tenaient enfermés, avaient profité du désordre pour s'emparer de la grosse tour d'où ils assaillirent les Espagnols de pierres et de tuiles. Profitant de cette diversion, Louis d'Ars fit escalader les murailles et passer au fil de l'épée le reste des Espagnols.

Le château garni d'abondantes provisions offrit aux Français de quoi se dédommager des fatigues d'une telle journée. Louis d'Ars fit ensuite distribuer de l'argent et tous les chevaux qu'il trouva aux gens d'armes qui pour la plupart avaient crevé les leurs en volant aussi rapidement à son aide. Sa générosité lui gagna les cœurs de ceux dont il faisait l'admiration. De retour à Canosa, il n'y eut personne de l'armée qui ne vînt le complimenter d'avoir ainsi soutenu pendant six heures, avec soixante hommes, les efforts de six cents Espagnols ; le bon capitaine aussi modeste que brave répondait que sans Bayart on serait arrivé trop tard à son secours.

 

 

 



[1] Comment le capitaine Louys d'Ars preit Beseilles en la Pouille sur les Espaignols, (JEHAN D'ANTON, ch. 13, p. 55.)