HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

X. — CAPTIVITË DES COMMISSAIRES DE LA CONVENTION ET DU MINISTRE DE LA GUERRE.

 

 

Nous avons puisé les éléments de cette note : 1° dans le rapport fait par Camus et lu au conseil des Cinq-Cents les 22, 23 et 27 nivôse an IV ; 2° dans une brochure dont nous ne connaissons qu'un seul exemplaire possédé par le British Muséum ; elle est intitulée Addition aux rapports des représentants du peuple Camus, etc., et nous parait ['œuvre de Camus, qui y a consigné plusieurs particularités qui n'ont pas pris place dans son rapport officiel ; 3° dans les rapports envoyés a Vienne par le prince de Cobourg et ensuite par les chefs des escortes chargées de la translation des représentants et de leurs compagnons d'infortune.

 

Les quatre représentants du peuple, Camus, Lamarque, Quinette et Bancal, le ministre de la guerre Beurnonville, les secrétaires et officiers qui avaient déclaré vouloir partager leur sort, furent amenés au général Clerfayt qui commandait à Tournay. Leur premier soin fut de protester contre la violation du droit des gens, commise en leurs personnes ; mais le général leur dit qu'il n'était qu'un subordonné ; qu'ils devaient adresser leurs réclamations au prince de Cobourg ; que, du reste, on allait les conduire au quartier général de Mons où se trouvait le prince.

Arrivés dans cette ville, Cobourg refuse de les voir et leur envoie son confident Mack. Celui-ci leur déclare qu'ils sont retenus en otages pour la reine et son fils, et les engage à faire connaître à là Convention, que, si l'on attentait à ces personnes sacrées, leur tête en répondait. Quant à moi, dit Camus, je n'ai aucun conseil à donner à la Convention et à mes collègues. Je suis captif et hors des terres de la République ; je ne m'appartiens plus. Vous parlez de république, répond Mack, mais son existence n'est reconnue par personne. Songez à être plus réservé. Votre tête n'est pas bien solide sur vos épaules. Que m'importe Pensez-vous que parce que j'ai été trahi et livré aux ennemis de la France, je changerai de sentiment et que vous me ferez craindre la mort ? Tel, qui semble bien hardi, change de ton lorsqu'il la voit de près. Songez que vous êtes dans notre pouvoir. Oui, libres dans vos fers, reprend un autre représentant. Quand on s'est engagé dans une révolution telle que cette de France, quand on a accepté d'être membre de la Convention, on a bien du mettre dans son compte que l'on pourrait y périr. Ainsi on tenterait inutilement de nous effrayer en nous représentant la mort comme plus ou moins prête à nous frapper.

 

Mack, en se retirant, accorda aux prisonniers la permission d'écrire. Ils en usèrent pour donner de leurs nouvelles à leurs familles, mais ils s'abstinrent d'adresser un rapport à la Convention parce qu'ils étaient persuadés d'avance qu'il ne parviendrait pas à sa destination. Beurnonville seul expédia à ses collègues du Pouvoir exécutif la lettre suivante :

Mons, le 4 avril 1793.

Vous êtes instruits, sans doute, mes chers collègues, de mon arrestation et de celle des citoyens commissaires de la Convention nationale, au quartier général de Dumouriez, aux bains de Saint-Amand ; les motifs qui y ont donné lieu sont faits pour faire époque, et ma stricte et étrange captivité ne me permet pas de vous en présenter les détails, que la conduite future de Dumouriez pourra seule, dans les circonstances, vous faire connaître.

Je ne suis pas dans le cas de me croire ni prisonnier de guerre ni prisonnier d'Etat. Il paraît ici que c'est à ce dernier parti que l'on s'arrête ; c'est ce que les nations peuvent juger d'après le droit sacré des gens. Dans tous les cas, ferme dans mes principes, ma vie ne sera jamais qu'un léger sacrifice à ma chère patrie, et ce tendre amour de mon pays, qui a toujours dicté mes résolutions, sera toujours mon guide. Je dois cependant vous dire qu'à la grande surveillance près, que l'on observe près de moi, je suis traité avec tous les égards dus a mon rang, et que l'on agit de même avec les citoyens commissaires de la Convention dont je n'ai pas été sépare.

