Conquête du royaume de Naples. - La guerre éclate entre Louis XII et Ferdinand. - Bayart commence à se faire connaître des Espagnols. - Il se signale à la prise de Canosa. 1500-1502. L'an 1501, tout paraissant tranquille en France et dans le Milanais, Louis XII résolut de mettre à exécution le projet de son prédécesseur, et de reconquérir le royaume de Naples. On le vit avec étonnement s'unir à son rival, à son ennemi Ferdinand-le-Catholique, pour faire et partager ensemble cette conquête. C'était se donner un associé dangereux où il pouvait être seul le maître ; et cette alliance impolitique ne devait avoir pour la France que les résultats les plus funestes. Il fut convenu que Louis entrerait le premier en campagne, et il se hâta de mettre sur pied une puissante armée dont le comte de Ligny s'attendait à avoir le commandement. Lors du voyage de Naples, Charles VIII avait fait épouser à son favori Éléonore des Baux, princesse d'Altamura, veuve fort riche et très-belle qui possédait dans la Fouille les villes de Venosa, Canosa, Andria, Minervino et nombre d'autres. Le comte fut obligé d'abandonner l'Italie avec l'armée française, et sa femme, trop sensible à cette séparation, tomba dans une mélancolie qui la conduisit bientôt au tombeau[1]. Louis de Ligny était donc, par cet héritage et les intelligences qu'il pouvait avoir conservées dans son duché d'Altamura, le général le plus propre à commander l'expédition de Naples. Jeune et vaillant, capitaine expérimenté, il ne lui manquait que la faveur que les rois conservent rarement aux favoris de leurs prédécesseurs. Il conçut un si grand dépit des refus de Louis XII, qu'il se retira dans ses terres, où il mourut bientôt de chagrin, à la fleur de l'âge, le 31 décembre 1503. Sa compagnie, sous les ordres de Louis d'Ars, son lieutenant, rejoignit l'armée que commandait Berault Stuart, seigneur d'Aubigny, sage et vaillant capitaine, mais qu'une santé chancelante écarta trop souvent de son poste. Bayart n'avait garde de rester en arrière, et demanda à son bon maître la permission de suivre ses compagnons en Italie. Le comte de Ligny se sépara de lui à regret, et comme s'il eût prévu qu'il ne devait plus le revoir, Ferdinand-le-Catholique feignit d'envoyer le célèbre Gonsalve de Cordoue au secours de son parent le rot de Naples ; mais dès que l'armée française eut commencé les hostilités, le général espagnol rendit public le traité de son maître avec Louis XII, et s'empara de toutes les places où il avait été reçu comme allié. Ce manque de foi accabla Frédéric, prince sage et peu guerrier ; indigné de la perfidie de Ferdinand, et désespérant du salut de ses Etats, il les céda par vengeance au roi de France. En échange il reçut le comté du Maine dont les revenus lui furent conservés même après la perte du royaume de Naples, et y acheva tranquillement sa vie, sans jamais reporter ses regards vers une couronne qu'il s'était peut-être trop pressé d'abandonner[2]. La conquête terminée, la discorde ne tarda pas à se mettre entre les conquérants sous le prétexte de la délimitation des provinces tombées dans le partage de chacun. Gonsalve, initié à tous les secrets de Ferdinand, dont sa mauvaise foi le rendait le digne lieutenant, chercha les hostilités, surprit en pleine paix la ville de Tripalda, et fît main-basse sur la garnison française. D'Aubigny reprit cette place après l'avoir ensanglantée à son tour, et la guerre, sans être déclarée, s'éveilla peu à peu entre les deux nations. Ce fut dans ces fréquentes agressions que Bayart commença à se faire une réputation parmi les Espagnols, assez avares, comme on sait, des louanges d'autrui[3]. Son capitaine Louis d'Ars s'était emparé, au nom du comte de Ligny, de Venosa et de plusieurs autres places de l'héritage de sa femme, la princesse d'Altamura. Favorisé par quelques seigneurs de la faction angevine, et vaillamment secondé par Bayart et son ami Bellabre, il poursuivit ses conquêtes en dépit de Gonsalve. Vainement ce général le fit-il sommer d'évacuer la Fouille, et