HISTOIRE LA TERREUR 1792-1794

NOTES, ÉCLAIRCISSEMENTS ET PIÈCES INÉDITES

 

I. — LEPRÉVOST DE BEAUMONT, RÉVÉLATEUR DU PACTE DE FAMINE.

 

 

Le pacte de famine a-t-il jamais existé ? C'est là un problème historique qu'il ne nous appartient pas de trancher d'une manière définitive ; car pour cela il faudrait nous livrer à l'étude approfondie de tout le système économique et financier de l'administration française pendant les soixante années qui précédèrent la Révolution française. Nous nous contenterons d'exhumer de la poussière des archives quelques documents nouveaux qui font connaître ce qu'était en réalité celui qui dénonça ce pacte, homme digne de fort peu de considération et dont cependant certains romanciers ont voulu faire un héros légendaire.

Il s'appelait Jean-Charles-Guillaume Leprévost de Beaumont et était né à Beaumont-le-Roger (Normandie). Il avait été homme de lettres, puis secrétaire du clergé. Dans les nombreux écrits qu'il publia en 1789[1], il prétendit avoir été emprisonné pendant vingt ans à la Bastille, et dans cinq autres prisons, pour avoir voulu dénoncer au parlement de Rouen un pacte secret dont le but était d'affamer la France entière.

Ce pacte, selon lui[2], avait existé depuis 1729 jusqu'en juillet 1789. Il livrait la France à quatre millionnaires chargés d'établir méthodiquement des disettes, à l'effet d'entretenir la cherté en tout temps, particulièrement dans les années de médiocre récolte.

Cette ligue avait sous ses ordres une armée d'ouvriers incendiaires, commissionnaires, acheteurs, entreposeurs, garde-magasins, inspecteurs ambulants, blatiers, batteurs, vanneurs, cribleurs en grange, voituriers, gardes des greniers domaniaux dans lesquels s'amoncelaient tous les ans les grains et farines dits du roi.

Cette ligue se composait des contrôleurs généraux des finances, des ministres, de leurs premiers commis, des lieutenants de police, des intendants de finance, des intendants de province, des intendants du commerce, des gouverneurs des provinces, des gouverneurs des geôles d'État, auxquels était associée une partie de la grand'chambre du parlement de Paris. Quatre intendants de finance prenaient en département chacun neuf provinces pour les ravager, et tenaient correspondance continuelle avec les intendants provinciaux, qui donnaient au mois d'avril l'aperçu des récoltes dans leurs généralités.

Tous les ans, au mois de novembre, les chefs de la ligue dressaient des états de répartition et d'émargement pour distribuer aux conjurés ligués, ainsi qu'aux associés et croupiers, la part du bénéfice que l'entreprise avait pu faire dans l'année sur le monopole des blés et farines du roi. Ces comptes, ces registres, ces papiers immenses des travaux de la ligue étaient ensuite déposés à la Bastille dans le chartrier où était autrefois tenu par Sully le trésor de Henri IV,

Les pièces originales, qui constataient ce pacte et qui étaient revêtues des signatures des principaux intéressés, avaient été remises en 1768 à Leprévost de Beaumont par un ami. Il en fit plusieurs copies, et voulut en faire parvenir une au parlement de Rouen, le seul dont les membres ne fussent pas complices du pacte. Il chargea de ce soin un autre de ses amis ; mais, pour épargner des frais de port, celui-ci confia le paquet cacheté au conseiller du parlement de Paris qui correspondait habituellement avec celui de Rouen. On eut des soupçons ; on ouvrit le pli et l'on trouva la dénonciation avec les pièces à l'appui. Leprévost fut arrêté, ses papiers saisis ; lors de sa délivrance après vingt-trois ans de captivité, il ne put les recouvrer. C'est de mémoire seulement qu'il donna les renseignements consignés dans les nombreux écrits qu'il publia après 1789.

