HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

II. — PIÈCES CONCERNANT SÉMONVILLE.

AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AUPRÈS DE LA PORTE.

 

 

Au général Paoli.

 

De Saint-Florent, le 15 novembre 1792.

 

Citoyen général,

Le contre-amiral Truguet s'adresse à vous avec confiance pour obtenir de la juste influence que vous avez dans votre patrie des moyens d'étendre sur nos frontières l'empire de la liberté. L'escadre, mouillée aujourd'hui à Spezzia, va faire voile pour la Sardaigne. Elle a besoin pour assurer ses succès des braves concitoyens du général Paoli ; le contre-amiral sait. comme tous les Français, combien on est assuré de trouver dans les Corses d'ardents défenseurs de la liberté, il veut les associer à la gloire que la marine française, victorieuse de Nice et d'Oneille, va recueillir à Cagliari. J'ai cru vous plaire, citoyen général, en me chargeant d'être, auprès de vous, l'interprète de cette demande ; j'ai cru aussi servir ma patrie, en présentant à celui qui, depuis tant d'années, a bravé la despotisme une 'nouvelle occasion de déployer sa haine contre les tyrans.

Veuillez, citoyen, accueillir les sollicitations pressantes du contre-amiral ; veuillez les faire valoir auprès des administrateurs du département, et m'instruire du résultat de ces délibérations et de vos soins. Retenu par des ordres que j'attends, j'ignore si je pourrai m'écarter soit de Bastia, soit de Saint-Florent, une corvette devant arriver d'un moment à l'autre presser mon départ pour Constantinople. Mon désir me porterait à Corte ; si j'y suis nécessaire pour quelques explications, j'y voie ; si, au contraire, les lettres du contre-amiral vous suffisent, citoyen, ainsi qu'au département, je quitterai la Corse avec le regret de n'avoir pas vu le créateur de sa liberté, mais avec la satisfaction de m'être retrouvé un moment au milieu de mes concitoyens, dont je ne me sépare que pour leur sacrifier tonte ma vie.

SÉMONVILLE.

 

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Le 23 mars 1793, an 2e de la République.

 

Législateurs,

Plusieurs d'entre vous cherchent Sémonville sur les mers qui mènent à Constantinople, d'autres croient déjà à son débarquement sur la terre musulmane. Toute la République se berce des heureux succès de son génie et de ses talents.

Tous ces calculs sont faux, et la confiance publique est indignement trompée. Sémonville, comme tous les diplomates amis du peuple républicain, est aujourd'hui la victime, de la bureaucratie et de la trahison ministérielle, Sémonville languit dans les filets de la perfidie et traîne de port en port des jours que la coalition royale de nos ennemis rend inutiles. Lebrun lui ordonne de quitter Gênes le 27 octobre, de publier son départ diplomatique et d'aller se mettre en charte privée dans les murs d'Ajaccio. Sémonville reçoit cet ordre de bonne foi, il l'exécute avec cette ponctualité d'un homme qui imagine des intentions politiques. Il ensevelit sa correspondance dans le bureau des affaires étrangères et attend sous son secret le dernier signal de sa mission. Après une longue attente, il expédie son secrétaire au ministre, et alors seulement sa correspondance, égarée dans les mains des commis du ministère, a repris son cours.

Cependant, on propage dans le lieu de sa naissance qu'il s'est émigré avec l'argent de la République, on menace ses propriétés et on déshonore le citoyen qui fut l'effroi diplomatique des tyrans.

Lebrun, dans sa traîtreuse politique, a-t-il prêté, a-t-il rendu hommage à la vérité, quand il a vu attaquer Sémonville, qu'il faisait assassiner lui-même en le dérobant à tous-les yeux, en murant sa solitude par l'impossibilité de relationner avec personne ? Lebrun asservirait-il encore le Comité diplomatique, puisqu'il est incroyable que le Comité tout entier ait trempé dans cette affreuse trahison ?

