HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME SIXIÈME

 

LIVRE XXXII. — LA FUITE DE DUMOURIEZ.

 

 

I

Suivant la célèbre expression de Catherine de Médicis, au moment où son fils venait de se débarrasser des Guises, Dumouriez avait bien coupé. Il avait fait arrêter les commissaires de la Convention chargés de le traduire à la barre ; il avait trouvé dans les officiers et dans les troupes qui l'entouraient des instruments dociles et dévoués ; par la gravité de l'acte qu'il leur avait fait accomplir, il les avait engagés à fond dans sa querelle et avait fait de sa cause celle de tous. Maintenant, il fallait recoudre, c'est-à-dire réunir dans une même pensée, dans une même volonté, dans un même élan, tous les corps d'armée disséminés sur un front de soixante lieues, depuis Dunkerque jusqu'à Maubeuge.

Dumouriez avait sous la main les camps de Maulde et de Bruille. Placés derrière l'Escaut, ils présentaient une ligne de défense respectable vis-à-vis de l'ennemi, mais n'étaient pas en état de résister à la moindre agression venant de l'intérieur. Le général insurgé devait donc nécessairement s'assurer de deux ou trois places fortes, qui seraient pour lui un point d'appui formidable en cas de revers, et qu'au besoin il remettrait momentanément entre les mains des Autrichiens, comme garantie de sa bonne foi. Ces places ne pouvaient être que Lille, Valenciennes et Condé.

Il avait confié le commandement de Lille au général Duval, celui de Valenciennes au général Ferrand, deux vieux colonels qui lui étaient redevables de leur avancement, et sur l'obéissance passive desquels il se croyait en droit de compter. Mais, surpris à l'improviste par l'arrivée de Camus et de ses collègues, il n'avait pas eu le temps de mettre ces deux officiers dans la confidence de ses desseins et de s'assurer de leur concours. En s'établissant, le 31 mars, aux bains de Saint-Amand, il pensait avoir encore quelques jours devant lui sans avoir besoin de se déclarer ouvertement ; il comptait mettre à profit ces instants si précieux pour asseoir ses cantonnements, connaître exactement la position et la force de chacune de ses brigades et de ses divisions, préparer peu à peu l'esprit de ses troupes, leur faire accepter avec joie et enthousiasme les ordres qu'il se préparait à leur donner[1].

Habitués que nous sommes aujourd'hui au succès de conspirateurs habiles et heureux, nous devons prendre en pitié ce chef de parti qui livre l'expression de ses ressentiments à tous les échos, confie ses secrets aux trois premiers individus qui lui tombent sous la main, écrit au ministre de la guerre les lettres les plus compromettantes, et, pendant ce temps, ne prend aucune précaution, ne sait à quel dévouement il peut se fier, quelle faiblesse il doit suspecter, s'imagine que les ordres qu'it donnera seront partout et par tous exécutés comme s'ils étaient les plus simples et les plus ordinaires du monde.

Dumouriez oublie que le général d'armée, et encore plus le conspirateur, ne doit rien laisser au hasard de ce que la prudence peut lui enlever. Il emploie la plus grande partie de la nuit du 1er au 2 avril à écrire des lettres, à faire des proclamations. Après avoir instruit Mack des événements qui viennent de se passer, et l'avoir averti qu'il recevra prochainement les otages par lui livrés à Clerfayt, il fait connaître à son armée, aux administrateurs du Nord, à ses généraux divisionnaires, les dangers qu'il prétend avoir courus et les résolutions qu'il a prises.

Voici le texte même des deux pièces principales qui sont datées du 1er avril à onze heures du soir :

Le général Dumouriez à l'armée française.

 

Mes compagnons,

Quatre commissaires de la Convention nationale sont venus pour m'arrêter et me conduire à la barre, le ministre de la guerre les accompagnait. Je me suis rappelé ce que vous m'avez promis que vous ne laisseriez pas enlever votre père, qui a sauvé plusieurs fois la patrie, qui vous a conduits dans le chemin de la victoire et qui dernièrement encore vient de faire à votre tête une retraite honorable. Je les ai mis en lieu de sûreté pour nous servir d'otages. Il est temps que l'armée émette son vœu, purge la France des assassins et des agitateurs et rende à notre malheureuse patrie le repos qu'elle a perdu par le crime de ses représentants. Il est temps de reprendre une Constitution que nous avons jurée trois ans de suite, qui nous donnait la liberté et qui peut seule nous garantir de la licence et de l'anarchie dans laquelle on nous a plongés. Je vous déclare, mes compagnons, que je vous donnerai l'exemple de vivre et mourir libre. Nous ne pouvons être libres qu'avec de bonnes lois ; sinon, nous serions les esclaves du crime.

DUMOURIEZ.

Aux bains de Saint-Amand, le 1er avril, onze heures du soir.

 

Dumouriez aux citoyens administrateurs du département du Nord.

 

Citoyens administrateurs, la tyrannie, les assassinats, les crimes, sont à leur comble à Paris ; l'anarchie nous dévore, et, sous le nom sacré de la liberté, nous sommes tombés dans un insupportable esclavage. Plus nos dangers sont grands, plus la Convention semble mettre d'aveuglement dans sa conduite ; je lui ai dit des vérités dans ma lettre du 12 mars, et elle a envoyé, pour m'arrêter ou pour se défaire de moi, quatre commissaires. Le ministre de la guerre, Beurnonville, dont j'ai fait la fortune militaire, les accompagne.

Depuis plusieurs jours, l'armée est révoltée des calomnies et des attentats dirigés contre son général, et ils auraient été victimes de ceux qui les avaient envoyés, si je n'avais retenu son indignation.

Je les ai fait arrêter et je les ai envoyés dans un lieu sûr pour servir d'otages, en cas qu'on se prépare à commettre de nouveaux meurtres et de nouveaux crimes.

Je ne tarderai plus à marcher sur Paris pour faire cesser la sanglante anarchie qui y règne ; j'ai trop bien défendu la liberté jusqu'à présent pour m'arrêter au moment où elle est le plus en danger.

Nous avions juré, en 1789, 1790 et 1791, une Constitution qui, en nous soumettant à des lois, nous donnait un gouvernement stable ; ce n'est que depuis que nous l'avons renversée que nos malheurs ont commencé. En la reprenant, je suis sûr de faire cesser sur-le-champ la guerre civile et la guerre étrangère, la licence, le brigandage et de rendre à la France la paix et le bonheur qu'elle a perdus.

Je connais la sagesse du département où je suis né, et dont j'ai été le libérateur. Puissé-je l'être bientôt de la France entière !

Je vous jure que je suis bien loin d'aspirer à la dictature, et je m'engage à quitter toute fonction publique dès que j'aurai sauvé ma patrie.

DUMOURIEZ[2].

 

II

Ces lettres écrites, ces proclamations lancées, Dumouriez tourne toutes ses pensées vers Lille, Valenciennes et Condé. Il se croit sûr de cette dernière place ; il y a envoyé le général Neuilly avec une nombreuse cavalerie la population n'y est pas considérable et ne saurait résister à la pression de l'autorité militaire. Mais il ne saurait se faire la même illusion relativement aux deux autres villes. Il n'a pas pu encore y introduire les régiments de ligne qui viennent de faire la campagne de Belgique, et qu'il considère comme lui étant entièrement dévoués. Il n'a aucune confiance dans les volontaires de nouvelle levée qu'on vient d'y rassembler. Il sait aussi qu'un commissaire de la Convention, Bellegarde, se trouve à Valenciennes, que deux autres commissaires, Carnot et Lesage-Senaut, sont à Lille et que leur présence et leurs réquisitions peuvent singulièrement contrarier l'exécution de ses projets.

Son parti est bientôt pris. Il fait choix du grand prévôt de l'armée, Lescuyer, pour se saisir de Valenciennes de Miaczinsky, pour s'emparer à tout prix du boulevard de la Flandre française[3].

Lescuyer était un vieux militaire qui avait passé par tous les grades subalternes de la gendarmerie et qui, assez souffrant dans ce moment, était venu demander un congé de convalescence. Il avait quitté Valenciennes quelques heures auparavant et avait assisté aux dernières scènes que nous avons racontées. Dumouriez le fait venir dans son cabinet :

Ce n'est plus de congé qu'il s'agit, lui dit-il, il y a trop de besogne urgente. Je vous expédie à Valencienne pour y arrêter le représentant Bellegarde. Je vais vous donner quatre hussards pour vous accompagner ; vous me le ramènerez à la pointe du jour dans votre voiture. Dites-lui que je veux conférer avec lui sur les affaires de l'armée, et que, si j'avais pu, je serais allé moi-même le voir. Voici l'ordre d'arrestation :

Il est ordonné au citoyen Lescuyer de s'emparer cette nuit de la personne du citoyen Bellegarde, député de la Convention nationale, et de l'amener à la petite pointe du jour au quartier général des bains Saint-Amand.

Ce 1er avril 1793, an 4e de la liberté.

Le général en chef, DUMOURIEZ.

P. S. : Si le général Ferrand s'oppose à cette expédition, il en sera responsable.

DUMOURIEZ.

 

Lescuyer ne fait aucune observation. En sa qualité de grand prévôt de l'armée, il est accoutumé à arrêter tous ceux que lui désigne le général en chef. Quatre membres de la Convention viennent d'être saisis par les hussards ; il ne lui sera pas plus difficile d'en faire saisir un cinquième par ses gendarmes.

Au moment où il va faire préparer sa voiture, après avoir reçu les dernières instructions de Thouvenot, chef d'état-major, il se retrouve sur les pas de Dumouriez. L'impatience du général ne lui permet pas de calculer le peu de minutes qui se sont écoulées depuis qu'il a donné l'ordre d'arrestation. Comment, Lescuyer, s'écrie-t-il, vous n'êtes pas encore parti ? Hâtez-vous, et revenez de suite avec Bellegarde.

Une fois en route, le grand prévôt combine son plan de manière à engager le moins possible sa responsabilité. L'ordre fait mention du général Ferrand ; le mettre dans la confidence sera moins dangereux que d'agir sans lui.

Les portes de Valenciennes s'ouvrent naturellement devant te grand prévôt. Sans perdre de temps, Lescuyer court chez Ferrand. En route, il rencontre le commissaire ordonnateur, Beauvallon, qu'il sait être l'un des confidents les plus intimes de Dumouriez. Il l'entraîne chez Je commandant de la place dans l'espérance que celui-ci, ayant à soutenir deux assauts au lieu d'un, se rendra plus facilement. Les deux visiteurs sont à l'instant même introduits dans la chambre de Ferrand, qu'ils trouvent couché. Lescuyer, après les compliments d'usage, entame un long discours sur la nécessité d'obéir aveuglément aux ordres de ses chefs hiérarchiques, quand bien même on serait obligé de contrevenir aux réquisitions des commissaires de la Convention. Au milieu de sa harangue, il se tourne vers Beauvallon, espérant que celui-ci confirmera de sa parole les principes qu'il vient d'émettre mais celui-ci lui répond en bâillant : Je dors et je vais me coucher. Resté seul avec Ferrand, Lescuyer se décide à aller droit au but.

Où demeure le député Bellegarde ? lui dit-il.

Pourquoi cette demande ?

C'est que j'ai ordre de l'arrêter.

Ordre d'arrêter Bellegarde ?

Pourquoi celui-là plutôt qu'un autre ?

Il y en a donc d'autres ?

Oui, Lequinio et Cochon, qui viennent d'arriver.

Trois arrestations à opérer au lieu d'une, cela changeait fort la question. La ruse était plus difficile, la force plus périlleuse à employer. Lescuyer se tire de cette position comme le font généralement les subalternes, qui en réfèrent à leur supérieur, au risque de perdre des heures précieuses et de laisser échapper l'occasion. Il écrit à Dumouriez une lettre pour lui annoncer qu'au lieu de lui livrer un seul député, il espère lui en amener trois ; mais qu'il lui est impossible de songer à s'emparer de la personne des représentants au milieu de la ville et en présence de la population qu'une telle entreprise amènerait une division entre les corps administratifs, la garde nationale et la troupe de ligne ; que cette division dégénérerait inévitablement en une rixe sanglante, qui pourrait bien ne pas tourner à l'avantage des projets du général ; mais qu'en guettant le moment où les représentants sortiront de la ville, comme ils en ont annoncé l'intention, rien ne sera plus facile que de les enlever avec les hussards que Dumouriez lui a donnés et les gendarmes que lui fournira le général Ferrand.