 

Nous n'avons pas besoin de relever une à une toutes les invraisemblances d'un pareil récit ; non que nous ayons la pensée d'affirmer que, pendant tout le XVIIIe siècle, il n'y ait pas eu d'agiotage sur les blés, que certains traitants n'aient pas pu s'entendre avec certaines gens en place, pour obtenir que ceux-ci fermassent les yeux sur les coupables manœuvres de ceux-là ; cela s'est vu bien souvent, cela se voit surtout aux époques d'arbitraire et de corruption. Le long règne de Louis XV est, dans nos annales, l'un de ceux où ces détestables fruits du despotisme se sont produits avec le plus d'éclat et le plus d'ensemble. Le maître donnait l'exemple, et cet exemple était suivi par tous ceux qui l'approchaient ; aussi, admettrons-nous sans grande difficulté que le monarque, prodigue des deniers de l'État, avare des siens propres, ait, comme on l'en a accusé plusieurs fois, grossi son épargne particulière des bénéfices que quelques maltôtiers, qui avaient besoin de son appui, lui offrirent pour protéger en sous-main leur honteux trafic. Mais ces pratiques ont-elles jamais eu la généralité et la puissance dont parle le dénonciateur du pacte de famine ? Ont-elles pu continuer un instant sous le règne de Louis XVI, le roi honnête homme ? Ont-elles pu avoir pour complice le vertueux Malesherbes que Leprévost de Beaumont a incriminé plusieurs fois nominativement dans ses mémoires ? C'est ce qu'on ne croira jamais. La réfutation, point par point, des étranges assertions de Leprévost de Beaumont nous mènerait beaucoup trop loin. Il nous parait préférable de montrer par des preuves irrécusables le peu de cas que firent et du dénonciateur et de ses dénonciations ceux qui avaient le plus d'intérêt à mettre en lumière les déprédations de l'ancien régime, à glorifier comme un héros l'homme qui prétendait avoir payé de plus de vingt années de captivité le courage qu'il avait déployé en essayant de briser la ligue des affameurs du peuple. Ces preuves, ce sont les lettres mêmes de Leprévost de Beaumont qui nous les fourniront. Nous les donnerons sans commentaires et par ordre de date. En les lisant, on ne sera pas peu étonné de voir le révélateur du pacte de famine, le martyr de la Bastille, jouer auprès des assemblées révolutionnaires le rôle de solliciteur besogneux et toujours éconduit.

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A M. Jean-P. Blanchon, député à l'Assemblée législative.

 

Monsieur,

Mon affaire ayant été renvoyée hier au Comité des lettres de cachet, j'ai voulu commencer à le connaître ce matin, et rien ne m'a plus surpris que d'apprendre que le bureau n'est point monté, qu'il est fermé, que les quatre membres n'y ont point encore travaillé, qu'il ne s'y trouve quelquefois qu'un ancien commis de l'Assemblée constituante, que les pièces en ont été emportées par M. Lecamus, sous prétexte de les garder. Voilà les affaires du public bien en sûreté dans les mains d'un membre ministériel pour anéantir toutes celles qu'il voudra. ll faut pourtant bien vite les retirer, prendre son affirmation de n'en retenir aucune, et l'en décharger s'il les rend. Vous avez été nommé, monsieur, pour le retrait avec M. Baudin ; mais votre collègue a le transport au cerveau depuis trois jours, sa maladie peut être longue ; en ce cas daignez vous faire donner un autre adjoint ; demandez aussi quatre commis de bureau pour préparer et mettre les affaires en état d'être rapportées à tour d'ancienneté. Proposez-moi de les disposer en qualité de premier commis du Comité, et je vous assure qu'il ne se passera pas de semaine qu'il n'en soit expédié plusieurs en bon état de rapport, et qu'il n'en restera pas à la fin de l'Assemblée actuelle. Je suis la principale des victimes d'État, mais, comme partie, c'est à MM. les commissaires à rédiger le rapport de l'affaire qui me regarde sur toutes les pièces que je produirai. Au lieu de quatre membres du Comité, on eût dû en nommer huit, eu égard à la quantité d'affaires qui sont à expédier. Ceux établis par l'Assemblée constituante n'en ont pas expédié une seule ; ils ne sont pas même venus reconnaître leur bureau. Le fameux Mirabeau n'y est jamais entré. Jugez de la formation de ce Comité. Les autres de l'Assemblée constituante ne faisaient rien non plus pour le public, et tous ne s'occupaient dans les derniers temps qu'à augmenter la puissance du roi et à altérer les décrets constitutionnels. On prodiguait les fonds de la nation à des intrigants astucieux, auxquels il n'était rien dû, de préférence aux malheureuses victimes d'État qu'on n'écoutait pas. Le public indigné s'est refroidi et maudissait sur la fin ce qu'il avait tant admiré. Il-est bien important pour la seconde Législature de montrer de l'énergie contre le pouvoir exécutif : ce sera toujours la force du peuple qui soutiendra les assemblées, quand il se verra lui-même soutenu d'elles. — On ne peut être, monsieur, avec plus de dévouement fraternel que je suis,