Nous partons aujourd'hui, dit-on, pour Maëstricht. J'ignore quelles seront les conséquences de cette étrange aventure, que je ne pouvais ni ne devais prévoir quels qu'en soient les résultats, je vous prie de croire aux sentiments inviolables que je vous ai voués ; je vous prie de les transmettre avec mon hommage à la Convention nationale.

Le général d'armée ministre de la guerre,

BEURNONVILLE[1].

 

Le lendemain on vint annoncer aux prisonniers qu'ils allaient être transférés à Maëstricht. Le voyage dura huit jours parce que l'escorte était composée en partie de troupes a cheval et en partie de troupes à pied. A chaque couchée, un factionnaire veillait toute la nuit, un sabre nu a la main, dans la chambre des prisonniers. Il n'y eut naturellement aucune tentative d'évasion. Mais plusieurs fois les représentants furent insultés. Un émigré, en les voyant, s'écria : Ah ! voilà ces messieurs qu'on a escroqués ! Ce mot, au dire de Camus, peignait très-exactement la situation.

Les représentants et leurs compagnons arrivèrent à Maëstricht le 11 avril. Ils y furent bien traités ; on leur laissa du papier, de J'encre et la faculté d'écrire ; ils en profitèrent pour adresser à l'empereur des protestations individuelles contre leur détention. De ces protestations, une seule avait été conservée par les commissaires français, c'était celle de Camus, il la donne en note de son rapport ; nous avons eu le bonheur de retrouver l'original de deux autres, celles de Quinette et de Lamarque. Il ne manque donc plus à l'histoire que celle de Bancal peut-être sera-t-elle retrouvée un jour. Nous croyons devoir donner in extenso les deux pièces que nous avons exhumées de la poussière des archives viennoises :

 

A Sa Majesté l'Empereur et Roi

Nicolas Quinette, membre de Convention nationale de Frace et l'un des commissaires de la République près l'armée que commandait général le Dumouriez.

 

Comme il importe à Votre Majesté, pour être juste, de connaître la vérité, je dois la lui dire sur les faits qui ont amené l'état d'oppression où je suis ; ma situation étant commune avec MM. Camus, Lamarque et Bancal, mes collègues, je parlerai tant en leur nom qu'au mien.

Chargés par la Convention nationale de faire connaître à Dumouriez, général de l'armée du Nord, le décret qui le mandait à la barre de l'Assemblée pour rendre compte de sa conduite, nous sommes arrivés le lundi 1er avril au quartier-général situé à Saint-Amand.

Comptant pour l'exercice de notre magistrature sur l'empire de la loi et sur la soumission d'un soldat français, nous sommes entrés seuls dans l'appartement du général Dumouriez. Il nous a reçus debout, il était environné d'un nombreux état-major.

M. Beurnonville, ministre de la guerre et adjoint à nos fonctions par le même décret, donna lecture de la loi. Dumouriez, étonné, déclara d'abord qu'il ne voulait point quitter l'armée dans la situation où elle était. Nous lui avons rappelé avec bonté ses devoirs et nous lui avons déclaré que nous remplirions le nôtre avec courage.

Le général Dumouriez resta longtemps agité ; ensuite il s'abandonna à ses propres réflexions et à celles qu'une longue conférence devait lui suggérer. Il reçut les conseils du général Valence ; ce dernier paraissait vouloir tout concilier, il indiquait des termes moyens il s'aperçut bientôt que toutes nos réponses étaient dictées par la loi ; elle dirigea toute notre conduite.