Sémonville n'est rendu à ses relations premières que pour apprendre qu'il doit retourner sur le continent français, et que Descorches va aplanir devant lui les obstacles de la Porte Ottomane.

Ce n'est point là une élaboration de difficultés diplomatiques c'est purement une manœuvre, une intrigue, une cabale, une véritable proscription d'agent accrédité par la haine des tyrans.

Où est donc la nécessité préalable d'aplanir, quand le sultan, en signe d'alliance, se décore de-nos couleurs nationales et regarde avec intérêt l'arbre sacré de la liberté ?

Pourquoi Sémonville est-il à Marseille, quand toutes les relations locales nous garantissent le zèle et l'impatience que l'amitié et la politique suggèrent envers nous au sultan ?

Pourquoi Sémonville est-il à Marseille, quand son génie républicain aurait suscité l'antipathie musulmane contre la femme néronienne du Nord et contre le dernier des empereurs ? Ses talents sont au niveau de cette puissante diversion, dont la perte ou le retard provient de l'humiliante protection qu'on accorde à de perfides ministres.

Sémonville aurait du depuis longtemps, et tel était le projet, paraître dans l'Archipel sur une escadre imposante ; il eut du redonner, par l'appareil de cette force réelle, la mesure fière d'une puissance aussi redoutable que calomniée ; et, débarquant alors sur la terre musulmane, il se serait aidé de l'effet nouveau d'une pareille garantie, pendant que cette même escadre aurait balayé à son retour les vaisseaux du commerce dont les mers étaient alors couvertes, et aurait, par ce succès, porté un dommage irréparable aux ennemis belligérants.

Tels sont les faits de notre dénonciation. Rendez donc, législateurs, une éclatante justice au patriote ambassadeur Sémonville ; décrétez authentiquement la punition à mort de la trahison ministérielle, et sans perdre un moment, ordonnez que Sémonville parte, qu'il soit parti au gré de tous les vœux des côtes méridionales.

GUINOT, président de l'Assemblée ;

GIRAUD, vice-président ;

PIERRE TRAHAN, président de correspondance ;

PIERRE BEYSSE-FERRY, P. ANDRÉ.

 

Vu l'adresse délibérée par la Société des Amis de la république de cette ville de Marseille, relative à la mission qui avait été confiée par le Conseil exécutif provisoire de la République auprès de la Porte Ottomane au citoyen Sémonville, et qui lui a été retirée ;

Sur le rapport et ouï le citoyen procureur-syndic ;

Le directoire du district de Marseille, vivement affecté de l'espèce de disgrâce, qu'essuie sans aucun motif le vertueux patriote Sémonville, dont le génie républicain eût été d'un bien puissant secours à la patrie menacée de toutes parts, déclare adhérer à ladite adresse dans tout son contenu, et reconnaît qu'elle contient le vœu et l'expression des sentiments qui animent ses administrés.

Fait à Marseille, en directoire, le 23 mars 1793, l'an II de la République, présents tous les membres.

BRÉMOND, président ; DONJEON, secrétaire.

 

Vu l'adresse de la Société des Amis de la liberté et de l'égalité de cette ville de Marseille ; l'avis du directoire du district de Marseille sur ladite adresse

Ouï le procureur général syndic en absence, l'administration du département des Bouches-du-Rhône, affligée des délais et des obstacles apportés à l'arrivée du citoyen Sémonville à Constantinople, et sentant combien la présence de cet ambassadeur dans le Levant et auprès de la Porte Ottomane intéresse la République française, a arrêté d'adhérer à la susdite adresse, de manifester l'espoir qu'elle fonde sur l'ambassade dudit citoyen, et de solliciter vivement son départ pour aller remplir une mission dont les succès sont présagés par l'estime et la confiance que Sémonville a inspirés à tous les patriotes et surtout au commerce de cette ville.

Fait à Marseille, en l'administration du département, le 23 mars 1793, an II de la République française.