Ce dernier jouait, en effet, un jeu double. II ne savait qui allait triompher dans la collision qui se préparait ; mais il voulait se mettre d'avance en règle avec le vainqueur. Aussi ne fait-il point d'objection à Lescuyer lorsque celui-ci vient lui apporter sa lettre, avant de l'envoyer à Dumouriez. Il lui accorde l'ouverture des portes pour l'ordonnance qui va être expédiée aux bains de Saint-Amand — il était à ce moment trois heures du matin —, et le congédie en lui disant de revenir sur les huit heures chercher l'ordre nécessaire pour mettre en mouvement les gendarmes dont il lui a promis le concours. Mais, dès que Lescuyer est parti, Ferrand fait enjoindre au maître de poste de ne fournir à qui que ce soit des chevaux sans sa permission expresse et par écrit. Puis il envoie un de ses aides de camp aux trois représentants pour leur conseiller à mots couverts de veiller à leur propre sûreté.

Les commissaires, sans se douter du péril qui les menace, ne négligent pas cet avis indirect. Ils font dire à un bataillon très-patriote de volontaires de la Charente de venir se mettre à leur disposition, et lui confient la garde des abords de l'auberge où ils sont descendus.

 

III

A huit heures du matin, Lescuyer se rend de nouveau chez Ferrand et lui apporte une lettre qu'il vient de recevoir de Dumouriez, en réponse à sa missive de la nuit. 0 Le général en chef lui mande que Neuilly va arriver à Valenciennes avec des forces supérieures qu'aussitôt ce renfort arrivé, il ne faut plus hésiter, mais qu'il faut être sûr de la ville. Ferrand, certain que par suite des mesures qu'il a prises, des avis qu'il a donnés, les commissaires ne pourront ni ne voudront sortir, délivre sans hésiter l'ordre suivant à Lescuyer :

Ordre du général Ferrand, commandant à Valenciennes.

 

Il est ordonné à un détachement de gendarmerie nationale, dont le nombre sera fixé par le citoyen général Lescuyer et qui se trouve être sous mes ordres à Valenciennes, de mettre à exécution les ordres du général en chef Dumouriez

A Valenciennes, le 2 avril 1793, an 2e de la République, huit heures du matin.

Le général de brigade, FERRAND.

 

À la lettre que Dumouriez adressait a. Lescuyer étaient joints : 1° un certain nombre d'exemplaires de la proclamation du général en chef à son armée ; 2° une note qui enjoignait de transmettre un de ces exemplaires à chacun des commandants de place des villes environnantes. Ferrand expédie ces pièces par des ordonnances spéciales, mais ne les accompagne d'aucun commentaire.

Se fiant au zèle que le général semble déployer pour la cause de Dumouriez, Lescuyer le quitte, plein d'espérance, et court préparer les embuscades où doivent tomber les trois commissaires. Mais, à l'auberge, où ceux-ci sont logés, rien ne semble dénoter des apprêts de départ. Neuilly et ses régiments ne paraissent pas. Le bruit de l'arrestation de Camus et de ses collègues commence à se répandre. Bientôt circulent quelques exemplaires de la proclamation de Dumouriez à l'armée des groupes, de plus en plus nombreux et bruyants, se forment dans les rues et sur les places. Lescuyer envoie un émissaire faire part de ces symptômes peu rassurants à Ferrand ; mais celui-ci lui fait dire qu'il n'ait à se préoccuper de rien, car les rumeurs vagues qui commencent à se répandre en ville paraissent inspirer aux trois représentants le désir d'aller en personne demander à Dumouriez des explications.

Soit qu'il se .laisse prendre à cette ruse grossière, soit que, voyant !a chance tourner, il se prépare à tourner avec elle, le grand prévôt écrit à Dumouriez une nouvelle lettre, où se trouvent encore des protestations de dévouement, mais aussi des propositions dilatoires, des questions naïves et des marques évidentes de tergiversation[4].

Vers le milieu de la journée, le général Ferrand, voyant la situation se dessiner de plus en plus en faveur des commissaires, leur envoie un second aide de camp pour leur dévoiler tout ce qu'il sait du complot et leur apprendre qu'on est en train de réimprimer, à Valenciennes même, la proclamation de Dumouriez. Aussitôt les trois représentants accourent chez le général, le requièrent de faire fermer les portes de la ville, de mettre à leur disposition toutes les troupes placées sous ses ordres et de les accompagner chez l'imprimeur Prignet[5]. Là ils saisissent des exemplaires de la proclamation sortant de la presse et mettent les planches sous le scellé ; puis ils se rendent dans les casernes, haranguent la troupe et font lire à la tête de chaque bataillon un arrêté qu'ils viennent de prendre et aux termes duquel ils déclarent, au nom du peuple et de la Convention, Dumouriez suspendu de ses fonctions, défendent à toute autorité civile ou militaire d'obéir à ses ordres.

Après cette tournée où ils sont admirablement reçus par les soldats et par les citoyens, les commissaires se rendent chez Ferrand. Ils s'y trouvent face à face avec un autre confident de Dumouriez, le général Neuilly. Celui-ci vient d'arriver de Condé avec deux régiments de cavalerie et trois bataillons mais, ayant trouvé les portes fermées, il a pénétré seul en ville. Les députés défendent à Ferrand de recevoir ces nouveaux arrivants et envoient à chacun des commandants des régiments et des bataillons, l'ordre de bivouaquer sur les glacis de la place. Neuilly, s'apercevant que le projet dont il est chargé d'assurer l'exécution est éventé, comprend qu'il n'a rien de mieux à faire que de s'esquiver et de regagner Condé avec sa troupe. Il lui est facile de sortir du quartier général et de la ville, grâce au trouble et à la confusion qui y règnent.

Rassurés sur le sort de Valenciennes, les commissaires écrivent à la Convention pour lui annoncer le péril auquel cette ville vient d'échapper et lui faire connaître tous les détails du complot qui devait les livrer à Dumouriez. Ces détails, qui les leur avait donnés ? Celui-là même qui avait accepté la mission de les arrêter, le grand prévôt Lescuyer. II espérait que ses menées ne seraient pas connues car Ferrand, qui en avait été en quelque sorte le complice, avait autant d'intérêt que lui à les tenir secrètes. Aussitôt après la disparition de Neuilly, il se rend résolument à l'hôtel de ville où les trois députés siègent en permanence au milieu des autorités municipales ; il leur remet l'ordre d'arrestation de Bellegarde dont il est porteur depuis le matin, leur jure qu'il 'n'a jamais eu la pensée de l'exécuter, et se confond en protestations de dévouement à la République. Les députés l'accueillent parfaitement, et, croyant pouvoir se fier au zèle d'un officier qui vient leur apporter la preuve palpable de la trahison de Dumouriez, ils l'investissent d'un commandement important.

Ainsi se passa la journée du 2 avril à Valenciennes. Dumouriez dut se repentir amèrement d'avoir confié à des instruments si peu habiles, à des cœurs si peu décidés, le succès de son entreprise. Autant les agents 'du général rebelle montrèrent de maladresse, de lenteur et de tergiversation, autant les commissaires de la Convention, surpris à l'improviste, déployèrent d'énergie et d'activité. Du reste, la tentative sur Lille échoua peut-être plus misérablement encore, mais par des circonstances entièrement différentes.

 

IV

En même temps qu'il expédiait Lescuyer à Valenciennes, Dumouriez ordonnait à Miaczinski de lever son camp d'Orchies dès la pointe du jour, de marcher sur Lille, d'arrêter les représentants Carnot et Lesage-Senault qui devaient s'y trouver, de s'assurer de cette place importante, d'y proclamer la Constitution de 1791 puis de se rendre à Douai, à Cambrai, de pousser enfin une avant-garde jusqu'à Péronne, et, cela fait, d'attendre ses ordres[6].

Dumouriez avait si peu d'officiers de confiance sous la main qu'il en est réduit à envoyer ses instructions à Miaczinski par le même courrier Longuet, qui avait accompagné le ministre et les quatre députés depuis leur départ de Paris. Longuet avait, il est vrai, été l'homme du ministre depuis vingt-quatre heures, mais il avait été l'homme du général en chef pendant plusieurs mois. Dumouriez avait d'ailleurs une si bonne opinion de lui-même qu'il croyait inspirer un dévouement absolu à tous ceux qui l'approchaient. Il fait donc venir le courrier, lui dit qu'il ne le croit pas assez fou pour s'attacher à une cause désormais perdue, et, sans attendre sa réponse, lui remet ses dépêches en lui recommandant la plus grande diligence. Il prend seulement la précaution de le faire accompagner par deux hussards.

En route, Longuet s'égare ou feint de s'égarer et met cinq ou six heures pour franchir les dix-huit kilomètres qui séparent Orchies des bains de Saint-Amand ; il n'arrive qu'au grand jour chez Miaczinski.

Celui-ci avait donné à déjeuner à Saint-Georges, à Dumas et aux autres officiers de l'escorte qui, la veille au soir, avaient, dé Lille à Orchies, accompagné le ministre et les députés. Les hôtes du général s'apprêtaient à lui dire adieu ; déjà les chevaux étaient sellés, les cavaliers rangés en bataille sur la place. On en était aux dernières poignées de main et aux derniers toasts, lorsque arrive Longuet qui demande à parler en particulier à Miaczinski et l'entraîne dans un arrière-cabinet. Bientôt le général revient le visage en feu. Jetant les ordres de Dumouriez sur la table, il s'écrie : Messieurs, le ministre et les commissaires de la Convention sont arrêtés ; j'ai ordre de marcher sur Lille, marchez-vous avec nous ?

Nous sommes sous les ordres du général Duval, répond Saint-Georges, c'est à lui que nous devons obéir.

Attendez-moi quelques instants et nous partirons ensemble.

Saint-Georges et Dumas déclinent cette offre et se retirent précipitamment. Ils sautent en selle et se font suivre par leurs chasseurs.. Mais le détachement ne marche pas assez vite au gré de leur impatience ; ils envoient en estafette le capitaine Colin qui monte un des meilleurs chevaux des écuries de Saint-Georges.

Miaczinski, laissé seul par ses convives, ne s'aperçoit de la faute qu'il vient de commettre que lorsque ceux-ci sont déjà bien loin. Il veut la réparer par son activité il fait battre la générale, seller ses chevaux et ceux des cavaliers qui doivent J'accompagner ; car il compte devancer de quelques heures son infanterie qui, ayant trente-trois kilomètres à faire, ne peut dans tous les cas arriver à Lille que vers la fin du jour. Il écrit à Dumouriez pour l'assurer de son dévouement à toute épreuve et se met en marche[7].

Cependant le capitaine Colin, qui a toujours couru ventre à terre et n'a pas mis plus d'une heure et demie à franchir la distance qui sépare Orchies de Lille, s'est rendu sur-le-champ chez le général Duval. Il lui raconte et ce qui s'est passé la veille-au soir à Saint-Amand et ce qui se prépare pour surprendre la ville placée sous son commandement. Le général ne veut pas croire au récit du capitaine et menace de le faire arrêter. Surviennent heureusement Saint-Georges et Alexandre Dumas qui confirment en tous points le rapport de leur subalterne.

Enfin arrive Longuet, qui, après avoir remis ses dépêches à Miaczinski, s'est habilement esquivé et a eu l'adresse de se faire donner un cheval frais, en qualité de courrier du général en chef. Duval ne peut plus douter ; car ce que Saint-Georges, Dumas et Colin n'ont pu lui rapporter que par ouï-dire, Longuet le lui confirme comme témoin oculaire. Mais le général veut, avant tout, mettre sa responsabilité à couvert. Il se rend à l'hôtel de ville, où siègent en permanence les conseils de la commune et du district ; il expose ce qu'il vient d'apprendre et déclare que, dans des circonstances aussi graves, l'autorité militaire ne doit agir que de concert avec l'autorité civile. Son discours est couvert d'applaudissements. Ordre est donné de faire fermer les portes de la place, de ne laisser pénétrer en ville que les officiers et généraux qui se présenteraient avec une, faible escorte.

Toutes les mesures de précaution étaient prises, tous les préparatifs achevés, quand Miaczinski arrive au faubourg de Paris. Il n'a que cent cavaliers avec lui ; on ne voit aucun danger à le laisser entrer lui et ceux qui l'accompagnent. Mais, au lieu de le conduire chez le général Duval, comme il en exprime le désir, on le mène à l'hôtel de ville. Il monte sans défiance au premier étage, s'arrête dans la première salle et fait dire à Duval qu'il a besoin de lui parler en particulier ; celui-ci lui fait répondre qu'il est au milieu de ses concitoyens et qu'il ne veut recevoir de communications qu'en présence des autorités lilloises. Miaczinski hésite, il fait un mouvement pour se retirer et aller sur la place rejoindre ses cavaliers ; mais on l'entoure, on l'entraîne dans la salle des séances. Là, le président du district lui demande compte de la mission dont il est chargé, et le somme d'exhiber les ordres dont il est porteur. Miaczinski assure qu'il n'a rien que des ordres verbaux apportés par un aide de camp.

Quels sont-ils ?

Je dois me concerter avec le général Duval et me rendre à Douai et Cambrai.

Lille n'est pas sur la route de ces deux villes, et l'on ne fait pas marcher une armée pour se concerter. Persistez-vous à déclarer que vos ordres étaient purement verbaux ?

