HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

III. — DOCUMENTS SUR LA PHALANGE MARSEILLAISE ET L'EXPÉDITION DE SARDAIGNE.

 

 

Dès les premiers mois de 1789, la ville de Marseille s'était placée à la tête du mouvement démocratique dans le Midi. Elle avait créé une garde nationale, dont la partie la plus remuante s'était donné une existence à part, avait pris le nom de phalange marseillaise, et était devenue, dès 1791, l'instrument docile des volontés de Barbaroux et de Rebecqui, les chefs du parti girondin dans les Bouches-du-Rhône et les départements voisins. Le commandant de cette espèce d'armée révolutionnaire s'appelait d'Hilaire Chanvert, avait été autrefois capitaine de cavalerie et était alors âgé de plus de soixante ans.

Comme celle qui fut plus tard instituée par la Convention, afin de porter le, système de la terreur autour de Paris, cette petite armée rayonnait autour de Marseille pour mettre au pas, suivant le langage du temps, les villes qui étaient accusées d'être peu favorables aux idées nouvelles. C'est ainsi que l'on vit successivement des détachements de la phalange marseillaise occuper les villes du Comtat-Venaissin, Carpentras et Cavaillon, y assurer le triomphe de la révolution avignonnaise, se rendre à Aix pour y désarmer le régiment d'Ernst, puis, bravant les défenses des autorités civiles et militaires, marcher sur Arles et s'ouvrir à coups de canon les portes de cette ville.

A de tels exploits, restreints dans la sphère d'action de l'antique cité phocéenne, devaient succéder de plus nobles triomphes. Appelés par Barbaroux et Rebecqui, qui avaient été mandés à !a barre de l'Assemblée législative pour donner des explications sur l'expédition d'Arles, cinq cents volontaires choisis parmi les hommes les plus déterminés de cette phalange partirent de Marseille le 1er juillet 1792, et vinrent faire à Paris le 10 août et le 2 septembre. Nous ne reviendrons pas sur ces deux journées que nous avons racontées en détail dans nos volumes II et III. Nous saisirons cependant l'occasion de réparer une erreur que nous avons commise à l'égard du bataillon marseillais.

 

Au paragraphe VI, du livre X, du tome III, nous nous exprimions ainsi :

Ces héros d'un genre tout spécial, lorsqu'ils eurent accompli l'œuvre pour laquelle on les avait expédiés à Paris, n'eurent pas la pensée d'aller retrouver à Valmy les braves qui défendaient le sol sacré de la France ; ils tournèrent le dos à l'ennemi et demandèrent à reprendre le chemin de Marseille. Après leur départ de Paris, on perd complètement leurs traces.

Ces traces, nous les avons retrouvées.

Sur les registres de fa municipalité de Marseille, on peut constater que les prétendus vainqueurs des Tuileries firent le 22 octobre 1792 leur rentrée solennelle sous des arcs de triomphe. Une députation de citoyennes vint leur offrir des couronnes d'immortelles et de lauriers ; des fêtes brillantes leur furent offertes pendant plusieurs jours de suite ; le conseil général de la commune ordonna que le nom des vingt Marseillais, tués aux Tuileries, fût inscrit sur une table de marbre[1].

Les héros du 10 août arrivèrent donc à temps dans les Bouches-du-Rhône pour reprendre leurs rangs dans là petite armée que d'Hilaire-Chanvert, emmena en Sardaigne et qui y joua un si triste rôle.

Pour édifier nos lecteurs sur les faits et gestes des héros marseillais, nous nous contenterons de mettre sous leurs yeux quelques-uns des documents inédits, que nous avons recueillis sur cette expédition.

 

Premier rapport du commandant d'Hilaire-Chanvert.

 

Au golfe Juan, à bord du vaisseau de ligne le Commerce de Bordeaux, le 29 janvier, 1793, an 2e de la République française.

