Ces protestations furent collectives ou individuelles. I PROTESTATIONS COLLECTIVES.Nous connaissons quatre protestations collectives :
La pétition des soixante-quatorze était ainsi conçue : Les représentants du peuple soussignés[1], Considérant qu'au milieu des événements qui provoquent l'indignation de la République entière, ils ne peuvent garder le silence sur les attentats commis envers la représentation nationale sans s'accuser eux-mêmes de la plus honteuse faiblesse ou d'une complicité encore plus criminelle ; Considérant que les mêmes conspirateurs, qui, depuis l'époque où la République a été proclamée, n'ont cessé d'attaquer la représentation nationale, viennent enfin de consommer leurs forfaits en violant la majesté du peuple dans la personne de ses représentants, en dispersant ou enchaînant quelques-uns d'entre eux et en courbant les autres sous le joug de la plus audacieuse tyrannie ; Considérant que les chefs de cette faction, enhardis par une longue impunité, forts de leur audace et du nombre de leurs complices, se sont emparés de toutes les branches de la puissance exécutive, des trésors, des moyens de défense et des ressources de la nation dont ils disposent à leur gré et qu'ils tournent contre elle ; Qu'ils ont à leurs ordres les chefs de la force armée et les autorités constituées de Paris, que la majorité des habitants de cette ville, intimidée par les excès d'une faction que la loi ne peut atteindre, effrayée par les proscriptions dont elle est menacée sans cesse, non-seulement ne peut pas réprimer les manœuvres des conspirateurs, mais que souvent même, par respect pour la loi qui commande l'obéissance aux autorités constituées, elle se voit forcée de concourir en quelque sorte à l'exécution de leurs complots ; Considérant que telle est l'oppression sous laquelle gémit la Convention nationale, qu'aucun de ses décrets ne peut être exécuté s'il n'est approuvé ou dicté par les chefs de cette faction ; que les conspirateurs se sont constitués par le fait les seuls organes de la volonté générale et qu'ils ont rendu les restes de la représentation nationale l'instrument passif de leur volonté ; Considérant que la Convention nationale, après avoir été forcée d'investir d'une autorité illimitée les commissaires qu'elle a envoyés dans les départements et aux armées et que cette faction a exclusivement désignés, n'a pu réprimer les actes arbitraires qu'ils se sont permis, ni même formellement improuver les maximes incendiaires et désorganisatrices que la plupart d'entre eux ont propagées ; Considérant que non-seulement la Convention n'a pu faire poursuivre ni les dilapidations de la fortune publique, ni les scélérats qui ont commandé des assassinats et des pillages, mais encore que les conspirateurs, après avoir vu leurs projets échouer dans la nuit du 10 au 11 mars, en ont repris l'exécution avec plus de succès à l'époque des 20, 21, 27 et 31 mai et 2 juin dernier ; Qu'à cette dernière époque, on a fait battre la générale, sonner le tocsin et tirer le canon d'alarme ; que les barrières de la ville ont été fermées, toutes les communications interceptées, le secret des lettres violé, la salle de la Convention bloquée par une force armée de plus de soixante mille hommes ; qu'une artillerie formidable a été placée à toutes les avenues du Palais national, qu'on y a établi des grils pour le service des canons, chauffer des boulets et former tous les préparatifs d'un assaut ; Que les bataillons destinés pour la Vendée, et retenus à dessein dans les environs de Paris, se trouvèrent au nombre dès assiégeants ; que des satellites dévoués aux conjurés, et préparés à l'exécution de leurs sanguinaires complots, occupèrent les postes les plus importants et les issues de la salle ; qu'ils furent ouvertement récompensés de. leur zèle par des distributions de vivres et d'argent ; Qu'au moment où la Convention nationale se présenta en corps aux avenues du palais pour enjoindre à la force armée de se retirer, le commandant, investi par les conjurés de la plus insolente dictature, osa demander que les députés proscrits fussent livrés à la vengeance du peuple, et que, sur le refus de la Convention, il eut l'atroce impudence de crier aux armes et de faire mettre en péril la vie des représentants du peuple français ; Considérant enfin que c'est par des manœuvres de toute nature qu'on est parvenu à arracher à la Convention, ou plutôt à la sixième partie des membres qui la composent, un décret qui prononce l'arrestation arbitraire qui enlève à leurs fonctions, sans accusation, sans preuve, sans discussion, au mépris de toutes les formes et par la violation la plus criminelle du droit des gens et de la souveraineté nationale, trente-deux représentants désignés et proscrits par les conspirateurs eux-mêmes, Déclarent à leurs commettants, aux citoyens de tous les départements, au peuple français, dont les droits et la souveraineté ont aussi été audacieusement violés, que depuis l'instant où l'intégrité de la représentation nationale a été rompue par un acte de violence dont l'histoire des nations n'avait pas encore offert d'exemple, ils n'ont pu ni dû prendre part aux délibérations de l'Assemblée ; que, réduits, par les circonstances malheureuses qui les entourent, à l'impossibilité d'opposer par leurs efforts individuels le moindre obstacle aux succès des conspirateurs, ils ne peuvent que dénoncer à la République entière les scènes odieuses dont ils ont été les témoins et les victimes. A Paris, le 6 juin, l'an II de la République française. Voici les noms des signataires par ordre alphabétique de départements : AIN. — Royer. ALPES (Basses-). — Maysse, Peyre. ALPES (Hautes-). — G. C. Caseneuve, Serre. ALPES-MARITIMES. — Blanqui, Dabray, Massa. ARDÈCHE. — Gamon, Ganilhe, Saint-Prix. AUDE. — Periés, Tournier. BOUCHES-DU-RHÔNE. — Lauze-Duperret, Duprat. CALVADOS. — Ph. Delleville. CHARENTE. — Ribereau. CÔTES-DU-NORD. — Couppé, H. Fleury, Girault. DRÔME. — Fayolle, Marboz, Olivier Cérente. EURE. — Dubusc, Savary, Vallée. FINISTÈRE. — C.-A.-A. Blad, Behan, Quennel. GARD. — F. Aubry, Rabaud-Pommier. GARONNE (Hautes-). — Estadens, Rouzet. GERS. — Descamps, Laplaigne, Moysset. GIRONDE. — Lacaze fils aîné. ILLE-ET-VILAINE. — Defermon, Lebreton, Obelin. INDRE. — Derazey. JURA. — Amyon, Barbey, Ferreux, Grenot, Laurenceot, Vernier. LANDES. — Saurine. LOIRE-INFÉRIEURE. — Jary, Lefebvre Julien. LOT. — Blaviel. MANCHE. — Laurence. MORBIHAN. — V. Corbel, Rouault. MOSELLE. — Blaux. OISE. — Delamarre. ORNE. — Dugué-Dassé. PARIS. — Dussaulx. PAS-DE-CALAIS. — Daunou, Varlet. PYRÉNÉES-ORIENTALES. — Guiter. RHÔNE-ET-LOIRE. — Chasset. SAÔNE-ET-LOIRE. — Masuyer. SARTHE. — Salmon. SEINE-ET-OISE. — Mercier. SEINE-INFÉRIEURE. — Bailleul, Doublet, Hecquet, Faure, Lefebvre, Ruault, Vincent. SOMME. — Saladin. VOSGES. — Bresson. YONNE. — Chastelain. Cette liste contient soixante-quinze noms et l'original est bien revêtu de soixante-quinze signatures. Mais dans les copies officielles qui en ont été faites et qui ont servi de base aux décrets qui furent rendus pour proscrire et ensuite réhabiliter les signataires, on a accolé deux de ces noms et on en a fait un seul : ce sont ceux de Dabray, député des Alpes-Maritimes, et de Doublet, de la Seine-Inférieure. Sur ces soixante-quinze représentants, six firent précéder leur signature de ces mots : Ayant déjà protesté dans la salle même des séances, le 2 juin. C'étaient :