Oui.

Eh bien, voilà des témoins qui ont vu des ordres écrits.

Le président montre Saint-Georges, Colin et Dumas, dont Miaczinski ne soupçonnait pas la présence dans l'assemblée. Le général se trouble, balbutie. De violents murmures s'élèvent. Qu'il soit général ou non, s'écrie-t-on, il faut le fouiller. Pour éviter ce traitement ignominieux, Miaczinski tire enfin de sa poche la lettre de Dumouriez. Le président en fait la lecture à haute voix aussitôt l'assemblée déclare unanimement qu'il y a lieu de mettre en arrestation l'officier qui a accepté d'exécuter de pareils ordres.

Duval s'efface devant l'autorité civile et n'élève pas la voix en faveur de son ancien compagnon d'armes. Miaczinski est désarmé et gardé à vue. Puis les autorités civiles requièrent tous les militaires présents de renouveler leur serment de fidélité à la liberté, à l'égalité, à la République, à la Convention nationale ; elles se transportent sur la place et exigent le même serment de toutes les troupes qui y sont réunies : Les cavaliers qui ont accompagné Miaczinski le prêtent sans hésitation, aussi bien que les troupes de ligne. Lorsque les conseils rentrent en séance, le général, qui des fenêtres de l'hôtel de ville a été témoin de la défection de ses propres soldats, veut tâcher de racheter sa faute ; il demande qu'on l'admette à se joindre à ses frères d'armes et à prêter aussi serment. On le lui permet, mais à la condition qu'il ordonnera : 1° aux trois mille hommes qui l'attendent au faubourg de Paris de se rendre au camp de la Madeleine, plus directement commandé par te feu de la place ; 2° aux deux mille hommes qu'il a laissés à Orchies de venir se réunir à Lille au reste de la brigade. Miaczinski écrit les ordres exigés, puis il est constitué prisonnier à l'hôtel de ville jusqu'à ce que le directoire du département ait statué sur son sort.

 

V

Tandis que les tentatives sur Lille et Valenciennes avortaient ainsi dans la journée du 2 avril, que se passait-il aux camps de Bruille et de Maulde ainsi qu'au quartier général des bains de Saint-Amand ?

Dans les deux camps, les esprits étaient fort divisés ; les régiments d'infanterie de ligne et encore plus ceux de cavalerie témoignaient un grand dévouement à leur général. Ils avaient déclaré hautement depuis plusieurs jours qu'ils suivraient toujours et partout la fortune du vainqueur de Jemmapes et de Valmy, qu'ils l'accompagneraient jusqu'à Paris, s'il le fallait. L'artillerie et les volontaires ne montraient pas à beaucoup près les mêmes intentions. Les généraux et les officiers étaient fort perplexes, mais aucun d'eux n'était préparé à une levée de boucliers aussi prompte et aussi décisive que celle que venait de faire Dumouriez. Aussi, lorsque la proclamation à l'armée[8] était arrivée à l'état-major de chacun des deux camps, avait-elle été un véritable coup de foudre pour tous ceux qui, par leurs fonctions spéciales, étaient chargés de la porter à la connaissance des troupes.

Leveneur, comme le plus ancien lieutenant général, commandait le camp de Maulde en l'absence de Valence, que la nécessité de soigner ses blessures retenait presque toujours au quartier général des bains Saint-Amand. Quand il reçut la proclamation, il refusa de la publier. Il fallut que Valence vînt lui-même au camp pour lui en intimer l'ordre. Encore Leveneur ne se rendit-il que lorsqu'il eut en main une réquisition écrite du général en chef.

Au camp de Bruille, c'était le général Rosières qui commandait provisoirement et jusqu'à la prochaine réorganisation de l'armée. Quand on lui remit la dépêche de Dumouriez, il avait près de lui les généraux de brigade Kermorvan, Davesnes, Chancel, les adjudants généraux Pille, Chérin et Pinon.

Une espèce de délibération s'ouvre entre ces officiers pour savoir ce qu'il y a à faire dans une circonstance si délicate. Pille et Chérin se prononcent hautement contre le général rebelle. Ils émettent l'avis de s'emparer à l'instant de sa personne et de l'envoyer à Paris. Mais les autres officiers s'effrayent d'une proposition si téméraire on convient qu'il sera distribué aux troupes, avec la proclamation de Dumouriez, un ordre particulier leur rappelant le serment qu'elles ont prêté de maintenir la République, la liberté et l'égalité.

Le général en chef est bientôt instruit par ses espions de l'opposition énergique de Pille et de Chérin. Sous prétexte d'un ordre de service a recevoir et à transmettre, il les fait appeler tous les deux au quartier général. Mais déjà Chérin s'est esquivé et a couru a Valenciennes se concerter avec les trois représentants du peuple qui s'y trouvent. Pille, moins avisé, est resté au camp ; il se rend sans défiance au quartier général. Il y est aussitôt saisi et jeté en prison.

Dans un bataillon de Seine-et-Oise faisant partie du camp de Bruille se trouvait un capitaine de canonniers, fils du député Lecointre (de Versailles). Dumouriez lui fait envoyer une ordonnance pour l'inviter à se rendre au quartier général, où l'on doit lui communiquer une lettre de son père. Lecointre, comme Pille, répond à cet appel comme lui, il est arrêté dès son arrivée à Saint-Amand.

Mais Dumouriez ne s'occupe pas seulement du soin d'augmenter le nombre des otages qui doivent, suivant lui, répondre de la vie des prisonniers du Temple ; il consacre la plus grande partie de sa matinée à rédiger une proclamation au peuple français[9].

Dans cette proclamation, après avoir rappelé les nombreux et importants services qu'il a rendus à la liberté, la défense de l'Argonne, la conquête de la Belgique, le général s'élève avec force contre les intrigues du parti jacobin qui est parvenu à désorganiser son armée par la famine et veut aujourd'hui lui enlever ses généraux pour les entasser dans les prisons de Paris et les y faire septembriser. Il annonce que ces complots ont été déjoués par l'arrestation des envoyés de la Convention et par la suspension d'armes qui vient d'être conclue avec les Impériaux qu'il marche vers la capitale afin d'éteindre le plus tôt possible les germes de la guerre civile et de proclamer le rétablissement de la Constitution de i79i qui, tout imparfaite qu'elle est, peut encore assurer le bonheur des Français et établir un équilibre sage entre tous les pouvoirs.

Il s'élève contre le pouvoir tyrannique qu'ont usurpé sept cents hommes, presque tous sans mœurs et sans principes, qui délibèrent sous le glaive des satellites de Marat et de Robespierre, qui viennent de faire périr l'infortuné Louis XVI sans procédure juridique et sans tribunal compétent. Il demande à la Convention ce qu'elle a fait pour soutenir la guerre qu'elle a provoquée contre toutes les puissances de l'Europe. Au lieu de recruter et de renforcer ses troupes de ligne et ses anciens bataillons de volontaires, elle les a désorganisés au lieu de récompenser ses braves guerriers par de l'avancement et des éloges, elle a laissé les bataillons incomplets, nus, désarmés, mécontents elle a formé de nouveaux corps composés des satellites du 2 septembre, commandés par des hommes qui n'ont jamais servi et ne sont dangereux que pour l'armée française, où ils portent le désordre elle sacrifie tout pour ces suppôts de la tyrannie, pour ces coupeurs de têtes elle ordonne la conquête et la désorganisation de l'univers ; elle dit a un de ses généraux d'aller prendre Rome, a un autre d'aller conquérir l'Espagne pour pouvoir y expédier des commissaires spoliateurs, d'affreux proconsuls ; elle envoie dans la plus mauvaise saison de l'année la seule flotte qu'elle ait dans la Méditerranée se briser contre les rochers de la Sardaigne ; elle allume la guerre civile dans les départements par des vexations et des persécutions de tout genre, par l'indignation qu'excite la fin tragique et inutile de Louis XVI.

L'armée va punir tous ces forfaits ; elle n'a point à s'occuper à faire face à l'ennemi, car il a. promis de suspendre sa marche, de ne point passer les frontières, de laisser à Dumouriez et à ses compagnons d'armes !e soin de terminer toutes les dissensions intérieures. Les puissances étrangères n'ont de haine que contre les factieux elles ne demandent qu'à rendre leur estime et leur amitié à une nation dont les erreurs et l'anarchie troublent toute l'Europe.

La proclamation se termine ainsi :

La paix sera le fruit de cette résolution les troupes de ligne et les braves volontaires nationaux, qui depuis un an se sont sacrifiés pour la liberté et qui abhorrent l'anarchie, iront se reposer au sein de leurs familles après avoir accompli ce noble ouvrage. Quant à moi, j'ai déjà fait le serment, et je le réitère devant toute la nation et devant toute l'Europe, qu'aussitôt après avoir opéré le salut de ma patrie par le rétablissement de la Constitution, de l'ordre et de la paix, je cesserai toutes fonctions publiques et irai jouir dans la solitude du bonheur de mes concitoyens.

 

A trois heures de l'après-midi, Dumouriez monte à cheval et se dirige vers les camps auxquels, par un ordre du jour, il a annoncé sa visite[10]. Il se présente d'abord au camp de Bruille il y est reçu avec enthousiasme il harangue les troupes bataillon par bataillon, et s'enivre de leurs acclamations il reçoit des adresses toutes préparées, où on lui prodigue les noms de père de la patrie et de sauveur de la France[11]. Mais il est trop tard pour aller au camp de Maulde recevoir les mêmes hommages et les mêmes assurances de dévouement. Le général remet au lendemain cette seconde visite et va se délasser des fatigues et des émotions de la journée à Saint-Amand, où un dîner réunit chez Mme de Genlis la plus grande partie de ses officiers les plus dévoués.

Dumouriez, en se mettant à table, annonce qu'il vient de recevoir un paquet contenant des mandats d'amener contre plusieurs généraux et notamment contre le duc de Chartres. Il ajoute que cette manière de procéder démontre bien quelle était l'intention de l'Assemblée, lorsqu'elle l'appelait à la barre, et justifierait, s'il en était besoin, la conduite qu'il a tenue depuis vingt-quatre heures[12]. Pendant le repas, les têtes s'échauffent. On invite à grands cris le général à poursuivre l'œuvre de la régénération de la France on jure de rétablir la constitution de 1791 et de punir la Convention de tous ses forfaits. On fait le dénombrement des officiers dont on se croit sûr et qui, par une circonstance fortuite, ne se trouvent pas dans ce moment au quartier général. On leur écrit, sur la table même du festin, qu'ils aient à revenir immédiatement partager les périls et la gloire de leurs compagnons d'armes[13].

 

VI

Dumouriez paraissait être dans une sécurité complète. Cependant il connaissait, le 2 avril au soir, l'insuccès de la tentative faite sur Valenciennes il pouvait se douter que celle sur Lille n'avait pas eu un meilleur sort, puisque, depuis le matin neuf heures, il était sans nouvelles de Miaczinski. Mais il était résolu à pousser jusqu'au bout ses chances et croyait qu'elles étaient grandes encore. La réception du camp de Bruille l'avait rempli d'espérances, il comptait sur le même accueil au camp de Maulde aussi fit-il annoncer sa visite au général Leveneur pour le lendemain 3 avril.

En recevant cette nouvelle, le malheureux Leveneur est de plus en plus embarrassé. Il voudrait rester fidèle à la République, mais il n'ose se mettre en résistance ouverte vis-à-vis de Dumouriez. Pour être en règle avec tout le monde, il expédie à Paris un de ses aides de camp porteur d'une lettre pour la Convention ; puis il se met au lit, se déclare malade, afin de ne pas paraître à la revue que Dumouriez et Valence vont venir passer[14].

Dumouriez s'est fait précéder au camp de Maulde par une nouvelle proclamation, dont le mot d'ordre est encore Mes enfants, suivez-moi et dont le mot de ralliement est cette fois : Je réponds de tout. Il y renouvelle ses récriminations contre la Convention qui emploie les revenus publics à faire voyager des intrigants, des factieux sous le nom de commissaires ; contre le parti jacobin qui veut envoyer à l'échafaud les généraux que l'armée a vus si souvent à sa tête braver des dangers de toute espèce. Il y fait, à la fin, ce suprême appel : Si vous me secondez, si vous avez confiance en moi, je partagerai vos travaux, vos dangers. La postérité dira de nous : Sans la brave armée de Dumouriez, la France serait un désert aride elle l'a conservée, elle l'a régénérée soyons les dignes fils de si glorieux pères ![15]

Bientôt le général en chef arrive au camp durant quatre heures, il se mêle aux soldats, leur promet la paix et le repos dans deux mois, s'ils veulent marcher avec lui sur Paris.