Citoyen ministre,

J'ai eu l'honneur de vous écrire de Nice, au commencement de ce mois, que j'allais m'embarquer à Villefranche avec les huit bataillons de volontaires nationaux que je commande. Nous sommes effectivement partis de ce port le 8 du mois au nombre de trente-neuf navires de transport escortés par un vaisseau de ligne et une corvette. Notre destination était pour Ajaccio, lieu destiné pour le rassemblement général des troupes. Après deux jours d'une navigation heureuse, nous arrivâmes tout près du golfe, et, au moment d'y entrer, les vents contraires ne permirent qu'à quelques-uns des navires d'y mouiller ; le reste fut repoussé au large, et, après avoir erré pendant deux ou trois jours, il fut dispersé par de violents coups de vent sur les côtes de Corse, d'Italie et de Provence. Je relâchai avec le vaisseau de ligne, la corvette et treize bâtiments de transport au golfe de Saint-Florent, d'où j'espérais pouvoir me rendre par terre à Ajaccio avec les quinze cents hommes ou environ qui m'avaient suivi, et en conséquence je les fis mettre à terre pour me rendre à Bastia, qui n'est qu'à trois lieues ; je reçus dans cette ville la réponse du lieutenant général Paoli qui commande en Corse, et à qui j'avais dépêché des exprès à Corte de même qu'aux autres commandants dans les différents ports de l'île, pour avoir des nouvelles des navires dispersés. Le général Paoli m'écrivit qu'il n'en avait aucune et que je ne pourrais pas me rendre à Ajaccio par terre, parce que la communication était entièrement coupée par les neiges sur les montagnes qu'il fallait traverser. Je me décidai donc alors à faire rembarquer les troupes pour m'y rendre par mer, d'autant mieux que le capitaine du vaisseau de ligne me fit avertir que le temps devenait beau. Je .partis donc de Bastia le 20, la plus grande partie des troupes s'embarqua le même jour à Saint-Florent te reste, le lendemain matin et la flotte mit à la voile le 22 .pour Ajaccio. Les vents furent passables pendant vingt-quatre heures ; mais après cela, ils nous repoussèrent au large, et, après avoir lutté contre eux pendant deux jours, nous nous trouvâmes vis-à-vis de Monaco où nous fumes pris par un calme, auquel succéda un violent coup de vent qui nous jeta dans le golfe Juan, où nous sommes mouillés depuis deux jours. Nous croyons pouvoir en appareiller ce matin pour aller en droiture au golfe de Palmas, en Sardaigne, d'après l'avis que le général de l'armée d'Italie nous a donné, que la plus grande .partie de nos navires dispersés devait y être avec le contre-amiral Truguet. Nous avons eu quelques volontaires déserteurs qui craignent la mer ; mais, en général, le courage et le patriotisme animent nos bataillons et nous font espérer un bon succès. En arrivant en Sardaigne, j'aurai l'honneur de vous instruire de nos opérations ultérieures.

Le commandant général des légions marseillaises, commandant le corps de six mille hommes levé dans le département des Bouches-du-Rhône, pour renforcer l'armée d'Italie.

D'HILAIRE CHANVERT.

Je vous prie, citoyen ministre, de ne pas différer davantage l'expédition du brevet de maréchal de camp, que le département des Bouches-du-Rhône et la municipalité de Marseille vous ont demandé pour moi et que vous leur avez fait espérer. Je puis vous assurer, tout intérêt personnel à part, que ce degré d'autorité m'est indispensablement nécessaire pour le bien du service de la République.

 

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Extrait d'une lettre écrite au ministre de la marine le 26 janvier 1793, par le citoyen Pourcel, commissaire provisoire de la marine, à Villefranche.

 

Le Commerce de Bordeaux, n'ayant pu débarquer dernièrement à Ajaccio, fut forcé d'arriver à Saint-Florent, avec une partie de son envoi ; reparti de là ensuite pour se rendre à sa destination, un vent contraire le conduisit hier, avec neuf à dix navires de transport, devant Villefranche. Il appert les deux bâtiments entrés de relâche ici le 17. Je leur signifiai, en conséquence, l'ordre exprès de partir ; et ils se disposaient effectivement à le faire dans la nuit, lorsque deux autres navires du convoi ayant quitté leur escorte, sont entrés ici ce matin de très-bonne heure, forcés par les troupes qu'ils ont à bord qui ne veulent plus suivre leur destination.

 

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Lettre du maréchal de camp Casabianca au ministre de la guerre.

 

Ajaccio, le 25 janvier 1793.

Citoyen ministre,

J'ai reçu du citoyen Brunet la commission de me rendre en Sardaigne pour commander les troupes qui doivent y descendre.

Je me conformerai aux instructions du Conseil exécutif.

Nous partirons cette nuit pour les îles de Saint-Pierre, où est le rendez-vous indique par le contre-amiral Truguet. Là, je me concerterai avec lui sur les dispositions à faire pour J'attaque de Cagliari et des autres places de la Sardaigne.

Je me concerterai également avec le citoyen Arena, et je tâcherai de rendre cette expédition aussi avantageuse à la République qu'aux peuples de cette île.

Je ne connais pas assez les volontaires des Bouches-du-Rhône pour pouvoir présager le succès de notre campagne. Quelques compagnies du 1er bataillon de la phalange me donnèrent avant-hier le désagrément de les voir en insurrection. Elles ont osé menacer. J'ai opposé la fermeté, et le bruit a cessé. J'espère que, lorsque nous serons en présence de l'ennemi, elles sentiront la nécessité de se soumettre à la discipline militaire, et que la majorité de l'armée sera animée par l'esprit de soumission aux lois et aux chefs, et dès lors rien ne me sera difficile.

Le maréchal de camp commandant l'armée de Sardaigne

CASABIANCA.

 

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Lettre adressée au ministre de la marine par Bertin, commissaire ordonnateur des forces navales, escadre de la Méditerranée.

 

En rade de Cagliari, à bord du Tonnant, le 26 janvier 1793.

Citoyen ministre,

L'escadre est arrivée dans la rade de Cagliari le 23 de ce mois au nombre de onze vaisseaux, trois bombardes et quatre frégates. Le premier soin du général a été d'envoyer un canot parlementaire au vice-roi de la Sardaigne, mais il a été repoussé à coups de canon. Le major-général Villeneuve qui était chargé avec les citoyens Peraldi, commissaire du département de l'île de Corse, et Buonarotti, Florentin, apôtre de la liberté, de porter des paroles de paix, ont couru les plus grands dangers. Mais, par la bonne manœuvre du major-général, personne n'a été atteint du feu de l'ennemi.