LEPRÉVOST DE BEAUMONT.

Le 20 octobre 1791, cloître de Saint-Germain-l'Auxerrois, à côté de l'ancien presbytère.

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A l'Assemblée nationale.

 

Législateurs,

C'est votre décision que je sollicite auprès de vous avant que vous vous retiriez, et que le procès soit fait au ci-devant roi, qui m'oblige à revenir toujours par pétition d'urgence[3]. Daignez, messieurs, ordonner à M. Rever de vous lire le petit travail qu'il a fait depuis huit mois, en faveur des victimes du pouvoir arbitraire ; c'est l'affaire de quatre à cinq minutes qui vous mettront en état de prononcer sur la réclamation que je fais depuis trois ans. Le fond de ma cause regarde la nation entière ; mais la victime qui ne demande qu'à l'auteur de ses maux, n'est point satisfaite, et elle vous supplie de décréter son sort dans votre justice et votre sagesse.

J.-C.-G. LEPRÉVOST DE BEAUMONT, prisonnier d'État dans cinq prisons, durant vingt-trois ans, pour avoir découvert et dénoncé cinq pactes de famine renouvelés de douze ans en douze ans, depuis 1729 à 1789, qui ont été exécutés par Louis XV et Louis XVI contre tous les Français.

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Législateurs,

Par décret du 13 décembre 1790 l'Assemblée constituante a reconnu et déclaré que tout citoyen qui a bien mérité de la patrie et servi la nation, qui a pour elle sacrifié son intérêt particulier ou qui souffre les tyrannies sourdes du despotisme par des considérations, des pertes et des malheurs inévitables, avait droit de prétendre aux bienfaits de la nation, et l'Assemblée constituante, considérant, par principe d'équité, qu'une juste indemnité leur est due, a indemnisé sur-le-champ les sieurs Debacque frères, Chapellon et Touchard, armateurs d'un navire à eux pris par les Algériens ; vous avez vous-mêmes, messieurs, décrété 300.000 livres de provisoire pour les habitants d'un faubourg de Courtray qu'avait incendié l'un des aides de camp du traître fugitif Lafayette, nommé Jarry.

A bien plus forte raison accorderez-vous un sort à des Français connus des meilleures patriotes, qui, comme moi, ont combattu les despotes et dénoncé les manœuvres tyranniques des rois et de tous leurs ministres, accoutumés jusqu'alors de faire naître onze cruelles famines générales dans les provinces du royaume depuis 1729 jusqu'en 1789. Ces famines, durant soixante ans, n'ont cessé de provoquer la Révolution actuelle, qui, par un bonheur que je n'espérais plus, m'a rendu tout nu à la vie et à la liberté.

Actuellement et depuis trois ans je ne subsiste péniblement que par la générosité de plusieurs compatriotes. Par nombre de pétitions, je sollicite les assemblées nationales, et je produis des preuves insurmontables ; le rapport est imprimé et vous est distribué, il ne faut plus qu'un moment ; daignez donc opiner et décider de mon sort. Ce sera finir vos séances par un acte d'humanité et de justice.

LEPRÉVOST DE BEAUMONT.

Ce 19 septembre 1792.

 

Deux mentions en marge font connaître que cette lettre fut lue à l'Assemblée nationale et que l'ordre du jour fut adopté.