Valence, qui est connu plus particulièrement de cette partie des troupes depuis trois mois sous ses ordres, parle avec chaleur de la gloire passée et des triomphes à venir. Il aborde familièrement les simples soldats, donne des poignées de main aux sergents et comble de caresses les officiers. Il en présente individuellement un grand nombre à Dumouriez et l'assure, en leur nom, d'une obéissance aveugle, d'un dévouement absolu.

Dans ce camp se trouvait un bataillon de volontaires parisiens, le cinquième. Il attire naturellement l'attention de Dumouriez ; qui le harangue en ces termes :

Mes enfants, je veux vous donner la paix et sauver la patrie. Je l'ai déjà sauvée plusieurs fois vous en êtes témoins. Il nous faut la constitution que nous avons jurée pendant trois années de suite, en 1789, 1790 et 1791. Il nous faut sauver la France de ses assassins... Si vous voulez me suivre, les moyens sont entre vos mains.

Valence s'avance alors et, prenant par la main le lieutenant-colonel qui est à la tête de son bataillon, il dit au général en chef :

Voilà notre brave commandant du cinquième, il ne nous abandonnera pas.

Cependant cet officier, mis en demeure de confirmer cette déclaration, balbutie quelques mots de regret sur l'arrestation du ministre de la guerre et des commissaires de la Convention. Je réponds de tout, se hâte de dire Dumouriez. Il ne sera fait aucun mal aux députés. Quant au ministre, il n'est point tâché d'être arrêté.

A un autre bataillon qui paraît hésitant, Valence dit : Mes amis, vous n'aurez jamais ta paix sans un roi. La voulez-vous ?Nous voulons bien la paix, répondent quelques voix, mais nous ne voulons pas de roi.

Ces faibles dissidences se noient dans les flots d'enthousiasme qu'excite la présence du vainqueur de Jemmapes. Il est accueilli, sur tout le front du camp, par de frénétiques applaudissements qui lui semblent le présage d'un dévouement sans bornes et d'une adhésion sans réticence. Aussi s'inquiète-t-il fort peu de l'absence calculée de Leveneur. Il se contente de lui envoyer l'ordre de venir le trouver le lendemain matin à son quartier général, où il ne rentre lui-même qu'à la tombée de la nuit.

A peine y est-il arrivé qu'on lui annonce une députation des volontaires de Saône-et-Loire. Elle est composée d'un lieutenant et de cinq sous-officiers, qui tous ont inscrit sur leurs chapeaux : La république ou la mort. L'orateur de la troupe lit une adresse, où l'on engage en termes très-énergiques le général en chef à obéir aux ordres de la Convention et à se rendre à sa barre. Dumouriez leur répond qu'ils sont aveuglés par de faux rapports et que la République ne peut s'affermir avec un gouvernement sans frein, sans justice et sans lois, tel que celui que la Convention impose à la France. Les motionnaires ne paraissent pas disposés à se laisser persuader. Baptiste Renard qui, quoique élevé par décret de la Convention au rang de capitaine[16], ne quitte pas son maître, les surveille de près, dans la crainte qu'ils ne se portent à des violences. Au premier mouvement menaçant, il appelle la garde. Sur l'ordre du général, les six volontaires sont saisis, garrottés et réunis à Pille et Lecointre, arrêtés la veille.

Le 4 avril, à la pointe du jour, les huit prisonniers sont envoyés sous bonne escorte au camp autrichien Dumouriez les recommande à Clerfayt d'une manière toute particulière comme des brigands et des assassins[17].

 

VII

Tandis que Dumouriez se croyait assuré du succès, la catastrophe se préparait rapidement. Les autorités civiles de Valenciennes, de Douai et de Lille, les représentants Lequinio, Cochon et Bellegarde dans la première de ces villes, Carnot et Lesage-Senaut dans la seconde, le Comité de sûreté et de défense établi dans la troisième ont déployé autant d'énergie que d'habileté pour contre-balancer l'influence que six mois de victoires ont acquise au général rebelle sur son armée. Sans s'être concertés, les deux groupes de représentants ont pris des arrêtés presque identiques. Ils ont déclaré Dumouriez suspendu de ses fonctions pour cause de révolte contre la loi et d'attentat à l'autorité du peuple souverain. Ils ont interdit à tout militaire français, de quelque grade qu'il fût, de le reconnaître pour général et de lui obéir ils ont ordonné de se saisir de sa personne et de le faire conduire, mort ou vif, sous bonne et sûre escorte, à la barre de la Convention.

Ces arrêtés, aussitôt imprimés, sont répandus de tous côtés. L'adjudant général Chérin, qui est venu à Valenciennes conférer avec les représentants, retourne au camp de Bruille, porteur d'un grand nombre d'exemplaires. Il les donne et les lit lui-même aux soldats, qu'il exhorte, au nom de la patrie, à rester fidèles a leurs devoirs. On l'arrête ; mais, pendant la nuit, il trouve encore moyen de s'échapper et de revenir à Valenciennes, déguisé en simple garde national.

Perrin, sous-lieutenant au 19e bataillon des fédérés de Paris, est envoyé de Lille dans le même but. Il parvient également à introduire au camp de Maulde un grand nombre de proclamations et à s'esquiver au moment où on veut le saisir et le conduire au quartier général.

Des émissaires plus subalternes, déguisés en paysans ou en soldats, sont expédiés dans les cantonnements. Les conventionnels prodiguent l'argent à quiconque leur promet de pénétrer jusqu'au foyer de la rébellion et d'y provoquer des manifestations contraires à celles qui viennent d'éclater en faveur de Dumouriez[18]. Les commissaires de Valenciennes : plus rapprochés du théâtre de l'action, essayent de jeter la division entre les généraux ils écrivent à Valence et a Égalité, pour les requérir de refuser toute obéissance au rebelle et de faire lire devant les troupes qu'ils commandent la proclamation qui suspend Dumouriez de ses fonctions. Mais ; désespérant bientôt de les détacher de la cause qu'ils ont embrassée, ils investissent du commandement en chef !e général Dampierre, qui vient de se prononcer ouvertement pour la Convention[19], et lui ordonnent de recueillir au camp de Famars les soldats isolés qui commencent à quitter les deux camps de Bruille et de Maulde et affluent à Valenciennes et dans les villages environnants.

A Lille se passaient des événements encore plus graves et plus décisifs. Le 2 avril au soir, Dumouriez avait expédié un aide de camp pour savoir ce qu'était devenu Miaczinski et réitérer au général Duval les instructions qu'il lui avait fait transmettre le matin. Mais cet aide de camp, trouvant le poste de Pont-à-Marcq changé et apprenant que Miaczinski était arrêté, n'avait pas osé s'aventurer au delà. A cette défaillance, il avait ajouté une faute plus grande encore au lieu de rapporter à Dumouriez l'ordre qu'il n'avait pas exécuté, il l'avait confié au courrier de la malle, pour qu'il le remît au général Duval[20].

En apprenant que la plus importante des places du Nord lui est échappée, Dumouriez veut au moins rappeler à lui les cinq mille hommes que Miaczinski a emmenés d'Orchies et qui errent sur les glacis de Lille, sans ordre et sans chef. L'entreprise était délicate et périlleuse ; Dumouriez ta confie à son aide de camp de prédilection, au confident le plus intime de ses pensées, au jeune Philippe Devaux, fils naturel du prince Charles de Lorraine.

Personne n'est plus propre aux coups de main, ou les scrupules ordinaires ne sont pas de mise, que ces enfants de l'amour et du hasard, qui n'ont ni feu ni lieu, ni foi ni loi, ni famille ni patrie, qui, dans toutes les actions de leur vie, ne consultent que leur ambition, n'écoutent que leur intérêt et, habitués qu'ils sont de demander au jeu les ressources de leur existence, n'hésitent pas à se faire les instruments dociles de quiconque, sur un coup de dé, s'avise de risquer les destinées d'une nation.

Dumouriez avait compris que ce jeune homme, plein d'esprit et de courage, embrasserait la cause de son bienfaiteur avec d'autant plus d'ardeur qu'il avait rompu les derniers liens qui le rattachaient à l'Autriche ; il le fait donc appeler le 4 avril de grand matin et lui remet un ordre ainsi conçu :

Il est ordonné à toutes les troupes qui étaient sous le commandement du général Miaczinski et qui sont en ce moment sous Lille, d'en partir sur le champ pour se rendre aux ordres du maréchal de camp Philippe Devaux.

Saint-Arnaud, le 4 avril 1793.

Le général en chef de l'armée, DUMOURIEZ.

 

Devaux passe sans encombre devant le poste toujours si dangereux de Pont-à-Marcq. L'officier qui y commande n'ose le faire arrêter et se contente de signaler son passage au général Duval. L'émissaire de Dumouriez arrive dans l'après-midi au faubourg de Paris, espérant y trouver les troupes de Miaczinski. Il apprend que, par ordre des autorités de Lille, elles ont fait un mouvement circulaire autour des remparts et sont allées camper au faubourg de la Madeleine, mettant ainsi le corps de la place entre elles et le quartier général de Dumouriez. Devaux ne peut voir qu'un triste présage dans ce changement de direction mais il se rassure dès qu'il sait que le camp de la Madeleine est commandé par Macdonald. Cet officier, destiné à une si brillante carrière, avait été aide de camp d'abord de Beurnonville, ensuite de Dumouriez pendant la dernière campagne ; quelques jours auparavant, Dumouriez l'avait nommé colonel du 2e régiment de ligne. Devaux ne doute pas que cet ancien compagnon d'armes ne l'accueille avec joie et ne mette le plus vif empressement a servir les desseins de son général, de son protecteur. Mais, quand le jeune aide de camp arrive après mille détours à la Madeleine, il apprend que le commandant a été mandé en ville et ne reviendra que dans la soirée. Devaux était connu de tous les régiments qui composaient le camp parce qu'il avait fait avec eux la campagne de Belgique. II donne l'ordre au colonel du 6e dragons de tenir des cavaliers prêts à monter à cheval ; mais, ne voulant pas confier son secret à d'autres qu'à Macdonald, il se fait conduire an logement de celui-ci. Accablé de fatigue, il se jette tout habillé sur le lit de son ami et s'endort.

A huit heures du soir, il est réveillé en sursaut par un bruit de voix il se jette a bas du lit, se précipite dans les bras de son ancien compagnon d'armes et lui annonce qu'il a des choses importantes à lui communiquer. Mais celui-ci est entouré d'officiers que Devaux ne connaît pas et auxquels la municipalité de Lille a donné pour mission d'accompagner le commandant au camp de la Madeleine, autant au moins pour le surveiller que pour lui prêter leur concours.

Macdonald repousse doucement Devaux : Mon ami, lui dit-il, je ne sais ni ne veux savoir ce dont tu es accusé, mais j'ai reçu l'ordre de l'arrêter et j'y obéis. Le malheureux aide de camp voit que toute résistance est impossible il se laisse prendre sans essayer de faire usage de ses armes ; on le conduit à l'hôtel de ville de Lille ; il y est interrogé, fouillé on trouve sur lui l'ordre de Dumouriez. Le directoire du district ordonne qu'il sera maintenu en état d'arrestation et déposé dans un appartement voisin de celui où Miaczinski est enfermé depuis quarante-huit heures.

Quelques jours après, les deux prisonniers partaient pour Paris, où les attendait le tribunal révolutionnaire.

 

VIII

Dumouriez avait promis aux Autrichiens de leur livrer une place de sûreté, en garantie des arrangements qu'il avait pris avec eux. Il ne pouvait plus espérer enlever Valenciennes. où Lequinio et ses deux collègues faisaient bonne garde ; il ne pouvait se hasarder à marcher sur Lille avant d'avoir reçu des nouvelles de Devaux. Il devait donc tourner ses vues sur la petite ville de Condé.

La cavalerie, avec laquelle le général Neuilly avait tenté de s'emparer de Valenciennes, s'était repliée sur cette place et sur les villages environnants. Le général en chef était persuadé qu'a son premier signe elle intimiderait, s'il était nécessaire, le reste de la garnison et lui assurerait la possession de la ville sans coup férir. Aussi ne s'était-il pas inquiété de prescrire à Neuilly de faire une démonstration qu'il croyait pouvoir retarder sans danger.

Mais le 4 avril était le jour fixé pour l'entrevue avec le prince de Cobourg, entrevue qui devait avoir lieu sur la limite des deux frontières, à moitié chemin de Condé et de Boussu. Que répondre si les Autrichiens exigent la livraison immédiate de la place de sûreté promise ? Dumouriez mande au quartier général le commandant de place Langlois, qu'on lui a signalé comme un homme qui n'est pas sûr. Celui-ci, imitant la conduite de presque tous les officiers que nous avons vus successivement paraître en scène, tenait à se mettre en règle vis-à-vis des deux partis. Ce n'est qu'après avoir envoyé aux commissaires de Valenciennes une soumission aussi explicite que possible[21] qu'il se résout à aller trouver Dumouriez. Il arrive aux bains de Saint-Amand le 4 avril, à cinq heures du matin. Le général le fait aussitôt introduire et, le regardant fixement :

Commandant, lui dit-il, on prétend que je dois vous soupçonner.

