HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

TOME SIXIÈME

 

LIVRE XXVIII. — L'INVASION DE LA HOLLANDE.

 

 

I

La Convention était résolue à tenir tête à la coalition européenne, et même a prendre, sur plusieurs points, l'initiative de l'attaque. Elle comprit qu'avant tout il fallait réorganiser l'administration de l'armée, faire de nouveaux appels d'hommes, créer de nouvelles ressources financières. Dès le 1er janvier, elle avait formé un Comité de défense générale où devaient se concentrer toutes les propositions relatives à la guerre. Les rapports de ce Comité devaient avoir la priorité sur tons les autres et être constamment à l'ordre du jour. Il devait se composer de dix-huit membres délégués, à raison de trois, par chacun des Comités de la guerre, de la marine, des colonies, des finances, diplomatique et de constitution ; bientôt le nombre en fut porté à vingt et un et même à vingt-cinq. Il délibérait presque publiquement ; tous les députés ayant droit d'y siéger sans voix délibérative, il est vrai. On ne pouvait pas attendre d'une pareille institution une bien grande force et un bien grand secret ; aussi le produit de ses élucubrations fut-it souvent plus théorique que pratique. Sieyès présenta, en son nom, un immense travail sur le ministère de la guerre et les services qui en dépendent. Barère consacra un travail analogue au ministère de la marine. Ces deux exposés servirent de texte à une très-longue discussion qui n'aboutit point. l1 n'en fut pas de même, heureusement, à l'égard du rapport dans lequel, le 25 janvier, Dubois-Crancé donna le plan générât de la réorganisation de l'armée française.

Sur le papier nous avions trois cent mille combattants en réalité nous n'en avions pas cent cinquante mille. Au moment de l'enrôlement volontaire et de la levée des corps francs, en août et septembre 1792, une masse d'individus s'étaient fait décerner ou s'étaient adjugé des grades d'une manière tout à fait irrégulière. Les cadres s'étaient formés pour une armée d'au moins huit cent mille hommes ; les chefs étaient restés, mais bien des soldats n'avaient pas tardé a disparaître. Sur cinq cent dix-sept bataillons de volontaires nationaux, trois cent quatre-vingt-deux avaient fourni des états de situation, cent trente-cinq n'en n'avaient pas donné. Sur les trois cent quatre-vingt-deux, certains ne comptaient pas cent hommes sous les drapeaux, et vraisemblablement l'effectif des cent trente-cinq était encore moindre. L'existence simultanée de tant de corps isolés, inconnus les uns aux autres, compliquait tellement l'administration, que ni le ministre, ni les généraux n'avaient pu, pendant la campagne dernière, en  suivre les détails ni donner à toutes les troupes une direction utile.

Dans l'intérêt des finances comme dans celui du commandement, il fallait profiter du vide immense qui s'était fait dans les rangs de l'armée pour la réorganiser de fond en comble et la nationaliser, suivant l'expression de Dubois-Crancé.

Ce résultat devait être obtenu, selon le rapporteur, par trois mesures principales 1° accorder la même solde aux troupes de ligne qu'aux volontaires ; 2° composer de nouveaux régiments en amalgamant un ancien bataillon de ligne et deux bataillons de volontaires ; 3° appliquer aux nouveaux régiments un mode d'avancement où se trouveraient combinés l'élection, alors en usage dans la garde nationale sédentaire et active, avec les droits de l'ancienneté, et la faculté du choix, régime maintenu dans les troupes de ligne.

Les débats que souleva le rapport de Dubois-Crancé occupèrent plusieurs séances ; les opinions les plus divergentes se manifestèrent. Essayons de donner une idée de la discussion en citant quelques passages des discours des principaux orateurs qui, du reste, firent souvent plutôt assaut d'éloquence et d'enthousiasme que de logique et d'expérience[1].

Barère. — Il est impossible de vouloir en ce moment réorganiser l'armée. Les bataillons de volontaires, ces phalanges innombrables, dispersées partout, ne connaissent d'autre amalgame que celui de la liberté et de la victoire. La liberté ne veut pas de grands corps .d'armée. Des bataillons multipliés, divisés par leur régime, sont les éléments de force publique les moins dangereux. Mais, d'ai !leurs, dans l'état actuel comment pourriez-vous faire l'incorporation proposée par Dubois-Crancé ? L'armée de Valence est presque entièrement composée de troupes de ligne, celle de Dumouriez, presque entièrement de volontaires... Ignore-t-on dans quelle position nous sommes ? Quarante-deux mille Prussiens sont aux portes de Longwy ; Custine est entouré par une armée supérieure à la sienne ; les flottes d'Angleterre croisent dans nos mers ; la Hollande et l'Espagne font de grands préparatifs...

Tant mieux ! s'écrie une voix partie de l'extrême gauche.

Oui, tant mieux ! reprend Barère. Je connais les Français. Loin de diminuer leur courage, le nombre des ennemis ne fera que l'accroître. L'année dernière nous avons fait repentir l'étranger d'avoir osé souiller la terre de la liberté, et cependant nos armées présentaient le désordre d'une organisation nouvelle et précipitée. C'est encore avec ce désordre majestueux et imposant qu'elles feront la seconde campagne. Les despotes de Vienne, de Berlin, de Madrid et de Londres ne font ni discours, ni rapports, ni plans ; ils réunissent, ils complètent leurs armées et nous présentent la bataille ; acceptons-la.

Saint-Just. — L'unité de la République exige l'unité dans l'armée. La patrie n'a qu'un cœur. Il ne faut pas que ses enfants se le partagent avec l'épée. Je ne connais qu'un moyen de résister à l'Europe c'est de lui opposer le génie de la liberté. On prétend que les élections militaires doivent affaiblir et diviser l'armée, que l'instabilité de l'avancement peut dégoûter les chefs, porter les soldats à la licence, énerver la discipline et compromettre l'esprit de subordination. Toutes ces difficultés sont vaines, il faut vaincre l'armée si vous voulez que l'armée vainque à son tour. La patrie est-elle donc esclave de ses gens de guerre ? Si vous laissez les nominations de tant de places entre les mains des généraux ou du pouvoir exécutif, vous les rendez puissants contre vous-mêmes et vous rétablissez la monarchie. Règle générale il y a bientôt monarchie là où la puissance exécutive dispose de l'honneur et de l'avancement. Il faut que l'antichambre des ministres cesse d'être un comptoir des emplois publics ; il faut qu'il n'y ait plus rien de grand parmi nous que la patrie. On ne peut faire une république qu'à force de frugalité et de vertu. Qu'y a-t-il de commun entre la gloire et la fortune ? L'élection des chefs particuliers de chaque corps 'est le droit de cité du soldat. Ce droit ne doit être exercé que dans l'intérieur des corps. Ainsi restreint, il ne peut être dangereux pour la République. Mais une armée ne peut ni s'assembler, ni délibérer ; c'est aux représentants du peuple qu'appartient le choix de ceux auxquels est confié le salut du peuple. Il faut que les généraux soient élus par la Convention.

Garrau. — Les Lameth à l'Assemblée constituante, les Dumas et les Vaublanc a l'Assemblée législative, parlaient sans cesse d'indiscipline. Eh bien rappelez-vous ce que vos volontaires ont fait dans les plaines de la Champagne, ce qu'ils ont fait à Jemmapes ; ils étaient indisciplinés comme vous l'entendez, cependant ils ont vaincu. Eh bien, ils vaincront encore, et c'est ainsi qu'ils répondront aux calomniateurs.

Garnier (de Saintes). — Le système du Comité de défense générale consacre de grands principes ; il établit l'unité de force, l'unité de régime, l'unité de récompense il rapproche tous les défenseurs de la patrie par le lien de l'égalité ; mais est-ce bien le moment aujourd'hui de transformer nos régiments en corps électoraux ? Le temps des élections est un temps d'agitation et de cabales ; l'intrigue va parcourir tous les rangs de l'armée, depuis le soldat jusqu'au capitaine, chaque individu briguera les suffrages et dirigera ses pensées et ses sollicitudes vers un grade, lorsque son ambition tout entière devrait se porter vers la victoire.

Serres (des Hautes-Alpes). — Le droit d'étiré semble comporter avec lui le droit de destituer. Quel danger ne résulterait-il pas pour la chose publique si le soldat était livré à toutes les inspirations de la malveillance, si l'officier était exposé à tous les caprices et à toutes les intrigues de ses subordonnés ? Bien plus. Dubois-Crancé vous propose de faire voter à haute voix ; ne sait-il donc pas que, dans certains bataillons, on a vu les grades mis aux enchères ? veut-il donc voir se renouveler de pareils scandales ?

Isnard. — Ne placez pas éternellement les officiers entre leurs intérêts et leurs devoirs : ils préféreront leurs intérêts. De là la bassesse des moyens pour acquérir la bienveillance des soldats ; de là le relâchement des mœurs militaires, c'est-à-dire la dissolution de la chaîne électrique qui, tant de fois, conduisit l'armée française à la victoire. Mais, dites-vous, vous voulez enlever aux gardes nationales leurs droits... Leurs droits !... Quand la patrie requiert un de ses enfants pour sa défense, soit comme générât, soit comme soldat, ii n'a plus de droits. il n'a que des devoirs.

Buzot. — Conservons l'avancement par ancienneté de service. C'est le système qui a pour lui l'expérience de tous les temps et de toutes les nations ; c'est le mode le plus expéditif en temps de guerre, c'est le seul praticable, lorsque les bataillons sont dispersés par détachements. Craignons d'affaiblir la sévérité de la discipline ; ne changeons pas les ressorts d'une machine au moment ou eue est en action battons-nous comme se sont battus les vainqueurs de Jemmapes. A la paix, nous aurons le loisir d'entendre les gens à système.

