Le récit du débat oral se trouve dans le bulletin du Tribunal révolutionnaire ; il a été reproduit dans l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux. Nous y renvoyons nos lecteurs. Nous préférons mettre sous leurs yeux les pièces de la procédure préparatoire dirigée contre Marat. Nous appelons spécialement leur attention sur le rapport de Gohier, relatif aux recherches faites pour découvrir la retraite de Marat. Aucun document de l'époque ne fait mieux comprendre combien le pouvoir exécutif était, par la législation de cette époque, destitué de toute action directe sur les magistrats et les administrateurs, placés hiérarchiquement sous ses ordres. Le ministre leur envoyait des instructions ; mais, qu'elles fussent ou non suivies d'effet, il n'avait aucun moyen de se faire obéir et respecter. Cette impuissance radicale de l'autorité supérieure ne donne-t-elle pas la clef d'une multitude de faits qui, sans cela, demeureraient inexplicables pendant la période qui s'étend de 1790 à 1793 ? 21 avril 1793. Citoyen Président, La Convention nationale charge le Conseil exécutif, par un décret rendu hier, de lui présenter aujourd'hui le compte des mesures qui ont été prises pour l'exécution du décret ; ma lettre et les pièces qui y étaient jointes ont été renvoyées au Comité de salut public. Je lui ai transmis la suite de ma correspondance sur cet objet ; je vais offrir à la Convention nationale un exposé général des mesures qui ont été prises depuis le moment où le décret relatif à l'arrestation du citoyen Marat m'a été adressé. J'ai reçu le décret le 12, à 11 heures du soir. Les deux expéditions qui m'ont été remises portaient en marge les mots : à l'abbaye, écrits d'une écriture différente de celle du corps du décret et avec un paraphe qui ne ressemblait à aucun des paraphes du président, des secrétaires et de l'inspecteur signataires des deux expéditions ; leur forme irrégulière me détermina à renvoyer sur-le-champ au bureau des procès-verbaux pour en faire la vérification sur minute. Le bureau était fermé. Partagé entre le désir de prouver mon zèle à faire exécuter la loi et la crainte de lui donner une extension que les législateurs n'avaient peut-être point déterminée, je me suis rendu au Comité de salut public pour prendre des renseignements certains sur le texte précis du décret. La vérité de l'addition marginale ayant été reconnue par le citoyen Delmas, qui avait présidé l'assemblée, je voulus, pour accélérer l'exécution du décret, en remettre directement une expédition en forme au citoyen Santerre, que je trouvai présent au Comité. Mais ce commandant m'ayant observé qu'il ne devait recevoir le décret que de l'autorité qui avait la réquisition directe de la force armée, et son observation ayant été approuvée par le Comité de salut public, je m'empressai d'adresser au citoyen Pache deux expéditions en forme du décret, l'une pour les administrateurs de police, l'autre pour le commandant général, avec ordre de le faire mettre à l'instant à exécution. A deux heures du matin j'ai reçu l'accusé de réception de ces deux expéditions. Le 13, les administrateurs du département de police m'ont adressé une expédition du procès-verbal des recherches infructueuses faites, à quatre heures du matin, chez le citoyen Marat. Le 14, je me suis rendu chez le maire de Paris pour conférer avec lui sur la nécessité de faire de nouvelles recherches qui pussent assurer l'exécution de la loi et d'y employer les officiers de paix les plus propres à remplir, avec autant d'intelligence que d'exactitude, leur mission. Il convint en conséquence de donner les ordres les plus pressants et de m'en adresser le résultat dans le plus court délai. Le 15, j'ai écrit à la Convention nationale pour lui rendre compte de toutes les mesures que j'avais prises et je lui annonçai qu'elles avaient été infructueuses. Le même jour j'ai écrit au citoyen maire pour lui demander quels renseignements il avait obtenus par les nouvelles poursuites qu'il avait ordonnées. Dans la matinée du 16, n'ayant point reçu de réponse à ma lettre de la veille, je récrivis au maire pour lui rappeler ma demande. J'ai reçu presque aussitôt après le départ de ma lettre : 1° une expédition d'un procès-verbal de nouvelles recherches, faites à cinq heures du matin chez le citoyen Marat, par le commissaire de police de la section de Marseille et trois officiers de paix qui ont apposé les scellés. A ce procès-verbal étaient jointes une lettre au maire et une aux administrateurs de police qui attestent que le citoyen Marat n'a point paru depuis le jour où son arrestation a été décrétée et que tous les