Cette protestation fut tenue secrète ; mais, lors de la perquisition faite, après le meurtre de Marat, dans les papiers de Lauze-Duperret qui en était dépositaire, elle fut saisie et envoyée au Comité de sûreté générale. Dans ce moment-là les démagogues usaient encore de ménagements vis-à-vis des vaincus du 2 juin. Ils gardèrent cette pièce pour s'en servir en temps et lieu. Dans la séance du 21 août, Amar y fit allusion, mais sans s'appesantir sur son importance. Mais lorsque la révolte des départements fut à peu près comprimée, le même Amar vint proposer à la Convention de faire mettre tous les signataires de la protestation des soixante-quinze en état d'arrestation, s'ils n'étaient déjà renvoyés pour autre cause devant le Tribunal révolutionnaire. Sur ces soixante-quinze signataires quatre périrent sur l'échafaud ; ce furent : Duperret, des Bouches-du-Rhône ; Duprat, des Bouches-du-Rhône ; Lacaze, fils aîné, de la Gironde ; Masuyer, de Saône-et-Loire. Les autres, après avoir subi une détention de plus de quinze mois, furent réintégrés dans leurs fonctions, par décret du 13 frimaire an m. A l'occasion du décret du 3 octobre, nous raconterons avec plus de détail les épisodes de la détention des signataires de la protestation du 6 juin. Déclaration des députés de la Somme à leurs commettants sur la journée du 2 juin 1793. Les députés du département de la Somme à la Convention nationale, soussignés, ont cru devoir exprimer à leurs commettants, dans une déclaration simple, leurs sentiments sur les circonstances actuelles. Les événements du 31 mai sont connus ; ceux du lendemain, quoique moins importants, le sont aussi. La liberté de la représentation nationale, violée dans ces deux jours, non par les citoyens, ni par les sections armées, mais par quelques hommes, ou violemment égarés ou vendus au parti de l'étranger, était réservée à une épreuve plus affligeante encore. Le 2 juin doit être regardé comme un jour de deuil pour tous les amis de la liberté et de la République. En ce jour, et ici nous avons pour garants les réclamations vigoureuses des membres mêmes de la Convention les moins suspects à cet égard ; en ce jour, il n'y eut véritablement pas de représentation nationale : cernée de tous côtés par une force armée immense, elle fut sous la domination des factieux qui dirigeaient cette force armée, dans laquelle on a pu remarquer qu'il n'y avait de coupables que les chefs auxquels elle obéissait sans savoir quels étaient leurs desseins. Aucun membre de la Convention ne put sortir de l'enceinte ; il n'était permis, chose bien humiliante, de satisfaire aux besoins de la nature qu'en présence des satellites des factieux. C'était même un crime pour ses membres, de quelque côté de la salle qu'ils vinssent, de jeter la vue sur les lieux où cette force armée s'était développée. Plusieurs s'en sont plaints amèrement. Cet attentat à la souveraineté du peuple s'est prolongé pendant sept heures ; il durait encore une demi-heure après la séance, car il fallut attendre, même quand les factieux n'avaient plus rien à désirer, il fallut attendre, pour sortir, que le soi-disant commandant ou le prétendu Comité révolutionnaire voulussent lever la consigne criminelle qui avait tenu si longtemps dans l'esclavage et l'opprobre les représentants du peuple, c'est-à-dire le peuple lui-même. C'est dans cet état, c'est en présence des baïonnettes et des canons qu'a été rendu notamment le décret qui met en arrestation : P vingt et quelques membres précédemment dénoncés par une pétition déclarée calomnieuse et contre lesquels, depuis, on n'a articulé aucuns faits nouveaux ; 20 dix membres d'une commission qui n'a pas même pu être entendue pour se justifier. Voilà comment, tandis qu'on venait de donner la liberté à quatre individus soutenus par la municipalité de Paris, sans vouloir, par un rapport préalable, s'assurer de leur innocence, cette même liberté fut néanmoins ravie à plus de trente membres de la Convention déjà précédemment déclarés innocents et contre lesquels aucune charge nouvelle n'était survenue. Voilà comment dans ce jour de deuil l'unité de la représentation nationale, cet unique palladium de l'unité et de l'indivisibilité de la République, fut anéantie. Les députés, soussignés, doivent à eux-mêmes, ils doivent à leurs commettants de déclarer que, parmi eux, les uns n'ont pas cru devoir prendre part aux délibérations dans un jour où il n'y avait pas de liberté ; que les autres n'y ont pris part que pour s'opposer à un décret sollicité par la faction de l'étranger ou de l'anarchie ; ils doivent à l'honneur des principes, violés dans cette journée, à l'honneur même de tous les membres de la Convention, de déclarer que le décret, que le Comité de salut public lui-même n'avait pas cru pouvoir proposer, ne peut être regardé que comme l'ouvrage de l'oppression dans laquelle la Convention nationale a gémi. Ils déclarent de plus que s'ils continuent à rester à leur poste, c'est uniquement par la considération des dangers qui menacent la liberté et la République, qu'on attaque de toutes parts et qu'ils ont juré de défendre. Fait à Paris, le 5 juin 1793, an II de la République française. PIERRE-FLORENT LOUVET, GANTOIS, DUFESTEL, ASSELIN, DEVERITÉ, DELECLOT, L. RIVERY, FRANÇOIS MARTIN[2]. Cette protestation fut apportée à Amiens par l'un des signataires, Deleclot, qui vint faire un voyage de deux jours dans cette ville. Elle fut imprimée par ordre du conseil général du département. Peu de jours après, Jean-Bon-Saint-André, au nom du Comité de salut public, la dénonçait à la Convention et faisait traduire à la barre les administrateurs du département qui lui avaient donné de la publicité. L'article 5 du décret qui fut rendu sur sa proposition était ainsi conçu : La Convention ajourne à statuer sur les mesures à prendre relativement aux députés signataires de la déclaration après le rapport du Comité de salut public. Les administrateurs traduits à la barre se disculpèrent comme ils purent, en prétendant qu'ils avaient été trompés par des récits mensongers ; ils furent renvoyés à leurs fonctions. Quant au rapport relatif aux députés signataires de la déclaration, il ne fut jamais fait : les signataires ne furent pas inquiétés et continuèrent de siéger à la Convention. Protestation des députés de l'Aisne. Les députés, soussignés, de l'Aisne aux citoyens du département : Nous vous devons une exposition simple, exacte, entière, des événements qui, menaçant la République de séparations funestes, exige que vous déployiez, pour la sauver, tout votre patriotisme, toutes vos lumières et tout votre courage. On avait dénoncé à la Convention un complot formé pour la dissoudre ; les partisans secrets de l'aristocratie, les royalistes déguisés en patriotes, les émissaires des puissances étrangères, quelques hommes qui ont besoin de nouveaux crimes pour s'assurer l'impunité, conduisaient cette trame et avaient soin de cacher aux citoyens égarés par eux la nature et l'étendue de leurs projets. La Convention chargea une commission de vérifier les faits, et cette commission fit arrêter quelques hommes chers à une portion du peuple. Si ces arrestations n'étaient pas fondées sur des motifs assez graves, sur des preuves assez fortes, on pouvait s'en rapporter à la justice de la Convention. La lecture de ses débats, la liste de ceux qui ont voté dans l'appel nominal pour ou contre la conservation de la commission, suffisent pour montrer que l'Assemblée méritait cette confiance. Jusqu'au vendredi 31 mai, on n'avait pu observer que des mouvements tumultueux et partiels ; mais, dans la nuit, des commissaires des sections cassèrent la municipalité et le Conseil général de la Commune pour les rétablir sous le nom de Conseil révolutionnaire, et les membres de ces deux corps abdiquèrent l'autorité, qu'ils tenaient de la loi et du vœu immédiat et libre de leurs concitoyens, pour recevoir de quelques individus une autorité contraire à la loi. Un commandant général de la garde nationale a été nommé ; et, dans la matinée de ce même jour, le conseil du département de Paris a convoqué des commissaires des sections, des députés des communes du département. Là, un comité de onze membres a été créé, revêtu de pouvoirs illimités et du nom de Comité révolutionnaire. Cependant le tocsin sonnait ; le canon d'alarme avait été tiré ; toutes les sections étaient armées ; une députation de cette assemblée qu'aucune loi n'autorisait vint à la barre demander la cassation de la commission rétablie par la Convention et le décret d'accusation contre les membres de la commission et contre plusieurs autres députés dénoncés dans une pétition que la Convention avait déclarée calomnieuse le 22 avril : Les citoyens avaient juré, en prenant les armes, de maintenir la sûreté des personnes et des propriétés. L'ordre régnait partout. Des efforts perfides pour exciter la guerre