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Monsieur le président,

Ma cause, qui est aussi celle de l'État, est en état et à l'ordre du jour. Le rapport, par la volonté de l'Assemblée, est imprimé et distribué à tous MM. les députés depuis cinq à six jours. La misère, qui me poignarde de plus en plus pour subsister depuis trois ans, me fait vous conjurer de mettre ma cause aux voix pour faire sortir le décret qui doit terminer mon sort ; c'est l'affaire de deux minutes de discussion. Que l'humanité, la pitié, la générosité, vous engagent à cette bonne œuvre au moment des pétitions.

Je suis avec respect,

Monsieur le président,

Le malheureux prisonnier d'État en cinq enfers, après vingt-trois ans de détention et de tortures imméritées,

J.-C.-G. LEPRÉVOST DE BEAUMONT.

Ce 19 septembre 1792.

En marge on lit : Décrété que le rapport sera fait à la séance de demain au soir.

Signé MARBOS.

 

Monsieur le président,

Je me présente pour vous rappeler mon ajournement d'hier à aujourd'hui soir, dont j'ai prévenu M. Rever, mon rapporteur ; daignez épier le moment qui vous paraîtra m'être favorable pour demander les voix de l'Assemblée sur mon sort. Beaucoup de ministres et de financiers auxquels il n'était di] que des punitions depuis trois ans, ont obtenu des sommes énormes sur les fonds de la nation, et je ne demande que de quoi subsister à l'âge de soixante-huit ans, et pour pouvoir la servir encore en des points de haute considération. Réservez-moi à poursuivre mes persécuteurs devant les tribunaux : Laverdy, Sartines, Boutin, Malesherbes, Albert, Amelot, Lenoir, Breteuil, Villedeuil, Decrosne, et autres émigrés qui ont laissé de gros biens en France et qu'on n'a point décrétés.

J'ai l'honneur d'être bien respectueusement,

Monsieur le président, etc.

Votre très-affectionné frère,

LEPRÉVOST DE BEAUMONT.

Ce 20 septembre 1792.

En marge on lit : Le rapport doit être fait ce soir.

 

Les sollicitations de Leprévost de Beaumont se renouvelèrent sous la Convention, car nous avons retrouvé la mention de la pétition qu'il lui adressa sans avoir pu retrouver la pétition elle-même. Cette Assemblée, parait-il, s'abstint, comme la Constituante et la Législative, de décerner une récompense nationale au révélateur du pacte de famine. On n'entendit plus parler de Leprévost de Beaumont jusqu'au jour où il se présenta, sans être appelé par Fouquier-Tinville, pour déposer contre Laverdy, l'un des ministres qu'il désignait dans la dernière lettre citée plus haut. Peut-être espérait-il, comme il l'insinue dans cette lettre, obtenir sur les biens de l'accusé l'indemnité que la nation s'obstinait à lui refuser.

Laverdy, ancien conseiller au parlement de Paris et membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, avait été un instant, en 1768, contrôleur général des finances. Il n'avait pas songé à fuir la tourmente révolutionnaire et vivait à Paris dans la plus profonde retraite ; lorsque, le 19 octobre 1793, on vint l'arracher de son domicile, ce vieillard, alors âgé de soixante-dix ans, s'occupait à traduire Horace — c'est le procès-verbal même de son arrestation qui le constate —. Il avait été l'objet d'une dénonciation transmise par le district de Montfort-l'Amaury au Conseil général de la Commune de Paris, et dont celle-ci, enchantée de flatter les préjugés populaires, avait fait très-grand bruit.

Nous trouvons consignée sur les registres de la Commune, à la date du 19° jour du premier mois de l'an second de la République, correspondant au 10 octobre 1793, la délibération suivante :

Un membre annonce qu'un ci-devant seigneur des environs de Paris a fait enfouir le blé dans les fossés de son château. Ce seigneur se nomme Laverdy, ex-contrôleur général. Le Conseil et les tribunes frémissent à ce nom et à ce récit. Le rapporteur annonce que ce scélérat sera traduit au tribunal révolutionnaire. Cet événement s'est passé dans le département de Seine-et-Oise, et le Conseil arrête que la lettre qui en rend compte sera inscrite en entier dans les affiches de la Commune et les pièces envoyées à l'administration de police.