préposés de police ont reçu des ordres pour le chercher partout où il sera possible de le trouver. J'ai transmis au Comité de salut public copie de toutes les pièces. Le maire de Paris et les administrateurs de police ont continué depuis ce temps leurs recherches, mais elles ont été également infructueuses. Beaucoup de personnes qui ne connaissent pas les lois ont prétendu que, pour découvrir plus facilement le citoyen Marat, il était possible d'arrêter les colporteurs de sa feuille. Mais les mêmes qui se sont plaints de ce que je n'ai pas pris cette mesure, m'auraient à bien plus forte raison accusé si j'avais été assez indiscret pour attenter ainsi à la liberté de la presse. On peut être scandalisé de la conduite de celui qui se dérobe à la justice, et se montre pour ainsi dire en public en y faisant répandre ses écrits ; mais aucune loi ne prive un accusé contumace du droit d'écrire et de faire circuler ses ouvrages. La liberté de la presse est illimitée envers lui comme envers tous les citoyens. La police n'a donc pas plus le droit de faire arrêter les colporteurs des écrits de Marat que ceux des autres citoyens. C'est la nature seule de l'ouvrage qui peut donner le droit d'en arrêter la distribution et même les distributeurs. J'ai cru cependant devoir chercher les moyens de concilier avec le respect dû à la liberté de la presse les mesures de prudence qui peuvent faciliter la découverte du domicile actuel du citoyen Marat. A cet effet j'ai écrit au maire de Paris le 19 pour l'engager à charger des observateurs intelligents de chercher à découvrir par quelles voies la copie de la feuille du publiciste parvient à l'imprimeur ; jusqu'à présent les nouvelles mesures relatives à ce moyen de découverte ont été aussi infructueuses que les premières. J'ai adressé au maire de Paris l'acte d'accusation contre Marat et je dois croire que le nouveau décret sera un motif de plus pour engager la police à redoubler ses recherches et ses poursuites. Je vous prie, citoyen Président, d'observer à la Convention nationale que, la réquisition de la force armée ne résidant pas directement en mes mains, je n'ai d'autres moyens de faire exécuter ses décrets que de m'adresser aux autorités constituées qui agissent immédiatement ; que tout mon pouvoir se réduit à une simple surveillance, dont jamais aucun motif de crainte ni d'égard hors la loi ne ralentiront le zèle et l'activité. Le ministre de la justice, GOHIER. P. S. A l'instant je reçois une lettre du maire de Paris et une copie de celle des administrateurs de police qui annoncent qu'ils ont mis à la poursuite de Marat des préposés dont ils attendent des renseignements positifs. J'ai l'honneur de vous adresser copie de ces deux lettres. Le maire de Paris au ministre de la justice. 21 avril 1793. Citoyen ministre, j'ai fait passer successivement au département de police, et aussitôt après leur réception, copie de votre lettre du 19 de ce mois et de celle du 20 qui m'est parvenue cette nuit, les deux relatives à l'exécution du décret d'arrestation prononcé contre le citoyen Marat ; j'ai invité les administrateurs à se conformer aux différentes dispositions qu'elles renfermaient et je les ai priés de m'instruire le plus promptement possible du résultat des mesures qu'ils auraient prises à cet égard. Je m'empresse de vous transmettre la copie de la réponse que j'en reçois à l'instant. Lettre des administrateurs de police au maire de Paris. 21 avril 1793. Nous avons reçu votre lettre en date de ce jour, relative aux recherches à faire pour mettre à exécution le décret d'arrestation contre le citoyen Marat. Nous avons mis à sa poursuite plusieurs préposés, desquels nous attendons des renseignements positifs, que nous vous ferons passer aussitôt qu'ils nous serons parvenus. BODSON, MICHONIS, MICHEL, BEAUDRAIS. Conseil provisoire exécutif. 22 avril 1793. Tous les ministres présents. Lecture faite d'une déclaration adressée au Conseil par le citoyen Tisset, concernant les moyens de faire exécuter le décret de la Convention nationale relativement au citoyen Marat, le Conseil arrête que le ministre de la justice est autorisé à employer ce citoyen pour cet objet et à lui fournir les trois cents livres qu'il réclame pour ses recherches. Arrête en outre que le même ministre est chargé de vérifier, dans les bureaux de l'administration de la police de Paris, les mesures prises pour l'exécution dudit décret. BOUCHOTTE, DALBARADE, CLAVIÈRE, LEBRUN, GARAT, GOHIER, GROUVELLE, secrétaire. Procès-verbal de perquisition. L'an mil sept cent quatre-vingt-treize, deuxième de la République française, le vingt-deux avril après