La première en date de ces protestations est celle de la section des Gardes françaises, ci-devant de l'Oratoire. Section des Gardes françaises. Séance du 18 décembre 1792. Sur la motion d'un citoyen, il a été pris l'arrêté suivant, que les citoyens Boursier et Bertrand ont été invités de communiquer au corps municipal : Quand il faut agir, nous ne
pouvons faire de phrases. Vous connaissez le décret qui bannit du territoire
de la République les citoyens de la famille des Bourbons qui sont restés au
sein de leurs amis. Ce décret alarme tous les bons citoyens. Ils ne peuvent
vous peindre que ce que vous sentez vous-mêmes, nos expressions seraient trop
faibles ; nous nous bornerons à demander que la municipalité de Paris se
présente demain matin à la Convention nationale pour solliciter le rapport du
décret. Le susdit arrêté a été aussi communiqué aux quarante-sept autres sections, par des commissaires nommés ad hoc. Sur le rapport fait par les deux citoyens Boursier et Bertrand de. leur mission auprès de la Commune, il a été arrêté que, sur le refus du maire d'admettre la députation, ils seraient invités à s'y transporter de nouveau, ce qu'ils ont fait à la grande satisfaction de leurs concitoyens. La protestation de la section des Piques, ci-devant de la place Vendôme, parait due à une plume plus exercée et plus habile. Section des Piques. Séance du 18 décembre 1792. L'assemblée, délibérant sur la question du bannissement du citoyen Égalité, ajournée par la Convention nationale, attendu qu'il est représentant du peuple ; Considérant : 1° Que toutes les lois doivent être fondées sur les bases immuables de la raison et de la justice, et non sur l'exemple de tel ou tel peuple alors ignorant et barbare ; que les lois devraient être le résultat des réflexions et des méditations, et non la suite des mouvements de l'enthousiasme et des prestiges de l'éloquence ; qu'il conviendrait qu'avant d'être rendues elles fussent discutées à plusieurs reprises, avec d'autant plus d'attention et de sang-froid qu'elles seraient importantes ; 2° Que le décret, qui ordonne le bannissement de la famille des Bourbons hors du territoire de la République française, étant contraire aux droits naturels et imprescriptibles de l'homme et du citoyen et tendant à détruire toute association politique, il forme un acte de souveraineté tellement imposant qu'il parait ne pouvoir être justifié aux yeux de l'Europe, que par le salut du peuple clairement démontré ; 3° Que, chez une nation qui a déclaré que les droits de l'homme sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l'oppression, que nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée, il est inouï que, sans aucun délit constaté, sans aucun jugement préalable, sans s'être assurée de l'assentiment général nécessaire pour constituer la loi, la Convention nationale, après une discussion très-orageuse pendant quelques heures, ait prononcé le bannissement d'une famille entière parce qu'elle est celle du ci-devant roi, qu'elle n'a point encore jugé ; que les individus de cette famille qui ont fait les plus grands sacrifices pour la cause de la liberté, ceux mêmes qui ont exposé leurs jours pour sa défense et qui ont contribué aux triomphes de nos armées, soient regardés comme d'autant plus suspects qu'ils ont bien mérité de la patrie ; qu'enfin il soit nécessaire de confondre les innocents avec ceux qui pourraient être coupables, et d'enlever au peuple celui qu'il a nommé deux fois son représentant ; 4° Qu'il semblerait que cet exemple, si mal à propos proposé et si fidèlement suivi, du bannissement de la famille de Tarquin après l'expulsion de ce tyran, serait une manière adroite d'insinuer au peuple français qu'il faut chasser le dernier des rois et non en tirer justice par un jugement éclatant et sévère ; que c'est insulter en quelque sorte à l'énergie et au patriotisme du peuple que de croire que la présence de quelques individus de la famille du ci-devant roi puissent un jour le faire revenir sur sa résolution irrévocable d'abolir la royauté en France ; 5° Qu'il est étrange qu'une nation, qui veut avec raison que le frère d'un assassin frappé par la main du bourreau ne soit point déshonoré, bannisse la portion innocente de la famille du ci-devant roi, sur la tête duquel le glaive de la loi reste encore suspendu ; 6° Que, loin de voir dans cette loi une mesure de sûreté générale, on n'y trouve qu'une disposition à une persécution continuelle et sans bornes ; car la liberté et le régime républicain multiplieront le nombre des particuliers qui, par leurs talents, leurs vertus, leurs exploits, les hautes places qu'ils auront remplies avec intégrité et distinction, acquerront une grande considération ; dans la crainte qu'ils ne veuillent s'arroger le pouvoir suprême, il faudra donc les bannir