Le convoi, attendu de Villefranche avec 4.000 gardes nationales de l'armée du Var, ne nous est point encore parvenu. Sans ce secours il nous est impossible de faire une descente et de nous emparer de la ville, qui, outre des batteries qui la défendent, est gardée par près de 25 à 30.000 Sardes que le vice-roi a fait venir des campagnes. Les 4.000 Corses qui devaient faire une diversion ne paraissent pas devoir remplir leur promesse, et la pénurie de vivres dans laquelle nous nous trouvons ne nous permet pas de rester plus de huit à dix jours .sur cette rade. Ainsi, sans l'arrivée des secours promis, il faudra nous borner à canonner et à bombarder la ville et retourner ensuite à Toulon. Les 1.400 hommes de troupes de ligne pris à Ajaccio ne peuvent pas suffire pour la prise de cette place. C'est avec la plus vive douleur que nous serons forcés d'abandonner une conquête assurée si nous n'avions éprouvé une suite de contrariétés inexplicables.

Le commissaire ordonnateur

BERTIN.

 

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Deuxième rapport d'Hilaire-Chanvert.

 

La plus grande partie des navires de transport, de la flotte française, partis de Villefranche le 8 janvier, arriva les premiers jours de février dans le golfe de Cagliari, après avoir essuyé sur la mer les plus mauvais temps et les plus grands dangers ; elle s'y réunit à l'escadre commandée par le contre-amiral Truguet qui, de concert avec le général Casabianca fixa la descente au 14 du même mois ; et, en effet, le débarquement des troupes se fit le jour fixé, sur la plage dite des Espagnols, à deux lieues de la ville de Cagliari, sous la protection du feu de trois frégates.

On donna des vivres pour trois jours, et l'armée composée du régiment ci-devant Limousin, d'un détachement de 300 hommes du régiment ci-devant Bresse, d'un pareil nombre du ci-devant La Fère, avec environ 3.000 volontaires nationaux, se retrancha au bord de la mer et coucha au bivouac.

Le lendemain, 15 du même mois, elle se mit en marche vers Cagliari, sous les ordres du général Casabianca, pour aller attaquer les hauteurs et les redoutes du mont Saint-Élix.

Il devait y avoir, en même temps, une autre descente et une contre-attaque du côté de la mer au pied du même mont Saint-Élix, à une demi-lieue de la ville, et sous le feu du fort et des redoutes ennemies. Cette contre-attaque était sous les ordres du général d'Hilaire, qui était arrivé le même jour, avec une partie de l'état-major général marseillais, près de Cagliari, sur le vaisseau de ligne le Commerce de Bordeaux, et qui devait avoir avec lui 800 hommes de troupes de ligne, un détachement de volontaires nationaux du bataillon de Martigues et quelques, volontaires marins. Il devait effectuer sa descente et, commencer cette seconde attaque lorsqu'il aurait été assuré que le général Casabianca aurait commencé la sienne.

Vers les trois heures après midi du même jour, le contre amiral Truguet fit signal de faire préparer les troupes pour le second débarquement en donnant avis que le général Casabianca, qui s'était mis en marche depuis neuf heures du matin sur trois colonnes, l'avait instruit qu'il approchait du lieu qu'il devait attaquer.

Les préparatifs pour la seconde descente se firent en conséquence ; mais le général Casabianca, qui marchait fort lentement, parce que les volontaires et soldats étaient obligés de traîner eux-mêmes les canons, n'ayant ni mulets, ni chevaux, arriva fort tard, à l'entrée de la nuit, près des postes qui devaient être attaqués, et, ne jugeant pas le temps ou les circonstances favorables, il ordonna un mouvement rétrograde à l'armée d'une demi-lieue. Ce mouvement se fit dans la nuit, et l'armée eut ordre après cela de s'arrêter et de se reposer.

A peine était-elle dans cet état qu'on entendit quelques coups de fusil vers l'avant-garde, qui était devenue, par le mouvement rétrograde, l'arrière-garde ; il était alors huit ou neuf heures et l'obscurité de la nuit ne permettant pas aux troupes de distinguer si le feu partait des ennemis ou des Français, nos colonnes se fusillèrent mutuellement pendant un demi-quart d'heure. Deux ou trois dragons ennemis, qui avaient paru vers la fin du jour et que nos troupes avaient dispersés par quelques volées de canon, ont pu donner lieu à cette méprise, qui, jointe au mouvement rétrograde qu'on fit devant l'ennemi, inspira des craintes et des méfiances et fit désirer de retourner sur les lieux où avait été fait le débarquement[2].