midi, à la requête du citoyen accusateur public près du Tribunal extraordinaire et révolutionnaire établi par la loi du dix mars dernier, sans aucun recours au Tribunal de cassation ; lequel fait élection de domicile au greffe du dit tribunal, sis au palais, nous Charles-Nicolas Tavernier, huissier audiencier au dit tribunal, demeurant à Paris, rue de la Monnaie, n° 46, section du Louvre, sommes transportés rue des Cordeliers, n° 30, en la demeure et domicile du citoyen Marat, à l'effet de lui notifier le décret d'accusation et acte d'accusation de la Convention nationale du treize avril et vingt du dit mois d'avril, présent mois, où étant et parlant à la demoiselle Évrard, ainsi qu'elle a dit se nommer, nous lui avons fait entendre le sujet de notre transport et requis de nous déclarer si le dit Marat est céans et de nous lui faire parler. Laquelle nous a dit que Marat n'est point chez lui, qu'elle ignore où nous pourrions le trouver ; au moyen de laquelle réponse, nous sommes transportés dans la dite rue des Cordeliers à l'effet de nous informer des habitants de la dite rue, et de fait, nous sommes enquis aux habitants de la dite rue, et notamment aux épiciers, boulangers, fruitiers et autres gens. Ils nous ont déclaré qu'ils ne savaient où il peut être retiré ; sommés de signer leur déclaration et de nous dire leurs noms, ont refusé. Au moyen de ce que dessus, vu l'impossibilité de découvrir la retraite du dit Marat, nous sommes rentrés à son domicile, où étant et parlant à la citoyenne Évrard, nous avons laissé copie au dit citoyen Marat du dit décret de la Convention nationale, ensuite du présent. Le tout fait en présence et assisté de Nicolas Tirard et d'Augustin-Joseph Boucher, tous deux huissiers audienciers au tribunal, qui ont signé avec nous. BOUCHER, TIRARD, TAVERNIER. Écrou de Marat. L'an mil sept cent quatre-vingt-treize, deuxième de la République, le vingt-trois avril, six heures de relevée : En vertu de deux décrets de la Convention nationale, en date des treize et vingt avril, présent mois, dûment en forme ; A la requête du citoyen accusateur public près du tribunal criminel extraordinaire et révolutionnaire, établi par la loi du dix mars dernier, qui élit domicile au greffe du dit tribunal, séant au palais. Nous, Charles-Nicolas Tavernier, huissier audiencier au dit tribunal, demeurant à Paris, rue de la Monnaie, n° 46, soussigné, avons arrêté et conduit le citoyen Jean-Paul Marat, l'un des membres de la Convention nationale, en la maison de justice de la Conciergerie, où étant, sommes entré au greffe de la dite maison, et avons sur les registres de la dite maison fait écrou et recommandation de la personne du dit Marat, pour rester en la dite maison de justice jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, et l'avons laissé à la garde et charge du citoyen Richard, qui s'en est chargé pour le représenter quand en sera requis comme dépositaire de justice, et sous les peines portées par la loi, et avons audit citoyen Marat laissé copie du présent. TAVERNIER. Interrogatoire de Marat. Ce jourd'hui mardi 23 avril de l'an 1793, second de la République, sept heures de relevée, nous, Jacques-Bernard-Marie Montané, président du Tribunal révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars 1793, sans recours au Tribunal de cassation et encore en vertu des pouvoirs délégués au tribunal par la loi du 5 avril de la même année, assisté d'Étienne Masson, commis greffier du tribunal, en l'une des salles de l'auditoire au palais, et en présence d'Antoine-Quentin Fouquier-Tinville, accusateur public, avons fait amener de la maison de justice le citoyen Marat, auquel avons demandé ses nom, âge, profession, pays et demeure. A répondu se nommer Jean-Paul Marat, âgé de quarante-neuf ans, né à Boudry, comté de Neufchâtel en Suisse, député à la Convention nationale du département de Paris, y demeurant, rue des Cordeliers, n° 30. A lui demandé s'il est l'auteur des numéros du journal portant son nom et notamment des numéros premier, quarante, quatre-vingt, cent trente-trois, cent trente-six, cent trente-sept et cent trente-huit., et d'un écrit du 30 mars intitulé Profession de foi de Marat que nous lui représentons. A répondu que oui. Sommé de la signer, l'a fait à l'instant avec nous, l'accusateur public et le greffier. A lui demandé s'il est également l'auteur du numéro cinq que nous lui représentons. A répondu que oui et l'a également signé avec nous et le greffier. A lui demandé ce qu'il a entendu dire par ces mots de son numéro quatre-vingt-quatre : Que la nation serait forcée de renoncer à la démocratie pour se donner un