eux et leurs familles ; Par le bannissement actuel de la famille des Bourbons la France éprouve la perte d'un revenu considérable, qui sera consommé à l'étranger, et un grand nombre de familles sont absolument ruinées ; 7° Que la loi n'étant autre chose que l'expression de la volonté générale, le premier acte de la Convention nationale a été de déclarer que toutes les lois seraient sanctionnées par le peuple et principalement celles constitutionnelles ; or, rien n'appartient plus à la Constitution que de déterminer si le Corps législatif, sans aucun délit constaté, sans aucun jugement préalable, aura le droit de bannir de la nation telle ou telle famille, tel ou tel individu, enfin s'il pourra expulser de son sein un représentant élu par le peuple ; D'après ces considérations, l'assemblée arrête qu'elle emploiera tous les moyens qui sont en son pouvoir pour faire présenter au plus tôt à la Convention nationale une pétition revêtue du plus grand nombre possible de signatures, dans laquelle, étant exposé que la question du bannissement de telle ou telle famille, de tel ou tel individu, sans aucun délit constaté, sans aucun jugement préalable, tenant à l'état des citoyens, doit faire un article essentiel de la Constitution, il sera demandé que la Convention nationale suspende l'exécution de son décret portant le bannissement de la famille des Bourbons hors du territoire de la République française jusqu'à ce que la Constitution ait été sanctionnée par le peuple, et que provisoirement elle garde dans son sein le citoyen Égalité, attendu que le corps dont il est membre ne peut le dépouiller arbitrairement de ses augustes fonctions de représentant du peuple, et que lorsqu'un corps est investi de tous les pouvoirs, la plus faible atteinte à l'intégrité de la représentation serait le signal de la tyrannie, comme le plus léger attentat à l'inviolabilité de ses membres serait celui de l'anarchie. L'assemblée arrête en outre que le présent arrêté sera imprimé et communiqué aux quarante-sept autres sections, avec invitation de délibérer s'il ne conviendrait pas mieux de demander le rapport du décret. TERNOIS, président, MOUTONNET, secrétaire. Comme on l'a vu par la délibération de la section des Gardes françaises, le maire Chambon avait refusé d'admettre les députations de cette section au sein du conseil général : mais ce conseil n'en prit pas moins, dans la soirée du 18, l'arrêté suivant : Le conseil arrête qu'il restera en permanence pour s'occuper de la demande du rapport du décret de la Convention nationale du 16 décembre. Il nomme ensuite les citoyens Hébert et Arbeltier pour concourir à la rédaction de l'adresse que les sections désirent présenter à la Convention nationale, pour l'inviter à retirer le décret en question. Le conseil général de la Commune, ayant reçu les arrêtés de dix-sept sections pour aller à la Convention nationale demander le rapport du décret du 16 décembre, qui ordonne que tous les membres de la famille des Bourbons seront tenus de sortir dans trois jours du département de Paris et dans huit du territoire français, excepté ceux qui sont au Temple ; Considérant que, dans les circonstances où les droits de l'homme sont violés, où les bons citoyens sont menacés d'un exil injuste, tous les citoyens de la Commune doivent émettre leur vœu et prendre des mesures énergiques pour la défense de la liberté, de l'égalité, et pour la sûreté des personnes et des propriétés ; Le procureur de la Commune entendu. Le conseil général convoque pour demain 19, huit heures du matin, les quarante-huit sections pour délibérer sur la pétition de la section des Gardes françaises, tendant à demander le rapport du décret du 16 décembre, avec invitation de faire passer avant midi leurs arrêtés au conseil général permanent. En conséquence de cette convocation, l'adresse dont la teneur suit, fut adoptée, dans la matinée du 19 décembre, par les délégués des 48 sections : Mandataires du souverain, nous avons aboli la royauté, mais ce n'est pas pour laisser la secrète faculté de s'en disputer les débris ; nous avons anéanti les rois, mais nous ne l'avons fait que pour conserver les droits de l'homme. Vous avez adopté l'ostracisme, mais est-il sanctionné par le peuple ? Vous voulez imiter les peuples de l'antiquité. A Athènes, l'ostracisme était établi, mais Athènes n'était qu'une petite république. La France forme une république qui, pour être immense, n'en veut pas moins l'unité de gouvernement. A Athènes, le peuple gouvernait en quelque sorte par lui-même ; en France, il gouverne par des représentants. Athènes, petite, craignait la prépondérance d'un individu ; on lui donnait en l'exilant plus de poids encore qu'il n'en avait. Athènes voulait par cette loi conserver la liberté et l'égalité. Cette loi admise en France renverserait les