Cependant les troupes, qui étaient disposées pour la contre-attaque, ayant entendu tirer, derrière la montagne, quelques coups de canon et de fusil, commençaient à s'embarquer sur des chaloupes et des canots pour attaquer, de leur côté, le fort Saint-Élix et la batterie qui était au-dessous. Mais la cessation des coups de fusil ayant fait douter de la réalité de l'attaque du général Casablanca, et la mer étant devenue très-grosse, de manière à rendre la descente impraticable, suivant l'avis de tous les marins, il fut résolu d'attendre jusqu'au point du jour ou la mer aurait pu être plus calme et où on pourrait avoir des nouvelles plus positives de l'armée.

Le vent, au lieu de se calmer, étant devenu plus violent, presque tous les vaisseaux et navires de transport furent le lendemain en danger de périr. La plus grande partie des chaloupes et canots coula à fond. Le vaisseau de ligne le Léopard échoua ; trois frégates furent démâtées ou désemparées ; deux navires de transport ; qui heureusement avaient mis à terre les troupes qu'ils portaient, furent jetés à la, côte ; les équipages furent noyés ou tués par les Sardes et les navires brutes ; le vaisseau de ligne le Patriote, sur lequel était la plus grande partie des troupes qui devaient faire la seconde attaque, ayant perdu ses câbles et ses ancres, se vit dans le danger le plus imminent, étant près de se briser sur les rochers.

Enfin, le 18 au matin, le temps étant devenu plus calme, on apprit la triste nouvelle du désastre et de la retraite de l'armée de Casabianca, et on vit alors clairement que, si la mer n'avait pas empêché le débarquement des troupes qui, sous les ordres du général d'Hilaire, devaient faire la seconde attaque, leur perte entière était inévitable, ce général ne pouvant être secouru et étant sans espoir de retraite.

Pour comble de malheur, la perte de la plus grande partie des chaloupes et des canots, jointe à la tempête, n'ayant pas permis de porter des vivres et des secours à l'armée, ni de la rembarquer assez promptement, elle se trouva pendant plusieurs jours dans la plus triste situation, exposée au froid, à la pluie et à la faim, n'ayant ni tente, ni maison pour se mettre à couvert.

Enfin, le 19 et !e 20, on parvint à faire rembarquer tontes les troupes qu'on résolut de faire retourner en France. On ne peut pas encore savoir la perte des hommes, mais on croit qu'il y a cent ou cent cinquante hommes tués ou morts de misère. On ne conçoit pas pourquoi un gros village, qu'on prétendait intermédiaire entre le lieu de débarquement, et le point qui devait être attaqué par nos troupes, pourquoi ce village, qui n'était pas à une lieue du rivage et à deux portées de fusil de notre colonne de droite et dans lequel on pouvait trouver des chevaux pour traîner les canons, dans lequel on pouvait se retrancher et loger les troupes qui n'avaient aucune tente pour se mettre à couvert, pourquoi ce village n'a été ni occupé, ni même fouillé.

A l'égard du désordre qu'il y a dans l'armée, il n'est pas bien surprenant qu'un mouvement rétrograde et subit, en présence de l'ennemi et à l'entrée de la nuit, produise le découragement et même la défiance et la confusion et des méprises sur des troupes peu disciplinées et qu'on fait marcher en plusieurs corps dans l'obscurité.

On ne se permettra pas beaucoup de réflexions qu'il y aurait à faire sur les causes du mauvais succès de cette expédition, entreprise dans la plus mauvaise saison de l'année, et que toutes sortes d'événements et de circonstances ont contrariée. On se contentera d'observer que quatre ou cinq mille hommes n'étaient pas suffisants pour conquérir un royaume qui veut se défendre et qui est deux fois plus grand que la Corse, laquelle le maréchal de Vaux ne put soumettre qu'avec vingt mille hommes, quoique nous fussions déjà les maîtres de Bastia et de plusieurs autres places.

Le commandant général des légions marseillaises commandant le corps des six mille hommes levés dans le département des Bouches-du-Rhône pour renfoncer l'armée d'Italie.

D'HILAIRE-CHANVERT.

 

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Le général Jean Lapoype, chef d'état-major général, au général Biron, commandant en chef de l'armée des Alpes.

 

Nice, ce 21 mars 1793, l'an 2e de la République.

Mon général,

D'après les ordres que vous m'aviez transmis, je me suis fait rendre compte de la revue générale passée par un commissaire des guerres, lors du débarquement des huit bataillons des Bouches-du-Rhône revenus de l'expédition de Sardaigne à cette époque le résultat de cette revue portait ces huit bataillons à 3.135 hommes. J'ai été informé officiellement que le désir de revoir leur pays et leurs familles avait engagé beaucoup de volontaires à quitter leurs drapeaux les bataillons de Martigues, de Liberon, et le deuxième de Vaucluse, ont perdu, chacun, plus de 200 hommes ; les autres bataillons ont souffert en proportion, de sorte qu'il serait imprudent de calculer aujourd'hui l'effectif de ces huit bataillons au delà de 2.000 hommes[3].

Le général de brigade, chef d'état-major de l'armée :

JEAN LAPOYPE.