Aubry. — J'obéis a ma raison et à mon expérience en vous disant si vous avez des cadres pour huit cent mille hommes, réduisez-les ; mais avant tout conservez sous les drapeaux des capitaines et des lieutenants de ligne, qui ont trente ans et quarante ans de service[2]. L'obéissance passive, sans laquelle il n'y a pas de succès à la guerre, est impossible entre le citoyen qui élit et le citoyen qui est élu. L'égalité des droits ne donne pas l'égalité de l'intelligence et de la bravoure.

 

II

Maigre toutes les critiques de détail, le système présenté par le Comité de défense générale triompha sur presque tous les points et fut consacré par les lois des 24 et 26 février, que nous allons analyser brièvement.

Toute distinction ou différence de régime et de solde entre les régiments de ligne et les bataillons, de volontaires est abolie. Les armées de la République recevront, par l'amalgame d'un bataillon de ligne avec deux bataillons de volontaires, une organisation uniforme. L'exécution de cette organisation est renvoyée à la fin de la campagne de 1793. Mais tout est d'avance disposé de manière qu'elle puisse s'effectuer d'un seul coup au moment voulu. La constitution des états-majors est changée et les dénominations des hauts grades modifiées selon le nouveau système. Les lieutenants-colonels deviennent chefs de bataillon et d'escadron, les colonels chefs de brigade, les maréchaux de camp généraux de brigade, les lieutenants-généraux généraux de division, les généraux d'armée généraux en chef. La dignité de maréchal de France est supprimée. Dans tous les grades, hormis ceux de chef de brigade et de caporal, l'avancement doit avoir lieu le tiers par ancienneté, les deux tiers au choix, mais dans l'intérieur du bataillon ou la place viendra à vaquer. Les chefs de brigade seront toujours pris à l'ancienneté parmi les trois chefs de bataillon de la demi-brigade. Les caporaux seront nommés par les volontaires de la compagnie. La partie des places réservées au choix sera donnée au moyen de l'élection à deux degrés ; tous les soldats, sous-officiers et officiers de la compagnie présentant trois candidats aux officiers du grade à donner, et ceux-ci étant tenus de choisir le plus méritant des -trois. Les chefs de corps seront chargés, à l'instant de la vacance, de remplir les emplois réservés à l'ancienneté. Les fonctions de général de brigade seront données aux chefs de brigade, un tiers à l'ancienneté, deux tiers au choix du ministre de la guerre rendant compte au Corps législatif ; il en sera de même pour les généraux de division. Les généraux en chef n'auront plus que des commissions temporaires ; le pouvoir exécutif les choisira parmi les généraux de division, sous la ratification expresse de l'Assemblée nationale[3].

Les troupes de ligne ont leur solde augmentée et mise au niveau de celle des volontaires, auparavant plus favorisés. Mais les hommes qui les composent, étant engagés, sont tenus de rester sous les drapeaux jusqu'à la paix, pour avoir droit aux pensions et gratifications. Les volontaires ne sont liés que pour une campagne ; ceux d'entre eux qui continueront le service pendant toute la guerre recevront une haute paye.

Tout militaire réformé à la paix, et ayant servi dix ans, les campagnes étant comptées doubles, doit avoir une pension qui s'augmente par les années de service au-dessus de dix années.

Ceux qui n'auront pas dix ans de service seront gratinés de 60 livres pour une campagne, de 150 pour deux, de 300 pour trois, de 500 pour quatre, etc. Les défenseurs de la patrie — volontaires et soldats de ligne — pourront échanger leurs brevets de pension contre un bien national, qu'ils pourront acquérir au taux de dix pour cent, 300 livres de pension équivalant à un bien de 3.000 livres.

Une valeur de 400 millions de biens d'émigrés est affectée à ces acquisitions faites en échange de pensions militaires.

Tous les citoyens français, de dix-huit à quarante ans, non mariés ou veufs sans enfants, sont en état de réquisition permanente, jusqu'à ce qu'on ait atteint le chiffre de trois cent mille hommes pour porter l'armée française au complet.

Le contingent de chaque département est déterminé en proportion de sa population et du nombre de volontaires déjà fournis par lui aux armées de terre et de mer.

Vingt-quatre heures après la réception de la loi réglant ce contingent, les Directoires de département feront la répartition des hommes à fournir par les districts de leur ressort ; dans ce même délai, les Directoires de district fixeront le contingent de chaque commune.

Le Directoire de département est tenu d'envoyer un commissaire par district, et chaque district, un par canton, pour suivre et surveiller dans les diverses communes les opérations relatives à la levée.

Les administrateurs composant les Directoires de département et dé district, les procureurs généraux des départements et de district, les procureurs-syndics des communes, les maires et les officiers municipaux, les membres des tribunaux civils et criminels, les greffiers, les commissaires nationaux, les juges de paix, les receveurs de districts, sont exemptés de concourir à cet appel.

Pendant trois-jours, il sera ouvert dans toutes les communes de la République un registre sur lequel se feront inscrire tous ceux qui voudront se consacrer à la défense de la patrie. Dans les communes où l'inscription volontaire n'aura pas produit le total des hommes réclamés, les citoyens, convoqués à cet effet, seront tenus de compléter ce nombre. Cette opération devra se faire sans désemparer par la voie du sort, par la désignation directe ou par tout autre mode qu'il plaira à la majorité des concitoyens d'adopter.

C'était, on le voit, une large porte ouverte à l'arbitraire des tyrannies locales, de toutes les plus difficiles à réprimer, les plus insupportables à subir. La Convention fit un pas de plus dans cette voie funeste en violant le principe de la non-rétroactivité elle déclara que les citoyens, qui s'étaient fait remplacer lors des levées précédentes, seraient encore obligés de concourir avec les autres citoyens à la levée actuelle.

 

III

En même temps que l'on réorganisait, l'armée, il fallait penser au nerf de la guerre, aux finances. Mais il est encore plus facile de faire sortir de dessous terre les hommes que les écus. En pareille matière, il est dangereux de se fier à l'enthousiasme d'une nation ; l'argent ne se laisse pas si facilement entraîner que les cœurs.

Cambon, l'organe habituel du Comité des finances, vient le 1er février dérouler à la tribune le tableau peu rassurant de la situation. Son rapport constate les faits suivants :

Au 1er février 1793, il a déjà été fabriqué pour plus de 3 milliards d'assignats. Défalcation faite de ceux. rentrés et détruits, il en reste en circulation pour plus de 2 milliards 300 millions. Le Trésor public est a peu près vide, il n'existe plus encaissé, qu'environ 30 millions. L'arriéré des contributions s'élève au chiffre énorme de 6~8 millions. Les recettes ordinaires, tant pour les contributions directes que pour les contributions indirectes[4], montent à 220. millions il est vrai qu'à ce chiffre s'ajoutent 41 millions de dons patriotiques ; mais il est difficile d'en espérer autant pour les années suivantes.

Depuis, que la guerre est commencée, la République dépense 200 millions par mois ; il n'y .a que des ressources extraordinaires d'un genre tout particulier 'qui puissent faire face à des dépenses si exorbitantes. Ces ressources sont les biens du clergé et ceux des émigrés. Des premiers l'on a déjà vendu pour 1,850 millions, il n'en reste à vendre que pour 380 millions. Il faut maintenant songer à faire ressource des seconds en y joignant les biens de la liste civile, ceux de l'ordre de Malte et des collèges, enfin les palais épiscopaux, qu'on reprendra aux nouveaux évoques moyennant le payement d'une indemnité de logement. Le nombre des émigrés peut être évalué n soixante-dix mille, et le chiffre de leurs propriétés à 5 milliards, dont 2 suffiront pour payer les dettes des anciens possesseurs.

Les 3 milliards restant disponibles, ajoute Cambon, sont plus que suffisants pour mener à bonne fin la contre les despotes européens. De cette manière, les anciens privilégiés, en s'armant contre nous, auront fourni les moyens de repousser les ennemis qu'ils nous suscitent, de maintenir la souveraineté nationale qu'ils dénient, d'établir la liberté et l'égalité qu'ils méprisent.

Enfin, il est une autre ressource que le financier montagnard fait largement entrer en ligne de compte, c'est l'indemnité due a la République par les nations délivrées, grâce à nos armes victorieuses, du joug de leurs tyrans. Les révolutions, dit-il, ne peuvent se faire avec des contributions extraordinaires, parce que ces contributions pèsent sur la partie laborieuse et indigente du peuple ; elles ne peuvent se faire par des emprunts, parce que personne ne veut prêter à une nation qui, voulant être libre, n'a pas encore de gouvernement[5]. Il ne reste donc d'autres ressources aux peuples affranchis que de réaliser la valeur de leurs biens nationaux, pour s'acquitter envers nous. C'est ce qu'ils feront, n'en doutez pas.

Convaincue par les arguments du rapporteur, l'Assemblée adopte sans débat les conclusions du Comité des finances, qui propose de créer 800 millions de nouveaux x assignats devant avoir pour gage les biens des émigrés, puisque ceux du clergé sont déjà dévorés.

 

IV

Les ressources en hommes et en argent étant ainsi provisoirement assurées, il faut songer à réaliser dans un bref délai les indemnités dues par les nations auxquelles on a donné la liberté. De toutes, la plus en état de payer largement les frais de la guerre que l'on a portée chez elle, c'est la riche Belgique. Mais il faut observer au moins certaines formes et ne paraître devoir qu'à l'enthousiasme des peuples ce que l'on pourrait exiger par la force des armes. D'ailleurs, peut-on, sans fouler aux pieds les principes de modération et de désintéressement naguère si hautement proclamés ; incorporer ces provinces à la République, avant que les citoyens aient été consultés, au moins pour la forme, avant .que les nouvelles autorités, imitant l'exemple des municipalités savoisiennes, aient donné )é signal de l'annexion ?