entre différentes sections avaient été repoussés ; la Convention était entourée d'armes ; mais ses issues étaient libres, ses membres avaient été respectés et elle décréta que les sections avaient bien mérité de la patrie. La commission était tout à la fois la cause principale des mouvements où se portaient les citoyens égarés, et le prétexte dont les ennemis de la liberté se servaient avec le plus d'avantage : elle fut cassée. Dans la séance du lendemain, la Convention s'était occupée de rendre compte à la République entière des événements du 31 mai ; et l'espoir du retour aux principes l'avait portée à se dissimuler à elle-même plusieurs circonstances de la journée du vendredi ; vers cinq heures, elle leva sa séance. Peu de moments après, le tocsin se fit entendre ; le rappel fut battu dans plusieurs sections. Des hommes armés se portèrent en grand. nombre dans les environs de la salle de la Convention. La perspective de quelques dangers réunit un assez .grand nombre de députés. La délibération se fixa sur les causes des mouvements qui se manifestaient. A peine était-elle commencée, que des députés du conseil général révolutionnaire vinrent présenter une nouvelle pétition pour obtenir le décret d'accusation contre plusieurs membres déjà dénoncés, contre ceux formant la commission des Douze et même contre quelques autres individus dont jusqu'alors il n'avait été question Pans aucune des pétitions dénonciatrices. La Convention renvoya cette pétition au Comité de salut public pour en rendre compte dans trois jours. Le dimanche, la demande d'arrestation des membres désignés par le Comité révolutionnaire fut renouvelée avec plus d'audace, et, vers quatre heures, la Convention apprit qu'elle était entourée de citoyens armés, à qui une consigne tyrannique prescrivait de ne laisser aucun député sortir de l'enceinte de l'Assemblée. La Convention en corps, précédée de ses huissiers, le président à leur tête et couvert, les députés découverts et par conséquent dans cet appareil qui annonce les dangers de la patrie, la Convention se présente au commandant de la troupe placée devant les cours du palais national et en reçoit pour réponse qu'elle ne sortira pas avant que le décret exigé d'elle n'ait été prononcé. Elle parcourt les rangs des citoyens armés qui occupaient le jardin et les cours ; partout elle recueille sur son passage des vœux pour une constitution républicaine, pour l'égalité, l'union entre citoyens, entre Paris et les départements, entre ses propres membres. A peine quelques vœux formés par l'esprit de parti se font-ils entendre. Mais le président trouve à toutes les issues la consigne, qui viole la liberté des représentants du Peuple, audacieusement maintenue, et la Convention, toujours prisonnière, rentre dans le lieu de ses séances. C'est alors que le décret est rendu, sans doute pour éviter de plus grands crimes ; et quelque temps après la consigne est levée en spécifiant la porte par où il est permis aux députés de sortir. La suppression arbitraire des journaux ; des violences exercées chez les imprimeurs, ont ajouté la violation du droit sacré de la liberté de la presse à celle de la liberté de la représentation nationale. Les lettres ont été arrêtées à leur arrivée et à leur départ ; le secret en a été ouvertement violé, et les auteurs de cet attentat contre la foi publique n'ont pas craint de sceller d'un cachet portant Révolution du 31 mai les lettres qu'ils jugèrent à propos de rendre. Jusqu'ici, non-seulement ces excès restent impunis, mais, malgré quelques changements dans les noms, les hommes qui les ont commis, en vertu d'une autorité usurpée contre le vœu de la loi, exercent encore cette autorité. Une partie des membres compris dans le décret porté pendant la durée de la consigne s'y est volontairement soumise. Quelques autres ont cru devoir s'y soustraire. Tel est, citoyens, le tableau fidèle de ces événements, qui, par l'effet nécessaire d'une interruption dans les communications aussi imprudente que coupable, ne vous sont parvenus peut-être jusqu'ici qu'exagérés et défigurés. Vos lumières et votre patriotisme vous suggéreront les mesures sages, mais fermes, mais efficaces, que vous devez prendre pour assurer l'entière liberté de la représentation nationale, réparer l'outrage fait à la majesté du peuple français, rétablir la liberté de la presse et l'inviolabilité de la foi publique, etc. Comme nous ignorons le moment où la liberté des communications sera rétablie, nous croyons devoir vous proposer d'assurer la vôtre avec nous au moyen d'un courrier extraordinaire mis spécialement sous votre sauvegarde. Petit, Fiquet, Belin, Condorcet, Bouchereau, Lecarlier, P. Loysel. Incommodé douloureusement depuis deux mois, je n'ai pu être témoin des faits ci-dessus énoncés, mais la connaissance qui m'en a été donnée et la confiance que j'ai en mes collègues, qui ont vu, me font adhérer pleinement aux réflexions et aux mesures que ces faits leur ont suggérées. JEAN DEBRY. Quinette est prisonnier à Maëstricht. Beffroy est en ce moment représentant du peuple près de l'armée du Nord et nous connaissons assez ses sentiments pour être persuadés qu'il partagerait les nôtres s'il était ici[3]. La protestation des députés de l'Aisne fut dénoncée à la Convention dans la séance du 30 juin par André Dumon, qui, au nom du Comité de sûreté générale, proposa de décréter d'accusation les signataires de la lettre. Sur la proposition de Léonard Bourdon et de Legendre, cette protestation fut envoyée au Comité de salut public, chargé de faire un rapport général ; mais ni le rapport de Saint-Just ni, plus tard, le rapport d'Amar ne firent mention de la protestation des députés de l'Aisne. Ils ne furent point inquiétés et continuèrent à siéger à la Convention, à l'exception toutefois de Condorcet, qui fut frappé, le 8 juillet, d'un décret d'arrestation pour avoir osé publier une brochure contre la constitution montagnarde que les vainqueurs de cette journée s'étaient hâtés de fabriquer, sauf à ne jamais la mettre à exécution. On sait que cet illustre membre de l'Académie des sciences crut devoir se soustraire à la vengeance de ses ennemis en s'empoisonnant dans la prison de Bourg-Égalité, autrefois Bourg-la-Reine, quelques heures après son arrestation. Protestation de la députation de la Haute-Vienne. Tous nos efforts pour retrouver le texte de cette protestation ont été infructueux. Elle fut dénoncée à la Convention beaucoup plus tard que les autres, le 21 août, à l'occasion de l'accusation de connivence d'un des signataires, Lesterp-Beauvais, avec les insurgés de Lyon. L'évêque de Limoges, Gay-Vernon, vint lire à la tribune cette pièce, qui, outre la signature de Lesterp-Beauvais, était revêtue de celle de quatre autres députés de la Haute-Vienne, Faye, Rivaud, Soulignac et Lacroix. Le seul passage de cette protestation que le Journal des Débats et Décrets nous ait conservé était ainsi conçu : Nous ignorons si les événements du 31 mai et du 2 juin seront le terme des insultes faites à la Convention ; ce que nous savons, c'est qu'aux yeux des vrais républicains ils doivent être le terme de la confiance que l'on avait en elle. La Convention se montra beaucoup plus sévère pour les cinq députés de la Haute-Vienne que pour ceux de la Somme et de l'Aisne. Par décret rendu le même jour, sur la proposition de l'évêque constitutionnel Gay-Vernon qui ne rougit pas de se faire, dans cette circonstance, l'accusateur de ses collègues de députation, les cinq signataires furent décrétés d'arrestation. Sur ces cinq, Lesterp-Beauvais fut compris dans l'acte d'accusation dressé le 3 octobre par Amar, et envoyé au Tribunal révolutionnaire ; il périt dans le sanglant holocauste du 31 du même mois. Les quatre autres députés de la Haute-Vienne partagèrent le sort des signataires de la protestation des soixante-quinze, c'est-à-dire leur captivité pendant quinze mois et ensuite leur réintégration dans le sein de la Convention nationale[4]. II PROTESTATIONS INDIVIDUELLES.Ces protestations furent assez nombreuses, mais presque toutes ont été réimprimées[5]. Nous nous bornons à en donner trois, que nous croyons inédites.