 

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Notre tâche ne nous paraîtrait pas terminée si nous ne disions pas quelques mots de la destinée de quelques-uns des personnages qui ont joué un rôle dans l'expédition de Sardaigne, si surtout nous ne rendions pas un hommage mérité au courage et au malheur des officiers, soldats et marins, qui furent abandonnés dans les îles Saint-Pierre et Saint-Antioche. Nous n'avons pas besoin de faire la biographie de Truguet ni celle de la Touche-Tréville ; elles se trouvent partout, et nous n'avons découvert aucun document nouveau qui les concernât. Quant à d'Hilaire-Chanvert, on voit par le post-scriptum de sa lettre du 29 janvier que le chef de la phalange marseillaise n'oubliait pas ses intérêts particuliers au milieu de ses préoccupations militaires. Il était capitaine de cavalerie dans l'armée depuis 1770. De ce grade il sauta directement à celui de général de brigade. Pache lui en expédia le brevet le 1er février 1793, au moment même où la portion de l'armée expéditionnaire, qui n'avait pu aborder la Corse, quittait pour la deuxième fois les côtes de Provence. Au retour de l'expédition de 'Sardaigne, d'Hilaire-Chanvert compta dans les cadres de l'armée d'Italie ; mais, malgré toutes les sollicitations dont il fatigua les ministres de la guerre, il ne put franchir le grade de général de brigade, et fut mis à la retraite en 1795, peu de temps avant que le futur vainqueur de Rivoli ne vint prendre le commandement de cette armée.

Le général Raphaël Casabianca avait longtemps servi dans le .régiment provincial de Corse, et était général de brigade depuis le 30 mai 1792. Il commandait l'avant-garde de la petite armée de Montesquieu, lorsqu'au .mois d'octobre de cette année elle fit la conquête de la Savoie. Il venait d'être envoyé en Corse sous les ordres de Paoli, quand l'amiral Truguet vint lui apporter, de la part du général Brunet, l'ordre de prendre le commandement de l'expédition de Corse. Paoli ne fit aucune objection à cette nomination qui le débarrassait d'un surveillant incommode. Casabianca appartenait en effet au parti opposé au générât Paoli, et celui-ci profita de la non-réussite de l'expédition de Sardaigne pour le faire destituer. Mais les trois commissaires de la Convention, Delcher, Salicetti et Lacombe Saint-Michel n'eurent aucun égard à l'arrêté du Conseil exécutif et le maintinrent dans son grade. A cette occasion, ce dernier écrivit à la Convention une lettre qui donne une idée exacte de l'état où se trouvait la Corse au milieu de l'année 1793.

 

Le représentant du peuple délégué en Corse, aux ministres composant le Conseil exécutif.

 

Calvi, le 24 juillet 1793.

Citoyens ministres,

J'ai l'honneur de vous envoyer un arrêté pris par la Commission, pour réintégrer dans sa place le général Casabianca destitué par le Conseil exécutif. Il est de mon devoir d'opposer mon estime aux manœuvres des calomniateurs qui cherchent à surprendre votre bonne foi.

Je me déclare l'accusateur de celui qui est venu noircir la conduite du général Raphaël Casabianca depuis son retour en Corse on ne l'aurait pas dénoncé, s'il avait voulu céder aux insinuations de l'âme de boue, Paoli. Envoyé en Corse et faisant partie d'une commission nationale qui, ayant des pouvoirs illimités, devait être investie d'un égal degré de confiance, j'ai le droit, et c'est un besoin pour moi, de rendre justice à l'homme de bien dévoué à .la République, et que les calomniateurs de son pays osent attaquer. Ils ne l'eussent pas fait, si, comme le département, il eût voulu voler 570.000 fr., s'il avait voulu applaudir à la municipalité d'Ajaccio au moment où elle vidait les magasins de la République, où elle faisait vendre les munitions de bouche et les poudres. Il n'eût pas été dénoncé, si, comme le général Grazio Rossi que nous avons destitué, il eût été prêt à opprimer les patriotes.

J'ai donc pensé que ce serait donner à Paoli un triomphe funeste à la chose publique, que d'exécuter la lettre du ministre.

En vertu des pouvoirs qui nous sont confiés par le décret du 2 avril, je l'ai réintégré et je suis sûr que le Conseil exécutif, si digne de la confiance de la République, me saura gré d'empêcher une injustice que l'on commettrait sous son nom.

Il y a quatre mois que j'étudie l'esprit des Corses. Quiconque voudrait les juger depuis Paris ne les connaîtrait pas.

Le décret qui met Paoli en état d'arrestation est une école ; celui qui en suspend l'exécution en est une plus forte ; celui qui fait deux départements de la Corse ne vaut pas mieux. Tous ces moyens terre à terre ne servent qu'à avilir l'autorité. Je vous indiquerai le seul moyen de détruire tous les partis qui déchirent la Corse ; c'est, lorsque les escadres ennemies seront forcées de rentrer dans leurs ports, d'envoyer ici une division de 12 à 15.000 hommes de l'armée d'Italie, de marcher sur Corte en deux colonnes. Je réponds que, presque sans tirer un coup de fusil, en moins de trois semaines, on s'empare de la Corse et de toutes les places on fait couper la tête à trente personnes et la Corse est tranquille.