Mais ces autorités ne semblent pas disposées à se livrer aux démonstrations que les commissaires du pouvoir exécutif se croient en droit d'attendre d'elles. Elles sont composées, au moins en grande partie, de citoyens fiés au pays par des relations de famille et des intérêts considérables. Malgré leur origine[6], elles n'ont pas tardé à réagir contre des exigences chaque jour de plus en plus intolérables. Aussi les agents du pouvoir exécutif, sentant leur manquer te point d'appui sur lequel ils avaient compté, s'empressent-ils de le chercher dans les sociétés populaires.

Ces sociétés s'étaient établies dans toutes les villes de la Belgique. Elles avaient été d'abord fréquentées par les partisans des idées nouvelles, à quelque nuance qu'ils appartinssent ; mais bientôt, comme cela était arrivé en France, les violents avaient expulsé les modérés, l'élément local avait peu à peu été éliminé par l'élément étranger.

Quelques semaines après leur installation, les clubs n'avaient plus pour adhérents que les individus qui font du patriotisme et de la liberté métier et marchandise, n'ont d'autre droit -de cité dans les villes, où ifs viennent s'abattre, que.la terreur qu'ils inspirent, les méfaits qu'ils commettent. Prêtres apostats, moines défroqués accourus de tous les coins de l'Europe, fournisseurs d'une probité quelque peu douteuse, administrateurs ayant certaines peccadilles à se reprocher, aventuriers de toute provenance, intrigants en quête d'une fonction à l'ombre de laquelle il soit possible d'exercer impunément les rapines les plus effrontées ; tous s'étaient donné rendez-vous dans les sociétés populaires, y occupaient les principales dignités, faisaient retentir la tribune de leurs motions incendiaires et s'arrogeaient le droit de parler au nom du peuple belge.

Des trois coryphées du club de Bruxelles, deux étaient français Chepy, l'un des commissaires du pouvoir exécutif ; Estienne, qui avait levé une bande de coupe-jarrets avec laquelle il était censé faire la police dans la capitale du Brabant et dans les communes environnantes[7]. Le troisième était Belge, mais pour renchérir sur tes démagogues de Paris, qui s'honoraient du titre de sans culottes, il se faisait appeler Charles-sans-chemise.

Le décret du 15 décembre avait introduit en Belgique les procédés révolutionnaires depuis longtemps usités en France séquestres, confiscations, assignats, etc. Il fut reçu avec stupeur par les autorités municipales, avec enthousiasme par les sociétés populaires. Presque toutes les villes de la Belgique envoyèrent à la Convention des adresses pour en demander le retrait ou du moins l'atténuation[8]. On y invoquait les principes de fraternité universelle et de souveraineté absolue des peuples, si hautement proclamés par l'Assemblée française on y rappelait les promesses contenues dans les proclamations de Dumouriez, au moment ou il avait mis le pied sur le sol des Pays-Bas[9]. Vous êtes, y était-il dit, sous mille formes diverses, mais avec une logique irrésistible, vous êtes nos alliés, nos amis, nos frères vous n'êtes ni nos conquérants ni nos maîtres. Si la Convention nationale de France rend des décrets exécutables- en Belgique sur les personnes et sur les choses, que devient la souveraineté du peuple belge ? Cette souveraineté doit avoir les mêmes caractères que celte du peuple français ; donc elle est une, absolue, indivisible, incommutable. Elle est entière ou elle est nulle, car il n'y a ni demi-justice, ni demi-liberté.

La Convention tint fort peu de compte de toutes ces adresses ; elle les renvoya au Comité diplomatique, avec la recommandation secrète de les enfouir dans ses cartons. Au contraire, elle accueillit avec faveur la délibération que lui apportèrent, le 8 janvier, les délégués de la Société populaire de Bruges, demandant : 1° de n'avoir aucun égard à la protestation que l'administration provisoire de cette ville avait formulée contre le décret du 15 décembre ; 2° de créer un nouveau département français dont Bruges serait le chef-lieu ; 3° de maintenir, comme commissaire national dans cette ville, le citoyen Sta, ex-procureur-syndic du district de Lille, dont les talents et le patriotisme étaient connus[10].

Cambon, appuyé par le girondin Louvet et le montagnard Osselin, demanda et obtint que le pouvoir exécutif fût tenu de rendre compte de ce qu'il avait déjà fait pour l'application du décret. C'était le confirmer implicitement et répondre par une fin de non-recevoir aux plaintes réitérées de la Belgique.. Déçues dans leur espoir de voir apporter au moins quelque tempérament à l'exécution des mesures provoquées par Danton et ses collègues, les autorités municipales résolurent de profiter de la réunion des assemblées primaires, que le décret lui-même avait ordonnées, pour faire nommer une convention belge qui, parlant au nom de la nation entière, aurait peut-être plus de chance d'être écoutée.

Dumouriez voyait avec un vif mécontentement la direction des esprits lui échapper dans un pays qu'il regardait comme sa conquête. Aussi encouragea-t-il vivement cette idée, peut-être même l'inspira-t-il aux nombreux amis qu'il s'était ménagés dans lu plupart des localités flamandes. Mais cette tentative de réunir dans une seule assemblée toutes les forces vives du pays échoua devant les antipathies locales et devant les préjugés de caste. D'ailleurs, les commissaires de la Convention mirent bon ordre à ces velléités d'indépendance. Par un arrêté signé Danton, Lacroix et Gossuin, il fut fait défense aux électeurs nommés par les assemblées primaires de se réunir, sous peine d'être poursuivis comme perturbateurs du repos, public. Par contre, tout ce qui pouvait hâter l'annexion était favorablement accueilli. Ce fut du pays de Liège que vint la première demande officielle. Le 23 décembre. les administrations provisoires des deux petites villes de Spa et de Theux, convoquèrent leurs concitoyens pour voter la déchéance du prince-évêque, la rupture de tout lien avec l'empire germanique, et la réunion a la France. Liège et toutes les communes environnantes émirent bientôt le même vœu.

Dans la séance du 31 janvier, au moment même où la Convention venait de déclarer que le comté de Nice faisait partie intégrante de la République française. Danton s'élance à la tribune.

Ce n'est pas, dit-il, seulement en mon nom, c'est au nom de tous les commissaires envoyés par vous en Belgique, que je viens demander le même décret pour le peuple belge. Cette réunion, vous l'avez déjà préjugée par votre décret du 15 décembre. Je ne demande rien à votre enthousiasme, tout à votre raison. Les limites de la France sont marquées par la nature ; aux bords du Rhin, au pied des Alpes, là doit finir notre république. Aucune puissance ne peut nous arrêter c'est en vain qu'on nous menace de la colère des rois. Vous leur avez jeté le gant, et ce gant c'est la tête d'un tyran. Ne songeons plus qu'à développer la force nationale, envoyons des commissaires dans toutes les communes de la République pour demander des hommes et des armes, et précipitons la France entière sur nos ennemis. Quant à la Belgique, l'homme du peuple et le cultivateur veulent la réunion ; ils sont mûrs pour la liberté, ils sont dignes d'être unis à la France par des liens indissolubles. Ce n'est que parce que les patriotes pusillanimes doutent de cette réunion que l'exécution de votre décret du 15 décembre éprouve de l'opposition. Prononcez-la, faites exécuter les lois françaises et aussitôt les prêtres perturbateurs, les aristocrates séditieux purgeront, en vertu de ces lois, la terre de la liberté. Cette grande purgation opérée, nous aurons des hommes et des trésors de plus. Je conclus à la réunion immédiate.

 

Camus, Lacroix, Cambon, c'est-à-dire les auteurs mêmes du décret du 15 décembre, abondent dans le même sens.que Danton, et accusent de tout le mal les administrations provisoires.

Ce sont ces prétendus représentants du peuple belge, s'écrie Camus, qui calomnient les intentions de la Convention, ce sont eux qui nous ont accusés de vouloir attenter à la souveraineté de ce peuple ce sont eux qui entravent les opérations des assemblées primaires. Eh bien ajoute Cambon, que l'on consulte les Belges et les Liégeois sur le mode du gouvernement qu'ils veulent avoir, et que l'on renvoie de suite Danton et Lacroix en Belgique pour veiller à l'exécution des mesures que vous adopterez.

Aussitôt on lit un décret préparé d'avance ; il était précédé d'un considérant qui pouvait passer à bon droit pour une amère dérision.

La Convention nationale, informée que, dans quelques-uns des pays actuellement occupés par les armées de la République, l'exécution des décrets des 15, 17 et 22 décembre a été arrêtée par des ennemis du peuple coalisés contre sa souveraineté, décrète ce qui suit :

1° Les trois décrets précités recevront leur exécution immédiate les généraux des armées de la République sont chargés de prendre toutes les mesures nécessaires pour la tenue des assemblées primaires. 2° Les commissaires envoyés par la Convention pour fraterniser avec les peuples décideront provisoirement toutes les questions qui pourraient s'élever relativement à la forme et aux opérations des assemblées primaires comme à la validité des suffrages, ils assureront la liberté des assemblées ils pourront agir conjointement ou séparément, pourvu néanmoins qu'ils soient réunis au nombre de deux. 3° Les peuples, réunis en assemblées primaires, sont invités a émettre leur vœu sur la forme de gouvernement qu'iis veulent adopter. 4° Les peuples des villes et territoires qui ne se seraient pas rassemblés dans la quinzaine au plus tard de la promulgation du présent décret, seront déclarés ne pas vouloir être amis du peuple français. La République les traitera comme les peuples qui refusent d'adopter et de former un gouvernement, fondé sur la Liberté et l'Égalité.

 

Cela était assez clair et ne demandait pas de commentaires d'ailleurs ; s'il y en avait eu besoin, Lacroix et Danton se chargèrent de les donner. Ils partirent immédiatement pour promulguer la volonté immuable de la Convention. Le reste n'était plus qu'une simple formalité[11].