Tous les trois payèrent de leur tête le courage qu'ils déployèrent dans cette occasion. Gensonné et Lasource périrent le 31 octobre. Deschezeaux, qui n'avait été porté d'abord sur aucune liste de proscription, donna sa démission le 10 août 1793 et se retira à la Flotte (He de Rhé), sa patrie. Mais la vengeance des démagogues vint l'y trouver : il fut traduit devant le tribunal criminel de la Charente-Inférieure, condamné à mort et exécuté le 28 nivôse an II. Déclaration du citoyen Gensonné, représentant du peuple[6]. Le 2 juin 1793, à trois heures de l'après-midi, moi, Arnaud Gensonné, représentant du peuple français, convaincu que je vais être victime des conspirations qui se trament, contre la liberté de la République française, par une faction dont je n'ai cessé de combattre les coupables efforts ; Considérant que le mouvement prétendu révolutionnaire que cette faction prépare et exécute n'a d'autre objet que de dissoudre la Convention nationale, d'usurper ses pouvoirs, de les ruiner et de les concentrer dans les mains d'un petit nombre d'individus soutenus et dirigés par une portion de la représentation nationale, subjuguée elle-même par la terreur ou complice de cette usurpation révoltante ; Considérant que tous les moyens possibles d'égarer le peuple sur ses vrais intérêts, de corrompre l'opinion publique, de livrer à cette faction les trésors de la République et ses armées et de réduire les départements à l'impuissance la plus absolue de résister à l'oppression qui les menace, ont été successivement arrachés à la faiblesse de la Convention nationale ou obtenus du désir qu'elle a eu d'éviter tout prétexte de scission entre les membres qui la composent ; Considérant que les conjurés, après avoir séduit ou égaré une faible partie des citoyens de Paris, ont subjugué par la crainte des proscriptions la majorité des habitants de cette ville, se sont investis de tous les pouvoirs des autorités constituées, se sont emparés de la direction de la force armée et des comités ; Que la portion du peuple qu'ils n'ont cessé de tromper sur les intentions des députés les plus patriotes et les plus dévoués à ses intérêts ne voit dans ses hommes généreux que des traîtres et les poursuit comme ses plus dangereux ennemis ; Considérant enfin qu'au moment même où je trace à la hâte ces lignes, j'ai lieu de croire que la Convention nationale va être forcée d'ordonner mon arrestation ou de la laisser faire, et que je dois m'attendre à devenir, dans peu d'instants, la victime d'un mouvement populaire ou d'un assassinat prétendu juridique ; Je déclare aux citoyens de mon département et à la France entière que je bénirai le sort qui m'est réservé, si ma mort peut être utile à l'établissement de la République et prépare le bonheur du peuple français. Je déclare que je n'ai jamais cessé de lui être entièrement dévoué ; que je n'ai d'autre ambition que celle de remplir mon mandat avec courage et énergie ; que je n'ai formé d'autre vœu que celui de son bonheur et de l'établissement d'une constitution républicaine ; que j'ai vécu et que je mourrai républicain et digne de la confiance dont mes concitoyens m'ont honoré. Je conjure particulièrement les braves Bordelais, mes concitoyens, et les républicains de la France entière, d'examiner avec soin les chefs d'accusation, s'il en est, qui me seront imputés. Je recommande à mes amis surtout le soin de ma mémoire ; je les charge, au nom des sentiments qu'ils m'ont voués, d'empêcher qu'elle ne soit flétrie. Cette tâche ne sera pas difficile. Au milieu des mouvements que les événements, dont je serai probablement victime, vont exciter dans la France entière, j'adjure tous les bons citoyens, et particulièrement ceux du Midi, de ne pas imputer à la majorité des habitants de Paris les excès que, dans les circonstances où nous nous sommes trouvés, elle n'a pu empêcher ni prévenir ; qu'ils se rappellent les services que cette ville a rendus à la Révolution et qu'ils réservent toute leur haine pour les scélérats qui ont médité et fait exécuter cet infâme projet. Résigné à tout, sûr de ma conscience, j'embrasse dans ma pensée mes chers concitoyens, tous les amis de la liberté et de la République française, et en la scellant de mon sang, sous les poignards des conspirateurs et sous la hache des factieux, mon dernier soupir sera pour ma patrie, et ma bouche ne se fermera qu'en exprimant le plus ardent de mes souhaits. Vive la République ! GENSONNÉ, député de la Gironde. Lasource, députe du Tarn, au président de la Convention[7]. Le 8 juin, an IIe de la République. Citoyen président, Loin de me plaindre contre la Convention nationale du décret lancé contre moi et plusieurs de mes collègues, je la remercie d'avoir fait un sacrifice à la paix et préféré son salut — d'où dépend celui de la République — à la liberté de quelques hommes de bien ; je sais que cet acte de condescendance était le seul moyen qui lui restait de faire lever le siège de la salle de ses séances, d'épargner des excès au peuple trompé et des crimes aux scélérats qui l'agitent pour le déshonorer et le perdre. Ce n'est point au peuple que je m'en prends, je l'aime, je l'ai servi, je le servirai mieux que les scélérats qui l'égorgent en se disant ses amis. Mais croient-ils m'avoir fermé la bouche, les audacieux conspirateurs qui ont forcé la Convention nationale à me frapper malgré elle ? croient-ils m'avoir donné la mesure de leur puissance et m'avoir inspiré la terreur ? non... ils ne m'ont donné que la mesure de leur scélératesse et ne m'ont inspiré que l'indignation. Je les dénonce à la France, ces hommes gorgés d'or, couverts de sang, affamés de crimes. Je dénonce surtout dix ou douze brigands qui osent appeler leur monstrueuse réunion du nom de Comité révolutionnaire, qui dictent des lois à la Convention nationale, qui les lui font exécuter en l'entourant de piques, de baïonnettes, de mortiers à bombes, de canons et, le dirai-je ? de fourneaux et de grils destinés à rougir les boulets, qui tyrannisent la patrie et assassinent la liberté. Dites à ces monstres qu'ils tremblent. Leur audace sacrilège va soulever la nation entière et appeler sur leurs têtes une vengeance aussi terrible que leurs crimes sont exécrables. Dites-leur que leur règne expire, et que bientôt il ne restera plus d'eux que leurs forfaits pour l'exécration publique, que leur supplice pour l'effroi des tyrans, que leurs noms pour l'opprobre. S'ils voulaient faire cause commune avec la ville de Paris et dire, comme ils l'ont fait sans cesse, qu'on la calomnie et qu'on veut la perdre, parce qu'on dénonce et qu'on attaque une poignée de brigands et de conjurés qu'elle renferme, dites-leur surtout que je ne confonds pas quelques scélérats, dont elle est souillée, avec les nombreux habitants qui peuplent cette belle cité. Je ne veux point qu'elle périsse ; mais je veux que ses tyrans et ceux de la France scellent de leur chute et de leur sang le triomphe de la liberté. Trop pur pour être atteint par leurs calomnies, que la Convention nationale libre a elle-même vouées au mépris public, trop fier pour me croire accusé, je me rends leur accusateur devant la nation dont je suis le représentant. J'accuse devant la nation Hébert et Varlet d'avoir fait retentir Paris, par leurs discours et leurs libelles, de provocations à l'assassinat des membres de l'Assemblée représentative du peuple français. Qu'on est humilié d'être forcé de prononcer de pareils noms et de leur donner même la célébrité