Il faut y opérer un désarmement général. Depuis la Révolution, le paysan abandonne visiblement la culture des terres. Il faut les faire administrer par des étrangers, car il est impossible qu'un Corse d'un parti soit juste envers un Corse d'un autre parti.

Qu'on change tant qu'on voudra les administrateurs ; tous s'accordent sur ces points : abus d'autorité Et venga il denaro.

J. P. LACOMBE SAINT-MICHEL.

 

Casabianca fut nommé général de division le 29 ventôse an II. Ayant suivi la fortune de son compatriote le général Bonaparte, il devint sénateur dès l'an VIII et grand-officier de la Légion d'honneur quelques années plus tard. Il mourut pair de France en 1825, à l'âge de quatre-vingt-sept ans.

 

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Les 700 hommes laissés à Saint-Pierre et à Saint-Antioche étaient sous les ordres du lieutenant-colonel Sailly. Deux frégates, l'Hélène et le Richemont, composaient les forces navales qui devaient défendre la petite garnison de toute attaque par mer.

La correspondance de Sailly et celle des représentants du peuple en mission en Corse vont nous instruire de l'effroyable position qui fut faite à cette poignée de braves.

 

Au ministre de la guerre.

 

De l'île Saint-Antioche, le 5 mars 1793, l'an 2e de la République française.

Citoyen,

J'ai été chargé par le contre-amiral Truguet de la défense des deux îles de la Liberté et de Saint-Antioche ; il m'a laissé pour me maintenir dans ces deux établissements le noyau de deux détachements du 26e et du 52e régiment, que l'insalubre séjour des vaisseaux et la malheureuse expédition de Sardaigne a réduits dans le plus fâcheux état. Cependant, mon dévouement et le leur pour la République, dont il n'a pas dépendu d'eux d'augmenter la gloire, leur fait supporter avec résignation les privations de toute espèce qu'ils éprouvent ici. J'ai pris avec l'ingénieur Raviez les mesures de défense qu'exigeait la localité et la présence permanente de l'ennemi, et j'écris au contre-amiral Truguet, afin qu'il fasse parvenir à ces deux filles de la patrie les secours de première nécessité que l'urgence la mieux prononcée exige de sa sollicitude. Je lui dis aussi qu'avant deux mois plus de la moitié des 550 hommes que je commande sera hors d'état par les maladies de faire le, service forcé que demande une telle position, et je le prie dé faire relever avant cette époque ces deux détachements par des troupes fraîches envoyées de Corse ou de France ; il vous rendra sans doute compte de mes demandes, que je vous prie au nom de la nécessité de prendre dans la plus grande considération.

Le citoyen lieutenant-colonel commandant les détachements des îles de la Liberté et de l'Égalité

SAILLY.

 

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De l'île Saint-Antioche, le 14 mars 1793, l'an 2e de la République française.

Citoyen ministre,

J'ai l'honneur de vous envoyer l'état de situation des troupes cantonnées dans tes deux îles de ta Liberté et de Saint-Antioche, dont le contre-amiral Truguet m'a confié le commandement vous jugerez par cet état, auquel j'ai joint celui du service et des détachements, de ma situation militaire.

La municipalité de Saint-Pierre m'a fait différentes réquisitions pour lui envoyer une augmentation de forces que je n'ai pas cru de mon devoir de lui accorder, la présence de celles de l'ennemi m'oblige de garder ici la plus grande partie de mes troupes pour lui ôter tout espoir de forcer l'isthme de Saint-Antioche, qui est la clef conservatrice de ces deux îles.

Je vous prie de demander à la Convention nationale qu'elle envoie dans ces colonies adoptives des commissaires pour y organiser les pouvoirs administratifs et judiciaires ; sans quoi elles seront bientôt, malgré ma surveillance scrupuleuse, dans une anarchie profonde. Des municipalités se sont emparées des propriétés de différents citoyens, propriétés qu'ils tenaient à titre de concessions du ci-devant gouvernement ils ont porté leurs réclamations à mon tribunal provisoire. Je n'ai pas voulu trancher des questions qui ne sont nullement ni de la science, ni de la compétence militaire, et je les ai renvoyés à la justice de la Convention nationale.

Le contre-amiral avait ordonné à un détachement d'artillerie de ligne qui faisait partie de l'armée de Sardaigne de se diriger sur Saint-Pierre pour y rester en garnison sous mes ordres ; ce détachement a pris sans doute une autre direction et n'y est point arrivé. J'ai été obligé de prendre sur les frégates des canonniers marins qui menacent chaque jour de me quitter ; il est urgent que vous m'en fassiez passer de France. J'ai calculé qu'une compagnie d'artillerie me serait nécessaire tant pour le service des forts que celui du pourtour des deux !tes.

Je vous ai fait part dans ma première lettre de mes craintes relativement à )'état fâcheux ou se trouvaient les troupes que je commande ; je le remets une seconde fois sous vos yeux, et j'ai tout lieu de croire qu'avant deux mois, si vous n'en envoyez de nouvelles, ma position sera extrême.

