HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

IX. — TENTATIVE DE NÉGOCIATIONS À FAIRE PRÈS DE DUMOURIEZ.

 

 

Les pièces qui suivent sont extraites des archives du ministère de la guerre à Vienne. Le document principal ne porte ni signature, ni date. Nous croyons qu'il a été rédigé dans les derniers jours de février, au moment ou Dumouriez envahissait la Hollande. C'est du moins ce qu'on peut inférer de la lettre par laquelle le baron de Breteuil transmet ce document au comte de Mercy-Argenteau. Celui-ci avait été longtemps ambassadeur d'Autriche à Paris, et n'avait cessé d'être le confident et le guide de la reine Marie-Antoinette. Il était alors retiré à Wesel sur le Rhin et entretenait de nombreuses correspondances avec plusieurs groupes d'émigrés, les uns réunis à Londres, les autres dispersés dans différentes villes d'Allemagne. Il était surtout en relations très-suivies avec le baron de Breteuil, autrefois ministre de Louis XVI, alors l'agent le plus actif de l'émigration.

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L'extrême attachement de M. Dumouriez pour la personne du feu roi, son dévouement pour le jeune roi et pour la reine sa mère, sa ferme résolution de rétablir la monarchie en France, et son aversion pour le système actuel, me sont si parfaitement connus, que je n'hésite pas à croire qu'il s'entendrait volontiers avec les puissances combinées pour accélérer le retour de l'ancien gouvernement, si l'on trouvait un moyen de le faire concourir à ce but important, sans anéantir totalement l'espèce de gloire militaire qu'il a acquise dans la campagne dernière et dont il est fort jaloux, et si on consentait à lui assurer une existence aisée qu'il n'a pas, et une grande place militaire ou politique à son choix.

Voici donc ce que je propose :

Ce que ferait M. Dumouriez.

À l'égard de la Hollande.

Si M. Dumouriez n'est pas forcé dès actuellement, par des ordres supérieurs, de tenter l'invasion de la Hollande, et s'il en est encore temps lorsque ceci aura été accepté de part et d'autre, M. Dumouriez renoncera à ce projet et y fera renoncer le Conseil exécutif.

Dans le cas, au contraire, où il aurait déjà commencé l'attaque, ou ne pourrait pas absolument l'éviter, il la ferait assez mollement et perdrait assez de temps auprès des premières places, comme Berg-op-Zoom ou Maëstricht, pour laisser le temps à l'armée prussienne d'arriver tellement en force et de faire présumer une telle résistance qu'il put, sans inspirer aucune méfiance, lever les sièges qu'il aurait entrepris et se replier sur les Pays-Bas autrichiens.

À l'égard des Pays-Bas.

M. Dumouriez, suivi dans sa retraite de Hollande par l'armée prussienne et feignant de craindre que ses communications avec la France ne fussent coupées par l'année autrichienne, se retirerait alors au delà de Bruxelles et laisserait à découvert Liège et Anvers, qui, vivement attaqués par l'une des deux armées, pendant que M. Dumouriez serait tenu en échec par l'autre, ne pourraient résister longtemps.

L'évacuation successive du surplus des Pays-Bas se ferait assez facilement ensuite, M. Dumouriez affectant les mêmes craintes et témoignant hautement le désir d'éviter une action générale.

Dans le cas d'une bataille.

Si les puissances combinées jugeaient convenable de livrer une bataille, ou si la position respective des armées ou des ordres exprès forçaient M. Dumouriez a en risquer une, il est évident que M. Dumouriez, pour sa propre sûreté, serait contraint de se servir de tous ses moyens ; mais dans ce cas M. Dumouriez, s'il était vainqueur, poursuivrait assez faiblement la victoire pour laisser le temps à l'armée ennemie de se rallier et de se renforcer, et, s'il était vaincu, pourrait abandonner plus de terrain qu'il n'y serait militairement obligé.

À l'égard des armées commandées par les autres généraux.