droits de l'homme et détruirait l'égalité. Nous ne savions pas qu'il existait encore parmi nous des Bourbons autres que ceux qui sont au Temple ; votre décret vient de nous l'apprendre. Vous n'avez encore rien fait pour la Constitution, cette Constitution qui doit assurer parmi nous la liberté, l'égalité, et déjà vous paraissez préjuger la chute d'un édifice dont la première pierre n'est pas encore posée. Si vous avez décrété que le peuple, dans ses assemblées primaires, sanctionnerait la Constitution qu'il vous a chargés de lui présenter, pourquoi donc prenez-vous des mesures provisoires qui, dans le principe, ne doivent et ne peuvent être que constitutionnelles ? Que va dire l'Europe, que dira la postérité, quand, dans une seule séance, au milieu des orages amoncelés de toutes parts, vous portez un pareil décret ? Craindriez-vous les restes d'une famille ? croyez-vous qu'ils soient plus à craindre à présent que nous sommes plus forts et de nos décrets et de nos principes ? Nous ne vous parlerons pas des dangers qui s'accumuleraient sur la tête des proscrits, nous n'avons plus qu'un mot. L'ostracisme, chez nous, serait une peine, toute peine suppose un délit. Législateurs, où donc est le délit ? Nous vous demandons le rapport du décret du 16 décembre. Cette adresse ne put être présentée, par suite du refus fait par l'Assemblée de recevoir le maire et la députation qui l'escortait, ainsi que nous l'avons raconté, livre XXII, § V. Chambon fut le soir même appelé à la barre de la Convention pour donner des explications sur les désordres qui avaient eu lieu aux abords de l'Assemblée. Nous donnons le procès-verbal de la séance du conseil général qui contient le récit officiel ces deux incidents. Le conseil général, assemblé en la forme ordinaire et présidé par le citoyen Chambon, maire, a ouvert sa séance à six heures du soir. Le conseil général et les commissaires des quarante-huit sections de Paris, après avoir entendu la rédaction de l'adresse à la Convention nationale pour le rapport du décret qui prononce l'ostracisme, se lèvent par un mouvement unanime et se mettent en marche, le maire à leur tête, pour la présenter à la Convention. La députation, arrivée aux couloirs de l'Assemblée conventionnelle, attend pendant longtemps que l'on veuille bien l'admettre pour lire son adresse. Après cet intervalle, l'Assemblée passe à l'ordre du jour sur l'admission de la députation. Plusieurs députés de la Convention engagent, au nom de la République, les différents membres de la députation à se retirer pour ne pas donner matière à la calomnie, qui s'acharne continuellement sur le peuple de Paris ; aussitôt la députation se retire à la maison commune. Réunis en conseil général, le substitut du procureur de la Commune obtient la parole et dit : Que la voix du peuple souverain a été étouffée, qu'on a refusé d'entendre ses justes réclamations, fondées suries droits de l'homme. Un membre demande la parole et plusieurs autres après lui ; ils exposent l'outrage qu'ont reçu les députés des sections ; ils se résument à demander qu'il soit fait une adresse aux quatre-vingt-quatre départements et demandent en même temps l'impression du procès-verbal de la journée, pour faire connaître que les droits sacrés du peuple et surtout le droit imprescriptible de réclamation ont été foulés aux pieds. A l'instant même, le maire prend la parole et annonce qu'il reçoit un décret dont il donne lecture ; il est conçu en ces termes : La Convention nationale
décrète qu'elle appelle le maire de Paris à la barre, pour lui faire part des
motifs qui l'ont amené à la tête des commissaires des quarante-huit sections. Le maire déclare qu'il va se rendre à la Convention. De retour, le maire a dit : Arrivés ce matin dans la
pièce destinée aux pétitionnaires qui attendent le moment d'être admis à la
barre de la Convention nationale, le citoyen Tallien nous a fait prévenir
qu'il allait se rendre près de nous pour nous donner quelques avis sur la
démarche que nous nous proposions de faire auprès de la Convention nationale,
il nous a rejoints, et, m'adressant la parole, il m'a prévenu que notre vœu
serait rempli, parce qu'il croyait que le décret serait rapporté aujourd'hui
; qu'il nous conseillait de nous désister de notre projet, de crainte qu'on
ne répandit dans le public que la Convention avait été influencée. J'ai
répondu, peut-être avec plus de fermeté qu'il ne s'y était attendu, que son
invitation ne devait point changer une détermination qui était la suite du
vœu exprimé des sections ; que, d'ailleurs, je ne devais, ni ne voulais faire
dépendre de son avis la conduite que mes concitoyens tenaient en cette
occasion ; que, destiné par mes devoirs à l'honneur de me présenter avec eux
à l'Assemblée, son invitation n'apporterait aucun changement à ma résolution.