Le lieutenant-colonel commandant les détachements des îles de la Liberté et de Saint-Antioche :

SAILLY.

 

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Les représentas du peuple français, députés en Corse par la Convention nationale, au citoyen ministre de la guerre.

 

Bastia, 13 mai 1793, l'an 2e de la République française.

... Il est un article qui mérite la plus grande attention de votre part, c'est qu'on a laissé à l'île de la Liberté, ci-devant l'île Saint-Pierre, 700 hommes des régiments 26e et 52e. Les commissaires en Corse étaient convenus avec le général Biron de les faire relever et conduire en Corse ; mais le général Biron ayant vu à Toulon les contre-amiraux Truguet et Latouche, ceux-ci mirent beaucoup d'importance à laisser à Saint-Pierre cette garnison, et, en quelque sorte, le sommèrent de ne rien changer à leur disposition jusqu'à ce qu'ils eussent rendu compte au pouvoir exécutif. Depuis ce temps, rien n'est changé dans leur sort ; nous avons reçu des lettres de l'officier qui commande. Il demande avec instance d'être relevé. Il n'a pu se maintenir à Saint-Pierre, il est à l'île d'Antioche. La maladie s'est mise dans son détachement, et nous pensons qu'il serait très-à-propos de faire rentrer en Corse cette garnison qui périra, si elle n'est faite prisonnière, d'autant qu'elle est entièrement sans correspondance avec le continent et sans aucun moyen pour se défendre. Nous croyons devoir, vous donner connaissance de ces détails, afin que vous les soumettiez au Conseil exécutif.

Il est bien fâcheux pour la chose publique que des officiers généraux, ayant fait une expédition mauvaise ou malheureuse, veuillent soutenir leur opinion en sacrifiant en pure perte sept cents hommes excellents, tirés des garnisons corses ou ils seraient si nécessaires. On ne peut pas être abandonné comme nous le sommes ici, et, si des escadres ennemies viennent nous attaquer, nous ne passerons pas sous silence l'obstination de laisser à Saint-Pierre sept cents hommes, tandis qu'on nous laisse ici sans forces. C'est à vous, citoyen Bouchotte, à qui nous dénonçons une disposition que les événements peuvent rendre un crime national, persuadés que votre ovisme bien connu vous fera prendre une marche opposée à vos prédécesseurs, qui croyaient éloigner le danger en ne le regardant pas et se tirer d'embarras en ne répondant à aucune lettre.

DELCHER, J. P. LACOMBE SAINT-MICHEL, SALICETTI.

 

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Joseph Étienne Delcher, l'un des représentants du peuple envoyés en Corse, aux représentants membres du comité de Salut public de la Convention nationale.

 

Bastia, le 24 mai de l'an II de la République.

Vous avez été instruits par notre dernière lettre des motifs et des objets de la division momentanée de la Commission mes collègues sont partis cette nuit pour leur destination avec des forces et des moyens proportionnés à la nature des opérations que nous avons concertées. Tout semble nous promettre le succès, et j'espère pouvoir vous apprendre incessamment la reddition de la citadelle d'Ajaccio et la prise d& l'officier rebelle qui s'y est renfermé pour la conserver à Paoli et à son parti.

Mes collègues et moi avons pris hier un arrêté pour faire rentrer en Corse les détachements des 26e et 52e régiments, nous nous sommes déterminés à prendre ce parti par deux raisons également pressantes : la première, parce que les 700 hommes qui sont à l'île Saint-Pierre y éprouvent une épidémie destructive, la seconde, parce que, étant trop éloignés de la France, il sera impossible de les ravitailler et les secourir dans le cas d'une attaque du premier vaisseau ennemi ; ce qui ne paraît pas éloigné d'après l'avis que nous a donné un capitaine de navire suédois, qui assure avoir vu au détroit les flottes combinées d'Espagne et d'Angleterre.

Nous ne cesserons de vous répéter que l'établissement d'une garnison française aux îles Saint-Pierre a été plutôt l'effet et le complément de l'orgueilleuse obstination des contre-amiraux Truguet et Latouche, qui ont cru couvrir d'un voile t'odieux de leur conduite dans la fatale expédition de la Sardaigne, dont les suites seront funestes à la République. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

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Sailly, ex-commandant des troupes françaises à l'île Saint-Pierre, au ministre de la guerre.

 

Citoyen ministre,

J'ai l'honneur de vous rendre compte qu'une escadre espagnole, forte de vingt-quatre vaisseaux et six frégates, parut dans le golfe de Palmas le 20 mai, et qu'elle y surprit !a frégate l'Hélène, qui, sans aucuns moyens de fuir, se rendit.

