Trois jours à peine s'étaient écoulés depuis la chute de la royauté, que l'on vint proposer à l'Assemblée législative de quitter la salle du Manège où avait siégé la Constituante pendant deux ans (octobre 1789 à septembre 1791) et où elle-même siégeait depuis dix mois. Le 13 août (Moniteur, n° 957), Vergniaud vint au nom de la commission extraordinaire proposer d'établir la salle des séances de la-future Convention dans le bâtiment de l'église de la Madeleine, qui était alors à peine à moitié bâtie. Il faut, disait-il, fonder un temple à la liberté et préparer à la Convention un édifice qui atteste la grandeur et la gloire de la France. En entrant dans l'étroite enceinte que nous occupons actuellement, en voyant cette salle où il est impossible d'établir l'ordre et le silence, où les députés sont placés sur de longues et étroites banquettes, on se demande si c'est bien là le sanctuaire des lois ; en jetant les yeux sur ces tribunes aussi ridicules par leur petitesse que par leurs dispositions, où tous les mouvements doivent être désordonnés parce qu'ils sont gênés, où l'on est moins assis qu'indécemment entassé, on se demande si ce sont là les places réservées à un peuple libre. L'orateur proposait d'adopter un plan dressé par MM. Grand et Molinos et qui consistait à former dans le vaisseau intérieur de la Madeleine, dont l'architecture extérieure serait respectée, une salle elliptique pour les séances de l'Assemblée, laquelle aurait été entourée des salles accessoires nécessaires à toute grande assemblée. Le rapporteur émettait l'opinion qu'avec un million on pourrait établir les agencements intérieurs, et que cette somme suffirait avec les six millions déjà dépensés par l'ancienne monarchie pour terminer cet édifice. Le projet ne trouva aucune sympathie dans l'Assemblée ; l'ajournement fut unanimement adopté. Ce fut, chose bizarre, sur l'initiative d'une des sections les plus démocratiques de Paris que fut adopté le projet qui devait établir la Convention dans le palais des Tuileries. Le 8 septembre, la section des Sans-Culottes, autrefois du Jardin-des-Plantes, envoya une députation au Conseil général de la Commune pour lui exposer les inconvénients que présentait l'insuffisance du local où l'Assemblée nationale tenait ses séances, les avantages que la nation retirerait de la vente des couvents des Capucins et des Feuillants. L'orateur de la députation s'étonnait de voir que, tandis que les rois avaient toujours habité des palais, les représentants du souverain fussent resserrés dans un manège, et proposait d'adresser une pétition à l'Assemblée nationale à l'effet de l'inviter à choisir un local convenable dans les Tuileries pour y tenir ses séances. Cette demande fut aussitôt accueillie par le Conseil général. Le jour même, le maire Pétion se présenta à l'Assemblée pour lui demander de décider que la Convention nationale siégerait dans un local digne du peuple souverain, dans l'ancienne salle du Théâtre français, au palais des Tuileries. La pétition de la Commune fut renvoyée immédiatement à la commission extraordinaire et au comité d'instruction publique. Le ministre de l'intérieur s'occupa sans délai de l'examen des plans et devis, qui, vraisemblablement, étaient faits d'avance, car six jours après (14 septembre), le ministre faisait un rapport aux deux comités réunis. Ce document était ainsi conçu : La nécessité de construire avec la plus grande célérité une salle commode et salubre dans l'ancienne salle des machines aux Tuileries pour y recevoir, au ler novembre prochain, la Convention nationale, n'ayant pas permis d'admettre au concours un grand nombre d'artistes, ni d'employer la forme lente des devis approximatifs et des adjudications au rabais, le ministre de l'intérieur s'est contenté de rassembler chez lui deux architectes accrédités dans l'opinion publique, un peintre célèbre, un savant de l'Académie des sciences, les sieurs Heurtier, Boullé, David et Bossut ; lesquels, après avoir examiné plusieurs projets qui leur ont été soumis, ont donné la préférence à celui du sieur Vignon. Ce projet, par la manière dont il est conçu, a, entre autres avantages, celui d'être facile à construire, d'être dans une forme simple, de se prêter à toutes les commodités désirables, soit pour les députés, soit pour les spectateurs, et, par-dessus tout, celui de pouvoir être exécuté en peu de temps et avec une grande économie. Le ministre a voulu que la marche rapide de l'exécution ne nuisit pas à l'économie, et, pour cet effet, il a chargé spécialement le sieur — le nom est en blanc dans les pièces officielles —, architecte, de surveiller cette partie et de lui en répondre en son propre et privé nom. Le ministre, après avoir pris toutes les précautions qui dépendaient de lui pour choisir, sinon le meilleur projet possible, au moins un projet très-recommandable sous les rapports les plus essentiels, ceux de la salubrité, de la commodité, de l'économie et de la célérité, observe particulièrement : 1° Que le projet du