Pas de trahison, général, j'ai toujours été fidèle à mon serment.

Vous me promettez que vous obéirez aux généraux ?

Oui, comme je leur ai toujours obéi.

Puisqu'il en est ainsi, vous pouvez retourner à Condé, j'y serai du reste presque en même temps que vous.

Langlois, dès qu'il est de retour à Condé, fait avertir Neuilly de l'arrivée très-prochaine de Dumouriez. Mais Neuilly est à peu près aussi embarrasse que son commandant de place ; car il vient de recevoir des commissaires de Valenciennes l'injonction formelle de déclarer par écrit s'il est prêt à se prononcer, ouvertement et dans le jour, pour la Convention ; faute de quoi il sera réputé complice de Dumouriez et comme lui déclaré traître à la patrie. Le général veut se donner le temps de la réflexion et s'assurer des deux côtés une porte de derrière. Il écrit en même temps aux commissaires et à Dumouriez ; aux commissaires pour les assurer de son obéissance et de son dévouement, a Dumouriez pour lui annoncer qu'une grande fermentation règne parmi les troupes et lui conseiller de ne pas venir dans ce moment à Condé, dont la garnison, formée mi-partie de soldats de ligne et de volontaires, pourrait d'un instant à l'autre se diviser et en venir aux mains.

Mais déjà la résolution du général en chef est prise rien ne peut l'empêcher d'aller au rendez-vous ou l'attend le prince Cobourg ; seulement il prend la précaution de rassurer les troupes des camps de Maulde et de Bruille sur son absence momentanée. Par un nouvel ordre du jour il leur promet de venir le soir même se mettre à leur tête[22].

Dumouriez se met en route de très-bonne heure. Il est tellement impatient d'arriver, qu'il n'attend pas l'escorte qui doit l'accompagner. Il n'a avec lui que ses aides de camp, huit hussards, son secrétaire et ses domestiques, en tout trente chevaux. Mais qu'importe ! dans une heure il sera à Condé au milieu de ses régiments de cavalerie les plus dévoués ; dans deux heures il sera à la frontière, où il trouvera les généraux autrichiens ; après avoir signé le traité qui assure la neutralité de l'ennemi, il pourra revenir à son quartier général donner à toute l'armée l'ordre de marcher sur Paris dès le lendemain 5 avril.

A quatre ou cinq kilomètres de Condé, entre les villages de Fresnes et de Doumet, il rencontre l'aide de camp de Neuilly qui lui apporte h lettre dans laquelle le général lui conseille de ne pas aller plus loin, à raison de l'effervescence qui règne dans la garnison. Mais il est trop tard pour reculer ; Dumouriez renvoie l'aide de camp avec ordre à Neuilly et au 18e régiment de cavalerie de venir le rejoindre au village de Doumet, dont il n'est séparé que par quelques centaines de pas. Mais, en ce moment, apparaissent trois bataillons de volontaires marchant avec leur bagage et leur artillerie. Dumouriez s'étonne de ce mouvement qu'il n'a pas commandé et qui va renforcer la garnison de Condé de troupes très-peu sûres. Il s'avance vers un officier et lui demande brusquement où vont ces bataillons :

A Valenciennes.

Mais vous tournez le dos à cette ville...

Ce colloque attire l'attention des volontaires qui marchent en tête de la colonne ils s'arrêtent et entourent !e groupe formé par le général et sa suite. Déjà quelques propos menaçants se font entendre, car Dumouriez a été reconnu. Dans la crainte de se voir enlevé, lui et sa faible escorte, par cette troupe qui ne paraît pas animée pour lui de bonnes intentions, il quitte la route et se dirige vers une maison de Doumet, où il compte mettre pied à terre et écrire l'ordre aux trois bataillons de' retourner au camp de Bruille qu'ils viennent de quitter.

A peine a-t-il fait quelques pas dans le chemin de traverse, que des cris tumultueux s'élèvent du bataillon de l'Yonne, qui est le plus rapproché. Les noms de traître, de rebelle lui sont lancés pendant qu'il s'éteigne. Bientôt on s'encourage à le poursuivre. Arrête ! arrête ! crie-t-on de toutes parts. Le commandant du bataillon, Davoust[23], guide lui-même les volontaires. Dumouriez pique des deux, mais, ne connaissant pas les localités, il s'engage dans un terrain marécageux. Des coups de fusil sont tirés sur lui et sur sa suite ; toute la colonne s'ébranle et, pendant qu'un bataillon lui coupe la route de Condé, un autre intercepte celle du camp de Bruille. Il n'a d'autre ressource que de s'élancer à travers champs. Son cheval refuse de sauter un fossé il est obligé de mettre pied à terre, puis, le fossé franchi, de monter un autre cheval que lui donne un domestique du duc de Chartres. Il se dirige droit sur l'Escaut. Par bonheur, il trouve une barque qui le transporte sur .l'autre rive avant que ceux qui le poursuivent aient pu l'atteindre. Là il est en pays impérial et n'a plus à craindre de fâcheuses rencontres. Mais dans la bagarre deux hussards ont été tués, plusieurs chevaux ont été blessés, son secrétaire, Quentin, a été pris[24].

Dumouriez se dirige à pied, au milieu dé terrains que les pluies ont détrempés, vers te village de Bury, fait annoncer à Mack sa mésaventure et le prie de l'excuser auprès du prince de Cobourg s'il n'a pas pu être exact au rendez-vous ; car cette course à travers champs, d'abord à cheval, puis à pied, l'a fort détourné de son chemin et lui a fait perdre un temps précieux. Quelques heures après il est rejoint par le fidèle Baptiste. Celui-ci lui raconte qu'ayant réussi à s'échapper il est retourné au camp et y a annoncé le danger auquel a été exposé son général. L'indignation contre les trois bataillons a été fort vive ; on demandait à grands cris que Dumouriez revînt le plus tôt possible au milieu de ses soldats, de ses enfants ; on jurait de punir ceux qui avaient attenté a ses jours. Ces nouvelles raniment toutes les illusions du général.

 

IX

Mack arrive pendant la nuit à Bury et félicite Dumouriez d'avoir échappé à un si pressant danger. Il ne peut en croire ses oreilles, lorsque celui-ci lui annonce qu'il compte retourner dès le lendemain matin au quartier général. Malgré toutes les objections, l'aventureux conquérant de la Belgique persiste dans sa résolution et expose, avec le plus grand sang-froid, ses derniers projets, son suprême espoir.

La fusillade qu'il a essuyée n'est, selon lui, qu'un fait isolé, imputable seulement à un ou deux bataillons de volontaires. Déjà l'armée tout entière lui a fait manifester par plusieurs officiers, qui sont venus le rejoindre dans la soirée, son horreur d'un pareil guet-apens et son désir d'en effacer le souvenir par son obéissance et son dévouement. Il est prêt à remplir tous les engagements qu'il a pris vis-à-vis du prince de Cobourg, bien plus, à lui livrer immédiatement Condé, mais à une condition qui seule peut lui permettre de retourner avec honneur auprès de son armée et le laver du reproche de trahison que ses ennemis lui jettent à la face c'est que le général en chef de l'armée impériale apposera sa signature au bas d'une proclamation qu'il remet toute rédigée à Mack.

L'officier autrichien prend la pièce qui contient l'énoncé des promesses que le prince de Cobourg doit faire au nom de son souverain, la lit attentivement, en discute les termes et, après y avoir obtenu quelques modifications, l'emporte en promettant de la renvoyer aussitôt que le prince l'aura signée.

Cette proclamation débute par un magnifique éloge des vertus de Dumouriez. Puis on y déclare que tous les souverains coalisés, et spécialement l'empereur d'Allemagne et le roi de Prusse, veulent uniquement la prospérité et la gloire de la nation française, le rétablissement du trône constitutionnel et des institutions que le pays s'est données, sauf à la nation à en rectifier les parties qui seraient reconnues imparfaites. En conséquence, le généralissime des armées impériales et royales se dit prêt à joindre les troupes sous ses ordres à l'armée française pour coopérer, en amis et en compagnons d'armes dignes de s'estimer réciproquement, à la réalisation de ce projet si désirable. Il s'engage, sur sa parole d'honneur, à ne faire aucune conquête en France, à ne considérer les places, qui seront remises entre ses mains, que comme un dépôt sacré, à les rendre aussitôt que le gouvernement qui sera établi ou Dumouriez le demanderont, à maintenir dans son armée la plus stricte, et la plus sévère discipline[25].

Mack, après avoir quitté le général à trois heures du matin, se rend à Mons auprès de Cobourg. Lorsque celui-ci lit la proclamation, il élève les plus graves objections sur la portée des engagements qu'on veut lui faire prendre. Ce qui lui répugne le plus, c'est de contre-signer les éloges que Dumouriez se prodigue à lui-même et les flatteries qu'il adresse à la nation française. Mais le colonel Mack était depuis quelques jours sous le charme de Dumouriez ; il lui avait promis, en le quittant, d'arracher le consentement du généralissime ; aussi emploie-t-il toute son éloquence et toute son habileté à faire valoir les raisons qui semblent devoir faire accepter la demande dont il est porteur[26].

Dumouriez, dit-il au prince, croit être certain de réussir dans son entreprise s'il obtient cette lettre ; il désespère de la partie s'il ne l'obtient pas. S'il réussit, les deux armées n'en forment qu'une la nôtre s'assurera des places qu'on nous remettra ; la sienne. marchera sur Paris et délivrera la famille royale, nous attaquerons la République et l'anarchie dans leur foyer ; l'armée se dissoudra ou se joindra à nous ; la marche des événements deviendra rapide et sûre, nous ferons la loi en France. S'il ne réussit qu'à demi et même pas du tout, nous aurons toujours gagné de propager en France la fermentation et le désordre, de diviser et d'exaspérer, plus encore qu'ils ne le sont, les partis qui s'y disputent en ce moment le pouvoir, nous aurons privé l'armée française d'un chef qui a opéré avec elle de grandes choses, de généraux dans lesquels elle a le plus de confiance. En échange de ce papier, au bas duquel il vous répugne d'apposer votre signature, Dumouriez nous promet une et peut-être plusieurs places de sûreté ; nous les obtenons immédiatement sans coup férir, tandis qu'il nous est impossible en ce moment de les prendre de vive force. Nous n'avons pas avec nous une seule pièce de siège et nous ne disposons que d'un nombre insuffisant de troupes il nous faudra attendre six semaines au moins pour rassembler le matériel et pour recevoir les renforts nécessaires au siège de Condé et de Valenciennes.. Vous reconnaissez, il est vrai, dans la proclamation que les places que Dumouriez vous livrera resteront entre vos mains comme un dépôt sacré ; mais cette promesse vous la lui avez faite par mon organe il y a déjà près de dix jours, car il m'a dit à notre première entrevue et il m'a toujours répété depuis qu'il ne consentirait jamais au démembrement de sa patrie. Supposez que la cour de Vienne, que vous n'avez pas le temps de consulter, désavoue cette déclaration, vous serez toujours à même de tenir vos promesses aux Français et d'obéir à votre souverain ; vous rendrez les places qui vous auront été confiées, mais vous aurez eu l'avantage d'en avoir acquis une connaissance exacte, et sans compromettre votre parole, vous aurez de très-grandes facilités pour en opérer plus tard la reprise à main armée. L'occupation de ces places, quoique conditionnelle, sera d'une très-grande utilité dans les négociations à entamer ultérieurement, et, avant qu'elles n'aboutissent, vous aurez tout le temps de recevoir les instructions de la cour de Vienne.

Examinée en détail, même sévèrement analysée, cette déclaration est-elle de nature à froisser chez les souverains alliés les susceptibilités les plus délicates ? Dans les premières lignes, elle fait, il est vrai, l'éloge des vues et du caractère de Dumouriez ; mais ne devons-nous pas tenir ce langage, puisque nous faisons de sa cause la nôtre et puisque nous joignons notre armée à la sienne ? On dit plus bas que Dumouriez veut faire cesser l'anarchie et les calamités qui déchirent la France en lui procurant le bonheur d'une constitution et d'un gouvernement sage et libre, et on ajoute que les puissances s'associent à ce vœu. Mais les puissances ont-elles jamais annoncé d'autre but dans leurs manifestes et d'ailleurs, les rédacteurs de proclamations politiques disent-ils jamais exactement ce qu'ils pensent ? Vous répugnez a faire l'éloge de la nation française, que la déclaration suppose abjurer les atrocités et les extravagances qui se commettent en son nom ; mais n'est-ce pas le moyen le plus sûr de l'exalter contre les coupables, de lui rendre de l'énergie, de la faire rentrer en elle-même, de donner plus d'essor à sa haine contre les monstres qui la déshonorent, la ruinent et l'avilissent ?