 

V

Le premier acte de la comédie qui allait se jouer ne fut pas le moins singulier. Les trop fameux commissaires du pouvoir exécutif se réunirent le 3 février à Bruxelles et discutèrent gravement la question de savoir si la Belgique devait être réunie à la France. Avons-nous besoin de dire qu'ils résolurent cette question affirmativement à l'unanimité ? Ils déclarèrent qu'il fallait, pour obtenir ce résultat, employer d'abord la puissance de la raison, les touchantes insinuations de la philanthropie, puis tous les moyens de tactique révolutionnaire, et enfin, si les populations opposaient la force d'inertie, user du droit de conquête devenu pour la première fois juste et utile, c'est-à-dire déployer l'appareil de la force nationale pour éloigner des assemblées primaires toute scène scandaleuse[12].

Les commissaires, une fois convenus du mode de leur action commune, invitèrent chacun les villes de leur circonscription à se prononcer pour ou contre la réunion à la France. Il nous paraît inutile de raconter les unes après les autres les scènes qui se passèrent à Mons, à Gand, à Bruxelles, à Louvain, à Namur et a Ostende. Elles présentent à peu de chose près les mêmes épisodes et aboutissent toutes à un résultat identique.

Le général français commandant la division invite les citoyens à s'assembler dans une église. La force armée se tient autour du lieu de la réunion, sous prétexte de protéger la liberté des suffrages, mais en réalité pour mettre à la raison les récalcitrants[13]. Le commissaire du pouvoir exécutif ouvre la séance par un discours où il vante les bienfaits de la constitution française la plupart des spectateurs, qui ne parlent et n'entendent que le flamand, n'en comprennent pas un mot. Les affidés interrompent bientôt l'orateur en demandant à grands cris que l'on passe immédiatement au vote. Un bureau est formé par acclamation on prête en masse le serment prescrit par le décret du 15 décembre. On ne fait aucun appel nominal, on ne dresse aucune liste des assistants. Citoyens, dit le président, vous avez à choisir entre l'état despotique et l'état démocratique. Aussitôt tous les bras se lèvent en faveur de ce dernier gouvernement. Vous avez maintenant à déclarer si vous voulez former une nation séparée ou être réunis à la France. Que ceux qui veulent la réunion passent à gauche ; que ceux qui sont d'un avis contraire passent à droite. Toute l'assistance se précipite du côté désigné en poussant le cri unanime : La Réunion ! nous sommes Français ! Le président s'empresse de constater l'unanimité du vote et de féliciter rassemblée ; puis il se fait déléguer avec quelques amis pour aller, aux frais de la ville ou de la province, porter à la Convention le vœu d'un peuple libre. Les voûtes de l'église retentissent du chant de la Marseillaise. Les clubistes, qui forment la presque totalité de l'assemblée se répandent dans les divers quartiers de la ville pour faire illuminer les maisons, sonner les cloches et improviser des réjouissances publiques[14].

La contre-partie de ces scènes se passa dans un grand nombre de villages et même de petites villes, où l'autorité militaire n'avait pas pu envoyer de troupes. Les délégués des commissaires français n'y eurent aucun succès et furent obligés de s'enfuir au plus vite. A Enghien, près Bruxelles, le fameux Charles-sans-Chemise fut accablé de coups et laissé pour mort sur la place.

Dans la seule ville de Liège, où l'on savait que la majorité était d'avance favorable à la réunion, les choses se passèrent avec plus de régularité et de décence. Mais, par cela même qu'il eut lieu en pleine liberté, le vote fut accompagné de certaines restrictions importantes. La municipalité elle-même les formula. Bien que composée des adversaires les plus déclarés du gouvernement de l'ancien évêque, elle mit pour conditions à la réunion : 1° qu'en même temps qu'il serait accordé des indemnités aux Liégeois qui avaient autrefois souffert pour la cause de la liberté, il en serait alloué aux membres du clergé, dont les emplois seraient supprimés ; 2° que l'on ne donnerait pas au cours forcé un effet rétroactif, c'est-à-dire que, pour le remboursement des dettes contractées entre Liégeois et pour le rachat des rentes constituées avant la réunion, on ne pourrait pas astreindre les particuliers à recevoir au pair cette monnaie de papier déjà si fort dépréciée[15].

Aussitôt que les réserves de la ville de Liégé, furent connues des commissaires de la Convention, ils fulminèrent un arrêté déclarant que ce vote devait être considéré comme nul et non avenu, parce qu'il contenait des conditions injurieuses et inadmissibles.

 

VI

La question des assignats tenait naturellement fort à cœur aux promoteurs des décrets du 15 décembre et du 31 janvier ; ils comptaient sur la Belgique et le pays de Liège pour en absorber une quantité considérable dès que le cours forcé y aurait été légalement établi. Dans une circonstance récente, Cambon n'avait-il pas comparé les biens domaniaux et le papier monnaie qui en était la représentation à la manne du désert qu'il fallait faire manger au peuple belge pour lui donner le goût de la liberté ?[16]

C'était justement cette question du cours forcé, mêlée à celle du séquestre des propriétés ecclésiastiques, qui avait complètement modifié les dispositions des Beiges à notre égard. Les sympathies enthousiastes et presque universelles qui avaient naguère accueilli les Français s'étaient bien vite changées en suspicions et en haines chez ce peuple éminemment catholique, éminemment calculateur. Lorsque chaque manufacturier, commerçant, bourgeois ou paysan, — car dans ce pays tous ou presque tous font des économies, — eut calculé la perte énorme qu'il éprouverait dans son avoir si le papier-monnaie français était accepté au pair ; lorsque, dans chaque province, on vit les commissaires de la République placer sous le séquestre les biens des couvents et des communautés religieuses, apposer les scellés sur les sacristies qui renfermaient les trésors des églises et les ornements du culte, les masses se mirent à regretter le régime autrichien que quelques mois auparavant elles déclaraient intolérable. D'ailleurs, la conduite des agents de tout rang et de toute catégorie, qui représentaient la République, n'était pas propre à la faire aimer. Depuis Danton et Lacroix, aux mœurs relâchées et au langage cynique, jusqu'à Camus, dont l'austérité janséniste applaudissait au dépouillement des églises, parce qu'il y voyait le retour à la simplicité des premiers siècles du christianisme ; depuis le commissaire ordonnateur en chef Ronsin, dont la brutalité jacobine se joignait à la plus violente rapacité, jusqu'au littérateur Publicola Chaussard, dont le pédantisme n'avait d'égal que la sottise, tous suscitaient les colères et les antipathies les plus vives.

Aussi, lorsque Dumouriez revint de Paris dans les derniers jours de janvier, il trouva les choses fort empirées. Il comprit, vite qu'il ne pouvait plus compter sur la bonne volonté du peuple belge pour lui fournir des ressources en vivres et en hommes, et qu'il fat tait à tout prix porter le théâtre de la guerre en Hollande où il pourrait trouver en abondance des provisions de guerre, des provisions de bouche, et surtout le numéraire qui lui faisait complètement défaut pour le prêt de ses soldats.

Les rapports qu'il venait d'avoir pendant un mois avec les chefs des deux partis qui se divisaient la Convention lui avaient démontré l'impossibilité de s'entendre avec l'un ou avec l'autre pour l'accomplissement des desseins qu'il roulait dans sa tête.

Il était résolu à prendre le rôle de Monck et à restaurer la monarchie en France, mais la monarchie constitutionnelle. I) voulait éviter de s'appuyer sur les émigrés aussi bien que sur les jacobins il les enveloppait les uns et les autres dans une même défiance et dans une même exclusion. ï) sentait qu'avant toute chose il devait frapper un grand coup qui étonnât et fît taire ses ennemis, en lui rendant la confiance illimitée de son armée.

A ce but il sacrifie ce que lui recommande la plus vulgaire prudence. Il sait, à n'en pas douter, que les Autrichiens et les Prussiens rassemblent sur le Rhin des troupes nombreuses, et cependant il s'occupe fort peu de surveiller et de resserrer ses cantonnements, beaucoup trop dispersés, ïl se contente d'envoyer à ceux de ses lieutenants qui commandent sur la ligne de la Meuse et à Aix-la-Chapelle des instructions qui doivent leur taire présager sa prochaine arrivée, et s'établit de sa personne à Anvers pour veiller aux derniers préparatifs de l'expédition de Hollande. Afin de tromper amis et ennemis sur ses desseins, il n'appelle même pas auprès de lui ses meilleures troupes et ses meilleurs officiers ; il s'embarque dans une entreprise hasardeuse avec quelques corps de formation nouvelle et avec des généraux qui n'ont pas encore fait leurs preuves. Heureusement il a près de lui Darçon, le meilleur ingénieur du temps, que les persécutions du prince jacobin, Charles de Hesse, ont éteigne de Besançon, et qui est venu chercher asile et sûreté dans les rangs de l'armée du Nord[17].

Dumouriez ne se dissimule pas les difficultés de l'expédition. Il ne s'agissait en effet de rien moins, comme il le dit dans ses mémoires, que de faire passer l'armée française par le trou d'une aiguille. Pendant ce temps, une partie de ses troupes devait, sous Valence, garder Aix-la-Chapelle et observer les mouvements de l'ennemi, une autre partie devait, sous Miranda, assiéger Maëstricht et Nimègue. Il était impossible de prendre régulièrement ces deux places avec les moyens et le peu de temps dont on disposait ; le générât en chef espérait que les garnisons capituleraient à la première menace d'un bombardement. Sans se préoccuper autrement de savoir si ses ordres peuvent ou non être exécutés, il franchit la frontière hollandaise avec treize mille hommes, masque plusieurs places et court au Mœrdyk, espérant y trouver des bateaux pontés en nombre suffisant pour transporter ses troupes de l'autre côté de ce bras de mer. Il compte que la fortune, depuis six mois si propice à ses armes, fera pour lui encore un miracle, qu'elle affermira sous ses pas, par une gelée subite, les eaux des fleuves et des canaux de la Hollande. Mais ce miracle ne devait s'accomplir que trois ans plus tard au profit d'un autre général de la République, Pichegru, auquel il était réservé de prendre la flotte du Texel avec quelques escadrons de cavalerie.