sieur Vignon ne nécessite aucun ouvrage en maçonnerie ; 2° Que, par ses dispositions, l'air et la lumière pourront être introduits dans l'intérieur de la nouvelle salle dans telle direction et avec telle abondance qu'on le jugera convenable ; 3° Que les abords de la salle projetée seront commodes et multipliés et pratiqués de manière qu'à tout événement les députés et les spectateurs pourraient sortir de la salle promptement et sans embarras. Le ministre observe, en outre, qu'au moyen des précautions qu'il a prises et des moyens de surveillance qu'il emploiera, il est certain que le maximum de la dépense n'excédera pas 300.000 livres, qu'il n'atteindra même pas cette somme et que l'économie sera surveillée avec une si rigoureuse et si sévère attention, qu'il n'y aura rien à désirer sur cet article important, après la besogne faite. Un autre projet de forme demi-circulaire avait fixé l'attention du ministre et de ses conseils, parce qu'il était heureusement conçu, quant à ses dispositions intérieures. Mais comme ce projet exige une construction considérable en maçonnerie, qui demanderait beaucoup de temps et une grande dépense ; qu'il en résulterait, en outre, des plâtres frais dont l'évaporation et l'humidité seraient nécessairement nuisibles aux députés et aux spectateurs ; qu'étant construit extérieurement il présenterait au dehors un aspect désagréable, le ministre a cru devoir l'écarter, et a pensé que toutes les raisons de circonstance s'opposaient d'ailleurs à son admission. Il s'agit ici d'un établissement provisoire, commode, sans maçonnerie, qui soit fait promptement et avec une grande économie ; et c'est d'après ces conditions requises que le ministre et ses conseils se sont décidés à adopter de préférence le projet du sieur Vignon. ROLAND. Le jour même, tant on était pressé d'en finir, fut rendu le décret dont la teneur suit : L'Assemblée nationale, considérant qu'il importe de fixer les séances de la Convention nationale dans le local le plus convenable à la dignité nationale ; qu'aucun ne peut mieux remplir cet objet que le château des Tuileries ; Après avoir entendu le rapport de la commission extraordinaire et du comité d'instruction publique sur la pétition présentée par la municipalité de Paris et sur les observations du ministre de l'intérieur, décrète qu'il y a urgence. Décrète que le ministre est autorisé à faire préparer aux Tuileries, d'après le plan proposé par le sieur Vignon, un emplacement propre à recevoir le plus promptement possible la Convention nationale, sans que les dépenses pour cet établissement puissent excéder la somme de 300.000 livres dont il rendra compte à la Convention nationale. L'architecte Vignon s'occupa immédiatement de la mission qui lui avait été confiée ; mais à peine la Convention était-elle rassemblée, que l'on éleva des doutes très-sérieux sur la bonté d'un projet qui avait été déclaré, un mois auparavant, réunir si bien toutes les conditions désirables de salubrité, de commodité et d'économie. Le premier qui parut s'en dégoûter fut le ministre Roland, qui l'avait tant préconisé. Il fit suspendre les travaux et chargea un autre architecte, M. de Gisors, de travailler sur un autre plan. Un décret du 6 octobre 1792 chargea les Inspecteurs de la salle de faire un rapport à l'Assemblée sur les difficultés qui venaient de s'élever. Les inspecteurs firent appeler le ministre et les deux architectes. Le nouvel examen eut pour résultat de faire donner définitivement la préférence au projet de M. de Gisors, parce que, disait, dans son rapport, Lacoste, organe de la commission, ce projet avait paru d'une exécution infiniment plus simple et plus économique : 1° Il était d'un style plus noble et mieux adapté à son objet ; 2° Il ne changeait rien au monument, n'en altérait point la solidité comme le projet de Vignon, qui nécessitait la suppression des piliers en pierre soutenant les combles de l'édifice. Le peuple, c'est-à-dire les spectateurs, devait être placé d'une manière plus digne pour bien voir et pour bien entendre ; 3° Enfin le projet Vignon entraînait après lui des moyens de construction qui demanderaient nécessairement beaucoup de temps, tandis que le projet Gisors, simple et facile, ne présentait aucune difficulté. — L'architecte avait promis que la Convention serait établie aux Tuileries le 1er décembre 1792. A la suite de ce rapport intervint, le 6 octobre, un décret ainsi conçu : La Convention nationale, après avoir ou ! le rapport qui lui a été fait par son comité d'inspection sur les difficultés qui se sont élevées relativement à l'exécution d'un projet proposé par l'architecte Vignon pour la construction d'une nouvelle salle destinée à la Convention nationale dans une partie des bâtiments des Tuileries, considérant que ce projet nécessite des démolitions importantes ; que son exécution doit coûter plus de 300.000 livres, maximum porté par le décret du 14 septembre dernier, que la nouvelle salle ne peut être prête à l'époque fixée ; que le projet de l'architecte