du crime ! J'accuse Chaumette d'avoir prêché la révolte contre cette assemblée auguste dans une réunion de séditieux qui se baptisaient Conseil général de la commune de Paris ; j'accuse Pache d'avoir vu tramer sous ses yeux l'affreux complot d'attenter à la représentation nationale et d'en avoir nié l'existence pour en assurer l'exécution. J'accuse une trentaine de bandits, s'appelant Conseil général provisoire révolutionnaire, sortis du rassemblement de l'Évêché après les motions les plus atroces, d'avoir osé se dire les organes du peuple souverain, de s'être arrogé un pouvoir au-dessus des lois, d'avoir fait sonner le tocsin, jeté le trouble et l'alarme dans les départements, et provoqué autant qu'il était en eux la guerre civile, la dispersion des armées et la dissolution de la République. J'accuse les dix ou douze conjurés formant le conciliabule de la contre-révolution, qu'ils ont appelé Comité central révolutionnaire, d'avoir fait des réquisitions, donné des ordres pour faire assiéger la Convention nationale. J'accuse Henriot, se disant commandant général de la force armée de Paris, d'avoir fait tirer le canon d'alarmé, d'avoir consigné la Convention, de lui avoir résisté lorsqu'elle voulait sortir de la salle de ses séances pour parcourir les rangs ; d'avoir crié aux armes, fait braquer les canons, mis, fait mettre le sabre à la main contre elle et de l'avoir fait coucher en joue. Je demande que tous ces hommes prévenus de conspiration et de tyrannie soient mis sur-le-champ en arrestation. S'ils ont fait une révolution salutaire et bien mérité de la patrie, elle leur décernera des couronnes et dressera des échafauds à ceux de mes collègues qu'ils ont arrachés à leurs fonctions. S'ils n'ont fait qu'un acte de contre-révolution, de rébellion contre la patrie, et s'ils n'ont bien mérité que des révoltés dont ils remplissent les tribunes, que des séditieux dont ils peuplent les groupes et les places publiques, que de Pitt et de Cobourg, alors les échafauds seront dressés pour eux, les couronnes civiques resteront pour nous. Au reste, laissant à chacun de mes collègues le soin de sa propre défense et ne me rendant ici le garant que de moi-même, je défie solennellement mes accusateurs, leurs sbires, leurs satellites et tous les brigands qui leur ressemblent, d'articuler contre moi un seul fait qui puisse me faire soupçonner soit d'improbité comme citoyen, soit de trahison envers ma patrie comme représentant du peuple ; je les défie aussi solennellement de prouver qu'ils ne sont pas coupables des faits que je leur impute et qu'ils sont les maîtres d'appeler, avec Marat ou Chabot, mesures révolutionnaires, mais que j'appelle, moi, avec la France, attentats contre-révolutionnaires, crimes de lèse-nation. Après ce double défi, je n'ai plus que deux déclarations à faire pour m'acquitter avec mes commettants et mettre ma conscience en paix, les voici : Je déclare à ma patrie que, mettant entièrement de côté tout ressentiment personnel, je ne m'acharne à combattre que pour le maintien de ses droits ; que, profondément convaincu qu'ils ont été méconnus et violés par les scélérats que je lui dénonce et qui sont à mes yeux ses plus cruels ennemis, je les abhorre plus que je ne m'aime moi-même ; que je ne consentirai jamais à capituler avec eux ; que la crainte d'être soupçonné de cette bassesse me rendrait toute indifférence de leur part aussi odieuse qu'eux-mêmes ; que, glorieux d'être une de leurs victimes, je me croirais déshonoré s'ils ne me persécutaient pas ; que si, à la honte de la France, il était possible qu'ils triomphassent, ne voyant plus, dès cet instant, de moyens de salut pour mon pays, j'aimerais mille fois mieux mourir digne de l'avoir servi que vivre pour voir les forfaits et porter les fers de ses oppresseurs. Je déclare à ma patrie que ses lois, son repos, son honneur, sa liberté, sont perdus si elle ne brise soudain le joug des tyrans qui oppriment par la force et asservissent par la terreur l'Assemblée de ses représentants légitimes, assemblée dissoute en partie, soit par l'arrestation de plusieurs de ses membres, soit par la dispersion d'un grand nombre d'autres, assemblée qui n'est plus dans leurs mains sacrilèges que l'instrument de leurs volontés, de leurs passions et de leurs fureurs. Quant au scandaleux silence du Comité de salut public, est-il le fruit de sa perfidie ou l'effet de la terreur que lui inspire la tyrannie municipale ? Ses membres auraient-ils assez de scélératesse pour partager cette tyrannie, ou n'ont-ils pas assez de courage pour la proclamer ? Veulent-ils faire enfin leur rapport ? Veulent-ils, en disant la vérité, sonner enfin le tocsin contre les tyrans de la France, ou s'il faut qu'on le sonne contre eux, comme complices de ces tyrans ? LASOURCE. Deschezeaux, député de la Charente-Inférieure, au Comité de sûreté générale. Paris, le 30 juin 1793, an IIe de la République française une et indivisible. J'apprends, citoyens, que, dans un rapport que vous avez présenté ce matin à la Convention nationale, vous lui avez proposé l'arrestation des députés de l'Aisne, qui ont osé envoyer à leurs commettants le récit des événements du 31.mai, 1er et 2 juin ; et moi aussi j'ai tracé le précis de ces journées trop fameuses, dont le souvenir se perpétuera d'âge en âge comme celui de ces grandes calamités qui ont frappé toute une contrée ; et moi aussi, je l'ai envoyé à mes commettants ; en voici un exemplaire signé de moi, pour que vous n'en doutiez pas. Si c'est un crime, je ne veux pas échapper à la punition. Je veux que la responsabilité en pèse tout entière sur ma tête. Si c'est une persécution, je veux être persécuté aussi ; car la persécution du crime honore le courage et l'innocence de l'homme de bien. Frappez si vous l'osez ! B. DESCHEZEAUX. Nous n'avons pu, malgré toutes nos recherches, retrouver le récit que Deschezeaux annonce dans sa protestation ; nous le regrettons d'autant plus que ce récit devait être au moins aussi courageux que la lettre d'envoi. III FRAGMENTS DE LA CORRESPONDANCE DE PLUSIEURS DÉPUTÉS.Nous avons trouvé la plupart de ces documents dans les papiers du Comité de sûreté générale, qui n'avait pu en devenir détenteur qu'en violant le secret des lettres par lui-même ou par ses agents. Michel, du Morbihan, à la municipalité de Lorient[8]. Du 20 mai 1793. La séance de samedi, destinée à remplacer celle de la veille, perdue pour la Constitution, a eu le même sort ; dès qu'on a voulu aborder la question, deux à trois mille femmes, organisées et enrégimentées exprès pour les opérations par la Société fraternelle séant aux Jacobins, ont commencé leur tintamarre, qui a duré jusqu'à six heures, qu'il a fallu lever la séance. La plupart de ces créatures sont des filles publiques. Lanjuinais a failli être assassiné le même jour ; plusieurs autres députés ont été insultés et menacés. La force armée est d'accord avec les malveillants. Ainsi nous sommes sans aucun moyen de répression. Le salut de la patrie dépend uniquement des départements. Du 29 mai 1793. La séance de lundi dernier était destinée à la Constitution. On allait commencer à la discuter, lorsqu'une section de Paris s'est présentée à la barre avec une pétition qui a causé le plus grand désordre. Un substitut du procureur de la Commune, un président et un secrétaire de section avaient été mis en arrestation par une Commission créée par la Convention nationale pour poursuivre les complots et les conspirateurs. On est