Le 21, les Espagnols manœuvrèrent dans la rade et communiquèrent fréquemment avec les chefs des troupes sardes cantonnées de l'autre côté de l'isthme de Saint-Antioche. Dans cet état de choses, me trouvant hors d'état de me défendre dans le camp retranché que j'avais formé sur cet isthme pour me défendre des attaques des Sardes — ce camp pouvait être battu par tous les vaisseaux de l'escadre qui s'embossaient —, je fis donc mes préparatifs de retraite pour réunir toutes mes forces à Saint-Pierre. Les attaques presque journalières des Sardes redoublèrent avec plus de vivacité que jamais pendant toute cette journée. La retraite était difficile devant une cavalerie nombreuse, n'ayant point de canons de campagne qui pouvaient en assurer le succès ; je l'effectuai cependant avec le plus grand bonheur et sans perdre un seul homme, ayant trompé la vigilance de l'ennemi. J'avais, avant mon départ, fait enclouer tous les canons et disperser les munitions ; je marchai toute la nuit, des barques m'attendaient à Callacetta, et j'arrivai a Saint-Pierre. Cette île n'a d'autres défenses qu'une tour construite contre les incursions des corsaires barbaresques ; j'y avais ajouté une batterie de quatre pièces de canons, construite dans le sable. Aussitôt arrivé, je m'occupai d'augmenter sa défense, et je fis élever une batterie en terre aux environs de la tour avec des canons de la frégate le Richemond, qui se trouvait bloquée dans la rade de cette île par plusieurs vaisseaux ennemis qui la cernaient. Le 23, deux vaisseaux et une frégate mouillèrent dans la rade.

Le 25, l'escadre entière y entra ; le 26, tout se disposa pour l'attaque, les vaisseaux s'embossèrent et la frégate se brûla. A onze heures du matin, il arriva un parlementaire me portant une sommation du commandant de l'escadre ; je sentis l'impuissance où j'étais de tenir sur une butte de sable, sans autres forces qu'une batterie de terre élevée à la hâte, contre près de 1.800 bouches à feu et les troupes de débarquement des Espagnols et des Sardes réunis. Dans cette position critique j'assemblai les officiers, et il fut résolu que je lirais aux soldats la sommation qui venait de m'être faite. Quand ils en eurent entendu la lecture, je leur dis de délibérer et de me faire connaître leur vœu par des députés qu'ils nommeraient à cet effet ; ce vœu fut que, toute résistance étant inutile, parce que leur mort ne servirait de rien à la patrie, il fallait se rendre aux conditions les plus honorables que je pourrais obtenir. Dans cette considération, et vivement pressé par les prières des habitants de cette peuplade craintive, j'acceptai la capitulation, dont je joins ici la copie.

SAILLY, commandant les troupes françaises.

A la citadelle de Barcelone, Je 14 juin 1793.

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Sailly ne revit pas sa patrie et mourut prisonnier des Espagnols. Nous avons pu retrouver les traces d'un de ses principaux compagnons d'infortune, le lieutenant de vaisseau Devienne, qui commandait la frégate le Richemond.

Lorsque, le 25 mai 1793, les Espagnols se présentèrent devant Saint-Pierre avec huit vaisseaux et trois frégates, ils surprirent l'Hélène qui fut obligée de se rendre. Mais le Richemond s'étant approché aussi près que possible de la côte, l'équipage débarqua la moitié de sa batterie et ses poudres, mit le feu au bâtiment et se réunit à la petite troupe de Sailly. Obligés bientôt de se rendre, marins et soldats furent conduits à Barcelone. Devienne resta prisonnier vingt-huit mois. La paix ayant été conclue entre l'Espagne et la France, il rentra dans sa patrie et trouva, pour récompense de sa belle conduite, un arrêté de destitution, parce que, disait-on, il avait appartenu aux classes privilégiées. Il demanda à être traduit devant un conseil de guerre. Ce conseil se rassembla à Rochefort le 10 brumaire an iv, et déclara que le commandant du Richemond s'était comporté en bon républicain. Devienne fut réintégré dans son grade par Truguet, devenu ministre de la guerre. En l'an ;x, il était capitaine de vaisseau de première classe.

 

 

 



[1] Nous avons évalué (t. II, note XVII) à 22 morts les pertes du bataillon marseillais ; ce chiffre a été très-vivement contesté par les écrivains qui veulent encore faire croire à la légende d'un assaut meurtrier livré le 10 août aux Tuileries. Par le document officiel que nous avons retrouvé, on voit que dans nos calculs nous avions été au delà de la vérité.

[2] D'Hilaire-Chanvert, comme on le voit, passe très-légèrement sur la conduite de ses Marseillais ; les détails que nous avons donnés dans notre récit, livre XXVII, § VII, sont tirés des rapports officiels de l'amiral Truguet et du général Casabianca, rapports qui ont été imprimés à une époque contemporaine de l'expédition et dont l'exactitude n'a jamais été contestée.

[3] Au départ de Villefranche, le 8 janvier, l'effectif de la phalange marseillaise était au moins de quatre mille hommes, à raison de cinq cents hommes pour chacun des huit bataillons — D'Hilaire-Chanvert annonçait dans tous ses rapports qu'il commandait un corps de six mille hommes —. Sur cet effectif, cent ou cent cinquante hommes sont morts en Sardaigne, d'après le deuxième rapport de D'Hilaire. Il n'en restait plus que deux mille un mois après le retour. D'où l'on est obligé de conclure que mille huit cent cinquante hommes avaient déserté du 8 janvier au 21 mars.