Bientôt Dumouriez se voit déçu dans ses espérances. Son avant-garde n'a pu se saisir que de quelques bateaux, tous les autres ont été retirés de l'autre côté du Mœrdyk, et mis sous la protection de bâtiments garde-côtes. Il faut rassembler d'autres moyens de transport, un temps considérable est perdu. En attendant, grâce à Darçon, Dumouriez s'empare de deux places importantes, Bréda et Gertruydenberg, et se prépare à transformer en une guerre méthodique l'espèce de course au clocher dans laquelle il s'est lancé.

 

VII

La nouvelle de l'entrée de l'armée française en Hollande est saluée par les applaudissements unanimes de la Convention. L'Assemblée profite de cette occasion pour faire à la face de l'Europe une nouvelle déclaration de principes.

Le décret du 2 mars, quoique spécialement adressé au peuple batave, est en réalité destiné à faire connaître à toutes les nations ce qu'elles doivent attendre de, la République. La Convention y déclare : 1° que, toujours fidèle au principe de la souveraineté du peuple, elle ne reconnaît aucune des constitutions qui y portent atteinte ; 2° qu'à défaut de pouvoirs émanés du peuple, toute révolution a besoin d'une puissance provisoire qui remplace les autorités usurpées, ordonne le mouvement régénérateur et prévienne l'anarchie et le désordre ; 3° que la nation française, qui la première en Europe a osé proclamer les droits de l'homme, peut seule se charger efficacement de l'exercice momentané de ce pouvoir révolutionnaire dans le pays où la poursuite des ennemis de la liberté et de l'égalité a conduit ses armées que ce pouvoir ne peut être confié, jusqu'à ce que le peuple ait manifesté sa volonté, qu'aux chefs de l'armée française. En conséquence, elle charge les généraux, au moment d'entrer en Hollande, d'annoncer à tous les habitants que la République leur apporte paix, secours, fraternité, liberté et égalité qu'ils sont dégagés de tous serments vis-à-vis du stathouder ; que ceux qui se prétendraient liés par leurs serments seront réputés par ce).a même adhérents du despotisme, conséquemment ennemis du peuple français et traités comme tels avec toute la rigueur des lois de la guerre. Elle ordonne encore aux autorités civiles et militaires : 1° de mettre sous la sauvegarde et protection de la République française, c'est-à-dire sous le séquestre, tous les meubles et immeubles appartenant au fisc, au stathouder, à ses fauteurs, adhérents et satellites volontaires, aux établissements publics, aux corps et communautés laïques et ecclésiastiques ; 2° de faire arrêter tous les émigrés français retirés sur le territoire batave et de faire transporter dans les pays limitrophes de la Hollande toutes les personnes qui auraient été déportées du territoire français.

Le décret se termine ainsi :

La nation française déclare qu'elle traitera comme ennemis les peuples qui, refusant la liberté et l'égalité ou y renonçant, voudraient conserver, rappeler ou traiter avec les tyrans qui les ont gouvernés ou avec leurs complices et les castes privilégiées. Elle renouvelle aussi la promesse solennelle qu'elle a faite de ne plus poser les armes qu'après l'affermissement de la souveraineté et de l'indépendance du peuple, sur le territoire duquel tes troupes de la République française seront entrées et qui aura adopté les principes de l'égalité et établi un gouvernement libre et populaire.

Cambon avait reconnu la faute qu'il avait commise par le décret du 15 décembre en abolissant tous les impôts. dans les pays nouvellement conquis et en. se privant ainsi de ressources considérables qui n'étaient pas à dédaigner dans .l'état de pénurie où se trouvait le Trésor. Aussi le décret du 2 mars déclare-t-il que tous les impôts existant en Hollande subsisteront jusqu'à nouvel ordre à l'exception de ceux qui pèsent sur le pain et sur la bière.

Comment, s'écrie à cette occasion le financier montagnard, pourrions-nous songer à imposer la bière si nécessaire aux braves sans-culottes ? Nous devons leur donner les moyens de danser la carmagnole autour de l'arbre de la liberté. Il ne faut pour être libre que du pain, de la bière et du fer[18].

 

VIII

Pendant que la Convention promulguait bruyamment les principes qu'elle jugeait propres à lui concilier l'amour et le dévouement des peuples, pendant qu'elle célébrait déjà par des chants de triomphe les conquêtes futures de Dumouriez, l'armée coalisée se massait à petit bruit sur les bords du Rhin, se grossissait des contingents allemands ainsi que de nombreux renforts prussiens et autrichiens. Elle venait de passer sous le commandement en chef du prince de Cobourg, qui s'était naguère illustré dans la guerre contre les Turcs et brûlait de venger l'affront que les armes impériales avaient reçu à Jemmapes.

Apprenant que l'armée française a été affaiblie par deux détachements considérables, l'un destiné à assiéger Maëstricht, l'autre à renforcer l'armée de Hollande, le nouveau généralissime se hâte de profiter de cette faute capitale. Nos cantonnements étaient mal gardés et très-distants les uns des autres, le village d'Aldenhoven en était le centre c'est là que se porte tout l'effort des Autrichiens. Le village est assez facilement enlevé malgré !a résistance des généraux Stengel et Lanoue, qui ne s'attendaient guère à une attaque si vive et si prompte. Dès lors, notre corps d'armée est coupé en deux, il est obligé de regagner la Meuse par deux routes différentes et d'essayer de s'en faire une nouvelle ligne de défense.

Miranda était depuis quinze jours devant Maëstricht, qui résistait contrairement aux prévisions de Dumouriez. Incapable de l'assiéger selon les règles faute d'un matériel suffisant, il lançait des bombes et des obus dans la place sans pouvoir y faire une brèche. Tout à coup, il reçoit des lieutenants de Valence la nouvelle qu'ils ont été obligés d'évacuer Aix-la-Chapelle et que les troupes chargées d'investir le faubourg placé sur la rive droite de la Meuse courent grand risque d'être enlevées d'un moment à l'autre. Il se hâte de les rappeler à lui et d'opérer sa retraite sur Liège et Tongres.

L'échec d'Aldenhoven, l'abandon d'Aix-la-Chapelle. la levée du siège de Maëstricht jettent l'effroi parmi les patriotes de Liège. Le conseil de ville se rassemble à la hâte. Trois des commissaires de la Convention, Gossuin, Lacroix et Merlin, qui se trouvent sur les lieux, viennent rassurer les autorités municipales et adjurent tous les habitants en état de porter les armes de voler au secours de la patrie en danger. Ils annoncent que, quant à eux, ils vont se rendre à Tirlemont, sur les derrières de l'armée, afin d'activer l'envoi de nouveaux renforts. Par le fait, ils abandonnent les Liégeois à leur malheureux sort ; seulement, avant de partir, ils ordonnent à leurs agents d'exécuter le décret du 15 décembre et se font précéder par des charrettes chargées de l'argenterie et des objets les plus précieux appartenant aux églises de la ville et des environs.

Les commissaires se divisent les rôles. Lacroix court à Paris instruire la Convention de nos désastres ; Merlin et Gossuin se dirigent vers Bruxelles pour se rapprocher de Dumouriez et de l'armée de Hollande.

Dans la nuit du au 5 mars une immense émigration encombre les rues de Liège et se presse aux portes qui conduisent en Belgique. Tous ceux qui se sont compromis pour la cause française, tous ceux qui, de près ou de loin, ont à craindre les vengeances impériales, se hâtent de fuir. Il ne reste bientôt plus dans la ville aucun individu ayant été revêtu de quelque fonction publique durant les quatre mois qui viennent de s'écouler. Les anciens magistrats n'osent pas se montrer encore par crainte d'un retour offensif de Valence ou de Miranda. Pendant vingt-quatre heures une anarchie complète règne dans la malheureuse cité. La populace profite de cet interrègne des lois pour forcer les prisons et égorger une quinzaine de malheureux prêtres qui y sont détenus.

A peine arrivés en lieu de sûreté, les commissaires de la Convention songent à généraliser dans toutes les villes de Belgique les mesures de précaution qu'ils ont prescrites avant leur départ de Liège. En conséquence, par un arrêté en date du 5 mars, ils ordonnent aux commissaires du pouvoir exécutif d'envoyer à Lille les objets mobiliers qui, en vertu du décret du 15 décembre, ont été mis sous le séquestre.

Le séquestre n'avait jusque-là porté que sur l'argenterie provenant des couvents et des maisons d'émigrés. On avait laissé a peu près intact le trésor des paroisses mais les agents du pouvoir exécutif tiennent à honneur de réparer le temps perdu. Quoique l'armée impériale soit encore bien loin, puisqu'elle vient à peine de franchir la Meuse, ils agissent comme si elle était aux portes de chaque ville.

Dans la Belgique entière le même jour, à la même heure, les agents préposés aux séquestres courent aux principales églises, ordonnent de crocheter les portes des sacristies, et font main basse sur tout ce qui est à leur convenance. L'arrêté des commissaires de la Convention ne mentionnait que l'argenterie, mais, de leur autorité privée, les agents en étendent l'application au linge, aux dentelles, aux livres et missels qu'ils trouvent ils font mettre au pilon des pièces d'orfèvrerie du travail le plus précieux. Le pillage s'exécute sans qu'on ait la pensée d'appeler les autorités locales ou de dresser des inventaires réguliers ; beaucoup d'objets, d'un petit volume, sont. soustraits dans la bagarre, et peu après vendus à vil prix. Les plus ignobles indécences, les pus déplorables profanations sont commises sous les yeux des populations indignées. Ce qui a échappé aux vols individuels est entassé sur des chariots et dirigé vers Lille.