venu demander la liberté des prévenus, la dissolution de la Commission et la traduction de ses membres au tribunal extraordinaire. Cette demande, fortement appuyée par une partie de l'Assemblée, a excité un affreux tumulte ; le peuple s'est porté autour de la salle ; les gardes ont été forcées et le sanctuaire des lois a été investi depuis environ quatre heures jusqu'à dix heures passées ; de manière que personne ne pouvait sortir même pour les besoins les plus pressants. On a constamment refusé d'entendre les membres de la Commission, qui demandaient à justifier leur conduite. Enfin, à dix heures et demie, un décret rendu dans le bruit a supprimé la Commission. Hier on a réclamé contre le décret. La séance a été fort orageuse et a duré jusqu'à neuf heures. Après un appel nominal assez tranquille, le décret de la veille a été rapporté. Du 1er juin 1793. Hier le tocsin a sonné à Paris depuis trois heures du matin jusqu'à près de quatre heures après midi, et le canon d'alarme a tiré dix-huit heures. C'était le dernier moyen des anarchistes pour causer du désordre et renouveler les scènes affligeantes du mois de septembre. Eh bien, ce moyen ne leur a pas réussi ; le peuple de Paris est demeuré calme et ne s'est montré que pour maintenir le bon ordre et se mettre en posture de protéger la représentation nationale contre les attentats qu'il était permis de craindre ; quoiqu'on ait distribué du vin dans certains endroits, quoique quelques-unes de ces femmes, dont on se sert pour avilir la Convention, se fussent répandues dans plusieurs quartiers pour y provoquer la fermentation, quoique la majorité des sections se fût déclarée en insurrection, la paix néanmoins n'a pas été troublée. Plusieurs même de ces bacchantes ont été arrêtées. La Convention nationale s'est emparée de la force armée qui est maintenant et jusqu'à nouvel ordre à sa seule réquisition. Il n'a pas été question de Constitution pendant cette semaine. Mercredi, l'Assemblée a seulement décrété que le Comité de salut public, autorisé à s'adjoindre cinq nouveaux membres pour cet objet, lui présenterait, sous huitaine, les articles purement constitutionnels, pour être soumis à la discussion. Fasse le ciel que ce dernier plan réussisse ! Le salut de la France en dépend. Le citoyen Loiseau, membre de la Convention nationale, aux administrateurs du district de Marennes[9]. Paris, le 5 juin 1793. Citoyens administrateurs, Je dois à des hommes revêtus de la confiance publique la vérité sur des faits qui se sont passés ici depuis quelques jours, avec cette franchise et cette fermeté qui ne craignent pas la mort. Indifférent à tous les partis, et n'ayant d'autre désir que de servir ma patrie, je me croirais complice des outrages qu'ont reçus les représentants d'un grand peuple, si je les taisais. Je ne sais si le récit que je vais vous faire vous parviendra. Je le ferai porter à la poste à Saint-Denis, car ici la liberté de la presse et celle des opinions sont méconnues. J'envoie au département un double de ce mémoire. Il y avait déjà longtemps qu'il se tramait des complots contre l'intégrité de la Convention nationale. Dans une société populaire, on a fait des motions très-violentes contre plusieurs membres ; ces motions, répandues dans le public, y avaient excité la fermentation. Déjà une autorité constituée avait demandé un décret d'accusation contre vingt-deux membres ; on était instruit qu'un comité, dit révolutionnaire, s'assemblait tous les jours à l'Évêché, sous prétexte de former l'opinion publique et de présenter des mesures de sûreté générale. La Convention nationale, pour prévenir des mesures qui paraissaient dirigées contre elle, avait créé un comité de douze membres pour examiner tous les complots et la mettre à même de les déjouer ; cette commission, toute choisie à la pluralité des suffrages dans cette portion qu'on appelait le côté droit, a, dit-on, suivi dans ses opérations l'esprit de parti qui paraissait diviser la Convention. Je ne dis pas que ces inculpations soient fondées, puisque jusqu'à présent on ne lui a pas permis de faire aucun rapport ; mais l'arrestation d'Hébert, auteur de la feuille intitulée le Père Duchesne, a servi de prétexte à ceux qui voulaient un mouvement pour le susciter. Déjà le mouvement avait échoué plusieurs fois ; enfin toutes les mesures ayant été mieux concertées, le tocsin commença à sonner ; dans la nuit du 30 au 31 mai, la générale battit dans plusieurs sections ; on parvint à faire tirer le canon d'alarme vers midi du 31 ; les citoyens ignoraient de quoi il s'agissait et ce qu'on voulait. Ce ne fut que vers les quatre heures du soir que les différentes sections parurent s'ébranler les unes contre les autres, car une partie voulait désarmer celles qui avaient assuré à la Convention qu'elles la défendraient contre ses ennemis ; cependant tout s'arrangea. Les autorités constituées présentèrent plusieurs pétitions très-fortes, et la Convention, voulant prévenir les suites d'un mouvement qui ne pouvait qu'être funeste à la liberté, crut devoir casser le Comité des Douze et renvoyer au Comité de salut public les dénonciations faites contre divers membres pour en faire son rapport sous trois jours. La Convention fut investie, à la vérité, mais aucun de ses membres ne reçut d'outrages, et on put entrer et sortir librement. Quoique cette journée eût éclairé un attentat commis contre la nation entière dans sa représentation, elle finit assez bien : chacun retourna chez soi tranquillement. Le désir de resserrer l'union parmi les citoyens et d'éviter tout ce qui pourrait concourir à faire naître la guerre civile fit proposer et adopter plusieurs décrets qui ne paraissaient avoir pour but que la paix et la concorde. Tel fut celui qui ordonna une fédération générale pour le 10 août, une adresse au peuple français, etc. Cependant le but des auteurs du mouvement n'était point rempli : il fallait donc recommencer, ce à quoi ils travaillèrent dans la nuit du 31 mai au 1 et juin. La matinée parut tranquille, quoiqu'on fût instruit qu'on prenait des mesures pour occasionner d'autres mouvements. Les délibérations de l'Assemblée parurent assez calmes. Cependant quelques menaces échappées à certains membres de la députation de Paris annoncèrent qu'il se tramait quelques grands complots. Le Comité de salut public présenta à la Convention un projet d'adresse au peuple français, qui ne contenait rien moins que la vérité exacte ; ce projet excita divers débats. Mais le désir d'anéantir jusqu'au moindre ferment de guerre civile et l'espoir que, par là même, tout prétexte de renouveler la scène de la veille serait ôté aux malveillants, engagèrent la majorité de l'Assemblée à l'adopter. Le président leva la séance à quatre heures. A peine la séance était-elle levée qu'on entendit battre la générale en plusieurs sections. J'allai au jardin des Tuileries, où je vis les terrasses remplies d'hommes armés ; je me mêlai dans les groupes pour savoir quelle en était la raison. Partout on se faisait la même question sans qu'on pût donner de réponse ; on disait cependant que c'était pour obtenir la détention des membres de la Convention qui avaient été dénoncés. le parcourus tout un bataillon ; tous les soldats me dirent qu'ils ignoraient la cause de ce mouvement ; qu'elle n'était connue que de leur chef. On apprit bientôt qu'une députation du Conseil général de la Commune et du Comité révolutionnaire s'était présentée à la barre, et on parut bien étonné de ne pas