LUBIN, vice-président.

DORAT-CUBIÈRES, secrétaire-greffier adjoint.

 

Voici maintenant les pièces sur lesquelles l'accusation d'accaparement était basée. Nous les donnons in extenso en en respectant le style et l'orthographe ; sans cela on ne pourrait se faire une idée de la crédulité populaire, aussitôt qu'il s'agit de ce qui touche aux subsistances.

Extrait du registre des délibérations du Conseil général de la commune de Gambais.

 

Cejourd'hui, 9 octobre 1793, deuxième année de la République, etc., la municipalité de Gambais étant assemblée en Conseil général pour délibérer sur plusieurs articles, et ayant entendu et soupçonné qu'il y avait du blé dans les bassins du parc, nous nous sommes transportés au bassin de dessus le parterre, dont nous avons trouvé une grande quantité de boue qui manifeste un blé consommé et entre autres plusieurs grains bien sains et entiers, dont ledit Conseil a été accompagné par le citoyen Pierre Painlevé, de la commune de Bourdonné, qui a dit en avoir trouvé aussi dans ledit bassin. Fait et dressé ledit procès-verbal sur le lieu à onzeure du matin et avons signé tous dénontiateur excepté le citoyen Charles Bonnin qui ne sait pas signer.

ERRARD, officier municipal, — COSSON, procureur-syndic, — JOLBERT, — BILLARD, maire, — GOSSMENT — CAILLÉ, — LECOQ, — LAMARRE, — Pierre MORIN, — Michel-Nicolas DOLBEC, — Pierre RICHARD.

 

Extrait du registre des délibérations du directoire du district de Montfort-l'Amaury (Seine-et-Oise), 9 octobre 1793.

Séance publique du 9 octobre 1793.

 

En l'Assemblée du directoire du district de Montfort-l'Amaury sont comparus les citoyens Nicolas Lamarre et Louis-Charles-Guillaume Errard, tous deux officiers municipaux et officiers de police de la commune de Gambais, lesquels ont représenté et déposé sur le bureau un procès-verbal dressé cejourd'hui par la municipalité de ladite commune, duquel il appert que le Conseil général étant assemblé pour délibérer sur les soupçons qu'il avait qu'il y avait du blé dans les bassins du parc, il s'est transporté au parterre, derrière le château de Gambais appartenant au citoyen Laverdy demeurant à Paris, rue Guénégaud, pour s'assurer s'il était fondé dans ses soupçons ; qu'y étant arrivé, il a trouvé ledit bassin tari, couvert d'environ huit pouces de boue, renfermant un blé consommé et entre autres plusieurs grains bien sains et entiers ; qu'à cette visite était présent le citoyen Pierre Painlevé, de la commune de Bourdonné, qui lui a dit aussi en avoir trouvé dans ledit bassin.

Ont en outre représenté et déposé sur ledit bureau un verre rempli de boue mêlée de blé consommé, qu'ils nous ont dit avoir pris dans ledit bassin pour nous être exhibé et servir de pièce de conviction.

L'administration, après avoir ouï le procureur-syndic, considérant que le bassin, dans lequel le blé dont il s'agit a été trouvé, fait partie du ci-devant château de Gambais dont ledit Laverdy est propriétaire ; qu'il est à croire qu'il y a été jeté par lui ou par ses ordres pour diminuer la subsistance du peuple et l'affamer ;

Considérant que parmi les moyens employés par les ennemis de la République pour la détruire et faire revivre le régime du despotisme, celui d'affamer le peuple en le privant de sa subsistance la plus précieuse, est le plus dangereux, et exige la prompte punition des coupables ;

Considérant que le citoyen Errard susnommé a déclaré qu'il avait fait cuire une petite partie du blé qu'il avait pris dans ledit bassin, et que ce blé avait produit une espèce de pain incapable d'être mangé ;

L'administration arrête que deux commissaires pris dans son sein se rendront à l'instant en la commune de Gambais, à l'effet de reconnaître et constater le délit dont il s'agit, faire arrêter tous ceux qui leur seront dénoncés pour avoir participé au délit, faire des visites domiciliaires à cet effet partout où besoin sera, se faire assister de la force armée si besoin est, et du tout dresser procès-verbal.