En effet, de retour auprès du général Dumouriez, l'un de nous lui dit : Citoyen vous connaissez la loi, il est temps de lui obéir. — Non, répondit-il. — Remettez-nous tous vos papiers. — Non, messieurs. — Au nom de la nation et de la loi nous vous suspendons de vos fonctions.

A l'instant, Dumouriez donne l'ordre de nous arrêter. Son état-major, composé en grande partie d'hommes étrangers à la France et à toutes les nations, répète l'ordre. Un détachement de hussards se précipite dans la chambre et nous presse. Comment cet ordre n'aurait-il pas été exécuté ? il n'y avait pas un seul soldat français parmi ces hussards.

Dumouriez, devenu citoyen rebelle, a violé ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes, dans les gouvernements et entre les nations la liberté et la sûreté des citoyens, le caractère auguste de représentant du peuple, et le caractère non moins respectable d'envoyé. Enfin il nous fait entraîner dans une voiture, une nombreuse escorte nous environne, des chefs insolents la commandent et, au moment où nous entrons sur le territoire ennemi, l'ordre est donné de nous assassiner si nous faisons le moindre mouvement. M. Beurnonville, que Dumouriez appelait son ami, eut le bonheur d'échapper à vingt sabres dirigés contre lui.

Après avoir voyagé une nuit entière, par- des chemins affreux, nous sommes arrivés à Tournay, où l'on nous descendit au quartier général de Clerfayt.

Ainsi placés par la violence sous la domination de Votre Majesté, nous avons pensé que la trahison de Dumouriez n'aurait pas les suites qu'il en attendait, et que le droit des gens étant à notre égard la règle d'un gouvernement étranger, on ne balancerait pas à nous rendre à notre patrie.

En effet, par quelles qualifications pourrait-on justifier notre situation présente ?

Nous appellera-t-on des prisonniers de guerre ? Nous n'avons pas été pris sur le champ de bataille, ou les armes à la main ; mais nous avons été lâchement livrés par un traître, à une époque même ou il existait une trêve entre les armées ennemies.

Nous donnera-t-on le nom de prisonniers d'État ? Nous sommes citoyens français èt non sujets de Votre Majesté. Nous n'avons commis aucun délit sur votre territoire ; mais nous remplissions sur le nôtre les fonctions civiles dont la confiance publique nous avait honorés.

Voudrait-on nous considérer comme des otages ? Votre Majesté s'apercevra facilement que ce serait une violation manifeste du droit des gens. Les otages sont le résultat d'une convention réciproque entre les gouvernements. On donne des otages, mais il n'est pas permis de ies dérober, autrement les désordres les plus funestes à la société ravageraient toute l'Europe. I) faudrait rompre toute communication entre les hommes et les nations, en un mot, il serait possible que les citoyens de tous les États de l'Europe, que des circonstances variées à l'infini retiennent en ce moment hors de leur patrie, fussent privés tout à coup de l'espoir de la revoir jamais.

Votre Majesté ne souffrira sans doute pas qu'on donne, en son nom, l'exemple de désordres qui outrageraient les lois saintes de l'humanité et qui menaceraient de détruire les sociétés et les gouvernements.

Tels sont les principes que nous avons fait valoir dans les conférences que nous avons eues avec M. le général de Clerfayt et avec M. le baron de Mack.

Tels sont les principes qui dictent la demande, que je fais à Votre Majesté, de me rendre à la liberté et à ma patrie. J'attends avec confiance sa décision, dans la pensée qu'elle sera conforme à l'humanité, à la justice et au droit des gens, invariablement observé jusqu'à ce jour par les gouvernements pour leur propre sûreté et pour la conservation de la société.

J'ai parlé comme homme et comme citoyen, mais ma personne conserve en tous lieux le caractère sacré de représentant du peuple français.

N. QUINETTE,

Membre de la Convention nationale de France.

Maëstricht, ce 11 avril 1793, l'an 2e de la République française.

 

À Sa Majesté l'Empereur et Roi.

 

Maëstricht, ce 16 avril 1793.