M. Dumouriez renoncerait à régler de son camp, comme il l'a fait jusqu'à présent, les opérations des autres généraux français ; il les laisserait livrés à leurs propres forces, et dirigerait tellement les opérations de son armée, qu'elles ne soutinssent point celles des autres.

À l'égard des places que les puissances combinées voudraient assiéger.

Dans le cas présumable où, après avoir repoussé de gré ou de force M. Dumouriez jusque dans la Flandre française, les puissances combinées voudraient entreprendre quelques sièges, M. Dumouriez, qui n'est pas maître de changer à son gré les commandants des villes de guerre, se bornerait a établir son système de défense sur une seule place, et ne ferait que de faibles efforts pour dégager les autres.

Le rétablissement de la monarchie.

M. Dumouriez profiterait du premier moment où la terreur des succès des puissances combinées agirait avec force en France, pour accélérer sa soumission, en démontrant l'impossibilité de la résistance, et emploierait alors toute son influence pour hâter le rétablissement de la monarchie dans la personne du roi actuel.

Ce que l'on pourrait faire pour M. Dumouriez.

1° Montrer par tous les moyens praticables une grande considération pour ses talents militaires.

2° Promettre et garantir à M. Dumouriez, sur l'honneur des puissances coalisées, qu'au moment du rétablissement de la monarchie en France il y aurait une amnistie pour lui et pour les personnes qu'il désignerait, sans exception.

3° Lui promettre sous !a même garantie qu'à cette époque, ou aussitôt qu'il le demandera, il lui serait donné un commandement militaire ou une grande ambassade qu'il désignerait.

4° Enfin mettre à la disposition de M. Dumouriez ou de la personne qu'il indiquera, immédiatement après l'exécution de la première partie des engagements de M. Dumouriez, une somme que lui seul peut indiquer, mais telle qu'elle puisse lui assurer, à tout événement, une fortune indépendante, et fui donner les moyens d'acheter les membres nécessaires de la Convention.

N. B. — Il est une hypothèse qu'il faut prévoir :

Si M. Dumouriez, pour accélérer les succès des puissances étrangères, préférait de se faire prendre lui-même, soit avec la totalité de son armée, soit avec une partie, peut-on assurer à M. Dumouriez que les puissances étrangères tiendront les promesses ci-dessus établies ?

Dans ce cas, on ne regarderait pas comme une chose impossible que les deux enfants de M. le duc d'Orléans, ou l'un d'eux, fussent pris avec M. Dumouriez.

 

Note à Son Altesse Sérénissime Mgr le prince de Saxe-Cobourg.

 

Je crois devoir ne pas tarder à mettre sous les yeux de Votre Altesse l'extrait d'une lettre que je reçois de M. le baron de Breteuil avec la pièce qui en fait l'objet. Je lui réponds que l'arrangement proposé n'est dans le fait qu'un projet fondé sur une conjecture de la part de celui qui l'a formé ; que de là à l'aveu de celui que cela regarde il y a bien loin encore ; qu'il me semble cependant que cet objet mérite d'être suivi, parce que, s'il n'aboutit pas à des avantages réels, il ne produira pas non plus d'inconvénients, dès lors que l'on s'y prendra de manière à n'être point compromis.

A cet effet, il faut supposer que l'intermédiaire aura assez de poids auprès de M. Dumouriez, pour qu'il n'ait besoin d'autre lettre de créance que sa propre assertion.

Il pourrait demander les conditions, lesquelles devraient poser sur d'autres errements que ne le sont ceux indiqués par l'écrit, puisque les circonstances ont changé.

Ce serait de convenir que M. Dumouriez se laisserait prendre prisonnier de guerre avec les deux fils du duc d'Orléans, point très-capital ;

Qu'il procurât une ou deux places fortes ou tels autres avantages que Votre Altesse jugerait convenables.

Par contre, on s'engagerait à une somme stipulée, à une amnistie pour tels et tels, même à procurer une place honorable au service du roi de France.