Il a ajouté que si, dans le moment même, le rapport du décret avait lieu, il
se persuadait que je n'insisterais plus à être entendu. J'ai dit que cette
raison ne pouvait pas m'empêcher de continuer ma sollicitation pour être
admis, parce que je ne venais exprimer que l'intention de mes concitoyens c
qui auraient droit de m'accuser de n'avoir pas rempli mes devoirs ; que par
conséquent aucun des motifs qu'il m'alléguait ne pouvait mettre obstacle à la
simple énonciation d'un vœu exprimé conformément à la loi. Je lui ai demandé
d'ailleurs s'il pensait qu'un magistrat pût prendre un parti sur la simple
assertion d'un homme qui ne pouvait pas être sûr de ce qu'il avançait. Et j'ai
terminé cette conversation en l'engageant à se persuader que mon devoir
consistait à être l'organe de mes concitoyens, que je ne me départirais pas
de cet honneur qui m'était imposé par les lois. Tel est à peu près, et autant que la mémoire puisse me le rappeler, ce qui s'est passé entre nous. Mes collègues savent comme moi les discussions qui ont eu lieu à notre retour à la maison commune. Au moment où j'ai reçu le décret de la Convention nationale, nous avons cessé la discussion. Admis à la barre, le président de la Convention nationale m'a demandé des instructions sur les motifs qui avaient déterminé l'adresse que nous voulions présenter ; j'ai répondu que les citoyens de Paris, inquiets sur les suites d'un décret dans lequel ils apercevaient une lésion manifeste des droits de l'homme, et des suites que cette loi pouvait entraîner, se sont rassemblés dans un même esprit et dans toutes les sections à la fois pour faire entendre leurs réclamations à ce sujet ; que les citoyens avaient, aux termes de la loi, le droit de se réunir dans leurs sections, quand le président en était requis par un nombre suffisant, et que le désir de plusieurs sections pour demander une convocation générale devenait une loi pour la municipalité de convoquer les sections ; que, d'après ces principes, j'avais dû présider la réunion des commissaires des sections et me présenter à leur tête ; il n'a pas paru que cette explication, dont je donne ici le sommaire, satisfit la Convention nationale ; j'ai entendu dire autour de moi que j'avais été inculpé d'avoir engagé les sections à se réunir pour émettre leurs opinions sur ce décret. Pétion a été invité à reproduire la motion qu'il avait faite de me mander à la Convention pour donner des éclaircissements sur ce fait, en ajoutant que ce n'était point un interrogatoire qu'on avait prétendu faire subir au premier magistrat de Paris, mais un récit nécessaire de ce qui s'était passé pour éclaircir les doutes des membres de la Convention ; Garran-Coulon a attesté la même résolution de l'Assemblée, qui a été également exprimée par ses membres ; je dois même dire, si j'ai un exact souvenir des faits, que le président, au nom de la Convention, a dit que l'Assemblée n'entendait pas faire éprouver cette démarche désagréable au maire de Paris, mais lui demander des renseignements sûr ce qui s'était passé. J'ai répété en partie ce que j'avais déjà énoncé sur la réunion des commissaires, en prouvant par les circonstances mêmes qui avaient accompagné les députations des différentes sections au conseil général qu'il était impossible que je fusse instruit plus tôt de l'objet de leur arrêté apporté à la Commune. Ce récit, accompagné de quelques questions du citoyen président de la Convention nationale relativement au même sujet, et mes réponses à ces questions ont satisfait l'Assemblée, qui, par son président, a invité le maire aux honneurs de la séance avec des expressions d'estime. On conçoit qu'épuisé par
une occupation de chaque jour et par la fatigue non interrompue que j'avais
éprouvée dans tout le cours de la journée, il m'est impossible de rendre un compte
exact et bien détaillé de tout ce qui s'est passé, mais j'ai apporté dans mon
énoncé et dans mes réponses toute la dignité que les habitants de Paris, mes
