L'histoire de la Commune de Paris pendant la Terreur peut se diviser en trois phases distinctes : La Commune insurrectionnelle, qui commence le 10 août 1792 et finit le 2 décembre de la même année ; La Commune provisoire, qui commence le 2 décembre1792 et finit le 19 août 1793 ; La Commune définitive, qui commence le 19 août 1793 et finit le 9 thermidor an II (28 juillet 1794). La manière dont la Commune insurrectionnelle fut nommée, et plus tard brisée, a été racontée par nous tome II, livre VII, § VI, et tome V, livre XX, § IV et IX. Nous consacrons la présente Note à la Commune provisoire ; nous nous réservons de raconter plus tard ce qui concerne la Commune définitive. On a vu, page 58 de ce volume, les raisons qui devaient faire désirer aux démagogues de l'Hôtel de ville de se débarrasser le plus tôt possible de la Commune du 2 décembre, dont la nomination avait été imposée par la Convention nationale. L'arrêté du Corps municipal qui convoquait les électeurs pour pourvoir à son remplacement ne contenait aucun considérant. Il était ainsi conçu : Le Corps municipal extraordinairement convoqué, présidé par Lesguilliez en l'absence du maire, et composé de Arbeltier, Baudrais, Bernard, Cousin, Danjon, Scipion Duroure, Garin, Goret, Jobert, Lanvin, Legendre, Levasseur, Moelle, Retourna, Roard, Viguier, Hébert, second substitut adjoint du Procureur de la Commune, présents ; Le Procureur de la Commune entendu ; Le Corps municipal arrête : 1° Que la Commune de Paris sera convoquée dans les quarante-huit sections pour le lundi 24 décembre, neuf heures du matin, à l'effet de procéder à la nomination de cent quarante-quatre notables pour le renouvellement de la Municipalité ; 2° Qu'aux termes de l'article 9 du titre n de la loi du mois de mai 1792, les quarante-huit sections éliront chacune, parmi les citoyens de leur arrondissement seulement, trois membres destinés à faire partie du Corps municipal ou du Conseil général de la Commune ; 3° Que l'élection se fera au scrutin individuel et à la pluralité absolue des suffrages ; 4° Qu'aux termes de l'article 8 de la loi du 19 octobre 1792, il n'y aura que deux tours de scrutin ; qu'en conséquence, si le premier ne produit pour personne la majorité absolue, le second et dernier tour n'aura lieu qu'entre les deux candidats qui auront obtenu le plus de voix ; 5° Qu'en cas d'égalité de suffrages à ce second tour de scrutin dit ballottage, la préférence sera accordée à l'âge ; 6° Qu'aux termes de l'article 5 de la dernière loi citée, tous les fonctionnaires publics dont le renouvellement est ordonné par ladite loi pourront être réélus ; 7° Qu'aux termes de l'article 6 de la même loi, les choix pourront être faits indistinctement parmi tous les citoyens et fils de citoyens âgés de vingt-cinq ans accomplis, domiciliés depuis un an, et n'étant pas en état de domesticité ou de mendicité ; 8° Que les procès-verbaux desdites élections seront remis par les commissaires des sections à la maison commune, au plus tard le lundi 31 du présent mois, à huit heures du matin, pour que le dépouillement en soit fait dans la journée et le résultat proclamé le soir ; arrête en outre que le présent sera imprimé, affiché et envoyé aux quarante-huit sections. Les sections ne se pressèrent pas d'obtempérer aux instructions du Corps municipal. Plusieurs ne terminèrent leurs opérations électorales que dans le courant de janvier. Le scrutin épuratoire, qui ne pouvait naturellement avoir lieu que lorsque le résultat des votes de toutes les sections serait connu, fut indiqué par un nouvel arrêté du Corps municipal pour le 24 janvier. Ce jour-là, on n'était pas encore prêt, et d'ailleurs les démagogues avaient résolu d'éluder la loi, qui voulait que l'on procédât à ce scrutin par assis et levé, et sans discussion aucune ; ils se proposaient de débattre entre eux les titres des élus, pour savoir ceux qui étaient dignes de figurer définitivement dans le Conseil général de la Commune. La section Beaurepaire prit l'initiative de cette mesure extralégale par un arrêté en date du 27 janvier, qui était ainsi conçu : L'assemblée a arrêté qu'elle nommerait douze commissaires, que les quarante-sept autres sections seront invitées à en nommer chacune un pareil nombre, lesquels se réuniront mardi 29 janvier, à dix heures du matin, en une salle de l'Évêché, à l'effet de discuter les notables nommés par toutes les sections, lesquels doivent composer le Conseil général de la Commune et le Corps municipal ; entendre ceux qui auraient été inculpés, et ensuite, après le rapport des commissaires dans leurs sections, procéder dans chacune d'elles, conformément à la loi, par assis et par levé, à l'adoption des notables. Grâce à ces retards successifs, le nombre des membres du Conseil provisoire qui se rendaient aux séances diminuait chaque jour. Chaumette, Hébert et les autres meneurs de l'Hôtel de ville, pour ranimer le zèle par trop attiédi de leurs anciens collaborateurs, prirent le parti de signaler au blâme des sections les membres qui montraient le plus d'inexactitude. Voici le texte de la circulaire qu'ils