Quant à la promesse de rétablir la première Constitution, vous ne la faites qu'en votre propre et privé nom d'ailleurs, la cour de Vienne et les astres puissances coalisées restent complètement en droit et en mesure de mettre à cette concession telles restrictions que la politique, les circonstances, leur volonté et nos succès peuvent ultérieurement suggérer. Quant à la déclaration de ne vouloir pas faire de conquêtes, quoi de plus facile que de désavouer, modifier ou éluder une. promesse du moment, prise en son nom seul par un général qui peut toujours déclarer n'avoir pas reçu préalablement de son souverain les pouvoirs nécessaires, et n'avoir agi que par sa propre impulsion ?

 

Nous n'avons pas à juger dans ce moment cette morale un peu trop commode, mais à constater que Cobourg l'adopta et apposa sa signature si désirée sur la proclamation que lui avait fait remettre Dumouriez. Mack l'expédie aussitôt à son nouvel ami, qui d'avance en avait fait faire plusieurs copies par les officiers qui l'entouraient. Aussitôt qu'il a reçu cette pièce, l'impatient général ne veut pas différer son retour d'un seul instant il part à la pointe du jour, et se fait accompagner par une escorte de dragons impériaux. Il envoie en avant quelques-uns de ses aides de camp avec ordre de faire battre la générale dans tous les cantonnements et de mettre la troupe sous les armes.

 

X

Quoique dans les camps de Bruille et de Maulde les choses n'aient pas en apparence, depuis la veille, changé de face, bien des convictions se sont modifiées, bien des enthousiasmes se sont refroidis. La nuit a porté conseil. Dans chaque compagnie, dans chaque escouade, aux corps de garde, aux avant-postes, il s'est tenu des conciliabules secrets officiers et soldats ont échangé leurs sentiments, leurs craintes et leurs espérances. Tâchons d'esquisser en peu de mots les pensées qui jaillirent de ces discussions et qui dictèrent la conduite de l'armée dans la journée du 5 avril. Généralement on détestait les excès qui avaient ensanglanté Paris et plusieurs départements depuis huit mois ; on y avait très-peu de sympathie pour les commissaires de toute espèce et de toute catégorie, qui étaient venus s'abattre sur la Belgique, s'arroger un pouvoir souverain, dénoncer et faire arrêter à tort et à travers officiers et généraux. On aimait Dumouriez, qui s'était toujours montré zélé pour les intérêts du soldat et l'avait conduit souvent à la victoire. Plus d'un volontaire était vivement touché de l'espoir, qu'on avait fait luire à ses yeux, de ter- miner avant deux mois la guerre, et de. le renvoyer définitivement à ses champs abandonnés, à sa famille désolée. Les vieux soldats, accoutumés à marcher au feu aux cris de vive le roi, détestaient le meurtre du 21 janvier, qui tes avait frappés dans ce que leurs souvenirs de jeunesse et de gloire avaient de plus intime.

L'Assemblée, par ses débats scandaleux, par ses votes déplorables, était tombée très-bas dans l'estime générale. Mais, après tout, c'était la Convention nationale, c'est-à-dire la seule autorité qui pût prétendre à représenter le peuple français dans son intégrité et dans son indivisibilité. Fallait-il allumer la guerre civile au nord, lorsqu'elle incendiait déjà les provinces de l'ouest ? Pendant que celles-ci étaient accusées d'appeler à leur aide les Anglais, fallait-il pactiser avec les Autrichiens ? Fallait-il mettre un homme, quel qu'il fût, en balance avec la patrie ? Fallait-il abaisser l'honneur du pays jusqu'à recevoir des mains de l'étranger la pacification de la France ? Ne devait-on pas être éclairé par les faits alors connus de toute l'armée ? L'arrestation des commissaires et du ministre, celle plus récente de plusieurs officiers appelés par surprise au quartier général, et livrés aussi, aux Autrichiens ; ces allées et venues continuelles du quartier général français au quartier général autrichien ; cette retraite précipitée à travers la Belgique qui ne pouvait être que le résultat d'une connivence coupable entre Dumouriez et Cobourg ; la reddition des places fortes belges et hollandaises accordée sans coup férir, lorsque les garnisons pouvaient résister pendant plusieurs mois et attendre un retour offensif de leurs compagnons d'armes tout cela n'indiquait-il pas assez clairement que Dumouriez n'était qu'un traître ?

Cette épithète accolée à son nom décide de son sort. D'abord elle est murmurée a voix basse et par quelques audacieux bientôt elle sera répétée par la masse des troupes, et anéantira le souvenir de tous les services rendus, de tous les périls bravés.

Cependant Dumouriez arrive aux avant-postes de Mortagne, occupés par une demi-brigade formée d'un bataillon du 71e de ligne (ci-devant Vivarais) et de deux bataillons de volontaires parisiens. Il est escorté d'un escadron de dragons impériaux de La Tour et accompagné d'un général autrichien. Mes enfants, dit-il aux soldats, j'ai toujours été votre père, j'espère que je le serai encore. Votre régiment s'est toujours bien montré dans toutes les affaires où il s'est trouvé. Vous apprendrez avec indignation l'assassinat dont j'ai failli être victime hier dé la part de trois bataillons de volontaires. Ils m'ont tiré plus de six cents coups de fusil, tué un domestique et plusieurs chevaux j'ai été obligé de m'enfuir et de prendre ma retraite chez l'ennemi ; on m'y a très-bien reçu on m'y a fait beaucoup d'accueil. J'espère que vous ferez de même envers lui, car 'il n'est plus votre ennemi, mais bien votre ami. Ce n'est point à vous qu'il en veut, c'est à ces coupeurs de têtes, à ces prétendus patriotes, à ces danseurs de carmagnole. Nous irons à Paris, mes enfants nous n'avons rien à craindre de l'ennemi nous mettrons un roi sur le trône, et nous réclamerons la Constitution de 91. Si nous ne sommes pas assez forts, le prince Cobourg nous offre cinquante mille hommes qui marcheront avec nous sur Paris. Je ne vous laisserai manquer de rien j'espère que vous ne m'abandonnerez pas.

La plus grande partie de la troupe accueille cette harangue par les cris de Vive monsieur Dumouriez ! vive le roi !

Le général autrichien quitte sa cocarde noire et prend celle d'un soldat, en criant : Vive le roi et la première Constitution de France !

Ordre est donné de charger fusils et canons, de marcher mèche allumée et de tourner le dos à ta frontière. Bientôt on rencontre le ci-devant régiment royal suédois. Harangué par Dumouriez, il répond par de nouveaux cris de Vive le roi, vive monsieur Dumouriez !

Après avoir défilé en portant les armes devant les dragons de La Tour, les deux régiments s'avancent vers Mortagne. La, plusieurs bataillons sont rangés en bataille. Pendant que le général leur parle, ils gardent le silence, et, le discours fini, donnent quelques signes de désapprobation.

Les républicains sont libres de partir, dit Dumouriez ; qu'ils s'en aillent ! Que les royalistes seuls restent avec moi ; rien ne leur manquera, quoique l'on ait fait courir le bruit que les vivres étaient arrêtés. J'ai de l'argent rien na vous sera refusé.

Personne ne répond. Pour bien marquer qu'il a complètement rompu avec la République, Dumouriez fait reconnaître, en tête d'un régiment, un nouveau lieutenant-colonel au nom du roi.

Au camp de Maulde, comme à Mortagne, les troupes sont mises sous les armes au moment ou se présente le général en chef ; on fait former un cercle très-restreint aux bataillons de la division de droite, car Dumouriez, étant fort enroué, ne peut être entendu de loin. Il raconte de nouveau, dans les termes les plus véhéments, comment la veille il a failli être assassiné, comment il a été forcé de fuir, ce qu'il n'a jamais fait de sa vie, et comment il. a été sauvé de la mort, grâce aux braves dragons de La Tour.

Montrant les quelques cavaliers impériaux qui sont venus jusque-là avec lui : Ces militaires, dit-il, sont les plus braves gens du monde ; ils ne veulent que la paix et sont comme nous las de la guerre ; ils nous laisseront tranquillement faire de bonnes lois. Reprenons la Constitution de 91. Après quoi, je réponds de la paix. Chacun retournera dans ses foyers. Moi-même, je me retirerai chez moi. Que tous les braves soldats qui pensent comme moi ne m'abandonnent pas. Homme libre, je laisse la liberté de me quitter à tous ceux qui ne partagent pas ma manière de voir. Mais qu'ils manifestent leur sentiment dans la journée et qu'ils sachent bien que je regarde ceux qui ne se rangeront pas de mon côté comme des ennemis de leur patrie.

Le général, pendant qu'il parlait, avait aperçu des visages sombres, avait recueilli des propos peu équivoques. Dans ce moment, on vient lui apprendre que l'artillerie, dont le parc est à Saint-Amand, s'est mise en complète insurrection, qu'elle a chassé les officiers qui voulaient s'opposer a ses projets ; qu'elle attelle ses pièces et se dispose à partir pour Valenciennes.

Dumouriez renonce à aller haranguer les troupes du camp de Bruille, et se dirige à toute bride vers Saint-Amand. Il se jette au milieu des artilleurs et leur fait entendre les accents les plus pathétiques de son éloquence militaire[27].

Mais les canonniers restent muets et continuent leurs préparatifs de départ. Dumouriez, désespérant de les arrêter, les quitte ; mais, au lieu de revenir au camp de Maulde, il se dirige vers Rumegies, ce dernier village français qu'avaient traversé, quatre jours auparavant, Camus et ses compagnons d'infortune, et qui devait être aussi pour le rebelle la dernière étape vers l'exit. A peine le général s'est-il retiré que les canonniers, avec leurs quatre-vingts pièces, se mettent en route pour Valenciennes. Bientôt le bruit de leur départ se répand dans les deux camps et fait éclater les sentiments, longtemps comprimés, des volontaires. Quelques anciens régiments, notamment ceux de la Couronne, d'Auvergne et de Royal-Vaisseau, tiennent encore, il est vrai, pour. leur chef ; mais ils déclarent en même temps qu'ils ne combattront jamais contre des compatriotes, contre des frères d'armes.

A ce langage, on peut prévoir qu'ils ne résisteront pas longtemps à l'exemple des autres corps et qu'ils se détacheront bientôt à leur tour du général, rendu de plus en plus suspect par son cortège de cavaliers impériaux.

La vue d'uniformes étrangers au milieu de l'état-major du vainqueur de Jemmapes a, en effet, changé les dispositions de presque tous les soldats. L'éloge qu'a plusieurs reprises le général a fait des services à lui rendus par les dragons autrichiens, mis en parallèle avec les accusations de guet-apens et d'assassinat qu'il a de versées sur les volontaires français, a fait vibrer la fibre du patriotisme dans tous les cœurs. Des fautes commises depuis cinq jours par Dumouriez celle-là était sans contredit la plus grave et la plus irrémédiable.

De nombreuses défections individuelles éclaircissent les rangs des régiments le mieux intentionnés pour le général rebelle. Dans les autres, la débandade est complète. Des bataillons entiers quittent leurs campements sans même songer à emporter leurs tentes, tant ils sont pressés de se soustraire à la fatale influence qui depuis trois jours pèse sur eux. Cette retraite est imitée par le reste de l'artillerie, que le lieutenant-colonel Songis, sous-directeur du parc, amène du camp de Maulde à Valenciennes.

Le général rebelle n'avait plus avec lui qu'un ou deux bataillons d'infanterie, deux escadrons des hussards de Berchiny, un des hussards de Saxe, un des dragons de Bourbon et cinquante cuirassiers. Mais sa force de caractère ne l'abandonne pas. Il donne des ordres pour rallier les divers corps et faire venir près de lui les caisses militaires, ainsi que ses propres équipages. Sur l'ordre de Thouvenot, un détachement de grenadiers du 67e de ligne s'apprête à conduire de Saint-Amand à Rumegies Je trésor de l'armée qui contient en numéraire, les uns disent un million, les autres deux mais le 3e dragons qui s'est déclaré pour la Convention s'oppose au départ du précieux convoi. Les grenadiers veulent résister ; on peut craindre une collision sanglante. Des renforts partis des camps de Maulde et de Bruille viennent appuyer les dragons, et le trésor reste définitivement en leur possession.

Ce dernier échec décide du sort de la rébellion ; Dumouriez et ses compagnons comprennent que, s'ils restent à Rumegies, ils courent risque d'être enlevés d'un moment à l'autre. Il ne faut que deux ou trois régiments pour cerner le village, leur couper tout moyen de fuir et les amener prisonniers aux pieds des commissaires de la Convention.

Ils franchissent la frontière avec les quelques troupes qui leur ont promis de partager leur sort[28] ; deux heures après, ils sont à Tournay.

 

XI

Déjà la terre étrangère avait donné asile à deux classes distinctes d'émigrés.

