HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

I. — LETTRES CONFIDENTIELLES DES GÉNÉRAUX.

 

 

Au citoyen Pétion, député à la Convention nationale.

 

Liège, le 29 novembre, l'an 2me de la République.

Si vous continuez, mes bons amis, à soupçonner vos généraux, à accuser vos administrateurs, a les remplacer par leurs calomniateurs, à faire protester des lettres de change d'argent contre assignats, que j'ai été forcé de faire pour emprunter de quoi payer la solde, qui n'avait ni payeur ni numéraire si votre tribune, au lieu de ne recevoir que des orateurs s'occupant de législation, de plans de gouvernement, ne présente que des hommes qui se permettent des délations et des injures contre tous les préposés ; si enfin, à peine entrés chez un peuple ami, nous y établissons le monopole et les compagnies exclusives alors la première année de la République pourra bien devenir la dernière ; alors vous n'aurez pour généraux que des ambitieux, des intrigants ou des sots ; alors ou vous m'ostraciserez, ou je me retirerai. Car rien au monde ne pourra m'engager à être le fléau des nations, l'instrument de la tyrannie ou de la sottise. Ainsi je me réfère à ma lettre à la Convention nationale ; elle décidera de mon sort et de celui des provinces que je viens de rendre à la liberté. Vos bureaux de la guerre sont pires que jamais ; la bureaucratie est plus tyrannique que sous l'ancien régime, et tout le système actuel nous conduit à notre perte et à vivre ensemble comme des loups enrages. Si les gens sensés et honnêtes ne se rallient pas, la France perdra tout le fruit de nos victoires et retombera dans la plus dangereuse des anarchies. Quant à moi, je ne fuirai pas les dangers personnels ; mais je fuirai tout emploi et je pleurerai dans un coin sur l'ingratitude et l'imprudence de mes concitoyens.

DUMOURIEZ.

Post-scriptum. Je vous envoie les deux Égalité qui sont pénètres du plus profond chagrin, mais qui resteront fidèles à leur devoir. Ils ont une carrière plus longue que la mienne à remplir tant pis pour eux. La mienne a été bien agitée, bien brillante, bien utile il est temps que j'enraye puisqu'on brise mes roues et qu'on tue mes chevaux.

 

———————————————

 

Au citoyen Cochon-l'Apparent, députe à la Convention nationale.

 

Au quartier général, à Sarrelouis, le 10 janvier 1793, l'an 2e de la République.

Je vous adresse mon cher l'Apparent, copie d'une réponse que je fais au Ministre, et d'une autre à Custine.

Il y a huit jours qu'on m'a permis de me cantonner et de me réparer ; je vous devais et à nos amis cette juste faveur. Custine l'a su, et n'a fait que deux petites demandes pour s'y opposer.

La première, que je porte le tiers de cette armée à Hombourg et Kaiserlautern, où il sera tourné, enlevé, sans que Custine ni moi puissions le secourir.

La deuxième, il a obtenu l'ordre du ministre qu'il puisse disposer du reste de mon armée pour la porter à Mayence.

Il finit par demander de dégarnir mes places qui ne sont pas garnies au tiers, pour augmenter le renfort qu'il me demande. Il exige enfin que je ne laisse presque rien dans Metz.

Me voilà bientôt les mains vides avec 40 lieues de frontière à garder, et 35.000 hommes dans le Luxembourg à observer qui ne manqueront pas de faire des politesses à nos places. C'est le ministre Pache qui me prescrit l'obéissance aux ordres extravagants de Custine. Lisez ma réponse à l'un et à l'autre.

L'armée, réduite à 12.000 hommes par la maladie et la désertion, est sans souliers, sans bas, sans culottes, sans habits et sans chapeaux ; elle est dégoûtée, désespérée, et celui qui la commande n'a pas envie de se déshonorer.

J'ai toutes les munitions à régénérer. Custine a perdu tous mes chevaux d'artillerie par la sotte campagne de Trèves ; il me faut un équipage neuf ; idem pour les vivres et l'ambulance. It en est de même de ma cavalerie, et les cavaliers sont sans selle, sans bottes et sans culottes.

Communiquez ma lettre à nos amis et au comité qui peuvent réagir efficacement.

Le Directoire d'achats des subsistances militaires va nous faire crever de faim, hommes et chevaux.

La compagnie d'habillements est une compagnie de fripons qui nous laissent tout nus.

Custine ne voit le salut de la France que dans celui du pont de Mayence son projet est de commander toutes les armées, depuis la Suisse jusqu'à la mer, et de les rassembler à son f..... pont. A coup sûr, c'est un enthousiaste, s'il est de bonne foi, ou un homme bien dangereux, s'il est de mauvaise foi. Ce qui me peine, c'est que le Ministre et le Pouvoir exécutif font ce qu'il veut.

Si on ne réunit les généraux à Paris, si l'on ne restreint notre plan de campagne, si l'on ne répare nos armées nues et exténuées, si nous ne nous retirons sur nos frontières, si nous n'y prenons de bonnes positions en avant de nos places, si nous n'établissons des magasins d'abondance, je vois la France battue et aux fers.

Occupons 100.000 cordonniers sous la surveillance de toutes les municipalités du royaume, nous aurons 600.000 bonnes paires de souliers en six jours.