Gisors présente plus d'avantages, lève toutes les difficultés ; que ces motifs ont déterminé le ministre à le faire exécuter en partie sous sa responsabilité, décrète qu'elle adopte ce dernier projet ; que le ministre sera tenu de sa prompte exécution, ainsi que de dédommager l'architecte Vignon de ses peines et dépenses. Mais bientôt les projets prirent un très-grand développement : il ne s'agissait plus seulement de transformer la salle de spectacle en une salle des séances de la Convention, mais d'approprier tout le palais au service de l'Assemblée. Le 2 novembre, intervint, sur le rapport de Gamon, au nom des inspecteurs de la salle, le décret suivant : La Convention nationale arrête que le château entier des Tuileries et ceux des bâtiments accessoires qui seront nécessaires sont à la disposition de la Convention pour le lieu de ses séances, les archives de la République, les comités et l'imprimerie. En conséquence, le ministre est chargé de présenter sans délai, d'après les indications du comité d'inspection de la salle, des plans, des distributions et des devis des travaux à faire pour ledit établissement. Le rapport desdits plans et devis sera fait ensuite par le comité d'inspection à la Convention nationale, qui mettra à la disposition du ministre les fonds nécessaires pour leur plus prompte exécution. Ces nouveaux travaux exigèrent un temps considérable. Ce ne fut que le 10 mai 1793 que la Convention vint s'établir aux Tuileries avec ses comités, ses archives et tous ses services accessoires, et qu'elle tint sa première séance dans la salle de spectacle qui avait été inaugurée en 1671 par la Psyché de Molière, et où Voltaire avait été couronné en 1780. Terminons cette notice par une description sommaire de la nouvelle salle. Cette salle était placée entre le pavillon Marsan, dit de la Liberté., et le pavillon central, dit de l'Unité. — Le pavillon de Flore, le plus rapproché du quai, s'appelait le pavillon de l'Égalité. Dans le pavillon de l'Unité se trouvait l'escalier principal débouchant sur le passage qui conduit de la cour au jardin. Cet escalier conduisait à la salle des séances ainsi qu'aux tribunes. Au rez-de-chaussée du pavillon de Flore siégeait le Comité de salut public. Les autres comités siégeaient dans les autres dépendances du vaste palais. Le Comité de sûreté générale était placé dans l'hôtel de Brienne, sur la petite place du Carrousel. L'antre de la délation était ainsi isolé des autres services de la Convention. La salle des séances était placée au premier étage ; elle était séparée de l'escalier principal : 1° par une salle vaste et élevée, éclairée de chaque côté par six fenêtres ; c'était l'ancienne chapelle du château ; 2° par un and-salon ; 3° par le salon, dit de la Liberté, à cause d'une statue colossale de la déesse placée au milieu de cette pièce, on entrait par un vestibule où s'ouvrait la porte de la salle des séances. Cette salle offrait l'aspect d'un carré long de cent trente pieds sur quarante-cinq. Sa hauteur était d'environ soixante pieds. Elle était éclairée par le haut. L'amphithéâtre où siégeaient les députés occupait toute la partie gauche en entrant, c'est-à-dire était adossé à la face latérale du côté du jardin. Il était composé de dix rangs de banquettes qui s'élevaient en gradins. En face de ce long et vaste amphithéâtre et au milieu du mur latéral, s'élevaient le bureau du président, la tribune des orateurs, les bureaux des secrétaires et commis. Les deux grands côtés de la salle présentaient cinq portiques très-élevés dans les renfoncements desquels se trouvaient deux rangs de tribunes pour le public ; entre ces deux rangs étaient ménagées des loges pour les journalistes. Aux deux extrémités de la salle, deux vastes arcades s'ouvraient et laissaient voir sous chacune d'elles deux étages d'amphithéâtres formés d'un grand nombre de gradins destinés pour le peuple. Ces diverses tribunes pouvaient, suivant lè journal les Révolutions de Prudhomme, contenir quatorze cents spectateurs ; suivant le Thermomètre du jour, deux à trois mille. Cette salle, trop longue et trop étroite, était singulièrement resserrée, à raison des quatre fameux piliers buttants que l'on avait renoncé à abattre de crainte de compromettre la solidité de l'édifice. Elle présentait un grand nombre de renfoncements et de percées où la voix s'étouffait et se perdait ; les murs étaient lisses et sans draperies ; la voix de l'orateur devenait souvent trop éclatante et faisait écho. Enfin on avait totalement négligé les moyens de renouveler l'air, et, sous le rapport hygiénique, cette construction laissait beaucoup à désirer. Telle était la salle où allaient siéger désormais les représentants du peuple souverain. Ils quittaient la salle du Manège pour la salle de spectacle ; mais, sous bien des rapports, ils ne gagnaient guère au change ; le provisoire succédait au provisoire, et la précipitation avec laquelle la nouvelle salle avait été fabriquée se faisait sentir dans la plupart des détails. |