La première nombreuse bruyante irréfléchie, avait quitté la France le lendemain de la prise de la Bastille. Suivant l'exemple du comte d'Artois et animée du même esprit, elle s'était, répandue dans toutes les cours et avait travaillé avec ardeur à développer les ferments de colère et de haine que la Révolution avait fait naître dans le cœur des potentats de l'Europe.

La seconde avait eu La Fayette pour chef, et le 10 août pour motif. Elle comprenait quelques patriotes sincères qui, désespérant de l'alliance de la liberté nouvelle avec l'ancienne monarchie, avaient abandonné leur patrie lorsqu'un péril manifeste et imminent leur avait imposé l'obligation de songer à leur sûreté personnelle.

A ces deux catégories venait s'en ajouter une troisième, séparée par un abîme de l'émigration purement royaliste de la première heure, divisée par des nuances à peine sensibles de celle qui avait voulu rester fidèle à la Constitution de 1791.

Aussi vit-on bientôt ces deux dernières se confondre en se traçant la même ligne de conduite. Le temps de l'exil se passa pour l'une comme pour l'autre dans le silence et la résignation. Dès que l'apaisement de la tempête révolutionnaire rouvrit les portes de la France aux compagnons de La Fayette et de Dumouriez, beaucoup d'entre eux s'empressèrent de se mettre à la disposition de leur pays et le servirent brillamment, soit dans les armées, soit dans l'administration[29].

Pourquoi le sort, de ces deux hommes fut-il si différent ? C'est que, avant, pendant et après les événements qui les forcèrent à abandonner leur armée, ils n'eurent pas les mêmes mobiles, ne suivirent pas les mêmes errements, ne conservèrent pas la même dignité.

Dès les premiers jours de la Révolution, La Fayette se trace une ligne de conduite dont il ne se départira plus ; il s'expose résolument à déplaire à tous les partis en ne voulant être d'aucun, il reste jusqu'au bout le serviteur désintéressé d'une idée.

Préoccupé avant tout de ses intérêts et exempt de scrupules, Dumouriez flatte toutes les factions et se sert tour à tour de chacune d'elles. C'est le précurseur des aventuriers militaires qu'enfantera la Révolution.

La Fayette se refuse a reconnaître le régime qui s'intronise sur les ruines sanglantes du trône constitutionnel qu'il a juré de défendre. Dumouriez, après avoir accepté avec enthousiasme la République, se met en révolte ouverte contre l'Assemblée souveraine qui la représente.

La Fayette ne songe pas un instant à entamer des négociations avec les chefs des armées étrangères. Au moment où il est obligé de fuir, il n'est préoccupé que du soin de pourvoir à la sûreté des cantonnements de son armée. Il rend à la liberté les commissaires de l'Assemblée arrêtés par ses ordres ; il ne cherche à débaucher ni un régiment, ni un soldat. La frontière une fois franchie, il préfère supporter la captivité la plus dure plutôt que d'avoir avec les envahisseurs de son pays la moindre connivence, plutôt que de renier les principes qui ont dicté sa conduite antérieure.

Dumouriez pactise avec l'étranger ; il lui abandonne -ses conquêtes pour obtenir une neutralité suspecte ; non-seulement il lui remet, sans coup férir, les places fortes qu'il détient en Belgique et en Hollande, mais il lui promet les clefs de Lille, de Valenciennes et de Condé, trois des principaux boulevards de la France. Violant les principes les plus élémentaires du droit des gens, il livre aux Autrichiens ceux-là mêmes, qui sont venus vers lui revêtus du caractère sacré d'ambassadeurs. Il entraîne dans sa défection toutes les troupes qu'il peut séduire. Pour prix de sa trahison, il accepte des récompenses et des pensions ; il se fait le conseiller des ennemis de sa patrie. Pendant dix ans, il remplit de ses intrigues les cours de l'Europe, colportant partout ses plans de campagne et partout écarté comme un aventurier qui a épuisé sa chance[30].

Lorsqu'au sortir des cachots d'Olmütz La Fayette rentre dans sa patrie, pour laquelle il ne lui a pas été donné de combattre, il y est accueilli par les hommages des amis de la liberté et l'estime de ses ennemis. Malgré les faiblesses et les fautes que l'on peut signaler dans sa longue carrière, tous les partis honorent en lui la loyauté des convictions et l'honnêteté politique.

Dumouriez, au contraire, qui, plus heureux, a eu l'insigne honneur de sauver son pays de l'invasion, languit trente années dans l'exil et y meurt oublié de tous.

Devant le contraste de ces deux destinées, qui oserait nier la salutaire et implacable moralité de l'histoire ?

 

FIN DU SIXIÈME TOME

 

 

 



[1] Dumouriez avait employé la journée du 31 mars : 1° à faire expédier à tous les généraux et commandants de place l'ordre de dresser l'état des troupes placées sous leur commandement ; 2° à rédiger un ordre du jour annonçant l'armistice qu'il avait conclu avec les Autrichiens. Dans cet ordre du jour il faisait connaître à l'armée l'arrestation des généraux Harville et Bouchot, que les représentants Hentz et Laporte venaient de faire emprisonner à Givet. Il prenait texte de cette mesure violente pour s'élever contre les scélérats qui voulaient désorganiser la France et faire massacrer successivement tous les généraux ayant bien mérité de leur pays.

[2] Il nous est impossible de deviner le motif qui poussa Dumouriez à faire connaître si vite et si ouvertement sa rébellion aux autorités départementales du Nord, autorités dont il n'était rien moins que sûr et parmi lesquelles il n'avait pas même un affidé auquel il pût adresser ses instructions.

Cette confidence intempestive n'eut d'autre résultat que de faire connaître à Paris, 24 heures plus tôt, la rébellion du général ; car aussitôt que l'administration départementale du Nord, qui siégeait à Douai, eut reçu cette lettre, elle en envoya une copie aux commissaires de la Convention, Lacroix, Gossuin, Merlin et Robert, qui la déposèrent sur le bureau de la Convention au commencement de la séance du 3. Avec un peu moins d'imprévoyance de la part de Dumouriez, la nouvelle ne serait certainement arrivée à Paris que 24 heures plus tard. Dans un pareil moment, un jour est un siècle.

[3] Afin de se donner le rôle d'un habile conspirateur qui n'a pas été pris au dépourvu, Dumouriez, dans ses mémoires, place les tentatives sur Valenciennes et sur Lille un jour ou deux avant l'arrestation des commissaires. Tous les historiens ont suivi sa version ; il n'y avait cependant qu'à consulter les pièces insérées au Moniteur et au Bulletin du tribunal révolutionnaire, deux documents qui sont à la portée de tous, pour se convaincre de la complète fausseté de cette partie du récit du général. Les pièces inédites que nous avons retrouvées et que nous donnons, soit dans le texte de ce livre, soit dans les notes à la fin du volume, rendent encore plus palpable le mensonge de Dumouriez.

[4] Voici cette lettre, dont le style et l'orthographe laissent beaucoup à désirer. Elle fut retrouvée dans la redingote que Dumouriez, lors de sa fuite du 4 avril, laissa entre les mains des volontaires de l'Yonne, ainsi que nous l'expliquerons plus loin. Expédiée au Comité de salut public, elle suffit pour faire envoyer Lescuyer au tribunal révolutionnaire et le faire condamner à mort.

Mon général,

Je sors dans la minute de communiquer votre dernière lettre au général Ferrand. Il ignorait que le général Neuilly venait à Valenciennes avec des forces et il m'a paru fort étonné de ne pas recevoir aucunes de vos nouvelles.

Les esprits de cette ville sont dans une fermentation étonnante, et le général Ferrand me repette encore, ainsi que le commandant temporaire, qu'il y aurait eu une scène terrible si l'arrestation eût eu lieu dans la ville ; que les brigands qui y sont encore auraient couvert leurs lâchetés, leurs infamies en se montrant dans un tel moment, et il y a plus qu'à craindre qu'ils n'eussent été secondés par la cavallerie de l'école militaire et par un grand nombre de la gendarmerie nationalle.

Le citoyens général Ferrand vient de me dire encore, mon général, qu'il avait vu ces trois messieurs ce matin, qu'ils connaissait votre proclamation de ce matin et l'arrestation d'hier soir ; qu'ils se proposait d'aller cet après-diné à Saint-Amand en conferré avec vous, je m'empresse de vous en donné avis ; dans ce cas voilà la marche sûre et prudente que je dois tenir. Aussitôt qu'ils enverront cherché des cheveaux de postes, vitte j'irais rejoindre mon détachement, qui les attends sur ce chemins comme sur celui de Douai, Lille et Paris ; alors je les laisse presqu'arrivé à Saint-Amand et au moment je les prie de trouver bon ,que je leur enseigne votre demeure. Mais il est bon que vous en soyez prévenu. Changeront-ils d'avis ? c'est ce que j'ignore et les commandants, car tout ceci va leur faire prendre un parti quelconque. Je vous le repette, si c'est de resté en ville et de n'en pas sortir, il y a tout à craindre de les manqué ou du moins de soulevé le peuple. C'est à vous, mon général, à prononcé et à donné des ordres aux citoyens général Ferrand et au commandant temporaire. La place comme toutes les rues regorgent de monde aux écoutes ; voilà les choses aux naturelles, jugez d'après le tableau parlant.

Le général Ferrand a peine à comprendre ce que veut dire le bas de votre lettre, général ; il faut que demain nous soyons sûr de Valenciennes. Je vous avoue que je n'ai pu le satisfaire à cet égard esse qu'il doit être attaqué. On peut tout présumer, craindre enfin un mouvement d'insurrection. Il serait bon que lui et moi en soient instruits. La suspension d'armes avec les Autrichiens nous force-t-elle à des sacrifices quelconques. Voilà ce qu'il désire savoir et recevoir de vos nouvelles.

Valenciennes, le 2 avril 1793.

Le général de divisions de la gendarmerie nationale,

LESCUYER.

[5] Le 31 mars, le jour même où l'état-major de Dumouriez s'établissait aux bains de Saint-Amand, le général Thouvenot avait fait venir de Valenciennes l'imprimeur Prignet en lui recommandant de se munir d'une presse et de caractères. Ce fut cette presse qui servit à imprimer les premiers exemplaires de la proclamation à l'armée. Une copie de cette pièce fut expédiée par Prignet à son atelier principal de Valenciennes et y fut réimprimée.

[6] Voici le texte même de la lettre que Dumouriez adressait à Miaczinski. On y voit percer l'agitation fébrile qui animait le général au moment où il écrivait. Elle est pleine d'incohérence et de redites.

Aux bains de Saint-Amand, le 1er avril.

Je viens, mon cher Miaczinski, de faire arrêter le ministre de la guerre Beurnonville et les quatre commissaires de la Convention nationale, envoyés ici pour m'arrêter ou plutôt pour me faire assassiner, et les généraux ainsi que tout l'état-major de l'armée.

Mettez-vous en campagne dès la pointe du jour. Marchez sur Lille, entrez-y avec une partie de vos troupes, allez trouver le général Duval ; montrez-lui la lettre ; annoncez qu'il faut, si les commissaires ne sont pas encore partis, les arrêter sur-le-champ. Vous les conduirez à Orchies, où je vous enverrai des ordres de ce qu'il faudra en faire. Dites-lui aussi que je lui donne ordre de s'emparer du trésor, d'ordonner au commissaire ordonnateur Malet de nommer sur-le-champ un payeur et de faire arrêter le citoyen Le Meunier que vous ramènerez à Orchies et pour lequel je vous donnerai des ordres. Ce Le Meunier est contrôleur général de la trésorerie nationale près l'armée. Vous direz à Duval de m'envoyer sur-le-champ Petit-jean, parce que je fais faire demain un mouvement à l'armée. Vous lui direz que l'armée est décidée à proposer à la nation entière de reprendre la Constitution que nous avions jurée en 1789, 90 et 91, qui peut seule nous tirer de l'anarchie et de l'infâme tyrannie des Robespierre et des Marat ; vous lui direz de l'annoncer aux administrations et vous enverrez, par un officier, à Douai, la lettre ci-incluse pour les administrateurs du département. Faites cette mission avec intelligence et zèle, et revenez sur-le-champ de Lille à Douai où vous arrêterez le général Moreton et vous laisserez le commandement de la place, jusqu'à nouvel ordre, à l'officier général d'artillerie qui y est en résidence. Ces deux missions faites, vous vous rendrez avec votre troupe à Cambrai, dont vous prendrez le commandement jusqu'à nouvel ordre, et vous pousserez 300 ou 400 hommes sous un bon chef à Péronne pour y tenir garnison. Vous direz à mes compatriotes de Cambrai quel noir complot on a tramé contre leur défenseur, et vous leur ajouterez que je n'ai pris le parti de me soustraire à l'assassinat que pour rétablir l'ordre et la Constitution, que nous avons jurée en 1789, 90 et 91, qui peut seule nous sauver de l'anarchie. Je vous embrasse, mon cher Miaczinski, et je compte sur vous et sur vos troupes pour le salut de la France.