envoyèrent à la suite d'un appel nominal annoncé à l'avance : Il est constaté par les registres du Conseil général que le citoyen .......... n'a pas rempli ses devoirs. Il a été arrêté que vous voudrez bien faire connaître les motifs de son absence, lui enjoindre de remplir avec exactitude les fonctions que vous lui avez confiées, ou le sommer de donner sa démission ; et s'il la donne, vous êtes invités à la notifier au Conseil général, afin de procéder à son remplacement. Le 23 février fut le jour désigné pour que les quarante-huit sections procédassent enfin au scrutin épuratoire. Le Moniteur du 2 mars fait connaître les résultats de ce scrutin. Quarante-cinq sections avaient envoyé les procès-verbaux de leurs opérations ; trois, celles du Mont-Blanc, du Panthéon et des Gardes-Françaises, avaient refusé d'émettre leur vœu. Quarante-six élus avaient été éliminés par le scrutin épuratoire, notamment le prêtre Jacques Roux — celui même qui avait conduit Louis XVI à l'échafaud —. Trente sections avaient vu un ou deux de leurs élus écartés par le scrutin, et étaient convoquées pour le 5 mars à l'effet de pourvoir à leur remplacement[1]. Sur les trente sections qui avaient été ainsi convoquées, vingt-cinq se conformèrent à la loi et remplacèrent les membres rejetés. Parmi les cinq autres, celles du Panthéon français et de Popincourt déclarèrent persister dans leurs précédents choix ; trois, celles du Mont-Blanc, de l'Observatoire et des Gardes-Françaises, opposèrent la force d'inertie aux injonctions réitérées de la Commune et n'envoyèrent pas leurs procès-verbaux à l'Hôtel de ville. Le Corps municipal crut devoir passer outre, ordonna l'impression de la liste des élus des vingt-cinq sections et l'ouverture d'un nouveau scrutin épuratoire. Ce fut sur ces entrefaites que le Conseil général de la Commune se décida à s'adresser à la Convention pour lui exposer l'état de désarroi complet dans lequel elle se trouvait, et qu'intervint le décret du 3 avril, dont nous avons donné le texte livre XXXIV, § I. Nous avons retrouvé la pétition présentée à cette occasion par les délégués du Conseil général. Elle était ainsi conçue : Citoyens législateurs, Le Conseil général de la Commune nous députe vers vous pour vous représenter que dans les circonstances difficiles il manque de moyens pour assurer la tranquillité publique ; un très-grand nombre de ses membres ne se rend plus à ses délibérations ; les uns, ne se voyant pas réélus pour la municipalité définitive, ont donné leur démission ; d'autres, par une insouciance qui n'a pu être réprimée, se refusent à assister à ses séances. Le Conseil, cependant, est chargé d'objets les plus importants : obligé de fournir des commissaires pour constater l'état civil des citoyens, pour la levée des scellés, pour les passeports, pour les certificats de civisme et de résidence ; souvent il n'en peut trouver pour le service du Temple. Presque toujours quinze ou seize membres décident des intérêts d'une population de huit cent mille âmes. Pour le même service la Commune du 10 août avait un nombre double de membres. Des difficultés interminables retardent l'organisation de la municipalité définitive. Jusqu'à ce qu'elles soient levées, législateurs, nous vous demandons l'adjonction des membres qui doivent composer le Conseil général qui doit nous remplacer. Plus de cent ont passé à l'épuration des sections ; nous vous prions donc d'ordonner que tous les citoyens élus pour composer en définitive le Conseil général de la Commune entrent immédiatement en fonctions, et que, concurremment avec ceux du Conseil général actuel, ils assurent le calme de cette grande cité. Le Conseil général mit de suite le décret à exécution ; il s'empressa de réorganiser provisoirement l'administration de police, qui, faute de membres, ne pouvait plus fonctionner, et demanda qu'une loi définitive vint trancher toutes les difficultés que présentait dans son exécution la loi du 21 mai 1790. Cette demande, renvoyée par la Convention à son comité de législation, fut pour celui-ci l'objet d'un long et sérieux examen. Ce ne fut que le 10 juin que Dugué-Dassé fit son rapport et présenta un projet de décret qui fut adopté sans discussion. Voici le texte de ces deux pièces officielles : La loi du 21 mai 1790 sur l'organisation de la municipalité de Paris veut, outre le maire, le procureur de la Commune et deux substituts, que cette municipalité soit composée de quarante-huit officiers municipaux et de cent quarante-quatre notables[2]. Pour parvenir à la nomination de ces membres, il faut, suivant la même loi, que chaque section s'assemble le même jour et nomme chacune trois sujets, que les actes de nomination de toutes les sections leur soient respectivement communiqués, pour discuter par chacune d'elles les sujets nommés par les autres, lesquels sujets seront retranchés de la liste, si la moitié plus une des sections les rejette ; que toutes les sections se rassemblent de nouveau, et dans la même forme, pour élire le nombre des membres rejetés ; que chaque membre, pour être réélu, recueille en sa faveur le quart des voix