chef, la Convention ne s'élevant pas à la hauteur de ses importantes fonctions. A répondu que le Comité de la législation de la Convention a perfidement tronqué, mutilé et perverti le sens de ses paroles en isolant un passage et en le dénaturant astucieusement, ainsi qu'il est démontré par la lecture de ce qui précède et de ce qui suit, que nous pouvons le lire nous-même et qu'il se réserve d'en demander lecture à l'audience, ajoutant qu'il n'est point d'auditeur sensé et impartial qui ne condamne les rédacteurs de l'acte d'accusation comme des perfides faussaires, ou des ignares calomniateurs, et, sur notre sommation, a signé avec nous, l'accusateur public et le greffier, ledit numéro quatre-vingt-quatre. A lui demandé s'il avoue aussi les numéros cent neuf, cent quinze, cent seize, cent vingt-huit, cent quarante-huit, cent cinquante-trois, cent cinquante-neuf, cent soixante et cent soixante-trois. A répondu que oui, et, sommé, a signé les dits numéros avec nous, l'accusateur public et le greffier. A lui demandé s'il n'a pas eu l'intention d'avilir la Convention nationale et d'allumer la guerre civile. A répondu que tous ses soins n'ont tendu, jusqu'à ce jour, qu'à rappeler la Convention à la dignité de ses fonctions, et à prévenir les désastres de la guerre civile, où la trahison des généraux, la perfidie des suppôts de l'ancien régime et les prévarications d'un grand nombre de fonctionnaires publics menaçaient d'entraîner la nation, ajoutant qu'il ne croit pas qu'il soit au pouvoir d'un écrivain quelconque d'avilir la Convention nationale ; qu'elle seule peut perdre la confiance publique, se perdre de réputation et s'avilir elle-même par l'oubli de ses devoirs, par des scènes scandaleuses, malheureusement trop souvent offertes aux yeux du public ; qu'il a gémi cent fois sur ces désordres alarmants et qu'il est monté plusieurs fois à la tribune pour tâcher de rappeler aux devoirs et à la pudeur la faction des hommes d'État et particulièrement leurs meneurs bien flétris aux yeux des clairvoyants et déjà devenus des objets de malédiction publique. A lui représenté que la Convention, par son décret du 20 de ce mois, l'accuse d'avoir provoqué : 1° le pillage et le meurtre ; 2° un pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple ; 3° l'avilissement et la dissolution de la Convention nationale. A répondu sur le premier chef que, révolté des désordres alarmants que l'accaparement des denrées de première nécessité causait dans l'État, et recherchant les moyens les plus efficaces de les faire cesser, il avait présenté aux législateurs du peuple différentes mesures qu'il croyait efficaces, en disant qu'une mesure révolutionnaire qui ordonnerait le pillage de quelques magasins, à la porte desquels on pendrait les accapareurs, aurait bientôt fait cesser ces désastres dans un pays où les droits du peuple ne seraient pas de vains titres et où les représentants de la nation ne s'amuseraient pas à bavarder sur ses malheurs. Simple observation qu'il avait faite en passant et en reconnaissant même qu'elle n'allait point à nos mœurs, à notre insouciance et à notre défaut d'énergie. Sur le second chef, que, loin d'avoir provoqué un pouvoir attentatoire à la souveraineté du peuple, tous ses efforts depuis quatre ans n'ont jamais tendu qu'à assurer au peuple les droits et l'exercice de sa souveraineté, comme il est de notoriété publique et comme il est facile de s'en assurer par la lecture de ses écrits. Sur le troisième chef, que son plus vif désir était de concilier à la Convention l'estime du peuple et de lui ramener la confiance des bons citoyens ; qu'il n'a jamais rien redouté plus au monde que la dissolution de la Convention et que jamais il n'a travaillé qu'à la consolider en la purgeant des traîtres qu'elle renferme dans son sein. Observe le répondant que, profondément indigné des altérations, troncatures, additions et autres faux des passages dénoncés, commis par les membres du Comité de législation, rédacteurs de l'acte d'accusation, il les dénoncera à la nation entière et à la Convention elle-même, sur laquelle retomberaient l'odieux et l'infamie de pareilles atrocités si elle n'en tirait pas justice. A lui demandé s'il choisit un conseil ou que nous lui en nommerons un d'office, ainsi que le prescrit la loi. A répondu qu'il ne veut d'autre conseil que la lecture de ses écrits et l'opinion publique. Lecture faite, le dit Marat a dit ses réponses contenir vérité, y a persisté et a signé avec nous, l'accusateur public et le commis greffier. Ce fait, il a été reconduit en la maison de justice. MONTANÉ, MARAT, E. MASSON, FOUQUIER-TINVILLE. |