Nomme pour commissaires à l'effet de ce que dessus les citoyens Bonnin et Carré, administrateurs du Directoire.

Arrête en outre qu'expédition de la présente délibération sera portée dans le jour à la municipalité de Paris, par ledit citoyen Lamarre, avec ledit procès-verbal et un échantillon dudit blé, en l'invitant de faire arrêter sur-le-champ Laverdy pour être poursuivi s'il y a lieu.

VERGER, président,

LHERMITTE, secrétaire.

 

Laverdy fut traduit le 3 frimaire an II (23 novembre 1793), devant le tribunal révolutionnaire ; il fut constaté : 1° que Laverdy n'avait pas habité le château de Gambais depuis plusieurs années ; 2° que le bassin dans lequel on avait trouvé quelques grains de blé mêlés à de la boue, était de très-petite dimension et placé sur le bord d'un chemin ; 3° que le moindre accident arrivé à une charrette passant sur ce chemin avait pu faire tomber dans le bassin quelques gerbes ; que, dans tout cela, il n'était pas possible de trouver le moindre élément d'une accusation d'accaparement et de destruction de récoltes.

Au milieu des débats survient Leprévost de Beaumont qui demande à être entendu, sans avoir été d'avance assigné comme témoin, car l'acte d'accusation dressé par Fouquier-Tinville fait uniquement mention de la dénonciation de la municipalité de Gambais. Leprévost de Beaumont débite devant les jurés du tribunal révolutionnaire son éternelle histoire, la même que celle qu'il avait fait insérer quatre ans auparavant dans le Moniteur et dans les Révolutions de Paris ; il déclare que Laverdy, comme contrôleur général des finances, a été mêlé il y a vingt ans à cette affaire. Cette dénonciation qu'aucune preuve ne corrobore, qu'aucun autre témoignage ne confirme, suffit pour opérer la conviction dans l'âme des jurés du tribunal révolutionnaire, et Laverdy est condamné à mort.

Ce fut le dernier acte de la vie publique de Leprévost de Beaumont ; à partir de ce moment nous n'avons pu retrouver ses traces, ni savoir où et comment il est mort.

 

 

 



[1] Les plaintes et les dénonciations de Leprévost de Beaumont se trouvent consignées dans trois documents, dont la publication date du commencement de la Révolution : 1° un long article du Moniteur (15 et 16 septembre 1789, n° 57 et 58) ; au bas d'une page se trouve une note qui ne peut laisser aucun doute sur la collaboration de Leprévost de Beaumont ; 2° une série d'articles contenus dans les n° 30 à 52 des Révolutions de Paris, où Leprévost do Beaumont raconte lui-même ses malheurs ; ce récit, qui n'est à vrai dire qu'un roman-feuilleton des plus indigestes, se trouve brusquement interrompu ; sans doute le rédacteur en chef, Prudhomme, craignit d'en fatiguer plus longtemps la patience de ses abonnés ; 3° un chapitre de la Police dévoilée, livre que Pierre Manuel publia en 1790 l'auteur ne dit point, comme cela lui arrive pour d'autres documents réunis dans son curieux ouvrage, qu'il en a trouvé l'original ou la copie parmi les papiers du lieutenant général de police.

[2] Nous suivons le texte de la déposition que lit Leprévost de Beaumont devant le tribunal révolutionnaire, dans une circonstance que nous mentionnerons plus loin. (Voir le Bulletin du tribunal révolutionnaire, n° 99 et 100.) Les faits sur lesquels roule cette déposition sont plus précis que cens qui se trouvent noyés dans les écrits mentionnés dans la note de la par précédente.

[3] Cette pièce est écrite à onze mois de distance de la précédente.