plus une, et que si le deuxième tour de scrutin ne parfait pas ainsi le nombre des cent quarante-quatre, il en soit fait un troisième où la simple pluralité relative suffira ; il faut enfin qu'à chaque scrutin, le procès-verbal de chaque section soit porté à la Maison commune pour en faire le dépouillement. Cette opération, quoique indispensablement longue, est cependant facile, si chaque section, active à l'exécution de la loi, s'empressait d'y concourir ; mais l'insouciance, le dépit de voir ses membres désignés rejetés par les autres sections, joints au choc des passions et des opinions, font que cette grande cité n'a dans ce moment-ci qu'une municipalité provisoire, même incomplète, quoiqu'elle dût être renouvelée depuis six mois. Cette portion de la municipalité demande elle-même à la Convention qu'elle fasse une loi qui prononce le mode à l'aide duquel son entière réorganisation soit prompte. Nous le répétons, la loi du 21 mai 1790 est suffisante ; il y manque seulement un stimulant résultant de la privation de voter pour celles des sections qui, dans tel délai, ne se seraient pas conformées à cette loi ; car pour opérer promptement la réorganisation de cette municipalité, clans une population aussi immense, il n'y a que deux moyens : le premier, qu'après la nomination du maire, du procureur de la Commune et de ses deux substituts par toutes les sections, chacune de ces sections nommât particulièrement le contingent des membres qu'elle devrait fournir à la municipalité, sans faire partager ou agréer cette nomination aux autres sections ; le second, de priver chaque section de son droit de concours à l'élection, faute par elle d'avoir satisfait à la loi dans le délai prescrit, et, dans ce cas, de déférer cette élection ou nomination à l'administration supérieure. Le premier parti est le dernier à prendre, parce que chaque magistrat dg peuple doit être choisi par la masse entière qu'il gouverne ; nous nous fixerons au second. Projet de décret. La Convention nationale, après avoir entendu son Comité de législation, décrète ce qui suit : Article Ier. — Sur la proclamation de la municipalité de Paris, tenue de la faire sous sa responsabilité, dans vingt-quatre heures de la réception du présent décret, chaque section sera tenue de s'assembler le dimanche qui suivra la huitaine de cette proclamation, et de se conformer en tout, si fait n'a été, aux dispositions de la loi du 21 mai 1790, relative à l'organisation de la municipalité de la même ville, avec la faculté de recommencer leur opération dans le cas où les sujets par eux ci-devant désignés ne pourraient plus remplir les fonctions qui leur avaient été destinées. Art. II. — Faute par une ou plusieurs sections d'avoir exécuté toutes les formalités prescrites par la même loi dans la quinzaine de leur première assemblée, ce qui sera reconnu par le défaut de représentation, dans le même délai, du certificat de réception à l'hôtel commun de tous les actes d'assemblées voulus par la même loi du 21 mai 1790, les sections ou la section en défaut seront privées, pour cette fois, du droit d'élire et de concourir à la rénovation de la municipalité. Art. III. — En ce cas, et dans les vingt-quatre heurés de l'expiration du délai ci-dessus fixé, la municipalité sera tenue de dénoncer la section ou les sections en défaut au Conseil général du département assemblé, ou, à son défaut, au Directoire du département, qui, à la majorité des suffrages et dans huitaine de la dénonciation, nommera pour les sections refusantes même nombre d'officiers municipaux et notables que ces sections eussent eu le droit de nommer, lesquels officiers municipaux et notables ne pourront néanmoins être choisis que dans le sein de chaque section. Art. IV. — Les officiers municipaux et notables ainsi élus le seront définitivement, sans qu'il soit besoin de l'assentiment des autres sections. Malgré les injonctions de cette nouvelle loi, l'organisation de la nouvelle municipalité parisienne ne fut complétée que le 31 juillet, par l'élection des quarante-huit administrateurs formant le corps municipal dans le sein du Conseil général. Nous avons constaté enfin, par l'examen attentif des registres du Conseil général, que ce ne fut que le 19 août suivant que cessèrent de siéger les membres des municipalités antérieures non réélus. C'est donc à cette date que l'on doit fixer le commencement de l'ère de la fameuse Commune, qui devait suivre la fortune de Robespierre et périr avec lui. |
[1] Grâce à ces élections supplémentaires, le fameux Simon, le futur instituteur de Louis XVII, rentra au Conseil général. Il avait fait partie de la Commune du 10 août, mais il n'avait été réélu ni en novembre ni en décembre. Il appartenait à la section du Théâtre-Français, dite de Marseille. Il est désigné dans le procès-verbal comme occupant, en qualité de locataire, deux chambres dans le couvent des Cordeliers.
[2] Il y a ici une erreur du rapporteur. Les quarante-huit officiers municipaux étaient choisie parmi les cent quarante-quatre notables. Après ce choix, il n'en restait donc plus que quatre-vingt-seize.