François Lamarque, membre de la Convention nationale de France, convaincu que dans tous les gouvernements de l'Europe le droit des gens est inviolable et sacré, même pendant la guerre, croit, dans la position où il se trouve, devoir a Votre Majesté l'exposé suivant :

Le 30 mars dernier, le soussigné fut chargé par un décret de la Convention nationale de se transporter, avec quatre de ses collègues, à l'armée française, qui se trouvait alors dans le département du Nord, d'y notifier au général Dumouriez qu'i) était mandé à la barre, et de prendre ensuite avec le général Beurnonville, ministre de la guerre, des mesures relatives à l'organisation et administration de cette armée.

Quatre des commissaires nommés, Camus, Bancal, Quinette et le soussigné, se rendirent au quartier général de Dumouriez, et lui firent connaître le décret de la Convention, en l'invitant à y obéir. — Dumouriez s'y étant refusé, les commissaires, après plusieurs représentations infructueuses, se virent forcés de lui déclarer qu'ils le suspendaient de ses fonctions mais dans le même instant ce général, qui avait éloigné de son quartier tous les, soldats français, et rassemblé autour de lui un régiment de hussards et quelques-uns de ces officiers qui ne tiennent à aucune nation, se déclara rebelle et fit arrêter les quatre commissaires de la Convention nationale et le ministre de la guerre.

Jusque-là le délit, quelque grand qu'il soit, n'intéresse que le gouvernement français, mais la suite est une violation manifeste du droit public qui lie, dans tous les temps, les nations civilisées, et qui même au milieu de leurs divisions et de leurs guerres doit être inviolablement conservé.

A dix heures du soir, les quatre commissaires, le ministre et les autres citoyens français qui venaient d'être arrêtés avec eux, furent enlevés par ordre du même générai, transportés par des chemins affreux hors du territoire français et livrés aux soldats de Votre Majesté.

C'est par ces derniers qu'ils ont été conduits à Tournay, à Mons, a Bruxelles et enfin à Maëstricht, où ils sont actuellement détenus.

Le soussigné, seul dans ce moment, n'hésite point à réclamer, au nom de tous, le maintien du droit des gens que l'Europe respecte et qui a été violé à leur égard.

Il ne doute pas que Votre Majesté ne se hâte de condamner cette trahison horrible et sans exemple, par laquelle on voit un général français livrer à l'armée ennemie quatre membres de la Convention nationale et un ministre de France, au moment où, revêtus de pouvoirs publics, ils remplissaient sur leur territoire des fonctions administratives intérieures.

Si un général autrichien, prussien ou hollandais, eût livré dans de semblables circonstances à l'armée française quelques ministres ou membres du conseil de Vienne, de Prusse ou des États de Hollande, personne ne doute que la Convention nationale de France n'eut déclaré à l'instant même qu'elle ne peut ni ne doit profiter de ce monstrueux avantage, qu'elle doit, au contraire, le rejeter avec horreur.

Il importe/en effet, à tous les gouvernements qui veulent que le droit des gens soit respecté, de s'élever contre une conduite qui renverse ce droit, et qui, si elle était autorisée et imitée, pourrait être funeste demain à celui qu'elle favoriserait aujourd'hui.

Nous ne sommes point prisonniers de guerre, puisque nous n'avons pas été pris les armes à la main, ni d'après les lois de la guerre.

Nous ne pouvons pas être prisonniers d'État, puisque nous sommes étrangers aux gouvernements qui nous retiennent et que c'est par un Français et pour faits relatifs au gouvernement français que nous avons été arrêtés.

Nous ne sommes pas non plus des otages, car la trahison ne peut pas en donner. Les otages 'seraient innombrables et il n'y aurait plus de sûreté nulle part, s'ils pouvaient se former ainsi[2].

Nous n'avons donc contre nous que la force mais les nations de l'Europe sont trop sages pour faire de la force un droit.

D'après ces principes, nous réclamons notre liberté au nom de la nation française, dont nous avons l'honneur d'être représentants, et au nom de la justice et du droit des gens qui doivent être sacrés pour tous les peuples.