trouver la Convention assemblée. Cependant la générale avait engagé plusieurs membres à s'y rendre, et la séance s'ouvrit à huit heures du soir, les pétitionnaires, qui étaient venus demander le décret d'accusation contre les vingt-deux dénoncés et la commission des Douze, obtinrent le renvoi de leur pétition au Comité de salut public, auquel on enjoignit de faire un rapport sous trois jours, et à la Commune de lui remettre les pièces justificatives de la dénonciation. On pouvait espérer que ces mesures satisferaient l'acharnement des ennemis des dénoncés, mais on se trompait. Marat avait prononcé à la Commune le discours, qui sera sans doute un jour fameux, dans lequel, confondant les citoyens des tribunes de la Maison commune de Paris avec le people français, il les invita à se lever en masse contre les mandataires de la nation française, qui, n'ayant pour eux qu'une force morale, n'avaient pas besoin d'être attaqués par toute la population d'une grande ville. Cependant la séance de la Convention fut levée à minuit et les troupes se retirèrent tranquillement. La journée la plus fatale n'était pas encore arrivée ; c'était le 2 juin que devait se commettre un crime horrible contre la nation entière. Les machinateurs se préparèrent toute la nuit. La matinée parut assez tranquille. Cependant je fus instruit que le commandant général provisoire, nommé Henriot, qu'on dit être un des fameux septembriseurs, s'était engagé, en présence du Conseil général de la Commune, à mettre en état d'arrestation et de conduire à l'Abbaye tous les membres de la Convention qui ne voteraient pas dans le sens des pétitions qui lui avaient été, présentées. Plusieurs personnes confirmèrent qu'il se préparait un grand mouvement pour le soir. La séance de la Convention s'ouvrit à l'heure ordinaire. Les délibérations furent assez calmes jusqu'au moment où plusieurs membres, entre autres Lanjuinais, voulurent dénoncer le complot qui devait s'exécuter le soir. Les tribunes firent un bruit effroyable pour l'empêcher de parler. Legendre (de Paris) se porta à la tribune pour en faire sortir Lanjuinais ; mais il fut maintenu par plusieurs membres du côté droit. A deux heures, une députation des autorités révolutionnaires et constituées de Paris demanda à être admise à la barre et dit entre autres choses : Nous venons pour la dernière fois vous dénoncer les membres qui l'ont déjà été ; décrétez à l'instant qu'ils sont indignes de la confiance publique et mettez-les en état d'arrestation provisoire ; le peuple est las d'ajourner l'instant de son bonheur ; il le laisse encore un instant dans vos mains ; sauvez-le, ou nous vous déclarons qu'il va se sauver lui-même. Plusieurs membres observèrent que le Comité de salut public avait été chargé, par un précédent décret, de faire un rapport sur l'objet demandé, sous trois jours, et demandèrent qu'on passât à l'ordre du jour, motivé par ce décret ; ce qui fut adopté. Aussitôt les pétitionnaires qui avaient été siéger à la Montagne se levèrent avec des gestes d'indignation et sortirent de l'Assemblée en paraissant la menacer ; les tribunes, de leur côté, firent entendre de grands cris ; elles s'invitaient réciproquement à se retirer, et tous les hommes armés sortirent ainsi que plusieurs femmes. Le Comité de salut public fut mandé pour faire son rapport sur les circonstances graves dans lesquelles se trouvait la Convention. Je profitai de l'instant, qui s'écoula jusqu'à ce qu'il fut prêt à présenter le rapport, pour aller (liner ; les portes étaient encore libres et je ne fus point arrêté. Cependant la générale battait ; je voulus sortir de mon hôtel, on essaya de m'y retenir en me disant que je courais les plus grands risques si j'allais à la Convention. Je répondis que je ne savais que mourir à mon poste. Arrivé à la porte du jardin des Tuileries, je la trouvai fermée et gardée par des gardes nationales étrangères qui passaient à Paris pour aller à l'armée de la Vendée, mais qu'on avait retenues pour cette belle expédition. M'étant annoncé comme député, on me fit ouvrir, mais bientôt deux fusiliers reçurent l'ordre de me conduire à la Convention ; ainsi je traversai le jardin jusqu'à la porte de la salle entre deux gardes, dont l'un me précédait et l'autre me suivait. Le Comité de salut public faisait alors son rapport et proposait aux membres dénoncés de se suspendre volontairement de leur pouvoir. Isnard, Fauchet et Lanthenas offrirent leur suspension volontaire. Lanjuinais et Barbaroux la refusèrent et dirent qu'un décret seul de la Convention libre pouvait les suspendre. Cependant plusieurs membres se plaignirent qu'on refusait de les laisser sortir de la salle, d'autres dirent qu'ils avaient été témoins de l'ordre donné de charger les armes et qu'on les avait mis en joue, lorsqu'ils avaient voulu regarder par les fenêtres. Barère, Cambon, Lacroix et plusieurs autres parlèrent avec furie contre cette tyrannie. Après plusieurs motions, comme on n'obtenait point la liberté, on proposa et il fut décidé que la Convention irait fraterniser avec la force armée. En conséquence, le président couvert, précédé des huissiers et suivi de tous les membres de la Convention, se présenta aux premières gardes, qui ne firent pas beaucoup de résistance. Il descendit sur la place du Carrousel. Là je remarquai que les canons étaient braqués contre la salle de la Convention et sur les avenues. Le président s'avança vers le commandant provisoire, le décret à la main. Il ne parut faire aucune attention à la dignité de la représentation nationale. Seulement, forcés par la quantité de députés qui se succédaient, les cavaliers qui l'accompagnaient se rompirent et allèrent se ranger en bataille dix pas plus loin. On m'a assuré qu'il avait été en ce moment donné des ordres aux canonniers de se tenir prêts et aux fusiliers de préparer leurs armes. Ce que je sais être bien vrai, c'est que nous leur criâmes : Eh bien, faites-nous assassiner de suite, mais qu'on ne nous fasse pas languir. Lacroix (d'Eure-et-Loir),
près duquel j'étais, découvrit sa poitrine et leur dit de frapper s'ils
osaient. Le président retourna alors du côté des bataillons qui s'étaient
rangés sur deux haies entre lesquelles Bous passâmes, et nous revînmes
ensuite dans le jardin, dont nous fîmes ainsi le tour ; partout les passages
étaient exactement fermés, et il était impossible de sortir. On criait
cependant : Vive la Montagne ! vive la République ! Quelques insolents, en
petit nombre, disaient : Vous avez beau faire, vous
ne sortirez point que le décret que nous demandons ne soit rendu ; s'il ne
l'est pas ce soir, nous verrons beau jeu. La Convention rentra dans le
lieu de ses séances. Le morne silence qui y régnait fut interrompu par
Couthon, qui, s'extasiant sur la liberté dont nous jouissions, demanda le
décret d'arrestation chez eux contre les membres dénoncés, à l'exception de
Dussaulx, Ducos et Lanthenas. Cette motion, vivement applaudie par les
tribunes, n'ayant point été combattue parce que les besoins physiques
commençaient à se faire sentir et qu'une impression de terreur était répandue
sur l'Assemblée, le président la mit aux voix ; les membres de la Montagne et
ceux que la crainte avait fait réfugier parmi eux, se sont levés. Quelques
membres seulement du côté droit se sont levés contre ; une partie de
l'Assemblée n'a point pris part à la délibération ; le décret d'arrestation a
été prononcé d'après la liste lue par un secrétaire et commandée par Couthon.