Le général en chef,

DUMOURIEZ.

[7] Voici le texte même de la lettre écrite par Miaczinski à Dumouriez :

Mon cher général, je viens de recevoir votre lettre et votre ordre ; mais j'étais surpris que le courrier qui me les avait remis est arrivé à 8 heures du matin, tandis que d'après la date de la lettre je dusse la recevoir la nuit.

Je vous embrasse et vous aime plus, si je puis, pour le parti vigoureux que vous avez pris ; je vous réponds de mes troupes. Je me suis mis à 9 heures en marche pour Lille ; j'exécuterai vos ordres ou je périrai.

Cette lettre fut trouvée, comme celle de Lescuyer, dans la redingote que Dumouriez fuyant laissa entre les mains des volontaires de l'Yonne. Elle fut l'arrêt de mort du malheureux général.

[8] Voir plus haut, au § I de ce livre.

[9] Cette proclamation a été insérée in extenso au Moniteur, n° 120. La date ne se trouve ni au commencement ni à la fin, mais elle est précisée par un passage ainsi conçu : Hier, 1er avril, sont arrivés quatre commissaires de la Convention nationale avec un décret pour me traduire a la barre le ministre de la guerre Beurnonville, mon élève, a eu la faiblesse de les accompagner, pour succéder à mon commandement.

[10] Voici le texte de cet ordre du jour :

Au quartier général de Saint-Amand, le 2 avril 1793, 2e de la République française.

Mot d'ordre : Camarades, suivez-moi.

Ralliement : Tout ira bien.

L'armée conservera sa position. Le général la prévient qu'il ira ta voir aujourd'hui à 3 heures. Pour laisser reposer ses braves troupes et pour mieux servir son pays, il est convenu d'une suspension d'armes avec les généraux de l'armée impériale, et comme les deux armées sont très voisines, il ordonne une surveillance exacte pour la police ; il défend sous peine de mort de passer les limites du territoire français. Les généraux de l'armée impériale ont proclamé chez eux la même défense et sous la même peine.

Le même jour, 2 avril, Dumouriez avait adressé un ordre du jour particulier aux régiments de cavalerie commandés par le général Neuilly ; cet ordre du jour est remarquable par une invocation à l'obéissance passive beaucoup plus explicite que celle que l'on trouve dans les autres pièces datées du même jour et des jours suivants.

Ordre du jour du général Dumouriez adressé au général Neuilly.

Annoncez à votre corps d'armée que nous voulons être libres, que les étrangers ne se mêlent pas de nos affaires, et que nous reprenons la Constitution que nous avons jurée en 1789, 1790 et 1791, qui nous donnait des lois et un roi constitutionnel. Par ce moyen nous nous tirons de l'anarchie et des crimes, nous redevenons une nation honorable ; tel est le vœu de ta totalité des bons citoyens. Cette mesure rendra le calme et la paix à la France, et les braves volontaires seront à même de retourner tranquillement dans leurs foyers et de donner leurs soins à la culture et au commerce.

Le général prévient qu'il a reçu les ordres les plus exprès pour agir avec la plus grande sévérité contre les corps ou individus qui chercheraient à établir la mésintelligence ou une espèce de guerre civile parmi l'armée.

Tous les braves soldats se souviendront que l'armée est essentiellement obéissante et qu'elle ne doit pas balancer dans cette circonstance puisqu'il s'agit de sauver la patrie et d'avoir une paix intérieure et extérieure qui adoucira les maux dont nous sommes rongés depuis quatre ans.

Le général est le premier à donner des marques d'obéissance aux ordres de ses supérieurs, quand ils tendent au bien-être de sa patrie.

[11] Le Moniteur, n° 98, donne une de ces adresses, qui fut signée par le cinquième bataillon de Saône-et-Loire ; elle est ainsi conçue :

Les méchants qui vous persécutent sont vos ennemis sans doute et ce sont vos vertus qui les attirent, mais ils sont encore plus les nôtres et nous les détestons sans les craindre.

Général, sauvez l'armée, sauvez encore votre patrie. C'est au nom de cette mère commune, au nom des bons citoyens, que nous vous en conjurons. La victoire a marché à votre voix elle vous suivra partout notre obéissance et notre confiance vous en sont de sûrs garants.

Cherpieux, premier lieutenant-colonel commandant le 5e bataillon de Saône-et-Loire Lelong, adjudant-major, autres officiers, sous-officiers et volontaires au nombre de vingt-six.

[12] Ces mandats d'amener avaient été envoyés, sous pli cacheté, à Beurnonville par le Comité de sûreté générale, mais ils étaient arrivés à Saint-Amand après l'arrestation du ministre. Dumouriez, que les scrupules arrêtaient peu, ouvrit la lettre et put ainsi montrer les ordres d'arrestation à ceux qu'ils concernaient.

[13] Une de ces lettres tomba entre les mains des commissaires de la Convention et fut imprimée au Moniteur, n° 68. Elle est datée du 3 avril à une heure et demie du matin.

[14] L'aide de camp que Leveneur envoyait à la Convention s'appelait le capitaine Lazare Hoche. C'est la première fois que ce nom, destiné à être si célèbre, parait dans l'histoire. La lettre de Leveneur se trouve in extenso au Moniteur, n° 97. Elle est datée du camp de Maulde, 3 avril, 8 heures du matin. Hoche parut à la barre de l'Assemblée le 5 avril, au commencement de la séance.

Le post-scriptum qui se trouve au bas de cette lettre faisait pressentir que, si les circonstances devenaient plus critiques encore, Leveneur chercherait à s'échapper et à se réfugier dans une ville où il pourrait attendre les ordres de la Convention. C'est ce qui arriva vingt-quatre heures après. Leveneur, trompant la surveillance que Dumouriez avait établie autour de lui, s'enfuit à Bouchain et de là gagna Arras, où il se remit entre les mains de la municipalité de cette ville.

[15] Cette proclamation se trouve in extenso au Moniteur, n° 98.

[16] Voir tome V, livre XIX, § II.

[17] Dans ses mémoires, Dumouriez attribue cette démarche à des volontaires de la Marne et en fixe la date au 34 mars. L'erreur est peut-être involontaire pour la désignation du département, elle ne peut l'être pour la fixation du jour. La date du 3 avril est donnée par Dumouriez lui-même dans son second manifeste à la nation française. (Moniteur du 1er mai 1793, n° 121.)

En antidatant la démarche des volontaires, Dumouriez évidemment a voulu donner à penser que, même avant l'arrestation des commissaires, il avait été exposé aux poignards des assassins.

[18] De l'or, de l'or envoyez nous des fonds. Nous sommes dans un moment où il est impossible de tenir un compte régulier des dépenses secrètes que nous faisons à chaque instant, écrivaient à la Convention Lequinio et ses deux collègues de Valenciennes.

[19] Voici le discours qu'à cette occasion prononça le général Dampierre :

Soldats de la République française, vous venez d'entendre les ordres de la Convention c'est de cette assemblée que sortent tous les pouvoirs légitimes c'est à elle que tout citoyen doit obéir : Eh bien, cette obéissance que Dumouriez avait juré de maintenir, il est le premier à y manquer, et c'est dans un temps où l'ennemi est nos portes, c'est lorsqu'il traite avec nos ennemis, qu'il fait arrêter quatre représentants du peuple et le ministre de la guerre, que nous partagerions ce crime affreux N'aurions-nous vaincu à Jemmapes que pour être sous Je joug d'un nouveau tyran ? Non, la liberté restera et les tyrans passeront. Je jure de no jamais vous abandonner, je jure de ne jamais trahir la liberté.

[20] L'ordre de Dumouriez à son aide de camp était ainsi conçu :

Aux bains de Saint-Amand, 2 avril 1793.

Il est ordonné à l'aide de camp Perrault de partir au reçu du présent pour se rendre à Pont-à-Marcq, avec le courrier de la malle destinée pour Lille. Il remettra ce courrier sous la garde du commandant du poste de Pont-à-Marcq, et immédiatement après il se rendra de sa personne à Lille, il instruira le général Duval des événements d'hier, de l'arrestation de quatre commissaires et du ministre de la guerre et de leur envoi à Tournai comme otages il lui ordonnera de ma part de presser l'exécution des ordres que j'ai donnés pendant la nuit au général Miaczinski, et s'il trouve pour l'exécution de ces ordres des obstacles de la part des corps administratifs et militaires ou de quelques-uns de leurs membres, ou enfin de tout autre individu, il les fera arrêter et les enverra sous bonne garde au quartier général des bains Saint-Amand.

Le général en chef de l'armée du Nord,

DUMOURIEZ.

[21] Voici le texte même de la lettre écrite par Langlois aux commissaires :

Condé, le 3 avril 1703, l'an 2e de la République.

Citoyens, je suis dans une position bien critique ; je reçois continuellement des ordres de Dumouriez ; dois-je refuser ou non ? Il a envoyé ce matin un de ses aides de camp avec ordre de commander à Condé à ma place et de me rendre de suite à Saint-Amand. J'ai eu la maladresse de m'y rendre ; où étant, j'ai appris que vous étiez à Valenciennes et qu'il était déchu de son commandement. En conséquence, je suis revenu vite sans le voir. Dictez-moi actuellement la marche que je dois tenir.

Le commandant temporaire,

LANGLOIS.

[22] Cet ordre du jour est ainsi conçu :

Le général prévient la partie de ses braves soldats qu'il n'a pas vue hier, que des affaires indispensables l'ont obligé d'aller à Condé ; il revient ce soir. Il adresse avec cet ordre l'exposé de sa conduite et de ses intentions qu'il a promis hier à l'armée il ne tentera point de leur donner aucune impulsion étrangère à leur volonté, il est bien persuadé que la force et l'habileté de ses intentions suffiront pour leur faire prendre et suivre avec courage le seul parti qui nous reste pour sauver notre pays.

Les officiers généraux et supérieurs des corps voudront bien donner beaucoup de publicité à cet ordre et à l'imprimé qui y est joint.

[23] Depuis prince d'Eckmühl et maréchal de l'Empire.

[24] Quentin était porteur de la redingote de Dumouriez, dans la poche de laquelle on trouva les lettres de Miaczinski et de Lescuyer. Voir plus haut, §§ III et IV.

[25] Le Moniteur, n° 104, donne cette proclamation in extenso.

[26] Il n'existe pas, on le comprend facilement, un procès-verbal de la conversation qui eut lieu dans la nuit du 4 au 8 entre Mack et Cobourg. Mais nous avons trouvé trois mémoires adressés, quelque temps après les événements, à l'Empereur par Cobourg et très-vraisemblablement rédigés par Mack. Dans ces mémoires sont exposées les raisons qui leur firent apposer leurs signatures à la proclamation préparée par Dumouriez. Ces raisons sont celles que nous mettons ici dans la bouche de Mack. Il est certain que celui-ci se servit, auprès de Cobourg, des mêmes arguments qu'ils firent ensuite valoir tous les deux auprès do l'Empereur.

Du reste, en écrivant ce chapitre et le chapitre précédent, nous avons consulté avec le plus grand soin les correspondances échangées entre les généraux, les ministres et l'empereur d'Autriche, correspondances dont nous avons parlé déjà § I du livre précédent, et dont nous donnons de nombreux extraits dans la note XIV à la fin de ce volume.

Nous avons eu également à notre disposition plusieurs rapports faits par des officiers appartenant aux camps de Maulde ou de Bruille, rapports qui se trouvent aux archives du dépôt de la guerre, à Paris.

Nous avons donc pu contrôler, les uns par les autres, les documents français et los documents autrichiens ; nous croyons être ainsi arrivé aussi près que possible de la vérité.

[27] Dumouriez, dans ses Mémoires, semble faire entendre qu'il ne se présenta pas à Saint-Amand au parc d'artillerie, parce qu'on lui fit voir les dangers et l'inutilité de cette démarche ; mais son témoignage est plus que suspect, il nous paraît invalidé par plusieurs déclarations formelles que nous avons retrouvées aux archives du dépôt de la guerre. Dumouriez a cru devoir passer sous silence cette démarche, parce qu'elle lui réussit fort mal.

[28] Nous donnons à la fin du volume la statistique des troupes qui suivirent la fortune de Dumouriez.

[29] Voir la notice que nous avons donnée, tome III, note VI, sur les officiers qui accompagnèrent La Fayette, et celle que l'on trouvera à la fin de ce volume et dans laquelle nous .ferons connaître la destinée des généraux et officiers qui jouèrent un rôle dans les événements du 1er au 5 avril 1793.

[30] Dans une note que l'on trouvera à la fin du volume, nous racontons aussi succinctement que possible les intrigues, tes sollicitations et les pérégrinations sans nombre que Dumouriez tenta successivement jusqu'à ce qu'il se fut résigné à son malheureux sort.