Une grande partie de ces immenses spoliations ne profita même pas à la République au nom de laquelle elles avaient été commises. A peine si le quart ou le tiers du produit de ces vols entra réellement dans les caisses de l'État. Beaucoup de voitures furent- arrêtées sur les routes de Belgique par des paysans ameutés parmi les chariots mêmes qui atteignirent la frontière française, plusieurs furent détournés de leur destination apparente et devinrent la proie de certains dilapidateurs attitrés, que leur omnipotence mit à l'abri des recherches.

 

IX

Dumouriez était sur les bords du Mœrdyk en attendant le moment favorable pour traverser ce bras de mer.

Il reçoit coup sur coup les nouvelles du désastre de ses lieutenants mais, comme un joueur désespéré qui ne veut quitter [a partie qu'après avoir épuisé toutes les chances, il se roidit contre l'infortune, il refuse de se rendre au désir de son armée qui le redemande a cor et à cri et ne voit son salut que dans la présence de son général. En vain les commissaires de la Convention lui font-ils les réquisitions les plus explicites, en vain ses confidents les plus intimes -lui adressent-ils les prières les plus pressantes il perd plusieurs jours précieux et ne se résout à revenir sur ses pas que lorsqu'il s'aperçoit que les communications entre l'armée de Hollande et celle de Belgique risquent d'être coupées. Il donne l'ordre aux généraux Tilly et de Flers de mettre dans Bréda et Gertruydemberg des garnisons suffisantes et de ramener le reste des troupes à Anvers.

Dans cette ville il trouve les esprits consternés et par les violences sacrilèges dont la Belgique vient d'être le théâtre et par les arrestations que, la veille, le commissaire du pouvoir exécutif, le fameux Publicola Chaussard, a ordonnées.

Dumouriez déclare nuls et non avenus les actes des commissaires et donne à Chaussard l'ordre de quitter Anvers à l'instant même. Celui-ci vient avec fracas se plaindre d'être ainsi traité, lui, le représentant du pouvoir exécutif, lui, Je délégué des commissaires de la Convention. Il reproche au général d'agir en vizir. Mais il est congédié avec cette réponse ironique Allez, monsieur Chaussard, je ne suis pas plus vizir que vous n'êtes Publicola. Après avoir rassuré les autorités anversoises, Dumouriez court à Bruxelles, où de plus grandes violences exigeaient des réparations plus efficaces.

Le commissaire Chepy avait fait arrêter plusieurs personnages notables, notamment le duc d'Aremberg, et les avait envoyés à Paris à titre d'otages. La première mesure que prend Dumouriez est de faire saisir Chepy et de l'expédier en France sous la garde de la maréchaussée, en demandant pour lui une punition exemplaire[19] ; la seconde est de casser et de dissoudre la légion dite des Sans-culottes que commandait Estienne. Ces deux mesures préliminaires accomplies, il réunit à l'hôtel de ville les autorités municipales.

Là, entouré de son état-major et au milieu .d'un immense concours dé peuple, il adresse aux magistrats le discours suivant :

Citoyens, on a commis des fautes et même des crimes envers le peuple belge je veux réparer les unes et punir les autres. On vous a dit, tantôt que vous étiez administrateurs, tantôt que vous ne l'étiez pas ; vous l'êtes ; c'est le peuple qui vous a choisis. Rentrez dès ce moment dans l'intégrité, de vos fonctions.

Je ferai rendre aux églises les vaisselles qu'on a enlevées d'une manière indécente. Les Français, les soldats de la liberté ne doivent pas ressembler aux brigands ; ils désavouent des actions déshonorantes ; ce n'est ni la nation, ni l'armée française qui sont coupables des torts dont la nation beige a le droit de se plaindre.

J'ai donné ordre de relâcher les citoyens que l'on a arrêtés arbitrairement, et je ferai de même remettre en liberté ceux que l'on a saisis a titre d'otages. Nous n'en avons pas besoin ; nous sommes assez forts de notre propre force ; nous devons l'être encore davantage par l'amour des peuples à qui nous apportons la liberté. J'ai fait arrêter Chepy ; j'ai fait mettre en prison le soi-disant général des Sans-culottes, Estienne. J'ai fait défense à tout club patriotique de s'immiscer dans aucune affaire militaire ou d'administration. Si l'on enfreint cette défense, le général Duval fera fermer, et fermer sans retour, le lieu du rassemblement[20].

Je vous invite, et j'ose même vous ordonner d'écrire à tous ceux de vos concitoyens égarés, de déposer les armes, de reconnaître dans les Français leurs libérateurs et leurs amis, de revenir de préventions injustes. Ces préventions, je dois malheureusement l'avouer, ont été provoquées par la conduite de quelques-uns de nos agents. Ce n'est pas la peur qui me porte à faire cette déclaration, mais mon amour de la justice et de l'humanité.

Belges, comptez sur notre bravoure et notre fraternité. J'ai appris avec douleur vos justes sujets de plainte ; je veux les faire cesser. Je ne reconnais d'autre force que celle de la loi ; je prendrai votre défense contre l'injustice, comme je vous ai défendus et vous défendrai contre les baïonnettes ennemies.

Puis se tournant vers le groupe des Français qui l'accompagnaient :

Et vous, Français, vous le savez aussi longtemps que nous nous sommes comportés en hommes libres et dignes de l'être, en républicains vertueux, le sort, propice à la bonté de notre cause, a favorisé nos armes. Reprenons nos vertus, montrons que nous ne sommes ni des brigands ni des profanateurs. A ce prix, je vous promets de nouveaux succès, je vous promets l'appui de la Providence qui veille sur notre patrie.

 

Ces paroles sont couvertes d'applaudissements ; le président du conseil remercie avec effusion le général, qu'une foule immense reconduit jusqu'à son hôtel[21].

 

X

Le lendemain, i2 mars, Dumouriez rejoint le quartier général de l'armée à Louvain. A peine y est-il arrivé qu'il reçoit la visite des quatre commissaires de 1a Convention Camus, Treilhard, Gossuin et Merlin.

— Comment avez-vous pu, général, s'écrie Camus en !'abordant, rendre les ordonnances que nous avons tues ce matin sur les murs de Bruxelles ? Comment avez-vous pu agir avec cette précipitation ? Comment n'avez-vous pas attendu d'en avoir conféré préalablement avec nous ? Comment avez-vous pu vous ingérer dans des mesures purement civiles ? Quant aux vases précieux que l'on a enlevés de la Belgique, ne savez-vous pas que dans l'église primitive les plus saints évêques ont fait fondre l'argenterie sacrée pour secourir l'humanité souffrante ?

— La Convention, répond Dumouriez, est trompée sur les affaires de la Belgique. Moi, je suis sur les lieux, j'ai tout le poids de la guerre j'ai à pourvoir à l'honneur de la nation, au salut de l'armée ; j'en suis responsable, non-seulement à mon pays, mais à la postérité. Eussiez- vous été présents, je ne vous aurais pas consultés j'aurais pu vous représenter la nécessité de mettre un à la tyrannie qui, depuis trop longtemps, opprime la Belgique et la France, mais, si vous n'aviez pas voulu accepter ma manière de voir, j'aurais rendu mes ordonnances sans vous et malgré vous. Quoi ! citoyen Camus, vous qui êtes un homme religieux, pouvez-vous soutenir les misérables qui ont spolié les églises de la Belgique ? Retournez à Bruxelles, allez voir à Sainte-Gudule tes hosties foulées aux pieds, dispersées sur le pavé de l'église ; les tabernacles brisés, les tableaux en lambeaux. Trouvez un moyen de justifier ces profanations ; voyez s'il y a un autre parti à prendre que de restituer l'argenterie et de punir sévèrement les satellites qui ont aussi criminellement exécuté vos ordres. Si la Convention applaudit à de tels crimes, si elle ne s'en offense pas, si elle ne les punit pas, tant pis pour elle et pour notre malheureuse patrie.

— Mais comment voulez-vous rendre cette argenterie ? répondent les commissaires ; elle est brisée et entassée dans des coffres.

— Eh bien ! puisqu'on a la matière, il n'y a rien de si aisé que de la refaire ; il en coûtera la façon. Général, ajoute Treilhard, vous avez gravement manqué a la Convention, et nous ne pouvons nous dispenser de lui rendre compte de votre conduite. A votre aise, messieurs.

— Général, reprend Camus, vous paraissez vouloir prendre le rôle de César. Si j'en étais sûr, je serais Brutus et je vous poignarderais.

— Mon cher Camus, je ne suis point César et vous n'êtes point Brutus ; la menace de mourir de votre main est pour moi un brevet d'immortalité. Du reste, messieurs, tout ce que je viens de vous dire, je l'ai dit a la Convention dans un mémoire dont je suis tout prêt vous donner communication.

 

Puis, sans attendre leur assentiment, Dumouriez tire de sa poche une dépêche déjà revêtue de son cachet, en rompt l'enveloppe et leur lit la fameuse lettre du 12 mars, qui n'était rien moins qu'un acte d'accusation contre la Convention eue-même :

Citoyen président,

Le salut du peuple est la toi suprême. Je viens de lui sacrifier une conquête presque assurée en quittant la portion victorieuse de l'armée prête a entrer dans le cœur de la Hollande, pour venir au secours de cette qui vient d'essuyer un revers qu'on doit à des causes physiques et morales que je vais vous développer avec cette franchise qui est plus nécessaire que jamais et qui eût toujours opéré le salut de la République, si tous les agents qui la servent l'eussent employée dans les comptes qu'ils rendaient, et si elle eût été toujours écoutée avec plus de complaisance que la flatterie mensongère.

Vous savez, citoyens représentants, dans quel état de désorganisation et de souffrance les armées dé la Belgique ont été mises par un ministre et par des bureaux qui ont conduit la France sur le penchant de sa ruine. Ce ministre et ces bureaux ont été changés, mais, bien loin d'être punis, Pache et Hassenfratz sont passés à la place importante de la mairie de Paris, et dès lors la capitale a vu se renouveler dans la rue des Lombards des scènes de sang et de carnage.