de rendre les Tilles qu'il détenait, selon lui, au préjudice du roi d'Aragon ; Louis d'Ars lui répondit qu'il gardait à bon droit les possessions du comte de Ligny son maître, qui relevaient directement de Naples, dont le roi de France était le seigneur propriétaire. Il appuya ce raisonnement par la défaite de ceux qui forent envoyés contre lui, et nonobstant force et menace il continua de recouvrer les dépendances du duché d'Altamura[4]. Louis XII, informé de la conduite déloyale de ses alliés, manda à son vice-roi, Louis d'Armagnac, duc de Nemours, de sommer Gonsalve de rendre dans les vingt-quatre heures les villes dont il s'était emparé, ou de lui déclarer la guerre. Sur la réponse évasive de ce général, l'armée française entra en campagne, s'empara de Cerignola, et vint mettre le siège devant Canosa. Cette ville, entourée d'épaisses murailles, de larges fossés, abondamment fournie de vivres et de munitions, était défendue par l'élite des troupes espagnoles sous la conduite du brave capitaine Peralta et du célèbre Pietro Navarro. Le 16 juillet 1502, les Français firent les approches de la place, se logèrent dans les monastères environnants, et bientôt commença l'orage bruyant de l'artillerie. Le quatrième jour, la brèche ayant été jugée suffisante, les seigneurs et les capitaines, mêlés aux piétons, assaillirent si vivement les Espagnols, que la ville eût été prise sans la merveilleuse résistance du capitaine Peralta : il encourageait ses gens par son exemple et ses discours, les ramenait à la charge l'épée dans les reins, et faisait jeter sur les assiégeants des matières enflammées, des pots d'huile bouillante et de chaux vive. Louis d'Ars, Bayart[5], Bellabre, Chastelart et quelques autres bons hommes d'armes, qui se portaient aux endroits les plus périlleux, furent, les uns blessés, les autres brûlés et échaudés, sans pour cela vouloir reculer ; car l'acharnement était tel que, pour mourir, les Français n'abandonnaient l'attaque, ni les Espagnols la défense. Cependant, après trois heures d'un combat des plus meurtriers, la place demeura aux assiégés, et les Français furent contraints de rentrer dans leurs quartiers. Pendant deux jours et deux nuits, l'artillerie battit la ville d'un autre côté, et fit une brèche plus considérable que la première. Bayart et Bellabre s'y précipitèrent des premiers, et déjà l'étendard de France s'élevait sur les décombres des remparts, lorsque les Espagnols, ramenés par leur capitaine, firent une charge si vigoureuse qu'ils chassèrent de nouveau les assiégeants. Le Bon Chevalier s'était tellement avancé, qu'il fut atteint et blessé de plusieurs coups de pique ; son ami Bellabre eut le visage tout brûlé ; Luc-le-Groing, brave gentilhomme de leur compagnie, renversé dans le fossé du haut de la muraille, fut emporté comme mort. Les capitaines, après avoir perdu nombre de leurs meilleurs hommes d'armes, firent cesser un assaut trop meurtrier. Irrités que douze cents Espagnols les arrêtassent aussi longtemps, les Français, le lendemain, redemandèrent l'attaque à grands cris, jurant de périr tous devant la place ou de l'emporter de vive force. Le capitaine Peralta, aussi sage que brave, ne crut pas devoir exposer le reste de ses soldats à une perte certaine, et, ayant obtenu une honorable capitulation, il remit la place au duc de Nemours. |
[1] Brantôme, Hommes illustres français, t. I, disc. 3.
[2] Anne de Laval, fille de Charlotte de Tarente, héritière de Frédéric, apporta l'an 1521 aux La Trimouille les vaines prétentions que cette famille a conservées sur le royaume de Naples.
[3] Et inter alios Gallos, Petrus Terralius Bayardus delphinus, suœ virtutis periculum in illis prœliis fecit. (A. RIVALLII, de Allobrogibus Lib. folio 329.)
[4] JEHAN D'ANTON, Histoire de Louis XII, Paris, 1620, in-4°, ch. 3 et 7, p. 12 et 29.
[5] Lequel ne cessa durant l'assault de ruer patacs sur les Espagnols, et tant s'approcha que en plusieurs lieux fut atteinct et blessé à coups de piques. (JEHAN D'ANTON, ch. II, p. 46 et 48.)