Occupons idem 100.000 tailleurs pendant quinze jours, nous aurons 300.000 bonnes paires de culottes en trois jours, 300.000 vestes en trois autres, et 300.000 habits en neuf autres.

En quinze jours nos armées seront chaussées et habillées, et nous aurons un excédant pour un an de plus. Il ne faudra pas un mois pour réunir en poste tous ces objets.

Adieu, mon ami, j'ai le cœur déchiré de tout ce que je vois et de tout ce qui se prépare. Notre force armée est réduite à moitié ; il lui faut une nouvelle organisation, et l'on ne s'occupe que de chimères. Nous ne pensons qu'à donner la liberté à des gens qui n'en veulent point, et nous ne savons pas être libres, tout en voulant l'être.

Adieu, je suis toujours extrêmement faible, je ne vous en aime pas moins très-fortement.

Votre bon ami,

BEURNONVILLE.

 

———————————————

 

Biron, commandant en chef, à Pache, ministre de la guerre.

 

Au quartier général, à Nice, le 11 février 1793, l'an 2e de la République.

Il est de ma franchise, citoyen ministre, d'avoir avec vous, sans plus attendre, une explication qui doit convenir également à votre loyauté et à la mienne ; je ne vous dissimulerai donc pas que votre correspondance avec moi pendant que j'ai commandé dans les départements m'a beaucoup afflige ; non parce qu'elle était sèche et souvent désobligeante, car les formes sont peu importantes, et il suffit qu'elles soient les mêmes pour tous ; mais parce que vous n'aviez aucun égard à mes représentations les plus fondées, et que vous ne répondiez pas à mes demandes les plus pressantes. Je n'ai pas du vous cacher combien vous aviez désorganisé l'armée du Rhin, et combien il était dangereux d'en retarder la réorganisation que j'avais tant sollicitée ; et je vous avoue que lorsque je me suis vu destiné à commander une autre armée, j'ai cru que vous n'aviez pas été fâché de vous débarrasser de mes importunes réclamations eh Alsace. A mon passage à Paris, votre patriotisme prononcé, les différentes conversations que nous avons eues ensemble m'ont inspiré une confiance en vous que n'avait pu me donner le commencement de votre ministère. Vous avez bien voulu me dire que rien de ce qui m'avait peine dans nos rapports ensemble ne vous appartenait, et que, surcharge d'affaires, beaucoup de choses vous échappaient nécessairement. Je l'ai cru avec plaisir, et j'ai compté sur vos secours les plus actifs pour remettre en état de servir une armée dont le délabrement sous tous les rapports ne pouvait être exagéré et qui cependant paraît destinée à tirer des coups de fusil la première. Nous sommes convenus ensemble d'une organisation plus pressée que tout, et indispensable pour ramener l'ordre. Il ne fallait que votre signature pour la mettre à exécution, et depuis un mois cette organisation tant désirée n'est pas arrivée à l'armée. Je vous ai proposé à Paris la levée d'une légion d'artillerie volante dont vous m'avez paru sentir les avantages, et qui pouvait rendre les plus grands services aux armées des Alpes et d'Italie ; nous en avons parlé plusieurs fois au Conseil, comme d'une mesure d'une utilité capitale, et que l'on ne pouvait prendre trop promptement. Vous la voyant adopter, je n'ai pas cru nécessaire de vous demander l'augmentation de l'artillerie à pied, dont je ne puis me passer, et de l'artillerie à cheval, et je ne m'attendais pas, je vous juré, citoyen ministre, étant parti dans cette confiance, de recevoir de vous la lettre dont je joins ici copie — convaincu que vous n'avez pas eu le temps de la lire avant de la signer —. D'après cette lettre, je dois présumer que vous ne voulez pas de la légion d'artillerie volante, que les secours que vous me donnez en artillerie, et peut-être en tout genre, seront sûrement insuffisants, et arriveront probablement trop tard. Vous êtes trompé, sans doute, car il n'est ni de votre patriotisme, ni de votre sagesse, de mettre par ces dangereuses lenteurs une armée hors d'état de servir la République, et de me forcer de rejeter sur vous une responsabilité dont il ne serait pas juste de me laisser chargé, en me refusant ou en me donnant trop tard ce qui m'est indispensable pour défendre l'entrée de la France à ses ennemis. Lorsque je t'ai pensé, j'ai dû vous dire que vous compromettiez la sûreté des départements du Rhin, et je dois vous dire aujourd'hui que vous compromettez de la manière la plus alarmante le comté de Nice et les départements du Var et des Bouches-du-Rhône par le moindre retard. Au nom de votre amour pour la liberté, surveillez ce qui vous entoure, et craignez de faire à votre patrie un mal irréparable, en ne plaçant pas bien votre confiance. Cette lettre, dont je serais bien fâché que vous fussiez choqué, et qui est, malgré sa sévérité, une forte preuve d'estime, n'est nullement officielle, et ne sera connue que de vous ; mais je dois vous prévenir que j'adresserai dorénavant au Comité de défense nationale le double de ma correspondance officielle, ce qui me semble devoir nous faire gagner du temps à vous et à moi ; croyez, citoyen ministre, que je serais plus heureux que je ne puis vous l'exprimer de vous devoir de la reconnaissance pour le service de la République et de vous vouer un attachement inaltérable.

Le citoyen général d'armes : BIRON.