F. LAMARQUE,

Membre de la Convention nationale de France.

 

Ces lettres restèrent sans réponse. Les quatre commissaires prirent alors le parti d'adresser à l'empereur une protestation collective[3] ; elle n'eut pas un meilleur accueil.

Aussitôt que l'arrestation des commissaires et du ministre avait été connue de l'empereur, le président du conseil aulique, comte de Wallis, avait écrit au prince de Cobourg pour lui donner l'ordre d'envoyer à Vienne les prisonniers. Voici en quels termes était conçue sa dépêche :

Sérénissime Duc, gracieux Seigneur !

Sa Majesté m'a chargé de faire connaître à votre Altesse Sérénissime, par le courrier qu'expédie à Bruxelles le chancelier aulique néerlandais comte de Trautmannsdorf, l'ordre souverain de faire transporter de Maëstricht à Vienne, et sur-le-champ, sous une escorte sûre, les prisonniers livrés par le général Dumouriez.

Seulement je prie Votre Altesse, comme le convoi aura à passer par l'Empire, de transmettre suivant les circonstances aux ministres respectifs les avis préalables nécessaires, afin que, sur aucun point du parcours, il ne se puisse produire la moindre complication.

J'ai l'honneur d'être, avec la déférence la plus absolue,

De Votre Altesse Sérénissime,

l'obéissant serviteur,

Comte DE WALLIS.

Vienne, le 10 avril 1793.

À S. A. M. le Duc de Saxe-Cobourg, maréchal des armées.

 

Le lendemain, le même comte de Wallis modifiait ainsi les ordres qu'il avait envoyés la veille :

Très-Sérénissime Duc, gracieux Seigneur,

Je trouve bon d'ajouter a la lettre que j'ai transmise à Votre Altesse hier, par ordre de Sa Majesté, relativement an transport des prisonniers, la demande si Votre Altesse, informée comme elle l'est des dispositions hostiles de la cour du Palatinat bavarois et de celles du ministère, ne juge pas utile d'effectuer le transport de ces prisonniers en évitant le passage par le territoire du Palatinat bavarois.

Et je demeure avec la déférence la plus complète

De Votre Altesse Sérénissime,

l'obéissant serviteur.

M., comte DE WALLIS.

Vienne, le 11 avril 1793.

 

Les prisonniers restèrent à Maëstricht depuis le 11 avril jusqu'au 23 mai, jour où ils furent dirigés sur le fort d'Ehrenbreitstein et confiés pour cette translation au major de Bradatsch.

Les ordres du prince de Cobourg étaient devenus plus sévères, surtout en ce qui concernait les correspondances. On voulait se débarrasser de réclamations et de protestations auxquelles on ne savait que répondre.

Nous copions textuellement ces ordres[4] :

On permettra aux prisonniers, autant que leur santé l'exigera, de prendre l'air, et, en tant que cela est compatible avec les règles les plus strictes de la sécurité, de se visiter à tour de rôle, ainsi qu'ils l'ont fait à Maëstricht. On leur permettra aussi de se procurer avec leur argent des livres et autres objets inoffensifs. Mais, comme on a des motifs de leur interdire toute correspondance cachetée ou ouverte, le général aura à veiller à ce qu'ils ne puissent recevoir de lettres d'aucune sorte à moins qu'elles ne soient expédiées directement d'ici au général pour leur être transmises. Toute lettre quelconque ouverte ou cachetée, qu'ils voudront expédier par quelque voie que ce soit, leur sera rendue. J'en ferai autant s'il m'en arrivait ici émanées d'eux. Les prisonniers doivent êtres traités sévèrement, mais convenablement et sans qu'il leur soit fait la moindre offense.

Le même jour, le 21 mai, le prince de Cobourg instruisait le comte de Wallis, à Vienne, de la résolution qu'il avait prise de faire transférer les prisonniers à Ehrenbreitstein par suite de la demande formelle du gouverneur de Maëstricht de l'en débarrasser.