Bientôt après la séance a été levée. Saint-Prix, député de l'Ardèche, au maire de Saint-Peray[10]. Du vendredi 7 juin 1793. Vous trouverez ci-joint, mon cher concitoyen, un imprimé dans lequel vous verrez une partie des événements qui se sont succédé depuis le 27 mai et que la tyrannie s'efforce de cacher à la République ; mais la vérité, malgré les entraves de toute espèce, percera et le peuple saura tout. Dans peu vous aurez connaissance d'une lettre que la députation adresse à ses commettants et qui est l'exposé fidèle de tous les faits. Nous n'avons pas pu la faire passer plutôt, vu qu'on ouvre tous les paquets et qu'on ne laisse passer que ceux qui flattent les oppresseurs[11]. Je joins ici un petit imprimé qui contient l'état exact des événements des 27, 30, 31 mai et 2 juin. Je vous l'aurais fait passer plus tôt, si on n'arrêtait pas les lettres et paquets pour empêcher que la vérité perce. Je doute encore qu'il vous parvienne, surtout si l'on voit ces quatre mots ; adieu. Casenave au président de la Convention[12]. 15 juin 1793. Citoyen président, Ayant compris qu'il doit être procédé à un appel nominal, je crois devoir m'empresser de vous prévenir qu'il m'est impossible d'y assister, car je suis retenu depuis trois jours dans mon lit par une fièvre violente dont j'attribue principalement la cause aux excès dirigés contre la Convention nationale. La violation de la liberté, surtout dans la séance du 2 de ce mois, m'a fait partager les sentiments de la plus grande indignation, que des attentats si atroces ont dû inspirer à tout vrai républicain. Je vous prie, citoyen président, de donner connaissance de ma lettre à l'Assemblée pour constater les motifs de mon absence. CASENAVE, député des Basses-Pyrénées. Devérité, député de la Somme, à sa femme[13]. Peut-être sous quinze jours, ma chère amie, la Constitution sera-t-elle faite, et cette circonstance et d'autres me ramèneront vers toi. La députation de la Somme vient, et moi avec les autres, de se réconcilier avec Saladin à l'occasion de sa descente de la Montagne, et de notre parti qu'il a embrassé vigoureusement. Je t'envoie la déclaration de la Somme et la brochure de notre nouveau converti. Porte-toi bien comme moi. Je t'embrasse, ainsi que ma famille. On s'écrit peu de choses, parce qu'on décachète les lettres à Paris comme à Abbeville. Nous voilà revenus à cette infâme tyrannie de police qu'on détestait ; tout en parlant de liberté, on n'est pas même libre de sa pensée avec ses parents, ses amis, et il faut faire ses lettres très-courtes. Laplaigne, député du Gers, à M***[14]. Paris, 6 juillet 1793, an 2e de la République. Oui, mon cher ami, la République, conduite à deux doigts de sa perte, et suivant votre propre expression, par quelques conjurés qui ont frappé et dispersé la représentation nationale, sera sauvée par le peuple entier qui va manifester sa volonté suprême non par d'inutiles adresses, mais par des actes éclatants de souveraineté et de toute-puissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quant au dernier état des choses sur lequel vous me demandez des instructions, le voici : Depuis la triste et funeste époque du 2 juin, la moitié de la Convention, à peu près, s'est abstenue de prendre part aux délibérations ; plus de cent cinquante membres ont même fui et disparu après l'appel nominal du 2 juin, lors duquel je déclarai solennellement que j'étais présent uniquement pour réclamer préalablement, et avant tout autre acte, la liberté de l'Assemblée, son intégralité et la punition exemplaire des hommes qui avaient attenté à l'une et à l'autre. Cette déclaration me valut des huées, des menaces de l'Abbaye et provoqua un décret par lequel il fut défendu à ceux qui devaient répondre après moi, de dire autre chose, sinon qu'ils étaient présents. J'osai néanmoins insister, braver les menaces, voler au bureau et demander acte de ma déclaration, ce qui me fut refusé. Quelques jours après, un membre, accusé d'avoir ri en écoutant la lecture de quelque dépêche qui annonçait que dans un département on avait été profondément indigné en apprenant les attentats du 2 juin, fut aussi menacé de l'Abbaye. Un décret solennel a déclaré que les auteurs des événements du 2 juin avaient bien mérité de la patrie. Une violation publique et sacrilège du secret des lettres est ici à l'ordre constant de tous les jours. J'avais expédié secrètement par le courrier de Bordeaux plusieurs exemplaires d'une relation exacte de notre situation que j'avais signés et adressés au département, au district, à la municipalité, à la société, à vous, à Thezon, à Lapeyre, médecin, avec une note manuscrite des derniers événements ; ces dépêches ont été saisies parce que le courrier a été arrêté et fouillé à vingt lieues d'ici. Elles ont été portées au Comité de salut public où elles sont déposées, et je suis, à cette occasion, menacé d'un décret d'arrestation. Un de mes collègues avait signé avec moi ces dépêches. Une censure rigoureuse supprime ou mutile tous les journaux qui ne préconisent pas les journées des 31 mai, ter et 2 juin, et tout ce qui en a été la suite. On ne laisse lire aucune espèce d'improbation de ces fatales journées. Le commandant Henriot, qui emprisonna la Convention le 2 juin, qui la fit coucher en joue lors de sa sortie, etc., vient d'être nominé commandant général. Je vous embrasse, LAPLAIGNE, député du Gers. |
[1] Les trente-deux proscrits mis en arrestation partagent sans doute les mêmes sentiments, mais aucun d'eux n'a souscrit d la présente déclaration.
[2] La députation de la Somme se composait de treize membres. Les quatre représentants dont le nom ne se trouve pas au bas de la protestation sont :
1° Sillery, qui était en état d'arrestation depuis le 5 avril comme suspect de complicité avec Dumouriez ; 2° Saladin, qui fit imprimer une protestation particulière et qui signa du reste la protestation des soixante-quinze ; 3° André Dumont ; 4° Hourrier-Éloi : ces deux derniers étaient des Montagnards.
[3] Les deux membres de la députation de l'Aisne qui ne sont pas mentionnés dans cette pièce sont Saint-Just et Dupin jeune. On comprend facilement que Saint-Just, l'un des conspirateurs de la journée du 2 juin, n'ait pas signé cette protestation. Quant à Dupin jeune, il y avait d'abord apposé sa signature ; mais il la retira quelques jours après.
[4] La députation de la Haute-Vienne était composée des cinq signataires de la protestation, de l'évêque Gay-Vernon et d'un député fort obscur, nommé Bordas, qui ne joua aucun rôle pendant toute la session conventionnelle.
[5] L'Histoire parlementaire de Buchez et Roux a reproduit, dans le XXVIIIe volume, page 4, le procès publié par Gorsas ; la protestation de Saladin (de la Somme), page 30 ; celles de Valazé et de Vergniaud, pages 163 et 164. Le précis publié par Edme Petit (de l'Aisne) a été rédigé longtemps après les événements et au moment où les députés incarcérés réclamaient, après le 9 thermidor, le droit de reprendre leur siège à la Convention.
[6] Gensonné envoya vraisemblablement copie de cette lettre à plusieurs administrations départementales. Elle fut notamment insérée dans le Bulletin du département d'Ille-et-Vilaine, et revint par cette voie au Comité de salut public, dans les papiers duquel nous l'avons retrouvée.
[7] Lasource fit imprimer cette lettre et la fit placarder sur les murs mêmes de Paris. On comprend qu'elle n'y resta pas longtemps. Nous en avons retrouvé un exemplaire dans les papiers du Comité de sûreté générale.
[8] Michel fut l'un des signataires, de la protestation des soixante-quinze ; comme tel il fut décrété d'arrestation le 3 octobre 1793. Il avait été longtemps secrétaire de la municipalité de Lorient. En apprenant son arrestation, la Société populaire de Lorient le dénonça avec fureur s comme le brissotin le plus fangeux, le calomniateur le plus atroce de la Convention. Elle se saisit de la correspondance qu'il avait entretenue avec la municipalité de Lorient et l'envoya à Paris. Elle resta dans les papiers du Comité de sûreté générale qui crut ne devoir donner aucune suite aux accusations des démagogues du Morbihan. Michel survécut à la tourmente révolutionnaire.
[9] Loiseau n'avait signé aucune protestation ; il ne fut pas inquiété, et siégea pendant toute la session conventionnelle.
[10] Saint-Prix était un des signataires de la pétition des soixante-quinze. Il partagea le sort de ses collègues et passa quinze mois en prison.
[11] Nous ne croyons pas que la députation de l'Ardèche ait donné suite à son projet d'envoyer à ses commettants une lettre qui aurait contenu l'exposé de tous les faits relatifs au 2 juin. Au moins n'en avons-nous trouvé aucune trace ni dans les papiers du Comité de salut public ni dans ceux du Comité de sûreté générale.
[12] Casenave n'avait signé aucune protestation. Il continua à siéger à la Convention, dont il était un des membres les plus modérés.
[13] La lettre de Devérité fut interceptée le 15 juin à la poste d'Abbeville, par les soins des commissaires du Comité de sûreté générale. Le 8 juillet, un décret ordonnant l'arrestation de Devérité fut rendu par la Convention, mais celui-ci put s'y soustraire. Il ne rentra dans le sein de la Convention que le 13 frimaire an III.
[14] Laplaigne était un des signataires de la protestation des soixante-quinze. Aussi fut-il décrété d'arrestation le 3 octobre 1793 à la suite du rapport d'Amar. S'étant soustrait au mandat lancé contre lui, il fut mis hors la loi, le 7 octobre du même mois. Il put néanmoins échapper à la poursuite de ses ennemis et fut rappelé le 13 frimaire an ut dans le sein de la Convention.