Je vous ai présenté, au mois de décembre, dans quatre mémoires, les griefs qu'il fallait redresser ; je vous ai indiqué les seuls moyens qui pouvaient faire cesser le mal et rendre à nos armées toute leur force ainsi qu'a la cause de la nation toute la justice qui doit être son caractère. Ces mémoires ont été écartés ; vous ne les connaissez pas faites-vous les représenter, vous y trouverez la prédiction de tout ce qui nous arrive ; vous y trouverez aussi le remède aux autres dangers qui nous environnent et qui menacent notre République naissante. Les armées de la Belgique, réunies dans le pays d'Aix-la-Chapelle et de Liège, y ont souffert tous les genres de besoin sans murmurer, mais en perdant continuellement, par les maladies, les escarmouches avec l'ennemi, l'abandon de quantité d'officiers et de soldats, plus de la moitié de leurs forces.

Ce n'est que depuis l'entrée du général Beurnonville dans le ministère qu'on commence a s'occuper de leur recrutement et de leurs besoins. Mais il y a si peu de temps, que nous éprouvons encore tout le fléau désorganisateur dont nous avons été les victimes. Telle était notre situation, lorsque le 1er février vous avez cru devoir à l'honneur de la nation la déclaration de guerre contre l'Angleterre et la Hollande. Dès lors, j'ai sacrifié tous mes chagrins, je n'ai plus pensé à ma démission que vous trouverez consignée dans mes quatre mémoires, je ne me suis occupé que des énormes dangers et du salut de ma patrie j'ai cherché à prévenir les ennemis, et cette armée souffrante a oublié tous ses maux pour attaquer la Hollande.

Pendant qu'avec de nouvelles troupes arrivées de France je prenais Bréda et Gertruydemberg, me préparant à pousser plus loin ces conquêtes, l'armée de la Belgique, conduite par des généraux remplis de courage et de civisme, entreprenait le bombardement de Maëstricht.

Tout manquait pour cette expédition le nouveau régime d'administration n'était pas encore établi ; l'ancien était vicieux et criminel on regorgeait de numéraire, mais les formes nouvelles qu'on avait mises à la trésorerie nationale empêchaient qu'aucune partie du service ne reçût d'argent.

Je ne puis pas encore entrer dans le détail des causes de l'échec qu'ont reçu nos armes, puisque je ne fais que d'arriver. Non-seulement elles ont abandonné l'espoir de prendre Maëstricht, mais elles ont reculé avec confusion et avec perte. Les magasins de toute espèce qu'on commençait à ramasser à Liège sont devenus la proie de l'ennemi, ainsi qu'une partie de l'artillerie de campagne et des bataillons. Cette retraite nous a attiré de nouveaux ennemis, et c'est ici que je vais développer les causes de nos maux.

Il a existé de tout temps, dans les événements humains, une récompense des vertus et une punition des vices. Les particuliers peuvent échapper à cette providence qu'on appellera comme on voudra, parce que ce sont des points imperceptibles. Mais parcourez l'histoire vous y verrez que les peuples n'y échappent jamais. Tant que notre cause a été juste, nous avons vaincu l'ennemi dès que l'avarice et l'injustice ont guidé nos pas, nous nous sommes détruits nous-mêmes, et nos ennemis en profitent.

On vous flatte, on vous trompe, je vais achever de déchirer le bandeau. On a fait éprouver aux Belges tous les genres de vexations ; on a violé à leur égard les droits sacrés de la liberté on a insulté avec impudence leurs opinions religieuses ; on a profané par un brigandage très-peu lucratif les instruments de leur culte. On vous a menti sur leur caractère et sur leurs intentions ; on a opéré la réunion du Hainaut à coups de sabre et à coups de fusil celle de Bruxelles a été faite par une vingtaine d'hommes qui ne pouvaient trouver d'existence que dans le trouble et par quelques hommes de sang qu'on a rassemblés pour intimider les citoyens. Parcourez l'histoire de la Belgique, vous trouverez que ce peuple est bon, franc, brave et impatient du joug. Le duc d'Albe, le plus cruel des satellites de Philippe Il, en a fait périr dix-huit mille par la main des bourreaux. Les Belges se sont vengés par trente ans de guerres civiles, et leur attachement à la religion de leurs pères a pu seul les faire rentrer sous le joug espagnol.

Vos finances étaient épuisées lorsque nous sommes entrés dans la Belgique ; votre numéraire avait disparu ou s'achetait au poids de Tor. Cambon, qui peut être un honnête citoyen, mais qui certainement est au-dessous de la confiance que vous lui avez témoignée pour la partie financière, n'a plus vu de remède que dans la possession des richesses de cette fertile contrée. Il vous a proposé le fatal décret du 15 décembre. Vous l'avez accepté unanimement, et cependant chacun de ceux d'entre vous, avec qui j'en ai parlé, m'a dit qu'il le désapprouvait, et que le décret était injuste. Un de mes quatre mémoires était dirigé contre le décret. On ne l'a pas lu à la Convention Le même Cambon a cherché 'a rendre mes remontrances odieuses et criminelles en disant à la tribune que j'apposais un veto sur le décret de l'Assemblée. Vous avez chargé vos commissaires de tenir la main à son exécution. D'après vos ordres, le pouvoir exécutif a envoyé au moins trente commissaires. Le choix en est très-mauvais, et à l'exception de quelques gens honnêtes qui sont peut-être regardés comme des citoyens douteux parce qu'ils cherchent à mitiger l'odieux de leurs fonctions, la plupart sont des insensés, des tyrans ou des hommes sans réflexion qu'un zèle brutal et insolent a conduits toujours au delà de leurs fonctions.

Les agents de la tyrannie ont été répandus sur la surface entière de la Belgique. Les commandants militaires, par obéissance au décret, ont été obligés d'employer, sur leur réquisition, les forces qui leur étaient confiées. Ces exacteurs ont achevé d'exaspérer l'âme des Belges. Dès lors, la terreur et peut-être la haine ont remplacé cette douce fraternité qui a accompagne nos premiers pas dans la Belgique. C'est au moment de nos revers que nos agents ont employé le plus d'injustice et de violence.

Vous avez été trompés sur la réunion à la France de plusieurs parties de la Belgique. Vous l'avez crue volontaire parce qu'on vous a menti. Dès lors vous avez cru pouvoir enlever le superflu de l'argenterie des églises pour subvenir sans doute aux frais de la guerre vous regardiez dès lors les Belges comme Français ; mais quand même ils l'eussent été, il eût encore fallu attendre que l'abandon de cet argenterie eût été un sacrifice volontaire sans quoi l'enlever par force devenait à leurs yeux un sacrilège. C'est ce qui vient d'arriver. Les prêtres et les moines ont profité de cet acte imprudent et ils nous ont regardés comme des brigands qui fuient ; partout les communautés .des villages s'arment contre nous. Ce n'est point ici une guerre d'aristocratie ; car notre révolution favorise les habitants des campagnes. C'est pour eux une guerre sacrée ; c'est pour nous une guerre criminelle. Nous sommes en ce moment environnés d'ennemis ; vous le verrez par les rapports que j'envoie au ministre de la guerre. Vous verrez en même temps les premières mesures que !a nécessité m'a forcé de prendre pour sauver l'armée française, l'honneur de la nation et la République elle-même.

Représentants de la nation, j'invoque votre probité et vos devoirs ; j'invoque les principes sacrés expliqués dans la déclaration des droits de l'homme, et j'attends avec impatience votre décision. En ce moment vous tenez dans vos mains le sort de l'empire je suis persuadé que la vérité et la vertu conduiront vos décisions et que vous ne souffrirez pas que vos armées soient souillées par le crime et en deviennent les victimes.

 

La lecture achevée, les commissaires essayent d'entamer une nouvelle discussion, mais Dumouriez y coupe court et prend congé de ses interlocuteurs. Ceux-ci regagnent aussitôt Bruxelles en s'entretenant avec autant de surprise que de douleur de la position que semble vouloir prendre vis-à-vis de la Convention le vainqueur de Valmy et de Jemmapes, le chef des deux armées réunies du Nord et de Belgique.

 

 

 



[1] La discussion sur cette loi importante se prolongea depuis le 7 jusqu'au 21 février. Elle se trouve éparse dans le Moniteur du n° 41 au n° 64.

[2] Aubry fut fidèle, en novembre 1794, au principe qu'il émettait en février 1793. Entré au Comité de salut public quelques mois après le 9 thermidor, il mit en disponibilité un grand nombre d'officiers, notamment Bonaparte, depuis peu promu au grade de général de brigade ; ce qui lui attira de la part du jeune vainqueur de Toulon la fameuse réponse On vieillit vite au feu ! Tous deux avaient raison : l'un de défendre en principe les vieux serviteurs de la patrie ; l'autre, les brillantes exceptions.

[3] La disposition de la loi qui accordait à l'ancienneté les deux tiers des places vacantes de généraux de brigade et de généraux de division ne fut jamais observée ; ce fut très-heureux pour l'armée, car ce mode de nomination aurait eu les conséquences les plus déplorables. En fait, le Conseil exécutif, ensuite le Comité de salut public, et plus tard le ministre de la guerre, firent toutes les nominations de généraux.

[4] Les contributions indirectes se composaient du produit des postes, des douanes, du timbre, de l'enregistrement, des messageries et des loteries — l'impôt du sel et du tabac ayant été aboli — elles produisaient 70.000.000. Les contributions directes se montaient à 150.000.000.

[5] Dans un autre passage de son rapport, Cambon disait : Si nous voulions dans ce moment contracter un emprunt, les gens à portefeuille, qui calculent sur la misère publique, nous diraient A qui voulez-vous que nous prêtions ? A la République française ? Nous ne la connaissons pas. II n'existe aucun gouvernement. Lorsque la Constitution sera terminée, si elle nous convient, nous verrons ce que nous aurons à faire.