Nous remarquons dans la lettre du prince de Cobourg le passage suivant :

... J'ai hésité à envoyer ces prisonniers à Vienne, d'abord parce que leur transport entraînerait des difficultés et des dépenses considérables, ensuite parce que, suivant toute probabilité, on peut présumer que plus nous pèserons sur le sort de ces misérables — dieser elende Menschen —, plus les forcenés de Paris traiteront cruellement les précieux otages qu'ils ont au Temple, les comtes Auersperg et Leiningen, ainsi que les autres victimes qu'ils ont désignées comme contre-otages[5].

 

Ehrenbreitstein ne devait pas être la dernière étape des prisonniers. Au bout de six semaines, ils furent dirigés sur la Bohême. En route, Beurnonville tomba si dangereusement malade que force fut d'arrêter a Wurtzbourg tout le convoi et ensuite de séparer le général de ses compagnons d'infortune. Ceux-ci furent envoyés dans trois prisons différentes, mais subirent un traitement pareil, à savoir un mélange de rigueurs excessives et de précautions ridiculement vexatoires. Camus et le secrétaire de Beurnonville, Villemur, furent envoyés à Kœnigsgrætz ; Bancal et le domestique de Beurnonville, à Olmütz ; Lamarque, Quinette et le secrétaire de la Commission, Foucault, au Spielberg.

Beurnonville, aussitôt qu'il fut rétabli, fut dirigé sur Olmütz, et, par une rigueur incompréhensible, Menoire, son aide de camp, qu'on avait laissé jusque-là auprès de lui, fut conduit à Kœnigsgrætz.

Relativement aux trente mois de captivité, que les victimes de la trahison de Dumouriez eurent encore à subir dans ces diverses prisons, nous renvoyons nos lecteurs au rapport, de Camus. Qu'il nous suffise de rappeler que le 25 décembre 1795 (5 nivôse an IV), les quatre représentants du peuple, le ministre Beurnonville, ainsi que les officiers, secrétaires et domestiques qui avaient partagé leur sort, furent échangés contre l'orpheline du Temple, le dernier rejeton de la famille royale.

 

 

 



[1] Cette lettre ne fut pas interceptée, car nous avons trouvé sur les registres.des délibérations du Pouvoir exécutif la mention de sa réception, à la date du 19 avril, et celle de son renvoi au président de la Convention.

[2] Lorsque Camille, général romain, faisait la guerre aux habitants de Phalères, un maitre d'école lui livra comme otages les enfants des principaux habitants de cette ville. Camille trouva cette action horrible. Il y a, dit-il, dans la guerre comme dans la paix, des règles et des lois pour les gens de bien ; il ne faut pas devoir la victoire à des moyens honteux ; un bon général doit compter sur sa propre vertu, et nullement sur la méchanceté et sur la perfidie des autres. En même temps, il renvoya libres les prétendus otages et ordonna que le traitre fût ramené à Phalères par ceux mêmes qu'il avait livrés.

[3] Le rapport de Camus, en date du 23 nivôse an JV, donne cette protestation collective, ainsi que plusieurs lettres adressées par les commissaires au colonel Mack et aux États généraux de la république des Provinces-Unies, sur le territoire desquels les commissaires se trouvaient détenus a Maëstricht.

[4] Ils sont datés du 21 mai 1793, du quartier général de Quiévrain.

[5] La Convention en apprenant que ses commissaires avaient été livrés aux Autrichiens, avait ordonné que plusieurs officiers allemands, détenus comme prisonniers de guerre à Strasbourg, Metz et Châlons, fussent amenés a Paris et servissent de contre-otages. On avait choisi tous ceux qui, de près ou de loin, étaient présumés tenir au collège du Saint-empire ou pouvaient avoir des liens de parenté avec le prince de Cobourg et les autres généraux de l'armée autrichienne.