concitoyens, ont le droit d'attendre d'un. magistrat qu'ils ont honoré de
leur choix. A la maison commune, le 19
décembre, l'an Ier de la République, CHAMBON, maire de Paris. L'assemblée générale applaudit au discours de son premier magistrat ; plusieurs membres réitèrent la demande de l'impression du procès-verbal, de l'adresse des sections et du récit du maire. Le conseil général, considérant combien il importe que ses mandataires soient instruits du zèle civique qu'il met dans l'exécution de ses mandats, et sachant donner à tous ses concitoyens une preuve de ses sentiments républicains : Arrête l'impression, l'affiche et l'envoi aux quarante-huit sections de tous les objets mentionnés ci-dessus, CHAMBON, maire, COULOMBEAU, secrétaire-greffier. La révocation du décret du 16 décembre donna lieu à un grand nombre d'articles de journaux, d'affiches et de discours prononcés aux Jacobins et aux autres sociétés populaires ; nous citerons des passages de deux de ces documents. Une affiche placardée sur les murs de Paris et signée par Tallien, commençait ainsi : 23 décembre 1792. Tallien à ses concitoyens. Ils sont enfin découverts, ces projets criminels tramés depuis si longtemps dans les boudoirs de la rue Neuve des petits champs, et au milieu des agitations, de l'intrigue et de la corruption. S'il restait encore quelques doutes aux hommes peu faciles à persuader, les événements qui viennent de se passer devraient entièrement ouvrir leurs yeux. La séance mémorable du 16 de ce mois doit désormais servir de thermomètre à tous les vrais amis de la liberté : ils y verront, d'un côté, Buzot et Louvet, les commensaux de Roland, arrivant dans l'Assemblée, avec des discours assez astucieusement préparés pour entraîner la majorité de la Convention nationale. De l'autre, ils y verront cent patriotes au plus, retranchés sur cette Montagne où ils entretiennent toujours brûlant le feu sacré de l'amour de la patrie, luttant avec courage contre les efforts des ennemis de la liberté, et parvenant enfin, sinon à remporter une victoire complète, du moins à faire triompher les principes et à empêcher la violation sacrilège de la souveraineté nationale. Le décret proposé contre la famille ci-devant royale, n'était qu'un moyen adroitement trouvé pour parvenir à attaquer la représentation nationale, en éloignant un député qui avait le malheur d'être né Bourbon. Je ne vois dans les propositions de Louvet et de Buzot que le dessein bien formel d'exclure successivement du sein de la Convention nationale tous les membres connus par leur patriotisme ; aujourd'hui on chassait Égalité ; demain, sous le vain prétexte d'une autre mesure de sûreté générale, on aurait chassé les soixante ou quatre-vingts membres qui, par leur courageuse énergie et leur imperturbable attachement aux principes, déplaisent beaucoup à toute la faction brissotine. Le discours que Camille Desmoulins avait préparé pour la circonstance et qu'il vint lire aux Jacobins, se terminait ainsi : Je rappelle la Convention à la reconnaissance, à la justice, à la pudeur, à la crainte d'une ignominie éternelle, si elle poursuivait Philippe Égalité plus qu'elle n'a fait du traître Lafayette, si, au lien de leur châtiment, elle préparait des jouissances à ce Charles IX et à cette Médicis, si elle rendait ce jugement dont le seul projet a couvert d'infamie le Châtelet. Ce discours, dont les Jacobins votèrent l'impression, se trouve au n° 146 du Journal des débats et décrets de la société des Jacobins. Dans plusieurs localités habitées par des membres de la famille royale, il y eut aussi des manifestations très-vives contre le décret d'expulsion. La duchesse de Bourbon qui s'était retirée à Petit-Bourg, ayant voulu partir, les habitants démontèrent sa voiture et braquèrent des canons devant sa porte. Les habitants d'Anet s'opposèrent également au départ du duc de Penthièvre, beau-père de l'infortunée princesse de Lamballe ; ils déclarèrent qu'on les hacherait plutôt que de le leur enlever. |