[6] Voir tome V, livre XIX, § IX.

[7] Danton et ses collègues, dans le but de révolutionner de fond en comble la Belgique, avaient appelé dans ce malheureux pays des volontaires d'une espèce toute particulière. Ce ne sont pas précisément de nouveaux soldats que nous vous demandons, écrivaient-ils aux autorités des départements de la frontière du Nord, mais bien des patriotes déterminés à protéger efficacement les patriotes belges et à seconder vigoureusement nos opérations politiques. Comme il n'y avait pas de danger à affronter, mais des violences et des pillages à exercer impunément, ce ne furent pas naturellement les braves gens qui accoururent, mais les mauvais sujets de toute espèce. Ils arrivèrent coiffés de bonnets rouges, armés de piques, de couteaux ou de mauvais fusils. Dumouriez les accueillit fort mal et se hâta de les renvoyer dans leurs foyers ; mais il en resta assez pour former le noyau de l'armée révolutionnaire levée par Estienne avec la tolérance du général qui commandait à Bruxelles. Ce général était Moreton-Chabrillant qui, ayant à se venger d'injustices subies par lui sous l'ancien régime, s'était jeté à corps perdu dans le parti démagogique. La troupe d'Estienne prit la part la plus active aux violences exercées dans plusieurs villes à l'occasion des élections et plus tard au pillage des églises.

[8] Les principales villes qui protestèrent contre le décret du 15 décembre furent Bruxelles, Namur, Tournay, Louvain, Anvers, Malines, Gand, Bruges et. Ypres. L'œuvre de Cambon ne rencontra d'adhésion qu'à Liège, Mons et Charleroi.

L'avocat Balza avait été élu sous l'influence française, le 18 novembre, président de la municipalité de Bruxelles ; il s'était rendu à Paris, le 4 décembre, pour remercier la Convention d'avoir délivré la Belgique du joug autrichien, et cependant ce fut lui qui revint un mois plus tard à la tête d'une nombreuse députation pour solliciter de la même assemblée le rapport du décret du 15 décembre tant la réaction avait été rapide et profonde.

[9] Voir tome V, livre XIX, § X.

[10] C'est ce même Sta dont Dumouriez avait signalé les dilapidations au ministre de la guerre. Le club de Bruges le prenait sous sa protection comme avaient fait les jacobins de Bruxelles six semaines auparavant pour le fournisseur d'Espagne.

[11] Les commissaires envoyés en Belgique avaient d'abord été au nombre de quatre Danton, Lacroix, Camus et Gossuin, nommés par décret du 30 novembre. A la fin de janvier, Treilhard et Merlin (de Douai) ; à la fin de février, Robert, vinrent les rejoindre. Ce dernier avait adressé au président, de la Convention la lettre suivante, à laquelle nous avons déjà fait allusion lors du procès de Louis XVI :

Président, je suis né Liégeois ; le despotisme avait mis ma tète à prix ; les armées de la République française l'ont terrassé ; le tyran de la France n'est plus. Serait-ce manquer à mon devoir que d'aller revoir le pays où je suis né, que d'aller jouir un instant des embrassements paternels ? Président, je te prie de faire observer à mes collègues que depuis trois ans la tyrannie m'en a privé. Je demande à la Convention un congé de huit jours pour aller embrasser à Liège et mon père et la statue de la Liberté.

ROBERT, député de Paris.

Le 28 février de la République une et indivisible.

La Convention non-seulement accorda féconde que Robert demandait, mais encore l'adjoignit aux représentants du peuple en mission en Belgique ; il n'arriva, du reste, à Liège que pour être témoin de la prise de cette ville et de la fuite de ses amis.

[12] Le procès-verbal de cette séance nous a été conservé par l'un des principaux acteurs, Publicola Chaussard, qui, en transmettant la délibération de ses collègues au pouvoir exécutif, demandait qu'on leur envoyât de l'argent et des levées pour remuer de fond en comble la Belgique. Voir les Mémoires historiques et politiques de Chaussard, p. 437 et 472.

[13] Voir le rapport des citoyens Lacroix, Gossuin, Danton, Merlin (de Douai), Treilhard et Robert, membres de la Convention et nommés par elle commissaires près des armées et dans les pays de la Belgique et de Liège. On lit page 246 : Le sang aurait coulé si une grande force n'était venue contenir les malintentionnés. Page 251 : Bruxelles, Louvain, Deinze, Tirlemont et leurs dépendances ont été tour a tour gardés par des forces imposantes les jours que leurs habitants respectifs se sont assemblés. On lit également dans le Journal des débats et de la correspondance des Jacobins de Paris (séance du 13 mars 1793) l'aveu naïf d'un orateur qui s'exprime ainsi : La réunion à la République française n'a été votée que par les sans-culottes ; c'est par eux seuls qu'ont été décrétées les diverses incorporations.

[14] Nous ne voudrions pas être accusé d'apporter quelque exagération dans la peinture de cette étrange manière de recueillir les vœux d'une nation souveraine. Nous renvoyons donc nos lecteurs aux procès-verbaux officiels. Nous donnons à la fin du volume ceux des assemblées de Bruxelles et d'Ostende. Tous les autres ne présentent avec ceux-ci que des variantes insignifiantes.

Mons avait été la première ville appelée à émettre son vœu. Dans le Moniteur, n° 47, on trouve une lettre des commissaires de la Convention en Belgique, où on lit ce qui suit : L'assemblée des citoyens de Mons, convoquée par le général Ferrand, en exécution du décret du 31 janvier, vient de voter la réunion à la France. Des agents du parti vaincu de l'empereur et du parti expirant des prêtres.et des nobles ont voulu exciter des troubles dans le lieu de la séance, mais bientôt ils ont été forcés de se dérober à l'indignation des Belges. La présence du général a ramené le calme. Il est plus que vraisemblable que les coups de plat de sabre furent les arguments persuasifs dont se servirent les amis de la France pour manifester leur indignation. La manière dont on traita les opposants de Mons fut une leçon pour ceux des autres villes qui ne parurent pas au scrutin. Les documents officiels eux-mêmes laissent assez facilement comprendre que presque partout le nombre des abstentions fut très-considérable.

[15] Voir l'Histoire de la Révolution liégeoise de 1789 à 1795, par Adolphe Borgnet, chap. XXII et XXIII. Cet ouvrage, très-consciencieux, entre, à l'occasion de la réunion du pays de Liège à la France, dans des détails très-curieux.

[16] Moniteur, n° 10 ; Journal des débats et décrets, n° 113, p. 111.

[17] Voir ce que nous avons dit de Charles de Hesse, t. III, livre XIII, § IV.

[18] Voir au Moniteur n° 63 et 64, le décret du 2 mars, le rapport de Cambon et l'adresse aux Bataves rédigée par Barère.

[19] Deux jours après, Chepy était relaxé en vertu d'un' arrêté signé Camus, Gossuin, Merlin et Treilhard. (Voir le rapport des commissaires de la Convention, p. 140.) Ce républicain farouche survécut à la Terreur et devint sous l'Empire commissaire général de police à Brest.

[20] Depuis trois jours ce général avait remplacé le général Moreton dans le commandement de la place de Bruxelles. Après l'évacuation de cette ville, il vint à Lille occuper la même position. Nous l'y retrouverons bientôt.

[21] Une heure après, les pièces suivantes étaient affichées sur les murs de Bruxelles :

Proclamation.

Les sociétés patriotiques ne doivent servir qu'à l'instruction des peuples, ou aux actes de bienfaisance et de fraternité. Autant elles sont utiles en se renfermant dans ce principe, autant elles deviennent dangereuses en se mêlant des affaires politiques et militaires. En conséquence, il est défendu à tous les clubs patriotiques de s'immiscer aucunement dans les affaires publiques. Il est ordonné à tous les commandants militaires, administrateurs et magistrats, de tenir 'la main à cette défense, et, si un club se permet un arrêté qui la contredise, il est ordonné de faire fermer le lieu de l'assemblée et d'en rendre responsables personnellement le président et le secrétaire dudit club. Cette défense sera imprimée dans les deux langues, publiée et affichée.

A Bruxelles, le 11 mars 1793, an 2e de la République.

Le général en chef, DUMOURIEZ.

 

Ordre.

L'intention de la nation française et des représentants de la République, en entrant dans les Pays-Bas, n'a jamais été d'y apporter le brigandage et la profanation ; cependant ils s'y sont exercés par des agents du pouvoir exécutif de la République française avec une tyrannie qui déshonore les Français et qui met les Belges au désespoir. Ils se sont permis de s'emparer de l'argenterie des églises. Ce trait de l'avarice la plus sordide doit être réprimé, pour prouver à tous les peuples que nous respectons les opinions religieuses, et que la justice et la droiture sont le caractère essentiel de la nation française, qui, en conquérant sa liberté, doit avoir acquis de nouvelles vertus et ne doit employer ses armes que pour la justice.

En conséquence, voulant réparer le tort que nous a fait dans l'esprit des Belges l'indiscrétion sacrilège des agents qui ont fait enlever l'argenterie des églises, j'ordonne, au nom de la République française, de la religion et de l'équité, que toute l'argenterie des églises soit restituée et rétablie dans les différents lieux d'où elle a été enlevée ; j'ordonne a tous les commandants militaires français et à tous les administrateurs civils librement élus par le peuple beige, de tenir la main à l'exécution du présent ordre, qui ramènera les Belges à fa juste opinion qu'ils doivent prendre de la Convention nationale, de la nation française et des agents politiques et militaires, qu'elle n'a envoyés dans la Belgique que pour assurer la liberté et le bonheur du peuple.

A Bruxelles, le 11 mars 1793, an 2e de la République.

Le général en chef, DUMOURIEZ.