Que le préliminaire à tout cela était de savoir si l'on voulait, et ce que l'on voulait.

Que je ferais usage de tout cela auprès de notre cour, et auprès de Votre Altesse, mais que le jugement que je portais de cette proposition n'étant que mon opinion propre, elle exigeait une sanction pour pouvoir être regardée comme quelque chose.

Dans toutes les hypothèses, je ne puis m'empêcher de croire que la défection de M. Dumouriez serait toujours d'un très-grand effet, ne fut-ce même que sur l'opinion du public factieux, qui, regardant cet homme comme la pierre angulaire de l'édifice révolutionnaire, se persuaderait qu'il doit crouler dès lors que le personnage, qui en est l'étai, prouve lui-même qu'il ne peut plus le soutenir ; car si Dumouriez se laissait prendre, on ne se tromperait pas sur ce fait exprès.

Depuis bien longtemps, j'avais préparé des moyens d'aborder ce chef audacieux de la force révolutionnaire.

Après avoir exposé l'objet à Votre Altesse, j'attendrai qu'elle veuille rectifier mon jugement par le sien.

J'ai l'honneur d'être avec respect, etc.

 

Note à Son Altesse Sérénissime Mgr le prince de Saxe-Cobourg.

 

La note ci-jointe était écrite, prête à être expédiée, au moment où je reçois de Maëstricht l'avis préliminaire de la grande journée du 18. Ce nouveau laurier, ajouté à tous ceux que Votre Altesse a déjà cueillis et cueillera encore, me procure la double joie de l'importance de l'objet et d'en offrir mon compliment très-humble à Votre Altesse, qui est destinée à la gloire de sauver l'Europe du plus terrible des dangers que nous présente l'histoire des siècles.

Sans savoir encore les détails de la victoire de Neerwinden, j'espère qu'ils décideront en grande partie du sort de cette campagne, et d'abord de celui des provinces belgiques. Tout cela est beaucoup et n'est pas tout, quand on considère jusqu'où la frénésie d'une nombreuse nation en délire peut s'obstiner dans les efforts et dans l'usage de ses immenses moyens. Cette considération et bien d'autres du même genre m'ont porté à ne pas supprimer ma note sur M. Dumouriez. Peut être sera-t-il conduit uniquement par les résultats de son imprudente audace ; mais, s'il parvient, malgré des revers, à soutenir auprès de la nation la magique influence qu'il exerce sur elle, alors il serait peut-être utile d'user des moyens propres à se débarrasser d'un adversaire au moins incommode par sa bouillante activité, qui électrise les hordes, d'ailleurs si mal composées, qu'il commande.

J'ai l'honneur d'être avec respect,

MERCY-ARGENTEAU.

D'après les dépêches de M. le comte de Stahremberg à la cour, je vois se réaliser tout ce dont j'ai eu l'honneur de prévenir Votre Altesse sur l'apathie des Hollandais ; on ne saurait être trop en garde contre cet inconvénient, qui pourrait influer de la manière la plus fâcheuse sur les opérations subséquentes auxquelles Votre Altesse se déterminera.

M. le comte de Stadion a fait bon usage à Londres de ce que je lui avais suggéré pour presser la marche des Hanovriens.

Wesel, 21 mars 1793.

 

Extrait d'une lettre de S. Ex. M. le Baron de Breteuil au comte de Mercy-Argenteau.

 

Dusseldorf, le 18 mars 1793

Je fais, monsieur l'ambassadeur, le vicomte de Caraman porteur de cette lettre, afin qu'il vous explique clairement tout ce qui a rapport à la note qu'il vous communiquera. Vous verrez si son objet peut vous convenir, et, sur ce que vous m'en direz, je m'occuperai volontiers des moyens de succès de cet objet. C'est à Londres que l'ouverture m'en a été faite, douze ou quinze jours avant mon départ, avec le désir marqué de s'entendre avec l'Angleterre sur le point d'intérêt général.