Bayart passe au service du roi de France. 1487-1490. Environ six mois après, le duc de Savoie, désirant terminer à l'amiable d'anciens différends avec la cour de France, au sujet du marquisat de Saluées, partit de Chambéry pour aller rendre visite à Charles VIII qui se trouvait alors[1] à Lyon, menant joyeuse vie dans les bals et les fêtes. Ce monarque s'adonnait avec l'ardeur de son âge aux plaisirs et aux amusements à l'aide desquels sa sœur, madame de Beaujeu, digne fille de Louis XI, espérait prolonger sa régence. Les chroniques ajoutent que ce prince, fort galant, appréciait vivement la beauté et les grâces des dames lyonnaises qui, indépendamment de considérations plus graves, le ramenèrent souvent dans cette ville. Instruit de la prochaine arrivée du duc de Savoie, le Roi
envoya au-devant de lui le comte de Ligny[2], plusieurs autres
seigneurs de sa cour et une compagnie des archers de sa garde, qui le rencontrèrent
à deux lieues de Lyon. Le duc fit le meilleur accueil au comte de Ligny,
seigneur aussi distingué par ses qualités personnelles que par sa naissance,
et ils continûment ensemble la route. L'œil exercé de cet habile capitaine eut
bientôt distingué le jeune Bayart parmi les gens de la suite du duc. Vous avez là, Monseigneur, dit-il, un page qui n'a pas l'air embarrassé sur son cheval.
— C'est un jeune gentilhomme dauphinois que son
oncle, l'évêque de Grenoble, m'a donné il y a environ six mois. Il annonce
les plus heureuses dispositions, n'a de pareil ni à pied ni à cheval, et
promet de ne pas dégénérer de la race dont il sort. Allons, Bayart, lui dit le duc, piquez votre cheval, et montrez votre savoir-faire à
Monseigneur de Ligny. Celui-ci qui mieux ne demandait, lança hardiment
son cheval, puis, au bout de sa course, lui fit faire trois ou quatre bonds
qui réjouirent toute la compagnie. Sur ma foi,
dit le comte, voici un page qui fera son chemin,
s'il vit âge d'homme ; ce serait un présent digne du Roi. — Soit, Monseigneur, puisque vous pensez que cette
galanterie lui plaira. Nulle part le jeune homme ne trouvera une plus belle
carrière et une meilleure école qu'en la maison de France, de tout temps
séjour d'honneur et de vaillance. Ils entrèrent, en causant ainsi,
dans la ville où tout le monde était aux fenêtres pour voir passer le duc et
son brillant cortège. Il descendit à son hôtel, où soupèrent avec lui le
comte de Ligny, le sire d'Avesne, frère du roi de Navarre et quelques autres
seigneurs. Le jour suivant, le duc s'étant levé de bonne heure, alla
présenter ses devoirs au Roi qui déjà se disposait à entendre la messe.
Charles le reçut comme un proche parent et un fidèle allié, l'embrassa, et
après quelques compliments, les deux princes montèrent sur leurs mules pour
se rendre à l'église. Durant le repas qui suivit la messe, la conversation
roula, comme entre princes et seigneurs, sur la chasse, la fauconnerie,
l'amour et les armes. Sire, dit le comte de
Ligny, Monseigneur le duc de Savoie veut vous offrir
le plus gentil page que j'aie vu de ma vie ; à peine âgé de quinze ans, il
manie un cheval comme un vieux cavalier, et s'il vous plaît d'aller entendre
vêpres à Ainay[3], vous aurez, je vous jure, plaisir à le voir. — Par la foi de mon corps, je le veux bien, répondit
le Roi, et s'adressant au duc : Qui vous a donné,
mon cousin, ce gentil page dont fait tant l'éloge notre cousin de Ligny ?
— Sire, il est né votre sujet d'une noble famille de
Dauphiné ; vous jugerez par vous-même si Monseigneur de Ligny en a trop dit,
en voyant manœuvrer le page et son cheval dans la prairie d'Ainay. Bayart,
promptement informé du désir qu'avait témoigné le Roi de le voir sur son
cheval, en éprouva plus de joie que si on lui eût donné
la ville de Lyon. Il courut conter cette bonne nouvelle au maître palefrenier
du duc de Savoie, et n'oublia rien pour l'encourager à faire de son mieux
préparer sa monture. Le palefrenier, qui l'affectionnait vivement, lui
répondit de ne pas s'en inquiéter, et d'aller lui-même, en attendant,
s'ajuster. Le premier écuyer du duc vint le chercher sur les trois heures, et
le trouva prêt et costumé avec une élégance qui relevait encore sa bonne
mine. Bayart, mon ami, lui dit-il d'un ton
ému, je vois bien que je vais vous perdre, puisque
vous entrez au service du roi de France ; je ne suis point marri de votre
avancement, mais, en vérité, j'ai grand regret de vous quitter. — Dieu me donne la grâce, lui répondit Bayart, de continuer dans les vertus que vous m'avez enseignées,
depuis que Monseigneur me mit sous votre garde. J'espère que vous n'aurez
jamais de reproches à recevoir de votre élève, et si je suis quelque jour en
état de vous témoigner ma reconnaissance, vous connaîtrez par effet combien
je me sens votre obligé. L'heure approchait ; le jeune page, suivi de
l'écuyer, partit sur son roussin harnache comme pour
le Roi même, et ils allèrent attendre Charles dans la prairie d'Ainay.
Ce prince descendait Après avoir reçu de magnifiques présents, et promis de venir passer les fêtes de Pâques à Tours l'année suivante, le duc de Savoie retourna dans ses États, tandis que Charles, rappelé par la guerre en Bretagne, s'en allait conquérir cette province et une épouse. |
[1] Guichenon, Histoire généalogique de la royale maison de Savoie, Lyon, 1660, in-fol., p. 579.
[2] Louis de Luxembourg comte de Ligny, fils du connétable de Saint-Pol et de Marie de Savoie, tante de Charles VIII.
[3]
Ancienne abbaye de l'ordre de saint Benoît, bâtie sur l'emplacement de l'autel
que soixante cités des Gaules consacrèrent à Auguste, au confluent de
Palleat ut nudis pressit qui calcibus anguem,
Aut lugdunensem rhetor
dicturus ad